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Fin janvier 1913
Mon cher Reynaldo
Je ne t'écrivais pas parce que très fastiné et ayant d'immenses entvis " depuis que je t'ai vu, Pelléas " comme je croyais que tu revenais pour ton ami Magre et son Sortilège je pensais bonjour. Mais chaque jour on répond de Bassano que tu n'as pas dit que tu reboulais, alors je te dis un petit bonsjour mon ami. Comme je crois que tu ne saurais que penser de la production musicale si je ne te disais ma critique, je te dis que j'ai entendu par le téléphone Ferval*. Je le trouve extrêmement entvieyeux. Est-ce l'énergie dans les consonnes de Delmas et son côté Maubant dans les voyelles, mais toutes ces phrases " Le fils des nuées - s'il n'est pur " etc me paraissent d'une sécheresse assommante. Je suis de ton avis sur le délicieux entr'acte ( surtout qd il revient au chant au dernier acte ). Cela s'entend très mal au téléphone mais j'en suis fou. Je t'apprendrai que sauf que c'est plus mendelsohnnien que Shumannesque, cela a une certaine parenté musicale avec la sonate pour piano et violon de Fauré. Mais c'est moins inquiet et plus voluptueux. L'Intransigeant à propos de la 100è de M.P. Lalo avait toujours défendu cette oeuvre et a dit qu'il y avait affinité entre lui et l'auteur de Pelléas. Serait-ce dans la délicatesse de comprendre la délicatesse morale ? Le même journal note que Fauré et Debussy choisirent la même héroïne, Mélisande*. Sigismond Bardac pense peut'être qu'ils auraient dû se contenter de celle-là. Maurice Rostand le lendemain de son arrivée m'a écrit une lettre vraiment charmante pour me voir. Mais ton cher Bininuls avec sa force d'inertie a éludé. Et revêtu d'une pelisse sur sa chemise de nuit il est allé à la Ste Chapelle et passer 2 heures devant le portail de Ste Anne de Notre Dame. Asdieu, brûle cette lettre, dis bien bien bien des choses à tes soeurs.
Ton
Marcel
* Maubant de la Comédie Française est réputé pour sa diction claire que semble imiter Delmas dans l'opéra de Vincent d'Indy.
** Lalo critique au Journal des débats et au Temps fait allusion à Emma Moÿse qui fut l'épouse de Bardac ( d'origine russe et banquier parisien ), la maîtresse et la muse de Fauré, divorça et épousa Debussy en 1908.
Fin janvier 1913
Mon cher petit Binibuls Je t'envoie encore un nouveau bonsjour et je te salue bien. Hambourg a l'air très joli. J'avais voulu t'envoyer un article de Bidou mais il était trop entvieux. Mais ce qui eût peut'être balancé un peu l'ennui de l'article eût été sa méchanceté pour l'auteur quand tu sauras que ce dernier "n'est autre" que Lucien Besnard. Au reste le public ne m'a pas paru d'un autre avis. " La folle enchère " ne me semble pas avoir été un succès fou. Quant à Fervaal je ne sais ce qui c'est passé mais les jours où on devait la donner on a joué à sa place Salomé ou... Aïda, une autre fois Faust puis Le Sortilège, et enfin on annonce le départ en congé de Muratore ( superbe Ferval ). A moins d'être Bréval on peut accepter de chanter un opéra de d'Indy sans crainte d'être surmené ! - Quant à La folle enchère dont le Figaro a publié une scène capitale, comme une exécution ( mais faible comme exécutive ), il est étonnant qu'on médite sans cesse Novalis. Shakespeare, Kuno Fisher et Jean-Paul Richter pour rendre des points, quand on écrit, à Lauzanne ( non pas même Stéphane mais Duvert etc ). Ainsi Saussine* compare anxieusement Wagner, Bach et Chausson dans sa tête, mais au piano semble n'avoir jamais lu que Poise. Tels sont ô Reynaldo les étonnements de ton pauvre Ali. J'ai lu dans le Figaro une lettre de Loti sur les constructeurs d'hôtels qui dépasse en violence celle sur les égorgements de turcs. Mais il les appelle des cuistres. Je ne croyais pas que ce fût le sens de ce mot. Je te bonjoure.Brûlez ma lettre vite.
P.S. - Quel est le comble du snobisme pour Mme Blumenthal : chercher dans le Gotha Viollet le Duc et le roi d'Etiolles. - Ou bien celui-ci : ne supporter que trois artistes dramatiques ou lyriques : Baron, Duc et Prince, et à Offenbach préférer... Comte Offenbach. Excuse ces jeux innocents. T. S.V.P.
Êtes-vous curieux de savoir comment mon porte-cigarettes ( 350 f ) a été accueilli par Calmette**. Je le lui ai porté, dans sa boîte, je lui ai dit : " je voulais venir la veille du jour de l'an, avec le petit porte-cigarettes aussi simple que possible " et je l'ai posé ( dans la boîte à côté de lui ). Il a haussé les épaules d'un air affectueux sans rien dire, j'ai regardé la boîte comme pour dire : " ouvrez ", il a regardé la boîte d'un air vague, n'a pas ouvert. Il m'a dit : " J'espère bien que Poincaré sera élu ", m'a reconduit jusqu'à la porte en me disant d'une voix chaude et modulée : " Ce sera peut'être Deschanel ". J'ai jeté à mon porte-cigarettes caché dans sa boîte un regard : " Aimez ce que jamais on ne verra deux fois ". Je suis parti. Poincaré a été nommé, mais Calmette ne m'a jamais écrit.
( sans signature )

* Bidou journaliste - Lucien Besnard auteur de " la folle enchère " - En janvier 1913 Muratore ténor apprécié joue dans
" le sortilège ". - Duvert et Lauzanne sont les pseudonymes de Augustin-Théodore de Lauzanne de Vaux Roussel et Félix Duver vaudevillistes à succès. - Saussine et Poise musicien, compositeur.
** Calmette recommanda " Du côté de chez Swann " à Fasquelle, dont il fut le dédicataire. - Photo Loti : nicolebertin.blogspot.com
etsy.com Août 1913
Cabourg
Mon cher Bunibuls
C'est moi qui cette fois suis parsti sans " crier gare ". Une heure avant je ne le savais pas, et je téléphonais à Mme Bizet ( pour tâcher de placer comme chauffeur le pauvre Ulrich qui meurt de faim ) en lui disant que je ne quitterais sans doute pas Paris cette année. Puis quand je me suis décidé j'aurais pu vous téléphoner et peut'être aurions-nous pu nous joindre ( quoique c'eût été comme temps, impossible ) mais j'ai craint ma faiblesse et dû préférer partir à vous dire au-revoir. Je vous écris après un voyage terriblement mouvementé en automobile qui s'est égarée etc., à 5 h. du matin, en arrivant dans cet hôtel où je reviens pour la 6è année et où je suis très bien. Mille tendresses mon Guncht. Je vous écrirai rarement car Grasset me réclame mes épreuves pas commencées ! Mon genstil, ceci " tombeau ", vous serait-il facile ravoir ( non pour le faire publier mais pour que je puisse rentrer en possession, je vous expliquerai pourquoi ) le petit article que j'avais envoyé à Hébrard sur la Colline inspirée.* Si c'est difficile vous me le direz franchement. Remerciez bien M. de la Romiguière de sa lettre. Je vais m'occuper sur place de la chose si Ruhl est ici, ce que je ne sais encore car je suis arrivé à 5 h. matin et il est 5h.1/2 et j'écris à mon Buninuls avant me coucher.
Marcel.
* " Du côté de chez Swann " paraîtra en novembre - "La Colline inspirée " de Barrès - Ruhl est le directeur de l'hôtel.
Fin novembre 1913
Mon petit GenstilJe suis bien fasché que vous ayez grippe et inquiétude pour conférence. Mon petit genstil souvent quand j'avais pris un peu de caféïne ou de café très fort, ma voix s'affermissait extrêmement. Peut'être pourriez-vous si vous vous sentiez la voix voilée demain essayer. Le mieux serait une tasse de café excessivement fort et bouillant. Ou alors un cachet de 10 centigrammes de caféïne. Je suis à peu près de même. Je vous embrasse mon cher et seul ami.
Marcel.
jpcoupal.blogspot.com
Fin novembre 1913
STANCES A BUNCHTNIBULS
Moschant plutôt qu'Albert qui signe Martingale*
S'il faut parler sur vous j'aimerais mieux Sarah
Ou Madame Mendès, Madame de Noailles
Et caetera
Que dis-tu Reboux, de Montesquiou, de France
De Capus, de Léon Daudet,
D'Humières manquerait peut'être d'assurance
Mais Bernstein, Porto-Riche, Donnay ?**
Que dirais-tu de Maeterlinck ou de Risler
Celui-ci peut'être trop bègue
De Reské, de Robert de Flers
De Léon Blum, de Fernand Gregh ?
Que dis-je, de René Peter.
Si tu ne veux pas du poney
Qui tousse et qui rue
Il prendra un peu de monnaie
Sous sa crinière drue
Et mettant son petit bonnet
Pour t'applaudir ( comme il te connaît )
Vers le théâtre où il est d'ailleurs bonné
Il se hasardera dans la rue
Et te donnera après rendez-vous chez Larue
Signé - Jules Laforgue
( lettre sans signature )
* Martingale pseudo de Flament journaliste- Jane Primitive Mette épouse Mendès - Alfred Capus journaliste succède à Calmette au Figaro
** Donnay et Porto-Riche dramaturges
Janvier 1914
Genstil,
Je suis hesfrayé quand je pense qu'il s'en est fallu d'un rien - d'un instant de faiblesse que j'aurais pu avoir, d'une seconde de non-résistance à vos obligations - que je ne lusse pas votre conférence et vous la laissasse emporter. Or ( ce que vous m'aviez négligemment ne me le laissait pas supposer, et peut'être avec cette inconscience que je commence à comprendre flotter autour des gdes choses est-ce que vous ne le soupçonniez pas vous-même ) cette conférence 1° est la seule chose capitale que j'ai lue depuis je ne sais combien de temps ( quand je pense que vous avez tellement insisté pour que je lusse ces médiocres souvenirs d'un écrivain anglais et avez failli me laisser passer à côté de ce trésor ) 2° elle me donne de mon Bichniguls une idée que les articles seraient aussi impuissants à me donner que ( si je peux comparer à cela des choses que je sais de bien moindre valeur ) ce serait donner une idée incomplète de moi de faire lire à une personne " Fragments de Comédie Italienne* " et de lui cacher Swann. Rien que l'ampleur, le flot sans cesse renaissant, la richesse mentale, les affluents du raisonnement qui grossissent l'exorde, les précautions oratoires du début sont aux plus brillantes conférences ce qu'est le don du génie qui s'exprime aux redites du savoir et du talent. Genstil une chose m'abuse beaucoup c'est que dans ces précautions oratoires vous avez beaucoup sans vous en douter ( et sans l'avoir lu boschoup ) de la grâce en apparence simplement originale en réalité profonde et ésotérique du vieilch Ruskin dans ses conférences. Laissez je vous prie le début de Sésame, vous vous en convaincrez et vous nourrirez de plus, par un aliment assimilable, votre don prodigieux. Genstil je suis phastigué et ne vous écris pas détailch mais je suis ravi et émerveillé d'avoir lu. Mais Stravinski a-t-il lu aussi. Il faut et faut. D'autant plus que vous avez été terrible pour " le Sacre du Printemps ". Bonjour cher petit notre grand écrivain et penseur.BUNCHT
* Fin 1913 Hahn a donné une conférence sur " l'Art du Chant " aux Annales - " Comédie Italienne " texte de Proust in Les plaisirs et les jours.
Fin janvier 1914
( sans signature )