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vendredi 11 novembre 2022

Blumfeld, un célibataire plus très jeune Franz Kafka 1/4 ( Nouvelle Allemagne )




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                                          Blumfeld

                                                                  un célibataire, plus très jeune
    
            Blumfeld, un célibataire plus très jeune, regagnait un soir son logement, ce qui était une tâche éprouvante, car il habitait un sixième étage. Pendant cette ascension il pensait, comme souvent ces derniers temps, que cette existence totalement solitaire était bien ennuyeuse, qu'il était là, littéralement réduit à gravir ses six étages à l'insu de tous, pour arriver en haut, dans sa chambre déserte, pour à nouveau littéralement à l'insu de tous, passer sa robe de chambre, allumer sa pipe, lire un peu une revue française à laquelle il était abonné depuis des années, tout en sirotant un kirsch qu'il faisait lui-même et, finalement, au bout d'une demi-heure, se mettre au lit, non sans avoir dû d'abord le refaire entièrement, la femme de ménage le bâclant toujours, à sa guise et n'importe comment en dépit de ses instructions;
            Pour ces activités, n'importe quel compagnon, n'import quel spectateur eût été le bienvenu. Blumfeld s'était déjà demandé s'il ne devait pas prendre un petit chien. Ce genre d'animal est amusant, et surtout reconnaissant et fidèle. Un collègue de Blumfeld a un chien comme ça, il ne suit personne hormis son maître et, dès qu'il ne l'a pas vu quelques instants, il l'accueille avec force aboiements, voulant visiblement lui manifester sa joie d'avoir retrouvé son maître, cet extraordinaire bienfaiteur. 
            A vrai dire, un chien a aussi des inconvénients. Si bien dressé qu'il soit à la propreté, il salit la pièce. C'est inévitable, on ne peut pas chaque fois qu'on le fait rentrer, le baigner dans l'eau chaude, sa santé ne le supporterait pas. Or, Blumfeld ne tolère pas la malpropreté dans sa chambre. La propreté de sa chambre lui est indispensable. Sur ce point il a, plusieurs fois par semaine, des démêlés avec sa femme de ménage qui n'est, hélas, pas très méticuleuse. Comme elle est dure d'oreille, il la tire par le bras jusqu'aux endroits où la propreté laisse à désirer. Par cette sévérité, il est arrivé à ce que règne dans sa pièce un ordre correspondant approximativement à ce qu'il souhaite. Mais, s'il faisait entrer un chien,ce serait introduire délibérément dans cette pièce la saleté jusque-là si soigneusement combattue. Des puces, ces compagnes permanentes des chiens, feraient leur apparition. Une fois qu'elles seraient dans la place, le moment ne serait pas loin où Blumfeld abandonnerait au chien sa confortable chambre et en chercherait une autre. Or, la malpropreté n'est que l'un des inconvénients des chiens. Les chiens tombent aussi malades, et les maladies des chiens, personne, en fait, n'y entend rien. Alors cet animal est tapi dans un coin, ou boitille de-ci, de-là, il a mal et gémit, tousse, crache, on l'enveloppe d'une couverture, on siffle pour qu'il réagisse, on lui présente un peu de lait bref, on le soigne dans l'espoir, et c'est possible, qu'il s'agisse d'un mal passager.Toutefois ce peut être une maladie grave, répugnante et contagieuse. Et même si le chien reste en bonne santé, il n'empêche qu'un jour il sera vieux, on n'aura pas su, en temps voulu, se défaire du fidèle animal et le moment vient alors où, dans le regard de ses yeux chassieux, c'est notre propre vieillesse qui nous fait face. Mais alors on est forcé de s'infliger l'animal à moitié aveugle, poitrinaire, presque paralysé par sa graisse, et de payer ainsi très cher les joies que nous donna le chien autrefois. Mais alors on est forcé de s'infliger l'animal à moitié aveugle, poitrinaire, presque paralysé par sa graisse, et de payer ainsi très cher les joies que nous donna le chien autrefois. Mais alors on est forcé de s'infliger l'animal à moitié aveugle, poitrinaire, presque paralysé par sa graisse, et de payer ainsi très cher les joies que nous donna le chien autrefois. 
            Blumfeld a beau avoir très envie d'un chien il préfère, néanmoins grimper seul ses escaliers pendant encore trente ans, au lieu de s'embarrasser plus tard d'un vieux chien comme ça, qui se hisse de marche en marche en gémissant encore plus fort que son maître.
            Ainsi Blumfeld restera donc bien seul. Il n'éprouve pas les envies d'une vieille fille désireuse d'avoir près d'elle quelque être vivant, inférieur, qu'elle puisse protéger, avec lequel elle puisse se montrer tendre et aux petits soins. Pour ça, un chat, un canari ou même des poissons rouges suffisent. Et si ça ne peut pas se faire, elle se contentera même de fleurs à sa fenêtre.
            En revanche, Blumfeld veut uniquement un compagnon, un animal dont il n'ait pas à s'occuper beaucoup, auquel, à l'occasion même, un coup de pied ne fasse pas de mal, qui puisse passer la nuit dans la rue, mais qui, en revanche, quand Blumfeld en a envie, soit là pour aboyer, gambader et lui lécher la main.                                                                                                 flashventes.com
            Voilà le genre de choses que veut Blomfeld mais, comme il se rend compte que ça ne peut s'obtenir qu'au prix d'inconvénients excessifs, il renonce, non sans que son caractère tatillon ne l'incite de temps à autre, par exemple ce soir, à envisager derechef le même problème.
            Lorsque devant la porte de sa chambre il tire la clef de sa poche, il note un bruit émanant de l'intérieur. Un tapotement bizarre, mais très vif, très régulier. Comme, à l'instant, Blumfeld pensait à des chiens, cela lui évoque le bruit que font les pattes quand elles heurtent tour à tour le sol. Mais des pattes ne font pas ce bruit, ce ne sont pas des pattes.
            Il ouvre vite la porte et allume l'électricité. Il n'était pas préparé à ce qu'il voit. A croire que c'est de la magie : deux petites balles en celluloïd, blanches, rayées de bleu, rebondissent l'une à côté de l'autre sur le parquet. Quand l'une touche le sol, l'autre est en l'air, et elles continuent leur jeu inlassablement.
            Une fois, au lycée, lors d'une expérience d'électricité bien connue, Blumfeld a vu de petites billes sauter de la sorte, mais là, ce sont des balles relativement grosses. Elles bondissent librement dans la pièce, et il ne s'agit pas d'une expérience d'électricité. Blumfeld se penche vers elles pour les regarder de plus près. Il n'y a pas de doute, ce sont des balles ordinaires. Elles contiennent vraisemblablement des balles plus petites qui s'entrechoquent à l'intérieur et produisent ce bruit. 
            Blumfeld tâte l'air de la main pour s'assurer qu'elles ne sont pas suspendues à quelque fil. Non, elles se meuvent de façon tout à fait autonome. Dommage que Blumfeld ne soit pas un petit enfant, deux balles comme celles-ci auraient été un réjouissant spectacle, alors que cela lui fait une impression désagréable. Ce n'était pas si insignifiant de vivre ainsi, caché en célibataire n'attirant pas l'attention;
            Voilà qu'on ne sait qui, peu importe, a percé ce secret et a introduit chez lui ces deux drôles de balles. Il veut en attraper une, mais elles se dérobent et le poussent à s'avancer dans la pièce à leur poursuite. 
            " C'est trop bête, songe-t-il, de courir comme ça derrière ces balles. "
            Il s'arrête, les regarde arrêtées aussi sur place puisque la poursuite est abandonnée. " Mais je vais tout de même bien essayer de les attraper ", pense-t-il à nouveau en se précipitant vers elles.
             Aussitôt elles fuient, mais Blumfeld les coince, jambes écartées, dans un coin de la pièce, devant la valise posée là il réussit à s'emparer de l'une d'elles. C'est une petite balle froide qui pivote dans sa main, manifestement désireuse de s'échapper. Quant à l'autre balle, comme si elle voyait que sa camarade était en détresse, elle bondit plus haut qu'auparavant et allonge ses sauts jusqu'à toucher la main de Blumfeld. Elle tape sur cette main, tape en faisant des bonds de plus en plus rapides, varie les points d'attaque et, ne pouvant rien obtenir de la main qui enserre complètement l'autre balle, saute ensuite encore plus haut et veut, vraisemblablement, atteindre le visage de Blumfeld. Celui-ci pourrait attraper l'autre balle et les enfermer toutes les deux quelque part mas, sur le moment, il lui paraît trop dégradant de prendre de telles mesures contre deux petites balles. C'est tout de même amusant de posséder deux balles comme ça, même si elles ne tarderont pas à se fatiguer, à rouler sous une armoire et à se tenir tranquilles.
            En dépit de ce qu'il pense, Blumfeld, dans une espèce de colère, jette violemment la balle par terre. C'est miracle s'il ne brise pas ainsi la mince enveloppe de celluloïd presque transparente.
            Immédiatement les deux balles se mettent à sauter, comme avant, par petits bonds coordonnés.
            Blumfeld se déshabille tranquillement, range ses vêtements dans son armoire. Il vérifie toujours précisément si son employée a tout laissé en ordre. Une ou deux fois il regarde par-dessus son épaule les deux balles qui, n'étant plus poursuivies, semblent à présent le poursuivre. Elles l'ont suivi et bondissent à présent juste derrière lui.
            Blumfeld passe sa robe de chambre et s'apprête à aller jusqu'au mur d'en face pou prendre l'une des pipes accrochées dans un présentoir. Sans le vouloir il donne un coup de pied en arrière avant de se retourner. Mais les balles savent l'esquiver et il ne les atteint pas. Tandis qu'il va maintenant chercher sa pipe, les balles sont aussitôt sur ses talons. Il traîne les pieds dans ses pantoufles, fait des pas irréguliers. Néanmoins chaque pied posé est accompagné d'une balle qui touche le sol, elles lui emboîtent le pas. 
  les-pinatas.com 
      Blumfeld se retourne inopinément pour voir comment elles s'y prennent. Mais à peine a-t-il fait demi-tour que les balles ont déjà décrit un demi-cercle et se trouve à nouveau derrière lui, et cela se reproduit chaque fois qu'il se tourne. Telle une escorte de subordonnés, elles cherchent à éviter de se trouver devant lui. Jusque-là, apparemment, elles ne s'y étaient risquées que pour se présenter devant lui, mais désormais elles ont déjà pris leur service.
             Jusqu'à ce jour, dans tous les cas exceptionnels où son énergie ne suffisait pas à ce qu'il maîtrisât la situation, Blumfeld choisissait de s'en tirer en semblant ne s'apercevoir de rien. Cela marchait et améliorait généralement la situation. C'est ainsi qu'il se comporte maintenant également. Il se tient devant le présentoir à pipes, en choisit une en faisant la moue, la bourre particulièrement bien en puisant dans la blague disposée à cet effet, et laisse les balles, sans s'en préoccuper bondir derrière son dos. Il hésite seulement à aller jusqu'à la table, entendre leurs bonds se régler sur ses pas lui est presque douloureux. Aussi reste-t-il immobile, met un temps infini à bourrer la pipe et mesure la distance qui le sépare de la table. Mais finalement surmonte sa faiblesse et avance d'un pas tellement lourd qu'il n'entend pas du tout les balles. Une fois qu'il est assis, elles recommencent, à vrai dire, à sauter, en faisant le même bruit qu'auparavant.


                                                                         A suivre........
                                                                                                2/4

            Au-dessus de la table...........

                 
            










mardi 11 janvier 2022

Le Noël de Dan le Danseur Damon Runyon ( Nouvelle Etats Unis )

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                                       Le Noël de Dan le Danseur

            C'est le temps de Noël, en fait c'est la veille de Noël, et je suis dans le petit bistrot de Charley Bernstein, autrement dit Charley Bon Temps, dans la 47è Rue Ouest, en trains de souhaiter un joyeux Noël à Charley et de boire quelques Tom et Jerry chauds avec lui.
            Ce Tom et Jerry chaud est une boisson du vieux temps utilisé autrefois par tout un chacun dans ce pays pour fêter Noël et, en fait, est si populaire que beaucoup de citoyens croient que Noël est inventé seulement pour fournir un prétexte de boire un Tom et Jerry chaud, bien que naturellement ce ne soit vrai en aucun cas.
            Mais n'importe qui vous dira que rien ne met dans une véritable humeur de fête comme un Tom et Jerry chaud et j'entends dire que, depuis que Tom et Jerry n'est plus à la mode aux États Unis, l'humeur de la fête n'est plus jamais la même.
            La raison pour laquelle Tom et Jerry est démodé aux États Unis, c'est parce qu'il faut utiliser du rhum, et une chose et une autre, pour le préparer, et naturellement, quand le rhum devient illégal dans ce pays, Tom et Jerry l'est aussi, parce que le rhum est une chose très difficile à trouver en ville à cette époque.
            Pendant quelque temps, certains particuliers essaient de faire des Tom et Jerry chauds sans rhum mais, d'une manière ou d'une autre, ça n'a jamais le même vieil esprit de fête, aussi presque tous abandonnent, dégoûtés, ce qui n'a rien de surprenant, car fabriquer un Tom et Jerry n'est pas un jeu d'enfant. En fait, il faut un vrai connaisseur pour réussir un bon Tom et Jerry, et lorsqu'il n'est pas illégal, un expert en bon Tom et Jerry bien chaud gagne beaucoup de fric et d'amis.
             Or, naturellement, Charley Bon Temps et moi ne mettons pas de rhum dans notre Tom et Jerry, ne voulant rien faire d'illégal. Ce que nous employons, c'est du whisky de seigle que Charley Bon Temps obtient sur ordonnance médicale, à un drugstore, car nous buvons personnellement ce Tom et Jerry chaud et naturellement nous ne sommes pas assez idiots pour employer le whisky personnel de Charley Bon Temps.                                                                         new-york-en-francais
Résultat de recherche d'images pour "noel new york images animées"            L'ordonnance pour le whisky de seigle est prescrite par le vieux Doc Moggs pour les rhumatismes de Charley Bon Temps au cas où Charley a par hasard des rhumatismes, car Doc Moggs dit qu'il n'y a rien de meilleur pour les rhumatismes que le whisky de seigle, surtout s'il est mélangé à un Tom et Jerry chaud. En fait le vieux Doc Moggs s'amène et avale avec nous plusieurs grands verres de Tom et Jerry chauds pour ses rhumatismes personnels.
            Il se pointe pendant l'après-midi, car Charley Bon Temps et moi commençons à préparer ce Tom et Jerry à l'aube, pour être sûrs d'en avoir assez pour Noël, et il est maintenant environ six heures du soir, et notre humeur de fête est pratiquement à cent pour cent.
            Or, pendant que Charley Bon Temps et moi nous souhaitons bonne fête par-dessus nos verres de Tom et Jerry chaud et que j'essaie de me rappeler le poème sur la veille de Noël qui, je sais, intéresse Charley plus qu'un peu, voici que soudain on cogne très fort à la porte, et quand Charley l'ouvre, qui croyez-vous qui entre en portant un grand paquet sous le bras sinon un mec du nom de
Dan le Danseur.
            Ce Dan le Danseur est un beau jeune mec qui a toujours l'air élégant, et on l'appelle Dan le Danseur parce qu'il n'a pas son pareil pour guincher ici et là avec des pépées dans les boîtes et autres coins où l'on guinche.
            En fait, Dan n'a jamais l'air de faire autre chose, bien que des bruits courent que, quand il ne danse pas, il s'occupe d'une façon illégales d'une chose ou d'une autre. Mais naturellement on entend toujours des rumeurs de ce genre dans cette ville au sujet de n'importe qui, et personnellement j'aime assez Dan le Danseur, parce qu'il a toujours l'air de s'amuser dans la vie.
            N'importe qui, en ville, vous dira que Dan le Danseur est un mec qui n'a rien de bidon et, en fait, qu'il a autant d'estomac que tout un chacun ici, bien que je tienne à dire que je doute toujours de son jugement quand je le vois danser si souvent avec Miss Muriel O'Neill, qui travaille à la boîte de la Demi-Lune. Et la raison qui me fait douter de son jugement à cet égard, c'est que nul n'ignore que Miss Muriel O'Neill est une pépée dont Heine Schmitz pense le plus grand bien, et Heine Schmitz n'est pas un mec susceptible d'être bien disposé envers un type qui danse plus d'une fois et demie avec une poupée dont il pense du bien.
           Ce Heine Schmitz est un citoyen très influent de Harlem où il a de grands intérêts dans la bière et autres affaires, et ce n'est nullement trahir une confidence que de vous dire que Heine Schmitz est aussi disposé à vous faire sauter la cervelle qu'à vous regarder. En fait, il préfère, dit-on, la première solution, et de nombreux citoyens prennent la peine d'avertir Dan le Danseur qu'il ne fait pas seulement preuve d'impertinence en guinchant avec Miss Muriel O'Neill, mais qu'il fait chuter son prix jusqu'à ce qu'il soit réduit à zéro.
            Mais Dan le Danseur se contente de rire ( ha ! ha ! ) et continue à danser avec Miss Muriel
O'Neill à chaque fois qu'une occasion se présente, et Charley Bon Temps déclare qu'il ne le blâme pas, car Miss Muriel O'Neill est si belle qu'il guincherait bien avec elle quoi qu'il arrive, s'il avait cinq ans de moins et pouvait braquer son Roscoe aussi vite que lorsqu'il courrait avec Paddy le Chimpanzé et autres mecs cascadeurs.
            En tout cas, en entrant Dan le Danseur parcourt la boîte d'un rapide coup d'oeil, puis il jette le paquet qu'il porte dans un coin où il tombe raide, comme s'il contenait une chose très lourde, et il revient au bar s'asseoir près de Charley et moi et demande ce que nous buvons.
            Naturellement nous recommandons un Tom et Jerry chaud à Dan le Danseur. Il dit qu'il va en essayer un avec nous et, après un coup d'essai, Dan déclare qu'il en aura un autre, et Bon Noël à Tous, et qu'est-ce que nous voyons sinon que deux heures plus tard nous essayons toujours des Tom et Jerry chauds avec Dan le Danseur, et Dan le Danseur affirme qu'il n'a jamais rien bu d'aussi calmant de sa vie. En fait, Dan le Danseur dit qu'il recommandera les Tom et Jerry à toutes ses relations, mais il ne connaît personne d'assez bien pour les boire sauf peut-être Miss Muriel O'Neill, et elle ne boit rien qui contienne du whisky du drugstore.
             Or plusieurs fois pendant que nous buvons ces Tom et Jerry, des clients frappent à la porte du petit bar clandestin de Charley Bon Temps. Mais Charley commence à avoir peur qu'ils ne commandent un Tom et Jerry aussi, et il ne pense pas que nous en aurons assez pour nous, alors il suspend une pancarte qui indique : " Fermé pour cause de Noël ", et le seul mec qu'il laisse entrer est un type du nom de Ooky, qui n'est qu'un vieux soûlard, qui va ici et là toute la semaine déguisé en Père Noël et portant un panneau publicitaire pour la boutique de vêtements de Moe Lewinsky dans la Sixième Avenue.
            Cet Ooky porte encore son costume de Père Noël quand Charley lui ouvre la porte, et la raison pour laquelle Charley laisse un type comme Ooky entrer dans sa boîte, c'est que Ooky fait le portier pour Charley quand il n'est pas Père Noël pour Moe Lewinsky, il balaie, lave les verres et une chose et une autre.
            Eh bien, il est environ 9 heures et demie du soir quand Ooky arrive, et ses panards lui font mal, et il est complètement crevé à marcher de long en large et ici et là avec son panneau, car à chaque fois que Moe Lewinsky engage un mec pour faire le Père Noël, il faut qu'il gagne son fric.
            En fait, Ooky est si fatigué, ses panards lui font si mal que Dan le Danseur, Charley Bon Temps et moi avons grand-pitié et que nous l'invitons à boire quelques chopes de Tom et Jerry chaud avec nous et lui souhaitons des tas de Joyeux Noël.                                         premiere.fr
Résultat de recherche d'images pour "noel new york images animées"            Mais le vieux Ooky n'est pas habitué aux Tom et Jerry et vers la cinquième chope il se recroqueville dans un fauteuil, et nous fausse compagnie en s'endormant profondément.
            Il porte un assez joli costume de Père Noël, rouge bordé de ouate blanche, une perruque, un faux nez, de longs favoris blancs, une grosse hotte bourrée de copeaux sur le dos, et si je ne savais pas que le Père Noël n'est pas un mec qui ronfle si fort que les fenêtres en tremblent, je croirais que Ooky est vraiment le Père Noël.
            Donc, nous oublions Ooky qu'on laisse dormir, et continuons à avaler nos Tom et Jerry, et pendant ce temps nous essayons de nous souvenir de chansons appropriées à Noël. Dan le Danseur interprète finalement Le potager de mon vieux, d'une agréable voix de baryton très forte, tandis que je fais merveille avec M'aimeras-tu en décembre comme tu m'aimes en mai ? Mais personnellement je pense toujours que Charley Bon Temps Bernstein n'est pas réglo lorsqu'il essaie de chanter un hymne en yiddish pour une telle occasion, et cela provoque des mots entre nous.
            Pendant que nous chantons de nombreux clients frappent à la porte, puis ils lisent la pancarte de Charley et cela semble provoquer quelque agitation parmi eux. Plusieurs restent dehors et disent que c'est une honte, jusqu'à ce que Charley passe sa cafetière à travers la porte et menace d'abîmer le portrait de ceux qui ne vont pas vaquer à leurs affaires et ne cessent pas de déranger les citoyens paisibles.
            Naturellement les clients se dispersent, car ils ne veulent pas qu'on leur abîme le portrait, et Dan le Danseur, Charley et moi continuons à boire nos Tom et Jerry chauds. A chaque Tom et Jerry nous nous souhaitons un très joyeux Noël, et parfois une très heureuse Nouvelle Année, bien que cela ne s'adresse pas encore à Charley parce que Charley a une Nouvelle Année différente de Dan le Danseur et moi.
            Bientôt nous réveillons Ooky déguisé en Père Noël et lui offrons d'autres Tom et Jerry chauds, en lui souhaitant un Joyeux Noël, mais Ooky le prend très mal et nous traite de tous les noms. Nous voyons donc qu'il n'a pas vraiment le bon esprit de fête et le laissons tranquille jusque vers minuit où Dan le Danseur décide de voir quelle tête il a en Père Noël.
            Alors Charley Bon Temps et moi aidons Dan le Danseur à retirer le costume d'Ooky et à le mettre à Dan, ce qui est facile parce que Ooky a cet attirail de Père Noël sur ses vêtements ordinaires et qu'il ne se réveille même pas quand nous lui retirons son uniforme de Père Noël.
            Eh bien, ce que je voudrais dire, c'est que je vois beaucoup de Père Noël dans ma vie, mais je n'en vois jamais de plus beau que Dan le Danseur, surtout après avoir posé la perruque et les favoris blancs juste comme il faut. Nous enfonçons dans son pantalon un coussin que Charley Bon Temps se trouve avoir dans sa boîte pour que le chat puisse pioncer, ce qui donne à Dan le Danseur un agréable gros ventre que le Père Noël doit avoir.
            En fait, lorsque Dan le Danseur se regarde dans une glace, il est ravi de son aspect, pendant que Charley Bon Temps est dans tous ses états, bien que personnellement je commence à en avoir marre de l'intérêt que prend Charley au Père Noël et à Noël en général, car il n'a personnellement aucun droit sur ces questions. Puis je me souviens que Charley offre les Tom et Jerry chauds, et je suis plus tolérant envers lui.                                                                                           bedetheque.com
Résultat de recherche d'images pour "boissons tom et jerry"           " - Eh bien, s'écrie finalement Charley, c'est bien dommage que nous ne savons pas où sont suspendus les bas parce que, dit-il, tu serais allé les bourrer de cadeaux, comme j'entends toujours dire que c'est le rôle du Père Noël. Mais, ajoute Charley, je ne suppose pas que quelqu'un dans ce quartier ait suspendu des bas de Noël, ou s'il l'a fait, dit-il, il y a des chances pour qu'il soit si troués que tout passera à travers. D'ailleurs, continue Charley, même s'il y en a nous n'avons rien à y mettre, bien que personnellement je donnerais volontiers quelques bouteilles de scotch. "
            Alors je fais remarquer que nous n'avons pas de renne et qu'un Père Noël a forcément l'air d'un parfait idiot s'il circule sans renne. Mais les remarques de Charley ont l'air de donner une idée à Dan le Danseur car, tout à coup, il dit ce qui suit :
            " - Mais, dit Dan le Danseur, je sais où est accroché un bas. Il est accroché dans l'appartement de Miss Muriel 0'Neill, là-bas, dans la 49è Rue Ouest. Ce bas est suspendu par quelqu'un qui n'est autre que Mémé O'Neill, la grand-mère de Miss Muriel O'Neill, explique Dan le Danseur. Mémé
O'Neill va avoir quatre-vingt-dix ans et quelques, dit-il, et Miss Muriel O'Neill me raconte qu'elle ne va pas durer longtemps, avec une chose et une autre, y compris qu'elle perd un peu la boule par moments.
            Or, comme Dan le Danseur, je me rappelle que Miss Muriel O'Neill me dit l'autre soir que Mémé O'Neill accroche son bas la veille de Noël toute sa vie et, qu'il ajoute, je juge d'après ce que raconte Miss Muriel O'Neill que la vieille gonzesse croit toujours que le Père Noël viendra remplir son bas de beaux cadeaux une nuit de Noël. Mais, conclut Dan le Danseur, Miss Muriel O'Neill me dit que le Père Noël apporte toujours quelques cadeaux qu'elle fourre dans le bas pour que ça rebecte Mémé O'Neill.
            Mais, naturellement, dit Dan le Danseur, ces cadeaux ne sont pas grand chose parce que Miss Muriel O'Neill est très pauvre, fière et sage aussi, et ne prend pas une thune à quiconque, et je flanquerais volontiers une raclée au mec qui l'accuse de le faire, bien que, ajoute Dan le Danseur, entre moi, Heine Schmitz et une tirée d'autres mecs que je connais, Miss Muriel O'Neill peut en prendre beaucoup. "
            Or je sais que ce que dit Dan le Danseur de Miss Muriel O'Neill est tout à fait vrai, et en fait ce problème est souvent discuté à Broadway, parce que Miss Muriel O'Neill ne peut pas gagner plus de vingt tickets par semaine en travaillant à la Demi-Lune, et tout un chacun sait bien que c'est pas assez de fric pour une poupée aussi chouette que Miss Muriel O'Neill.
            " - Alors, continue Dan le Danseur, il semble que tout en étant très heureuse de trouver ce qu'il y a dans son bas le matin de Noël, Mémé O'Neill ne comprend pas pourquoi le Père Noël n'est pas plus généreux et, explique-t-il, Miss Muriel O'Neill me dit qu'elle voudrait bien donner à Mémé
O'Neill un vrai beau Noël avant que la vieille gonzesse ne cane.
            Donc, déclare Dan le Danseur, voici un boulot pour nous. Miss Muriel O'Neilll et sa grand-mère vivent toutes seules dans l'appartement de la 49è Rue Ouest et, dit-il, à l'heure qu'il est, Miss Muriel O'Neill est sûrement au boulot et y a des chances pour que Mémé O'Neill roupille profondément. Nous allons juste y faire un saut et le Père Noël remplira son bas de chouettes cadeaux. "
            Eh bien, que je dis, je ne vois pas où nous allons trouver de chouettes cadeaux à cette heure de la nuit, toutes les boutiques étaient fermées à moins de nous précipiter dans un drugstore ouvert vingt quatre heures sur vingt quatre, pour acheter des fiole de parfum et un nécessaire de toilette moche comme font toujours les mecs qui oublient leurs épouses très aimantes jusqu'après la fermeture des boutiques la veille Noël, mais Dan le Danseur dit peu importe, mais buvons tout d'abord quelques Tom et Jerry.
            Nous avalons donc quelques Tom et Jerry de plus, et Dan le Danseur ramasse le paquet qu'il a laissé tomber dans la cour. Il déverse presque tous les copeaux de rembourrage de la hotte de Ooky, y met le paquet, et Charley Bon Temps éteint toutes les lumières sauf une, laisse une bouteille de scotch sur la table, devant Ooky, comme cadeau de Noël, et nous voilà partis.
            Personnellement je regrette beaucoup de cesser de boire des Tom et Jerry, mais je suis aussi très enthousiaste à l'idée d'aider Dan le Danseur à jouer les Père Noël. Charley Bon Temps déborde de joie, car c'est la première fois de sa vie que Charley est mêlé à une telle fête. En fait Charley ne veut rien savoir avant que nous ne nous soyons arrêtés dans plusieurs bistrots pour boire des verres à la santé du Père Noël et ces visites sont de grands succès, bien que tous soient très surpris de voir Charley et moi avec le Père Noël, surtout Charley, bien que personne ne reconnaisse Dan le Danseur.
            Mais naturellement il n'y a pas de Tom et Jerry dans ces bistrots où nous allons, il faut donc bien avaler ce qui se trouve, et personnellement je croirai toujours que la gueule de bois que j'ai après vient du mélange de ces verres dont on s'est imbibés dans ces coins après mes Tom et Jerry.
            Tout en montant vers Broadway en direction de la 49è Rue, Charley et moi voyons beaucoup de mecs de connaissance et leur adressons un grand " salut " et leur souhaitons un joyeux Noël et quelques-uns serrent la main du Père Noël, sans savoir qu'il n'est autre que Dan le Danseur, mais je comprends après qu'il y a quelques rumeurs parmi ces citoyens parce qu'ils prétendent qu'un Père Noël qui a l'haleine de notre Père Noël est un peu dévoyé.                               youtube.com
Image associée            Une fois aussi nous sommes un peu embarrassés quand des tas de petits gosses, rentrant chez eux avec leurs parents d'une fête de Noël, entourent le Père Noël avec des cris de joie enfantine. Certains veulent grimper autour des guiboles du Père Noël. Naturellement Dan se fiche un peu en rogne et se met à les engueuler, et un des parents s'approche et demande ce que signifie un tel langage dans la bouche d'un Père Noël, et Dan lui donne un gnon, ce qui est sûrement très ahurissant pour les petits mômes qui croient que le Père Noël est un vieux mec très bienveillant. Mais naturellement ils ne savent pas que Dan le Danseur a mélangé l'alcool que nous avons bu dans les bistrots avec les Tom et Jerry ou ils auraient compris que même le Père Noël peut se fiche en rogne.
                Nous arrivons donc devant l'endroit où Dan le Danseur dit que Miss Muriel O'Neill et sa mémé habitent, et ce n'est autre qu'un immeuble de logements ouvriers pas très loin derrière Madison Square Garden, et de plus il n'y a pas d'ascenseur. A cette heure-là il n'y a aucune lumière dans la bicoque sauf un bec de gaz dans l'entrée et grâce à lui nous jetons un oeil sur les boîtes à lettres, comme on en trouve toujours dans ce genre de bicoque, et nous voyons que Miss Muriel O'Neill et sa mémé habitent au cinquième.
            C'est le dernier étage et, personnellement, l'idée d'escalader cinq étages ne me sourit pas beaucoup, et je veux bien laisser Dan le Danseur et Charley y aller sans moi, mais Dan le Danseur insiste et dit que nous devons tous monter et j'accepte finalement parce que Charley commence à dire que la chose à faire c'est de grimper sur le toit et de faire descendre le Père Noël par la cheminée, et il fait tant de chahut que j'ai peur qu'il réveille quelqu'un.
            Aussi nous grimpons l'escalier et finalement arrivons en face d'une porte, au dernier étage, avec une petite carte dans une fente qui dit O'Neill, ce qui nous apprend que nous avons atteint notre destination. Dan le Danseur essaie d'abord de tourner la poignée et la porte s'ouvre aussitôt. Nous sommes dans un petit appartement de deux ou trois pièces pas très meublé, et le peu de meubles qui s'y trouvent sont très pauvres. Un seul bec de gaz est allumé près du lit, dans une turne qui communique avec celle où s'ouvre la porte d'entrée, et cette lumière éclaire une très vieille poule qui dort dans le lit, aussi nous en déduisons qu'elle n'est autre que Mémé O'Neill.
            Son visage est fendu d'un large sourire comme si elle rêvait de choses très agréables. Sur une chaise, à la tête du lit, est suspendu un long bas noir, et il a l'air d'un bas souvent reprisé et raccommodé, aussi je peux voir que ce que Miss Muriel O'Neill raconte à Dan le Danseur au sujet de sa Mémé accrochant son bas, est réellement vrai, bien que jusqu'ici j'en ai douté.
            Or, je voudrais bien filer après un regard sur la vieille poule, surtout que Charley Bon Temps commence à rôder dans l'appartement pour voir s'il y a une cheminée par où le Père Noël peut descendre et il flanque tout par terre, mais Dan le Danseur debout regarde longtemps Mémé O'Neill.
Image associée  *          Finalement, il décroche sa hotte, sort son paquet, et soudain déverse un tas de gros bracelets de diamants, de bagues de diamants, de broches de diamants, de colliers de diamants, et je ne sais plus quoi en diamants. Dan le Danseur et moi nous mettons à bourrer ces diamants dans le bas et Charley Bon Temps se met au boulot et nous donne un coup de main.
            Il y a assez de diamants pour remplir le bas jusqu'en haut, et c'est pas un petit bas, et je pense que Mémé O'Neill a eu une assez jolie paire de gambilles dans sa jeunesse. En fait, il y a tellement de diamants qu'il nous en reste assez pour faire un beau petit tas sur la chaise après avoir bourré le bas au maximum, faisant dépasser un vanity-case incrusté de diamants qui attirera le regard de Mémé
O'Neill quand elle se réveillera.
            Et ce n'est pas avant d'être de nouveau au grand air que je me souviens tout à coup d'avoir vu de gros titres dans les journaux du soir au sujet d'un casse de cinq cents mille dollars cet après-midi-là, chez un des plus gros marchands de diamants de Maiden Lane pendant qu'il est assis à son bureau et il me revient aussi d'avoir entendu des rumeurs sur Dan le Danseur, paraît-il l'un des meilleurs braqueurs du monde à opérer seul.
            Naturellement je commence à me demander si je suis en bonne compagnie avec Dan le Danseur, même s'il est le Père Noël. Aussi je le laisse au prochain coin de rue discuter avec Charley Bon Temps pour savoir s'ils devraient aller chercher d'autres cadeaux ailleurs, et d'autres bas à remplir. Je rentre précipitamment dans ma piaule et me couche.
            Le lendemain j'ai une telle gueule de bois que je ne tiens pas à me remuer et, en fait, je ne ressors pas beaucoup pendant une couple de semaines.
            Puis un soir j'entre en passant dans le petit bistrot de Charley Bon Temps, et je demande à Charley ce qui se passe.
            " - Eh bien, dit Charley, il se passe beaucoup de choses, et personnellement je suis très étonné de ne pas te voir à la veillée funèbre de Mémé O'Neill. Tu sais que Mémé O'Neill a quitté ce vieux monde dégueulasse deux jours après Noël, continue Charley Bon Temps, et Miss Muriel O'Neill dit que Doc Moggs prétend que c'est au moins un jour de plus qu'elle n'aurait dû partir, mais elle est soutenue, explique Charley, par le grand bonheur de trouver son bas plein de beaux cadeaux le matin de Noël.
            Selon Miss Muriel O'Neill, dit Charley, Mémé O'Neill meurt pratiquement convaincue que le Père Noël existe, bien que naturellement Miss Muriel O'Neill ne lui raconte pas qui est le vrai propriétaire des cadeaux : un mec O.K. du nom de Shapiro qui lui laisse les cadeaux après que Miss Muriel O'Neill lui apprend qu'elle les a trouvés. Il paraît, explique Charley, que ce Shapiro est un mec au coeur tendre qui accepte de garder Mémé O'Neill avec nous un peu plus quand Doc Moggs déclare qu'elle restera si on lui laisse les cadeaux un peu plus longtemps.
            Donc, conclut Charley, tout est absolument O.K., parce que les poulets ne trouvent rien sinon que peut-être le salaud qui rafle les diamants chez Shapiro a des remords de conscience, les abandonne dans le premier endroit où il peut et Miss Muriel O'Neill reçoit une récompense de dix billets de dix mille dollars pour les avoir trouvés et rendus. Et, continue Charley, j'apprends que Dan le Danseur est à San Francisco et songe à s'acheter une conduite et à devenir professeur de danse pour pouvoir épouser Miss Muriel O'Neill et, naturellement qu'il dit, nous espérons tous qu'elle n'apprend jamais de détails sur la carrière de Dan le Danseur. "
            Or, c'est la veille de Noël, un an plus tard et je tombe sur un mec du nom de Sam la Mitraillette, qui fait partie du gang de Heine Schmitz à Harlem et qui est un particulier très antipathique.
            " - Bien, bien, bien, dit la Mitraillette, la dernière fois que je te vois c'est la veille de Noël comme aujourd'hui, tu sors du bistrot de Charley Bon Temps et, ajoute-t-il, tu détiens une cuite de première.
                - Mitraillette, que je réponds, je regrette de t'avoir fait une aussi mauvaise impression, mais la vérité, le jour dont tu parles, je souffre de vertiges dans le crâne.
                - Moi, je m'en fiche, dit la Mitraillette, je suis informé que Dan le Danseur est dans le bistrot de Charley Bon Temps le soir où je te rencontre, et Morgan, Jack l'Artilleur et moi surveillons la boîte parce que, explique-t-il, Heine Schmitz est furieux contre Dan à propos d'une pépée, mais naturellement, ajoute Mitraillette, il s'en fout maintenant parce qu'il en a une autre.
                 En tout cas, continue-t-il, nous n'arrivons pas à loger Dan le Danseur. Nous surveillons le bistrot de six plombe et demie du soir jusqu'à l'aube de Noël et, pendant la nuit, personne n'entre excepté le vieil Ooky déguisé en Père Noël et personne ne sort sauf toi, Charley Bon Temps et Ooky
                 Or, conclut la Mitraillette, Dan le Danseur a beaucoup de chance de ne jamais entrer ni sortir de chez Charley Bon Temps, parce que, qu'il dit, nous l'attendons au deuxième étage de l'immeuble d'en face avec de gentils petits fusils à canons sciés, et Heine nous a donné l'ordre de ne pas le manquer.
                 - Eh bien, Mitraillette, que je dis, joyeux Noël.
                 - Bien, répond Mitraillette, joyeux No


*  ibroderiediamant.fr

                                                         Damon Runyon

                                                                 ( 1932 )       

  

mercredi 17 novembre 2021

Les bijoux,Guy de Maupassant ( nouvelle France )

Marc Chagall
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                                                       Les bijoux

            M. Lantin, ayant rencontré cette jeune fille, dans une soirée, chez son sous-chef de bureau, l'amour l'enveloppa comme un filet.
            C'était la fille d'un percepteur de province, mort depuis plusieurs années. Elle était venue ensuite à Paris avec sa mère, qui fréquentait quelques familles bourgeoises de son quartier dans l'espoir de marier la jeune personne.
            Elles étaient pauvres et honorables, tranquilles et douces. La jeune fille semblait le type absolu de l'honnête femme à laquelle le jeune homme sage rêve de confier sa vie. Sa beauté modeste avait un charme de pudeur angélique, et l'imperceptible sourire qui ne quittait point ses lèvres semblait un reflet de son coeur.
            Tout le monde chantait ses louanges ; tous ceux qui la connaissaient répétaient sans fin :
            " - Heureux celui qui la prendra. On ne pourrait trouver mieux. "
            M. Lantin, alors commis principal, au ministère de l'Intérieur, aux appointements annuels de trois mille cinq cents francs, la demanda en mariage et l'épousa.
            Il fut avec elle invraisemblablement heureux. Elle gouverna sa maison avec une économie si adroite qu'ils semblaient vivre dans le luxe. Il n'était point d'attentions, de délicatesses, de chatteries qu'elle n'eût pour son mari ; et la séduction de sa personne était si grande, que six ans après leur rencontre, il l'aimait plus encore qu'aux premiers jours.
            Il ne blâmait en elle que deux goûts, celui du théâtre et celui des bijouteries fausses.
            Ses amies ( elle connaissait quelques femmes de modestes fonctionnaires ) lui procuraient à tous moments des loges pour les pièces en vogue, même pour les premières représentations ; et elle traînait, bon gré, mal gré, à ces divertissements qui le fatiguaient affreusement après sa journée de travail. Alors il la supplia de consentir à aller au spectacle avec quelque dame de sa connaissance qui la ramènerait ensuite. Elle fut longtemps à céder, trouvant peu convenable cette manière d'agir. Elle s'y décida enfin par complaisance, et il lui en sut un gré infini.
            Or ce goût pour le théâtre fit bientôt naître en elle le besoin de se parer. Ses toilettes demeuraient toutes simples, il est vrai, de bon goût toujours, mais modestes ; et sa grâce douce, sa grâce irrésistible, humble et souriante, semblait acquérir une saveur nouvelle de la simplicité de ses robes, mais elle prit l'habitude de pendre à ses oreilles deux gros cailloux du Rhin qui simulaient des diamants, et elle portait des colliers de perles fausses, des bracelets en similor, des peignes agrémentés de verroteries variées jouant les pierres fines.                                                                                          pinterest.fr
Résultat de recherche d'images pour "tableaux couPles 1900"            Son mari que choquait un peu cet amour du clinquant, répétait souvent :
            - Ma chère, quand on n'a pas le moyen de se payer des bijoux véritables, on ne se montre parée que de sa beauté et de sa grâce, voilà encore les plus rares joyaux.
            Mais elle souriait doucement et répétait :
            - Que veux-tu ? j'aime ça. C'est mon vice. Je sais bien que tu as raison ; mais on  ne se refait pas. J'aurais adoré les bijoux, moi !
            Et elle faisait rouler entre ses doigts les colliers de perles, miroiter les facettes de cristaux taillés, en répétant :
            - Mais regarde donc comme c'est bien fait. On jurerait du vrai.
            Il souriait en déclarant :                                                                             
            - Tu as des goûts de Bohémienne.
            Quelquefois, le soir quand ils demeuraient en tête à tête au coin du feu, elle apportait sur la table où ils prenaient le thé la boîte de maroquin où elle enfermait la " pacotille ", selon le mot de M. Lantin ; et elle se mettait à examiner ces bijoux imités avec une attention passionnée, comme si elle eût savouré quelque jouissance secrète et profonde ; et elle s'obstinait à passer un collier au cou de son mari pour rire ensuite de tout son coeur en s'écriant :
            - Comme tu es drôle !
            Puis elle se jetait dans ses bras en l'embrassant éperdument.
            Comme elle avait été à l'Opéra, une nuit d'hiver, elle rentra toute frissonnante de froid. Le lendemain elle toussait. Huit jours plus tard elle mourait d'une fluxion de poitrine.
            Lantin faillit la suivre dans la tombe. Son désespoir fut si terrible que ses cheveux devinrent blancs en un mois. Il pleurait du matin au soir, l'âme déchirée d'une souffrance intolérable, hanté par le souvenir, par le sourire, par la voix, par tout le charme de la morte.
            Le temps n'apaisa point sa douleur. Souvent pendant les heures du bureau, alors que les collègues s'en venaient causer un peu des choses du jour, on voyait soudain ses joues se gonfler, son nez se plisser, ses yeux s'emplirent d'eau ; il faisait une grimace affreuse et se mettait à sangloter.
            Il avait gardé intacte la chambre de sa compagne où il s'enfermait tous les jours pour penser à elle ; et tous les meubles, ses vêtements même demeuraient à leur place comme ils se trouvaient au dernier jour.
            Mais la vie se faisait dure pour lui. Ses appointements qui, entre les mains de sa femme, suffisaient aux besoins du ménage, devenaient, à présent, insuffisants pour lui tout seul. Et il se demandait avec stupeur comment elle avait sur s'y prendre pour lui faire boire toujours des vins excellents et manger des nourritures délicates qu'il ne pouvait plus se procurer avec ses modestes ressources.
            Il fit quelques dettes et courut après l'argent à la façon des gens réduits aux expédients. Un matin, enfin, comme il se trouvait sans un sou, une semaine entière avant la fin du mois, il songea à vendre quelque chose ; et tout de suite la pensée lui vint de se défaire de la " pacotille " de sa femme, car il avait gardé au fond du coeur une sorte de rancune contre ces " trompe-l'oeil " qui l'irritaient autrfois. Leur vue même, chaque jour, lui gâtait un peu le souvenir de sa bien-aimée.
            Il chercha longtemps dans le tas de clinquant qu'elle avait laissé, car jusqu'aux derniers jours de sa vie elle en avait acheté, obstinément, rapportant presque chaque soir, un objet nouveau, et il se décida pour le grand collier qu'elle semblait préférer, et qui pouvait bien valoir, pensait-il, six ou huit francs, car il était vraiment d'un travail très soigné pour du faux.
Résultat de recherche d'images pour "bijou 1900" *         Il le mit en sa poche et s'en alla vers son ministère en suivant les boulevards, cherchant une boutique de bijoutier qui lui inspirât confiance.
            Il en vit une enfin et entra, un peu honteux d'étaler ainsi sa misère et de chercher à vendre une chose de si peu de prix
           - Monsieur, dit-il au marchand, je voudrais bien savoir ce que vous estimez ce morceau.
           L'homme reçut l'objet, l'examina, le retourna, le soupesa, prit une loupe, appela son commis, lui fit tout bas des remarques, reposa le collier sur son comptoir et le regarda de loin pour mieux juger de l'effet.
            M. Lantier, gêné par toutes ces cérémonies, ouvrait la bouche pour déclarer !
           " - Oh ! Je sais bien que cela n'a aucune valeur " quand le bijoutier prononça :
           - Monsieur, cela vaut de douze à quinze mille francs ; mais je ne pourrais l'acheter que si vous m'en faisiez connaître exactement la provenance.
            Le veuf ouvrit des yeux énormes et demeura béant, ne comprenant pas. Il balbutia enfin :
            - Vous dîtes... Vous êtes sûr ?
            L'autre se méprit sur son étonnement, et, d'un ton sec
            - Vous pouvez chercher ailleurs si on vous en donne davantage. Pour moi, cela vaut, au plus, quinze mille. Vous reviendrez me trouver si vous ne trouvez pas mieux.
            M. Lantin, tout à fait idiot, reprit son collier et s'en alla, obéissant à un obscur besoin de se trouver seul et de réfléchir
            Mais, dès qu'il fut dans la rue, un besoin de rire le saisit, et il pensa :
           " L'imbécile ! Oh ! L'imbécile ! Si je l'avais pris au mot tout de même ! En voilà un bijoutier qui ne sait pas distinguer le faux du vrai ! "
            Et il pénétra chez un autre marchand à l'entrée de la rue de la Paix. Dès qu'il eut aperçu le bijou, l'orfèvre s'écria :
            - Ah ! Parbleu ; je le connais bien, ce collier : il vient de chez moi.
            M. Lantier, fort troublé, demanda :
            - Combien vaut-il ?
            - Monsieur, je l'ai vendu vingt-cinq mille. Je suis prêt à le reprendre pour dix-huit mille, quand vous m'aurez indiqué, pour obéir aux prescriptions légales, comment vous en êtes détenteur.
            Cette fois, M. Lantier s'assit perdu d'étonnement. Il reprit :
            - Mais... mais, examinez-le bien attentivement, Monsieur,j'avais cru jusqu'ici qu'il était en... en faux.
            Le joaillier reprit :
            - Voulez-vous me dire votre nom, Monsieur ?
           - Parfaitement. Je m'appelle Lantier, je suis employé au ministère de l'Intérieur, je demeure 16, rue des Martyrs.
            Le marchand ouvrit ses registres, rechercha et prononça :           pinterest.fr 
Résultat de recherche d'images pour "van dongen femme bijoux"            - Ce collier a été envoyé, en effet, à l'adresse de Madame Lantier, 16, rue des Martyrs, le 20 juillet  1876.                                              
            Et les deux hommes se regardèrent dans les yeux, l'employé éperdu de surprise, l'orfèvre flairant un voleur.
            Celui-ci reprit :
            - Voulez-vous me laisser cet objet pendant 24 heures seulement, je vais vous en donner un reçu.
            M. Lantin balbutia :
            - Mais oui, certainement. Et il sortit en pliant le papier qu'il mit dans sa poche.
            Puis il traversa la rue, la remonta, s'aperçut qu'il se trompait de route, redescendit aux Tuileries, passa la Seine, reconnut encore son erreur, revint aux Champs-Elysées sans une idée nette dans la tête. Il s'efforçait de raisonner, de comprendre. Sa femme n'avait pu acheter un objet d'une pareille valeur.
            " - Non, certes. "
            Mais alors c'était un cadeau ! Un cadeau ! Un cadeau de qui ? Pourquoi ?
            Il s'était arrêté et demeurait debout au milieu de l'avenue. Le doute horrible l'effleura.            -            " - Elle ? Mais alors tous les autres bijoux étaient aussi des cadeaux ! " Il lui sembla que la terre remuait ; qu'un arbre devant lui s'abattait ; il étendit les bras, et s'écroula, privé de sentiment.
            Il reprit connaissance dans la boutique d'un pharmacien où les passants l'avaient porté. Il se fit reconduire chez lui, et s'enferma.
            Jusqu'à la nuit il pleura éperdument, mordant un mouchoir pour ne pas crier. Puis il se mit au lit accablé de fatigue et de chagrin, et il dormit d'un pesant sommeil.
            Un rayon de soleil le réveilla, et il se leva lentement pour aller à son ministère. C'était dur de travailler après de pareilles secousses. Il réfléchit alors qu'il pouvait s'excuser auprès de son chef ; et il lui écrivit. Puis il songea qu'il fallait retourner chez le bijoutier ; et une honte l'empourpra. Il demeura longtemps à réfléchir. Il ne pouvait pourtant pas laisser le collier chez cet homme ; il s'habilla et sortit.
            Il faisait beau, le ciel bleu s'étendait sur la ville qui semblait sourire. Des flâneurs allaient devant eux, les mains dans les poches.
            Lantin se dit, en les regardant passer :
            " Comme on est heureux, quand on a de la fortune ! Avec de l'argent on peut secouer jusqu'aux chagrins, on va où l'on veut, on voyage, on se distrait ! Oh ! Si j'étais riche ! "
            Il s'aperçut qu'il avait faim, n'ayant pas mangé depuis l'avant-veille. Mais sa poche était vide, et il se ressouvint du collier. Dix-huit mille francs ! Vingt fois il faillit entrer ; mais la honte l'arrêtait toujours.
            Il avait faim pourtant, grand'faim, et pas un sou. Il se décida brusquement, et traversa la rue en courant pour ne pas se laisser le temps de réfléchir, et il se précipita chez l'orfèvre.
            Dès qu'il l'aperçut, le marchand s'empressa, offrit un siège avec une politesse souriante. Les commis eux-mêmes arrivèrent, qui regardèrent de côté Lantin, avec des gaietés dans les yeux et sur les lèvres.
            Le bijoutier déclara :
            - Je me suis renseigné, Monsieur, et si vous êtes toujours dans les mêmes dispositions, je suis prêt à vous payer la somme que je vous ai proposée.
            L'employé balbutia :
            - Mais certainement.
Selfportrait, 1895, Edvard Munch
 **         L'orfèvre tira de son tiroir dix-huit grands billets, les compta, les tendit à Lantin, qui signa un petit reçu et mit d'une main frémissante l'argent dans sa poche.
            Puis, comme il allait sortir, il se tourna vers le marchand qui souriait toujours, et, baissant les yeux :
            - J'ai...j'ai d'autres bijoux... qui me viennent... de la même succession. Vous conviendrait-il de me les acheter aussi ?
            Le marchand s'inclina :
            - Mais certainement, Monsieur. Un des commis sortit pour rire à son aise ; un autre se mouchait avec force.
            Lantin, impassible, rouge et grave, annonça :
            - Je vais vous les apporter.
            Et il prit un fiacre pour aller chercher les joyaux.
            Quand il revint chez le marchand, une heure plus tard, il n'avait pas encore déjeuné. Ils se mirent à examiner les objets pièce à pièce, évaluant chacun. Presque tous venaient de la maison.
            Lantin, maintenant, discutait les estimations, se fâchait, exigeait qu'on lui montrât les livres de vente, et parlait de plus en plus haut à mesure que s'élevait la somme.
            Les gros brillants d'oreilles valent vingt mille francs, les bracelets trente-cinq mille, les broches, bagues et médaillons seize mille, une parure d'émeraudes et de saphirs quatorze mille ; un solitaire pendu à une chaîne d'or formant collier quarante mille ; le tout atteignait le chiffre de cent quatre-vingt seize mille francs.
            Le marchand déclara avec une bonhomie railleuse :
            - Cela vient d'une personne qui mettait toutes ses économies en bijoux.
            Lantin prononça gravement :
            - C'est une manière comme une autre de placer son argent.
            Et il s'en alla après avoir décidé avec l'acquéreur qu'une contre-expertise aurait lieu le lendemain.
            Quand il se trouva dans la rue, il regarda la colonne Vendôme, avec l'envie d'y grimper, comme si c'eût été un mât de cocagne. Il se sentait léger à jouer à saute-mouton par-dessus la statue de l'empereur perché là-haut dans le ciel.
            Il alla déjeuner chez Voisin et but du vin à vingt francs la bouteille.
            Puis il prit un fiacre et fit un tour au Bois. Il regardait les équipages avec un certain mépris, oppressé du désir de crier aux passants :
            " - Je suis riche aussi, moi. J'ai deux cents mille francs ! "
            Le souvenir de son ministère lui revint. Il s'y fit conduire, entra délibérément chez son chef et annonça :
            - Je viens, Monsieur, vous donner ma démission. J'ai fait un héritage de trois cent mille francs.
            Il alla serrer la main de ses anciens collègues et leur confia ses projets d'existence nouvelle ; puis il dîna au Café Anglais.
            Se trouvant à côté d'un monsieur qui lui parut distingué, il ne put résister à la démangeaison de lui confier, avec une certaine coquetterie, qu'il venait d'hériter de quatre cent mille francs.
            Pour la première fois de sa vie il ne s'ennuya pas au théâtre, et il passa sa nuit avec des filles.
       
           Six mois plus tard il se remariait. Sa seconde femme était très honnête, mais d'un caractère difficile. Elle le fit beaucoup souffrir.

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                                                                                   Guy de Maupassant
                                                                                            ( Gil Blas 1883 )