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Paris, le 15 mars 1942
Mes petites filles.........
......... Pour les oeufs, aujourd'hui samedi, nouveau désastre : quinze oeufs cassés ! Pauline a sauvé deux ou trois jaunes........ L'envoi précédent n'avait que deux oeufs brisés. Mais c'est une telle lamentation, les larmes vous en sortiraient des yeux.
......... Racontez-moi le printemps..........
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Paris, le 18 mars 1942
Chères petites fille miennes, les oeufs d'aujourd'hui sont intacts, quel bonheur ! Je vous envoie des boîtes à oeufs, comment les trouvez-vous ? ........................
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Paris, le 10 Juin 1942
fr.dreamstime.com Mardi
Mes chères petites filles,
Ouf ! J'émerge d'un flot d'enquiquinations variées.......... Rien de bien grave, rassurez-vous ! La question de l'étoile se développe dans une atmosphère excellente. Seuls ceux qui ne voudraient ne pas la porter s'exposent à des désagréments..............
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Paris, le 25 février 1944
Jeudi soir
Mes chères petites filles, figurez-vous que j'étais bien inquiète de vous............
......... Et voilà le cheval encore une fois sauvé ! Et nous aussi grâce aux oeufs que vous envoyez ! Vous ne sauriez croire ce que sont, à Paris, des oeufs frais. Le moment est dur, le beurre est invisible ou entièrement noir. Cette " noirceur " se glisse pittoresquement partout. L'autre soir, nos voisins Tual nous ont invités....... à la fortune du pot. Dans l'escalier obscur, je heurte une femme...... elle porte deux valises lourdes, je me range. Elle s'arrête et me dit, toujours invisible : " J'ai des beaux harengs saurs à 25 francs, et du beurre à 750 francs " Je lui ai laissé le beurre et acheté quatre harengs, qui d'ailleurs étaient très bons..........
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Paris, le 7 mai 1944
les7duquebec.com
J'aurais bien voulu aller chercher du bois avec vous... Mes récoltes ne se font que sur papier.
............... Les hirondelles sont arrivées, mais à Paris je ne vois jamais que des martinets, et non ces charmantes hirondelles bleues à gorges blanches, qui ont un langage à elles. Les martinets sifflent terriblement quand il fait chaud..............
Paris, le 8 mai 1944c
............... La poule est arrivée ce matin, quelle chance ! La viande disparaît, on nous promet les " cuisines " roulantes............
Paris, le 24 mai 1044
Mes chères petites filles....................
En Franche-Comté, les hirondelles qui avaient leurs nids dans la grange attaquaient le chat, qui se défendait sur le dos, griffes en l'air..............
Paris, le 23 juin 1944
lignealigne.com Vendredi
............. On ne bouge pas. Le pire, c'est l'absence de ravitaillement, vous vous en doutez. Rien à faire, absence de tout. Je résiste au désir d'ouvrir une boîte, et encore une boîte et encore une. Il faut être sages et prudents. Et pendant ce temps-là on vend les oeufs 25 francs la douzaine à Chartres, le beurre 30 et 50 F en Normandie bombardée, on a vendu à Nogent-le-Rotrou, oeufs 3f la douzaine !!! A Paris c'est autre chose et premièrement il n'y en a pas............ La privation de pommes de terre est cruelle..........
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Paris, le 28 septembre 1944
............. On nous annonce la fin du marché noir. Résultat : j'ai acheté un kilo de beurre 750 F, et aujourd'hui, par un hasard miraculeux que m'envient mes amies, douze oeufs à 18 francsl'oeuf. Et je ne me plains pas, oh ! non ! Le ravitaillement nous donne du corned beaf au gramme et du saucisson au compte-gouttes............
Paris, le 23 octobre 1944
Dimanche après-midi
Mes chères, j'ai été malade.............
Savez-vous ce qui m'a été le plus doux pendant une si mauvaise période ? Le lard !!! Un merveilleux velours de lard ! Le canard, figurez-vous, nous l'avons à nous deux exécutés en un repas............. L'absence de produits lactés est très nuisible à la population parisienne............
Paris, le 12 février 1945
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Nous avons trouvé très bons boudins et crépinettes !................
................ le contenu des trois colis nous console de tout. Recuit, le pâté déborde de graisse et de gelée. Le cochon ( côte ) re-salé par prudence, n'attendra pas bien longtemps. Les échalotes ressemblent à des bonbons roses..................
Paris, le 29 octobre 1948
..................... Cette crème incomparable, mes enfants, vient-elle du lait de Finette ? Si oui, il faut la gâter encore plus, et lui élever une statue en beurre ! Et les oeufs donc ! Ils me remplacent la viande que je n'aime guère en ce moment......... Le boeuf m'ennuie et le mouton sent le mouton..........
Fin des extraits de " Lettres aux petites fermières " - Colette