Affichage des articles dont le libellé est Lettres Proust à Gallimard 6. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Lettres Proust à Gallimard 6. Afficher tous les articles

vendredi 4 novembre 2016

correspondance proust à Berthe Lemarié à G Gallimard( lettres France )

Afficher l'image d'origine
quirao.com

                                                                                                                Décembre 1918

            Chère Madame
            Je vous assure que c'est une grande tristesse pour moi qui ai tant de sympathie pour vous , de vous adresser toujours des doléances. Et cette tristesse cela va être pour moi d'écrire à Gaston que j'aime tendrement et que je voudrais remercier au lieu de gémir, mon désespoir en ouvrant A l'ombre des jeunes filles en fleurs, de trouver un livre écrit si fin qu'il est impossible à lire ! Je comprends que mes mauvais yeux n'en puissent déchiffrer une ligne, mais personne, même de ceux qui ont de bons yeux ne le lira. Avoir tant travaillé pour ce résultat ! Gaston à qui j'avais demandé que ce fût plus gros comme caractères que Swann m'avait promis que ce serait en tous cas au moins aussi gros. Or je n'ai pas assez l'habitude des impressions pour affirmer que c'est à moitié plus fin, mais je ne dois pas me tromper de beaucoup. Gaston m'avait dit que cela faisait le même nombre de pages que Swann. Or il y en a presque 100 de moins. C'était donc si facile de mettre autant de pages que pour Swann et d'avoir des caractères aussi gros. Je ne sais que vous dire dans le 1er coup de mon ennui. Quels que soient mes ennuis d'argent, je ne reculerai pas devant un " retirage " à mes frais. En tous cas il faudrait d'abord l'avis de Gaston. Du moins je voudrais bien si ces caractères microscopiques qui suppriment purement et simplement mon livre doivent subsister, que vous n'en mettiez pas de trop gros ( et qui feraient trop contraste ) pour Pastiches et Mélanges. Ce volume de moindre importance en caractères géants et le livre important en pattes de mouche, cela prêterait à rire ( pour tout autre que moi ). Naturellement je ne souhaite tout de même pas que ce soit aussi petit et aussi serré que
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, car tout en attachant plus d'importance à ce livre naturellement, le fait qu'on ne pourrait pas lire l'autre n'améliorerait pas la lecture du 1er.
            Je ne peux pas vous dire au milieu de mon ennui de voir ce livre qui ne sera pas lu, combien surnage en moi l'ennui de penser que j'ai l'air de me plaindre à vous, alors que je voudrais l'expression de ma gratitude de mon attachement fût sans mélange. Mais que serait l'amitié sans la sincérité ?
Afficher l'image d'origine *           Autre chose de bien moindre importance. Je vous ai raconté que Grasset qd on lui demandait Swann n'indiquait pas la NRF, de sorte qu'on ne savait où le trouver. Mais voici que mon ami Etienne de Beaumont me dit qu'ayant donné aux uns et aux autres ses différents Swann, il l'avait fait demander à la NRF. Et il lui aurait été répondu, qu'on n'avait pas l'ouvrage ! J'avoue que j'en ai été stupéfait, la NRF n'ayant pas moins d'intérêt que moi à vendre  " Du côté de chez Swann ". Beaumont est des plus affirmatifs. Je n'y comprends rien. En tous cas à cela j'attache beaucoup moins d'importance, car " Du côté de chez Swann " existe, il a été lu. Je crains que " A l'ombre des jeunes filles en fleurs " à cause de la petitesse des caractères et du rapprochement des lignes, ne le soit jamais. Et j'en suis navré. Je reconnais d'ailleurs que la couverture est " ravissante ". Est-ce que je pourrais avoir encore un ou deux exemplaires. Henri Bardac a emporté le mien, et je voudrais tout de même avec des doubles lunettes essayer de voir, essayer de lire. Daignez agréer chère Madame ma respectueuse et reconnaissante amitié.


*           fnac.com

                                                                                            Marcel Proust


*******************************


                                                                                              A Gaston Gallimard
proust-personnages.fr                                                                                                               Tout début juin 1919  
Afficher l'image d'origine
            Cher ami
            Assurément j'ai fait téléphoner ce soir rue St Lazare. Mais j'ai aussi fait téléphoner à la NRF et, même à 2 h de l'après-midi, on se concertait et on finissait par répondre que vous étiez parti depuis 1 heure. Cela faisait que vous quittiez dès 1h de l'après-midi, et comme j'évitais de faire téléphoner les samedis, veilles de fête etc, ce n'était même pas la semaine anglaise. C'était un tout petit plus commode quand vous étiez en Amérique car il y avait le bateau " qui allait partir ". Si je vous ai fait tant tourmenter ces temps-ci, vainement d'ailleurs au téléphone, c'est que Grasset me proposait divers arrangements sur lesquels j'aurais voulu vous consulter. Finalement je me suis arrangé directement avec lui. Il y avait aussi le portrait de Jacques Blanche, mais je suis incapable de vous écrire en ce moment sur tout cela, je viens de déménager, le nouveau domicile où je suis me donne des crises d'asthme terribles et ces lignes sont les 1res que je peux tracer après des heures de vrai coma. En quittant le 102 bd Haussmann j'y ai trouvé les premières épreuves de Du côté de Guermantes. Je ne croyais pas si bien dire quand je vous écrivais " Vous verrez que j'aurai mes épreuves quand je ne pourrai plus les corriger ". Je vais pouvoir tout de même car ces 1res crises se calment et laissent surtout de la fièvre qui n'empêchent nullement des corrections d'épreuves. Tout de même je n'espère pas commencer avant 48 heures et irai comme le vent après. Vous avez été impossible à atteindre je le suis en ce moment, pour peu de temps, je pense à vous avec infiniment d'amitié

*         


                                                                                                  Marcel Proust


*****************************
      
                                                                                                   A Gaston Gallimard    

                                                                                                                       2 décembre 1919

neobook.fr                                 Cher ami
Résultat de recherche d'images pour "goncourt jeunes filles proust"            Pardonnez-moi, on  ne devrait jamais faire de reproches sans s'expliquer immédiatement. J'ai été tellement malade ces temps-ci que vraiment écrire une ligne, signer un livre était trop pour mon odieux malaise. Aujourd'hui où je semble entrer dans une période d'accalmie, je peux écrire , moi un peu. Et pourtant entrer dans la voie des reproches, quelle difficile chose ! J'ai tâché toujours de préserver notre amitié - notre virtualité d'amitié puisque hélas nous n'avons encore jamais eu vous les loisirs, moi la santé, d'en réaliser la puissance. Elle a survécu à tant de petites choses - qui à la longue deviennent grandes -,  ( vous l'avez d'ailleurs vous-même préservée par tant de gentillesse ) que j'hésite à mettre entre nous la cristallisation brutale de griefs en suspens. Permettez-moi d'ajourner, peut-être " sine die ", ce débat. Mais je tiens à deux observations dont l'une me touche directement dans mes intérêts, dont l'autre ne me touche aucunement, elle m'a été formulée il y a qq temps par M. Boylesve et touche peut-être vos intérêts à vous. Voici d'abord la 1re celle qui me touche directement : ne croyez-vous pas ( vous ne le croyez pas, sans cela vous rectifieriez, donc disons mieux n'avez-vous pas tort de ne pas croire ) que vous êtes trompé par des subordonnés imprimeurs je ne sais qui, quant aux éditions des volumes. ( Quand je dis " vous " cela veut dire vous Gallimard et Tronche, car je crois que Rivière s'occupe seulement de la Revue et Copeau du théâtre ).
Voici pourquoi. Je ne croyais pas que A l'ombre des jeunes filles en fleurs aurait du succès. Si vous vous en souvenez je vous avais dit que j'étais un peu honteux de faire paraître tout seul cet intermède languissant. Or par un hasard extraordinaire, ce livre a cent fois le succès de Swann. J'ai été très ému des sympathies précieuses que Swann m'a values, mais elles étaient isolées, je les ai apprises indirectement. Pour Les jeunes filles en fleurs c'est tout autre chose. J'aurais l'air de copier mon propre pastiche de Goncourt en vous disant qu'elles sont sur toutes les tables en Chine et au Japon. Et c'est pourtant en partie vrai. Pour la France et les pays voisins ce n'est pas en partie vrai, cela l'est tout à fait. Je n'ai pas un banquier qui ne les ait trouvées sur la table de son caissier, aussi bien que je n'ai pas d'amies voyageant qui ne les ait vues chez ses amies dans les Pyrénées ou dans le Nord, en Normandie ou en Auvergne. Le contact direct avec le lecteur que je n'avais pas eu avec Swann, est quotidien. Les demandes d'articles dans les journaux aussi fréquentes. Je n'en tire aucune vanité sachant que la vogue va souvent aux plus mauvais livres. Je n'en tire aucune vanité, mais j'espérais en tirer qq argent. Or voici où je crains que Tronche et vous, ne soyez trompés par des subalternes. Le nombre des éditions n'est pas le seul signe de la vogue, mais il en est un, comme sont des signes les cours de la Bourse ou le degré de fièvre d'un malade. Hé bien au fur et à mesure que les jeunes filles se vendent, le nombre des éditions diminue. Dès la 1re semaine ( en Juin ou Juillet je ne me souviens plus, juillet je crois ) si on ne pouvait trouver une seule première édition, en revanche on était déjà à la 6è. Nous touchons à Décembre et on en vend surtout des 3è ! Je reconnais qu'on en vend aussi des 5è et des 6è comme en Juillet ! Mais cela signifie donc que nul pas n'a été fait pendant ces 5 mois, alors que c'est pourtant depuis la 6è édition  qu'il y a eu les articles de toutes les Revues anglaises ( dont le Times, pourtant chaleureux selon vous, a été le plus froid ) italiennes, espagnoles, belges. Tout cela, et quatre articles d'Hermant, et tout le reste n'aurait pas fait  une édition en 5 mois quand il y en avait eu six en huit jours ! J'admets qu'on en ait mis dès le début en vente avant que les précédentes eussent été consommées. Mais enfin " tout le monde " en ce moment lit le livre, et même ceux qui ne l'ont pas lu, l'ont acheté, sous prétexte que c'est le livre à la mode. Tout cela doit se traduire par des éditions. Où sont-elles ? En six mois Swann avait fait chez Grasset six éditions, et si vous vous en souvenez, vous jugiez ce chiffre très inférieur au nombre réel des éditions et vous supposiez que Grasset avait tiré beaucoup de volumes sans annoncer de nlles éditions, vous pensiez dans la proportion du double à peu près. J'ignore si Grasset est capable de cela, en tous cas je sais bien que vous, Tronche, tout autant que Rivière, Copeau, ou mon grand ami Gide, en êtes incapables, étant par-dessus tous vos autres mérites, la Probité incarnée. Mais n'êtes-vous pas trompés ? Ce qui me le ferait croire c'est l'inertie, la résistance qu'on rencontre quand on va demander un livre à la NRF. Les anecdotes seraient trop longues pour ma fatigue. Mais enfin la vente est réelle. Examinez, je vous en prie.                                                                                                               ouest-france.fr  
Résultat de recherche d'images pour "proust jeunes filles goncourt"            Par la même occasion dîtes-moi si vous avez trouvé un traducteur pour l'Angleterre. Cela a une très gde importance. Si vous n'avez pas traité avec la dame dont je vous avais donné la lettre, je pourrai le 7 vous donner le nom du traducteur de Jean Christophe qui serait peut-être bien. On aime mieux mes livres en Angleterre qu'en France, une traduction y aurait grand succès. Quant à la question qui ne me concerne en rien, la voici. J'ai reçu il y a environ un mois une lettre de M. Boylesve se plaignant beaucoup de la NRF éditeur. Accessoirement, il déplore qu'un correcteur n'ait pas éliminé les fautes de mon texte. Principalement, il s'élève avec violence contre une innovation que je ne connaissais pas et qui a pour nom qq chose comme " Les Editions originales ". Il voit là
( ceci entre nous, bien qu'il ne me demande pas le secret ) un procédé commercial de mauvais aloi par lequel on force le lecteur à souscrire à une quantité de livres, pour en avoir la 1re édition d'un seul qui vous intéresse. Il me dit ( je ne sais pas par coeur les mots et les chiffres, mais j'ai sa lettre ) : " Votre éditeur m'a forcé à verser 156 fr. pour avoir la 1re édition de vos livres. Il est cause que je ferai ce que je n'ai jamais fait de ma vie, je mettrai sur les quais tous les livres qu'il m'enverra, excepté les vôtres ". Je suis certain que cette innovation ( qui personnellement ne me touche pas et ne me regarde en rien ) a été mal interprétée par Boylesve. Mais enfin il est irrité. Si vous m'y autorisiez, je lui rendrai  ( de ma poche naturellement mais en feignant que c'est de la NRF ) les 156 fr. ( ou enfin le chiffre que je ne sais pas par coeur ) et en échange vous lui promettrez une 1re édition de chacun de mes volumes futurs. Je crois que je ne vous ai pas dit le charmant procédé de Régnier envers moi mais cher ami la fatigue m'arrête, je suis encore très malade, et c'est précisément par une brusque dépression de mes forces que je cesse, en vous assurant seulement de ma tendre et fidèle amitié.


                                                                                        Marcel Proust

            Si vous avez reçu du Côté de Guermantes, ou de la dactylographie de Sodome et Gomorrhe vous m'aiderez, en me les communiquant sans retard, à rattraper le temps perdu.