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A Gaston Gallimard
25 juin 1922
Et Doucet ?
Mon cher Gaston
1° Je ne me souviens pas de ce que vous m'avez dit pour les libraires à change bas, je n'ai aucune idée de ce que vous voulez dire. Il est fort probable que vous n'avez nullement oublié de m'écrire ce que vous désiriez mais ou je n'ai pas lu ou n'ayant pas compris je ne me suis pas rappelé. En tous cas pour vous éviter de me récrire à ce sujet, j'accepte d'avance ce que vous déciderez à cet égard. Ce sont choses où vous êtes très compétent et moi fort ignare. Vous me direz seulement à l'occasion et fût-c dans un an, ce que vous aurez décidé pour que je n'aie pas l'air d'une oie si on m'en parle. A l'occasion aussi dites-moi si on a traduit ou va traduire mon livre en anglais diverses questions et demandes m'étant adressées à cet égard ( je ne sais ce que vaut la guinée ). 2° Nous avons chanté vos louanges avec Gide relativement à votre bonté vis-à-vis de Gabory - et aussi de vos gentillesses pour des gens de la N.R.F. dont le nom m'échappe. Malgré la mauvaise humeur que j'ai contre Gabory chaque fois que j'ouvre mon livre criblé de fautes - mais ce n'est pas un crime d'un si jeune homme d'être peu consciencieux, c'est seulement très embêtant pour l'auteur, je compte l'aider aussi je vous l'ai peut-être dit. Me Blumenthal l'a fait également, et Gide. Il ne peut pas être secrétaire parce qu'il n'est pas capable d'exactitude ( ce que je trouve malheureux pour lui ).
* 3° Je ne sais quelle revue cite pour se moquer de nous : l'ouvrage contient 2 700 mille lettres. Je vous avais bien dit que c'était absurde.
4° Je ne puis rien vous dire quant à mon livre. Mon accident ( le médicament avalé pur ) a eu lieu vers le 2 mai et vous savez ce que j'ai souffert depuis. J'ai eu 2 jours très bons d'intervalle. Et j'ai été pris de ma fièvre rhumatismale ( qui semble ? aller beaucoup mieux ). Je possède bien le manuscrit ou pour mieux dire la dactylographie complète ( et le manuscrit aussi ) de ce volume et du suivant puisque vous vous rappelez que j'avais pris pour cela une dactylographe. Mais le travail de réfection de cette dactylographie où j'ajoute partout et change tout est à peine commencé. Il est vrai qu'elle a été faite en double. Mais à quoi bon vous faire faire les frais inutiles de placards alors que je peux aussi bien corriger sur la dactylographie. Je vous dirai à ce propos que Tronche il y a qq temps m'avait dit que j'avais tort de ne pas varier mes titres que les gens étaient si bêtes que lisant une oeuvre intitulée comme la précédente Sodome et Gomorrhe se disaient mais j'ai déjà lu cela ( je croyais qu'il exagérait mais un exemple que je vous raconterai semble lui donner raison). Aussi depuis que j'ai été tenté par les propositions de Prévost, j'ai repensé à ce que m'a dit Tronche et j'ai pensé que je pourrais peut-être intituler Sodome III la Prisonnière et Sodome IV la Fugitive quitte à ajouter sur le volume ( suite de Sodome et Gomorrhe ). - Si vous aviez une seconde un pneu me disant s'il y aura ou non un article de Régnier aurait une certaine utilité indirecte pour moi. Je vous le demande puisque vous avez vu Flers qui a dû vous en parler. Il est vrai qu'il faut que je lui écrive car il m'a fait demander de lui donner un article sur Shelley ( que je suis incapable de faire. Mais cela me ferait gagner du temps ( pour une autre chose ) de le savoir, si vous-même le savez ( sans cela ne le lui demandez pas ). Je vous quitte car je n'en peux plus. Je voulais pour éviter cette lettre tâcher de vous voir hier soir. Jacques Rivière à qui j'avais fait téléphoner pour savoir où vous étiez, l'ignorait, du moins officiellement.
Tout à vous mon cher Gaston
Marcel Proust
Gide m'a dit que Saül reprend bien. Je ne lui ai naturellement pas dit que nous en avions parlé. Un critique toujours fort gentil pour moi bien que je ne le connaisse pas, a fait un excellent article sur Saül dans l'Opinion.
Dimanche 25 juin 1922
Mon cher Gaston
J'ajoute un p.s. à ma lettre et voici : j'ai eu ce soir la visite de Morand. Il m'a expliqué la question des droits d'auteur dans ces pays où la clientèle acheteuse est différente de celle d'autrefois mais non moins bonne. Il m'a expliqué la situation notamment pour la Roumanie, et m'a dit que du reste il vous avait fait valoir ces raisons, que vous aviez en conséquence décidé avec lui de maintenir ses droits d'auteur dans ces pays. Il m'a conseillé de faire comme lui c'est-à-dire de refuser un inutile cadeau à ces libraires.
Je ne vous en parlerais pas s'il ( Morand ) ne m'avait pleinement autorisé à vous dire qu'il me conseillait de maintenir mes droits.
Je me hâte de vous envoyer ce petit mot pour qu'entre ma lettre de ce soir et celle que vous n'aurez que tout à l'heure au matin vous n'avez pas eu le temps d'écrire aux libraires. Mille amitiés
Marcel Proust
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A Gaston Gallimard
22 juin 1922 penser que j'ai oublié de vous dire que j'ai envoyé le livre à Chaumeix qui réclame aussi de la copie pour la Revue de Paris. Mais je préfère la Revue de France d'autant plus que qd Prévost m'a demandé cela il ignorait le très gentil article de Vandérem, bien que celui-ci parût le lendemain ( et aussi parce qu'il prendra le roman complet ce qui est plus commode. Peut-être Chaumeix ne prendra-t-il qu'un fragment je ne sais ). Enfin j'ai à vous parler d'une autre Revue dont je vous parle périodiquement. Donc j'allais mieux que depuis bien longtemps, quand il y a six jours sans cause appréciable n'ayant été ni au froid ni à l'air j'ai été pris de fièvre rhumatismale qui me désole non seulement à cause des douleurs mais parce que mon thermomètre ne descendant jamais au-dessous de 39 je vis dans le plus pénible malaise.
Gide m'écrit qu'il est très affecté ( il me le dit peut-être pas formellement ) de l'échec de Saül. Est-ce que son imagination souvent sombre ne se noircit pas un peu les choses. Et le public a-t-il vraiment manifesté si peu de compréhension d'une oeuvre à laquelle je sais que Gide attache une gde importance. Vous avez vu que j'ai fait passer l'écho sur la conférence espagnole. Robert de Flers est vraiment très gentil pour moi. D'ailleurs le Gaulois avait fait de même sans que je le demande.
Je trouve que seul, l'Echo de Paris exagère un peu la bienveillance en disant qu'on parle de moi pour le prix Nobel. Ne quid nimis.
J'ai voulu vous montrer que la fièvre élevée ne m'empêche pas d'être lucide. Mais je maudis mon corps qui ne m'apporte qu'une incessante souffrance, et j'envie le vôtre qui sait cueillir le plaisir. Tout à vous
Marcel
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A Gaston Gallimard
2 ou 3 juillet 1922
Mon cher Gaston
1° Avant de répondre à votre question, un point tout à fait insignifiant et que vous lirez comme je l'écris c'est-à-dire uniquement pour vous éviter une possibilité improbable d'ennui. Je n'ai reçu aucun chèque à la fin de juin. Ai-je besoin de vous dire qu'il n'y a pas l'ombre de retard, que je serais bien honteux d'en parler si n'ayant des concierges fort distraits je ne voulais vous mettre en garde contre le risque ( encore une fois plus qu'improbable ) que le chèque ne fût allé à une autre personne, auquel cas vous auriez tout intérêt à faire opposition le plus vite possible à la banque. Remarquez que de tout autre cette idée ne me viendrait pas. Mais c'est toujours venu si ponctuellement le 30 que de là mon doute qui n'en est pas même un. Le probable est que vous ajoutez les droits d'auteur du livre et que cela retardera un peu. genesis.revues.org
2° Si vous désirez, dans le doute, annoncer mes 2 volumes suivants pour 1923, bien volontiers cher ami. Mais si, de les avoir annoncés, vous oblige à les publier à date fixe, je ne peux prendre aucun engagement. Car aucune des deux parties n'est " prête ", ce qui s'appelle " prête ". Or vous savez, même quand une partie l'est combien de retard nous avons. Je ne veux pas vous livrer du travail bâclé, mais le meilleur possible dans la mesure de mes faibles facultés. Hé bien sur les deux parties il y a encore à faire. En ce moment je vais un peu mieux cela me permet de me remettre au travail. Mais qui sait ce que demain me réserve. Si donc m'annoncer, c'est me promettre, non, ne m'annoncez pas. Vous y aurez du reste tout avantage. On est un peu repu de mes 3 volumes. Le nombre de lettres effraye un peu. Il vaut mieux que je laisse souffler mon monde et que l'appétit revienne. Cependant il vaudrait mieux que l'intervalle ne soit pas trop long car tout le monde ne gardera pas présent à l'esprit que à la fin de Sodome II je pars vivre avec Albertine, et cette vie constituant Sodome III ( qui n'aura pas ce titre ) il est préférable ( dans la mesure de mes forces ) qu'on n'ait pas eu le temps d'oublier. D'ailleurs une autre raison contre l'annonce, je pensais appeler la première partie La Prisonnière la 2è La Fugitive. Or Madame de Brimont vient de traduire un livre de Tagore sous le titre " la Fugitive ". Donc pas de Fugitive ce qui ferait des malentendus. Et du moment que pas de Fugitive, pas de Prisonnière qui s'opposait nettement. J'écrirais bien à Me de Brimont que je connais un peu mais ce serait mufle et arriverait d'ailleurs trop tard. Il vaut mieux du reste ne pas donner d'avance trop de précisions. Dans un article très gentil du reste du Gaulois Chaumeix fait état de ce que j'avais annoncé d'avance et qui n'est pas ce que j'ai publié. Cher ami
je suis très fatigué, j'aurais trop de choses à vous dire. Je ne figure sur aucun de vos catalogues, annonces etc. dans cette revue-ci. Sans désirer que comme pour Morand vous mettiez 3 000 exemplaires vendus en 10 minutes ( plaisanterie ) c'est peu surtout quand mon ennemi et calomniateur depuis tant d'années le Crapouillot a des pages qui font croire que c'est chez lui que sont édités vos meilleurs auteurs. Je vous quitte. Croyez-vous que je ferais plaisir à Jacques en faisant pour la Revue d'Aout ou Septembre une Réponse à Thibaudet : " Mon cher Thibaudet " sur Flaubert.
Tout à vous
Marcel Proust
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A Gaston Gallimard
6 ou 7 juillet 1922
Mon cher Gaston
D'abord 3 mots pratiques pinterest.fr
1° J'ai reçu aujourd'hui un chèque de 3 m f. de vous. 2° Je serais très content que mon portrait paraisse dans Vanity Fair. Mais il faudrait pour cela que Jacques vous rendît celui qu'un journal suisse ( la Semaine littéraire je crois lui avait promis de lui restituer. Sans cela, si je ne peux pas en trouver chez moi comme c'est probable, il faudra que j'en commande immédiatement une reproduction chez Braun, ce qui n'est aucun dérangement mais ce qui peut retarder de qq jours. Aussi dans ce cas dîtes-moi si je dois le faire faire pour ne pas perdre de temps. Mais la revue suisse avait été si formelle envers Jacques qu'il me semble impossible qu'elle ne lui ait pas renvoyé.
3° Votre correspondant ( ? ) anglais M. Eliot me demande qq chose pour une revue qu'il fonde à Londres le Critérion et qu'on me dit devoir être très bien. Je lui répondrai. Mais si par hasard vous le voyez, dîtes-lui que le plus pratique serait un morceau extrait par moi d'un volume déjà paru, et non encore traduit. Du reste sur toute cette question Eliot, il s'y mêle en effet une question Schiff des plus délicates. Cher Gaston je crois avoir répondu à toutes vos questions ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas à vous parler de choses bien plus importantes. Mais au moment où j'allais mieux ( tellement mieux que je me trouvais reporter bien des années en arrière ) on a négligé chez moi de me
prévenir que je n'avais plus des tissus que je mets tous les soirs à même ma peau et cela m'a enrhumé. D'où de nouveau fièvre, paresse à écrire etc. Ce n'est peut-être pas un mal car la gêne d'argent me rendait difficile de " prendre des vacances ", les 1res depuis 8 ans, et les 1res dont j'eusse pu profiter. Si je tombe malade cela tranche la question. Et vous cher Gaston quitterez-vous Paris. Si je vous le demande c'est afin de ne pas vous écrire ou chercher à vous voir " à porte à faux ". D'ailleurs ayant généralement passé vos week-end hors Paris vous ne devez pas avoir la même soif d'air que moi. Il est vrai que pour un homme bien portant comme vous êtes, la soif d'air est plus grande que pour un malade chez qui la restriction de toute activité fait d'une sortie même en voiture fermée, un voyage. Dieu merci vous êtes au contraire l'homme du travail et de la détente, du travail surtout. D'ailleurs
quelle différence d'âge, chronologique et autre, entre nous. Jacques Rivière m'écrit un mot fort pressant au sujet de cette réponse à Thibaudet sur Flaubert, non sur Thibaudet, et donc qu'elle ne prive en rien Thibaudet de l'article sur son livre auquel il a droit dans la N.R.F. Mille amitiés ( mal exprimées car Céleste me parle )
Marcel Proust
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