Les Français et Nous
Divagations
........... 2 suite
Les uns affirmaient que la colline avait été réduite en poussière ; d'autres relevaient les impacts causés par les jets de pierre lors de l'explosion. Mais, quelques jours plus tard, on assura que des bergers avaient vu la colline, toujours à sa même place. La nouvelle une fois confirmée, une grande indignation s'éleva dans la population.
Ce n'était pas possible ! La colline devait avoir été pulvérisée, les formules inscrites au tableau noir de don Pérez étaient infaillibles.
Une main étrangère avait dû mouiller l'explosif, la main d'un enchanteur malfaisant, ennemi de don Pérez et jaloux de sa renommée.
L"affaire se passant en Espagne, on savait bien quel pouvait être cet enchanteur : le Gouvernement.
Aux Cortès et dans les cafés, l'opinion publique se prononça contre lui,et les journaux mirent l'accent sur la conduite inconsidérée de ce malfaisant personnage qui s'obstinait à vivre en complet divorce avec l'opinion publique, si experte en chimie, comme elle l'est en Espagne, surtout depuis qu'elle a été instruite par l'éminent géomètre don Lopez et le non moins éminent théologien don Rodriguez.
Dans cette campagne de presse, on fit intervenir Colomb, Cisneros, Michel Servet, les bataillons de l'infanterie des Flandres, le Salado, Lépante, Otumba et Wad-Ras, les théologiens du concile de Trente, le courage de l'infanterie espagnole qui rendit vaine la science du grand capitaine du siècle. Pour ce motif, on ne manqua pas d'attirer, une fois de plus, l'attention sur l'absence de patriotisme de ceux qui ne juraient que par l'étranger, alors que nous avions bien mieux chez nous, et on rappela le cas du pauvre don Fernandez, mis à l'écart, inconnu dans son ingrate patrie, illustre hors des ses frontières et dont les ouvrages, acquis seulement par les collectivités, sont traduits dans toutes les langues savantes, y compris le japonais et le bas breton. spiegel.de
Le pauvre don Pérez, lâchement attaqué, se proposa de venger l'honneur de l'Espagne et, comme il avait l'intention, afin de démontrer l'efficacité de son explosif, de faire sauter le rocher de Gibraltar et de démasquer le Gouvernement, on le présenta à la députation aux Cortes.
Les Cortes sont une académie où se réunissent pour discuter tous les savants d'Espagne, assemblée qui poursuivant les traditions glorieuses des conciles de Tolède, tient tantôt du congrès, tantôt du concile où s'élucident les problèmes théologiques, comme il arriva en 69.
Pendant que les amis de don Pérez présentaient sa candidature, l'éminent toréador Senorito, vivant exemple de l'association des armes et des lettres, sentit bouillir son sang et, en sortant d'une course de taureaux où il avait enthousiasmé le public en estoquant, avec une élégante philosophie, ses six taureaux, se rendit à un meeting où il prononça un discours éloquent en faveur de la candidature de don Pérez. Après un couplet en l'honneur de la patrie, Senorito déroula la muleta, fit une passe en l'honneur de l'Espagne, une autre de " poitrine " pour Gibraltar et ses Anglais, une troisième de" mérite " pour don Pérez, et soutint une discussion brillante, bien que quelque peu décousue, sur l'importance et le caractère de la chimie puis, pour terminer, conclut en donnant au Gouvernement une estocade jusqu'à la garde.
Le public hurlait : Ole, mon beau ! et réclamait pour lui l'oreille de l'animal, mêlant les noms de Pérez et de Senorito dans ses acclamations.
A cette réunion assistait aussi le grand organisateur de la publicité, le barnum, le très populaire imprésario, don Carrascal qui avait l'intention d'emmener dans une tournée à travers l'Espagne le savant don Pérez, comme il l'avait déjà fait pour le grand poète national.
Le brave don Pérez se laissait faire, tiré de tous côtés par ses admirateurs et sans savoir ce qui en adviendrait.
Cependant ni l'éloquence tribunitienne du toréador Senorito, ni l'activité du superpopulaire Carrascal, ni l'appui du grand leader politique Encinas ne firent bouger le Gouvernement qui continua, selon sa coutume, à manger à deux râteliers et à rester sourd à la voix du peuple.
Et le rocher de Gibraltar est toujours debout avec ses Anglais !
Convenons que seul un Français est capable, après avoir accumulé un tel amas de sottises, en particulier celle de nous présenter un torero tribun, discourant en faveur de la candidature d'un savant, de présenter pareil conte comme caractérisant l'essence même de l'Espagne. Affaires de Français !
Mais, monsieur, quand nos voisins apprendront-ils à nous connaître pour le moins aussi bien que nous nous connaissons nous-mêmes ?
Miguel de Unamuno
Pendant que les amis de don Pérez présentaient sa candidature, l'éminent toréador Senorito, vivant exemple de l'association des armes et des lettres, sentit bouillir son sang et, en sortant d'une course de taureaux où il avait enthousiasmé le public en estoquant, avec une élégante philosophie, ses six taureaux, se rendit à un meeting où il prononça un discours éloquent en faveur de la candidature de don Pérez. Après un couplet en l'honneur de la patrie, Senorito déroula la muleta, fit une passe en l'honneur de l'Espagne, une autre de " poitrine " pour Gibraltar et ses Anglais, une troisième de" mérite " pour don Pérez, et soutint une discussion brillante, bien que quelque peu décousue, sur l'importance et le caractère de la chimie puis, pour terminer, conclut en donnant au Gouvernement une estocade jusqu'à la garde.
Le public hurlait : Ole, mon beau ! et réclamait pour lui l'oreille de l'animal, mêlant les noms de Pérez et de Senorito dans ses acclamations.
A cette réunion assistait aussi le grand organisateur de la publicité, le barnum, le très populaire imprésario, don Carrascal qui avait l'intention d'emmener dans une tournée à travers l'Espagne le savant don Pérez, comme il l'avait déjà fait pour le grand poète national.
Le brave don Pérez se laissait faire, tiré de tous côtés par ses admirateurs et sans savoir ce qui en adviendrait.
Cependant ni l'éloquence tribunitienne du toréador Senorito, ni l'activité du superpopulaire Carrascal, ni l'appui du grand leader politique Encinas ne firent bouger le Gouvernement qui continua, selon sa coutume, à manger à deux râteliers et à rester sourd à la voix du peuple.
Et le rocher de Gibraltar est toujours debout avec ses Anglais !
Convenons que seul un Français est capable, après avoir accumulé un tel amas de sottises, en particulier celle de nous présenter un torero tribun, discourant en faveur de la candidature d'un savant, de présenter pareil conte comme caractérisant l'essence même de l'Espagne. Affaires de Français !
Mais, monsieur, quand nos voisins apprendront-ils à nous connaître pour le moins aussi bien que nous nous connaissons nous-mêmes ?
Miguel de Unamuno
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