dimanche 25 mars 2012

Lettres à Madeleine 24 Apollinaire


Ensemble de bagues réalisées à partir de métal récupéré.Lettre à Madeleine
( Le 19 au soir le poète envoie une 3è lettre à Madeleine "Je pense que nous commençons ce soir...Je vous ai envoyé ce soir un autre encrier fusée de 150 mais sans graduation, le tout posant dans un  culot de 77..." Son imagination vagabonde " ... Je t'imagine lisant mes lettres dans ton lit, tes cheveux dénoués et ton sein fripon qui se soulève... " Il s'inquiète " ... Ton idylle un peu jalouse avec les colchiques m'a beaucoup touché..
... mais prends aux colchiques, c'est je crois un poison violent... Il me tarde que cette chose actuelle ait eu lieu... " --- 20 septembre de Foix à Oran les lettres Madeleine tardent un peu puis il explique " ... J'ai publié chez Michaud ( 1910 ) un petit livre très illustré de documents portraits etc, intitulé Le Théâtre italien , j'y ai traduit un acte du scénario d'une comédie ressortissant à l'art scénique improvisé de la Commedia dell' arte. Le titre était autant qu'il m'en souvienne Colombine soldat par amour c'était assez amusant... "  et il joint des objets martelés dans des " obus boches de 150 ".



                                                                                             21 septembre 1915

            Mon amour, ta lettre du 17, lettre de ton retour de Narbonne m'a fait un plaisir inimaginable, tu es vraiment digne de moi, de nos plaisirs futurs et actuels, tu es merveilleuse, tu te prêtes au plus charmant commerce qui soit et nos fiançailles sont exquises grâce à ton âme si ouverte à notre amour et à ton corps si prêt à suivre le mouvement de nos âmes.Je te vois lisant dans ton lit, mes lettres, tu es l'image même de la volupté, mais de la jeune volupté.Moi aussi j'ai appris à discerner un peu les mouvements de ton désir à ton écriture, mais peut-être pas autant que toi, si pourtant autant. Je ne crains donc plus de te troubler et du moment que tu aimes notre volupté nous pouvons en parler et cela nous servira plus que tout pour nous connaître et donner à notre amour le plus de vérité, le plus de vie possible. Il est certain que seule Madeleine peut m'aimer comme je suis aimé et je ne connaissais rien à l'amour avant toi, c'est toi qui est l'innocence même qui me l'apprends et quelle leçon exquise.
            Oui, tu as bien compris pourquoi j'étais content que tu fusses vendéenne. En effet les Vendéennes doivent savoir aimer.Le maraîchinage est une vieille coutume de Vendée, elle se perd ou plutôt devient vulgaire et immorale sous l'influence des préjugés modernes et misérables.
            Le maraîchinage était et est encore un peu, l'ensemble des us et coutumes vendéens du baiser avant le mariage et même avant les fiançailles.Les filles et les garçons se baisaient sur la bouche de longues heures durant et apprenaient ainsi des finesses qui embellissaient leur race sans mièvrerie, puisqu'une coquetterie si pleine d'abandon est charmante mais non mièvre.L'art des baisers de la langue se raffinait ainsi suprêmement et on ne retrouverait un art aussi complet du baiser lingual que chez les Slaves de la Pologne et des Balkans. Ces quelques mots ne te donnent qu'une vague esquisse du maraîchinage vendéens sur lequel des érudits prudes ou non ont entassé déjà de gros volumes.
            Note que du temps du maraîchinage la débauche était moins fréquente que maintenant en Vendée et l'était encore moins que dans les autres provinces françaises car la sensualité n'est pas la débauche et s'accorde parfaitement avec l'intelligence. Les Athéniens ont atteint le plus haut degré de civilisation par leur raffinement et leur sensualité en demeurant les gens les plus spirituels du monde et sans qu'on puisse les accuser spécialement de débauche puisque les courtisanes mêmes étaient à Athènes par leur intelligence et leur harmonie infiniment respectables et respectées.
            Tu m'as mis au courant ma chérie de la naissance en toi de la Volupté. Je veux que tous les mouvements où ton corps et ton âme s'unissent pour ton plaisir en moi, me soient réservés au point que ma pensée seule les suscite en toi et que pensant à moi tu n'aies qu'à serrer ces jambes, que tu me redonnes encore dans ta lettre, tu n'aies qu'à les serrer, dis-je, pour que la volupté te secoue comme l'aquilon un roseau, ou plutôt une rose !
            Ne crains pas non plus de te troubler, je te l'ai écrit, je suis mon maître autant que le tien, mais quelle adorable idée tu as de me faire dormir sur tes seins, dans tes bras serrés en baisant mes cheveux.
            N'oublie pas cependant que quand je pourrai dormir ainsi c'est que toi aussi mon amour tu auras bien sommeil, va.
            Un poème secret joint à ma lettre te parle des neuf portes.Tu fais bien de tout me dire et j'adore, mon amour, cet amour que tu inventes et peu à peu tu m'apprendras de l'amour autant que je t'en apprendrai et c'est vraiment exquis. Et que j'aime ton trouble, tes bouleversements, tes agitations amoureuses, mon amour, je prends ta bouche et bois ton âme jusqu'à ce que tu t'évanouisses. Oui j'ai goûté ton baiser-friandise avec une vraie passion de sauvage c'est jusqu'à présent le plus grand plaisir de ma vie et le plus inattendu. Il n'y a plus que la réalité de ton corps qui puisse je crois, être plus fort que ce baiser inventé par ton innocence. Mais, il est vrai que ton âme recèle sans doute des richesses encore plus inattendues. Ne dis-tu point que tu veux encore inventer des baisers. C'est plus que du talent, mon amour, tu as le génie de l'amour.
            Oui, je pense à notre vie future et nous en parlerons longuement lors de ma permission.

                                                         
                                                                                            ........ ( à suivre )

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