mercredi 21 mars 2012

Le Corbeau de Mizzaro Pirandello ( Conte Italie )



Luigi Pirandello naît le 28 juin 1867 à Agrigente  ( Girgenti en Sicile ).Le choléra sévit, peu d'enfants résistent à l'épidémie mais Luigi " le ver luisant " comme il se nomme survit.  Dramaturge, auteurs de nouvelles ( 237 ), s'est installé ) à Rome avec son épouse Maria Antonietta et ses trois enfants. Le Corbeau de Mizzaro parut en 1902 pour la première fois dans Il Marzocco avant d'être intégré le recueil de nouvelles " Le Carnaval des Morts ".

                                                                            Le Corbeau de Mizzaro

                 Des bergers désoeuvrés qui grimpaient un jour sur les coteaux de Mizarro surprirent dans son nid un gros corbeau en train de couver paisiblement.
                - Oh vieux gaga, que fais-tu là ? Regardez-moi ça ! Il couve ! C'est à ta femme de le faire, vieux gaga !
                Qu'on ne s'imagine pas que le corbeau n'ait pas crié ses raisons, il les cria fort bien mais en bon corbeau et naturellement il ne fut pas entendu. Ces bergers se divertirent une journée entière à le tourmenter puis l'un d'eux l'emporta au pays. Toutefois le lendemain, ne sachant qu'en faire, il lui attacha au cou une clochette en bronze et lui rendit la liberté :
               - Profites-en tout ton saoul !

               Quelle impression cette breloque sonore faisait au corbeau, lui seul le sut qui l'emportait à travers le ciel. D'après les amples envolées auxquelles il s'abandonnait, il semblait s'y complaire, puisqu'il en oubliait son nid et sa compagne.
               - Drelin, drelin... drelin, drelin...
               A ce tintement de cloche, les paysans courbés sur leur travail se redressaient, scrutaient de tous côtés la plaine à perte de vue sous la flambée du soleil.
               - Où ça sonne donc ?
               Pas un souffle de vent ; de quelle église lointaine arrivait donc ce carillon de fête ?
               Ils pouvaient tout imaginer sauf qu'un corbeau sonnait ainsi en plein ciel. " Des esprits ! " pensa Ciché seul et en train de creuser des trous autour de plants d'amandiers pour les remplir de fumier. Et il se signa.Car il y croyait, lui, aux esprits et comment ! Même qu'il s'était entendu quelquefois appeler le soir quand il rentrait très tard le long de la route près des  Fornaci, ces anciens fours éteints où au dire de tous  ils avaient élu domicile.Appeler , et comment ! Appeler : Ciché ! Ciché ! comme ça.Et ses cheveux s'étaient dressés sous son bonnet.
               Or, ce carillon, il l'avait d'abord entendu de loin puis de plus près puis encore de loin ; cependant, aux alentours pas âme qui vive: des champs, des arbres et des plantes qui ne parlaient ni n'entendaient et dont l'impassibilité n'avait fait qu'accroître sa frayeur.Ensuite, comme il allait déjeuner puisqu'il s'était apporté la moitié d'une miche de pain avec son oignon dans son cabas pendu un peu plus loin à une branche d'olivier avec sa veste, et bien, bonnes gens, sûr qu'il l'avait retrouvé dans son cabas mais pas son pain.Et cela en quelques jours seulement.
              Il n'en parla à personne car il savait que lorsque les esprits prennent quelqu'un pour cible, gare à s'en plaindre ! Ils vous retrouvent au tournant quand bon leur semble et même ils en remettent.
              - Je ne me sens pas à mon aise, répondait Ciché le soir à sa femme qui lui demandait pourquoi il avait cet air ahuri.
              - Tu manges bien, pourtant , lui faisait observer sa femme peu après, en le voyant avaler deux ou trois assiettées de soupe d'affilié.
              - Eh oui, je mange ! mastiquait Ciché à jeun depuis le matin et fou de rage de ne pouvoir se confier à sa femme.
              Jusqu'au moment où la nouvelle se répandit dans les villages qu'un corbeau maraudeur s'en allait dans le ciel en sonnant une clochette.Ciché eut le tort de ne pas en rire comme les autres paysans qui avaient conçu quelques appréhensions.
              - Je jure, dit-il, que je le lui ferai payer !
              Et que fit-il ? Il emporta dans son cabas avec sa moitié de miche et son oignon quatre fèves sèches et quatre aiguillées de ficelle, à peine arrivé dans son champ, il ôta le bât de l'âne et l'achemina vers la colline pour qu'il aille brouter les chaumes.Selon l'habitude des paysans, Ciché causait avec son âne de temps en temps, et l'âne dressant tour à tour une oreille, reniflait de temps en temps pour lui répondre à sa manière.
              - Va, Ciccio, va, lui dit ce jour-là Ciché.Tu vas voir, nous allons bien nous amuser.
              Il fit un trou dans les fèves, les attacha au bât par la ficelle, et les disposa par terre sur son cabas ; après quoi il alla piocher un peu plus loin.
              Une heure passa pis deux..De temps à autre, Ciché interrompait sa besogne, croyant toujours entendre la clochette ; se redressant, il tendait l'oreille.Rien.Alors il se remettait à piocher.
              Vint l'heure du déjeuner.Perplexe, se demandant s'il irait chercher son pain où s'il attendrait encore un peu ; à la fin Ciché se mit en marche mais quand il aperçut l'amorce encore sur le cabas, il se refusa à la déplacer.Là-dessus, se fit entendre clairement un tintement lointain ; il leva la tête.
              - Le voici !
              Et coi et courbé, le coeur battant il alla se cacher un peu plus loin.
              Si ce n'est que le corbeau, comme s'il prenait plaisir au son de sa clochette, tournait et virait en haut, tout en haut, et ne descendait pas....
 
                                                                                                 
                                                                                             ......... .........( à suivre )
     

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire