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jeudi 17 mai 2012

Lettres à Madeleine 36 Apollinaire

                
                      Colette et Willy                          
                 
                                                               Lettre à Madeleine

                                                                                                              17 octobre 1915

            Mon amour, pas de lettre de toi aujourd'hui ! J'ai reçu aujourd'hui une lettre de Willy ( Henry Gauthier-Villars ). C'est un écrivain léger , mais de grand talent . Il vaut même mieux que ce qu'il a écrit, d'ailleurs tout n'est pas de lui. L'ancien mari de Colette et le père des " Claudine " a beaucoup d'esprit. Il a
été à Düsseldorf avec un passeport hollandais, pr assister à la première d'Ariane tragédie d'Ernst. C'est du culot ! Il aurait pu se faire prendre. Et il médite d'aller à Munich. Les difficultés que trouve à vivre cet écrivain si connu si près du public, m'inquiètent extrêmement pour l'avenir des lettres et des littérateurs après la guerre. Je me demande si je ne lâcherai pas la littérature pr un temps, pour les affaires ou autre chose. Mais quoi ? J'y songe... Tu pourrais y songer aussi mon amour, ma chère petite femme chérie. Note que Willy a beaucoup de relations et est un homme déjà vieux cinquante-cinq ans je crois !? - Mais qu'importe tout cela puisque tu m'aimes ! Mon cher amour, ma très belle Madeleine. Ce soir gaz lacrymogènes. Ça a duré jusqu'à maintenant où je t'écris pendant deux heures. Cette fois-ci odeur de chlore comme si on faisait la lessive. Aujourd'hui beau temps, de 1h à 3h. J'ai pris un bain de soleil - tout nu - sauf le caleçon, j'étais dans un joli petit bois roussi par les éclats d'obus près de la batterie. Je pensais à toi tandis que le soleil me caressait - Je t'envoie la lettre de Willy, elle t'amusera -
            Dans nos bois de petits sapins , ce qui abonde c'est la pimprenelle à saveur de concombre et l'euphorbe verruquée qui est une houppe bleuâtre avec parfois sa verrue ou brune ou jaunâtre ou rose et quand elle est ainsi elle me suggère l'idée , mais très délicate, mon amour, du siège même de ta sensibilité voluptueuse qui doit ressembler au bourgeon rouge de cette plante singulière. Il y a encore des cèpes et autres champignons excellents. En fait d'arbres, il n'y a que les petits sapins et aucun arbuste.
            Mon ami qui est sapeur-projecteur et est dans le civil secrétaire de la légation de France à Pékin est revenu me voir et m'a raconté mille choses amusantes particulièrement sur les femmes chinoises, elles sont jolies paraît-il se fardent de rouge le tour des yeux, elles ont de grosses fesses mais peu ou point de poitrine la poitrine étant mal vue en Chine. Elles sont amusantes et spirituelles parait-il. Quant aux Japonaises, il me les a données comme surfaites et d'après ses expériences ne valent rien comme amoureuses.
            Mais trêve de sottises, mon amour, je crois que vous avez pris le bon bâteau pour rentrer à Oran.
            Je t'aime ma chérie, je prends ta bouche je pense à toi, je t'adore.
            J'espère bien avoir une lettre de toi demain.

                                                                           Oiseau rouge

          J'espère une lettre de toi
          Tes lettres amour sont les roses
          De l'absence et de notre foi,
          Épine et parfum de tes proses !

          Un oiseau chante ne sais où
          C'est je crois ton âme qui veille
          Parmi tous les soldats d'un sou
          Et l'oiseau charme mon oreille

          Tandis qu'il chante le canon
          Répète le non taciturne
          Éclat et non parole : Non !
          Que répète l'écho nocturne

          Non ! ennemi tu n'auras point
          Ni les villes ni les campagnes
          Ni ma vie, amour en a soin
          Entends l'amour qui m'accompagne

          Écoute il chante tendrement
          Je ne sais pas sur quel branche
          Il est partout qui va m'aimant
          Nuit et jour, semaine et dimanche

          Et que dire de cet oiseau ?
          Que dire des métamorphoses
          Du chant en âme, doux morceau !
          Du coeur en lys, du corps en roses...

          Car cet oiseau c'est mon amour
          Et mon amour c'est une fille
          La rose est moins parfaite et pour
          Moi seul l'oiseau bleu s'égosille

          Oiseau bleu comme le coeur bleu
          De mon amour au coeur céleste
          Ton chant si doux répète-le
          - J'attends ta lettre comme un geste !...

          Tu m'ouvriras les bras et puis
          Tu me répéteras je t'aime
          Ainsi vont les jours et les nuits
          Amour bleu comme est le coeur même

                                                                                                        
                                                                                                                                pie bleue

            Amour bleu, je t'adore, tu es ma Vénus, tu sors de l'onde méditerranéenne bleue comme ton coeur.
J'imagine ta caresse épouvantablement longue et douce mon amour, ma bouche fixée au parvis du temple
en aspire tout l'amour, je me fais poulpe ce soir pour t'aimer et ma bouche devient ventouse, tu t'agites adorablement, tes jambes divines m'offrent adorablement le calice parfumé et je m'attarde infiniment. Ton corps est secoué de soubresauts. Les spasmes succèdent aux spasmes jusqu'à ce que tu t'évanouisses sous la caresse persistante et terriblement douce et tu ne t'éveilles de ta pâmoison qu'en sentant mon étreinte virile qui déchaîne ma Phèdre ardente. La lutte est adorable jusqu'à ma victoire complète qui est aussi la tienne, mon amour chéri.
                         
                                                              LE QUATRIÈME POÈME SECRET

                        Ma bouche aura des ardeurs de géhenne
                        Ma bouche te sera un enfer de douceur
                        Les anges de ma bouche trôneront dans ton coeur
                        Ma bouche sera crucifiée
                        Et ta bouche sera la barre horizontale de la croix
                        Et quelle bouche sera la barre verticale de cette croix
                        Ô bouche verticale de mon amour !
                        Les soldats de ma bouche prendront d'assaut tes entrailles
                        Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté dans son temple
                        Ton corps s'agitera comme une région pendant un tremblement
                                       de terre
                        Tes yeux seront alors chargés de tout l'amour qui s'est amassé dans
                                         les regards de l'humanité depuis qu'elle existe
                        Mon amour, ma bouche sera une armée contre toi
                        Une armée pleine de disparates
                        Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses
                        Car ma bouche s'adresse aussi à ton ouïe et avant tout
                        Ma bouche te dira mon amour
                        Elle te le murmure de loin
                        Et mille hiérarchies angéliques s'y agitent qui te préparent
                                         une douceur paradisiaque
                        Et ma bouche est l'Ordre aussi qui te fait mon esclave
                        Et me donne ta bouche Madeleine
                        Je prends ta bouche Madeleine

         
                                                                                                                      Gui