Colette et Willy
Lettre à Madeleine
17 octobre 1915
Mon amour, pas de lettre de toi aujourd'hui ! J'ai reçu aujourd'hui une lettre de Willy ( Henry Gauthier-Villars ). C'est un écrivain léger , mais de grand talent . Il vaut même mieux que ce qu'il a écrit, d'ailleurs tout n'est pas de lui. L'ancien mari de Colette et le père des " Claudine " a beaucoup d'esprit. Il a
été à Düsseldorf avec un passeport hollandais, pr assister à la première d'Ariane tragédie d'Ernst. C'est du culot ! Il aurait pu se faire prendre. Et il médite d'aller à Munich. Les difficultés que trouve à vivre cet écrivain si connu si près du public, m'inquiètent extrêmement pour l'avenir des lettres et des littérateurs après la guerre. Je me demande si je ne lâcherai pas la littérature pr un temps, pour les affaires ou autre chose. Mais quoi ? J'y songe... Tu pourrais y songer aussi mon amour, ma chère petite femme chérie. Note que Willy a beaucoup de relations et est un homme déjà vieux cinquante-cinq ans je crois !? - Mais qu'importe tout cela puisque tu m'aimes ! Mon cher amour, ma très belle Madeleine. Ce soir gaz lacrymogènes. Ça a duré jusqu'à maintenant où je t'écris pendant deux heures. Cette fois-ci odeur de chlore comme si on faisait la lessive. Aujourd'hui beau temps, de 1h à 3h. J'ai pris un bain de soleil - tout nu - sauf le caleçon, j'étais dans un joli petit bois roussi par les éclats d'obus près de la batterie. Je pensais à toi tandis que le soleil me caressait - Je t'envoie la lettre de Willy, elle t'amusera -
Dans nos bois de petits sapins , ce qui abonde c'est la pimprenelle à saveur de concombre et l'euphorbe verruquée qui est une houppe bleuâtre avec parfois sa verrue ou brune ou jaunâtre ou rose et quand elle est ainsi elle me suggère l'idée , mais très délicate, mon amour, du siège même de ta sensibilité voluptueuse qui doit ressembler au bourgeon rouge de cette plante singulière. Il y a encore des cèpes et autres champignons excellents. En fait d'arbres, il n'y a que les petits sapins et aucun arbuste.
Mon ami qui est sapeur-projecteur et est dans le civil secrétaire de la légation de France à Pékin est revenu me voir et m'a raconté mille choses amusantes particulièrement sur les femmes chinoises, elles sont jolies paraît-il se fardent de rouge le tour des yeux, elles ont de grosses fesses mais peu ou point de poitrine la poitrine étant mal vue en Chine. Elles sont amusantes et spirituelles parait-il. Quant aux Japonaises, il me les a données comme surfaites et d'après ses expériences ne valent rien comme amoureuses.
Mais trêve de sottises, mon amour, je crois que vous avez pris le bon bâteau pour rentrer à Oran.
Je t'aime ma chérie, je prends ta bouche je pense à toi, je t'adore.
J'espère bien avoir une lettre de toi demain.
J'espère une lettre de toi
Tes lettres amour sont les roses
De l'absence et de notre foi,
Épine et parfum de tes proses !
Un oiseau chante ne sais où
C'est je crois ton âme qui veille
Parmi tous les soldats d'un sou
Et l'oiseau charme mon oreille
Tandis qu'il chante le canon
Répète le non taciturne
Éclat et non parole : Non !
Que répète l'écho nocturne
Non ! ennemi tu n'auras point
Ni les villes ni les campagnes
Ni ma vie, amour en a soin
Entends l'amour qui m'accompagne
Écoute il chante tendrement
Je ne sais pas sur quel branche
Il est partout qui va m'aimant
Nuit et jour, semaine et dimanche
Et que dire de cet oiseau ?
Que dire des métamorphoses
Du chant en âme, doux morceau !
Du coeur en lys, du corps en roses...
Car cet oiseau c'est mon amour
Et mon amour c'est une fille
La rose est moins parfaite et pour
Moi seul l'oiseau bleu s'égosille
Oiseau bleu comme le coeur bleu
De mon amour au coeur céleste
Ton chant si doux répète-le
- J'attends ta lettre comme un geste !...
Tu m'ouvriras les bras et puis
Tu me répéteras je t'aime
Ainsi vont les jours et les nuits
Amour bleu comme est le coeur même
pie bleue
Amour bleu, je t'adore, tu es ma Vénus, tu sors de l'onde méditerranéenne bleue comme ton coeur.
J'imagine ta caresse épouvantablement longue et douce mon amour, ma bouche fixée au parvis du temple
en aspire tout l'amour, je me fais poulpe ce soir pour t'aimer et ma bouche devient ventouse, tu t'agites adorablement, tes jambes divines m'offrent adorablement le calice parfumé et je m'attarde infiniment. Ton corps est secoué de soubresauts. Les spasmes succèdent aux spasmes jusqu'à ce que tu t'évanouisses sous la caresse persistante et terriblement douce et tu ne t'éveilles de ta pâmoison qu'en sentant mon étreinte virile qui déchaîne ma Phèdre ardente. La lutte est adorable jusqu'à ma victoire complète qui est aussi la tienne, mon amour chéri.
LE QUATRIÈME POÈME SECRET
Ma bouche aura des ardeurs de géhenne
Ma bouche te sera un enfer de douceur
Les anges de ma bouche trôneront dans ton coeur
Ma bouche sera crucifiée
Et ta bouche sera la barre horizontale de la croix
Et quelle bouche sera la barre verticale de cette croix
Ô bouche verticale de mon amour !
Les soldats de ma bouche prendront d'assaut tes entrailles
Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté dans son temple
Ton corps s'agitera comme une région pendant un tremblement
de terre
de terre
Tes yeux seront alors chargés de tout l'amour qui s'est amassé dans
les regards de l'humanité depuis qu'elle existe
Mon amour, ma bouche sera une armée contre toi
Une armée pleine de disparates
Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses
Car ma bouche s'adresse aussi à ton ouïe et avant tout
Ma bouche te dira mon amour
Elle te le murmure de loin
Et mille hiérarchies angéliques s'y agitent qui te préparent
une douceur paradisiaque
une douceur paradisiaque
Et ma bouche est l'Ordre aussi qui te fait mon esclave
Et me donne ta bouche Madeleine
Je prends ta bouche Madeleine
Gui
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