jeudi 29 novembre 2012

Lettres à Madeleine 55 Apollinaire


                                                Lettre à Madeleine

                             Ecris toujours même adresse section 139.

                                                                                                     Epernay, le 12 janvier 1916

            Mon amour, je n'ai pu m'arrêter à Paris que jusqu'à midi hier. Depuis j'ai cherché mon régiment. Je sais maintenant où il est au repos et y serai tout à l'heure. Voyage fatigant. Il fait beau. A Paris déjeuné avec Maman, lui ai dit nos fiançailles à quoi elle ne voit rien à redire - Je t'adore mon amour chéri. Je te caresse avec douceur et j'aime ton bras s'appuyant sur le mien. Pas pu passer au Mercure pour parler d'un nouveau livre de vers mais ferai cela par correspondance. C'est curieux comme la lumière même à Marseille est plus sombre que celle de l'Algérie. Le vieux capitaine à moustaches a été imbuvable sur le bateau
                                                                                                                  oran - grotte vierge misserghin    
parce que j'ai été poli avec une femme laide et effroyablement maigre d'Oran qui avait le mal de mer, il a fait des plaisanteries comme si j'avais fait la cour à cette pauvre femme. J'ai été obligé de lui dire que j'étais fiancé et que ses réflexions sans fondement me désobligeaient. Il est architecte du département de la Drôme et a passé plusieurs mois avec le frère de mon colonel à qui j'apporte par conséquent des nouvelles.
            Nous avions à bord aussi l'officier d'ordonnance du général Lyautey et un lieutenant de goumiers avec qui j'ai déjeuné à Marseille ( rien que du poisson à l'Hôtel des Phocéens ). J'ai pris une couchette en chemin de fer et ai bien dormi ; j'étais avec un épicier qui habite à Paris 128 rue de la Roquette et qui s'appelle Lequoy, homme qui m'a paru singulièrement bien renseigné sur les affaires politiques et militaires, peut-être n'est que du bon sens mais il en a beaucoup en ce cas. La conversation avec ce personnage dispose à l'optimisme. Je viens de déjeuner à Epernay c'est 2 h et à 2 h 17 je prends un train qui va me conduire pas loin d'ici, près du cantonnement de ma compagnie. J'ai voyagé ce matin au retour de Châlons avec un officier qui allait , " pour la 4è fois en permission ". Il fait beau temps, je pense à toi mon amour, je t'adore, je pense à notre réunion, à ta beauté, à ta gentillesse, à ton imagination que j'aime, à ton regard que j'adore, à ton trouble, à tout toi mon cher très cher amour, mon Madelon adoré, je prends ta bouche.
            Embrasse pour moi ta chère Maman et les petits.

                                                                                                                     

                                                                                              Gui                                                                    


                                                                                            15 janvier 1916               
            Mon amour, nous sommes au repos à Damery près d'Epernay et je suis juste arrivé pour être commandant de la Cie à la même Cie, bien que je sois eng... de tous côtés par le Ct, par le Coll. Hier jusqu'au général qui a fait demander pourquoi la sentinelle sur je ne sais quelle route n'avait pas de falot. Enfin pour le moment pas un instant de repos, comptes rendus sur comptes rendus. J'en ai par-dessus la tête. Heureusement que j'ai été fourrier et que je connais ainsi un peu mais suffisamment pour la contrôler la comptabiblité de campagne. En ce moment, j'ai à fournir un compte rendu pourquoi ma compagnier était hier en casque tandis que la Cie voisine était en képi. Hier, j'ai assisté à une scène médicale dont Molière aurait fait son profit. Enfin, ce repos, si drôle qu'il soit me fait un peu regretter les 1ès lignes pour la tranquillité. Au moins là-bas on est embêté que par les Boches, ici avec la perspective prochaine des Boches, il y a tous les désagréments de la vie de caserne... J'écris ta lettre en plusieurs fois, amour. - Je viens de recevoir ta lettre du 9 mon amour adoré et j'en suis tout chaviré... je ne sais comment te l'exprimer.. il vaut mieux que je ne l'exprime pas... Je t'adore... c'est tout... Nous nous adorons - Je n'ai pu m'occuper de mon livre à Paris, mais copie mon amour, je m'en occuperai par correspondance. J'ai toutes tes lettres d'avant permission. Je les ai lues et j'y répondrai peu à peu ci-joint une vue de Damery. Combien y resterons-nous je ne sais. - Adrienne Lecouvreur a fait qque chose ici, peut-être y est-elle née.
            Le curé de l'endroit est un homme instruit et délicat.
            Mais le plus chic ici c'est mon chef de Bataillon, mon comt qui est vraiment un homme chic, brave, fin, bien élevé, un véritable gentilhomme. Je l'aime beaucoup malgré le tarabustage actuel. Et dans l'univers c'est toi que j'aime le plus, mon adoré petit Madelon aimé.
            Ah ! petit Madelon, on vient de m'apprendre que les permissions pour l'Algérie sont supprimées. J'ai eu de la veine !! Je ne crois pas que cette décision soit définitive mais enfin ça aurait retardé ma permission, cette histoire nouvelle !!
            Embrasse ta maman et toute la famille, ô mon amour exquis. Je pense à ta beauté, à ta gentillesse. Je t'aime ma Madeleine jolie, je t'adore. Je vais t'envoyer un paquet de livres, des choses, j'ai retrouvé ma montre, comme il est inutile que j'en aie deux je renverrai celle de Pierrot.
            Je t'adore. Je prends ta bouche.


                                                                                                Gui
                                                                                               15janvier1916
           Mon adorée, je t'aime.
           Mon aimée, je t'adore.
                    
                                                                                                Gui

           J'ai retrouvé 1 paquet de dattes encore bonnes et deux paquets de mandarines, j'ai pu en manger la moitié d'une.

dimanche 25 novembre 2012

Le Fouzi Yama Alfred Jarry ( Poesia - poèmes en prose France )



         hokusaï
                                                   Le Fouzi Yama


            L'excellence de l'armement des Japonais, confirmée par leurs triomphes, consiste aussi bien en leurs canons de 305 millimètres qu'en leur incomparable mousqueterie.
            Mais l'habitude qu'a ce peuple subtil de s'exprimer en phrases enveloppées, allégoriques et volontairement obscures fait que nul n'a pénétré le Secret de la Défense nationale nippone.
            On sait pourtant que l'invention de la poudre et des armes à feu remonte chez les peuples extrêmes-orientaux à la plus haute antiquité, à tel point que les Chinois et les Japonais, sans doute, il y a deux mille ans, blasés sur l'usage meurtrier du salpêtre en préféraient faire emploi pour de bénins feux d'artifice.
            Les premières missions qui pénétrèrent au Japon apprirent que Tokyo était défendue par un cratère béant d'où pouvaient s'échapper à intervalles des explosions, feu et fumée. Et depuis la légende s'est accréditée et perpétuée par les atlas - confusion pire que celle du Pirée avec un homme - qu'il y avait une montagne haute de trois mille sept cent cinquante mètres - la portée du fusil - du fusil yama.
            Que si l'on objecte que le prétendu volcan est assez peu en activité, qui soutiendrait qu'une arme à feu peut être à jet continu.
            Dans les religions orientales, yama désigne uniformément le dieu de la mort.
            Le nom du fusil japonais est donc bien - de même que celui de la longue carabine du héros de Fenimore Cooper : Mort certaine. 
            Et le petits Nippons, considérant l'ignorance européenne de la géographie de leur île, doivent, s'appuyant sur leur arme, éclater, comme Oeil de Faucon, d'un bon rire silencieux.
                                                              Juin - Juillet 1905


                                                          Alfred JARRY

samedi 24 novembre 2012

Rêve pour l'Hiver Arthur Rmbaud ( Poème France )



                                         Rêve pour l'Hiver

                          L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
                                      Avec des coussins bleus.
                          Nous serons bien.Un nid de baisers fous repose
                                      Dans chaque coin moelleux.

                          Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,
                                      Grimacer les ombres des soirs,
                          Ces monstruosités hargneuses, populace
                                       De démons noirs et de loups noirs.

                          Puis tu te sentiras la joue égratignée...
                          Un petit baiser, comme une folle araignée,
                                       Te courra par le cou...

                          Et tu me diras : " Cherche ! " en inclinant la tête.
                          - Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
                                        - Qui voyage beaucoup...


                                                                                                              En wagon le 7 octobre 70
                       Rimbaud
  
                            
                                                                                  
                                   

vendredi 23 novembre 2012

Vision Joseph Roth ( nouvelle Allemagne )



                  maison village allemand - voir 1001 maquettes
                                                                  Vision

            Les assassins sont entrés, leurs visages joyeusement excités, dans la maison du petit chancelier. Ils se réjouissaient d'avance, avec une cordiale méchanceté, du sang qu'ils allaient verser, plus encore que des conséquences qu'ils en espéraient. Car c'étaient de vrais assassins : depuis des années déjà leurs yeux voyaient le monde à travers un voile de sang rouge qui coulait constamment et ils étaient séparés des hommes par un mur de sang coagulé. Caïn, l'ancêtre de leur parti, leur avait depuis longtemps imprimé son signe sur le front. Mais cela seul ne leur suffisait pas, car ils redoutaient que tel ou tel ne pût le voir, et ils se firent donc d'autres signes plus grands, en métal et en toile, et ils se les accrochèrent à la poitrine et au bras, et même au bras gauche, pour que le bras gauche aussi participât à la sanglante volupté du bras droit. Depuis des années déjà la paume de leur main droite portait non les lignes et les traits qui donnent un visage aux mains humaines, mais l'empreinte profonde des instruments de meurtre ; un pistolet se sentait plus chez lui dans leur main que dans son étui. Quant à leur coeur et à la crainte de Dieu qui vivait certainement en eux, profondément cachée, le signe de Caïn en fer qu'ils portaient à gauche sur leur poitrine empêchait qu'un son humain en sortît. Aux portes extérieures de leur coeur veillait le méchant gardien, le signe de Caïn en fer.
            Donc, ils entrèrent de force et se ruèrent, joyeusement assoiffés de sang, dans la chambre d'un homme pieux. Là, ils virent d'abord une petite statue en bois de la Sainte Mère de Dieu, une oeuvre modeste et très humble, façonnée par les humbles mains d'un pieux paysan, cadeau au pieux chancelier. Cette vue excita davantage encore les assassins. La statue de la Mère de Dieu était tournée vers eux, et pendant un fragment de seconde ils pensèrent tirer sur le doux visage. Mais l'homme pieux, en fuyant, leur tournait le dos, c'était un être de chair et de sang, et ils étaient venus pour faire couler le sang, car c'est cela que des assassins veulent voir d'abord. Aussi se promirent-ils de n'apaiser leur soif de blasphème qu'un peu plus tard, après avoir apaisé leur soif de sang humain.
            Ils tirèrent donc dans le dos du pieux petit homme, et comme ils étaient tellement plus grands que lui, ils durent pour ce faire baisser un peu le bras. ( Caïn aussi avait une tête de plus que le petit Abel ). L'homme tomba. Et la détonation fit trembler tous les objets dans la chambre, et la statue de la sainte Mère de Dieu trembla elle aussi. Puis il régna un silence total. L'assassin abaissa son pistolet.
            - Est-il mort ? lui demanda l'un de ses camarades.
            - On va voir ! dit l'assassin. relevez-le et regardons !
            Ils avancèrent, les pieds hésitants mais chaussés de bottes bruyantes. Ils soulevèrent l'homme pieux  et le retournèrent. Ils virent ses grands yeux bleus, c'étaient deux cercles tout ronds, pour ainsi dire de petits représentants terrestres du ciel infini vers lequel les assassins n'avaient jamais levé leurs regards. Alors, tandis qu'ils se penchaient sur leur victime, ils virent pour la première fois un reflet bleu du ciel éternel.
            - Il vit encore !déclarèrent-ils à leur chef, et ils le traînèrent et le balancèrent, d'un élan meurtrier, sur le canapé, mécontents qu'il leur causât l'embarras de vivre encore, pour l'assassiner une seconde fois.
            Mais lui, il vivait toujours. Son sang rouge coulait et coulait et ruisselait et ruisselait et ne voulait pas tarir, comme pour montrer aux assassins ce que cela veut dire, de verser le sang humain. Les assassins restaient autour de lui, déconcertés ou curieux, s'étonnant que tant de sang pût couler d'un si petit corps. Ils demeurèrent d'abord silencieux, puis chacun d'eux détourna le regard du sang ruisselant, mais c'était pour rencontrer aussitôt celui, menaçant et apeuré, d'un complice. A la fin, pour ne pas être accusés de lâcheté, ils regardaient tous le fleuve de sang.                                                                                                        site poupée passion
            - Je veux voir la croix avant de mourir, dit l'homme pieux. Mais ils avaient peur, les assassins, en cette heure, du prêtre et de la croix, et chacun d'eux sentait qu'il n'aurait pas supporté cette vue. Aussi n'amenèrent-ils au mourant que l'un des policiers désarmés. Le policier ne s'était encore jamais trouvé devant un mourant. Il ne savait pas - il ne pouvait pas non plus le savoir - qu'il avait été choisi par la grâce de Dieu pour consoler un mourant. Ce n'était qu'un simple policier. Mais comme c'était un homme bon, la grâce de Dieu lui inspira des mots bons et consolants, et il les dit. En cet instant il possédait la grâce, bien qu'il fût un homme simple et parce qu'il était un homme désarmé. Il ne possédait plus d'arme. Il n'avait pas non plus de crucifix sur lui. Mais le mourant vit, rien qu'un instant, dans les yeux du policier le reflet de cet éclat qui avait émané jadis de l'étoile de Bethléem. Entre ceux qui étaient armés et ceux qui ne l'étaient pas, le mourant ne pouvait plus distinguer. Il voulut cependant croire que la pitié avait saisi ses ennemis à l'heure de sa mort. Toute sa vie durant, il avait été doux. Mais, à l'heure où il mourut, il était encore plus doux que pendant sa vie. Il voulut une dernière fois lever les mains pour bénir l'homme qui était auprès de lui. Mais seuls ses doigts tremblèrent légèrement et sans force. Il voulut encore pardonner aux assassins qui se tenaient pressés à la porte et chez qui la peur commençait déjà à lutter contre la joyeuse soif de meurtre qui les avait animés pendant toute leur vie. Ils s'efforçaient de détourner le regard du sang rouge et du ciel bleu qui se reflétait dans ces yeux qui s'éteignaient. Ils n'y réussirent pas. La mort noire entra dans la chambre. A présent elle se tenait à côté du policier désarmé. Il était complètement silencieux, on n'entendait que le doux suintement du sang qui imprégnait le tissu du canapé.
            En cet instant, le chancelier essaya de dire encore une fois :
            - Je voudrais voir la croix !
            Mais il ne put que remuer les lèvres et il sut lui-même qu'on ne pouvait plus l'entendre.
            Dans son ultime désespoir, il s'efforça de soulever la tête. Alors il vit soudain la petite statue de la Mère de Dieu devenir vivante, se dresser, grandir et s'approcher de lui. Elle remplit toute la chambre d'une vive lumière dorée. Derrière la lumière dorée les assassins disparurent. Les grands yeux du petit homme, assoiffés et insatiables, burent avidement la lumière dorée. Il ne voyait plus ses assassins. Mais les assassins ne voyaient pas la lumière. Ils ne voyaient pas non plus le mourant, même s'ils croyaient le voir encore. Car, à la seconde où il mourut, il était un autre qu'au moment où ils l'avaient assassiné.
            Dans leur embarras, mais aussi pour montrer qu'ils étaient des hommes allemands, ils commencèrent à manier machinalement les signes de Caïn qu'ils avaient sur la poitrine et au bras gauche. Mais les signes de Caïn n'étaient pas partis ! C'était de la bonne marchandise allemande ! Marquée " Brevet d'Invention allemand ".( C'est indestructible ).
            Quand Abel mourut,, il ne le vit pas non plus, le signe de Caïn, le brevet allemand. Aucun homme pieux ne voit à l'heure de sa mort le brevet allemand. Même quand ce brevet le tue, il voit à sa dernière heure la grâce dorée de la sainte Mère de Dieu.
            Quand Dollfuss mourut, il y avait une grande lumière dorée dans la chambre. Elle rayonnait si vivement qu'elle recouvrait même les assassins. Elle était si bienveillante et si forte que le mourant ne vit même pas le signe de Caïn, les croix tordues et estropiées, le brevet d'invention allemand de Caïn, le fratricide, avec son pistolet de l'armée du Reich.


                                                                                       Joseph Roth

                                                             ( nouvelle parue le 18 août 1935 in
                                                             Der Christliche Ständestaat )

jeudi 22 novembre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui Journal 5 Samuel Pepys ( Angleterre )



                                                           Journal

                                                                                                          1er Février 1660

            Ce matin, suis allé au bureau.; le vieil homme m'a apporté les lettres qui étaient arrivées pour moi par la poste. A midi rentrai à la maison et dînai avec ma femme de soupe de pois et rien d'autre. Après cela, me suis rendu au palais de Westminster, y rencontrai Mr Swan et allai avec lui chez l'homme de loi de Mr Downing. Iµl m'a laissé fort peu d'espoir quant au litige qui oppose Mr Downing à Mr Squibb et m'a confié que Squibb allait gagner. Cela m'a beaucoup ennuyé. Je l'ai accompagné jusqu'à Lincoln's Inn où nous nous sommes entretenus avec son avocat qui m'a précisé le jour fixé pour l'audience. De là je suis allé chez sir Harry Wright. L'ai convaincu de m'aider à récupérer demain les 60 livres que doit me remettre Mr Calthorpe. Je suis ensuite allé voir Mrs Jemima et j'ai parlé avec Madame Scott et son mari. Il a promis de faire faire cette semaine le collier pour son cou. De là à la maison. J'emmenai Gammer East et le portefaix James, un soldat, au logis de milord. Il me raconta qu'aujourd'hui les soldats ont été convoqués sur le terrain de parade et ont reçu l'ordre de partir demain afin de faire place pour le général Monck. Mais ils ont hué leur colonel ( colonel Fitch ) ainsi que les autres officiers et les ont chassés et ils on juré qu'ils ne partiraient pas sans leur solde et que si on refusait de la leur donner ils iraient là où ils avaient des chances d'être payés, c'est-à-dire dans la Cité. Le Colonel s'en est donc allé au Parlement demander l'argent qu'il était possible de rassembler d'ici demain pour les rebelles et le reste des soldats qui sont cantonnés à Londres et qui, dans tous les coins se sont mutinés aujourd'hui et sont tous tombés d'accord. Au logis de milord je pris des draps et des couvertures que je fis porter à Mrs Ann, pour lui faire un bon lit maintenant qu'elle a des accès de fièvre. Je me rendis ensuite chez Will où je m'attardai comme un sot à jouer aux cartes jusqu'à 9 heures du soir.Puis je rentrai à la maison où je trouvai Mr Hunt et sa femme qui restèrent bavarder avec jusqu'à 10 heures : puis bonsoir.



                                                                                                                  2 février

            Je pris un verre chez Harper avec Doling, puis je me rendis au bureau où je trouvai tous les officiers des régiments stationnés à Londres : ils attendaient de recevoir de l'argent afin de pouvoir expédier leurs soldats en province. On leur a donné tout ce qu'il y avait dans les caisses de l'Etat. A midi nous avons dîné à la maison. Je passai chez Harper chercher Doling. Lui et moi rencontrâmes Llewyllyn et prîmes un verre avec lui à l'Echiquier à Charing Cross. De là Doling et moi allâmes dans le quartier du Temple, au bureau de Mr Calthorpe et de là nous emmenâmes son homme d'affaires en bateau jusqu'au pont de Londres, au domicile de Mr Calthorpe, épicier de son métier, et nous reçûmes les 60 livres dues à milord. En chemin, nous devisâmes avec notre batelier, White, qui nous raconta que les mariniers ont été récemment attaqués par des individus qui voudraient les évincer et devenir mariniers au service de l'Etat et qu'ils viennent de présenter au Parlement une pétition portant quelque 9 000 ou 10 000 signatures ; qu'on s'était contenté de leur répondre que cette pétition était dirigée contre les fiacres, et qu'aujourd'hui ils en ont rédigé une autre pour détromper le public et se laver de cette accusation, et que, parmi bien d'autres Cropp mon batelier ( un des plus expérimentés de sa profession ) était un des auteurs de cette farce. Après avoir réceptionné l'argent nous allâmes à la Taverne du Pont et nous bûmes un quart de vin, puis nous revînmes par le fleuve. Nous déposâmes l'homme d'affaires de Mr Calthorpe au Temple, puis nous poursuivîmes notre route. Mais à la hauteur de Somerset House nous entendîmes des coups de feu. Nous débarquâmes et nous pûmes constater que le Strand était plein de soldats. Aussi je pris mon argent et me rendis chez Mr Johnson, la couturière de milord. Après lui avoir demandé de mettre l'argent de côté, Doling et moi nous postâmes à une fenêtre du premier étage ; nous pûmes voir l'infanterie affronter la cavalerie et la faire battre en retraite ; puis les soldats restèrent dans la rue à brailler et à demander un Parlement libre et de l'argent. Bientôt on entendit un tambour battre une marche et s'avancer vers eux. Ils se préparèrent à nouveau à l'affrontement, mais il s'avéra que les nouveaux venus étaient dans les mêmes dispositions d'esprit qu'eux et ils manifestèrent une grande joie de se rencontrer. Après tout cela, je pris mon argent et rentrai à pied à la maison. Je rangeai l'ai l'argent. Je changeai de bas et de chaussures, car ce jour j'avais abandonné mon grand habit à basques et revêtu mon costume blanc et mon manteau à galons d'argent. Je me rendis chez Harper où je retrouvai W. Simons, Doling, Llewellyn et trois marchands. L'un d'entre eux avait l'habitude d'utiliser un portefaix ; ils en firent donc quérir un et ce fut James, le soldat, qui vint. Il nous rapporta qu'ils avaient monté la garde jour et nuit sur l'esplanade de St James et que, dans toute la capitale, ils étaient résolus à obtenir ce qu'ils avaient demandé, et qu'il croyait que demain ils iraient dans la Cité et y seraient reçus.
            Après tout cela nous sommes allés jouer à un jeu appelé : " Vendre un cheval pour un plat d'oeufs et de harengs ", et nous sommes restés à discuter jusqu'à presque minuit. Puis nous nous sommes séparés. Ils devaient aller jusqu'à Aldgate. A la maison, et au lit.

mardi 20 novembre 2012

Le Cordonnier Eliezer Steinbarg Anthologie de la Poésie Yiddish ( Poésies )


                                                         Le Cordonnier

                                           Petit cordonnier dans son atelier
                                           Cloue et recloue au marteau les souliers,
                                           Et plante une pointe, et frappe, et répète.
                                           Alors lui parle la clochette :
                                           - Tête !
                                           Pourquoi tintes-tu, si bête,
                                           Toc, toc, toc et toc, toc, toc, toc...
                                           Sonne clair ! Clair, clair, clair ! Écoute-moi,
                                           Je sais sonner, moi, moi, moi.
                                           Moi j'ai de l'esprit, je suis...
                                           - Tu es fille à tête vide
                                           Avec ta langue stupide,
                                           Lui réplique le marteau,
                                           Toi qui toute la journée
                                           Dans la tête veut sonner
                                           Mais que laisse ton écho ?
                                           Nulle pensée, aucun chant,
                                           Clair, clair, clair, son de néant
                                           Et rien de plus !
                                           Moi je frappe et travaille dur
                                           Car l'enfant s'en va nu-pieds
                                           Et je lui fais des souliers !

                                                                                                Eliezer Steinbarg
                                                                              ( Bessarabie 1880 - Czernowitz 1932
                                                                                Devint instituteur )
                                                                               - extrait de Anthologie de la poésie yiddish
                                                                                                                              Le Miroir d'un peuple -