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mercredi 29 janvier 2014

Correspondance Proust Reynaldo Hahn 3 ( lettres France - sélection - )













iha.fr
                                                   Lettre 
                                                                           
                                                 Établissement Thermal et Casino
                                      Mont-Dore ( Puy-de-Dôme )
                                                                                                             Août 1896

            Mon cher petit Reynaldo
            Si je ne vous télégraphie c'est pour éviter si vous êtes parti qu'on ne décachette ma dépêche. Et pourtant je voudrais bien que vous le sachiez tout de suite. Pardonnez-moi si vous m'en voulez, moi je ne vous en veux pas. Pardonnez-moi si je vous fais de la peine, et à l'avenir ne me dites plus rien puisque cela vous agite. Jamais vous ne trouverez un confesseur plus tendre, plus compréhensif ( hélas ! ) et moins humiliant, puisque, si vous ne lui aviez demandé le silence comme il vous a demandé l'aveu, ce serait plutôt votre coeur le confessionnal et lui le pêcheur, tant il est aussi faible, plus faible que vous. N'importe et pardon d'avoir ajouté par égoïsme comme vous dites aux douleurs de la vie. Et comment cela ne serait-il pas arrivé ? Il serait peut-être grand, il ne serait pas naturel de vivre à notre âge comme Tolstoï le demande. Mais de la substitution qu'il faudrait faire ici, du petit détour pour rentrer enfin dans la vie, je ne puis vous parler, car je sais que vous ne l'aimez pas et que mes paroles seraient mal écoutées. Ne craignez nullement de m'avoir fait de la peine. D'abord ce serait trop naturel. A tous moments de notre vie nous sommes les descendants de nous-mêmes et l'atavisme qui pèse sur nous c'est notre passé, conservé par l'habitude. Aussi la récolte n'est pas tout à fait heureuse quand les semailles n'ont pas été tt à ft pures de mauvais grains. " Le raisin que nos pères mangeaient était vert et nos dents en sont agacées " dit l'Ecriture. Mais d'ailleurs je ne suis nullement agité. Ou plutôt je me trompe. Je suis un peu agité de ce qui arrivera à Chicot et je voudrais que s'il doit mourir, le roi sût au moins tout ce qu'il a fait pour lui *. Si j'avais des peines, elles seraient effacées par le plaisir qu'a pour le moment Bussy. Et plaisirs ou peines ne me paraîtraient pas beaucoup plus réels que celles du livre, dont je prends mon parti. Je n'ai donc nul trouble, une extrême tendresse pour mon chéri seulement à qui je pense comme je disais quand j'étais petit de ma bonne, pas seulement de tout mon coeur, mais de tout moi. La gentille Mlle Suzette m'a écrit l'autre jour une charmante lettre et comme on dit d'un grand intérêt. Mais comme elle aime à être plainte. Elle vous disait qu'elle ne vous avait pas laissé voir son chagrin, mais elle m'écrit qu'elle vous dissimule sa détresse. Il y a trop d'artifice dans tout cela. On voudrait qu'elle relise La mort du loup de Vigny
                                                  Prier, crier, gémir est également lâche        
                                                     ... Souffre et meurs sans parler
            ( Ce n'est pas très exactement cité ). Je reconnais que c'est d'une sagesse stoïque qui n'est pas très bonne au fond pour personne mais surtout qu'on ne peut exiger d'une jeune fille, excepté dans Corneille. Mais vraiment que dites-vous de ce truc de vous dire qu'elle me cache son chagrin et vice-versa. Elle me fait l'effet d'une personne qui tournerait le dos pour qu'on ne voit pas qu'elle pleure, mais après qu'elle se serait assurée qu'on l'apercevra dans la glace. Calcul habile qui fait qu'elle sera à la fois plainte pour sa douleur, et admirée pour son héroïsme. Elle n'a pas l'âme si vilaine et tout cela est sans doute sans grand calcul, et j'espère, naturel. Mais il faut avouer que chez elle le naturel est parfois bien affecté. Tout cela revient aux scènes de théâtre :
            " Qu'avez-vous, ma mère ? - Moi, rien, un instant de faiblesse... la trop grande chaleur... ces roses, mais mon fils vous voyez bien que je ne me suis jamais si bien portée, que je n'ai rien, rien, rien
et elle tombe morte, au moins... ou
            que je je n'ai jamais été si gaie d'une gaîté, d'une gaîté "
et elle fond en sanglots. Gardons-nous mon chéri de ne plaindre la douleur que sous les formes qui nous sont le plus sympathiques et qui nous gênent d'ailleurs le moins, mais n'imitons jamais l'appareil théâtral ou les démonstrations artificielles de peines souvent imaginaires. Je ne vous ai pas télégraphié que je revenais demain de peur de vous empêcher d'aller à Villers. J'ai d'autant mieux fait que je vais peut-être persister malgré le découragement de Maman qui veut absolument me ramener. Nous accusions à tort ce traitement. La cause est que partout ici on fait les foins. Vous connaissez trop la Sévigné pour ne pas savoir ce que c'est que le fanage. C'est une jolie chose mais qui me fait mal. Il y avait ici Mme Conneau avec qui j'ai été invité à dîner chez un Dr Shlemmer à qui Hillemacher a dédié une mélodie et qui a appris l'harmonie. Je me méfie mais il est bien intelligent. Ce n'est pas lui qui me soigne. Je suis au milieu du second volume de la Dame de Montsoreau et j'avance, mais plus lentement, dans les Confessions de Rousseau. Aujourd'hui je suis tout musique, et j'aimerais vous entendre me chanter
                                                              Des Saints l'invisible main,
et bien d'autres choses.
            Vous avez dû recevoir 3 Plaisirs et les Jours, un pour vous ( qui n'est pas un cadeau ) j'ai dit à Calmann de vous l'envoyer à ses frais, un pour votre soeur Elisa, et un pour votre cousine. J'ai travaillé un petit peu ces jours-ci. Je n'ai rien décidé pour mes 28 jours. Dîtes-moi dans votre prochaine lettre si, d'après ce que je vous ai dit, vous acceptez ou non d'être délié des petits serments, et si en septembre vous iriez volontiers en Suisse ou ailleurs. Sans cela même sans 28 jours j'irai peut-être passer à Versailles le mois de septembre, pas à cause de vous, de sorte que cela ne vous lie en rien. Que de pages ! et je ne vous ai pas encore parler du petit Baudelaire. Ce sera pour la prochaine fois. Et avez-vous reçu l'appendice de Mme de Sévigné avec les fac-similé ?
 
krapooarboricole.wordpress.com      Je vous embrasse tendrement et vos soeurs, sauf celle dont le mari est jaloux. Moi qui ne le suis plus, mais qui l'ai été je respecte les jaloux et je ne veux pas leur causer l'ombre d'un ennui, ou leur faire le soupçon d'un secret.

                                                                        Marcel

* Dumas La Dame de Montsoreau



                                                                                                                                                             pileface.com                                                                                                                                        Août 1896

            Mon cher petit,
            Je suis revenu parce que j'étais malade, seulement je ne vous l'ai pas écrit pour ne pas vous agiter. J'ai simplement eu un gros rhume mais avec fièvre etc et je suis resté encore hier couché jusqu'à 4 h. Aujourd'hui je vais bien et je veux tout de suite vous remercier de votre lettre. Je ne sais pas pourquoi vous dites qu'elle n'est pas bien. Elle m'a fait bien plaisir à lire. La mienne a été bien mal comprise. Je ne sais pas ce qui a pu vous fre croire que je mettais en doute la sincérité de votre ton. Oh mon cher petit je frémis à la pensée que vous ayez pu le croire. Sachez que pour moi, cette tristesse de vous, ce n'est pas seulement la sombre beauté de votre caractère, c'est l'étiage de votre profondeur non seulement morale mais encore intellectuelle, le génie ( je le prends dans le sens ancien de sorte que pour une fois votre modestie n'a pas à se montrer, car elle se montrerait mal instruite ) de votre musique, le lest de plaisir qu'il faut jeter pour s'élever à une grande hauteur. C'est le degré où vous êtes monté et d'où vous redescendrez infailliblement si vous y renoncez, comme ces gens qui eussent pu être de grands hommes si ... " Tu Marcellus eris " mais au contraire que vous dépasserez si ( mots barrés )... du noble repentir d'une vie imparfaite vous vous élevez à la sereine, non ce n'est pas à moi à dire ces choses-là                
            Vous me dîtes, avec cette élégance rapide que j'admire dans vos lettres à l'égard des " traits " les plus " frappants " du 17è siècle : - Dîtes-moi ce que j'en pense - Voilà qui est bien au-dessus des vers de Mallarmé ( et ce que je dis est moins bête que ce n'en a l'air car c'est du même temps ) ce ne serait pas assez de vous dire comme le Chevier de Méré *  : " Vous m'écrivez de temps en temps de ces lettres qu'on lit agréablement et surtout quand on a le goût bon ; mais elles coûtent toujours beaucoup et je ne crois pas qu'on en puisse faire plus de deux en un jour. Balzac** me dit une fois qu'avant que d'être content d'un certain billet au Maire d'Angoulême il y avait passé plus de quatre matinées. Je ne trouve pourtant rien dans ce billet ni de beau ni de rare etc etc etc. " Pour                                                                                                                  
Mallarmé, s'il est toujours pédant d'expliquer un charme et surtout poétique cette prétention deviendrait ridicule appliquée à un quatrain tt de circonstance, et à une de ces poésies qu'on nomme fugitives, sans doute pour marquer qu'elles fuient en quelque sorte l'esprit assez audacieux pour essayer de les retenir et de les analyser. Pourtant puisque cela amuse mon petit Kunst de me voir patauger et puisque il s'intéresse à tout ce qui vient de Mallarmé, je lui dirai, de ce poète en général, que ces images obscures et brillantes sont sans doute encore les images des choses, puisque nous ne saurions rien imaginer d'autre, mais reflétées pour ainsi dire dans le miroir sombre et poli du marbre noir.. Ainsi dans un grand enterrement par un beau jour les fleurs et le soleil brillent à l'envers et en noir au miroitement du noir. C'est pourtant toujours le " même " printemps qui " s'allume " mais c'est un printemps dans un catafalque
- Pour la petite pièce en particulier que je prie Jean d'aller chercher dans sa retraite et de mettre dans cette lettre après l'avoir fait recommander, son charme me semble consister comme pour beaucoup de choses de Mallarmé, en ceci : passer, sous couleur d'archaïsme ( et comme de Malherbe et de Voiture, ou plutôt de Malherbe à Desportes ) d'une forme classique inflexible et pure, presque nue à la plus folle préciosité. Les deux premiers vers sont splendides de simplicité. J'ajouterai que, comme valeur intrinsèque, cette simplicité nue évoque admirablement les grandes lignes de l'été. Mais le Méry si 16è et 17è siècle, la couleur fin du 16è et commencement du 17è de ces vers                                          " l'an pareil en sa course " etc aussi bien par la mythologie du temps la pompe etc  que par la langue, sont un charmant artifice                                            du goût pour les porter comme au  voisinage de la préciosité. Comme au fond
  guez de balzac          cette préciosité est tt à ft moderne, sinon du Mallarmé, au 16è siècle, cet artifice en rendant la transition acceptable, ne la laisse pas moins très piquante. Ajoutez que dans la préciosité les images restent d'une sincérité, d'un naturel exquis ( je veux dire empruntées à la nature ) . Ce pied " altéré "
qui va boire comme une plante nous donne merveilleust  l'idée de ces êtres obscurs que sont nos organes et qui paraissent en effet vivre d'une vie particulière mais obscure ( je suis si fatigué que les mots se répètent et je ne sais plus ce que je dis ) ce pied boit comme une racine et en effet après cela ne se sent-il pas heureux et comme désaltéré. De même le pied fêté par l'eau est délicieux, l'eau a si bien l'air d'être en fête avec ses mille petites ondes troublées qui viennent murmurer des caresses étincelantes aux pieds de la beauté qui les foule. Enfin c'est un grand plaisir que de trouver tant d'archaïsme, de grandeur, de mythologie, de goût, et de nature dans une sorte de court billet familier. C'est là " en dernière analyse " qu'est le charme. C'est du reste le charme de Mallarmé, et le rôle du poète, de solemniser la vie. - Ouf !... Je n'ai jamais eu l'air de croire, mon cher petit que nous ne sortions pas triomphants de nos petites épreuves. Et du reste ce n'est pas du tout comme vous dîtes l'opinion ancienne et générale qu'on ne le peut. Car pour les personnes d'élite, les penseurs, les saints etc il est trop clair qu'ils croient qu'on peut ce qu'on vaut, ou plutôt qu'on veut ou plutôt ce qu'on peut. C'est à dire que notre volonté, notre pouvoir sur nous donne la mesure de notre valeur. Resterait donc le vulgaire. Mais précisément sur ce sujet il me semble croire aussi à la liberté. C'est ce qu'implique son extrême sévérité pour ces fautes, que sans doute il blâmerait moins s'il les croyait inévitables. D'ailleurs il me semble que ce n'est pas un problème à part. Le problème de la liberté n'est pas à recommencer pour chaque ordre d'actes en particulier. Je vous embrasse et vous demande pardon de cette assommante lettre. J'ai tant de lettres en retard mais j'ai voulu commencer par vous. J'ai des petites choses à vous raconter. Mais je suis trop fatigué. Ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui vous n'aurez eu que de l'ennuyeux. Restez longtemps à Villers pour prendre des forces pour St Cloud. J'approuve beaucoup ce plan d'été ce dont d'ailleurs vs vs moquez. Je ne crois pas que je l'imiterai, malgré que maman soit assez encline à cela ( pas à Villers, à St Cloud ). Dîtes bien des choses, particulièrement à Mlle Marie et généralement à vos soeurs, puisque vous avez le bonheur d'être au milieu d'elles, comme Apollon parmi les Grâces.                                                                                                                                                       


                             Marcel

*   Antoine Gombaud - Méré  Blaise Pascal entretinrent une correspondance
** Jean-Louis Guez de Balzac auteur libertin 17è