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Lettre
à
Mary Mac Donald ( 1853 - 1878 )
Oxford, le 14 novembre 1864
Ma chère Mary,
Il était une fois une petite fille qui avait un vieil oncle grognon que ses voisins avaient surnommé le Gris-Goût, sans doute en raison du goût qu'en sa vêture il montrait pour la couleur grise, et cette petite fille avait promis de recopier pour le dit oncle un sonnet que Mr Rossetti a écrit sur Shakespeare. Or, imaginez-vous qu'elle n'en faisait rien, de sorte que le nez du pauvre homme ne cessait de croître dans le sens de la longueur et son moral de décroître dans le sens de la hauteur, tandis que les courriers succédaient aux courriers sans qu'aucun sonnet se manifestât... J'ouvre ici une parenthèse afin d'expliquer comment on expédiait les lettres en ce temps-là. Il existait alors des boîtes que l'on appelait
" boîtes alertes " parce qu'elles parcouraient le pays en tous sens avec beaucoup de célérité. Donc si l'on désirait envoyer une lettre à quelqu'un, tout ce que l'on avait à faire, c'était de placer cette lettre dans une " boîte alerte " qui se dirigeait dans la direction souhaitée, même s'il arrivait parfois que la dite boîte changeât d'avis en cours de route, ce qui ne manquait pas d'avoir des conséquences fâcheuses.
Cette façon d'expédier le courrier s'appelait " la mise en boîte ".* On lançait tout très simplement, en ce temps-là : si l'on avait beaucoup d'argent, on le disposait en pile à côté de soi, et l'on pouvait dès lors dormir sur ses deux oreilles. C'était ce que l'on appelait " mettre de l'argent de côté ".
Et voici la façon dont on voyageait en ce temps-là. On s'asseyait à califourchon sur le manche d'un de ces râteaux appelés railles, que l'on utilise dans les salines, et dans cette position on se faisait traîner au fil de l'eau par un domestique. On appelait cela " voyager par raille "
Revenons à cette vilaine petite fille. Un grand loup noir survint et... je préfère ne pas poursuivre. Toujours est-il que l'on ne retrouva rien d'elle, à l'exception de trois petits ossements.
Je m'abstiens de tout commentaire. Par elle-même cette histoire est suffisamment horrible.
Affectueusement vôtre
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C. L. Dodgson