metzinger apollinaire
Lettre à Madeleine
11 mars 1916
Mon amour, j'ai reçu les jolis journaux de tes frères et ta gentille lettre. Je t'adore et pense à toi, ma chérie nous faisons partie maintenant d'un corps d'armée où pr les officiers les permissions de 6 jours sont réduites à 8 jours délais compris quelle que soit la distance. Je souhaite donc que nous quittions ce corps d'armée au plus vite. Enfin d'ici à ma permission on verra. Je n'y suis pas encore. Un petit poème.
L'Avenir
Soulevons la paille
Regardons la neige
Ecrivons des lettres
Attendons des ordres
Fumons la pipe
En songeant à l'avenir
Les deux tours sont là
Regardons la rose
La fontaine n'a pas tari
Pas plus que l'or de la paille ne s'est terni
Regardons l'abeille
Et ne songeons pas à l'avenir
Regardons nos mains
Qui sont la neige
Ainsi que l'avenir
Mon amour je t'adore c'est tout ce que je sais te dire car je n'ai pas grand chose à te dire aujourd'hui nous sommes dans une attente énervante.
J'ai causé hier avec un curé bien intelligent il m'a dit sur cette guerre les choses les plus justes. Le bon sens s'est réfugié dans le cerveau des femmes et des vieux prêtres.
J'ai un sommeil presque insurmontable et je me demande si j'aurai le loisir de dormir. La neige s'étend partout, on dirait une nuit de Noël.
Je t'embrasse tout plein ma chérie ma rose.
Ton Gui
13-3-16
Mon amour, je n'ai pas eu de lettre de toi hier, aujourd'hui je ne sais pas encore. Nous sommes dans un lieu dont je n'ai pas le droit de te dire le nom mais dont le surnom est le pot de chambre de la France de même que Lucques en Italie était autrefois appelé l'urinal des nuées. A propos de choses de cet ordre fais remarquer à Pierre que mon journal s'intitule un peu trop bizarrement Peter ce qui n'est tolérable que pour un journal de l'Artillerie du front. Tout le monde n'est pas obligé de savoir que c'est la traduction boche de son nom de Pierre. L'idée de baptiser un journal d'un petit nom est assez amusante. Je ne lui connais qu'un seul précédent et encore à l'état de projet seulement. Avant la publication d'Excelsior Pierre Lafitte qui le fonda lui cherchait un titre et s'était arrêté à celui d'Edgar ou d'Edmond je ne sais plus bien lequel. Bref le fait parut tellement singulier qu'il choqua et le titre d'Excelsior fut définitivement choisi. Je t'écris sur une table ronde où est étalée une toile cirée ronde contenant une représentation populaire du médiocre tableau du Louvre représentant Rouget de Lisle chantant La Marseillaise chez Dietrich maire de Strasbourg on y trouve en rond la musique et tous les couplets de La Marseillaise.
Je ne sais s'il y - est - en ce moment des courriers pour l'Algérie je le souhaite mon amour et voudrais bien voir finir cette guerre.
C'est bien gênant de ne pouvoir donner des noms de patelins. En te parlant de Reims j'ai oublié de te dire une des choses qui m'a le plus frappé dans cette ville maintenant déserte. C'est sur l'infiniment déserte place de l'Erlon où débouchent des rues marmitées comme la rue de l'Arquebuse sur cette grande place donc une douzaine de fiacres stationnent stoïques attendant l'improbable client, les cochers classiquement coiffés du chapeau haut de forme blanc vivent sans doute d'amour et d'eau fraîche.
Dans un patelin quitté il y avait à la popote 4 gravures Louis-Philippardes bien amusantes histoire d'un jeune homme perdu par le billard. 1è image. Il arrive à Paris et fait la noce. 2è Il joue au billard il triche et est découvert c'est-à-dire déshonnoré 3è Il devient voleur ou plutôt cambrioleur 4è Il est au bagne à Toulon et tandis qu'il est sur le quai un père de famille le montre à ses enfants pour qu'ils ne suivent pas cet exemple.Je t'adore mon amour, mon gentil Madelon et prends ta bouche.
Gui
15-3-16
Mon amour,
Pas dormi de la nuit.
Pas de description possible. C'est inimaginable. Mais il fait beau. Je pense à toi. On couche tout à fait à la belle étoile. Vu ce matin un gentil petit écureuil qui grimpait qui grimpait.
Je suis fatigué et gai à la fois. J'ai la bouche pleine de sable. Je ne sais pas si on aura des lettres ce soir. Je le souhaite.
Ton Gui
18 mars 1916
Mon amour. J'ai été blessé hier à la tête par un éclat d'obus de 150 qui a percé le casque et pénétré. Le casque en l'occurence m'a sauvé la vie. Je suis admirablement bien soigné et il paraît que ce ne sera pas grave. J'écrirai quand je pourrai.
Ton Gui
Ambulance 1/ 55 Secteur 34
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