Caractères et Anecdotes
Marmontel dans sa jeunesse recherchait beaucoup le vieux Boindin célèbre par son esprit et son incrédulité. Le vieillard lui dit :
- Trouvez-vous au café Procope .
- Mais nous ne pourrons pas parler de matières philosophiques.
- Si fait, en convenant d'une langue particulière, d'un argot.
Alors, ils firent leur dictionnaire.
L'Âme s'appelait " Margot ", la Religion "Javotte ", la Liberté "Jeanneton "et le Père Éternel " M. de l'Etre ".
Les voilà discutant et s'entendant très bien. Un homme en habit noir avec une fort mauvaise mine se mêlant à la conversation dit à Boindin :
- Monsieur, oserais-je vous demander ce que c'était que ce monsieur de l'Etre qui s'est si souvent mal conduit et dont vous êtes si mécontent ?
- Monsieur, reprit Boindin, c'était un espion de police.
On peut juger de l'éclat de rire, cet homme étant lui-même du métier.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Dans ma première jeunesse j'eus occasion d'aller voir dans la même journée M. Marmontel et
M. d'Alembert. J'allai le matin chez M. Marmontel, qui demeurait alors chez Mme Geoffrin. Je frappe en me trompant de porte, je demande M. Marmontel. Le Suisse me répond :
- M de Montmartel ne demeure plus dans ces quartiers-ci, et il me donna son adresse.
Le soir je vais chez M; d'Alembert, rue Saint-Dominique. Je demande l'adresse à un Suisse qui me dit :
- M. Staremberg ambassadeur de Venise ? La troisième porte.
- Non, M. d'Alembert, de l'Académie Française.
- Je ne connais pas.
larousse.fr
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Des Savants et des Gens de Lettres
Il y a une certaine énergie ardente, mère ou compagne de telle espèce de talents, laquelle pour l'ordinaire condamne ceux qui les possèdent au malheur, non pas d'être sans morale, de n'avoir pas de très beaux mouvements, mais de se livrer fréquemment à des écarts qui supposeraient l'absence de toute morale. C'est une âpreté dévorante dont ils ne sont pas maîtres et qui les rend très odieux. On s'afflige, en songeant que Pope et Swift en Angleterre, Voltaire et Rousseau en France, jugés par la haine non par la haine mais par l'équité, par la bienveillance sur la foi des faits attestés ou avoués par leurs amis et par leurs admirateurs, seraient atteints et convaincus d'actions très condamnables, de sentiments très pervers. O Altitudo !
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
J.-J. Rousseau passe pour avoir eu Mme la comtesse de Boufflers, et même ( qu'on me passe ce terme ) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d'humeur l'un comme l'autre. Un jour on disait devant eux que l'amour du genre humain éteignait l'amour de la patrie.
- Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela n'est pas vrai. Je suis très bonne Française, et je ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les peuples.
- Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Française par votre buste et cosmopolite du reste de votre personne.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
M. de Castries, dans le temps de la querelle de Diderot et de Rousseau, dit avec impatience à M. de R... qui me l'a répété : " Cela est incroyable, on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n'ont point de maison, logé dans un grenier, on ne s'accoutume point à cela. "
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Le philosophe qui fait tout pour la vanité a-t-il droit de mépriser le courtisan qui fait tout pour
l'intérêt ? Il me semble que l'un emporte les louis d'or et que l'autre se retire content après en avoir entendu le bruit. D'Alembert courtisan de Voltaire par un intérêt de vanité, est-il bien au-dessus de tel ou tel courtisan de Louis XIV, qui voulait une pension ou un gouvernement ?
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
On croit communément que Pierre le Grand se réveilla un jour avec l'idée de tout créer en Russie. M. de Voltaire avoue lui-même que son père, Alexis, forma le dessein d'y transporter les Arts. Il y a dans tout une maturité qu'il faut attendre. Heureux l'homme qui arrive dans le moment de cette maturité.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
L'Assemblée Nationale de 1789 a donné au peuple français une constitution plus forte que lui. Il faut qu'elle se hâte d'élever la nation à cette hauteur, par une bonne éducation publique. Les législateurs doivent faire comme ces médecins habiles qui, traitant un malade épuisé, font passer les restaurants à l'aide des stomachiques.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
M. de Voltaire voyant la religion tomber tous les jours disait une fois :
- Cela est pourtant fâcheux, car de quoi nous moquerons-nous ?
- Oh ! lui dit M. Sabatier de Cabre, consolez-vous, les occasions ne vous manqueront pas plus que les moyens.
- Ah ! monsieur, reprit douloureusement M. de Voltaire, hors de l'église point de salut.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
M. le Régent avait promis de faire " quelque chose " du jeune Arouet, c'est-à-dire d'en faire un important et de le placer. Le jeune poète attendit le prince au sortir du Conseil, au moment où il était suivi des quatre secrétaires d'Etat. Le Régent le vit et lui dit :
- Arouet, je ne t'ai pas oublié, et je te destine le département des " Niaiseries ".
- Monseigneur, dit le jeune Arouet, j'aurais trop de rivaux : en voilà quatre.
Le prince pensa étouffer de rire.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
philippesollers.net
M. de Voltaire étant chez Mme du Châtelet et même dans sa chambre, s'amusait avec l'abbé Mignot, encore enfant, et qu'il tenait sur ses genoux. Il se mit à jaser avec lui et à lui donner des instructions.
- Mon ami, lui dit-il, pour réussir avec les hommes il faut avoir les femmes pour soi. Pour avoir les femmes pour soi, il faut les connaître. Vous saurez donc que toutes les femmes sont fausses et catins...
- Que dîtes-vous là monsieur, dit Mme du Châtelet en colère.
- Madame, dit M. de Voltaire, il ne faut pas tromper l'enfance.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Un homme disait à M. de Voltaire qu'il abusait du travail et du café, et qu'il se tuait.
- Je suis né tué, répondit-il.
Chamfort
"extraits de Maximes et Pensées Caractères et Anecdotes "
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire