fin juillet 1903
Cher ami, le-livre.com
définir que l'Office social symbolique par le pharmacien, l'ingénieur des tabacs retiré et l'opticien mais qui est tout de même assez respectable, ne fût-ce que pour l'intelligence du joli clocher spiritualisé qui pointe vers le couchant et se fond dans ses nuées roses avec tant d'amour et qui tout de même à la première vue d'un étranger débarquant dans le village a meilleur air, plus de noblesse, plus de désintéressement, plus d'intelligence et, ce que nous voulons, plus d'amour que les autres constructions si votées soient-elles par les lois les plus récentes. En tout cas le fossé entre vos deux France s'accentue à chaque nouvelle étape de la politique anticléricale et c'est bien naturel. Seulement ici vous pouvez répondre ceci : si vous avez une tumeur et vivez avec, pour l'enlever je suis obligé de vous rendre très malade, je vous donnerai la fièvre, vous ferez une convalescence mais au moins après vous serez bien portant. C'était d'ailleurs mon raisonnement pendant l'Affaire. Si donc je pensais que les congrégations enseignantes détruites le ferment de haine entre les Français le serait aussi, je trouverais très bien de le faire, mais je pense exactement le contraire. D'abord il est trop clair que tout ce que nous pouvons détester dans le cléricalisme, d'abord l'antisémitisme et pour mieux dire le cléricalisme lui-même s'est entièrement dégagé des dogmes et de la foi catholique. Alphonse Humbert, Cavaignac, radicaux antisémites me paraissent des gens dont il ne faut pas faire souche. Et les prêtres je ne dis même pas dreyfusards mais tolérants me paraissent des gens tolérables exactement dans la mesure où ils sont tolérants. Aujourd'hui ( et c'est la honte du catholicisme d'accepter leur appui, mais rappelons-nous que nous avons accepté Gohier et combien d'autres, des méchants aussi et des antisémites au fond ) les grands électeurs du catholicisme ne sont pas croyants et les cléricaux s'en fichent car ils savent qu'un curé de campagne, qu'un moine, qu'un évêque, qu'un pape peuvent marcher avec le gouvernement, mais qu'un rédacteur à La Libre Parole ne le peut pas et les travel.org absolvent entièrement de ne pas aller à l'église, d'insulter à peu près tout le clergé et le pape d'abord. Les congrégations parties, le catholicisme éteint en France ( s'il pouvait s'éteindre, mais ce n'est pas par les lois que les idées et les croyances dépérissent, mais quand ce qu'elles avaient de vérité et d'utilité sociale se corrompt ou diminue ), les cléricaux incroyants d'autant plus violemment antisémites, antidreyfusards, antilibéraux, seraient aussi nombreux et cent fois pires. Les maîtres ( professeurs des écoles ) fussent-ils mauvais ce n'est pas l'influence des maîtres qui forme les opinions des jeunes gens ( excepté pour ceux qui vont jusqu'à l'enseignement supérieur et qui alors sont aussi fervents adeptes d'un Boutroux, ou même d'un Lavisse qu'ils sortent de Stanislas ou de Condorcet ) c'est la Presse. Au lieu de restreindre la liberté de l'enseignement, si l'on pouvait restreindre la liberté de la Presse on diminuerait peut-être un peu les ferments de division et de haine, mais le "protectionnisme intellectuel " ( dont les lois actuels sont une forme méliniste cent fois plus odieuse que Méline ) aurait bien des inconvénients aussi et dans tout cela nous ne parlons que des autres, de ceux qui nous haïssent mais nous-mêmes nous avons donc le droit de haïr ? Et une seule France ça ne voudra pas dire l'union de tous les Français mais la domination, etc., Je n'en puis plus. Je veux prendre un exemple où il n'y a aucune haine et au contraire une petite malice gentille de vous et de Bertrand. Quand Bertrand rigole en pensant à des " religieuses " obligées de voyager, quand vous êtes agacé en voyant un clérical lire La Libre Parole, tout de même votre état d'esprit sans être atroce, n'est pas sensiblement différent de celui d'un officier très gentil agacé de voir un Juif dans un wagon qui lit L'Aurore et qui à son tour lit La Libre Parole, croyez que pour les intelligences qui ne s'ouvriront pas, le maître c'est Écho, c'est L'Eclair, c'est le journal où la société qui à son tour alimente et forme les conversations, les idées, si cela peut s'appeler ainsi dans cette société, et pour l'intelligence qui s'ouvre c'est le Maître en Sorbonne ou l'abbé à " idées modernes ", et alors qu'il soit né Fénelon, Radziwill, Lauris, Gabriel de La Rochefoucauld, Guiche ou simplement Marcel Proust les idées sont pareilles ( ou même celles des congréganistes plus avancés ). tripadvisor.org Soyez sûrs que le fait d'exiger la Licence ès lettres pour le service militaire a plus fait pour la cause de la République libérale avancée, que toutes les expulsions de moines. Les autres, ceux qui n'ont pas " travaillé " en restent aux idées politiques de leur société, c'est-à-dire de leurs journaux. Du reste tout cela n'effleure même pas la question. Et elle est moins simple que vous ne croyez. Ainsi nous parlons, et moi le premier et Albu de même, très légèrement des Jésuites. Or si nous étions plus instruits nous saurions sur les Jésuites des choses qui donnent à réfléchir notamment celle-ci qu'Auguste Comte, que le Général André admire mais qu'il connaît sans doute imparfaitement, avait une telle admiration pour l'Ordre des Jésuites, et croyait tellement que rien en France ne pourrait être fait de bon que par eux qu'il s'aboucha avec le Général de l'Ordre pour fondre en une seule organisation l'école positiviste et l'ordre des Jésuites. Le Général de l'Ordre se méfiant, les pourparlers échouèrent. On nous dit toujours que les monarchies absolues n'ont pu tolérer les Jésuites mais est-ce bien là quelque chose de très grave contre les Jésuites ? Tout de même, je crois qu'en fin de compte je serais contre eux mais au moins que les anticléricaux fassent un peu plus de nuances et visitent au moins, avant d'y mettre la pioche, les grandes constructions sociales qu'ils veulent démolir. Je n'aime pas l'esprit jésuite mais enfin il y a une philosophie jésuite, un art jésuite, une pédagogie jésuite, y aura-t-il un art anticlérical, tout cela est beaucoup moins simple que cela ne paraît. Quel est l'avenir du catholicisme en France et dans le monde, je veux dire combien de temps et sous quelles formes son influence s'exercera-t-elle encore, c'est une question que nul ne peut même poser car il grandit en se transformant et depuis le dix-huitième sièce où il paraissait le refuge des Ignorantins, il a pris même sur ceux qui devaient le combattre et le nier une influence que n'aurait pu prévoir le siècle précédent. Même au point de vue de l'antichristianisme, de Voltaire à Renan le chemin parcouru ( parcouru dans le sens du catholicisme ) est immense. Renan est bien encore un antichrétien mais christianisé : " Graecia capta " ou plutôt " Christianimus captus ferum victorem cepistianit "* . Le siècle de Carlyle, de Ruskin, de Tolstoï même fût-il le siècle d'Hugo, fût-il le siècle de Renan ( et je ne dis même pas s'il devait jamais être le siècle de Lamartine ou de Chateaubriand ) n'est pas un siècle antireligieux. Baudelaire lui-même tient à l'Eglise au moins par le sacrilège, mais en tous cas cette question n'a rien à voir avec celle des écoles chrétiennes. D'abord parce que l'on ne tue pas l'esprit chrétien en fermant des écoles chrétiennes et que s'il doit mourir il mourra même sous une théocratie. Ensuite parce que l'esprit chrétien, et même le dogme catholique n'a rien à voir avec l'esprit de Parti que nous voulons détruire ( et que nous copions ). Je suis excédé et je vous serre la main en vous conjurant de brûler illico cette lettre idiote.
Tout à vous.
Marcel Proust
Quant à Denys Cochin ( je ne parle pas d'Aynard qui est un homme admirable, un grand esprit ) il doit être, je suppose bien infecté de conservatisme, de réaction et de cléricalisme. Comme il parle admirablement et exprime les idées qui me plaisent et est d'autant plus libéral qu'en ce moment il ne désire naturellement que la liberté ( comme nous ne parlions que de justice et d'amour quand nous ne demandions qu'un acte de justice et d'amour ) ses discours m'enchantent. Je n'irais pas jusqu'à lui offrir un portefeuille mais un ministère soutenu par lui ne l'effraierait pas plus, quoique je sois très avancé, qu'en 1898 Monsieur de Witt quoique royaliste n'était effrayé d'un ministère soutenu par les collectivistes car l'intérêt pressant était alors de réviser les injustices du Gouvernement, si nous ne voulons pas qu'un formidable parti se dresse contre nous avec cette puissance de croissance qu'ont les partis qu'enfle la Justice ( exemple le socialisme dreyfusard ). En ce moment, les socialistes, en étant anticléricaux, font la même faute qu'en 1897 les cléricaux en étant antidreyfusards. Ils l'expient aujourd'hui, nous l'expierons demain.
* La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur
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