vendredi 22 juin 2012

Les Groseillers Anton Tchékhov ( Russie Nouvelle )



Anton Tchékhov                 
                                                Les Groseilliers                
                                         ( texte paru dans la Pensée russe - 1898 )

            Dès le matin, de gros nuages de pluie avaient recouvert le ciel ; le temps était doux, tiède et ennuyeux comme par ces grises et maussades journées ou depuis longtemps les nuages s'étendent au-dessus de la plaine et où l'on attend une pluie qui ne vient pas. Ivan Ivanytch, le vétérinaire, et Bourkine, le professeur, étaient fourbus et la plaine leur semblait infinie. A peine percevaient-ils au loin les moulins à vent de Mironossitskoïe ; à droite s'étendait une rangée de collines qui disparaissait à l'horizon derrière le village, ils savaient tous deux que c'était le bord de la rivière, qu'il y avait là-bas des prairies, des saules verts, des maisons seigneuriales et que, du haut d'une de ces collines, on apercevait une autre plaine aussi immense, des poteaux télégraphiques, un train qui ressemblait, de loin, à une chenille rampante, et même, par beau temps, qu'on verrait la ville. Aujourd'hui, le temps était calme, toute la nature semblait douce et pensive, Ivan Ivanytch et Bourkine étaient pénétrés d'amour pour cette plaine, tous deux songeaient à la beauté et à la grandeur de ce pays.
            " La dernière fois, quand nous étions dans la grange du maire Prokofi, dit Bourkine, vous vous disposiez à me raconter une histoire.
            - Oui, je voulais vous raconter celle de mon frère. "
            Ivan Ivanytch poussa un long soupir et alluma sa pipe pour commencer son récit, mais, juste à ce moment, il se mit à pleuvoir. Et cinq minutes après il tombait une pluie violente, serrée, dont il était difficile de prévoir la fin. Les deux hommes s'arrêtèrent, se demandant quelle parti prendre ; leurs chiens, déjà trempés, immobiles, la queue entre les pattes, les regardaient d'un air attendri.
            " Il faut nous abriter quelque part, dit Bourkine. Allons chez Aliokhine. C'est tout près.
            - Allons-y. "
            Ils tournèrent de côté, traversant des éteules sans discontinuer, tantôt prenant au droit, tantôt appuyant à droite jusqu'à ce qu'ils débouchent sur un chemin. Bientôt ils aperçurent des peupliers, un jardin, puis des toits rouges de granges ; la rivière miroita et leur regard découvrit un vaste plan d'eau avec un moulin et une baignade blanche. C'était Sophino, la demeure d'Aliokhine.               
                      Datcha
Le moulin tournait , couvrant le bruit de la pluie ; la digue vibrait. Près des chariots, des chevaux attendaient, immobiles, trempés, la tête basse, tandis que des gens allaient et venaient, un sac sur la tête pour se protéger de la pluie. tout cela était humide, boueux, inhospitalier, l'eau semblait froide, mauvaise. A présent, Ivan Ivanytch et Bourkine sentaient qu'ils étaient trempés, crottés, qu'ils avaient les membres raides et les jambes alourdies par la boue et ils longèrent la digue et remontèrent vers les granges, sans se parler, comme s'ils étaient fâchés.
            Dans l'une des granges tournait une machine à vanner ; la poussière s'envolait par la porte ouverte. Sur le seuil se tenait Aliokhine en personne, un homme d'une quarantaine d'années, grand et gros, aux cheveux longs, qui ressemblait plus à un professeur ou à un peintre qu'à un propriétaire terrien. Il portait une chemise blanche, qui avait bien besoin d'être lavée, une ceinture de corde, des caleçons en guise de pantalons, et ses bottes, à lui aussi, étaient enduites de boue et de paille. Il avait le nez et les yeux noirs de poussière. Il reconnut Ivan Ivanytch et Bourkine et sembla très heureux de les voir.
            " Entrez, messieurs, je vous prie, dit-il avec un sourire. Je suis à vous tout de suite. "
            C'était une grande maison à un étage. Aliokhine habitait au rez-de-chaussée dans deux pièces voûtées, à petites fenêtres, l'ancien appartement des régisseurs ; l'intérieur était simple et sentait le pain de seigle, la vodka bon marché et le harnais. Il se tenait rarement au premier, dans les pièces de réception, uniquement lorsqu'il avait des visites. Ivan Ivanytch et Bourkine furent accueillis par la femme de chambre, une femme jeune et si belle que tous deux s'arrêtèrent ensemble et se regardèrent.
            " Vous ne pouvez vous imaginer comme je suis heureux de vous voir, messieurs, disait Aliokhine en les rejoignant dans le vestibule.Jµe ne vous attendais vraiment pas. Pélaguéia, dit-il à la femme de chambre, donnez à ces messieurs de quoi se changer. Et moi aussi, je vais en profiter pour le faire. Seulement, il faut d'abord que j'aille me laver, j'ai l'impression de ne pas avoir fait ma toilette depuis le printemps. Voulez-vous aller prendre un bain à la rivière pendant qu'on prépare ce qu'il faut ? "
            La belle Pélaguéia, si fine et si douce à regarder, apporta des draps de bain et du savon, et   Aliokhine ses hôtes prirent le chemin de la baignade.
                                                                                  
            " Oui, ça fait longtemps que je ne me suis pas lavé, dit-il en se déshabillant.J'ai une belle baignade, comme vous le voyez ; c'est mon père qui l'a fait installer, mais je n'ai jamais le temps de m'en servir. "
            Il s'assit sur une marche, savonna ses longs cheveux, son cou, et autour de lui, l'eau devint marronµ;
            " Ma foi... dit Ivan Ivanytch en regardant la tête d'Aliokhine d'un air significatif.
            - Ça fait longtemps que je ne me suis pas lavé... " répéta celui-ci, confus, en se resavonnant, et autour de lui, l'eau devint bleu-noir comme l'encre.
            Ivan Ivanytch sortit du bain, se jeta bruyamment à la rivière et nagea à grandes brasses sous la pluie, provoquant des vagues sur lesquelles oscillaient les nénuphars blancs ; il nagea jusqu'au milieu d'eau, plongea, réapparut un instant plus tard à un autre endroit, repartit, plongeant à tout instant pour atteindre le fond. " Ah, Seigneur Dieu... répétait-il avec délices. Ah, Seigneur Dieu... " Il alla jusqu'au moulin, échangea quelques mots avec les paysans, revint, fit la planche en plein milieu de la rivière, le visage exposé à la pluie. Bourkine et Aliokhine, déjà rhabillés, étaient prêts à partir qu'il nageait et plongeait encore.
            " Ah, Seigneur Dieu... disait-il. Ah, Seigneur, aie pitié de nous !
            - Vous vous êtes assez baigné ", lui cria Bourkine.
            Ils regagnèrent la maison. Et c'est seulement lorsqu'on eut allumé la lampe du grand salon du premier, que Bourkine et Ivan Ivanytch, vêtus de robes de chambre en soie et chaussés de pantoufles chaudes, eurent pris place dans un fauteuil, qu'Aliokhine, lavé, peigné, en redingote neuve, se fut mis à arpenter la pièce, jouissant visiblement de se sentir propre, au chaud, au sec, en chaussures légères, que la belle Pélaguéia, marchant sans bruit sur le tapis, un doux sourire aux lèvres, eut apporté sur un plateau du thé et des confitures, c'est alors seulement qu'Ivan Ivanytch commença son récit, que semblaient écouter non seulement Bourkine et Aliokhine mais aussi les dames, vieilles et jeunes, et les officiers qui, dans leurs cadres dorés, avaient un air à la fois paisible et sévère.
            " Nous sommes deux frères, commença-t-il, moi, Ivan et Nicolaï , mon cadet de deux ans. Moi, j'ai fait mes études, je suis devenu vétérinaire. Nicolaï, dès l'âge de dix-neuf ans, était fonctionnaire des finances. Notre père qui s'appelait Tchimcha-Himalaïski, était un ancien enfant de troupe, mais, devenu officier, il nous laissa la noblesse héréditaire et un pauvre petit bien. Si, après sa mort, les dettes et les chicanes nous l'ont fait perdre, nous n'en avons pas moins passé notre enfance à la campagne, au grand air. Tout comme les enfants des paysans nous passions nos jours et nos nuits dans les champs, dans les bois, nous gardions les chevaux, nous ramassions de l'écorce fraîche, nous pêchions, et autres occupations semblables. Et vous le savez, quiconque, ne serait-ce qu'une fois dans sa vie, a pris une grémille ou aperçu, à l'automne un vol de grives passant au-dessus d'un village par une claire et fraîche journée, celui-là n'est plus un habitant des villes et, jusqu'à sa mort, il ressentira l'appel du grand air. Mon frère s'ennuyait dans son bureau. Les années s'écoulaient, il était toujours à la même place, remplissant toujours les mêmes papiers, ne pensant qu'à une seule et même chose : partir à la campagne. Et cette nostalgie se mua peu à peu en un désir précis, en un rêve : s'acheter une petite propriété n'importe où, au bord d'une rivière ou d'un lac.
            " C'était un homme bon, doux, je l'aimais, mais
                                                                                                                                                                                   
                                               

Je n'avais jamais souscrit à ce rêve de s'enfermer pour la vie dans un domaine. On prétend qu'un homme n'a besoin que de trois archines de terre. Mais trois archines, c'est la part d'un cadavre, non d'un homme. Et on dit aussi, à l'heure présente, que si notre classe éclairée se sent attirée par la terre et aspire à vivre à la campagne, c'est une bonne chose. Mais cette campagne, ce sont ces mêmes trois archines. Quitter la ville, la lutte, le tumulte de l'existence pour aller s'enterrer dans un domaine, ce n'est pas une vie, c'est de l'égoïsme, de la paresse, c'est une sorte de retraite monacale, mais une retraite dont tout exploit est absent. Ce qu'il faut à l'homme, ce n'est ni trois arpents de terre, ni un domaine, mais la Terre et la nature tout entières, pour que puissent se manifester sans entraves toutes les qualités et toutes les singularités d'un esprit libre.
            " Assis dans son bureau mon frère rêvait qu'il mangerait les choux de son jardin, dont le fumet embaumerait toute la cour, qu'il mangerait sur l'herbe, qu'il dormirait au soleil, qu'il passerait des heures entières, assis sur un banc devant sa porte, à regarder les champs et les bois. Les livres d'agriculture et tous ces conseils que donnent les almanachs faisaient sa joie, constituaient sa nourriture spirituelle préférée ; il aimait aussi lire les journaux mais il n'y cherchait que l'annonce de la vente de tant d'arpents de terre à labours et de prairie avec habitation, rivière, jardin d'agrément, moulin et étang à déversoir. Et dans son esprit se dessinaient des allées de jardin, des fleurs, des fruits, des nichoirs à sansonnets, des carassins dans des étangs, enfin toutes les choses de ce genre, vous voyez ? Ces tableaux imaginaires variaient selon les annonces qui lui tombaient sous les yeux, mais, quoi qu'il arrive, il y avait toujours des groseilliers. Il ne pouvait s'imaginer un domaine, un coin poétique, sans ces groseilliers-là.
            " * La vie à la campagne a ses avantages, disait-il parfois. On prend le thé assis sur son balcon, vos canards nagent sur l'étang, cela sent divinement bon, et... et les groseilliers poussent. "
            " Il esquissait un plan de sa propriété et c'était chaque fois la même chose : a) la maison des maîtres, b) les groseilliers. Il vivait chichement : il ne mangeait ni ne buvait son content, s'habillait Dieu sait comment, comme un gueux, il ne faisait qu'économiser et porter son argent à la banque. Il était terriblement près de ses sous. Il me faisait peine à voir, je lui donnais un peu d'argent et lui faisais des cadeaux pour les fêtes, mais cela aussi, il le mettait de côté. Quand un homme s'est mis une idée en tête, il n'y a rien à faire.
            Les années passèrent, il fut muté dans une autre province, il avait déjà quarante ans passés mais il continuait à lire les annonces de journaux et à économiser. Puis j'appris qu'il se mariait. Toujours avec la
même idée, acheter un domaine avec des groseilliers, il épousait une veuve vieille et laide, sans éprouver le moindre sentiment pour elle, uniquement parce qu'elle avait des sous. Une fois marié, il continua à vivre chichement, lui donnant à peine de quoi manger, et il plaça l'argent de sa femme à la banque, à son propre nom. Elle avait été mariée en premières noces à un directeur des postes et s'était habituée, avec lui, aux gâteaux et aux liqueurs, tandis qu'avec son second mari elle n'avait même pas suffisamment de pain noir ; à ce régime elle se mit à dépérir et, au bout de deux ou trois ans, elle rendit son âme à Dieu. Bien entendu mon frère ne pensa pas un instant qu'il était responsable de sa mort. L'argent, comme la vodka, fait des gens des êtres à part. Tenez, un marchand dans notre ville vient de décéder : à l'article de la mort il s'est fait apporter une assiette de miel et il a avalé avec le miel tout son argent et ses billets à lot pour que personne n'en profite. Un jour, dans une gare, j'inspectai du bétail : un maquignon tombe sous la locomotive, qui lui sectionne la jambe. Nous le portons à l'hôpital, le sang coulait, c'était affreux à voir, et lui, il ne cessait de demander qu'on aille chercher sa jambe : ce qui le tracassait, c'est qu'il y avait vingt roubles dans sa botte et qu'il avait peur de les perdre.
            - Ça, c'est une autre histoire, observa Bourkine.
            - Sa femme morte, reprit Ivan Ivanytch après trente seconde de réflexion, mon frère se mit à chercher une propriété. Naturellement, on a beau passer cinq ans à chercher, au bout du compte on se trompe quand même et on n'achète pas du tout ce dont on avait rêvé. Il acheta, par l'entremise d'un homme d'affaires, avec transfert de dette, une propriété avec cent douze déciatines, comprenant maison de maître, communs, parc, mais sans verger, sans groseilliers épineux, sans étang ni canards ; il y avait une rivière mais son eau était couleur de café parce que d'un côté de la propriété il y ait une briqueterie et de l'autre une brûlerie d'os. Mais cela le chagrinait peu ; il fit venir vingt pieds de groseilliers, les fit planter et mit à vivre en propriétaire.
            " Je suis allé le voir l'année dernière. " Allons voir ce qui se passe ", m'étais-je dit. Dans ses lettres, mon frère appelait sa terre " la lande à Tchoumbaroklov, alias Himalaïskoïé ". J'arrivai à " alias "
Himalaïskoïé " l'après-midi. Il faisait chaud. Partout, des caniveaux, des palissades, des haies vive, des rangées de sapins, à ne pas savoir comment entrer dans la cour ni où laisser son cheval. Je me dirigeai vers la maison, un gros chien roux qui ressemblait à un cochon s'avança vers moi.Il avait envie d'aboyer mais la paresse l'en empêchait. La cuisinière sortit de sa cuisine, pieds nus, grasse ressemblant à un cochon, elle aussi, et me dit que son maître faisait la sieste. J'entrai chez mon frère, il était assis sur son lit, une couverture sur les genoux ; il avait vieilli, forci, sa peau était devenu flasque ; ses joues, son nez, ses lèvres avançaient - pour un peu, il aurait grouiné sous sa couverture.
                                                                                
                                                                            
            " Nous nous serrâmes dans nos bras et versâmes une larme de joie, puis de tristesse, à la pensée que nous avions jadis été jeunes et que nous avions maintenant tous deux les cheveux gris et un pied dans la tombe. Il s'habilla et m'emmena visiter sa propriété.
            " * Alors, comment te trouves-tu ici ? demandai-je.
            " - Pas mal, Dieu merci, il n'y a pas à se plaindre. "
            " Ce n'était plus le pauvre, l'humble fonctionnaire d'autrefois, mais un vrai propriétaire, un barine. Il s'était acclimaté, habitué, avait pris goût à cette vie ; il mangeait beaucoup, prenait des bains de vapeur, avait grossi, était déjà en procès avec la communauté paysanne et les deux usines, et se vexait à mort quand les paysans ne l'appelaient pas Excellence. Il se souciait de son âme avec dignité, en véritable barine, et faisait le bien mais pas n'importe comment : d'un air important. Quel bien ? Il soignait toutes les maladies des paysans avec du bicarbonate de soude et de l'huile de ricin, et pour sa fête, faisait célébrer un service d'actions de grâces en plein village, puis faisait distribuer un demi-seau de vodka, il pensait que c'était indispensable. Ah ! ces horribles demi-seaux ! Aujourd'hui, un propriétaire gras à lard traîne ses paysans chez le juge de paix sous l'accusation de déprédation dans ses terres, demain, c'est jour de fête, il leur offrira un demi-seau de vodka, ils le boiront en criant " hourra ", et, une fois ivres, le saluerons jusqu'à terre. Une vie meilleure, l'abondance, l'oisiveté développent chez le Russe la présomption la plus éhontée. Nicolaï qui, jadis, dans son bureau des finances, craignait d'avoir , même en son for intérieur, des opinions personnelles, n'énonçait plus maintenant que des vérités, avec l'aplomb d'un ministre : " L'instruction est nécessaire mais, pour le peuple, elle est prématurée - les punitions corporelles sont généralement néfastes, mais, en certains cas, elles sont utiles et irremplaçables. "
            " * Je connais mes gens et je sais me comporter avec eux, disait-il. Ils m'aiment Il me suffirait de remuer le petit doigt et mes gens feront tout ce que je voudrai. "
            " Et tout cela, remarquez-le, était dit avec un sourire plein d'intelligence et de bonté. Il répéta vingt fois : * Nous autres, les nobles *, * Moi, en tant que noble * ; il ne se souvenait visiblement pas que notre grand-père était un paysan et notre père un soldat. Même notre nom de famille parfaitement incongru, Tchimcha-Hialaïski, lui paraissait maintenant ronflant, illustre et très plaisant.
            " Mais il ne s'agit pas de lui, mais de moi. Je veux vous raconter le changement qui s'opéra en moi durant les quelques heures que je passai dans sa propriété. Le soir, au moment du thé, la cuisinière posa sur la table une pleine assiette de groseilles. On ne les avait pas achetées, elles venaient du jardin, c'était la première récolte que donnaient les groseilliers. Nicolaï commença par rire, puis, pendant une bonne minute, contempla les groseilles, silencieusement, les larmes aux yeux - l'émotion l'empêchait de parler - puis il mit une baie dans sa bouche, me regarda de l'air triomphant d'un enfant qui a enfin reçu un jouet très aimé et dit :
            - Que c'est bon !
            " Il mangeait avec avidité, répétant sans cesse : " Ah ! que c'est bon ! Goûte-les ! "
            " Les groseilles étaient dures et acides mais, comme l'a dit Pouchkine, " un leurre qui exalte nous est plus cher que mille vérités ". Je voyais un homme heureux qui avait manifestement réalisé son rêve secret, qui
                                                                                
avait atteint le but de sa vie, avait obtenu ce qu'il voulait, était satisfait de son sort et de lui-même. A mes pensées sur le bonheur humain se mêlait toujours obscurément  un je-ne-sais-quoi de triste, mais maintenant, à la vue de cet homme heureux, ce qui s'empara de moi fut un sentiment pénible, proche du désespoir. Ce qui se montra particulièrement pénible fut la nuit. On m'avait dressé un lit dans la chambre voisine de celle de mon frère et je l'entendais qui ne dormait pas, se levait, s'approchait de l'assiette, y prenait une seule groseille à la fois. Je me représentais combien il y a, au fond, de gens satisfaits, heureux ! Quelle masse écrasante ! Regardez cette vie : les forts sont insolents et oisifs, les faibles ignares, semblables à des bêtes ; alentour une invraisemblable pauvreté, des pièces surpeuplées, la dégénérescence, l'ivrognerie, l'hypocrisie, le mensonge...
Pourtant, dans toutes les maisons et dans les rues, le calme et la tranquillité règnent  ; sur cinquante mille habitants dans une ville pas un qui crie ou s'indigne à haute voix. Nous voyons ceux qui vont faire leur marché, qui mangent le jour, dorment la nuit, qui disent leurs fadaises, qui se marient, qui vieillissent, qui traînent benoîtement leurs morts au cimetière ; mais nous ne voyons pas et n'entendons pas ceux qui souffrent, et tout ce qu'il y a d'horrible dans l'existence se passe quelque part en coulisse. Tout est calme, tranquille, seule proteste la statistique muette : tant de fous, tant de seaux de vodka bus, tant d'enfants morts de faim... Et un tel ordre est sans doute nécessaire ; sans doute l'homme heureux ne se sent-il bien que parce que les malheureux portent leur fardeau en silence, car sans ce silence le bonheur serait impossible. C'est une anesthésie générale. Il faudrait que derrière la porte de chaque homme satisfait, heureux, s'en tînt un autre qui frapperait sans arrêt du marteau pour lui rappeler qu'il existe des malheureux, que, si heureux soit-il, tôt ou tard la vie lui montrera ses griffes, qu'un malheur surviendra - maladie, pauvreté, perte - et que nul ne le verra, ne l'entendra, pas plus que maintenant il ne voit ni n'entend les autres. Mais l'homme au marteau n'existe pas, l'homme heureux vit en paix et les menus soucis de l'existence l'agitent à peine, comme le vent agite le tremble, et tout est bien.
            " Cette nuit-là je compris que, moi aussi, j'étais satisfait et heureux, poursuivit Ivan Ivanytch en se levant. Moi aussi, à table et à la chasse, je disais doctement comment il faut vivre, croire, guider le peuple. Moi aussi j'affirmais que l'instruction est la lumière, qu'elle est indispensable, mais qu'en attendant il suffira au menu peuple de savoir lire et écrire. La liberté est un bien, disais-je, on ne peut pas s'en passer, non plus que d'air, mais il faut attendre. Oui, je parlais ainsi, mais aujourd'hui, je vous le demande : au nom de quoi doit-on attendre ? dit-il en regardant Bourkine d'un air furieux. Au nom de quoi attendre , je vous le demande ? Au nom de quelles considérations ? On me dit que rien ne se fait d'un seul coup, que, dans la vie, toute idée se réalise progressivement, en son temps. Mais qui dit cela ? Où est-il prouvé que c'est exact
                                                       
                                            
Vous vous fondez sur l'ordre naturel des choses, sur la loi des phénomènes, mais existe-t-il un ordre ou une loi qui m'obligent, moi, un homme vivant, pensant, à rester debout au bord d'un fossé à attendre qu'il se comble de lui-même ou que la vase vienne le remplir alors que je pourrais peut-être le franchir ou jeter un pont par-dessus ? Encore une fois, je vous le demande, au nom de quoi faut-il attendre ? Attendre qu'on n'ait plus la force de vivre, alors qu'il le faut cependant, qu'on a envie de vivre !
            Je partis de chez mon frère de grand matin ; depuis, la vie des villes m'est devenue insupportable. Leur calme et leur tranquillité m'oppressent, j'ai peur de lever les yeux vers leurs fenêtres, car il n'est pas pour moi de spectacle plus pénible que celui d'une famille heureuse en train de prendre le thé autour d'une table. Je suis vieux à présent et incapable de me battre, je suis même incapable de haïr. Je me borne à souffrir, m'irriter, regretter ; la nuit, le front me brûle de trop penser et je ne peux pas dormir... Ah, si j'étais jeune ! "
            Sous le coup de l'émotion, Ivan Ivanytch se mit à arpenter la pièce et répéta :
            " Si j'étais jeune ! "
            Il s'approcha soudain d'Aliokhine et, lui serrant tantôt une main, tantôt l'autre :
            " Mon ami, proféra-t-il d'une voix suppliante, ne vous tenez pas pour satisfait, ne vous laissez pas endormir ! Tant que vous êtes jeune, fort, alerte, ne vous lassez pas de faire le bien ! Le bonheur n'existe pas et ne doit pas être, et si la vie a un sens et un but, ils ne sont nullement dans notre bonheur, mais dans quelque chose de plus sensé et de plus grand. Faites-le bien ! "
            Tout ce la fut dit avec un sourire pitoyables, suppliant, comme s'il demandait quelque chose pour lui-même.
            Puis tous trois demeurèrent assis dans leur fauteuil, chacun dans son coin, sans ouvrir la bouche. Le récit d'Ivan Ivanytch n'avait satisfait ni Bourkine ni Aliokhine. Écouter l'histoire d'un pauvre fonctionnaire qui mangeait des groseilles, quand des généraux et des dames quo semblaient vivants dans la pénombre vous contemplaient du haut de leurs cadres dorés, était bien ennuyeux. On avait plutôt envie de parler et d'entendre parler de gens élégants, de femmes. Et leur présence dans le salon où tout - les lustres dans leur housse, les fauteuils, les tapis sous leurs pieds - disait que jadis, ici, allaient et venaient s'asseyaient, prenaient le thé ces mêmes gens qui les contemplaient maintenant du haut de leurs cadres dorés, la belle Pélarguéïa qui se mouvait silencieusement, dans la pièce, tout cela valait mieux que n'importe quel récitµ;
            Aliokhine éprouvait une violente envie de dormir ; il s'était levé de grand matin, pour travailler, avant trois heures, et, maintenant, ses paupières se collaient, mais, craignant que ses hôtes ne racontassent, en son
absence, quelque chose d'intéressant, il restait. Était-ce sensé, était-ce juste, ce que venait de dire Ivan Ivanytch ? Aliokhine ne cherchait pas à l'approfondir ; ses hôtes ne parlaient ni de gruau, ni de foin, ni de goudron, mais de quelque chose qui n'avait pas de rapport direct  avec sa vie à lui, il en était heureux et souhaitait les entendre encore...
            " Allons, il est quand même l'heure d'aller se coucher, dit Bourkine en se levant. Permettez-moi de vous souhaiter une bonne nuit. "
           Aliokhine leur dit bonsoir et descendit, ses hôtes restèrent au premier. On leur avait donné une grande chambre où se dressaient deux lits en bois sculpté, dans un coin se trouvait un crucifix d'ivoire ; de ces lits larges,frais, qu'avait fait la belle Pélarguéïa, s'exhalait une agréable odeur de linge propreµ;
           Ivan Ivanytch se déshabilla en silence et se coucha.µ
           " Seigneur, pardonne-nous, pauvres pêcheurs ! " dit-il, et il remonta sa couverture sur sa tête.
           Sa pipe, posée sur la table, sentait violemment le culot et Bourkine fut long à s'endormir, ne pouvant comprendre d'où venait cette désagréable odeur. La pluie tambourina contre la vitre toute la nuit.



                                                                                       Anton Tchékov





           

jeudi 21 juin 2012

Les Bons Chiens Baudelaire ( Poème en prose )



                                                                 Les Bons Chiens 
                        
                                                                  à Monsieur Joseph Stevens
                                  ( Bruxelles 1è publication 21 juin 1865 dans l'Indépendance Belge )
                                           


            Je n'ai jamais rougi, même devant les jeunes écrivains de mon siècle, de mon admiration pour Buffon ; mais aujourd'hui ce n'est pas l'âme de ce peintre de la nature pompeuse que j'appellerai à mon aide. Non.
            Bien plus volontiers je m'adresserais à Sterne, et je lui dirais : " Descends du ciel , ou monte vers moi des champs Élyséens, pour m'inspirer en faveur des bons chiens, des pauvres chiens, un chant digne de toi, sentimental farceur, farceur incomparable ! Reviens à califourchon sur ce fameux âne qui t'accompagne toujours dans la mémoire de la postérité ; et surtout que cet âne n'oublie pas de porter , délicatement suspendu entre ses lèvres, son immortel macaron ! "
            Arrière la muse académique ! Je n'ai que faire de cette vieille bégueule. J'invoque la muse familière, la citadine, la vivante, pour qu'elle m'aide à chanter les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés, ceux-là que chacun écarte, comme pestiférés et pouilleux, excepté le pauvre dont ils sont les associés, et le poète qui le regarde d'un oeil fraternel.
                      Cavalier King Charles                   

            Fi du chien bellâtre, de ce fat quadrupède, danois, king-charles, carlin ou gredin, si enchanté de lui-             Carlin  

même qu'il s'élance indiscrètement  dans les jambes ou sur les genoux du visiteur, comme s'il était sûr de plaire, turbulent comme un enfant, sot comme une lorette, quelquefois hargneux et insolent comme un domestique ! Fi surtout de ces serpents à quatre pattes, frissonnants et désoeuvrés, qu'on nomme levrettes et qui ne logent même pas dans leur museau pointu assez de flair pour suivre la piste d'un ami, ni dans leur tête aplatie assez d'intelligence pour jouer au domino !
            A la niche ! Tous ces fatigants parasites !
            Qu'ils retournent à leur niche soyeuse et capitonnée ! Je chante le chien crotté, le chien pauvre, le chien sans domicile, le chien flâneur, le chien saltimbanque, le chien dont l'instinct, comme celui du pauvre, du bohémien et de l'histrion, est merveilleusement aiguillonné par la nécessité, cette si bonne mère, cette vraie patronne des intelligences !
            Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent, solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l'homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels : " Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous feront peut-être une espèce de bonheur ! "
            " Où vont les chiens ? " disait autrefois Nestor Roqueplan dans un immortel feuilleton qu'il a sans doute oublié, et dont moi seul, et Sainte-Beuve peut-être nous nous souvenons encore aujourd'hui
            Où vont les chiens, dîtes-vous, hommes peu attentifs ? Ils vont à leurs affaires.
            Rendez-vous d'affaires, rendez-vous d'amour. A travers la brume, à travers la neige, à travers la crotte, sous la canicule mordante, sous la pluie ruisselante, ils s'en vont, ils viennent, ils trottent, ils passent sous les voitures, excités par les puces, la passion, le besoin ou le devoir. Comme nous, ils se sont levés de bon matin, et ils cherchent leur vie ou courent à leurs plaisirs.
             Il y en a qui couchent dans une ruine de la banlieue et qui viennent, chaque jour, à heure fixe, réclamer la sportule à la porte d'une cuisine du Palais-Royal ; d'autres qui accourent, par troupes de plus de cinq lieues, pour partager le repas que leur a préparé la charité de certaines pucelles sexagénaires, dont le coeur inoccupé s'est donné aux bêtes, parce que les hommes imbéciles n'en veulent plus.     
                                  
            Et ils sont tous très exacts, sans carnets, sans notes et sans portefeuilles.
           Connaissez-vous la paresseuse Belgique, et avez-vous admiré comme moi tous ces chiens vigoureux, attelés à la charette du boucher, de la laitière ou du boulanger, et qui témoignent par leur aboiements triomphants, du plaisir orgueilleux qu'ils éprouvent à rivaliser avec les chevaux ?
            En voici deux qui appartiennent à un ordre encore plus civilisé,! Permettez-moi de vous introduire dans la chambre du saltimbanque absent. Un lit, en bois peint, sans rideaux, des couvertures traînantes et souillées de punaises, deux chaises de paille, un poêle de fonte, un ou deux instruments de musique détraqués. Oh ! le triste mobilier ! Mais regardez, je vous prie, ces deux personnages intelligents, habillés de vêtements à la fois éraillés et somptueux, coiffés comme des troubadours ou des militaires, qui surveillent, avec une attention de sorciers, l'oeuvre sans nom qui mitonne sur le poêle allumé, et au centre de laquelle une longue cuiller plantée, comme un de ces mâts aériens qui annoncent que la maçonnerie est achevée.
            N'est-il pas juste que de si zélés comédiens ne se mettent pas en route sans avoir lesté leur estomac d'une soupe puissante et solide ? Et ne pardonnerez-vous pas un peu de sensualité à ces pauvres diables qui ont à affronter tout le jour l'indifférence du public et les injustices d'un directeur qui se fait la grosse part et mange à lui seul plus de soupe que quatre comédiens ?
            Que de fois j'ai contemplé, souriant et attendri, tous ces philosophes à quatre pattes, esclaves complaisants, soumis ou dévoués, que le dictionnaire républicain pourrait aussi bien qualifier d'officieux,si la république, trop occupée du bonheur des hommes, avait le temps de ménager lhonneur des chiens !
            Et que de fois j'ai pensé qu'il y avait peut-être quelque part ( qui sait, après tout ? ), pour récompenser tant de courage, tant de patience et de labeur, un paradis spécial pour les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés et désolés. Swedenborg affirme qu'il y en a un pour les Turcs et un pour les Hollandais !
            Les bergers de Virgile et de Théocrite attendaient, pour prix de leurs chants alternés, un bon fromage, une flûte du meilleur faiseur, ou une chèvre aux mamelles gonflées. Le poète qui a chanté les pauvres chiens a reçu pour récompense un beau gilet, d'une couleur à la fois riche et fanée qui fait penser aux soleils d'automne, à la beauté des femmes mûres et aux étés de la Saint-Martin.

              Joseph Stevens Les chiens errants

            Aucun de ceux qui étaient présents dans la rue Villa-Hermosa n'oubliera avec quelle pétulance le peintre s'est dépouillé de son gilet en faveur du poète, tant il a bien compris qu'il était bon et honnête de chanter les pauvres chiens;
            Tel un magnifique tyran italien, du bon temps, offrait au divin Arétin soit une dague enrichie de pierreries, soit un manteau de cour, en échange d'un précieux sonnet ou d'un curieux poème satirique.
             Et toutes les fois que le poète endosse le gilet du peintre, il est contraint de penser aux bons chiens, aux chiens philosophes, aux étés de la Saint-Martin et à la beauté des femmes très mûres.



                                                                                      Charles Baudelaire
                                                                                      ( Le Spleen de Paris )














                                                                                       

mercredi 20 juin 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui


                        Jules Renard

                                         Le Lézard
                                   in Histoires Naturelles

                                                                       I

                                  Fils spontané de la pierre fendue où je m'appuie, il me grimpe sur l'épaule. Il a cru
            que je continuais le mur parce que je reste immobile et que j'ai un paletot couleur de muraille. Ça
            flatte tout de même.
                                                                        II

                                  Le Mur - Je ne sais quel frisson me passe sur le dos.
                                  Le Lézard - C'est moi.

                                                                 
                                            Le Ver Luisant

                                                                      
                                                                                       
                                                                              I
                                    Que se passe-t-il ? Neuf heures du soir et il y a encore de la lumière chez lui.

                                                                              II
                                   
                                    Cette goutte de lune sur l'herbe.


                                                Les Fourmis                            

                                    Chacune d'elles ressemble au chiffre 3.
                                    Et il y en a ! il y en a !
                                    Et il y en a 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 33... jusqu'à l'infini.


                                                 La Puce

                                    Un grain de tabac à ressort.


                                                                                 °°°°°°°°

                                                                   extraits du journal

                                                                                                            27 octobre 1892

                                     - Je lis dans le feu dit-elle.
                                     Et lui : " Voulez-vous que j'allume un incendie ?

                                                           
                                     Elles étaient si petite les maisons de mon village que je revoyais, qu'il me semble
                                    que j'allais, du bout du doigt, écrire les lettres de mon nom sur la neige de leurs toits.

                                                                                                            18 avril 1894

                                    Prendre la vie au sérieux burlesque.


                                                                                                                Jules Renard





                                             

mardi 19 juin 2012

Un NewYorkais à Paris Israël Horovitz ( Biographie EtatsUnis )

Un new-yorkais à Paris Un NewYorkais à Paris

            C'est l'histoire d'un petit garçon né dans le Massachussets, à Wakefield en 1939, d'une mère au foyer et d'un père camionneur, violent, qui réussit à 50 ans après trois essais un examen de droit et put ouvrir un cabinet d'avocat. Enfant il gagne quelque argent en travaillant chez un oncle qui récupère livres et revues destinés au pilon. Marié à 18 ans il abandonne rapidement ses études qui devaient faire de lui un professeur d'anglais. A Boston il accumule les petits " boulots " écrit des chansons divers textes, travaille dans la publicité. L'homme aux 70 pièces de théâtre est né. Il aime écrire et le lire est un plaisir, entraînant, vivant, en soixante chapitres nous suivons les étapes, les comédiens, les écueils et les réussites des principales créations. Ses premières pièces sont jouées par de jeunes acteurs : Al Pacino, Diane Keaton, Robert Dreyfus, Jill Clayburgh parmi les plus connus. Dès ses débuts bien accueillis en France où les textes sont joués régulièrement, Valère Dessailly, Dufilho, Pierre Dux,  Line Renaud ces dernières années. Il rencontre deux très grands poètes et lie avec eux une longue amitié, Beckett et Ionesco, sans oublier Jean Anouilh et Nicole Anouilh qui traduit certaines de ses pièces. Auteur joué d'un bout à l'autre de la planète, il a créé des maisons pour le théâtre, associé à la Fémis un centre pour les scénaristes. Écrire est sa vie " Je voudrais passer mes dernières heures à écrire... entouré par ma famille et mes amis. Jusqu'au bout je voudrais éprouver cette passion que j'éprouve quand je crée... " Très attaché à sa famille ( l'une de ses grand-mère eut huit enfants ), l'auteur et l'homme privé ne font qu'un, la création et les enfants, les siens travaillent aussi dans le spectacle. Passant du festival de Spolète à la Fondation O'Neill à Waterford dans le Connecticut, le lecteur vole avec Horovitz d'un avion l'autre. Auteur souvent joué off-Broadway très suivi à Paris où ses fans ne manquent jamais ses nouvelles créations. Le livre est un complément.

lundi 18 juin 2012

La Roche aux Guillemots Guy de Maupassant ( Nouvelle )

Le Guillemot de Troïl La Roche aux Guillemots


            Voici la saison des guillemots.
            D'avril à la fin de mai, avant que les baigneurs parisiens arrivent, on voit paraître soudain, sur la petite d'Etretat, quelques vieux messieurs bottés, sanglés en des vestes de chasse. µIls passent quatre ou cinq jours à l'hôtel Hauville, disparaissent, reviennent trois semaines plus tard ; puis, après un nouveau séjour, s'en vont définitivement.
            On les revoit au printemps suivant.
            Ce sont les derniers chasseurs de guillemots, ceux qui restent des anciens ; car ils étaient une vingtaine de fanatiques, il y a trente ou quarante ans ; ils ne sont plus que quelques enragés tireurs.
             Le guillemot est un oiseau voyageur, dont les habitudes sont étranges. Il habite presque toute l'année les parages de Terre-Neuve, des îles Saint-Pierre et Miquelon ; mais, au moment des amours, une bande d'émigrants traverse l'Océan, et, tous les ans, vient pondre et couver au même endroit, à la roche dite aux Guillemots, près d'Etretat. On n'en trouve que là, rien que là. Ils y sont toujours venus, on les a toujours chassés, et ils reviennent encore ; ils reviendront toujours. Sitôt les petits levés, ils repartent, disparaissent pour un an.
            Pourquoi ne vont-ils jamais ailleurs, ne choisissent-ils aucun autre point de cette longue falaise blanche et sans cesse pareille qui court du Pas-de-Calais au Havre ? Quelle force, quel instinct invincible, quelle habitude séculaire poussent ces oiseaux à revenir en ce lieu ? Quelle première émigration, quelle tempête a jadis jeté leurs pères sur cette roche ? Et pourquoi les fils, les petits-fils, tous les descendants des premiers y sont-ils toujours retournés ?
            Ils ne sont pas nombreux : une centaine au plus, comme si une seule famille avait cette tradition, accomplissait ce pèlerinage annuel.
            Et chaque printemps, dès que la petite tribu voyageuse s'est réinstallée sur sa roche, les mêmes chasseurs aussi reparaissent dans le village. On les a connus jeunes autrefois ; ils sont vieux aujourd'hui, mais fidèles au rendez-vous régulier qu'ils se sont donné depuis trente ou quarante ans.
            Pour rien au monde, ils n'y manqueraient.
                                                                
            C'était par un soir d'avril de l'une des dernières années. Trois des anciens tireurs de guillemots venaient d'arriver ; un d'eux manquait M. d'Arnelles.
             Il n'avait écrit à personne, n'avait donné aucune nouvelle ! Pourtant il n'était point mort, comme tant d'autres ; on l'aurait su. Enfin, las d'attendre, les premiers venus se mirent à table ; et le dîner touchait à sa fin, quand une voiture roula dans la cour de l'hôtellerie ; et, bientôt le retardataire entra.
             Il s'assit, joyeux, se frottant les mains, mangea de grand appétit, et, comme un de ses compagnons s'étonnait qu'il fût en redingote, il répondit tranquillement :
             " Oui, je n'ai pas eu le temps de me changer. "
             On se coucha en sortant de table, car, pour surprendre les oiseaux, il faut partir bien avant le jour.
             Rien de joli comme cette chasse, comme cette promenade matinale.
             Dès trois heures du matin, les matelots réveillent les chasseurs en jetant du sable dans les vitres. En quelques minutes on est prêt et on descend sur le perret. Bien que le crépuscule ne se montre point encore, les étoiles sont un peu pâlies ; la mer fait grincer les galets ; la brise est si fraîche qu'on frissonne un peu, malgré les gros habits.
             Bientôt les deux barques poussées par les hommes, dévalent brusquement la pente de cailloux ronds, avec un bruit de toile qu'on déchire ; puis elles se balancent sur les premières vagues. La voile brune monte au mât, se gonfle un peu, palpite, hésite et, bombée de nouveau, ronde comme un ventre, emporte les coques goudronnées vers la grande porte d'aval qu'on distingue vaguement dans l'ombre.
            Le ciel s'éclaircit ; les ténèbres semblent fondre ; la côte paraît voilée encore, la grande côte blanche, droite comme une muraille.
             On franchit la Manne-Porte, voûte énorme où passerait un navire ; on double la pointe de la Courtine ; voici le val d'Antifer, le cap du même nom ; et soudain on aperçoit une plage où des centaines de mouettes sont posées. Voici la roche aux Guillemots.
            C'est tout simplement une petite bosse de la falaise ; et, sur les étroites corniches du roc, des têtes d'oiseaux se montrent, qui regardent les barques.
            Ils sont là, immobiles, attendant, ne se risquant point à partir encore. Quelques-uns, piqués sur des rebords avancés, ont l'air assis sur leurs derrières, dressés en forme de bouteille, car ils ont des pattes si courtes qu'ils semblent, quand ils marchent, glisser comme des bêtes à roulettes ; et, pour s'envoler ne pouvant prendre d'élan, il leur faut se laisser tomber comme des pierres, presque jusqu'aux hommes qui les guettent.
            Ils connaissent leur infirmité et le danger qu'elle leur crée, et ne se décident pas à vite s'enfuir.
            Mais les matelots se mettent à crier, battent leur bordage avec les tolets de bois, et les oiseaux, pris de peur, s'élancent un à un, dans le vide, précipités jusqu'au ras de la vague ; puis , les ailes battant à coups rapides, ils filent, filent et gagnent le large quand une grêle de plomb ne les jette pas à l'eau.
            Pendant une heure on les mitraille ainsi, les forçant à déguerpir l'un après l'autre ; et quelquefois les femelles au nid, acharnées à couver, ne s'en vont point, et reçoivent coup sur coup les décharges qui font jaillir sur la roche blanche des gouttelettes de sang rose, tandis que la bête expire sans avoir quitté ses oeufs

               
                                         Falaise d'Etretat
            µLe premier jour, M. d'Arnelles chassa avec son entrain habituel, mais quand on repartit vers dix heures, sous le haut soleil radieux, qui jetait de grands triangles de lumière dans les échancrures blanches de la côte, il se montra un peu soucieux, rêvant parfois, contre son habitude.
            Dès qu'on fut de retour au pays, une sorte de domestique en noir vint lui parler bas. Il sembla réfléchir, hésiter, puis il répondit : " Non, demain. "
            Et, le lendemain, la chasse recommença. M. d'Arnelles, cette fois, manqua souvent les bêtes qui pourtant se laissaient choir presque au bout du canon de fusil ; et ses amis, riant, lui demandaient s'il était amoureux, si quelque trouble secret lui remuait le coeur et l'esprit.
            A la fin, il en convint :
            " Oui, vraiment, il faut que je parte tantôt, et cela me contrarie.
            - Comment, vous partez ? Et pourquoi ?
            - Oh ! j'ai une affaire qui m'appelle, je ne puis rester plus longtemps. "
            Puis on parla d'autre chose.
            Dès que le déjeuner fut terminé, le valet en noir reparut. M. d'Arnelles ordonna d'atteler ; et l'homme allait sortir quand les trois autres chasseurs intervinrent, priant et sollicitant pour retenir leur ami. L'un d'eux, à la fin demanda :
            " Mais voyons, elle n'est pas si grave, cette affaire, puisque vous avez bien attendu déjà deux jours !"
            Le chasseur tout à fait perplexe, réfléchissait, visiblement combattu, tiré par le plaisir et une obligation, malheureux et troublé;
             Après une longue méditation, il murmura, hésitant :
             " C'est que... c'est que... je ne suis pas seul ici ; j'ai mon gendre. "
             Ce furent des cris et des exclamations. :
             " Votre gendre ?... mais où est-il ? "
             Alors, tout à coup, il sembla confus, et rougit.
             " Comment  ! vous ne savez pas ?... Mais... mais... il est sous la remise. Il est mort. "
             Un silence de stupéfaction régna.
             M. d'Arnelles reprit, de plus en plus troublé :
             " J'ai eu le malheur de le perdre ; et, comme je conduisais le corps chez moi, à Briseville, j'ai fait un petit détour pour ne pas manquer notre rendez-vous. Mais, vous comprenez que je ne puis m'attarder plus longtemps. "
             Alors, un des chasseurs, plus hardi :
             " Cependant... puisqu'il est mort... il me semble... qu'il peut bien attendre un jour de plus. "
             Les deux autres n'hésitèrent plus :
             " C'est incontestable ", dirent-ils.
             M. d'Arnelles semblait soulagé d'un grand poids ; encore un peu inquiet pourtant, il demanda :
             " Mais là... franchement... vous trouvez ?... "
             Les trois autres, comme un seul homme, répondirent :
             " Parbleu ! mon cher, deux jours de plus ou de moins n'y feront rien dans son état. "
             Alors, tout à fait tranquille, le beau-père se retourna vers le croque-mort :
             " Eh bien ! mon ami, ce sera pour après-demain. "


                                                                                                Maupassant





           


dimanche 17 juin 2012

Lettres à Madeleine 39 Apollinaire



         Guillaume Apollinaire
                                                  Lettre à Madeleine

            Lettres des 21, 22, 23 et 24 octobre. Ces lettres  remplies de propos galants tels qu'on a pu les lire déjà, affirme ses sentiments amoureux mais dans le courrier du 21 octobre il précise...
            " ... Je t'envoie aujourd'hui un livre qui était sous presse avant la guerre et qui vient de paraître ( nte de l'éditeur - Les trois Don Juan - Bibliothèque des Curieux ) C'est sans valeur mais t'amusera peut-être venant de moi. Tu verras à quoi on est obligé de descendre pr gagner sa vie à Paris et j'ai toujours résisté à faire des travaux plus bas comme ont fait Willy ou les auteurs de romans-feuilletons. Néanmoins, tu te rendras compte que j'ai autre chose à écrire. J'ai fait cela en m'amusant, mais c'est triste quand même et plus mal payé que les trucs à Willy et surtout feuilletonistes sentimentaux. C'est écrit rapidement avec les diverses histoires de Don Juan. J'ai pris tout ce que j'ai pu à Molière pr le Tenorio et le dernier n'est que le résumé sous la traduction mot à mot du Don Juan de Byron. Néanmoins, je ne mets pas ces choses parmi mes ouvrages et n'y fais même pas mention ) l'endroit du - Du même auteur - , de L'Hérésiarque Alcools etc...)

                                                                                               25 octobre 1915 ( pour partir le 26 )

            Amour, je mets ici une petite remarque autant pour moi que pour toi, dans ma dernière vie anecdotique je citais le mot allemand Rittergut ajoutant qui signifie, je crois, un domaine auquel était attaché le titre de chevalier, c'était tout simplement une terre noble que ne pouvaient acquérir les vilains. C'est le baron de Stein qui obtint cette faveur de Frédéric Guillaume quand il fit abolir le servage
            Pour ce que je te disais hier à propos de la fréquence de nos étreintes complètes, c'est toi qui en réglera l'usage, en considérant qu'il faut ménager la durée des forces, de façon à pouvoir s'aimer très longtemps jusque dans la vieillesse sans fatigue. L'usage en est excellent et sain, l'abus est redoutable et émousse le plaisir.
            La privation d'eau dont tu parlais hier se fait surtout sentir pour ce qui concerne le lavage du linge. En tout cas j'en prends toujours pour me laver à fond moi-même et 1 fois par semaine le conducteur non monté lave tout de même le linge.
            Voilà la vie, on se lève quand on veut à moins qu'on ne tire et le cri à vos postes vous met vite debout, car on dort tout habillé. Moi, je me lève quand on ne m'appelle point pr raison de service à 7 h. Quand je suis de jour je distribue l'eau, sinon je vais déjeuner aussitôt, café noir et pain avec le repas froid qui est soit du gruyère soit de la confiture. Puis je me mets nu jusqu'à la ceinture et me lave dans une cuvette que j'ai depuis le commencement, cuvette en zinc émaillé qui accrochée derrière le caisson quand on est en route, en a déjà vu de toutes les couleurs. Je me sers encore de ta savonnette, je me lave la poitrine, le cou, les aisselles les mains au savon, puis dans une nouvelle eau je me rince. Après quoi je me lave la tête et la rince, puis le visage, après quoi je lave tout ce qui est à toi conjugalement. Puis je m'habille puis on tire ou on lit jusqu'à la soupe 10h 1/2 puis on attend les lettres. Je ne compte naturellement pas les tirs qui viennent n'importe quand le jour ou la nuit et durent ce qu'ils durent. En principe, on mange encore à 4h 1/2 et on reprend le café, puis moi j'écris jusqu'à 10 h ou s'il y a de l'eau et s'il ne pleut pas je prends une douche en plein air, me brosse les dents et vais me coucher vers onze heures. 1 nuit sur 2 on ne dort pas on est de garde, pas moi mais mes hommes mais pas moyen de dormir. Dans le jour je me rencontre souvent avec Berthier m. d. l  de la 2è pièce qui sort peu ou Dufreney m. d. l. de la 1è pièce il vit tout seul dans un petit trou où il a juste la place de s'étendre. Il y a 1 mois 1/2 nous avions une cagnât commune avec Berthier nous y écrivions, il y faisait de la photo, fini depuis l'attaque. J'ai une table pliante que j'ai fabriquée et 1 petit banc pr m'asseoir et un lit assez bien. Mais je ne pourrai pas emporter le lit et je crains qu'au fur et à mesure des changements on ne trouve de moins en moins de planches. Le lit est en planches, le fond en treillage de fil de fer, les clous sont fabriqués de bouts de fils d'acier, sur le treillage il y a de la paille sur la paille un sac puis un isolateur que j'ai trouvé du côté de Reims puis ma toile de tente pliée en 2 je me couche dedans et sur moi couverture de cheval couvre-pied, manteau, au pied du lit devant la porte il y a ma table.
                                     

            Mon amour je viens de recevoir tes lettres du 18 et du 19. Oui sois calme mon amour et patiente quand tu ne reçois pas de lettre de moi. Mon amour je t'adore. Je prends ta bouche infiniment, et j'aime tes seins durs comme des obus, mon amour chéri. Non, mon amour tu ne m'as pas encore parlé de tes jambes et je voudrais aussi une longue lettre sur tes hanches. J'adore tes seins qui sont si beaux. Ils s'impriment dans ma chair. Et je te fais encore cette caresse que tu devines. Je te mange mon amour et je me fais une barbe de sapeur avec ta toison que j'adore. J'adore ce sourire qui était l'annonciation. moi aussi m'amour tout ce qui n'est pas toi m'est indifférent . J'adore que tout soit désir en toi Madeleine, c'est ainsi en moi aussi. Mais oui tu m'aimes bien, mon grand amour, ma belle pâmée, mon adorable évanescente, mon Ariel voluptueux. Ton corps se contracte parce que tu ignores encore mon attouchement et puis c'est peut-être ta façon.
            Parle-moi longuement des amphores de tes hanches mon amour et dis-moi aussi comme est placée cette bouche rose et noire de ton être intime, bas et regardant le sol ou plus haut et comme une fente verticale devant toi. Dis-moi aussi quels sont les poètes que tu préfères, en-dehors de moi bien entendu qui suis ton amour et qui t'adore, dis-moi aussi si tu es gourmande et si tu as bon appétit et sur quel côté tu dors. Puis dis-moi encore que tu m'aimes moi je t'adore. Je prends ta bouche.

                                                                      CLASSE 17

                                           Boyaux et rumeur du canon
                                           Sur cette mer aux blanches vagues
                                          Fou stoïque comme Zénon
                                          Pilote du coeur zigzagues

                                          Petites forêts de sapins
                                          La nichée attend la becquée
                                          Pointe-t-il des nez de lapins
                                          Comme l'euphorbe verruquée

                                         Ainsi que l'euphorbe d'ici
                                         Le soleil à peine boutonne
                                         Je l'adore comme un Parsi
                                         Ce tout petit soleil d'automne

                                         Un fantassin presqu'un enfant
                                         Beau comme le jour qui s'écoule
                                         Beau comme mon coeur triomphant
                                         Disait en mettant sa cagoule

                                         Tandis que nous n'y sommes pas
                                         Que de filles deviennent belles
                                         Voici l'hiver et pas à pas
                                         Leur beauté s'éloignera d'elles

                                         Ô Lueurs soudaines des tirs
                                         Cette beauté que j'imagine
                                         Faute d'avoir des souvenirs
                                         Tire de vous son origine

                                         Car elle n'est rien que l'ardeur
                                         De la bataille violente
                                         Et de la terrible lueur
                                         Il s'est fait une muse ardente

            Mon amour je prends ta bouche et je te prends toute.


                                                                                                   Gui
                                        






samedi 16 juin 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui


    Moscou Place Pouchkine Portrait d'Alexandre Pouchkine

                                                     Journal secret
                                                       ( extraits )

            Quand je suis heureux en amour, ma vie est submergée d'un plaisir immédiat, ni le passé ni l'avenir ne m'inquiètent. Mais quand mon coeur devient vide, mes pensées se tournent vers le passé ou l'avenir, marqué par la mort. Et le chagrin m'envahit. Par conséquent, seul l'amour peut nous sauver d'un moment délétère ; il nous préserve du passé et de l'avenir ; il fige le temps aujourd'hui, un jour heureux.
            Si le temps s'arrête quand on est amoureux, cela signifie que la seule manière de suspendre le temps est d'être constamment amoureux. Et parce qu'il est impossible d'être constamment amoureux d'une femme, je m'amourache sans cesse de femmes différentes.


                                                                    °°°°°°°°°°°°°°°

            Quand j'étais célibataire, rien de particulier ne me hantait, sauf peut-être le désir d'un bonheur que je recherchais en vain, et cela me rendait malheureux. Il me semblait que le mariage avec une fille jeune, jolie, au grand coeur, m'apporterait la paix et la liberté, les deux éléments constitutifs du bonheur. Hélas, la vie donne soit la paix, soit la liberté, mais jamais les deux. La paix vient d'une résignation débilitante, et une telle paix ne laisse aucune place à la liberté. La liberté m'entraîne dans des aventures sans fin, au sein desquelles aucune paix ne peut exister.


                                                                               Alexandre Sergueïevitch Pouchkine 

                                                         ( journal secret 1836 - 1837 )