dimanche 22 mai 2016

Portrait et Conversation Jules Huret - Paul Verlaine ( Nouvelle France )

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quizz.biz

                                       Enquête sur

                                                            l'Evolution littéraire
                                       Jules Huret, 1891

                                                       M. Paul Verlaine

            La figure de l'auteur de Sagesse est archi-connue dans le monde littéraire et dans les différents milieux du quartier Latin. Sa tête de mauvais ange vieilli, à la barbe inculte et clairsemée au nez busqué : ses sourcils touffus et hérissés comme des barbes d'épi couvrant un regard vert et profond : son crâne énorme et oblong entièrement dénudé, tourmenté de bosses énigmatiques, élisent en cette physionomie l'apparente et bizarre contradiction d'un ascétisme têtu et d'appétits cyclopéens. Sa biographie serait un long drame douloureux : sa vie un mélange inouï de scepticisme aigu et d'écarts de chair qui se résolvent en d'intermittents sadismes,
            Malgré tout, Paul Verlaine n'est pas devenu méchant ; ses accès de noire misanthropie, ses silences sauvages s'évanouissent vite au moindre rayon de soleil, quel qu'il soit. Il a cette admirable résignation qui lui fait déclarer avec un accent de douceur à peine absinthée :
            " - Je n'ai plus qu'une mère, c'est l'Assistance Publique. "
            J'ai dit l'autre jour l'influence que M. Stéphane Mallarmé lui reconnaît dans le mouvement poétique contemporain ; on verra ce qu'en pensent les jeunes qui le suivent. En attendant, voici comment il parle, lui d'eux.
            Je l'ai rencontré à son café habituel, le François-Premier, boulevard Saint-Michel. Il avait fait, dans la journée, des courses pour récupérer des ors, comme il dit ; et sous son ample mac-farlane à carreaux noirs et gris, rutilait une superbe cravate de soie jaune d'or, soigneusement nouée et fichée sur un col blanc et droit. Verlaine, chacun le sait, n'est pas très causeur ; c'est l'artiste de pur instinct qui sort ses opinions par boutades drues, en images concises, quelquefois d'une brutalité voulue, mais toujours tempérées par un éclair de bonté franche et de charmante bonhomie.  
Afficher l'image d'origine            Aussi il est très difficile de lui arracher sur les théories d'art des opinions rigoureusement déduites. Le mieux que j'aie à faire c'est de raconter de notre longue conversation ce qui a spécialement trait à mon enquête.
            Comme je lui demandais une définition du symbolisme, il me dit :
            " - Vous savez, moi, j'ai du bon sens ; je n'ai peut-être que cela, mais j'en ai. Le symbolisme ?... Comprends pas...Ça doit être un mot allemand... hein ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Moi, d'ailleurs, je m'en fiche. Quand je souffre, quand je jouis ou quand je pleure, je sais bien que ça n'est pas du symbole. Voyez-vous toutes ces distinctions-là, c'est de l'allemandisme ; qu'est-ce que ça peut faire à un poète que Kant, Schopenhauer, Hégel et autres Boches pensent des sentiments humains ! Moi je suis Français, vous m'entendez bien, un chauvin de Français, avant tout. Je ne vois rien dans mon instinct qui me force à chercher le pourquoi du pourquoi de mes larmes ; quand je suis malheureux, j'écris des vers tristes, c'est tout, sans autre règle que l'instinct que je crois avoir de la " belle écriture ", comme ils disent ! "
            Sa figure s'assombrit, sa parole devint lente et grave.
            " N'empêche, continua-t-il, qu'on doit voir tout de même sous mes vers... le gulf stream de mon existence, où il y a des courants d'eau glacée et des courants d'eau bouillante, des débris, oui, des sables, bien sûr, des fleurs, peut-être... "
            A chaque instant, dans les conversations de Verlaine, on est surpris et ravi par ces antithèses imprévues de brutalité et de grâce, d'ironie gaie et d'indignation farouche. Mais, je le répète, il est impossible de suivre rigoureusement la marche d'un entretien avec lui. Ce jour-là, il s'écartait à chaque instant du sujet et, comme je m'efforçais par toutes sortes de biais à le ramener au symbolisme, il s'emporta plusieurs fois, et frappant de grands coups de poing sur la table de marbre dont son absinthe et mon vermouth tremblaient, il s'écria :
            " - Ils m'embêtent, à la fin, les cymbalistes ! eux et leurs manifestations ridicules ! Quand on veut vraiment faire de la révolution en art, est-ce que c'est comme ça qu'on procède ! En 1830, on s'emballait et on partait à la bataille avec un seul drapeau où il y avait écrit " Hernani " Aujourd'hui c'est des assauts de pieds plats qui ont chacun leur bannière où il y a écrit " Réclame " ! Et ils l'ont eue leur réclame, une réclame digne de Richebourg... Des banquets... Je vous demande un peu... "
            Il haussa les épaules, et parut se calmer, comme après un grand effort. Il y eut un instant de silence. Puis il reprit :
            " - N'est-ce pas ridicule tout cela, après tout ! Le ridicule a des bornes, pourtant, comme toutes les bonnes choses... "
Afficher l'image d'origine *           Par bribes, il continua, la pipe constamment éteinte et rallumée :
           " - La Renaissance ! Remonter à la Renaissance ! Et cela s'appelle renouer à la tradition ! En passant par-dessus le XVIIè et le XVIIIè siècles ! Quelle folie ! Et Racine, et Corneille, ça n'est donc pas des poètes français, ceux-là ! Et La Fontaine, l'auteur du vers libre, et Chénier ! ils ne comptent pas non plus ! Non, c'est idiot, ma parole, idiot. "
            Toujours il haussait ses épaules, les lèvres avaient une moue dédaigneuse, son sourcil se fronçait. Il dit encore :
            Où sont-elles " les nouveautés " ? Est-ce que Arthur Rimbaud, et je ne l'en félicite pas, n'a pas fait tout cela avant eux ? Et même Krysinska ! Moi aussi, parbleu, je me suis amusé à faire des blagues, dans le temps ! Mais enfin je n'ai pas la prétention de les imposer en Évangile ! Certes je ne regrette pas mes vers de quatorze pieds ; j'ai élargi la discipline du vers, et cela est bon ; mais je ne l'ai pas supprimée ! Pour qu'il y ait vers, il faut qu'il y ait rythme. A présent on fait des vers à mille pattes ! Ca n'est plus des vers, c'est de la prose, quelquefois même ce n'est que du charabia... Et surtout,  ça n'est pas français, non, ça n'est pas français ! On appelle ça des vers rythmiques ! Mais nous ne sommes ni des Latins, ni des Grecs, nous autres ! Nous sommes des Français, sacré nom de Dieu !
            - Mais... Ronsard ?... hasardai-je.
            - Je m'en fous de Ronsard ! Il y a eu, avant lui, un nommé François Villon qui lui dâme crânement le pion  ! Ronsard ! Pfiff ! Encore un qui a traduit le français en moldo-valaque !
            - Les jeunes, pourtant, ne se réclament-ils pas de vous ? dis-je.
            - Qu'on prouve que je suis pour quelque chose dans cette paternité-là ! Qu'on lise mes vers ! "
            Sur un ton comique, il ajoute :
           " - 19, quai Saint-Michel, 3 francs ! "
            Puis :                                                                                                               stars-portraits.com
Afficher l'image d'origine            " -  J'ai eu des élèves, oui ; mais je les considère comme des élèves révoltés : Moréas, au fond, en est un.
            - Ah ! fis-je.                                                                                
            - Mais oui ! Je suis un oiseau, moi ( comme Zola est un boeuf, d'ailleurs ), et il y a des mauvaises langues qui prétendent que j'ai fait école de serins. C'est faux. Les symbolistes aussi sont des oiseaux, sauf restrictions. Moréas aussi en est un, mais non... lui, ce serait plutôt un paon... Et puis il est resté enfant, un enfant de dix-huit ans. Moi aussi je suis gosse... "
            Ici Verlaine prend sa posture coutumière : il redresse la tête, avance les lèvres, fixe son  regard droit devant lui, étend le bras.
            " - Mais un gosse français, cré nom de Dieu ! en outre ! "
            Et aussitôt il se mit à rire d'un rire bonhomme, vraiment gai, contagieux, qui me prit à mon tour.
            " - Comment se fait-il que vous ayez accepté l'épithète de - décadant - et que signifiait-elle pour vous ?
            - C'est bien simple. On nous l'avait jetée comme une insulte, cette épithète ; je l'ai ramassée comme cri de guerre ; mais elle ne signifiait rien de spécial, que je sache. Décadent ! Est-ce que le crépuscule d'un beau jour ne vaut pas toutes les aurores ! Et puis le soleil qui a l'air de se coucher, ne se lèvera-t-il pas demain ? Décadent, au fond, ne voulait rien dire du tout. Je vous le répète. C'était plutôt un cri et un drapeau sans rien autour. Pour se battre, y a-t-il besoin de phrases ! Les trois couleurs devant l'aigle noir, ça suffit, on se bat !... "
            - On reproche aux symbolistes d'être obscurs... Est-ce votre avis ?
            Oh ! je ne comprends pas tout, loin de là ! D'ailleurs, ils le disent eux-mêmes : - Nous sommes des poètes abscons - Mais pourquoi abscons tout court ? Si encore ils ajoutaient - comme la lune ! - en outre ! "
            De nouveau, il éclata de rire, et je fus bien forcé de l'imiter.
Afficher l'image d'origine**            A ce moment, il me sembla que la partie sérieuse de notre entretien prenait fin... Je me rappelai une réflexion que m'avait faite M. Anatole France, et je dis encore à Verlaine :
            " - Est-il vrai que vous soyez jaloux de Moréas ? "
            Il redressa le buste, improvisa un long geste du bras droit, se mouilla les doigts, se frisa rythmiquement la moustache et dit en appuyant :
            " - Voui !!! "
         


                                                Contrainte et Liberté

            Quelle est la meilleure conditions du bien social, une organisation spontanée et libre ou bien une organisation disciplinée et méthodique? Vers laquelle de ces conceptions doivent aller les préférences de l'artiste .

                                              Réponse de Paul Verlaine

            L'organisation disciplinée et méthodique en attendant que l'autre soit possible, ce qui me paraît un rêve. Je suis en fait de politique générale de l'avis de Joseph de Maistre, le rêve de Bakounine n'étant pas encore réalisable.


                                                      ***********************

                                         Réponse à l'enquête sur la crise de l'Amour

            1° L'amour est-il vraiment aussi malade que le disent les romanciers et beaucoup de gens du monde ?

            2° Quel serait le remède pour revenir à l'amour d'autrefois ?
                                                                                                                    quizz.biz  
Son nom n'a rien avoir avec le fait qu'il mange des guêpes, car il mange particulièrement des libellules. On peut le voir dans les clairières, les lisières, en climat chaud. Je vous présente :            " Les philosophes aimaient les belles formes. Leur coeur s'attachait de préférence aux nobles lignes que les beaux éphèbes déployaient dans les exercices du gymnase. Socrate aimait à s'entourer de figures idéales et se plaisaient à les regarder : sa morale lui en paraissait rehaussée. Virgile eut toujours un goût très vif pour les jeunes Romains ; ses églogues ont consacré le souvenir de ses passions et de ses jalousies. Certes, tout cela est hautement idéal. Mais quelques esprits délicats de nos jours, heurtés par le côté bassement matériel de l'amour, par le prosaïsme des rapports journaliers, frappé de l'incomplet des formes féminines, du manque d'esthétique de leur amitié, toujours peu sûre, ont jugé que la passion ordinaire ne pouvait jamais atteindre à ce haut point de désintéressement où se joue l'amitié entre hommes. L'amitié-passion, voilà le remède que vous cherchez.


                                                           Textes extraits des Oeuvres complètes en prose de
                                                                 Paul Verlaine 
                                                            éditions Gallimard

*         sothebys.com  
**       myrecipes.com

                  

vendredi 20 mai 2016

Fou d'amour Wolinski ( Bande dessinée France )



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                                                 Fou d'amour 

            Wolinski assassiné le 7 janvier 2015 dans les bureaux de Charlie Hebdo, laisse quelques inédits, dessins à la gloire de l'amour, de la femme, " Fou d'amour " préfacé par sa femme, Maryse Wolinski ( auteur de " Chérie je vais chez Charlie ). Bulles et dessins pas un feuillet vers lequel on ne retourne plusieurs fois. "..... Les femmes sont dans l'air du temps.... fini les pleurnicheuses, les hystériques, les frigides, les coincées, les femmes d'aujourd'hui ont pris le pouvoir, elles sont patronnes des patrons........ Les hommes ont peur des femmes, ça les rend grognons, philosophes, critiques de cinéma...... Les femmes se foutent du réchauffement climatique, mais elles veulent que les vitres soient propres et que le parquet brille....... " Bel album assez court, pour remettre à niveau idées courtes et fantasmes.

lundi 16 mai 2016

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 57 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                                     15 Octobre 1661

            Au bureau toute la matinée. Dînai à la maison, l'après-midi à l'enclos de Saint-Paul, en un lieu dérobé où Mrs Goldsborough devait me rencontrer ( elle n'ose risquer d'être reconnue là où elle habite ) pour traiter du différend qui l'oppose encore à mon oncle. Mais, Seigneur ! il y a de quoi devenir fou de l'entendre causer et se répandre en injures contre mon oncle. Je feins cependant de ne pas en être affecté, aimerais, en vérité, parvenir à un accord avec elle. Je prends donc un autre rendez-vous avec Mr Moore et elle pour vendredi prochain, afin d'examiner nos papiers et voir comment on peut régler l'affaire. Retour chez moi fort dolent. Trop marcher aujourd'hui si bien que mon testicule est à nouveau enflé, ce qui me préoccupe fort.


                                                                                                                       16 Octobre

            Au lit jusqu'à midi. Ce matin plusieurs servantes vinrent proposer leurs services à ma femme. Elle finit par retenir une certaine Mme Nell que sa mère, une vieille femme avait accompagnée. Mais elle n'acceptait pas d'être engagée pour moins de six mois. La drôlerie de ces femmes me plaît. Dînai aujourd'hui, comme prévu, avec le Dr Thomas Pepys, mon cousin Snow et mon frère Tom, d'un aileron de lingue et de vessies natatoires. Je ne connaissais ni l'une ni les autres, mais la chair en est exquise, et je n'ai jamais mangé meilleur poisson de ma vie. Après dîner arrive William Joyce et nous mangeâmes et bûmes joyeusement. Montai dans mon cabinet et rangeai mes papiers. Le soir, notre servante Mary ( à l'essai chez nous pour un mois ) vint prendre congé de nous. Nous supposons que la fille va se marier car elle nous aimait bien et nous de même, mais tout ce qu'elle dit c'est qu'elle a envie de vivre chez un marchand où il n'y aurait qu'une seule servante. Souper et au lit.


                                                                                                                   17 Octobre
museeprotestant.org  william penn
            Au bureau toute la matinée. A midi, ma femme étant partie chez mon cousin Snow en compagnie du Dr Thomas Pepys et de mon frère Tom pour manger un pâté de venaison, qui se révéla être du porc salé, je me rendis comme convenu avec le capitaine David Lambert à la Bourse, puis nous devions nous retrouver chez un rôtisseur, mais je n'eus pas le temps de m'y rendre. Avant cela, le capitaine Cocke, négociant que je connais depuis peu, m'emmena à la taverne du Soleil où il m'offrit un verre de xérès. C'est un homme d'une grande perspicacité et d'une bonne réputation. Il me dit que lors la prochaine réunion du Parlement causerait bien des ennuis. Il demanderait comment le roi a distribue charges et argent avant de lui en accorder d'autres. J'ai bien peur que cela ne conduise à nouveau à une catastrophe. De là chez un rôtisseur où je dînai avec le capitaine Lambert et son beau-père. Parlâmes beaucoup du Portugal, d'où il est revenu depuis peu. Il me dit que c'est un endroit fort médiocre et fort sale, je parle de la ville et de la Cour de Lisbonne, que le roi est un rustre très stupide, que pour avoir injurié quelqu'un, très récemment, en le traitant de cocu, il avait reçu un coup d'épée dans les couilles et se serait fait tuer s'il ne leur avait dit qu'il était leur roi, qu'il n'y a pas de vitres aux fenêtres, que les gens ne veulent pas en avoir et que nos négociants au Portugal  s'amusent fort d'un agent commercial anglais récemment installé là-bas et qui aurait écrit en Angleterre que le verre était une marchandise intéressante à expédier là-bas, etc. Que le roi se fait apporter sa nourriture par une douzaine de gardes fainéants, dans les poêlons, parfois, jusqu'à sa propre table, parfois rien que des fruits et de temps à autre une demi-poule, que maintenant que l'infante est devenue notre reine elle a droit à une poule ou à une oie entière sur sa table, ce qui est exceptionnel. Rentré chez moi, examinai mes papiers, ceux qui concernent Mrs Goldsborough et nous. Cela me coûta bien du travail, mais en retirai grande satisfaction lorsque ce fut fait. Chez moi toute la journée. Souper et au lit.


                                                                                                              18 Octobre

            A Whitehall chez Mr Montagu où je rencontrai Mr Pearse, le commissaire de la marine, pour le consulter sur la nourriture qu'il faut envoyer à milord pour le service de la reine. Il m'en avisa et m'apprit aussi que l'on fait maintenant diligence pour hâter le départ de la flotte.                                               A midi dîner chez milady, laissai ma femme et avec Mr Moore chez Mrs Goldsborough qui envoya chercher un ami pour se joindre à nous, et nous parlâmes de notre différend jusqu'à dix heures du soir. Je trouve cette situation fort gênante et suis parvenu à susciter quelque espoir d'accord. J'offre de lui remettre les 16 livres qu'elle nous doit encore selon les comptes de mon oncle. Nous laissâmes son ami réfléchir. J'espère avoir sa réponse car je ne veux pas aller en justice avec une femme à la langue aussi redoutable.
            Chez milady, laissai ma femme qui partagea cette nuit le lit de Mademoiselle, pris un flambeau pour rentrer, puis au lit. Passai la nuit au lit seul, dans le froid, affligé depuis quelques jours d'une tumeur à un testicule. Elle est maintenant réduite par un cataplasme fait d'une bonne poignée de son délayée dans une demi-pinte de vinaigre et une pinte d'eau, le tout bouilli jusqu'à former une pâte à laquelle on ajoute une cuillerée de miel, une partie de cette mixture est étalée sur un linge qui a été placé sur le testicule. J'ai mis pour la première fois une chemise que je vais porter la nuit cette année, et que je n'ai pas l'intention d'enlever avant le printemps. Mes gens se sont plaints que ma femme ne leur avait rien laissé à manger pour la journée.


                                                                                                              19 Octobre
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            Au bureau toute la matinée et à midi Mr Coventry qui participe à notre réunion, sir George Carteret, sir William Penn et moi-même en voiture chez le capitaine Marsh à Limehouse où il a une maison qui appartient à sa famille depuis 250 ans, tout près de la maison à la chaux qui donne son nom à la localité. Ils projettent de convaincre le roi de louer un bassin où feraient relâche les harenguiers, c'est la grande affaire en cours. On nous servit un fort bon dîner, plantureux et d'excellent vin. Comme ma mise manquait d'élégance, ce qui me semble chez moi un grand défaut, je ne puis être aussi gai que je le suis ou puis l'être autrement en toute occasion lorsque je suis bien habillé. Cela me rappelle la règle d'or de l'honnête homme énoncé par mon cher Osborne : économiser sur tout, sauf sur l'habillement. Retour chez moi en voiture, écrivis des lettres pour la poste, au lit.


                                                                                                                 20 Octobre 1661
                                                                                                   Jour du Seigneur
            Au lit à la maison toute la matinée pour soulager ma récente tumeur, mais levé pour dîner et fort offensé par l'insolence de Will mon valet qui garde son chapeau à la maison. Je ne lui en parlerai pas aujourd'hui, mais je crains d'avoir à souffrir de son insolence et de sa paresse, même s'il est par ailleurs assez convenable. A l'église l'après-midi où prêcha un ministre presbytérien somnolent. Puis allai voir sir William Batten qui doit, lui aussi, se rendre à Portsmouth demain pour présenter ses respects au duc d'York qui va prendre le commandement de la garnison et y mettre de l'ordre. Soupai chez moi, et au lit.


                                                                                                              21 Octobre

            De bonne heure avec Mr Moore jusqu'à Chelsea, en voiture, chez milord le gardes du Sceau privé, mais n'arrivâmes pas assez tôt, avions pris au passage Mr Pargiter, l'orfèvre, à mon avis le plus fieffé coquin escroc qui soit. Nous prîmes ensemble notre boisson du matin, bière et gâteaux et nous nous gaussâmes plaisamment des grandes pertes que lui occasionna le retour du roi, car il avait acheté de nombreuses terres de la Couronne et, Dieu me pardonne ! je m'en réjouis fort. A Whitehall au Sceau privé consultai sir William Penn pour régler certaines choses concernant ses affaires d'Irlande. Puis à la Garde-Robe et dînai. Contre ma conscience et mon jugement ( Dieu me le pardonne  car je sais que je L'offense en enfreignant les résolutions que j'ai prises à ce propos ) allai à l'Opéra dont les représentations ont repris après des modifications de décor, qui ne font que le rendre encore plus mauvais. Mais la pièce, " l'Amour et l'Honneur ", donnée pour la première fois a une bonne intrigue et est bien jouée. Retour chez moi à pied. Après avoir un peu travaillé dans mon cabinet, souper et au lit.


                                                                                                              22 Octobre
                                                                                                                  anticstore.com
Afficher l'image d'origine            Au bureau toute la matinée où nous reçûmes " délégation " du Duc en son absence, il est allé à Portsmouth, pour avoir pleine et entière autorité sur la flotte. L'après-midi vaquai à mes affaires à droite et à gauche, le soir visite à sir Robert Slingsby qui a attrapé cette nouvelle maladie, une fièvre. Retour à la maison après être passé chez ma tante Wright et Mrs Norbury, dame d'un commerce toujours fort agréable. Souper et au lit.





                                                                                                                                                                                                                               23 Octobre

            A Whitehall où sir William Penn et moi prîmes notre boisson du matin dans le logement d'un de ses amis, le colonel Treswell. A midi dînâmes à la Jambe dans King Street puis en voiture à Chelsea chez milord le garde du Sceau privé pour affaire concernant sir William. Pûmes nous entretenir librement avec milord qui nous donna réponse. Retour à l'Opéra où je revis " l'Amour et l'Honneur " qui est une fort bonne pièce. Retour chez moi m'arrêtant en chemin pour voir sir Slingsby toujours malade. A la maison.
            Aujourd'hui tous les membres de notre Conseil sont invités mardi prochain, jour du lord-maire, à dîner à l'Hôtel de Ville. Ce soir Mr Hollier vint à notre réunion et nous fit à tous deux des recommandations qu'il nous faudra suivre.


                                                                                                             24 Octobre

            Au bureau toute la matinée. A midi Llewellyn dîna avec moi, puis partis pour Fleet Street, laissant ma femme chez Tom, tandis que je réglais quelques affaires. Retour chez moi et allai voir sir Robert toujours malade/ Aujourd'hui il n'a pas dit un mot, ce qui nous fait tout craindre. Rentré chez moi.


                                                                                                                25 Octobre 1661
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Un pigeon de faîtage            A Whitehall. Dîner à la Garde-Robe où ma femme me rejoignit. Y trouvâmes un pâté de venaison et milady de fort joyeuse humeur et fort belle, à mon avis. Après dîner ma femme et moi à l'Opéra où revis " l'Amour et l'Honneur ", pièce si bonne que j'ai vu les trois seules représentations qui en aient été données toute cette semaine. Ce qui est excessif, plus que je ne referai de longtemps. Au sortir du théâtre nous tombâmes sur Mrs Pearse et sa compagne, Mrs Clifford et, comme je donnais l'impression de vouloir rester avec elles pour parler, ma femme se mit en colère. Jalousie de sa part ou non, je ne sais, mais elle n'apprécie pas que je parle à Mrs Pearse. Rentré à pied à la maison, fort mécontent. En chemin je m'arrêtai chez Hunt le facteur d'instrument et vis mon luth presque terminé. Il doit avoir un nouveau manche et être modifié pour recevoir des cordes doubles. Chez moi, et au lit. J'ai donné à Will, mon valet, une leçon bien sentie pour lui apprendre à oublier le respect qu'il doit à son maître et à sa maîtresse.


                                                                                                                   26 Octobre

            Ce matin, sir William Penn et moi devions quitter Londres avec milady Batten pour rencontrer à Kingstone sir William revenu de Portsmouth, mais ne le pûmes car milord de Peterborough; qui doit partir comme gouverneur à Tanger, vint ce matin avec sir George Carteret nous consulter sur les ultimes préparatifs avant sa prise de fonction. Au bureau toute la matinée, et l'après-midi sir William Penn, ma femme et moi au Théâtre où vîmes " Le capitaine campagnard " joué pour la première fois depuis 25 ans, de milord Newcastle, mais jamais ne vis pièce aussi inepte, la première qui m'ait paru fastidieuse. Retour à la maison, et le soir on nous apprit la mort de sir Robert Slingsby, notre contrôleur de la Marine, malade depuis une semaine. Cette nouvelle m'affligea tant que je ne puis fermer l'oeil de la nuit, car c'était un homme qui avait de l'affection pour moi et que j'aimais pour ses nombreuses qualités plus que tous les autres officiers et commissaires de la Marine. Sur le chemin du retour nous nous arrêtâmes chez Daniel Rawlinson où nous bûmes du bon xérès. Rentrés chez nous.



                                                                                                                     27 Octobre
                                                                                                      Jour du Seigneur
            A l'église le matin. Les deux sirs William et moi parlâmes longuement sur notre banc de la mort de sir Robert qui m'afflige beaucoup, et eux aussi apparemment. Mais je n'y crois pas beaucoup car je sais qu'il faisait obstacle à leur mainmise sur l'ensemble des activités du Conseil de la Marine. A la maison, dîner et l'après-midi derechef à l'église accompagné de ma femme dont le deuil dure depuis si longtemps que j'ai honte d'aller à l'église avec elle. Après l'église allâmes voir mon oncle et ma tante Wight, restâmes parler et souper et aussi joyeux qu'on peut l'être en leur compagnie. Entre autres montâmes dans leur chambre voir leurs deux portraits, que je suis contraint de louer malgré ce que j'en pense, elle nous montre aussi son cabinet où elle garde de fort jolies médailles et de fort beaux bijoux. Retour à la maison, prières et au lit.


                                                                                                                      28 Octobre
                                                                                                                   anticstore.com
Important groupe mythologique "Héro et Léandre'" en porcelaine de Meissen      Au bureau toute la journée et dînai à la maison puis à l'enclos de Saint-Paul chez Hunt où trouve mon théorbe terminé. J'en suis fort satisfait. La transformation me coûte 26 shillings mais, à ce qu'il me dit, tel qu'il est maintenant, il n'y a pas de meilleur luth en Angleterre, et il vaut bien 10 livres. Je fis venir le capitaine, Ferrer qui vint accompagné d'un de ses amis. Allons tous trois au Théâtre voir " Argalus et Parthénia ". Une femme jouait Parthénia puis recevait plus tard habillée en homme. Je n'avais jamais vu d'aussi jolies jambes, j'en fus charmé. Ensuite à la taverne de la Bière, à l'érynge. Fis venir un fabricant de ceintures à qui j'achetai une belle ceinture pour mon demi-deuil : elle me coûta 24 shillings, très élégante. Retour chez moi, et au lit.


                                                                                                                 29 Octobre

            Aujourd'hui je mis mes chaussettes de grosse laine noire et mon manteau neuf à la mode qui me plaît bien, et avec ma toque de fourrure j'étais prêt à me rendre, après le bureau, au banquet du lord-maire, car nous sommes tous invités. Mais les deux sirs William ne tenaient pas à y aller à cause de la foule, si bien qu'aucun de nous ne s'y rendit. Je restai dîner avec eux, puis rentrai chez moi; et le soir nous nous retrouvâmes au Dauphin, où nous nous étions donné rendez-vous. D'autres personnes se joignirent à nous et aurions pu passer une soirée joyeuse, mais le vin était si mauvais, et tout le reste, que ce ne fut pas le cas. Restâmes cependant jusque tard dans la soirée puis retour à la maison, et au lit. Déçu de ma journée, car je me promettais bien du plaisir aujourd'hui à l'Hôtel de Ville.
            Le lord-maire actuel nous ramène semble-t-il à la coutume des lords-maires d'autrefois qui se rendaient à Saint-Paul le jour de leur entrée en fonction, faisaient le tour de la croix et faisaient une offrande à l'autel.

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                                                                                                           30 Octobre

vernon-jeune-femme-aux-roses.jpg            Toute la matinée au bureau. A midi jouai de mon théorbe dont je suis fort content, tel qu'il est maintenant avec son nouveau manche. L'après-midi le capitaine Lambert vint me chercher, comme convenu, et allâmes ensemble, à pied, à Deptford. Une fois à bord de son navire, le Norwich, je lui demandai de me le faire visiter dans tous ses recoins, ce qui m'apprit beaucoup et répondit parfaitement au but de ma visite. Retour chez moi, et chez sir William Batten apprit comment il s'était déjà rendu chez sir Robert Slingsby. Nous étions en effet tous invités et j'avais l'intention de m'y rendre ce soir.. Mais prétendant que le cadavre sent ils vont l'enterrer cette nuit dans l'intimité ; décommanderont tous leurs hôtes et ne feront point de funérailles, ce que je déplore, regrettant que rien ne soit fait en l'honneur de sir Robert. Mais, j'en ai peur, il a laissé sa famille dans le plus profond désarroi. Je restai là tard à jouer aux cartes avec milady et Mrs Martha, puis retour chez moi. Je leur fis porter une ou deux bouteilles de vin. Arrivé chez moi, j'ai le déplaisir de trouver ma femme mécontente de sa servante Doll, qui a le tort de ne savoir se taire, mais ne cesse de parler sur un ton courroucé, sans raison pourtant, ni utilité. J'en suis navré et mesure les inconvénients qu'entraîne pour un homme l'avancement de sa fortune, en le contraignant à avoir davantage de domestiques, ce qui est source de désagréments.
            Sir Henry Vane, Lambert et d'autres se sont vu dernièrement transférés soudain de la Tour où ils étaient prisonniers, aux Sorlingues. Mais je ne pense pas qu'il y ait de conspiration, comme on dit, mais seulement un prétexte comme on en inventa souvent autrefois contre les Cavaliers.


                                                                                                         31 Octobre 1661

            Ce matin, Prior de Brampton vint me voir à propos des maisons que je dois lui vendre, mais il me fallut rester au bureau toute la mati née, et ne pus donc lui parler. Après le travail au bureau et le dîner à la maison, je me rendis chez mon frère Tom où je rencontrai Prior. Il exigea de moi un rabais, car il était convenu d'un prix avec mon père pour la maison de Barton. Je lui dis que je ne voulais pas me mêler de ça, mais que j'étais prêt à tout faire pour qu'il en devienne le propriétaire. Sur quoi nous nous quittâmes, allai voir ensuite sir Robert Bernard et, en tant que client, lui demandai ce qu'il pensait de l'affaire entre mon oncle Thomas et nous, à propos de Graveley.  En bref il me dit que nous avions peu d'espoir de recouvrer ce bien et d'échapper au paiement de sa rente, ce qui me désole. Mais qu'il en soit fait selon la volonté de Dieu.
            Ensuite, l'esprit fort préoccupé, chez mon oncle Fenner. Le trouvai à la taverne, il buvait plein de jovialité et de verdeur, en homme qui, je pense, aura tôt fait de reprendre femme. Rentrai chez moi.


                                                                                        à suivre....../
                                                                                                           1er novembre 1661
            J'allai ce matin....../

         

vendredi 6 mai 2016

Ali-Rodolppluhe, ou le Turc par nécessité ( Nouvelle Henry Murger )

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                                           Ali-Rodolphe, ou 
                                                             le  Turc par nécessité

                                                                  ( extrait Scènes de la vie de Bohème )

            Frappé d'ostracisme par un propriétaire inhospitalier, Rodolphe vivait depuis quelque temps plus errant que les nuages, et perfectionnait de son mieux l'art de se coucher sans souper, ou de souper sans se coucher : son cuisinier l'appelait le Hasard, et il logeait fréquemment à l'auberge de la Belle-Étoile.
            Il y avait cependant deux choses qui n'abandonnaient point Rodolphe au milieu de ces pénibles traverses, c'était sa bonne humeur, et le manuscrit du Vengeur, drame qui avait fait des stations dans tous les lieux dramatiques de Paris.
            Un jour, Rodolphe, conduit au violon pour cause de chorégraphie trop macabre, se trouva nez-à-nez avec un oncle à lui, le sieur Monetti, poêlier-fumiste, sergent de la garde-nationale, et que Rodolphe n'avait pas vu depuis une éternité.
            Touché des malheurs de son neveu, l'oncle Monetti promit d'améliorer sa position, et nous allons voir comme, si le lecteur ne s'effraye pas d'une ascension de six étages.
            Donc prenons la rampe et montons. Ouf ! cent vingt cinq marches. Nous voici arrivés. Un pas de plus nous somme dans la chambre, un autre nous n'y serions plus, c'est petit, mais c'est haut ; au reste, bon air et belle vue.
            Le mobilier se compose de plusieurs cheminées à la prussienne, de deux poêles, de fourneaux économiques, quand on n'y fait pas de feu surtout, d'une douzaine de tuyaux en terre rouge ou en tôle, et d'une foule d'appareils de chauffage : citons encore, pour clore l'inventaire, un hamac suspendu à deux clous fichés dans la muraille, une chaise de jardin amputée d'une jambe, un chandelier orné de sa bobèche, et divers autres objets d'art et de fantaisie.
            Quant à la seconde pièce, le balcon, deux cyprès nains mis en pots, la transforment en parc pour la belle saison.                                                                                                    alinek.eklablog.com
Afficher l'image d'origine            Au moment où nous entrons, l'hôte du lieu, jeune homme habillé en Turc d'opéra-comique, achève un repas dans lequel il viole effrontément la loi du prophète, ainsi que l'indique la présence d'un ex-jambonneau et d'une bouteille ci-devant pleine de vin. Son repas terminé, le jeune Turc s'étendit à l'orientale sur le carreau, et se mit à fumer nonchalamment un narguilé marqué J.G. Tout en s'abandonnant à la béatitude asiatique il passait de temps en temps la main sur le dos d'un magnifique chien de Terre-Neuve qui aurait sans doute répondu à ses caresses s'il n'eût été aussi en terre cuite.
            Tout à coup un bruit de pas se fit entendre dans le corridor, et la porte de la chambre s'ouvrit, donnant entrée à un personnage qui, sans mot dire, alla droit à l'un des poêles servant de secrétaire, ouvrit la porte du four et en tira un rouleau de papiers qu'il considéra avec attention.
            - Comment, s'écria le nouveau venu avec un fort accent piémontais, tu n'as pas achevé encore le chapitre des Ventouses ?
            - Permettez mon oncle, répondit le Turc, le chapitre des Ventouses est un des plus intéressants, de votre ouvrage et demande à être étudié avec soin. Je l'étudie.
            - Mais, malheureux, tu me dis toujours la même chose. Et mon chapitre des Calorifères, où en est-il ?                                                          
            - Le calorifère va bien. Mais, à propos, mon oncle, si vous pouviez me donner un peu de bois, cela ne me ferait pas de peine. C'est une petite Sibérie ici. J'ai tellement froid que je ferais tomber thermomètre au-dessous de zéro, rien qu'en le regardant.
            - Comment, tu as déjà consommé un fagot ?
            - Permettez, mon oncle, il y a fagots et fagots, et le votre était bien petit.
            - Je t'enverrai une bûche économique. Ça garde la chaleur.
            - C'est précisément pourquoi ça n'en donne pas.
            - Eh bien ! dit le Piémontais en se retirant, je te ferai monter un petit cotret/ Mais je veux mon chapitre des Calorifères pour demain.
            - Quand j'aurai du feu, ça m'inspirera, dit le Turc, qu'on venait de renfermer à double tour.
            Si nous faisions une tragédie, ce serait ici le moment de faire apparaître le confident. Il s'appellerait Noureddin ou Osman, et d'un air à la fois discret et protecteur il s'avancerait auprès de notre héros, et lui tirerait adroitement les vers du nez à l'aide de ceux-ci :
                                         Quel funeste chagrin vous occupe, seigneur,
                                         A votre auguste front, pourquoi cette pâleur ?
                                         Allah se montre-t-il à vos desseins contraires ?
                                         Ou le farouche Ali, par un ordre sévère,
                                         A-t-il sur d'autres bords, en apprenant vos feux,
                                         Éloigné la beauté qui sut charmer vos yeux ?
xxw.jpg            Mais nous ne faisons pas de tragédie, et, malgré le besoin que nous avons d'un confident, il faut nous en passer.
            Notre héros n'est point ce qu'il paraît être, le turban ne fait pas le Turc. Ce jeune homme est notre ami Rodolphe recueilli par son oncle, pour lequel il rédige actuellement un manuel du Parfait  Fumiste. En effet, M. Monetti, passionné par son art, avait consacré ses jours à la fumisterie. Ce digne Piémontais avait arrangé pour son usage une maxime faisant à peu près pendant à celle de Cicéron, et dans ses beaux moments d'enthousiasme, il s'écriait : " Nascuntur poê...liers. " Un jour, pour l'utilité des races futures, il avait songé à formuler un code théorique des principes d'un art dans la pratique duquel il excellait, et il avait, comme nous l'avons vu, choisi son neveu pour encadrer le fond de ses idées dans la forme qui pût les faire comprendre. Rodolphe était meurtri, logé, couché, etc. et devait à l'achèvement du Manuel, recevoir une gratification de cent écus.
            Dans les premiers jours, pour encourager son neveu au travail, Monetti lui avait généreusement fait une avance de cinquante francs. Mais Rodolphe, qui n'avait point " vu " une pareille somme depuis près d'un an, était sorti à moitié fou, accompagné de ses écus, et il resta trois jours dehors : le quatrième il rentrait seul !
            Monetti, qui avait hâte de voir achever son Manuel, car il comptait obtenir un brevet, craignait de nouvelles escapades de son neveu ; et pour le forcer à travailler, en l'empêchant de sortir, il lui enleva ses vêtements et lui laissa en place le déguisement sous lequel nous l'avons vu tout à l'heure.
            Cependant, le fameux Manuel n'en allait pas moins piano, piano, Rodolphe manquant absolument des cordes nécessaires à ce genre de littérature. L'oncle se vengeait de cette indifférence paresseuse en matière de cheminées, en faisant subir à son neveu une foule de misères. Tantôt il lui abrogeait ses repas, et souvent il le privait de tabac à fumer.
            Un dimanche, après avoir péniblement sué sang et encre sur le fameux chapitre des Ventouses, Rodolphe brisa sa plume qui lui brûlait les doigts, et s'en alla se promener dans son parc.
            Comme pour le narguer et exciter encore son envie, il ne pouvait hasarder un seul regard autour de lui sans apercevoir à toutes les fenêtres une figure de fumeur.
            Au balcon doré d'une maison neuve, un lion en robe de chambre mâchait entre ses dents le panatellas aristocratique. Un étage au-dessus, un artiste chassait devant lui le brouillard odorant d'un tabac levantin qui brûlait dans une pipe à bouquin d'ambre. A la fenêtre d'un estaminet, un gros Allemand faisait mousser la bière et repoussait avec une précision  mécanique les nuages opaques s'échappant d'une pipe de Cudmer. D'un autre côté, des groupes d'ouvriers se rendant aux barrières passaient en chantant, le brûle-gueule aux dents. Enfin tous les autres piétons qui emplissaient la rue fumaient.
            - Hélas ! disait Rodolphe avec envie, excepté moi et les cheminées de mon oncle, tout le monde fume à cette heure dans la création.                                                                     casacenina.fr
Afficher l'image d'origine            Et Rodolphe, le front appuyé sur la barre du balcon, songea combien la vie était amère.
            Tout à coup un éclat de rire sonore et prolongé se fit entendre au-dessous de lui. Rodolphe se pencha un peu en avant pour voir d'où sortait cette fusée de folle joie, et il s'aperçut qu'il avait été aperçu par la locataire occupant l'étage inférieur : mademoiselle Sidonie, jeune première au théâtre du Luxembourg.
            Mademoiselle Sidonie s'avança sur sa terrasse en roulant entre ses doigts, avec une habileté castillane, un petit papier gonflé d'un tabac blond qu'elle tirant d'un sac en velours brodé.
            - Oh ! la belle tabatière, murmura Rodolphe avec une admiration contemplative.
            - Quel est cet Ali-Baba ? pensait de son côté mademoiselle Sidonie.
            Et elle rumina tout bas un prétexte pour engager la conversation avec Rodolphe, qui, de son côté, cherchait à en faire autant.
            - Ah ! mon Dieu ! s'écria mademoiselle Sidonie, comme si elle se parlait à elle-même : Dieu ! que c'est ennuyeux ! je n'ai pas d'allumettes.
            - Mademoiselle, voulez-vous me permettre de vous en offrir ? dit Rodolphe en laissant tomber sur le balcon deux ou trois allumettes chimiques roulées dans du papier.
            - Mille remerciements, répondit Sidonie en allumant sa cigarette.
            - Mon Dieu, Mademoiselle... continua Rodolphe, en échange du léger service que mon bon ange m'a permis de vous rendre, oserais-je vous demander ?...
            - Comment ! il demande déjà ! pensa Sidonie en regardant Rodolphe avec plus d'attention. Ah ! dit-elle, ces Turcs on les dit volages, mais bien agréables. Parlez, Monsieur, fit-elle ensuite en relevant la tête vers Rodolphe : que désirez-vous ?
            - Mon Dieu, Mademoiselle, je vous demanderai la charité d'un peu de tabac ; il y a deux jours que je 'ai fumé. Une pipe seulement...
            - Avec plaisir, Monsieur... Mais comment faire ? Veuillez prendre la peine de descendre un étage.
           - Hélas ! cela ne m'est point possible... Je suis enfermé ; mais il me reste la liberté d'employer un moyen très simple, dit Rodolphe.
            Et il attacha sa pipe à une ficelle, et la laissa glisser jusqu'à la terrasse, où mademoiselle Sidonie la bourra elle-même avec abondance. Rodolphe procéda ensuite avec lenteur et circonspection, à l'ascension de sa pipe qui lui arriva sans encombre.
            - Ah ! Mademoiselle, dit-il à Sidonie, combien cette pipe m'eût semblé meilleure si j'avais pu l'allumer au feu de vos yeux !
            Cette agréable plaisanterie en était au moins à la centième édition, mais mademoiselle Sidonie ne la trouva pas moins superbe.
            - Vous me flattez, crut-elle devoir répondre.
            - Ah ! Mademoiselle, je vous assure que vous me paraissez belle comme les trois Grâces.
Afficher l'image d'origine            - Décidément, Ali-Baba est bien galant, pensa Sidonie... Est-ce que vous êtes vraiment Turc ? demanda-t-elle à Rodolphe.
            - Point par vocation, répondit-il, mais par nécessité ; je suis auteur dramatique, Madame.
            - Et moi artiste, reprit Sidonie.
            Puis elle ajouta  :
            - Monsieur mon voisin, voulez-vous me faire l'honneur de venir dîner et passer la soirée chez moi ?
            - Ah ! Mademoiselle, dit Rodolphe, bien que cette proposition m'ouvre le ciel, il m'est impossible de l'accepter. Comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, je suis enfermé par mon oncle, le sieur Monetti, poêlier-fumiste, dont je suis actuellement le secrétaire.
            - Vous n'en dînerez pas moins avec moi, répliqua Sidonie ; écoutez bien ceci : je vais rentrer dans ma chambre et frapper à mon plafond. A l'endroit où je frapperai, vous regarderez et vous trouverez les traces d'un judas qui existait et a été condamné depuis : trouvez le moyen d'enlever la pièce de bois qui bouche le trou, et, quoique chacun chez nous, nous serons presque ensemble...
            Rodolphe se mit à l'oeuvre sur-le-champ. Après cinq minutes de travail, une communication était établie entre les deux chambres.
            - Ah ! fit Rodolphe, le trou est petit, mais il y aura toujours assez de place pour que je puisse vous passer mon coeur.
            - Maintenant, dit Sidonie, nous allons dîner... Mettez le couvert chez vous, je vais vous passer les plats.
            Rodolphe laissa glisser dans la chambre son turban attaché à une ficelle et le remonta chargé de comestibles, puis le poète et l'artiste se mirent à dîner ensemble, chacun de son côté. Des dents, Rodolphe dévorait le pâté, et des yeux, mademoiselle Sidonie.
            - Hélas ! Mademoiselle, dit Rodolphe, quand ils eurent achevé leur repas, grâce à vous, mon estomac est satisfait. Ne satisferiez-vous pas de même la fringale de mon coeur, qui est à jeun depuis si longtemps ?
            - Pauvre garçon ! dit Sidonie.
           Et, montant sur un meuble, elle apporta jusqu'aux lèvres de Rodolphe sa main, que celui-ci ganta de baisers.
            - Ah ! s'écria le jeune homme, quel malheur que vous ne puissiez faire comme saint Denis, qui avait le droit de porter sa tête dans ses mains.                                    plantes-et-jardins.com 
Afficher l'image d'origine            Après le dîner commença une conversation   amoroso-littéraire. Rodolphe parla du Vengeur, et mademoiselle Sidonie en demanda la lecture. Penché au bord du trou, Rodolphe commença à déclamer son drame à l'actrice, qui, pour être plus à portée, s'était assise dans un fauteuil échafaudé sur sa commode. Mademoiselle Sidonie déclara Le Vengeur un chef-d'oeuvre ; et, comme elle était un peu " maîtresse " au théâtre, elle promit à Rodolphe de lui faire recevoir sa pièce.
            Au moment le plus tendre de l'entretien, l'oncle Monetti fit entendre dans le corridor son pas léger comme celui du " commandeur ". Rodolphe n'eut que le temps de fermer le judas.
            - Tiens, dit Monetti à son neveu, voici une lettre qui court après toi depuis un mois.
            - Voyons, dit Rodolphe. Ah ! mon oncle, s'écria-t-il, mon oncle, je suis riche ! Cette lettre m'annonce que j'ai remporté un prix de trois cents francs à une académie de Jeux Floraux. Vite ma redingote et mes affaires, que j'aille cueillir mes lauriers ! on m'attend au Capitole.
            - Et mon chapitre des Ventouses ? dit Monetti froidement.
            - Eh ! mon oncle, il s'agit bien de cela ! Rendez-moi mes affaires. Je ne peux pas sortir dans cet équipage...
            - Tu ne sortiras que lorsque mon Manuel sera terminé, dit l'oncle en enfermant Rodolphe à double tour.
            Rodolphe ne balança point longtemps sur le parti qu'il avait à prendre... Il attacha solidement à son balcon une couverture transformée en corde à noeuds ; et, malgré le péril de la tentative, il descendit à l'aide de cette échelle improvisée, sur la terrasse de mademoiselle Sidonie.
            - Qui est là ? s'écria celle-ci en entendant Rodolphe frapper à ses carreaux.
            - Silence, répondit-il, ouvrez...
            - Que voulez-vous ? qui êtes-vous ?
            - Pouvez-vous le demander ? Je suis l'auteur du Vengeur, et je viens chercher mon coeur que j'ai laissé tomber dans votre chambre par le judas.
            - Malheureux jeune homme, dit l'actrice, vous auriez pu vous tuer !
            - Ecoutez, Sidonie... continua Rodolphe en montrant la lettre qu'il venait de recevoir. Vous le voyez, la fortune et la gloire me sourient. Que l'amour fasse comme elles !...

           Le lendemain matin, à l'aide d'un déguisement masculin que lui avait fourni Sidonie, Rodolphe pouvait s'échapper de la maison de son oncle... Il courut chez le correspondant de l'académie des Jeux Floraux recevoir une églantine d'or de la force de cent écus, qui vécurent à peu près ce que vivent les roses.
            Un mois après, M. Monetti convié de la part de son neveu, d'assister à la première représentation du Vengeur. Grâce au talent de mademoiselle Sidonie, la pièce eut dix-sept représentations et rapporta quarante francs à son auteur.
            Quelque temps après, c'était dans la belle saison, Rodolphe demeurait avenue de Saint-Cloud, dans le troisième arbre à gauche en sortant du bois de Boulogne, sur la cinquième branche.


                                                                             Henry Murger
                                                                                       ( in Scènes de la Vie de Bohème )

*             

mardi 3 mai 2016

Gloire tardive Arthur Schnitzler ( Roman Autriche )


Gloire tardive

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                                          Gloire tardive

           Sauvée des feux des autodafés nazis six semaines avant, l'oeuvre d'Arthur Schnitzler est conservée dans la bibliothèque de Cambridge. Son ex-épouse et son fils ont découvert et publié de temps à autre certains textes tapuscrits. Cette longue nouvelle ou court roman, délicat portrait d'un homme d'un âge avancé. Edouard Saxberger travaille dans un bureau, vit dans une chambre confortable où il aime retrouver ses aises. Vienne 1884, les cafés viennois accueillent les poètes jeunes qui rêvent de gloire, l'un d'eux, Meier découvre chez un bouquiniste un court volume               " Promenades " l'auteur n'est autre que Saxberger. les poèmes plaisent au jeune écrivain il rend donc visite à Saxberger, le couvre d'éloges et lui demande de se joindre à leur jeune troupe de versificateurs, il serait le bienvenu et son nom ne serait-il pas un appui pour lancer certains d'entre eux ?  Nostalgique, incertain, l'homme accepte et ose un retour vers un monde quitté il y a bien des années. Saurai-il encore sauver quelques rimes de sa mémoire d'homme doux et rangé ? Une comédienne, cabotine joue les coquettes, mais est vêtue d'une malheureuse veste jaune, il pense qu'une présence féminine le réchaufferait mais cette veste jaune ! et les gants jaunes !! Si tous les jeunes poètes l'adulent dans un premier temps, l'ont-ils lu ? Le poète chenu, retourne à la taverne et converse avec plaisir avec des compagnons, de son âge, de billard. Mais ces quelques semaines vont troubler tout le monde, Saxberger lucide et désabusé, pose un oeil pas complaisant sur ses anciennes et ses nouvelles relations si différentes. En fait à chacun sa lecture de ce roman joliment
écrit, démodé, à la saveur douçâtre, élégance des messieurs qui portent chapeaux et pelisses. Inédit.

dimanche 1 mai 2016

Le Fils Jo Nesbo ( Roman Finlande )


Le filsLe fils 
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                                                  Le Fils
            Markus, jeune garçon plutôt malmené par ses camarades d'école et de jeux, sauvé un jour d'été, par un jeune homme que l'on prend pour son père. En fait il n'est que son voisin, Markus habite la maison rouge, Sonny la maison jaune, cette maison inhabitée, où ne passe que rarement un homme étranger au quartier. Markus goûte sa solitude, console sa mère, et surtout ne quitte pas ses jumelles.
Curiosité de l'un bénéfique pour le second.
            Norvège, Oslo, jours d'été à la prison de Staten, la plus surveillée du pays, un prisonnier, le plus passif, le plus poli et aussi le plus muet, tente une évasion quasi impossible, tant la sécurité paraît inattaquable, le jour les prisonniers circulent librement dans leur espace. Prisonnier et junkie Sonny purge une peine depuis douze ans pour entre autres le meurtre d'une jeune asiatique, et d'autres méfaits. On apprend très vite que l'on a fait croire à Sonny que son père était une taupe au sein de la police, retrouvé mort un soir à côté de son arme et d'une lettre pour, écrit-il, sauver sa femme et son fils. Ces derniers sombrent dans l'alcool, ou dans la drogue. Sans moyen Sonny accepte d'endosser les crimes de personnalités riches et connues et reçoit en contrepartie depuis douze ans sa dose d'héroïne en prison. Mais, dans ce roman noir, où le monde des junkies et des dealers, profondément habités par leurs rituels, les taupes peuvent être partout, au sein de la prison, de la police, de la finance, des gouvernants, avec comptes aux îles Caîmans. Il y a dans ce livre bien écrit des méchants vraiment méchants prêts à laisser dévorer par des bêtes affamées et enfermées d'autres hommes. Le Jumeau, brute épaisse, omniscient disent ceux qui le servent, propriétaire de tout le réseau de revente d'héroïne sur Oslo est le premier et le plus cruel des prédateurs et, ayant tout, le pouvoir sur les hommes et l'argent, il s'ennuie et ne peut pourtant que continuer. Les méchants repentis offrent des aveux à qui les entend avant de mourir. Et celui qui a écouté, gentil et muet entreprend une croisade. Vengeance à tous les niveaux. Simon déchu de son poste à la police des finances, il était accroc aux jeux, a ses propres préoccupations, à un niveau inférieur mais avec ses acquis décide de traquer tout le monde en suivant la piste de celui que le public appelle, malgré tous ses meurtres le Bouddha vengeur. De nombreux personnages traversent le roman. il y a même un aquarium avec un poisson rare, et puis des fjords, la mer, le soleil et de fréquentes et fortes averses. Une vie sociale perturbée pour faute de décrochage de vie convenue. Très noir, mais une écriture lisse, l'auteur signale les crimes horribles sans appuyer, ce qui permet une lecture zen. Un livre et des personnages attachants.

samedi 30 avril 2016

Rondeau 38 Rondeau 55 Rondeau 178 Charles d'Orléans ( Poèmes France )

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                                 Rondeau " 38 "

              
  En entendant le tambourin                                                                                    1zoom.me
Résultat de recherche d'images pour "muguet"            Annoncer le départ au mai
            Au lit je suis resté tranquille,
            La tête sur mon oreiller,

            Et me suis dit : " Il est trop tôt,
            Je vais me rendormir un peu ",
            En entendant le tambourin
            Annoncer le départ au mai.

            Aux jeunes leurs parts de butin !
            J'aurai affaire à Nonchaloir
           Pour le partage du profit :
           Je l'ai trouvé tout près de moi
           En entendant le tambourin.
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                                    Rondeau " 55 "

            Allez-vous-en, allez, allez
           Souci, Tracas, Mélancolie :
           Prétendez-vous toute ma vie
           Comme autrefois me régenter ?

            Je vous promets : vous cesserez
            Raison saura vous dominer :
            Allez-vous-en, allez, allez,
           Souci, Tracas, Mélancolie.

           Si jamais vous récidivez,
           Vous, avec votre compagnie,
           Je supplie Dieu de vous maudire
           Et ce par quoi vous reviendrez :
           Allez-vous-en, allez, allez,
           Souci, Tracas, Mélancolie !                                                          niftyfifty-and-the-city.com 
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                                   Rondeau " 178 "

            Ce mois de mai, ni triste ni joyeux
            Je ne peux être ; enfin, vaille que vaille,
            Le mieux pour moi, c'est que rien ne m'importe :
           Plaisir, malheur, il faut m'en satisfaire.

            Je laisse tout filer avec le vent,
            Sans regarder quel bout d'abord s'envole,
            Ce mois de mai ni triste ni joyeux.

            Suivre Inquiétude à la fin se regrette :                                         
            L'occupation ne vaut pas un centime,
            Hasardeuse comme le quitte-ou-double.
            Que pensez-vous de mon comportement,
            Ce mois de mai ni triste ni joyeux ?


                                                              Charles d'Orléans
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                                                                                                                                                                                                                                        Rondel " 38 "
                                                                                                                          Quant j'ay ouy le tabourin
            Sonner pour s'en aler au may,
            En mon lit fait n'en ay effray
            Ne levé mon chef du coissin,

            En disant : " Il est trop matin
            Ung peu je me rendormiray ",
            Quant j'ay ouy le tabourin
            Sonner pour s'en aler au may.

            Jeunes gens partent leur butin  !
            De Nonchaloir m'accointeray,
            A lui je m'abutineray :
            Trouvé l'ay plus prochain voisin,
            Quant j'ay ouy le tabourin.


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                           Rondel " 55 "

            Alez vous ant, allez, alés,
            Soussy, Soing et Merencolie :
            Me cuidez vous toute ma vie
            Gouverner comme fait avés ?

            Je vous prometz que non ferés :
            Raison aura sur vous maistrie.
            Alez vous ant, allez, alés,
            Soussy, Soing et Merancolie :

            Se jamais plus vous retournés
            Avecques vostre compaignie,
            Je pri à Dieu qu'il vous maudie
            Et ce par qui vous revendrés :
            Alez vous ant, allez, alés,
            Soussy, Soing et Merancolie.


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                                      Rondel " 178 "

            Se mois de may, ne joyeux ne dolent
            Estre ne puis ; auffort, vaille que vaille,
            C'est le meilleur que de riens ne me chaille :
            Soit bien ou mal, tenir m'en fault content.

            Je lesse tout courir au val le vent,
            Sans regarder lequel bout devant aille,
            Se mois de may, ne joyeux ne dolent.

            Qui Soussy suyt, au derrain s'en repent :
            C'est ung mestier qui ne vault une maille,
            Aventureux comme le jeu de faille.
            Que vous semble de mon gouvernement,
            Se mois de may, ne joyeux ne dolent.


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