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Journal secret
( extraits )
Pourquoi dit-on qu'un homme " prend " une femme et qu'une femme " se donne ", alors que c'est tout le contraire ?.........
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La vie familiale de mes ancêtres a été assombrie par des jalousies terribles et des cruautés sans nom. De génération en génération cette cruauté a régressé. Mon arrière-grand-père a massacré sa femme, et Grand-père s'est contenté de faire emprisonner la sienne. Mon père ne s'est intéressé qu'à lui-même et ne s'est guère soucié de ma mère. Je fais le dernier pas. Malgré les ragots j'ai une profonde confiance en ma femme. Je boucle le cercle en complet contraste avec mon arrière-grand-père, et c'est moi, non ma femme, qui mourrai d'une mort violente.
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A cause de sa stupidité je ne parlais que de choses simples avec Kern. Je n'étais intéressé que par son corps magnifique. Ce n'est pas ma faute si la majorité des femmes ne peuvent m'attirer qu'avec leur corps. Cependant, de temps à autre, je croise une femme pleine d'émotions et douée d'un esprit raffiné. C'est un plaisir de converser avec une telle femme, surtout après une partie déchaînée. Les rares femmes de cette epèce ne se plaignent jamais du fait que tout ce qui m'intéresse chez elles est leur corps, car elles voient bien que ce n'est pas vrai. Elles sont suffisamment intelligentes pour comprendre qu'une généralisation pareille prête à rire.
Les femmes idiotes se refusent à admettre que l'intimité est une créature indépendante d'elles et que les hommes sont obligés d'avoir affaire à elles uniquement parce qu'elles en sont détentrices. Elles veulent plus que tout s'imposer aux hommes dans leur globalité.
Plus puissant est le désir d'un homme, moins il est capable de faire la différence entre le mot femme et le mot intimité. La seule chose qui puisse lui ouvrir les yeux sur l'existence, chez une femme, de quelque chose en-dehors de son minon est le désir satisfait. C'est pourquoi la femme intelligente se donne à un homme avant toute chose, afin de libérer son imagination de sorte que, rassasié de plaisir il soit enfin en mesure d'apprécier son esprit, son talent, sa gentillesse et toute sa finesse...........
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Le mariage a fait entrer dans ma vie des soucis d'argent sans fin, et ils croissent chaque année, avec chaque nouvel enfant. Cela induit que je suis chaque jour davantage sous l'emprise de gens que je déteste. Et en premier lieu du Tsar. Les usuriers me prêtent de l'argent sur la valeur des bijoux de N., le Tsar quant à lui me prête de l'argent sur la valeur de N. elle-même.
Il veut que N. danse devant lui, autrement il ne peut pas bander pour son épouse. Il pense que s'il me donnait de l'argent ce serait comme si je lui vendais ma femme, alors il me le prête, espérant alléger ma conscience. Nullement ! Je t'aurai après avoir disposé de d'Anthès. En attendant je dois me soumettre. Ma situation va changer, bientôt. " Le Contemporain " me rapportera bientôt de l'argent neuf, bien que je sois très réticent à m'en occuper. Le souhait de me défaire de l'emprise de l'argent m'oblige à entreprendre des affaires qui me déplaisent et à devenir dépendant du succès d'une activité qui m'est étrangère. Je dois me transformer en négociant, marchander avec Vyazemsky cent roubles de plus pour les meubles, vendre la fichue statue de Catherine au malin Myatlev. Je suis obligé de prendre en charge la gestion d'un patrimoine désespérément amoindri, et à passer un temps précieux avec des gribouilleurs dépourvus de talent qui rêvent de voir leurs noms imprimés. Je dois admettre que rien de tout cela ne rencontre le succès, car il ne peut y avoir de succès dans un travail que l'on déteste. Vous devez aimer ce que vous faîtes comme vous aimez une femme, même une chose sans valeur semblera ainsi importante et votre enthousiasme vous apportera bonheur et succès. L'amour donne une signification à tout ce que vous faîtes en son nom, et il vous récompense en vous rendant indépendant de tout ce qui lui est extérieur.
Je dois dire que, pour que je sois heureux, il suffit que des intimités défilent rapidement devant moi et que je puisse écrire dans mon bureau dans l'attente impatiente de la suivante.
L'absence d'argent m'irrite mais est incapable de me rendre malheureux. Je croyais avant qu'il n'y avait rien qu'on ne puisse apprendre, et je me suis assidûment mis à réfléchir à des moyens d'obtenir de l'argent. Puis j'ai compris que c'est comme la poésie qui ne peut pas être apprise. Il faut avoir talent et inspiration. Je sais maintenant que je ne gagnerai jamais assez d'argent avec ma littérature et que l'échec me guette sur les autres chemins, car je n'ai guère de talent pour m'enrichir. Je n'ai pas de parents riches qui me laisseraient un héritage, alors je ne vois rien de consolant pour l'avenir. Tôt ou tard le Tsar annulera mes dettes et je devrai y consentir, car la somme sera si importante que l'augmenter encore tiendrait tout simplement de l'indécence.
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Ma belle-mère a envoyé mille roubles pour la naissance de Sashka. Si N. pouvait pondre les enfants aussi vite que font les chats, nous aurions un joli revenu............. Je déteste l'usure mais elle se répand partout où on fait de l'argent. Je ne peux pas, je suis incapable d'être un profiteur ! Ma tête devrait être libre pour mon écriture..........
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Plus N. a du succès en société, plus les femmes me sollicitent. Elles sont flattées de se soumettre à moi, cela les enorgueillit de voir que je les préfère à une beauté irréprochable telle que ma femme. Elles commencent à se croire plus belles et plus irrésistibles qu'elles ne le sont vraiment.
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Soudain j'ai de le peine pour d'Anthès que je dois tuer. Il n'est rien d'autre qu'un fainéant gâté aux ordres d'un vieillard sale et dégoûtant. Je ne peux pas reprocher à d'Anthès sa passion pour N., au contraire, je lui envie cette passion que je n'ai plus.
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La maladie de ma mère m'a rapproché d'elle après que la vie nous a séparés. La mort proche nous a réunis.
Mère acceptait mal la vieillesse et souffrait d'avoir perdu sa beauté d'antan. Je m'asseyais auprès d'elle, alitée et mourante et me laissais aller à des souvenir. Le passé était merveilleux mais désespérément évanoui. Je me rappelais ma soif constante de la tendresse de ma mère. Je voulais me blottir contre elle pour être embrassé et enlacé, mais elle m'évitait. Elle ne m'aimait pas, elle aimait
Lyovushka ( son frère ).
Je me souviens de moi à peu près à l'âge de trois ans fonçant dans sa chambre et voyant Mère couchée sur le lit. Elle était nue, allongée sur le dos, les bras derrière la tête. Elle regardait par la fenêtre, elle a lentement tourné les yeux vers moi, puis s'est retournée vers la fenêtre. Mes yeux étaient rivés, contre ma volonté, sur les cheveux noirs au centre de son corps blanc. Cette vision m'a marqué au fer rouge et je suis sorti de la chambre ventre à terre. Maintenant encore j'ai cette vision qui revient. pinterest.fr
Mère est revenue à elle et m'a dit, souriant à travers ses larmes :
- " Quand enfin je m'habitue à la vieillesse, il est temps de mourir.
Elle s'est éteinte et j'ai eu le temps de lui chuchoter que nous nous retrouverions bientôt. La mort la terrifiait et je voulais la consoler avec cette profonde conviction personnelle. Ses yeux ont scintillés d'espoir, comme si je lui avais promis qu'elle guérirait.
Elles est morte et j'ai senti une partie de moi mourir avec elle. La Mère qui nous donne la vie l'emporte avec elle en mourant. La petite portion de vie restante ne fait qu'attendre l'occasion d'en finir pour que votre âme puisse rejoindre celle de votre Mère. Mère m'a préservé de la mort, mais quand elle est décédée elle m'a laissé seul face à elle.
Une fois, alors que mère ne pouvait déjà plus se lever, j'ai trouvé mon père en sanglots à son chevet. Ce spectacle déchirant m'a retourné le coeur. Je me suis précipité vers Père, serrant ses épaules et embrassant sa tête. Toute mon irritation à son égard avait disparu devant son impuissance et sa faiblesse. Je peux facilement être en colère contre une personne forte ou contre une personne prétendant l'être, mais quand je vois un homme en pleurs, la pitié pour lui l'emporte sur tous les autres sentiments. En plus de cela c'était mon père.
J'ai versé des larmes à cause de l'amertume que j'avais toujours ressentie à son égard. J'ai pardonné et j'ai oublié son avarice, son égoïsme et son entêtement. Mère a tendu la main, Père l'a prise dans la sienne et je les ai recouvertes toutes deux de la mienne. Nous avons à cet instant une unité perdue à cause de notre intolérance et surtout de la mienne. Nous avons pleuré tous trois à l'approche de la mort, de la solitude et de l'horreur de l'inéluctable. J'ai retrouvé ma mère et mon père mais, hélas, pas pour longtemps.
Seulement alors s'est révélé à moi le commandement concernant l'amour des parents. Ils sont la cause de mon existence, et si je ne les aime pas, je ne puis m'aimer moi-même. Cependant, pour être en paix avec soi-même, on doit s'aimer soi-même. Mais on ne peut pas aimer la conséquence et détester la cause. Haïr ses parents signifie haïr la vie qu'ils vous ont apportée.
Il est insupportable de voir ses parents vieux et en larmes alors que vous êtes impuissant à soulager leurs souffrances. Désormais il aura beau être difficile à vivre, je verrai toujours les épaules de mon père secouées de sanglots.
Quand j'ai accompagné le cercueil de ma mère à l'Abbaye Svyatogorsky ( 1836 ) je savais que j'allais à mon propre enterrement. Cette conviction ne m'a pas quitté une seule minute. Les mottes de terre tombant sur le cercueil résonnaient comme de douloureux battements de coeur. J'ai levé les yeux vers le ciel bleu et senti le regard de ma mère posé sur moi. Je lui ai souri et j'ai chuchoté : " je te verrai bientôt "
Il me paraît tout à fait évident que les âmes des enfants et des parents flottent ensemble dans une autre vie. Mon âme épousera l'âme de ma mère et son âme épousera celle de sa mère et ainsi de suite jusqu'à Adam et Eve. Les âmes d'Adam et Eve ont épousé la bonté de Dieu qui porte en elle les âmes de toutes les générations à venir. Je vois Dieu comme une grenouille, sa longue langue étant la totalité de l'histoire humaine. La langue s'élance pendant un instant ( pour attraper une mouche ? ) et puis hésite. Pourquoi nous a-t-on envoyés sur Terre ? Est-ce pour baiser comme des grenouilles ?
Je n'ai plus aucun doute quant au but de la vie lorsque la Muse ou Vénus me rendent visite. Mais leurs visites sont brèves et, une fois qu'elles m'ont quitté les souffrances m'enveloppent et je ne puis même trouver la réponse à une question des plus simples : comment vivre ? Ma vie devient trop complexe, tous les fils de mes méfaits se sont emmêlés et je ne peux plus les défaire. Mais je ne peux pas vivre ainsi, alors je dois les couper.
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Même un homme jaloux prend un plaisir sans fin avec une très belle maîtresse. Mais une très belle épouse apporte, elle, une angoisse sans limites à son mari. Le plaisir s'émousse vite et la possession de la beauté ne fait que flatter votre vanité.
Les hommes de votre entourage déversent salive et semence pour goûter l'intimité de votre femme et la suivent comme une meute derrière une chienne en chaleur. Le lot du mari est de devoir s'éreinter à protéger sa femme des pièges et la prévenir des tentations, protégeant son honneur à elle et son nom à lui. Plus la femme est belle, plus le mari devient la risée de tous si elle lui est infidèle. Plus les gens la regardent, plus les hommes attendent avec impatience leur tour. N'est-ce pas un prix trop élevé à payer pour la possession d'une beauté qui ne vous excite plus ?
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.................... Une fois je lui a raconté un de mes fantasmes et elle a répondu d'une voix rêveuse :
- " C'est bien Pouchkine que je ne puisse lire dans tes pensées et que tu ne puisses lire dans les miennes ".
En tant que mari j'ai senti mon incapacité à empêcher l'adultère mental de ma femme. Si je ne puis l'obliger à m'aimer, je veux du moins obtenir le pouvoir de la contrôler avec l'aide du mesmérisme et induire en elle les sentiments que je veux. Ici, une fois de plus, il me faut une force interne et une concentration que je n'ai jamais eues.
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De ma vie entière je n'ai pu trouver suffisamment de force pour tuer un homme. Au cours de tous mes duels j'ai laissé mes adversaires tirer les premiers et je refusais ensuite de tirer ou tirais vers le ciel. Je croyais que Dieu me gardait et je lui confiais ma vie. Les balles m'ont épargné.
S'il était possible d'organiser un duel immédiatement après le défi, tout serait différent. Autrement, arrivé le moment du duel, ma colère s'est toujours dissipée et le combat n'a jamais eu l'air d'une vengeance pour une offense mais seulement d'une plaisanterie hasardeuse. Bien que je comprenne du point de vue intellectuel qu'il vous faut tuer votre ennemi sans quoi c'est lui qui s'en charge, mon coeur ne m'a jamais laissé aller jusqu'au bout. Il y a toujours de la fougue dans une bataille, vous êtes emporté par la rapidité du mouvement et vous tirez dans le vif du moment.
Un duel c'est un enterrement froid, artificiel, avec des règles et des conditions qui irritent l'esprit mais pas les sentiments. Se battre en duel est d'un sang-froid insupportable.........
.......... L'extase du sentiment de vie après un duel est si puissante que, pendant mes périodes de dépression, je pense à une telle provocation comme à un remède auquel il ne serait pas désagréable de recourir..........
Personne n'a autant dérangé ma vie que d'Anthès. Il est maintenant impossible de penser à une éventuelle réconciliation. L'un de nous doit mourir................
Si seulement j'avais tué quelqu'un auparavant je me sentirais beaucoup plus confiant. Dans le même temps je sais que si je tue un homme ma vie ne sera plus pareille...........
Dans " Onéguine " j'ai osé tuer Lemsky et accomplir au travers d'un poème ce à quoi je n'arriverai jamais ma vie durant.
Les conditions du combat avec d'Anthès doivent être sans merci et cela devrait me forcer à
tirer le coup fatal.
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Pour posséder de l'argent il vous faut l'aimer, mais moi je ne fais que le respecter pour son pouvoir. Il le sait bien et refuse de venir dans mes mains. J'aime les femmes et en retour elles m'aiment. J'aime la poésie et la Muse est folle de moi. J'aime une partie de cartes, cela m'apporte du plaisir même si je perds. Il y a même un certain plaisir à perdre, cela fait partie du jeu. Il n'y a par conséquent aucune injustice lorsque je perds : l'argent ne veut pas toujours venir à moi, ce qui n'empêche pas mon jeu favori de m'apporter de la joie. Pensée bénie.
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Lisant Sade je comprends la source de sa perversion, que vous pourriez traiter à son commencement comme vous traiteriez un lionceau. Mais Dieu vous garde qu'il grandisse et de croire ensuite que le lion est sans danger, simplement parce que vous l'avez connu jeune !.....................
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Dans le Caucase je me rendais souvent au bord d'un précipice montagneux et j'ai compris un jour que je ressentais un désir de plus en plus violent de m'y jeter. Je ne voulais pas mourir, j'étais heureux mais quelque chose me poussait certainement à sauter le pas fatal. Jusqu'où je pouvais faire confiance à cette partie de moi-même qui ne voulait pas me voir franchir ce pas ? D'où vient cette partie de moi qui souhaite ma propre mort ? Peut-être que la vision d'un abîme est si merveilleuse et la sensation de la descente tellement excitante que cette autre partie de moi oublie simplement l'inéluctabilité de la mort, emportée par la beauté pure de la nature. Je suis poussé à sauter dans l'abîme, non par désir de mourir mais par un total oubli de ce que cela représente....................
Je n'ai pas une volonté claire de mourir mais je me comporte comme si je réclamais la mort de toutes mes tripes...............
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Je n'ose montrer ce journal à qui que ce soit, pas même à Naschokine. Même le meilleur ami ne peut accepter une âme complètement exposée.
Je ne ai moi-même pas assez de tripes pour relire ce que j'ai écrit, peur trop forte de mes abîmes. Je suis si tenté de tout jeter au feu. Mais j'ai déjà fait preuve d'un pareil manque de tempérament en brûlant mes notes. Je craignais alors la prison, à présent je crains Dieu. Il a envoyé son " ange ", d'Anthès qui a vraiment la beauté d'un ange, pour me punir. Je commence à me répéter. Quoi que je puisse raconter, j'en reviens à lui.
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Aujourd'hui je me suis reposé avec Zizi, je ne voulais pas voir N. du tout. Mon indifférence à son égard affaiblirait ma décision de me battre. Il se pourrait que je mette ma vie en jeu au nom de la pérennité de ma vie de famille pleine de soucis n'est pas très excitante, et non au nom des passions libres auxquelles j'ai voué mon existence.......................
FIN
Alexandre S. Pouchkine
Note de l'éditeur en fin de volume
Pouchkine fut fatalement blessé à l'estomac par d'!Anthès qui tira le premier. Pouchkine rassembla ses dernières forces et tira. La balle ricocha sur un bouton métallique de l'uniforme de d'Anthès, ce qui lui sauva la vie. D'après la rumeur le Tsar avait envoyé ses gardes pour arrêter le duel mais ils furent intentionnellement dirigés au mauvais endroit. Après la mort de Pouchkine d'Anthès fut mis aux arrêts, destitué et expulsé de Russie. Il partit avec sa femme pour la France où ils vécurent jusqu'à leur mort. D'Anthès sera sénateur sous le second Empire. La veuve de Pouchkine porta son deuil pendant deux ans et se remaria en 1844.