samedi 19 mars 2016

La voie des morts Neely Tucker ( Roman policier EtatsUnis )



                                     La voie des morts

            Il y avait Noel, Léna, Sarah et les autres, et il y a Sully, journaleux, selon son expression, baroudeur il a couvert des guerres d'où il a ramené un genou blessé et des cicatrices sur le visage.
Alors que la police ignore certains faits, notamment la proximité des lieux de disparition, Princeton Place, Sully parcourt, toujours en moto, Georgia avenue, et découvre les maisons misérables de tout un peuple de sans-papiers hispaniques ou noirs. Mais à Washington le juge siège dans un bâtiment face au tribunal, et le juge et le journaliste ont un différend grave. Que dévoilera le journaliste dans les colonnes du Washington P, Dans ce tribunal trois jeunes hommes seront présentés accusés du meurtre de l'une des jeunes filles. Le lecteur apprend la rencontre entre la victime et les " peut-être " meurtriers. Mais l'enquête de Sully va permettre à l'auteur de nous faire circuler dans les bas-fonds de la capitale, où crack et drogues font des ravages alors que quelques jeunes femmes jamaïcaines, sud américaines, dansent dans des boîtes pour payer leurs études. Le meurtre de la fille d'un juge de l'administration américaine secouera-t-il les policiers, empêtrés entre inertie et indifférence due à l'origine des disparues. L'atmosphère, la sympathique silhouette de Sully Carter, les tensions au journal, la fonction du rédacteur en chef, petits accrochages entre confrères. Le lecteur reste attaché tout au long du livre, bien menée l'histoire dans un milieu que l'auteur connaît bien, il est journaliste.


mardi 15 mars 2016

Conte de Noël Alphonse Allais ( Nouvelle France )

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maxisciences.com


                                                 Conte de Noël

            Ce matin-là il n'y eut qu'un cri dans tout le Paradis :
            - Le Bon Dieu est mal luné aujourd'hui. Malheur à celui qui contrarierait ses desseins.
            L'impression générale était juste : le Créateur n'était pas à prendre avec des pincettes.
            A l'archange qui vint se mettre à Sa disposition pour le service de la journée, Il répondit sèchement :
            - Zut ! fichez-Moi la paix !
            Puis, Il passa nerveusement Sa main dans Sa barbe blanche, S'affaissa, plutôt qu'Il ne S'assit, sur Son trône d'or, frappa la nue d'un pied rageur et S'écria :
            - Ah ! j'en ai assez de ces humains ridicules et de leur sempiternel Noël, et de leurs sales gosses avec leurs godillots dans la cheminée. Cette année ils auront... la peau !
            Il fallait que le Père Eternel fût fort en colère pour employer cette triviale expression, Lui d'ordinaire si bien élevé.                                                                          thisispaddington.com 
Afficher l'image d'origine            - Envoyez-moi le bonhomme Noël, tout de suite ! ajouta-t-Il.          
            Et comme personne ne bougeait :                                                   
            - Eh bien ! vous autres, ajouta Dieu, qu'est-ce que vous attendez ? Vous, Paddy,vieux poivrot, allez me quérir le bonhomme Noël !
            * Celui que le Tout-Puissant appelle famillièrement Paddy, n'est autre que Saint Patrick, le patron des Irlandais. * 
            Et l'on entendit à la cantonnade :
            - Allo ! Santa Claus ! Come along, old chappie !
           Le Bon Dieu redoubla de fureur :
           - Ce pochard de Paddy se croit encore à Dublin, sans doute ! Il ne doit cependant pas ignorer que J'ai interdit l'usage de la langue anglaise dans tout le séjour des Bienheureux !
            Le bonhomme Noël se présenta :
            - Ah ! te voilà, toi !
            - Mais oui, Seigneur !
            - Eh bien ! tu Me feras le plaisir, cette nuit, de ne pas bouger du ciel...
            - Cette nuit, Seigneur ? Mais Notre-Seigneur n'y pense pas !... C'est cette nuit... Noël !
            - Précisément ! précisément ! fit Dieu en imitant à s'y méprendre, l'accent de Raoul Ponchon.
            - Et moi qui ai fait toutes mes petites provisions !...
            - Le Royaume des Cieux est assez riche pour n'être point à la merci de ses plus vieux clients. Et puis... pour ce que ça nous rapporte ;
            - Le fait est !
            - Ces gens-là n'ont même pas la reconnaissance du polichinelle... Je fais un pari qu'il y aura plus de monde, cette nuit, au Chat Noir qu'à Notre Dame-de-Lorette. Veux-tu parier ?
            - Mon Dieu, Vous ne m'en voudrez pas, mais parier avec Vous, la Source de tous les Tuyaux, serait faire métier de dupe.
            - Tu as raison, sourit le Seigneur.
            - Alors, c'est sérieux ? insista le bonhomme Noël.
Résultat de recherche d'images pour "santa claus"    *        - Tout ce qu'il y a de plus sérieux. Tu feras porter tes provisions de joujoux aux enfants des Limbes. En voilà qui sont autrement intéressants que les fils des Hommes. Pauvres gosses !
            Un visible mécontentement se peignait sur la physionomie des anges, des saints et autres habitants du céleste séjour.
            Dieu s'en aperçut.
            - Ah ! On se permet de ronchonner ! Eh bien ! mon petit père Noël, je vais corser Mon programme ! Tu vas descendre sur terre cette nuit, et non seulement tu ne leur ficheras rien dans leurs ripatons, mais encore tu leur barboteras lesdits ripatons, et Je me gaudis d'avance au spectacle de ces imbéciles contemplant demain matin leurs âtres veufs de chaussures.
            - Mais... les pauvres... Les pauvres aussi ? Il me faudra enlever les pauvres petits souliers des pauvres petits pauvres ?
            - Ah ! ne pleurniche pas, toi ! " Les pauvres petits pauvres ! " Ah ! ils sont chouettes, les pauvres petits pauvres ! Voulez-vous savoir Mon avis sur les victimes de l'Humanité Terrestre ? Eh bien ! Ils Me dégoûtent encore plus que les riches !... Quoi ! voilà des milliers et des milliers de robustes prolétaires qui, depuis des siècles, se laissent exploiter docilement par une minorité de fripouilles féodales, capitalistes ou pioupioutesques ! Et c'est à Moi qu'ils s'en prennent de leurs détresses ! Je vais vous le dire franchement ; si J'avais été le petit Henry, ce n'est pas au café Terminus que J'aurais jeté Ma bombe, mais chez un mastroquet du faubourg Antoine !
            Dans un coin, saint Louis et sainte Elisabeth de Hongrie se regardaient, atterrés de ces propos:
            - Et penser, remarqua saint Louis, qu'il n'y a pas deux mille ans, Il disait : " Obéissez aux rois de la terre ! " Où allons-nous ? Le voilà qui tourne à l'anarchie !                       

Afficher l'image d'origine            Le Grand Architecte de l'Univers avait parlé d'un ton si sec que le bonhomme Noël se le tint pour dit.
           Dans la nuit qui suivit, il visita toutes les cheminées du globe et recueillit soigneusement les petites chaussures qui les garnissaient.
            Vous pensez bien qu'il ne songea même pas à remonter au ciel cette vertigineuse collection. Il la céda, pour une petite somme destinée à grossir le denier de Saint-Pierre, à des messieurs fort aimables, et voilà comment a pu s'ouvrir, hier, à des prix qui défient toute concurrence, 739  rue du Temple, la splendide maison : " AU BONHOMME NOËL 
                                     Spécialiste de chaussures d'occasion en tous genres
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                                                                                     Alphonse Allais


vendredi 11 mars 2016

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 53 ( Samuel Pepys Angleterre )





greatthoughtstreasury.com

                                                                                                                       16 août 1661

            Au bureau toute la matinée quoique peu de choses à faire car tous nos commis sont partis aux funérailles de Thomas Whitton, l'un des commis de la Marine, jeune fort intelligent et apparemment aussi assuré de vivre qu'aucun autre commis du bureau. Mais l'heure est à la maladie dans la Cité, comme partout en province, du fait d'une espèce de fièvre, comme on en a quasiment jamais connue, sauf en période d'épidémie.
            En furent victimes notamment Thomas Fuller ( écrivain ) et le Dr Nicholas doyen de Saint-Paul. Le général Monck est très gravement atteint.
            Dîner gaiement chez moi, avec les enfants et mon père. Nous partîmes ensuite tous deux vaquer à nos affaires. Allâmes chercher le Dr John Williams, le trouvâmes dans une taverne où nous restâmes jusqu'à 9 heures passées, dans Shoe Lane, parler de notre affaire de la campagne. Et je le trouve si bien au fait des affaires de Graveley qu'il me sera, je pense, d'une grande utilité. Rentré chez moi avec un flambeau. Ma tante Fenner serait, me dit-on, mourante.


                                                                                                                         17 août
                                                                                                                  
Afficher l'image d'origine            Au Sceau Privé où nous fîmes séance ce matin. Rencontrai Ned Pickering. Nous nous promenâmes dans le parc de St James, où je n'étais pas venu depuis longtemps. Je remarque de grandes transformations. Au cours de notre conversation il mit beaucoup d'ardeur à vilipender la licence et l'indigence de la Cour. Chose que je déplore et qui, j'en ai peur, nous conduira de nouveau au désastre. A la Garde-Robe, pour dîner et ensuite à l'Opéra avec le capitaine Ferrer, où je vis une nouvelle fois Les Beaux Esprits, pièce qui me plaît infiniment. Dans l'assistance se trouvaient la reine de Bohême   accompagnée de milord Craven.
            Nous sommes depuis longtemps très en peine d'un vaisseau que je fis partir il y a un mois environ pour King's Lynn avec des affaires de milord, et n'en avions jusqu'à présent aucune nouvelle. On nous apprend toutefois aujourd'hui qu'il fait relâche à Solebay, mais à quelle fin je l'ignore.


                                                                                                                        18 août
                                                                                                        Jour du Seigneur
             A notre église le matin, rentré dîner avec mon père et le Dr Thomas Pepys. Fûmes fort gais. Emmenai ensuite ma femme et Mr Sidney chez milady pour voir milord Hinchingbrooke, maintenant à peu près rétabli, il s'assoit dans son lit et se promène dans sa chambre.
            Allai à Whitehall où j'apprends que le général Monck est encore très mal. J'allai ensuite chez la " belle " Pearse, restai un moment, puis me promenai dans le parc de St James où je vis grande quantité d'oiseaux, plus que je n'en avais jamais vus. Retour chez moi.
             Le soir commençai la lecture de La Politique ecclésiastique de Hooker que Mr Moore m'offrit mercredi et qui est somptueusement relié. Je le lirai avec grande application et affection pour l'amour de lui.
             Souper et au lit.


                                                                                                                        19 août

            Au bureau toute la matinée. A midi milady Sandwich fait chercher ses enfants pour dîner. Ma femme les accompagne en voiture et se rend chez mon père où elle dîne, et de là avec père et mère, rend visite à Mrs Cordery qui les invite avant le départ de mon père pour la campagne. Je devais me joindre à eux mais on m'appelle au Sceau Privé. Je trouve un document de milord le chancelier auquel il faut mettre le sceau cet après-midi et je suis contraint de me rendre au palais de Worcester où plusieurs lords sont réunis en conseil cet après-midi. Tandis que j'attendais voici qu'entre le roi, vêtu d'un simple habit de cavalier, avec une toque en velours, ce qui faisait de lui un homme ordinaire, pour qui ne l'aurait pas reconnu. J'attendis jusqu'au moment où j'appris que milord le garde du Sceau privé n'avait pas le sceau sur lui. Mr Moore et moi louâmes une voiture et nous rendîmes à Chelsea. Nous nous arrêtâmes dans une taverne et bûmes en attendant que milord le garde du Sceau privé revint chez lui.. Nous nous rendîmes auprès de lui, examinâmes le document, apposâmes le sceau, puis repartîmes. Mais, voulant reprendre notre voiture nous la trouvâmes partie et fûmes donc contraints de retourner chez nous à pied, ce qui nous économisa de l'argent.
            Nous rencontrâmes un quidam qui nous suivit. Arrivé sous des arbres, près du quartier des maraîchers, il se mit à siffler, ce qui éveilla nos soupçons. Mais c'est Mr Marsh, le luthiste, et sa femme qui lui répondirent. Nous allâmes donc de concert à pied jusqu'à Westminster, après une halte pour boire, à mes dépens. Eûmes de lui une chanson, mais il a complètement perdu la voix.
Afficher l'image d'origine            Rentrai à pied chez moi, apprends que milady retient les enfants chez elle et ne les laisse plus revenir ici pour le moment, ce qui me chagrine un peu, car je perds leur compagnie. Aujourd'hui mort de ma tante Fenner.

ailes-dornement.com

                                                                                                                         20 août

            Au bureau le matin. Et tout l'après-midi chez moi pour ranger des papiers. Revînmes aujourd'hui à une sorte d'accord avec sir Richard Ford au sujet de sa maison que nous annexerons au bureau pour agrandir nos locaux.


                                                                                                                             21 août 1661

            Ce matin chez mon père et après une boisson du matin nous nous rendîmes chez le Dr Williams. Mais il était absen , nous allâmes voir Mrs Terry, une des filles de Mr Weathley qui a récemment proposé de d'accorder sa soeur en mariage à mon frère Tom. Nous en discutâmes et convînmes d'aller parler à sa mère cet après-midi. Allés entre temps chez William Joyce, puis dans une taverne où nous avons passé un long moment à boire, lui furieux que son beau-père Fenner ne veuille leur donner plus à lui et son frère, pour le deuil, que leur père ne lui avait donné à lui, Fenner, et ma tante à la mort de leur mère. Un homme à histoires, c'est toujours ainsi qu'il m'apparaît, sa compagnie m'est toujours aussi pesante.
            Vers 2 heures chez Mrs Weathley mais, comme elle partait dîner, nous nous rendîmes à Whitehall, où nous restâmes jusqu'à 8 heures passées. J'apprends de Mr Moore que milady Sandwich a accouché d'une petite fille et qu'elle se porte fort bien.                            
            Retour chez Mrs Weathley et bien reçus, désireuse de pousser l'affaire, craint seulement que sa fille ne soit trop jeune et sa dot insuffisante. Offre toutefois 200 livres comptant avec sa main. La fille, une vraie enfant, est fort jolie, mais réservée, et sera, je crois, fort bien pour mon frère. Nous nous séparâmes en attendant l'avis de son mari qui se trouve à Hatfield. Mais je les vois fort intéressés par l'affaire, et moi aussi.
            Retour ensuite chez mon père puis à la Garde-Robe où je soupai avec les jeunes demoiselles qui m'apprennent que leur mère va bien, ainsi que l'enfant. Rentré chez moi.

                                                                                                               
                                                                                                                         22 aoùut

            Au Sceau privé où j'apposai le sceau. Retour chez moi à midi, accompagnai ma femme chez l'oncle Fenner où se pressait une nombreuse compagnie, tant chez lui que dans la maison du tribunal. Mais piètre réception, ce qui me surprend. Si chaud dans la maison que mon oncle Wight, mon père et moi fûmes obligés de sortir et de nous arrêter un moment dans une taverne pour nous rafraîchir. Retour ensuite puis à l'église. Toute la famille de mon père portait le deuil, pour son plus grand honneur, les gens pensaient qu'il avait pris tous les frais de notre deuil à sa charge. A l'église jusqu'à la fin du sermon. Ensuite chez ma tante Wight avec ma femme et Pall, en voiture. Restâmes souper d'un jambon de Westphalie. Retour à la maison et au lit.


                                                                                                                      23 août 1661

            Ce matin chez mon père en querelle avec ma mère, ce qui me fait beaucoup de peine. Elle est vraiment devenue très sotte et tracassière. Allai avec lui chez le Dr Williams avec qui nous parlâmes longtemps. De là chez Tom Trice puis dans une taverne proche où nous restâmes à parler, le trouvant bien disposé. Nous examinâmes le testament de mon oncle devant lui et le Dr Williams et leur fîmes signer la copie. Donnâmes à Tom Trice l'original pour la validation. Il nous emmena alors, mon père et moi, devant l'un des juges de la cou. Nous prêtâmes serment. Retour à la taverne où nous bûmes avant de nous séparer.
            Le Dr Williams et moi chez un rôtisseur, mangeons un morceau de mouton puis partons, moi chez William Joyce où je retrouvai ma femme. Je l'emmenai à l'Opéra et lui fis voir Les Beaux Esprits, que j'ai déjà vu deux fois. En fut charmée.
            A la Garde-Robe avec ma femme pour voir milady, puis chez nous.


                                                                                                                      24 août
20minutes.com
Afficher l'image d'origine            Au bureau le matin travaillai. On nous appela bientôt chez sir William Batten pour voir l'étrange créature que le capitaine Holmes a rapportée de Guinée. C'est un grand babouin, presque en tous points si semblable à l'homme que, bien que l'on dise qu'il appartient à une espèce particulière, je ne puis m'empêcher de penser qu'il s'agit d'un monstre né de l'accouplement d'un homme et d'une babouine. Je crois qu'il comprend déjà bien l'anglais et m'est avis qu'on pourrait lui apprendre à parler et à s'exprimer par signes. Allai ensuite avec le contrôleur de la Marine chez Mr Richard Ford et visitâmes de nouveau la maison. Avons abouti à un accord définitif avec promesse de lui donner 200 livres par an pour la maison.
            Rentrai chez moi, rencontrai le capitaine Isham venu me faire ses adieux. Il est sur le point de partir pour le Portugal et me demande mes lettres pour milord, qui ne sont pas prêtes. Mais je l'emmenai à la Mitre et lui offris un verre de xéres, puis adieu. Après cette visite allai directement à l'Opéra où je vis Hamlet prince de Danemark très joliment représenté avec des décors. Le plus remarquable, Betterton dans le rôle du prince, mieux que tout ce qui peut s'imaginer.
            Repris ensuite le chemin de la maison et rencontrai Mr Spong que j'emmenai au Samson dans l'enclos de Saint-Paul. Restâmes tard. La pluie tombait dru et il fallut rentrer mouillé à la maison. Puis au lit.


                                                                                                                          25 août
                                                                                                        Jour du Seigneur
            A l'église le matin, dînai à la maison fort agréablement en tête-à-tête avec ma femme, retour avec elle à l'église où Mr Mills nous fit un sermon fort bon et mordant sur la nécessité du rétablissement de toutes choses.
            Rentré chez moi. Milady Batten et sa fille, je le vois bien, lancent à ma femme des regards peu amènes, parce qu'elle ne leur montre aucune soumission ni ne cherche à les fréquenter, ce qui ne me contrarie pas le moins du monde.                                                                  
            Mon père arrive peu après. Il a décidé de partir demain pour la campagne. Tous deux au cours de la conversation en vînmes à parler de Pall que nous fîmes monter près de nous. Je lui dis, furieux, devant mon père, que je ne voulais la garder plus longtemps, et mon père qu'il ne voulait plus avoir à faire à elle. Après que nous lui eûmes rabattu sa morgue, je finis par convaincre mon père de la laisser les accompagner, ma mère et lui, à la campagne et y rester quelque temps pour voir comment elle se comportera.. Tous deux ensuite chez mon oncle Wight. Nous soupâmes et mon père lui fit ses adieux. Nous allâmes jusqu'à Saint-Paul où nous nous séparâmes. Rentré chez moi l'esprit quelque peu soulagé d'en avoir fini avec Pall, qui me tracasse prodigieusement
                                                                                                                                                                                                                                        28 août

            Ce matin, avant de sortir, je réglai mes comptes avec Jane, ma servante depuis trois ans aujourd'hui et doit partir ce jour-même à la campagne chez sa mère. La pauvre fille était en larmes et c'est tout juste si je pus retenir les miennes à la pensée de son départ car, bien que la venue de Pall l'ait rendue paresseuse et l'ait gâtée, je n'aurai de ma vie servante qui nous donne en tout plus de satisfaction et soit plus dénuée de malice. Je lui payai donc ses gages, ajoutai 2 shillings et 6 pence et lui fis mes adieux, le coeur navré de son départ.
            Ensuite chez mon père, avec lui et Thomas fîmes l'inventaire et ses comptes. Je constate, tout compte fait, que la seule somme qu'il possède en propre et qu'on lui doive est de 45 livres seulement, et qu'il doive à peu près la même somme. Si bien que je ne puis m'empêcher de songer à la situation où il aurait laissé ma mère s'il était venu à mourir avant mon oncle Robert. Puis chez Tom Trice pour la validation du testament qui fut faite à notre convenance. Ce fut une grande satisfaction pour mon père et moi.
            Me rendis chez milady à la Garde-Robe et, de là au Théâtre où je vis Les Antipodes, pièce fort gaie, mais de peu de substance par ailleurs.
            Ensuite avec Mr Bostock que je rencontrai là, c'est un ancien commis de Mr Phelps, à la taverne du Diable, où nous bûmes. Partîmes, moi chez mon oncle Fenner que je trouvai avec mon père dans une taverne. Tous trois seuls restâmes longtemps à parler d'une fille de courtier qu'il suggère de faire épouser à Tom, avec une grosse dot. Mais j'ai bien peur que cela ne se fasse pas. Il fera toutefois de son mieux. Nous nous quittâmes et dans la rue nous rencontrâmes la mère et des amis de Ned, le serviteur de mon père, furieux que mon père lui ait donné son congé, ce qui nous chagrine mon père et moi, mais la chose s'arrangera.
Afficher l'image d'origine            Nous reçûmes ce matin des nouvelles de mon oncle Thomas et de son fils. Thomas était parti pour la campagne sans en aviser personne, ce qui porte un coup d'arrêt à nos affaires, mais ils ne me font pas peur.
            Le soir chez moi. Je trouve une lettre de milord Sandwich maintenant complètement remis de sa fièvre, mais toujours à Alicante où il a gardé le lit et a été saigné deux fois. Lettre datée du 22 juillet qui me rassure. Sur le chemin du retour je m'arrêtai pour un rendez-vous à la taverne des Trois Grues, au marché de l'ancien pilori et rencontrai pour leur faire mes adieux Mr Fanshawe qui part demain, et le capitaine Isham, tous deux partent au Portugal. Nous bûmes force vin, trop pour ma part et Mr Fanshawe, au point qu'il eut du mal à partir. Nous nous fîmes nos adieux.

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                                                                                                                    27 août 1661

            Ce matin à la Garde-Robe où je dis au revoir à milord Hintchingbrooke et à son frère que je vis partir en carrosse dans la direction de Rye pour la France. Que Dieu les bénisse ! Je me rendis ensuite au chevet de milady et nous causâmes une heure de l'utilisation que Mr Edward Montagu fait des 5 000 livres destinées à la préparation de la mission de milord au Portugal, et de la crainte que nous avons que ce ne soit pas à l'honneur de milord et encore moins à son avantage. Je me renseignerai à ce sujet un peu plus tard.
            Ensuite au bureau: où je restai en réunion jusqu'au midi. Puis auprès de ma femme et en voiture dîner chez mon cousin Thomas Pepys, l'exécuteur testamentaire. Sont présentes des dames ainsi que mon père et ma mère, fort joyeux. mais, me semble-t-il, il n'offre que de méchants dîners à ce genre d'invités, encore qu'il y ait eu un pâté de venaison, mais médiocre.
            Après, ma femme et moi au Théâtre. Vîmes Les Gais Compères. S'y trouvaient le roi, le Duc et la Duchesse, ainsi que Madame Palmer. Et ma femme, à sa grande satisfaction, put les contempler tout son saoul pendant toute la pièce, celle-ci pleine de gaieté. Ensuite chez mon père où nous restâmes à causer un moment. Retour à la maison à pied au clair de lune.
            Pendant le trajet et à la maison, ma femme me brossa un tableau désolant de la situation de son frère Balty. Elle aimerait que je fisse quelque chose pour lui. Je m'y efforcerai, mais redoute de m'engager de crainte de ne pouvoir me dépêtrer, une fois que je me serai occupé de lui. Je me mis au lit, ma femme ne cessant de me parler de son frère en pleurant, ce qui m'affligea.


                                                                                                                 28 août

            Chez moi toute la matinée à ranger des papiers. A midi à la Bourse où je rencontrai le Dr Williams, comme convenu, et cherchâmes partout un avoué de ses amis pour le consulter au sujet de l'obligation de 200 livres signée au profit de ma tante Pepys. Il m'assure formellement que nous ne serons pas tenus de payer des intérêts sur cette somme. J'ai toutefois les plus grands doutes. Je passai tout l'après-midi à boire avec lui, puis rentrai chez moi. " - Ai fait aujourd'hui une fausse lettre à sir William Penn comme si elle venait du voleur qui lui a dérobé dernièrement une chope, à seule fin de le berner et de me moquer de lui ".


                                                                                                                      29 août

            Au bureau toute la matinée, et à midi vinrent dîner avec moi mon père, ma mère et ma tante Bell, première fois qu'elle venait chez moi. Chez moi donc et fûmes fort joyeux. Après dîner les deux femmes allèrent rendre visite à ma tante Wight, etc. et mon père à d'autres affaires.Pour ma part, chez mon libraire où je restai jusqu'à 4 heures. A cette heure je devais retrouver mon père chez mon oncle Fenner. J'y allai et avec lui à la taverne. Vint alors Mr Evans, le tailleur dont nous désirons faire épouser la fille à Tom, puis mon père. Nous restâmes un bon moment à discuter de cette affaire. Il finit par nous dire qu'il n'avait rien contre nous ni notre proposition, sinon que la fortune qu'il avait reçue de Dieu était trop importante pour aller à qui n'avait présentement d'autre bien qu'un métier et une maison. Notre discussion prit fin en toute amitié. Puis nous nous quittâmes, mon père et moi ensemble, faisant un peu de chemin à pied. A Holborne, nous nous dîmes au revoir, lui partant demain à Brampton, le temps de régler des affaires avant l'arrivée de ma mère.
            Chez moi.


                                                                                                                      30 août

            A midi ma femme et moi nous nous retrouvâmes à la Gard-Robe où nous dînâmes avec les enfants. Après dîner montâmes à l'étage au chevet de milady. Passâmes un long moment à converser et à rire. Puis ma femme et moi à Drury Lane voir la comédie française, si mal jouée, décors, acteurs et tout le reste si piètres, mal réglés et détestables, que j'en fus consterné pendant toute la représentation. Ma femme rencontra là un fils de milord Somerset, qu'elle avait connu en France, un homme élégant, mais je ne me montrai guère accueillant, afin de décourager plus ample commerce. Puis comme on nous promettait d'autres divertissement que les bouffonneries de la farce, nous rentrâmes à la maison.


                                                                                                                   31 août 1661
                                                                                                                 fr.wikipedia.org
            A la maison et au bureau toute la matinée. A midi Llwellyn vint, tous deux à la taverne, puis à la foire de la Saint-Barthélemy, et là il m'entraîna dans un misérable cabaret. Une ou deux guenipes, des catins nous abordèrent. Elles m'inspirèrent d'emblée une telle aversion que je n'éprouvai aucun plaisir mais grande contrariété à me trouver là et à devoir sortir, de crainte d'être aperçu. De là, nous nous rendîmes à pied à Ludgate et nous nous séparâmes là. Je retournai seul à la foire et rencontrai milady Jemima et Paulina en compagnie de Mr Pickering et de Mademoiselle, qui regardaient danser les singes. Intéressant de voir tout ce que l'on arrive à leur faire faire, mais cela m'indisposa d'avoir à m'asseoir en si vile compagnie. Après cela, avec eux, à l'hospice du Christ où Mr Pickering leur acheta des petits cadeaux et où je leur offris à chacune une babiole, des petites boules avec des choses pendues à l'intérieur, dont les dames furent charmées.
             Retour avec elles, dans leur carrosse. Arrivé chez elles fus invité à monter par milady qui voulut que je reste lui parler, ce que je fis, je crois une bonne heure. La pauvre me raconta avec beaucoup d'innocence comment Mrs Crisp lui avait dit qu'elle voulait obtenir du roi, par l'entremise d'une dame qui couche avec elle, qu'il fût le parrain de la petite fille dont milady vient d'accoucher. Mais la façon dont milady me raconta la chose, affirmant qu'il lui venait des sueurs rien que d'en parler, me procura le plus vif plaisir. Jusqu'où peuvent aller l'innocence et la simplicité d'une dame.
            Puis descendis souper avec les dames et, chez moi. Mr Moore, car nous avons eu du mal à nous séparer, m'accompagna jusqu'à la Mitre dans Fenchurch Street où nous bûmes un verre de vin.... et au lit.

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            Voici donc la fin du mois. Ma servante Jane vient de partir et c'est sur Pall maintenant que retombe tout le travail en attendant l'arrivée d'une autre servante.....Ma femme et moi en bonne santé. Milord Sandwich dans le détroit de Gibraltar et tout juste rétabli d'une grave maladie à Alicante. Mon père parti s'installer à Brampton et moi accablé de travail et de tracas pour régler, à notre satisfaction, certaines affaires se rapportant à la succession. Mais le pire est que je me trouve ces derniers temps trop friand de théâtre, de dépenses et de plaisirs, au point de négliger mon travail. Il faudra que je m'efforce d'y remédier.
            Aucune rentrée d'argent, il m'a donc fallu emprunter quantité d'argent pour mes propres dépenses et pour mon père, afin qu'il ait les moyens de laisser ses affaires en bon ordre. Je m'inquiète un peu pour mon frère Tom qui se trouve maintenant à la tête de l'affaire de mon père, et je crains fort qu'il n'échoue, faute d'esprit et de zèle.
            A le Cour, les choses sont dans une très mauvaise passe : les rivalités, la pauvreté et les vices, blasphèmes, ivrognerie et débauche, y sont tels que je ne vois pas comment cela finira, sinon dans la confusion. Et le clergé si arrogant que tous ceux que je rencontre se plaignent de sa conduite. Bref je ne vois chez personne satisfaction ni contentement.
            La collecte de dons se révèle si maigre et cause partout un tel mécontentement que mieux eût valu ne pas l'entreprendre. Je songe à souscrire pour 20 livres. Au bureau nous travaillons dans le calme, mais faute d'argent tout va à vau-l'eau. Nos lettres de change se négocient à la Bourse à 10 % au-dessous de leur valeur. Nous sommes en pourparlers pour rattacher la maison de sir Richard Ford à notre bureau. Mais je prévois tant de difficultés lorsqu'il faudra la diviser à la satisfaction de chacun, et s'engager personnellement à payer le loyer de 200 livres par an, qu'à mon avis on aura fort à faire pour mener ce projet à terme.
            Saison fort malsaine avec partout des fièvres étranges et mortelles.


                                                                                                   à suivre......./
                                                           Septembre
            Comme il y eut de fortes pluies......../
                 

 
  

lundi 7 mars 2016

L'Amour Tchekhov ( Nouvelle Russie )



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artcorusse.org

                                                  L'Amour

            Trois heures du matin. Une douce nuit d'avril regarde par ma fenêtre et me fait des clins d'étoiles. Je ne dors pas. Je suis si bien !
           "  De la tête jusqu'à la pointe des pieds, je suis gonflé d'un sentiment étrange, incompréhensible. Je ne sais pas l'analyser maintenant, je n'ai pas le temps, j'ai la flemme, d'ailleurs au diable toutes ces analyses ! Un homme qui tomberait la tête la première du haut d'un clocher ou qui aurait appris qu'il venait de gagner deux cent mille roubles chercherait-il le sens de ses sensations? En aurait-il le loisir ? "
            C'est à peu près en ces termes que je commençai ma lettre d'amour à Sacha, jeune fille de dix-neuf ans, dont j'étais amoureux. Je commençai cinq fois et autant de fois je déchirai le papier, rayai et recopiai des pages entières. Je passai beaucoup de temps sur cette lettre, comme si c'était un roman sur commande, et ce n'était pas du tout pour l'allonger, plus alambiquée et plus sentimentale, mais parce que j'avais envie de prolonger à l'infini le processus même de l'écriture dans le silence de mon cabinet de travail où la nuit de printemps jetait ses regards et où je m'entretenais avec mes propres rêves. Entre les lignes je voyais le cher visage et il me semblait qu'à la même table que moi étaient assis des fantômes pleins du même bonheur naïf que moi, niais, souriant béatement et appliqués eux aussi à griffonner. Tout en écrivant je regardais de temps en temps ma main encore languide d'une pression récente et, si je détournais les yeux, je voyais le treillage d'une grille verte. A travers ce treillage, Sacha m'avait regardé après que j'eus pris congé d'elle. Pendant que je disais au revoir à Sacha je ne pensais à rien, j'admirais seulement sa figure, comme tout homme bien né admire une jolie femme ; mais ayant vu à travers le treillage ses deux grands yeux, je compris soudain, comme par intuition,  que j'étais amoureux, qu'entre nous tout était déjà décidé et terminé, qu'il ne restait plus qu'accomplir quelques formalités.                                                                        fr123rf.com
Aimer chats en 1900. La déclaration d'amour. Peinture, illustration Banque d'images - 35981883            C'est un grand plaisir aussi de cacheter une lettre d'amour, de s'habiller lentement, de sortir furtivement de la maison et de porter le trésor jusqu'à la boîte à lettres. Plus d'étoiles au ciel, à leur place une longue bande, brisée ça et là de nuages, blanchit à l'est, au-dessus des toits ombreux. Cette bande répand sa pâleur à travers tout le ciel. La ville est endormie, mais les porteurs d'eau sont déjà en route et, dans une usine éloignée, un coup de sifflet réveille les ouvriers. Près de la boîte à lettres légèrement couverte de rosée vous verrez sûrement un concierge empoté avec une pelisse en forme de cloche et un bâton. Il est en catalepsie : il ne dort ni ne veille, c'est quelque chose d'intermédiaire.
            Si les boîtes à lettres savaient avec quelle fréquence les hommes se tournent vers elles pour qu'elles décident de leur sort, elles n'auraient pas l'air aussi humble. Moi, en tout cas, j'ai failli couvrir ma boîte à lettres de baisers et, en la regardant, je me suis rappelé que la poste était le plus grand des biens !...
            Quiconque a jamais été amoureux se souviendra que, lorsqu'on a mis la lettre dans la boîte, on se hâte d'ordinaire de rentrer à la maison, on se couche et on tire la couverture avec la certitude que le lendemain, au réveil, on sera envahi par le souvenir de la veille et qu'on regardera avec extase la fenêtre par laquelle la lumière du jour se frayera un chemin  à travers les plis du rideau...
            Mais revenons à nos moutons... Le lendemain à midi la femme de chambre m'apporta la réponse suivante :
           " Je suis ravie venez absolument nous voir aujourd'hui s'il vous plaît je vous attends. Votre S "
           Pas une virgule.  Cette absence de signes de ponctuation, la lettre a dans le mot " absolument ", toute l'épître et même la longue enveloppe étroite dans laquelle elle était glissée, emplirent mon âme d'attendrissement. Dans l'écriture large mais irrésolue je reconnus la démarche de Sacha, sa manière de lever haut les sourcils, Quand elle riait, les mouvements de ses lèvres... Mais le contenu de la lettre ne me satisfît pas. D'abord on ne répond pas comme cela à des lettres poétiques, et ensuite à quoi me servirait d'aller chez Sacha et d'attendre que sa grosse maman, ses frères et les bonnes femmes qui vivaient des largesses de la famille, eussent l'idée de nous laisser seuls ? Cette idée, ils ne l'auraient même pas et il n'y a rien de plus déplaisant que de contenir ses extases pour la seule raison qu'il vous tombe dessus une tuile humaine sous la forme d'une vieille à moitié sourde ou d'une petite fille qui vous assomme de questions. J'envoyai avec la femme de chambre une réponse où je proposai à Sacha de choisir comme lieu de rendez-vous un jardin public ou un boulevard. Ma proposition fut volontiers agréée. J'avais tapé, comme on dit, dans le mille. 
            Il était quatre heures passées lorsque je me glissai dans le coin le plus reculé et le plus délaissé du parc municipal. Il n'y avait personne dans le parc, et le lieu du rendez-vous aurait pu être plus proche, dans une allée ou sous une tonnelle, mais les femmes n'aiment pas le romanesque à demi ; le miel se prend par cuillerées entières et les rendez-vous se donnent dans les jungles les plus délaissées et les plus impénétrables, là où on a des chances de tomber sur un malandrin ou un petit bourgeois en goguette.
Afficher l'image d'origine*           Lorsque j'approchai de Sacha elle me tournait le dos, une allure diablement mystérieuse. Ce dos, cette nuque, ces pois noirs sur cette robe semblaient dire : chut ! La jeune fille portait une simple petite robe d'indienne par-dessus laquelle elle avait jeté une pèlerine légère. Pour plus de mystère, le visage était caché sous un voile blanc. Moi, pour ne pas abîmer l'harmonie, je devais m'approcher sur la pointe des pieds et commencer la conversation en chuchotant.
            Comme je l'ai compris à présent, dans ce rendez-vous je n'étais pas l'essentiel, mais simplement un détail. Ce n'était pas tellement lui qui occupait Sacha, que le romanesque de la rencontre, son mystère, les baisers, le silence des arbres moroses, mes serments... Il n'y eut pas un instant où elle s'oubliât, où elle se pâmât, où elle cessât de prêter un air mystérieux à son visage et, en vérité, s'il y avait eu à ma place un Ivan Sidorytch ou un Sibor Ivanytch quelconque, elle se serait sentie tout aussi bien. Comment voulez-vous dans de pareilles circonstances comprendre si l'on aime ou non ? Et à supposer qu'on vous aime, ceci pour de vrai ou pas pour de vrai ?
            Après le parc j'emmenai Sacha chez moi. La présence de la femme aimée dans un appartement de célibataire agit comme la musique et le vin. On commence d'ordinaire à parler de l'avenir, ni l'aplomb ni la présomption n'ayant de limites. On fait des projets, des plans, on parle passionnément d'être général quand on n'est pas encore aspirant et, dans l'ensemble, on raconte des bêtises si éloquentes que l'auditrice doit avoir beaucoup d'amour et d'ignorance de la vie pour acquiescer. Heureusement pour les hommes les femmes qui aiment sont toujours aveuglées par l'amour et ne connaissent jamais la vie. Elles ne se contentent pas d'acquiescer, elles pâlissent d'une sainte horreur, elles s'extasient, elles sont suspendues au lèvres du détraqué. Sacha m'écouta avec attention, mais je lus bientôt de la distraction sur son visage : elle ne me comprenait pas. L'avenir dont je l'entretenais ne l'occupait que de l'extérieur, et c'est en vain que je déroulais devant elle mes plans et mes projets. Ce qui l'intéressait c'était, où se trouverait sa chambre, quels papiers peints il y aurait, pourquoi j'avais un piano droit et pas à queue, etc. Elle examinait avec attention les bibelots de mon bureau, les photographies, reniflait les flacons, décollait sur des enveloppes de vieux timbres qui lui seraient utiles, je ne sais à quoi.
            - S'il te plaît, garde les vieux timbres pour moi ! dit-elle en prenant un air grave. S'il te plaît !
Afficher l'image d'origine            Puis elle trouva une noix sur un appui de fenêtre, l'ouvrit à grand bruit et la croqua.
 **         - Pourquoi ne mets-tu pas d'étiquettes sur tes livres ? demanda-t-elle après un regard à la bibliothèque.
            - Pourquoi faire ?
            - Pour que chaque livre ait son numéro... Et mes livres à moi, où vais-je les mettre ? Moi aussi j'ai des livres.
            - Quels livres as-tu ? demandai-je.
           Sacha haussa les sourcils, réfléchit et dit :
           - Toutes sortes...
          Et si j'avais eu l'idée de lui demander quelles pensées, quelles opinions, quels objectifs elle avait, elle aurait sûrement haussé les sourcils de la même façon, réfléchi et dit : " Toutes sortes. "
            Ensuite, je reconduisis Sacha chez elle et j'en ressortis le plus authentique, le plus patentés des fiancés, ce que je demeurai jusqu'au jour où on nous maria. Si le lecteur me permet un jugement d'après mon expérience personnelle, j'affirme qu'être fiancé c'est très ennuyeux, beaucoup plus ennuyeux que d'être marié ou rien du tout. Le fiancé n'est ni ceci ni cela. Il a quitté une rive et n'a pas atteint l'autre. Il n'est pas marié mais on ne peut pas dire qu'il soit célibataire. Il est intermédiaire, comme le concierge que j'ai indiqué plus haut.                                            albums.aufeminin.com
Afficher l'image d'origine            Tous le, disait ayant trouvé un moment de liberté, je me précipitais chez ma fiancée. D'ordinaire, me rendant chez elle, j'emportais une nuée d'espérances, de désirs, d'intentions, de propositions, de phrases. Il me semblait chaque fois qu'aussitôt la porte ouverte par la femme de chambre, moi, qui étouffais et me sentais à l'étroit, je me plongeais jusqu'au cou dans le rafraîchissement du bonheur. En réalité, les choses ne se passaient pas comme cela. Chaque fois que j'arrivais chez ma fiancée, je trouvais la famille et la mesnie en train de coudre un stupide trousseau. A^propos la couture dura deux mois et il n'y en eut pas pour cent roubles. Cela sentait les fers à repasser, la stéarine et le feu de cheminée. De la verroterie crissait sous les pieds. Les deux pièces principales étaient encombrées de vagues de toile, de calicot et de mousseline, et dans ces vagues apparaissait la tête de Sacha avec un fil entre les dents. Tous ceux qui cousaient m'accueillaient avec des cris de joie, mais me reconduisaient aussitôt dans la salle à manger où je ne pouvais ni les gêner ni voir ce que n'ont le droit de voir que les maris. A mon corps défendant j'étais obligé de rester dans la salle à manger à m'entretenir avec la parasite Pimenova. Sacha, soucieuse et inquiète, passait à chaque instant près de moi en courant, avec un dé, une pelote de laine ou quelque autre objet ennuyeux., disait
            - Attends, attends... J'arrive, disait-elle, quand je portais sur elle un regard suppliant. Imagine, cette coquine de Stépanida a abîmé tout le corsage de la robe de barège !
            Et, sans qu'on m'eut montré aucune faveur, je me fâchais, je partais et j'allais me promener par les trottoirs en compagnie de ma petite canne de fiancé. Il m'arrivait aussi, quand j'avais envie de me promener à pied ou en voiture avec ma fiancée, d'arriver chez elle et de la trouver avec sa maman dans le vestibule, tout habillée et jouant du parapluie.
            - Nous allons au passage, disait-elle. Il faut racheter du cachemire et changer un petit chapeau.
Afficher l'image d'origine           Promenade manquée ! Je m'accrochais à ces dames et j'allais au passage avec elles. C'est ennuyeux et c'est révoltant d'écouter les femmes acheter, marchander et faire assaut de ruse avec le marchand qui les dupe. J'avais honte lorsque Sacha, ayant tant retourné des masses de tissus et fait baisser le prix " ad minimum ", quittait le magasin sans rien acheter ou s'étant fait couper un échantillon de quarante ou cinquante kopecks En sortant du magasin, Sacha et sa mère, le visage soucieux, effrayé, discutaient de l'erreur qu'elles avaient commise en n'achetant pas ce qu'il fallait acheter, des fleurs de l'indienne qui étaient trop foncées, etc.
             Non, c'est ennuyeux la vie de fiancé ! On s'en passerait bien.
  ***     Maintenant, je suis marié. C'est le soir, je suis assis dans mon cabinet de travail et je lis. Derrière moi, sur le sofa, Sacha est assise, elle mâche quelque chose bruyamment, j'ai envie de bière.
            - Sacha, dis-je, tu ne veux pas chercher le tire-bouchon ? Il est là, quelque part.
            Sacha bondit, fouille au hasard deux ou trois piles de papiers, fait tomber les allumettes et, n'ayant pas trouvé le tire-bouchon, se rassied en silence... Cinq minutes se passent... Puis dix... Je commence à avoir un peu faim, et "'ai soif, et je suis agacé...
            - Sacha, cherche donc le tire-bouchon  !
            Sacha bondit de nouveau et fouille près de moi dans les papiers. Ses mâchonnements et les crissements du papier me font l'effet du grincement de deux couteaux frottés l'un contre l'autre... Je me lève et je commence à chercher le tire-bouchon moi-même. Enfin on le trouve et on débouche la bière. Sacha reste près de la table et commence un long récit.      
            - Tu devrais lire quelque chose, Sacha...                                       sortiraparis.com  
Afficher l'image d'origine            Elle prend un livre, s'installe auprès de moi et commence à remuer les lèvres... Je regarde son petit front, ses lèvres qui remuent et je pense.
            " Elle va avoir vingt ans... Si on prenait un garçon du même âge, d'un milieu cultivé, et si on les comparait, quelle différence ! Le garçon a des connaissances, des opinions et sa petite intelligence. "
            Mais je pardonne cette différence, comme je pardonne le petit front étroit et les lèvres qui remuent... Je me souviens qu'au temps où je jouais les Casanova, je quittais une femme pour une tâche sur un bas, pour une seule parole stupide, pour des dents non brossées, mais maintenant je pardonne tout, les mâchonnements, les histoires de tire-bouchon, la négligence, les longues conversations à propos de rien. Je pardonne presque inconsciemment, sans faire violence à ma volonté, comme si les erreurs de Sacha étaient mes erreurs, et bien des choses qui me gênaient autrefois, m'attendrissent et m'enthousiasment même maintenant. La raison de cette magnanimité, c'est mon amour pour Sacha. Quant à la raison de cet amour, en vérité, je ne la connais pas.


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                                                                                 Anton Tchekhov