mercredi 24 avril 2019

Les Falaises Wolinski ( BD France )

Les falaises

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                                                                                                                                                                                                                                                                                             nonsolobiografie.it


                                                    Les Falaises

            Dans la présentation de l'ouvrage Elisabeth Roudinesco note " Les Falaises ", dessins diversement interprétés et réinterprétés. Joyeux, pessimiste, réfléchi. Wolinski est mort assassiné le
7 janvier 2015, à Paris lors de l'attaque du journal satirique Charlie Hebdo. Mais un recueil de l'esprit de Wolinski ne se conçoit pas sans son regard très appuyé et personnel sur la femme. Dessinateur précieux il datait rarement ses dessins publiés dans la presse nombreuse de l'Obs au Journal du Dimanche. Voir aussi ses recueils. En 2011 Georges Wolinski a fait don de ses archives, carnet, dessins, à la BnF, Une exposition nationale lui a été consacrée.
Trou des finances : [dessin de presse] / WOLINSKISon épouse Maryse Wolinski a sélectioné ceux qui composent l'album.




Supermarché électoral de l'Europe : [dessin de presse] / WOLINSKI

lundi 22 avril 2019

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 95 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                                       1er Juin 1663

           Recommencé à me lever tôt, vers 4 heures, achevé 5 heures d'aventures, une pièce tout à fait remarquable.
            A mon bureau un moment, puis sortis, allai chez mon frère et m'occupai de plusieurs affaires en chemin. Dînai avec lui ( il m'avait invité ), en compagnie de Mr Peter Honywood et du doyen Honywood. Fort bon dîner, très agréable, mais pas trop gai car le doyen n'est pas un homme trop brillant, quoique fort bon.
            Je fus forcé de partir et me rendis en hâte à St James pour me mettre au service du Duc, de retour de la chasse où il était allé aujourd'hui et était allé se coucher. Nous ne pûmes le voir. A Whitehall, en fiacre avec John Mennes jusqu'au mai du Strand et à pied jusqu'au Nouveau Théâtre qui a déménagé et est utilisé maintenant par les maîtres d'armes pour y disputer leurs concours. C'est le premier que j'eusse jamais vu............. Ils s'affrontèrent à huit armes, trois assauts pour chaque arme. Cela valait vraiment la peine d'être vu, parce que j'avais cru jusqu'aujourd'hui ces combats simulés, mais comme il s'agissait ici d'une querelle privée, ils se sont battus pour de bon. J'ai eu en main une de leurs épées et je remarque qu'elle n'est guère moins tranchante que les épées ordinaires, ou même tout autant. C'est un spectacle étrange que de voir tout l'argent qui leur est lancé à tous les deux sur la scène entre chaque assaut.
            Mais il y avait là une populace d'une déplorable grossièreté et qui faisait un tel vacarme que j'en eus mal à la tête toute la soirée. Ainsi, fort content d'avoir assisté à ce spectacle je retournai à la maison m'occupant de plusieurs affaires en chemin........... A la maison je trouve ma femme qui a passé toute la journée au lit à cause de ses menstrues. J'allai voir sir William Penn que sa goutte fait à nouveau un peu souffrir, mais il se remettra bientôt. Puis à la maison, souper et, au lit.
            On parle aujourd'hui à la Cour de la grande conspiration récemment découverte en Irlande, ourdie, entre autres, par des presbytériens dans le but de proclamer le convenant et de s'emparer du château de Dublin et d'autres places. Là-bas ils ont débauché une bonne partie de l'armée, promettant de l'argent en espèces aux soldats. Certains membres du Parlement, là-bas, sont impliqués, à ce que l'on dit.et certains démis de leurs fonctions.. Plusieurs personnes ont été arrêtées, notamment un des fils de Scott, exécuté ici comme régicide.
            Je ne sais pour quelle raison, mais le roi, semble-t-il, se méfie de l'Ecosse, et cet après-midi, au Palais le Conseil a été réuni pour une séance extraordinaire, et l'on a ouvert les lettres que venaient d'apporter les courriers qui vont et viennent entre l'Ecosse et Londres et d'autres endroits.
            Dieu soit loué ! j'ai la conscience et les mains pures, et donc le sommeil tranquille. Le roi de France est rétabli.


                                                                                                                 2 juin

            Levé et par le fleuve à Whitehall, puis à St James où je m'entretins en privé avec Mr Coventry
surtout de sa situation. Il subit la censure de la Chambre, des Communes car il est concerné avec d'autres par le projet de loi sur la vente des offices. Il pense, me dit-il, que sa réputation pâtit grandement de cette affaire........... Il s'engage à prouver qu'il n'a jamais de sa vie rien reçu d'un capitaine en échange d'un commandement.......... Il me dit être incapable de deviner de qui provient cette attaque, mais il soupçonne sir George Carteret............... Il semblerait qu'un certain sir Thomas Tomkins de la Chambre des Communes propose bien des motions extravagantes.........
            Je lui offris mes services et vraiment je le servirai de tout mon coeur. Il me répond cependant qu'il ne croit ni approprié ni utile que je me mêle de cette affaire, mais qu'il est sensible à l'affection que je lui témoigne. Je lui souhaitai donc le bonjour, car il est trop indisposé pour pouvoir parler des affaires de notre bureau.
            Je me rendis au palais de Westminster où j'apprends d'autres détails sur la conspiration en Irlande.......... La session des tribunaux s'est achevée hier, et il semble que les cours de justice ne se soient jamais, de mémoire d'homme, trouvées en vacances par manque de procès plus tôt que cette année.
            Puis de ci, de là pour le travail dans divers endroits. Par exemple, pour parler à Mr Philips, mais je ne le trouvai pas et allai voir Mr Beecham, l'orfèvre, qui fera partie demain du jury lors du procès que sir William Batten intente à Field. Je lui ai raconté notre affaire et je crois qu'il nous sera favorable.
            A la maison et, voyant que ma femme avait dîné, j'allai chez sir William Batten qui me convia au repas, avec sir John Mennes et d'autres, car le capitaine Allin qui part dans le Downs commander le navire amiral cet été, leur offrait un dîner d'adieu. Je trouvai un peu étrange qu'en dépit de ma grande civilité envers lui, le capitaine ne m'ait pas invité. Mais je suppose que l'idée du repas lui est venue soudainement et que c'est pour cela que je n'en ai pas été avisé.
            Après dîner tout l'après midi au bureau, jusqu'à une heure avancée, puis allai voir sir William Penn, et à la maison, souper et, au lit.
            Ce soir, j'ai profité de la venue du serviteur du marchand de vin à qui j'avais demandé de venir goûter à nouveau mon tonneau de bordeaux pour descendre avec lui à la cave pour le consulter sur la manière de tirer le vin. Et là, à ma grande irritation, je découvris que l'on a laissé longtemps la porte de la cave déverrouillée et que l'on a bu plus de la moitié de mon vin. Cela me mit dans une fureur terrible et j'interrogeai tous mes gens. Mais personne ne voulut avouer. Pourtant j'interrogeai le petit valet, et ensuite Will et lui dis que je savais qu'il allait parler aux servantes après que nous étions couchés, mais pour ce qui est de cette affaire il nie être le coupable. Je peux y remédier, mais je veux savoir ce qui s'est passé.                                                                                 philharmoniedeparis.fr
            Ma femme m'a aussi dit ce soir que Miss Ashwell lui a volé une ou deux aunes de ruban neuf. Je suis désolé de l'apprendre, et je crains que ma femme ne commence à être mécontente d'elle, et qu'elles ne veuillent plus rester ensemble. J'en serais bien chagrin, car je ne sais point où je pourrais en trouver une autre qui la vaille.


                                                                                                          3 juin

            Levé de bonne heure et étudié mon double cadran horizontal en attendant l'arrivée du doyen Honywood. L'instrument lui plaît fort et, je pense, qu'il faudra lui en faire présent.
            Après avoir parlé avec sir William Batten, allé ce matin à l'Hôtel de Ville prendre part à son procès contre Field, me rendis à mon bureau où passai toute la matinée à lire mon recueil de lois.........
            A midi, appris que le procès terminé sir William Batten est à la taverne du Soleil, derrière la Bourse. J'allai le rejoindre. Il m'apprend qu'il a eu bien de la peine à faire triompher sa cause, mais qu'il y est finalement parvenu. Mais le jury, avec la faveur des juges, ne nous a accordé que 10 livres de dommages et les frais du procès. J"en suis fâché, mais il est bon que l'affaire n'ait pas tourné à notre désavantage, ce qui eût été bien pire.
            Ensuite, à la Bourse et à la maison pour dîner. Ramenai Deane de Woolwich qui dîna seul avec moi, car ma femme n'était pas habillée, et passâmes ensemble un agréable après-midi. Il m'apprit comment dessiner les formes d'un vaisseau, à ma grande satisfaction. Cette méthode vaut bien la peine que j'y consacre du temps, ce que je ferai après le départ de ma femme pour la campagne. Le soir au bureau travaillai à quelques affaires. Puis à la maison et, comme ma femme refusait de me dire où elle avait envoyé le petit valet, je soupçonnai aussitôt, Dieu me pardonne ! qu'il était allé chez Pembleton. J'en fus si mécontent que c'est à peine si je pus dire trois mots, ni fermer l'oeil de toute la nuit.


                                                                                                                 4 juin 1663

            Levé de bonne heure, ma femme, Miss Ashwell et moi passâmes la matinée à aller et venir dans la maison, tandis qu'elles se préparaient, et je m'assurai que ma femme mettait bien son caleçon, ce qu'elle fit, la pauvre âme, et pourtant cela n'apaisa point mes soupçons, car elle désirait aller dans Fenchurch Street avant de partir pour de bon avec moi. J'en déduisis inévitablement que c'était pour rencontrer Pembleton, mais elle me dit par la suite que c'était pour acheter un éventail et qu'elle aurait préféré ne rien m'en dire, et je crois que c'est vrai.. D'autant que je suis parvenu, par ruse, à faire dire à mon petit valet qu'il ne s'était pas rendu hier chez Pembleton ni près de chez lui, mais qu'il avait seulement été envoyé à ce moment-là chercher de l'amidon. Je l'ai bien vu qui en ramenait à la maison. Et pourtant tout cela ne suffit pas à m'apaiser l'esprit.
            Enfin, je l'emmenai en fiacre au palais de Westminster, puis elles deux se rendirent chez Mrs Bowyer et, de là, ma femme se rendit chez son père et Miss Ashwell chez le sien. Bientôt, apercevant le père de ma femme dans la Grand-Salle, et peu désireux d'être contraint à de nouvelles dépenses et à un autre dérangement si ma femme ne le trouvait pas chez lui, je chargeai un commissionnaire de lui dire de la part d'un inconnu que sa fille était arrivée à son logis. J'observai la scène à distance. Mais, Seigneur ! que ne lui demanda-t-il pas ! Quelle sorte d'homme j'étais, et Dieu sait quoi encore. Il rentra donc chez lui et je demeurai un bon moment dans la Grand-Salle.
            J'appris que l'évêque de Juxon qui, de l'avis général, était un homme de bien, est mort aujourd'hui, et que l'évêque de Londres doit lui succéder.
            Rentrai à la maison par le fleuve, et arriva bientôt le doyen Honywood à qui je montrai mon double cadran horizontal et promis de lui en donner un, je lui donnerai celui-là. Puis, sans avoir bu ni manger il alla chez Mr Turner où sir John Mennes offre aujourd'hui à milord le chancelier et à une foule d'invités un grand dîner. Le ciel soit loué, ce n'est pas moi qui paie ! En outre, je crains qu'il ne soit trop tard pour obtenir de grands services de milord le chancelier, ce dont je suis fâché, et je prie le Seigneur que son remplaçant ne lui soit pas inférieur.
Image associée            Je dînai donc tout seul et me rendis dans mon cabinet de travail, ensuite au bureau tout seul, avec un mal de tête et l'esprit tourmenté à cause de ma femme. Je suis jaloux de la façon dont elle passe sa journée. Je n'ai pourtant guère de raisons de l'être, Dieu m'en est témoin. Et pourtant je me tourmente. Sur ces entrefaites arrive Will Howe. Nous nous promenâmes une heure dans le jardin, me dit que milord s'est remis à ses affaires, ce qui me réjouit, et qu'il va revenir habiter ses appartements de Whitehall.
            Le mariage de sir John Cutts et de milady Jemima, à ce qu'il dit, est près de se faire, et j'en suis bien content.
            Le Dr Pearse m'a dit aujouird'hui dans la Grand-Salle, que la reine commence à montrer plus de vivacité à jouer aux cartes comme les autres dames, et qu'elle est transformée, ce qui me réjouit. Peut-être le roi l'en aimera-t-il mieux et abandonnera-t-il ses deux maîtresses, milady Castlemaine et la Stuart.
            Après son départ réunion au bureau jusqu'au soir, puis à la maison. Ma femme est de retour. Elle a passé tout l'après-midi avec son père, puis elle est rentrée Nous avons fait une promenade tous les deux dans le jardin, je l'ai écoutée me raconter comment vont les affaires de son père, et tout me paraît bien.
            Après avoir mis de l'ordre dans mon bureau, à la maison et, au lit.


                                                                                                                     5 juin

            Levé et un peu de lecture. bientôt le sculpteur sur bois arriva et je lui donnai mes instructions pour qu'il me fît une belle tête pour la viole que je lui ai commandée.
            Vers dix heures, ma femme et moi, non sans quelque mécontentement, partîmes en fiacre et je la laissai chez son père, mais leur situation est telle qu'elle refuse de me laisser voir où ils habitent et s'y rend seule dès que je suis hors de vue. De là chez mon frère. Après avoir réservé une place pour ma femme la semaine prochaine dans une diligence pour aller chez mon père. Puis à l'enclos de Saint-Paul où j'apprends que plusieurs livres que j'avais donnés à relier sont prêts, notamment la nouvelle " Concordance " de la Bible, dont je suis fort content. C'est un livre dont j'espère faire bon usage. Emportant avec moi la petite histoire d'Angleterre, je me rendis par le fleuve à Deptford où dînai avec sir John Mennes et sir William Batten. Ils assistaient au versement de la solde. Il y avait le Dr Britton, pasteur de la ville, excellent homme et de bonne compagnie, agréable conversation. Après le dîner je pris congé et allai à Rotherhithe, puis à Whitehall et trouve ma femme chez milord. Je l'emmenai voir milady Jemima, mais elle était sortie, puis chez Mrs Turner où vîmes la femme de Mr Edward Pepys, que ma femme, d'accord avec moi, trouve fort jolie, une des plus jolies femmes que nous ayons jamais vues. Retour à la maison et, après une promenade dans le jardin, un peu inquiet de voir que ma femme ne prend plus de plaisir à la compagnie de Miss Ashwell, mais la néglige et la laisse à la maison, à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                         6 juin 1663

            Restai au lit jusqu'à 7 heures et me levai pourtant avec l'idée qu'il n'était pas cinq heures, bien que j'entendisse sonner l'horloge, je persistai dans mon erreur jusqu'à midi, incapable de croire qu'il était réellement aussi tard. Jamais de ma vie ou presque je n'ai commis semblable méprise.
            Lever et chez sir George Carteret pour affaires, mais il était de mauvaise humeur et n'eus pas envie de rester avec lui. Ensuite, à pied à l'hôtel d'York, l'ambassade de Russie, m'arrêtant en chemin pour prendre du petit-lait comme boisson du matin. Je vis là des gens qui allaient de-ci de-là, en s'épouillant. Ils sont tous fort pressés car ils doivent être partis au début de la semaine prochaine. Mais ce que j'ai le plus aimé c'est le souvenir de la douce âme de feu le duc de Buckingham qui apparaît partout dans sa maison, sur le linteau des portes et aux fenêtres.
            Bientôt apparaît sir John Hebdon, le résident de Russie, et nous nous rendîmes à Whitehall chez le secrétaire d'Etat Morice pour prendre les instructions concernant le chanvre qu'il faut prendre à Arkhangelsk pour notre roi. Cela fait retour à la Cité, puis à la maison. Après le dîner, en barque à mon rendez-vous avec Mr Deane à l'église du Temple, et ensemble en divers endroits, et dans une taverne. Et partout je m'exerçai à l'art de cuber le bois, avec de tels progrès que je puis maintenant le faire fort aisément, ce dont je suis bien content.                                        blogs.mediapart.fr
Résultat de recherche d'images pour "images cape et épée mousquetaires"            Ce Deane est un vaniteux qui sert excellemment le roi mais au détriment d'autres gens qui tirent de leur charge des profits qui ne sont pas à sa portée. Quoiqu'il en soit j'apprends beaucoup de lui....... Je l'encouragerai donc tant que je pourrai.
            Retour à la maison par le fleuve. Après avoir écrit pour ma femme une lettre à milady Sandwich, afin qu'elle la copiât et l'envoyât par le courrier de ce soir, au bureau où écrivis pour moi.
Puis à la maison, souper et, au lit, l'esprit tourmenté à la pensée que j'ai moi-même poussé ma femme à un tel relâchement, en lui permettant d'apprendre à danser. Il faudra bien du temps pour l'en guérir, et je crains que son départ n'aggrave encore les choses, j'espère seulement que pendant son absence je ferai bon usage de mon temps au bureau, avec moins de contrainte que lorsqu'elle est là. Hebdon m'a dit aujourd'hui.......... avec quel soin minutieux et avec quel ordre les Etats de Hollande conservent leurs fournitures dans les arsenaux où tout est dirigé par leurs constructeurs avec un art inimaginable, ce que je vais m'efforcer de mieux comprendre, s'il existe quelque moyen de l'apprendre.


                                                                                                                      7 juin
                                                                               Dimanche de Pentecôte. Jour du Seigneur

            Grasse matinée à causer avec ma femme, parfois fâché, content enfin et espère mettre d'ici peu nos affaires en meilleure posture, que Dieu veuille m'exaucer. Puis lever et à l'Office, prêche de Mr Milles. Dormis durant la plus grande partie du sermon, je ne sais pourquoi. Ensuite à la maison, dînai avec ma femme et Miss Ashwell, puis devisâmes fort agréablement et retournai à l'office. Comme c'était de nouveau l'Ecossais qui prêchait, je dormis tout l'après-midi. Retour à la maison et pour le travail chez sir William Batten. Milady Batten se répandit en invectives contre la princesse allemande et moi, avec semblable véhémence pour son courage et son esprit, et dis ma satisfaction qu'elle eût été acquittée par le tribunal.
            Chez sir William Penn de nouveau souffrant de la goutte et à la maison où ma femme et moi eurent des mots au sujet du petit valet et de celui qui est maintenant au service de sir William Penn. Je disais qu'il est beaucoup plus beau que le nôtre et elle le contraire. Je suis inquiet de voir que la moindre petite chose suffit désormais à causer un différend entre nous.
            A mon bureau, travaillai un peu, puis à la maison, souper et, au lit. Mrs Turner qui passe beaucoup de temps à la Cour, m'affirme aujourd'hui que l'humeur de la reine a bien changé et qu'elle est devenue aussi plaisante et sociable que les autres. Et on dit qu'elle est grosse, ou du moins on le croit.


                                                                                                                            8 juin

            Lever et un peu à mon bureau, puis en fiacre avec sir John Mennes à Saint-James voir le Duc rejoints par Mr Coventry. Nous nous entretînmes un moment des affaires du bureau et retour immédiat à la maison et dîner. Nous eûmes, ma femme et moi, une petite chamaillerie au cours de laquelle elle me traita de menteur, ce qui me fâcha. Voyant que mes paroles ne servaient qu'à la rendre plus hardie et qu'elle a changé de disposition depuis quelque temps laquelle dépend maintenant de la présence de Miss Ashwell devant qui, croit-elle, je ne dirais et ne ferais rien de violent, ce qui me fâche et me fait regretter de n'avoir pas mieux pesé tout ce que j'ai fait ces derniers temps et qui a conduit à rendre ma femme si irritable, je montai fâché à mon cabinet de travail où entrepris de comparer ma nouvelle " Concordance " que je viens d'acheter avec celle de Newman, la meilleure jamais publiée. Je trouve la mienne tout aussi riche et aussi complète........
            Je me lève, bientôt arrive ma femme, et réconciliation, allés nous promener dans le jardin, souper et, au lit. Mon cousin John Angier, le fils, est venu de Cambridge me trouver tard dans la soirée. Il voudrait s'embarquer sur un vaisseau, mais je l'en dissuadai, car je ne veux pas m'en mêler sans le consentement de sa famille.


                                                                                                                 9 juin 1663
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            Lever et après avoir réglé certaines choses pour le voyage de ma femme à la campagne, au bureau où passai fort agréablement la matinée à m'exercer sur les règles à mesurer, jusqu'à midi. Puis vint Mr Creed, avons causé mathématiques. Il me parle d'une méthode inventée par Mr Jonas Moore
qu'il appelle arithmétique duodécimale et qui s'applique particulièrement aux mesures de longueur où tout repose sur les pouces, 12 dans un pied, il me plairait de l'apprendre. Puis il m'accompagna à la maison pour dîner et promenade dans le jardin, puis réunion au bureau avec Mr Coventry et sir John Mennes. Mon travail terminé, à la maison et passai mon temps jusqu'à la nuit avec ma femme.
            A peine arrivé à la maison arrive Pembleton, était-ce convenu, je ne sais pas, ou peut-être s'agissait-il d'une vieille promesse qu'il avait faite de revenir avant le départ de ma femme pour la campagne. Je ne montrai qu'indifférence et les laissai monter avec Miss Ashwell pour danser et je demeurai en bas dans mon cabinet de travail.
            Mais Seigneur ! comme j'écoutais l'oreille collée à la porte et comme j'étais tourmenté quand j'entendais qu'ils restaient immobiles sans danser ! Ils s'arrêtèrent bientôt et ce fut fini, et je le laissai partir sans lui parler, quoique que l'esprit à la torture, mais je ne montrai aucun mécontentement à ma femme, car je crois qu'aujourd'hui il m'importune pour la dernière fois.
            Puis ma femme et moi promenade dans le jardin et à la maison, souper et, au lit.
         

                                                                                                                10 juin

            Lever et passai toute la matinée à aider ma femme à faire ses bagages pour la campagne, et à tirer le vin de mon tonneau pour l'envoyer là-bas aussi.
            Ce matin mon cousin Thomas Pepys est venu me prier de lui remettre de l'argent. Ce que je ne puis faire avant que son père ait signifié par écrit à Pigott son consentement à la vente de ses terres. Nous nous quittâmes et j'allai un moment à la Bourse, puis à la maison et dîner et au Théâtre royal par le fleuve. En débarquant rencontrâmes l'ami du capitaine Ferrer, le petit homme qui l'accompagnait autrefois et s'installa à nos côtés durant la représentation des Dédales de l'amour. La pièce est fort bonne mais ne vaut véritablement que par le rôle de Lacy, le bouffon, tout à fait admirable. Quant aux autres, qui ont une telle réputation d'acteurs excellents et expérimentés, jamais de ma vie je n'ai entendu personne, les femmes comme les hommes, dire si mal un texte, au point que cela me dégoûta.
            Ensuite, comme Creed était là aussi, tous les quatre à la taverne de la Demi-Lune, après que j'eus acheté du sucre que nous ajoutâmes à notre vin, puis chez le marchand de petit-lait que nous bûmes en grande quantité. Retour à la maison en barque et allai voir sir William Penn. Il ne souffre pas beaucoup, mais ses jambes sont gonflées et si impossibles à mouvoir qu'il ne peut les remuer que lorsque quelqu'un d'autre les soulève, et je crains que sa douleur ne revienne. Jouai un peu aux cartes avec lui et sa fille, qui devient une jeune personne de plus en plus accomplie, et à la maison, souper et, au lit.
            Dès que nous fûmes rentrés nous emmenâmes Miss Ashwell et tous les serviteurs à la cave où se trouvait le marchand de vin qui tirait mon vin. A ce propos je fis force reproches à Miss Ashwell et lui dis ce que je pensais, qu'il n'était pas convenable qu'elle se rabaissât au rang des domestiques ordinaires, que je ne le souffrirais pas.


                                                                                                                      11 juin
                                                                                                                 
            Lever et passai la plus grande partie de la matinée sur ma règle à cuber le bois, et j'ai trouvé tout seul et très vite certaines choses que mon livre n'enseigne pas, ce qui me réjouit extrêmement.
Envoyai aujourd'hui à mon père les affaires de ma femme et le vin par le voiturier. Mais je ne ferai pas partir mon petit valet à cause d'une lettre de mon père qui souhaite qu'il ne vienne pas tourmenter sa famille comme il l'a fait l'année dernière.
            Dîner à la maison et réunion au bureau tout l'après-midi. Retour à la maison, passai la soirée avec ma femme. Nous eûmes une grande querelle au sujet des coussins qu'elle a brodés avec des fils de laine l'année dernière, et qui sont trop petits pour servir à quoi que ce soit, mais nous ne tardâmes pas à nous réconcilier.
            Il me faut admettre que j'ai remarqué une chose que je n'avais pas vu jusqu'ici : je ne peux pas blâmer ma femme d'être d'humeur plus chagrine qu'autrefois, car je suis si absorbé par mes conversations avec Miss Ashwell qui a beaucoup d'esprit, que je ne l'aime plus autant qu'avant, ni autant que je le devrais. Maintenant que j'en ai pris conscience je vais y remédier. Mais Seigneur, comme j'aimerais n'avoir jamais engagé de dame de compagnie ! Et pourtant, je ne pourrais en trouver de meilleure qu'elle. Souper et, au lit. La pensée que ce jour est le plus long de l'année m'est fort désagréable. Cet après-midi ma femme a reçu la visite de milady Jemima et de Mrs Ferrer.


                                                                                                                          12 juin

            Lever et à mon bureau où fis des exercices sur ma règle à cuber le bois qui n'aura bientôt plus de secret pour moi. A midi, à la Bourse et à la maison pour dîner puis allai avec ma femme, par le fleuve, au Théâtre royal où vîmes Le Cénacle pièce joyeuse, mais médiocre, si ce n'est que Lacy dans le rôle d'un valet de pied irlandais passe l'imagination.
            Je vis là milord Fauconberg et sa femme, milady Cromwell aussi belle que je l'ai toujours connue et bien vêtue. Mais quand la salle commença de se remplir elle mit son masque et le garda durant tout le spectacle. C'est depuis quelque temps fort à la mode parmi les dames et cela cache tout leur visage.
            Ensuite à la Bourse pour faire des emplettes avec ma femme, notamment un masque pour elle, puis retour en barque à la maison, un moment travailler un peu à mon bureau, ensuite visite à sir William Penn, mais comme il s'apprêtait à se coucher et qu'il était souffrant je ne pus le voir. Puis à la maison souper et, au lit, fort incommodé toute la nuit et au matin par une inflammation du palais due à un refroidissement attrapé en étant resté assis en sueur dans le théâtre avec le vent qui soufflait sur ma tête.


                                                                                                                 13 juin 1663

            Lever et de bon matin à Thames Street chez les goudronniers pour m'informer sur le prix de leur marchandise, puis en barque à Whitehall parler à sir George Carteret, mais comme il avait passé la nuit dans la Cité et que je rencontrai Mr Cutler, le négociant, je montai dans son fiacre et me rendis à la Cité chez sir George Carteret, mais il était absent. Avec Mr Cutler le cherchâmes à pied chez sir Thomas Allin dans Bread Street. Nous ne le trouvâmes pas, et nous dirigeâmes à pied vers notre bureau et il m'entretint fort à propos des affaires de la marine, en particulier des subsistances dont il s'est autrefois occupé, d'après ce que je comprends. Puis nous nous séparâmes et j'allai au bureau où j'eus un différend avec sir William Batten au sujet du goudron de Mr Bowyer. Je suis résolu à empêcher le marché, quoiqu'il m'ait envoyé hier soir, comme pot-de-vin, un baril d'esturgeon. Peut-être vais-je le lui renvoyer, car je ne tolérerai point que le roi soit trompé de si abominable façon sur le prix de nos fournitures en raison de la corruption de sir William Batten et de ses trafics secrets. Puis quittai le bureau et pris une barque avec Mr Waith jusqu'au Parlement où je m'entretins avec sir George Carteret et lui contai tout, ce qui lui plut fort.........
            Avec Mr Waith bûmes une chope de bière à la taverne du Cygne, parlâmes ensemble dans notre barque de la corruption dans la marine. Je le débarquai à Whitefriars et me rendis à la Bourse, puis dîner à la maison où je trouve le frère de ma femme. Après dîner en barque au Théâtre royal où je suis résolu à dire adieu, comme je le montrerai demain en prononçant mes résolutions, à toutes les pièces de théâtre jouées dans les salles publiques comme à la Cour, jusqu'après Noël.
            Nous vîmes La bergère fidèle, une pièce qui a fort peu de mérites mais attire pourtant les foules et est souvent jouée, mais c'est uniquement en raison du décor, fort beau, mais je n'aime le jeu d'aucun des acteurs, Lacy excepté.....
            Allâmes ensuite voir Mrs Hunt qui nous reçut fort bien. En passant vîmes milady Castlemaine qui, je le crains, n'est pas aussi bien qu'elle m'avait semblé, et commence maintenant à décliner quelque peu. C'est aussi l'opinion de ma femme, et j'en suis chagrin. Puis prîmes un fiacre avec un fou de cocher qui conduisait comme un insensé et rentrâmes à la maison en faisant un détour par Bucklersbury. Tous les gens pestaient contre lui qui n'auraient pas hésité à les écraser. A la maison, au bureau pour écrire du courrier, retour à la maison, souper et, au lit...........


                                                                                                                     14 juin
                                                                                                   Jour du Seigneur
           Grasse matinée, puis à l'office, dîner avec Tom qui, je le crois devient un homme fort prospère, comme il me le dit lui-même...........
            Après son départ, quand j'eus envoyé mes gens assister à l'office, ma femme et moi fîmes nos comptes et eûmes une longue et sérieuse conversation, et je profitai pour lui suggérer la nécessité de faire toutes les économies possibles. Je vois chaque jour de fort bonnes raisons de maudire l'heure où j'ai accepté de lui engager une dame de compagnie, quoique je n'eusse jamais pu en trouver de meilleure, ainsi que de regretter d'avoir consenti à ses leçons de danse. Cela la distraite de sa besogne et de ses obligations de si diabolique façon que, de plus, elle est si persuadée de ma jalousie que je crains qu'elle ne se corrige jamais et que les tourments que cela me cause ne s'apaisent guère. Mais il me faut être patient.                                                   theatredesombres.free.fr
            Je lui donnai 40 shillings pour son voyage à la campagne, dont 15 pour sa place et celle de Miss Ashwell dans la diligence en complément des 20 déjà payés.
            Dans la soirée la conversation prit un tour fort satisfaisant et affectueux, et j'espère que lorsque nous aurons un peu oublié nos récents différends et que nous serons restés un temps séparés, nous nous accorderons de nouveau aussi bien qu'avant.
            Rendis ensuite visite à sir William Penn, et comme je le trouvai seul envoyai quérir ma femme vêtue de son habit d'amazone, elle ne l'avait pas vu depuis de nombreux mois, je crois. Arrivent sir John Mennes et sir William Batten. Nous passâmes un moment à causer, entre autres, sir John Mennes cita maintes belles expressions de Chaucer dont il est entiché, et qui est assurément un excellent poète.
            Sir William Penn a toujours les jambes si prises par la goutte qu'il ne peut se lever de sa chaise. Après avoir passé une heure avec lui, nous rentrâmes à la maison et, souper, prières et, au lit.


                                                                                                                       15 juin

            Levé de bonne heure, ma femme se leva peu après, me remit ses clefs, rangea d'autres choses et se prépara. Je fus obligé de me rendre à Thames Street conclure un marché pour l'achat de goudron pour éviter de me faire abuser par Hill venu ce matin et s'est montré fort surpris quand je lui ai dit à quel prix je peux avoir le même goudron que le sien, puis à la maison..
            Mais comme ma femme était partie je pris un fiacre et allai la retrouver à l'auberge. Je suis contrarié qu'elle soit obligée de s'asseoir au fond de la diligence, mais content de voir en quelle compagnie, rien que des femmes et un pasteur............ Je lui promis de louer un cheval et de les suivre. Je les embrassai, ma femme à maintes reprises, et Miss Ashwell un fois, et leur dis adieu.
            Retour à la maison en fiacre, puis à Deptford par le fleuve et à Trinity House où j'arrivai un peu en retard, au moment où ils donnaient lecture de la charte. Ils s'en acquittèrent fort sottement.......
Il fut procédé à l'élection sans contrôle d'un grand maître et sir William Batten fut choisi. Il leur fit un bref discours plein de lourdeurs....... Puis l'on choisit les compagnons et les gardiens et la séance fut levée........... Puis à l'office........ Par le fleuve, dans le canot de parade avec le grand maître à la Trinity House de Londres où je retrouvai entre autres milord Sandwich......... Nous passâmes bientôt à table pour le dîner qui fut splendide, comme à l'accoutumée.
            On parla de sujets fort divers. Parmi bien d'autres, Mr Prin nous conta la belle histoire de cet homme qui avait introduit un projet de loi au Parlement pour obtenir le droit de donner ses terres aux enfants qu'il pourrait avoir et qui porteraient le nom de sa femme, cela se passait au temps de la reine Elisabeth. On lui répondit qu'il y a bien des espèces de créatures où le mâle donne son nom aux deux sexes, tels les hommes et les coqs de bruyère, mais pas plus d'une où ce soit la femelle, et il s'agit de l'oie.
            Aussi bien avant qu'après le dîner nous eûmes de grandes conversations sur la nature et le pouvoir des esprits et la question de savoir s'ils peuvent animer les cadavres, sur tout cela ainsi que sur les apparitions d'esprits en général, milord Sandwich est fort sceptique. Il dit, qu'à sa connaissance, la preuve la plus convaincante de ces phénomènes est l'apparition récente, dont on parle beaucoup ces temps-ci, du diable dans Wiltshire. Il se promène en jouant du tambour. On a écrit des livres sur lui et l'on dit que l'histoire est parfaitement véridique. Mais milord fait observer que bien que ce diable soit censé répondre à n'importe quel air qu'on lui joue sur un autre tambour, il a une fois essayé de jouer un air sans y parvenir. Ce qui rend toute l'affaire suspecte à ses yeux, et je crois que c'est un bon argument.
            On parla plusieurs fois de jolies femmes, et comme sir John Mennes disait que nulle beauté ne se compare à celles qu'il voit sur les marchés à la campagne, et particulièrement à Bury ( et je suis         d'accord avec lui ) milord répondit :
            " -  Quoi, sir John, que pensez-vous de l'épouse de votre voisin ( en me regardant ). Ne pensez-vous pas qu'il a pour femme une grande beauté ? Ma parole, c'est la vérité ! " Ce qui me rendit pas peu fier..............
            Retour à la maison fus fâché de ne trouver au logis ni mon petit valet, que je corrigeai pour cela à son retour, ni Will quoiqu'il fût juste allé faire un petit tour sur la colline de la Tour.
            J'avais mal à la tête d'avoir dû boire tant de santés aujourd'hui et je fis venir le barbier. Quand il eut fini je montai dans le petit salon de ma femme et jouai un bon moment du violon, et sans souper me mis bientôt au lit, triste de l'absence de ma femme que j'aime de tout mon coeur, quoiqu'elle m'ait donné dernièrement bien du souci.


                                                                       à suivre..................

                                                                                                   16 juin 1663

            Levé, mais......
                     
         


         
         
       
         

Mozart Lettres à sa soeur 6 ( Correspondance Allemagne )



Arbre de Noël en ombres chinoises










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                                                     Léopold Mozart à Lorenz Hagenauer à Salzbourg

                                                                                               Vienne, le 13 septembre 1768

            Avant-hier il y a eu un an que nous avons quitté Salzbourg.
            Aurais-je alors pu imaginer rester un an à Vienne ? Mais qui peut aller à l'encontre de son destin ! Je voudrais ch... des oranges à force de contrariété ! Le principal est que nous soyons tous en bonne santé, Dieu merci. Que ne puis-je vous annoncer le moment joyeux de notre départ !
            La seule chose que je puis vous dire avec certitude est que je me mettrai en route dès que notre marché sera conclu. Je ne peux vous décrire le cours des choses, car je n'en aurais ni le temps ni la patience. Vous apprendrez tout cela de vive voix et entendrez des choses étonnantes. Bientôt, j'espère en Dieu.
            Samedi dernier on a inoculé la variole à Sa Majesté la fille de l'Empereur, la princesse Theresia et aux 2 princes, Ferdinand et Maximilian. Vous pouvez imaginer l'émoi suscité ici...
            Ma femme, ma fille, Wolfgang, tous vous font leurs compliments.
            Les gens disent que nous avons grossi et que les enfants ont grandi. Lorsque nous reviendrons, si vous le constatez aussi, c'est un signe que les ennuis sont une bonne nourriture à Vienne, et qu'ils ne nuisent pas au corps...

            N.B. Monsieur le Père Parhamer est témoin que Sa Majesté l'Empereur a demandé à Wolfgang où il en est de son opéra et lui a longuement parlé.


                                                                               Vienne, le 24 septembre 1768 

            J'ai écrit aujourd'hui à sa Grâce Princière. J'espère que le bruit que vous me rapportez sera sans fondement. Mais si Dieu envisage autre chose pour nous, il n'est pas en notre pouvoir de le modifier. J'espère toutefois que vous ne me laisseriez pas un seul instant dans l'ignorance. J'ai obtenu une audience de Sa Majesté l'Empereur le 21 au matin et lui ai remis ma plainte contre l'imprésario de théâtre Affligio. Son Excellence le comte Sporck a déjà été chargé d'examiner l'affaire et Affligio a reçu l'ordre de se justifier, car j'exige non seulement les 100 ducats promis pour l'opéra, mais également le remboursement des frais que j'ai engagés ici entre-temps,etc. Patience, nous verrons bientôt le résultat. L'empereur a été très aimable et nous a promis justice à tous...
            Les nobles personnages inoculés se portent bien. tout le monde veut maintenant se faire inoculer.
                                 Addio

            Aujourd'hui j'ai repris 20 ducats. Le ciel remboursera tout cela...


                               
                          Léopold Mozart à Lorenz Hagenauer à Salzbourg

                                                                                     Vienne le 12 novembre 1768
     sport24.lefigaro.fr
            Wolfangerl et moi remercions ceux qui nous ont adressé tous leurs bons voeux. Nous répondrons peu à peu. Nous sommes, Dieu merci, tous en bonne santé, un rhume par-ci, par-là, n'est pas une maladie. Je dois vous demander un service.
            Le père Parhamer aimerait bien avoir ma musique de la Course en traîneau et je voudrais lui être agréable... Envoyez-la moi sans en parler à personne. Le jour de l'Immaculée Conception, la nouvelle église de l'orphelinat du P. Parhamer sera consacrée. Wolfgang lui a écrit une Messe et a fait cadeau de l'ensemble à l'orphelinat. Il est vraisemblable que Wolfgang dirigera lui-même. Cela a ses raisons.
            Nous adressons mille voeux de bonheur à Léopold pour sa fête, il recevra son cadeau à notre retour. Vous ne nous en voudrez pas si nous lui offrons quelque chose qui n'est pas entièrement neuf. Tout va être trop petit pour Wolfgang ainsi que pour ma fille, n'est-ce pas là aussi la croix et la bannière ? Je ne fais actuellement qu'acheter de nouveaux vêtements pour mes enfants...


                        Léopold Mozart à Lorenz Hagenauer à Salzbourg

                                                                                       Vienne, le 14 décembre 1768

            J'aurais tant aimé et souhaité être de retour à Salzbourg  pour le jour anniversaire de la consécration de Sa Grâce Princière, mais cela m'a été impossible, car nous n'avons pu mener à bien notre affaire avant cette date, malgré tous mes efforts. Toutefois, nous partirons avant les fêtes de Noêl, et c'est la raison pour laquelle je vous demande de ne plus nous écrire ni de rien nous envoyer ici. Il est toutefois aisément concevable que nous ne serons pas de retour pour le Jour de l'An, car nous ne voulons pas voyager de nuit, cela est trop peu sûr. De plus, les journées sont très courtes et, par ce froid, nous devons raccourcir la durée de nos étapes. Nous arrivons à la période des fêtes et passerons le jour de Noêl en un lieu agréable, nous n'irons donc pas très loin non plus les autres jours.
            Je ne manquerai pas d'envoyer mes voeux respectueux  à Sa Grâce le Prince, notre seigneur, et vous prie d'en transmettre de semblables à son Excellence Monsieur le Confesseur et de nous rappeler respectueusement à son souvenir. La messe que Wolfgang a donné le 7 décembre chez le Père Parhamer et qu'il a dirigé lui-même en présence de la cour impériale a racheté ce que ses ennemis avaient espéré faire échouer en l'empêchant de donner son opéra. Il a convaincu la cour et le public, venu extraordinairement nombreux, de la méchanceté de nos adversaires. Je vous donnerai de vive voix plus de détails
            De plus, Sa Majesté l'Impératrice lui a fait un beau cadeau. Nous espérons que vous êtes tous en bonne santé, tout comme nous, Dieu merci...
            Je prie respectueusement notre chère madame Hagenauer de nous procurer du bois. Nous devrons également engager une servante si nous ne voulons pas nous-mêmes avoir à allumer le feu, etc. et à nous divertir à ce genre de travaux. Ce que fera madame Hagenauer sera le bienvenu. Qu'elle prenne une jolie servante, ma femme n'est absolument pas jalouse.


                                ...........................................   ...........................


                                                           1769

                                                 Mozart à une jeune inconnue

                                                                                                Salzbourg 1769 ( ? )
       repro-tableaux.com
            Amie,
            Vous voudrez bien me pardonner si je prends la liberté de vous importuner par quelques lignes. Mais, comme vous avez dit hier que vous comprenez tout, que je peux vous écrire en latin tout ce que je veux, je n'ai pu résister à la curiosité de vous écrire toutes sortes de mots et de lignes en latin. Lorsque vous les aurez lus, ayez la bonté de m'envoyer la réponse par une domestique de Hagenauer, car notre Nandi ne peut attendre ( mais vous devrez me répondre aussi par écrit ).

            Cuperem scire, de qua causa, a quam plurimis adolescentibus ottium adeo aestimatur, ut ipsi se nec verbis, nec verberibus, ab hoc sinant abduci.
            ( traduction de l'éditeur ) J'aimerais savoir pourquoi la plupart des jeunes gens apprécient à ce point l'oisiveté que ni les mots, ni les coups ne sauraient les en détourner.


                                       Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg

                                                                                                    Wörgl mercredi soir à 8 heures

            Nous sommes arrivés vers 1 heure à Kaitl et avons pris au déjeuner un plat de veau saumuré, dans une puanteur épouvantable. Nous l'avons accompagné de quelques gorgées de bière car le vin est un véritable laxatif.
            Nous sommes arrivés à Lofer à sept heures passées. Après avoir commandé le dîner, nous sommes allés rendre visite à M. le Préfet qui n'était pas content que nous ne soyons pas descendus directement chez lui. Comme nous avions commandé le repas à l'auberge, nous le fîmes livrer au tribunal administratif. Mangeâmes et bavardâmes jusqu'à 10 heures. On nous donna de belles chambres et de bons lits, le matin je bus un chocolat et Wolfgang mangea une bonne soupe. A midi nous étions à Sankt-Johann et le soir nous arrivâmes à Wörgl où je fis venir le vicaire de Chiemsee, M. Hartmann Kellhammer. Il t'adresse ses compliments. Il est maintenant 10 heures, nous allons nous coucher car demain je dois me lever à 5 heures.
            J'ai dormi presque tout le temps du voyage, malgré la méchante description des routes qu'on m'avait faite, car j'ai vu que nous avions un bien bon cocher. Dans cette région et en particulier de Lofer à Sankt-Johann, il y a une neige étonnante. Portez-vous bien tous. J'écrirai dès mon arrivée à Innsbruck.

                     Post-Scriptum de Mozart à sa mère et à sa soeur

            Ma très chère maman,
            Mon coeur est absolument ravi de joie parce que ce voyage est tellement amusant et qu'il fait très chaud dans la voiture et parce que notre cocher est un garçon courtois qui conduit bien vite dès que la route le permet un peu. Mon papa aura déjà décrit le chemin à maman, et la raison pour laquelle j'écris à maman c'est de lui montrer que je connais mes devoirs et suis, avec le plus profond respect, son fils fidèle.

                                                                               Wolfgang Mozart

            Carissima sorella mia
            Nous sommes, grâce à Dieu, bien arrivés à Wörgl. A dire vrai, je dois avouer qu'il est très amusant de voyager qu'il ne fait absolument pas froid et qu'il fait dans notre voiture aussi chaud que dans une chambre. Comment va ton mal de gorge ? Monsieur le Raseur est-il venu le jour de notre départ ? Si tu vois monsieur de Schiedenhofen, dis-lui que je chante toujours : Tralaliera, tralaliera, et dis-lui qu'il n'est plus nécessaire maintenant de mettre du sucre dans la soupe, puisque je ne suis plus à Salzbourg. A Lofer nous avons dîné et dormi chez M. de Helmreichen, qui en est le préfet. Son épouse est une bonne dame, c'est la soeur de M. Moll. J'ai faim et grande envie de manger. Porte-toi bien. Addio.

                                                                                  Wolfgang Mozart 

            P.S. Un compliment à tous mes bons amis,
            à Monsieur Hagenauer, le commerçant, à sa femme, à ses fils et filles, à madame Rosa et à son mari et à M. Hornung, s'il n'a pas cru encore une fois que c'était moi qui étais au lit au lieu de toi.


                     ......................... .............  .........................


                                Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg

                                                                                                   Vérone 7 janvier 1770
                                                                                                                               harmonia.iweb.hu
            Je regrette de ne pas avoir reçu ta première lettre. Elle est peut-être restée au bureau de poste de Bozen. Je vais me renseigner, elle m'y aura sans doute été renvoyée d'Innsbruck.
            Nous sommes en bonne santé, Dieu merci ! je te le dis tout de suite..............
            La noblesse a donné un concert chez M. le baron Todeschi. Et qui est ce Bon Todeschi ? -- ce M. que M. Giovani avait un jour amené à Vienne pour entendre Wolfgang. Peut-être te souviens-tu ? Il est inutile de décrire tout l'honneur qu'en a tiré Wolfgang. Le lendemain nous sommes allés jouer de l'orgue à l'église principale, bien que 6 ou 8 personnes seulement aient été au courant tout Rovereto s'était rassemblé à l'église, et deux forts gaillards ont dû nous ouvrir le chemin jusqu'au choeur où nous mîmes plus d'un demi-quart d'heure à parvenir jusqu'à l'orgue, car tout le monde voulait être devant. Nous sommes restés quatre jours à Rovereto.
            A Vérone, la noblesse n'a pu organiser qu'au bout de 7 jours un concert ou académie auquel nous fûmes invités, car il y a opéra tous les jours........... Nous étions invités chez........... M. Lugiati, le percepteur général des impôts, il a demandé à des chevaliers de me prier d'autoriser un peintre à faire le portrait de Wolfgang, ce qui fut fait hier matin......... Aujourd'hui, après le repas nous nous rendîmes à l'église S. Tommasa pour essayer les 2 orgues, et bien que cette décision n'ait été prise que pendant le déjeuner et seuls le Marquese Carlotti et le comte Pindemonte fussent avisés par un billet, une foule énorme était rassemblée, de sorte qu'à notre arrivée nous pûmes à peine descendre de voiture. La cohue était telle que nous dûmes passer par le cloître, mais une foule nous suivit immédiatement et nous n'aurions pu nous frayer un chemin sans la protection des patres qui nous avaient accueillis à la porte. Cela fait le bruit était encore plus grand, car chacun voulait voir le petit organiste.                                                                                                             
            De retour à la voiture je nous fis conduire aussitôt à la maison, fermai la porte et commençai à écrire cette lettre. Je dus m'arracher à tout le monde, sinon on ne nous laisserait même pas écrire une lettre............ Après-demain nous ferons nos bagages et mercredi soir, si Dieu le veut, nous partirons pour Mantoue........         
            A-t-il fait beau et doux à Salzbourg pour Noël ? Depuis 8 jours il fait très froid et, imagine-toi que partout où nous déjeunons il n'y a ni cheminée, ni poêle dans la salle à manger, de sorte qu'on a les mains affreusement noir-bleu-rouge. Je préférerais manger dans une cave. Je t'en dirai plus une autre fois à ce sujet, mais c'est notre plus grand problème... Mon papier arrive à la fin, adieu, je suis ton vieux

                                                                                                                     Mzt


                                                  Mozart à sa soeur à Salzbourg

                                                                                           Verona il sette di jenuario 1770

            Ma soeur chérie,
            J'ai cru tomber sur la tête d'avoir à attendre si longtemps et en vain une réponse, et non sans raison puisque je n'ai pas reçu ta lettre du 1er. Ici s'arrête le rustre allemand et commence le rustre italien.
            Tu es plus forte en langue italienne que ce que j'imaginais. Dis-moi la raison pour laquelle tu n'as pas été à la comédie jouée par les Cavaliers. Actuellement nous entendons continuellement un opéra intitulé Il Ruggiero. Oronte..... joué parSig. Afferi, un bon chanteur, baryton, mais il force lorsqu'il glousse en voix de fausset, pas autant toutefois que Tibaldi à Vienne. Bradementa......... joue avec une voix passable et sa tournure ne serait pas mal, mais elle détonne comme le diable........
Ruggiero est un musicien qui chante à la Manzuoli et qui a une très belle voix forte, il est déjà âgé, il a cinquante-cinq ans et possède un gosier agile.......... il y a tant de chuchotements dans la salle qu'on entend rien............. Entre tous les actes, il y a un ballet. Il y a ici un bon danseur nommé M. Russler qui est allemand et danse fort bien. La dernière fois que nous avons vu l'opéra, mais pas la dernière fois, nous avons prié M. Russler de monter à notre loge ( celle du marquis Carlotti est à notre disposition et nous en avons la clé ) et nous nous sommes entretenus avec lui. A propos :
tout le monde se déguise actuellement et, ce qui est très commode lorsqu'on a un masque par-dessus son chapeau, on a le privilège de ne pas le retirer lorsque quelqu'un vous salue et de ne jamais appeler personne par son nom, mais de dire toujours : humble serviteur, Monsieur le Masque. Cospeto di Baco, voilà qui est amusant ! Mais voilà bien le plus étonnant : nous nous couchons dès 7 heures, 7 heures et demie. Si tu devines comment, je dirai certainement que tu es la mère de tous les
devins. Baise pour moi la main de maman, je t'embrasse mille fois et te promets de rester toujours ton frère bien sincère et fidèle. Portez-vous bien et aimez-moi toujours.

                                                                                                    Wolfgang Mozart 

P.S. De Leopold Mozart :
       Je t'embrasse des milliers de fois ainsi que maman. Si tu cherches la partition des concertos que nous avons emportés, tu la trouveras dans le milieu de mon armoire, là où se trouvent les symphonies. Je rappelle le piano à ton bon souvenir.


                                          Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg

                                                                                              Mantoue, 11 janvier 1770
merzdorf.de
            Nous sommes arrivés ici hier soir et sommes allés à l'opéra une heure plus tard, c'est-à-dire à 6 heures. Nous nous portons bien, Dieu soit loué. Wolfgang a l'air d'avoir fait une campagne militaire il a pris une couleur rouge-brun, surtout autour du nez et la bouche, à cause du grand air et du feu dans la cheminée. Il ressemble ainsi, par exemple, à Sa Majesté l'Empereur. Ma beauté n'a pas encore eu à beaucoup souffrir, sinon je serais désespéré. Je ne peux encore écrire grand-chose d'ici. Nous sommes allés aujourd'hui chez le prince v. Taxis, mais il n'était pas là et madame son épouse avait des lettres si urgentes à écrire qu'elle ne put nous recevoir, nous, ses compatriotes
            Mais nous avons vu en bas quelques déesses de cuisine assez sales bondir de joie de voir des compatriotes. Il me semble qu'elles ne se plaisent guère en Italie. Demain nous sommes invités chez le comte Francesco Eugenio d'Arco, je pourrai alors en écrire plus. Entre temps je dois te donner quelques nouvelles de Vérone. Nous avons vu l'amphithéâtre et le Museum Lapidarium, tu peux en lire une description dans le Descriptions de voyage de Keyssler et je rapporterai un livre consacré aux antiquités de Vérone............ J'alourdirais trop les lettres qui seraient trop chères si j'y joignais les extraits de journaux qui parlent de Wolfgang à Mantoue et en d'autres lieux. Je t'en adresse un ci-joint dans lequel se trouvent deux fautes : il est écrit actuel maître de chapelle et à l'age de 13 ans non révolus, au lieu de 14 ans. Mais tu sais ce qu'il en est, les journalistes écrivent ce qui leur passent par la tête. Je pourrais t'envoyer encore d'autres choses, car les poètes chantaient à qui mieux mieux à Vérone à son sujet. Je joins également la copie d'un sonnet improvisé en notre présence par un amateur cultivé, dont le maître de chapelle Daniele Barba a chanté ex tempore les plus beaux vers pour Wofgang.
            Le 16 aura lieu le concert hebdomadaire dans la salle de l'Académie philharmonique, où nou    sommes invités, puis nous irons tout de suite à Milan. Si le temps est froid et les chemins gelés nous passerons par Crémone, si le temps est chaud, et par suite les chemins mauvais nous devrons passer par Brescia. La sécurité règne ici, on n'entend parler de rien, comme en Allemagne. Nous trinquons tous les jours à votre santé, Wolfgang ne l'oublie jamais. Adieu, je suis ton vieux

                                                                                                                                    Mzt

            Transmets bien des choses à tous nos bons amis et amies                                                                         Je ne peux écrire à personne, je suis un pauvre homme tourmenté ! Sans cesse s'habiller et se déshabiller, faire et défaire les malles, et de surcroît, pas de chambre chauffée, geler comme un chien, tout ce que je touche est glacé, et si tu voyais les portes et les serrures des chambres ! Rien que des prisons ! Poste la lettre ci-jointe pour M. Friederici à Gera de sorte qu'elle parte bientôt et sûrement. C'est la commande d'un pianoforte.


                                                                                 à suivre...........                                                                                   

         


                                                                                     
         

                                                                                                               







                                           

samedi 20 avril 2019

Deux en un Anton Tchekhov ( Nouvelle Russie )


natalja.net

                                       Deux en Un

            Ne croyez pas ces judas, ces caméléons. Aujourd'hui il est plus facile de perdre la foi que de perdre un vieux gant. Et je l'ai perdue.
            C'était le soir. J'étais dans le tramway. En tant que personnage haut placé, il ne me convient pas de voyager en tramway, mais cette fois-là je portais une grande pelisse avec un col de martre dans lequel je pouvais me cacher. Et puis, vous savez, ça coûte moins cher. Bien qu'il fût tard et qu'il fît froid le wagon était bondé. Personne ne m'avait reconnu, le col de martre m'assurait l'incognito.
            Je somnolais et observais les bons bougres autour de moi
            " Non, ce n'est pas lui, me disais-je en avisant un petit bonhomme en miteux manteau de lièvre. Ce n'est pas lui ! Si, c'est lui ! Lui ! "
            Tout en réfléchissant, je croyais et je n'en croyais pas mes yeux.
             L'homme en lièvre miteux ressemblait terriblement à Kapitonytch, l'un de mes greffiers. C'est un être chétif, accablé, écrasé. Il ne vit que pour ramasser les mouchoirs tombés et vous souhaiter bonne fête. Il est jeune mais il a le dos en arc de cercle, les genoux toujours fléchis, les mains pleines de taches, les bras au garde-vous. Son visage semble avoir été coincé dans une porte ou cinglé à coups de chiffon mouillé. Il est maussade et pitoyable. En le voyant on a envie de chanter Loutchinouchka et de gémir. Quand il me voit il tremble, pâlit, comme si je voulais l'égorger ou le manger, et quand je lui secoue les puces, il se ratatine et tremble de tous ses membres.
            Je ne connais pas de créature plus humble, plus silencieuse et plus insignifiante. Je ne connais même pas d'animal aussi doux.                                                               
            Le bonhomme en lièvre miteux me le rappelait fortement  c'était tout à fait lui ! Seulement, il n'était pas aussi voûté, ne    semblait pas accablé, se tenait avec désinvolture et, le plus révoltant de tout, discutait politique avec son voisin. Tout le wagon l'écoutait.
            - Gambetta est mort, disait-il pivotant du torse et moulinant des bras. Bismarck, ça l'arrange. C'est que Gambetta avait des idées derrière la tête. Il aurait fait la guerre aux Allemands et leur aurait fait payer les dommages. Parce que c'était un génie. Il était français, mais il avait l'âme russe. Un talent !
            Ah, la saleté !
            Il ne lâcha Bismarck que pour se jeter sur le receveur qui passait encaisser les billets.
            - Pourquoi fait-il si sombre dans ce wagon ? Vous n'avez donc pas de bougies ? Qu'est-ce que c'est que ce désordre ? Il n'y a personne pour vous apprendre à vivre ! Vous en auriez pris pour votre grade à l'étranger. Ce n'est pas le public qui est à votre service, c'est vous qui êtes au sien, nom de chien ! Je ne comprends pas ce que font vos chefs !
            Un instant après, il exigea que nous nous poussions tous.
             - Poussez-vous, on vous dit ! Cédez une place à Madame. Un peu de politesse ! Receveur !
Par ici, receveur ! Vous lui prenez de l'argent, alors donnez-lui une place ! C'est honteux !
            - Défense de fumer ! lui cria le receveur.
            - Sur l'ordre de qui ? De quel droit ? Vous portez atteinte à la liberté des gens. Je ne permettrai à personne d'attenter à la mienne. Je suis un homme libre !
            Ah, sacrée canaille ! Je regardais sa petite gueule médiocre et n'en croyais pas mes yeux. Non, ce n'était pas lui. Ce n'était pas possible. L'autre ne connaissait pas de mots comme " Gambetta " ou
" liberté ".  expressio.fr
            - Il n'y a pas à dire, il est beau, notre ordre ! dit-il en jetant sa cigarette. Allez vivre avec ces messieurs-là ! Ils sont obsédés par la forme, par la lettre. Formalistes, philistins ! A l'assassin !
            Je ne pus résister, j'éclatai de rire, ce qu'entendant il me lança un hâtif coup d'oeil et sa voix frémit. Il avait reconnu mon rire, et sans doute aussi ma pelisse. Instantanément, son dos se voûta, sa figure s'aigrit, ses mains s'étirèrent, au garde-à-vous, ses jambes fléchirent.
            Il avait changé en un tourne-main ! Je ne doutais plus : c'était lui, mon greffier. Il s'assit et enfouit son petit nez dans son manteau de lièvre.
            A présent je regardais son visage.
            " Se peut-il, me dis-je, que ce petit être désolé, aplati, sache articuler des mots comme
" philistin " ou " liberté ". Hein ? Cela se peut-il ? Hé oui ! Invraisemblable, mais vrai. Ah, canaille ! "
            Après cela faites confiance à de tels caméléons !
            Moi, c'est fini. Suffit, vous ne m'aurez plus !


 *  theatredesombres.free.fr
                                                   Tchekhov

                                                                      ( 18 janvier 1883 )

        

lundi 15 avril 2019

Monsieur Léonida aux prises avec la Réaction Ion Luca Caragiale ( Théâtre Roumanie )

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                                       Monsieur Léonida aux prises avec la Réaction

          Personnages

          Léonida, retraité, 60 ans
          Efimitza, son épouse, 56 ans
          Safta, la bonne

                    Bucarest, chez Léonida
            Décor
   
            Une modeste chambre dans un faubourg de Bucarest. Au fond, à droite, une porte.
            A gauche, une fenêtre. Deux lits jumeaux de chaque côte. Au milieu, une table, des chaises de paille. Sur la table une lampe à pétrole allumée recouverte d'un abat-jour brodé.
            A gauche, au premier plan, un poêle, la porte ouverte, quelques lisons crépitent.
            Monsieur Léonida en robe de chambre, pantoufles et bonnet de nuit.
            Efimitza en camisole et jupon de flanelle rouge, un fichu de batiste rouge enserre ses cheveux. Ils sont assis de part et d'autre de la table et causent.


                                                                  Scène 1


            Léonida - Et alors, comme je te le disais, un beau matin, dès mon réveil c'est la première chose que je fais, tu me connais... je prends " l'Aurore démocratique ", histoire de voir un peu ce qui se passe dans le pays. Je l'ouvre... Et qu'est-ce que je lis ? Tiens, je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui : " 11/23 février... La tyrannie a été renversée ! Et vive la République ! "
            Efimitza - En voilà bien d'une !
            Léonida - Feue madame Léonida, ma première épouse, ne s'était pas encore levée, je saute du lit, et je lui crie : " Debout la Bourgeoise, et réjouis-toi comme il convient à une fille du peuple. Debout, c'est la liberté ! "
            Efimitza, approuve - Oui, et alors ?
            Léonida - A ce mot de liberté, la défunte saute elle aussi du lit... Car, pour une républicaine, c'en était une ! Je lui dis : " Fais-toi belle, m'amie, et allons voir la révolution. " Nous mettons nos habits du dimanche et nous filons dare-dare jusqu'à la Place du Théâtre... ( solennel ) Eh bien,quand j'ai vu ça... tu sais comme je suis, je ne m'emballe pas facilement...
            Efimitza - Je te crois, ce n'est pas ton genre. Un homme comme toi, mon coco, c'est plutôt rare.
            Léonida - Tu diras peut-être que c'est parce que, comme qui dirait, je suis républicain que je suis du côté de la nation...
            Efimitza - Comme de juste !...
            Léonida - Mais moi, quand j'ai vu ça, je me suis dit à mon tour : " Dieu nous préserve de la colère du peuple !... Quel spectacle, messieurs ! Des drapeaux, des fanfares, des cris, un vacarme de tous les diables, et du monde, du monde... à vous donner le vertige, je ne te dis que ça.
            Efimitza - Heureusement que je n'étais pas à Bucarest à ce moment-là ! Nerveuse comme je suis, qui sait !?.... Dieu garde !... ce qui pouvait encore m'arriver.
            Léonida - Ne dis pas ça, ça valait la peine d'être vu. ( Sur un autre ton ) Et, dis voir, combien de temps penses-tu qu'elle ait fait rage, cette révolution ?
            Efimitza - Jusqu'au soir.                                                               
Giuseppe GARIBALDI            Léonida ( souriant à tant de naïveté, puis grave ) - Trois longues semaines, monsieur !
            Efimitza ( ébahie ) - C'est incroyable !
            Léonida - Alors, tu te figures, toi, que ça a été une petite bagatelle de rien du tout ? Imagine un peu : pour que Galibardi ( sic ) en personne, de là où il se trouve, ai tout de suite écrit une lettre à la nation roumaine...
            Efimitza ( avec intérêt ) - Pas possible !
            Léonida - Tiens donc !
            Efimitza - Comment ça ?
            Léonida - Tu comprends, ça lui a plu, à cet homme, notre façon de mener rondement l'affaire, question d'offrir un exemple à l'Europe. Et il s'est tenu pour obligé, puisqu'il est dans la politique, de nous adresser ses félicitations.
            Efimitza ( curieuse ) - Et qu'est-ce qu'il disait dans la lettre ?
            Léonida  ( important ) - Quatre mots, pas plus, mais tapés, je ne te dis que ça. Tiens, je me les rappelle comme si c'était aujourd'hui : " Bravo nation ! Mes compliments ! Vive la République ! Vivent les Principautés Unies ! " Et, au-dessous, sa propre signature autographe : Galibardi.
            Efimitza ( satisfaite ) - Pour lors, si c'est comme ça, il a joliment bien parlé, cet homme !
            Léonida - Hé, hé ! Galibardi c'est quelqu'un, il n'y en a pas deux comme lui. ( Avec fierté et conviction ) La gent latine, mon vieux, c'est tout dire. C'est pas pour rien qu'il a mis la panique parmi tous les empereurs, sans compter le Pape de Rome.
            Efimitza ( étonnée ) - Le Pape de Rome ? C'est-y Dieu possible !...
            Léonida - Comme je te le dis ! Et ce qu'il a pu lui laver la tête ! Ça l'a assis, l'autre. Alors qu'est-ce qu'il s'est dit le jésuite, pas bête d'ailleurs, quand il a vu qu'il n'en viendrait pas à bout :
" Eh, mon ami, cette fois c'est sérieux. Avec ce gaillard-là, à ce que je vois, ça n'ira pas tout seul. La meilleure politique, à mon avis, c'est de me mettre bien avec lui et d'en faire mon compère. " Et de fil en aiguille, tu me passes la rhubarbe, je te passe le séné, voilà notre Baribardi parrain d'un gosse du Pape.
            Efimitza ( fine ) - Le vieux avait trouvé son maître !
            Léonida - Parbleu !... Maintenant dis-moi combien d'hommes crois-tu qu'il ait, à ton idée, ce Galibardi ?
            Efimitza - Des tas et des tas.
            Léonida - Mille, monsieur, rien que mille.
            Efimitza - Je n'en reviens pas. Alors, à t'en croire, rien qu'avec mille hommes ?...
            Léonida ( l'interrompant ) - Parfaitement. Mais demande-moi un peu quelle espèce d'homme c'est.
            Efimitza - La crème, quoi !
            Léonida - Et du premier choix. Triés sur le volet, on ne fait pas mieux. Ils tireraient sur le bon Dieu. Des volontaires, c'est tout dire ! Aujourd'hui ici, demain en Chine... Rien à perdre, tout à gagner.
            Efimitza - Ah ! Bon ! Tu m'en diras tant...
            Léonida - Et tous lui obéissent comme à Dieu le Père. Pour l'amour de lui, ils sont capables de rester trois jours sans boire ni manger, s'ils n'ont pas de vivres.
            Efimitza - Que me chantes-tu là, ma chère ?
            Léonida - C'est comme je te le dis, et il en fait bien d'autres, des choses formidables.
            Efimitza - Bravo !
                              ( Ils bâillent )
            Léonida - Il doit être tard, m'amie. On va se coucher ?
            Efimitza ( se lève et regarde la pendule ) - Il est minuit passé, mon coco.
            Léonida ( se lève à son tour et se dirige vers le lit de gauche ) - Comme le temps passe vite, quand on cause...
            Efimitza ( tout en bordant son lit ) - Je te crois. Tu as une' façon de dire les choses qu'on ne se lasserait jamais de t'écouter. Des hommes comme toi, mon coco, c'est plutôt rare.
            Léonida ( se couche et tire les couvertures ) - M'amie, as-tu dit à la bonne de venir plus tôt demain pour faire le feu ?
            Efimitza ( Éteint la lampe ) - Oui. ( elle fait un signe de croix et se couche dans le lit de droite. La pièce n'est éclairée que par les tisons. )
            Léonida ( se tourne et se retourne dans le lit pour trouver une place douillette et, avec un soupir de satisfaction ) - Ah ! enfin...
Résultat de recherche d'images pour "peinture tableau rouge"            ( Un temps pendant lequel chacun s'installe de son mieux ).
            Efimitza ( d'une voix amortie par les couvertures ) - Alors, c'est comme ça qu'il est ton Galibardi, hein ?
            Léonida ( même jeu ) - Comme ça, ma parole... Ah ! donne-moi encore un type comme lui et d'ici demain soir, je n'en demande pas davantage, je t'en flanquerai une, moi, de ces républiques !
( avec regret ) Héla, on n'en fait plus, des hommes comme lui. Je sais bien ce que tu vas me dire : qu'on n'a pas fait le monde en un jour et que tout vient à point pour qui sait attendre ( avec force ) Mais enfin, tout de même, la patience a des bornes ! ça ne peut pas continuer comme ça, mon vieux ! Il en a soupé le peuple, de la tyrannie. C'est la république qu'il lui faut !
            Efimitza -Tu crois, mon coco, après tout ! Moi, j'ai pas beaucoup de tête... une femme... pardon si je te demande une chose : en somme, qu'est-ce qu'on y gagnerait à l'avoir, cette république?
            Léonida ( surpris par la question ) - Pour le coup, elle est bien bonne ! Comment, ce qu'on y gagnerait ? Comme on dit : belle tête, mais de cervelle point. Allons, donne-toi la peine de réfléchir un peu. Laisse-moi t'expliquer : primo, et en premier lieu, en république, personne ne paye plus d'impôts.
            Efimitza - Non, vrai ?
            Léonida - Tout ce qu'il y a de plus vrai. Secundo, tout citoyen reçoit chaque mois un bon salaire et, qui plus est, le même pour tous.
            Efimitza - Ta parole ?
            Léonida - Ma parole ! Ainsi, moi, par exemple...
            Efimitza - En dehors de la retraite ?
            Léonida - Cela va de soi ! La retraite ça n'a rien à voir. J'y ai droit en vertu de l'ancienne loi. Spécialement en république, tu sais, le droit, c'est sacré : la République, c'est la garantie de tous les droits.
            Efimitza ( approuve pleinement ) - Alors, rien à dire.
            Léonida - Et tertio, semble avoir également fait la loi du moratoire ...
            Efimitza - Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire-là ?
            Léonida - Ça veut dire comme quoi on n'a plus le droit de payer ses dettes.
            Efimitza ( émerveillée elle se signe ) - Sainte Vierge ! mais qu'est-ce qu'on attend, alors, pour la faire cette république ?
            Léonida - Hé, hé ! tu te figures que les réactionnaires vont te laisser faire ! Ça ne fait pas leur compte, forcément, que personne ne paye plus d'impôts. Je comprends ça : du coup, adieu les beaux traitements qu'ils ramassent à la pelle.
            Efimitza - C'est vrai... mais... ( après avoir réfléchi plus profondément ) il y a une chose que je ne comprends pas.
            Léonida - Quoi donc ?
Résultat de recherche d'images pour "peinture tableau rouge"            Efimitza - Si personne ne paye plus d'impôts, ma chère, d'où est-ce qu'on prendra l'argent pour les salaires des citoyens ?
            Léonida ( il résiste au sommeil ) - C'est l'affaire de l'Etat, mon vieux. Il est là pour ça, non ? C'est son devoir à lui d'avoir soin que les citoyens reçoivent leurs salaires à temps...
            Efimitza ( éclairée ) - En effet ! Vois-tu, ça ne me serait pas venu à l'idée. ( Après avoir réfléchi un moment ) - Ah ! ce serait la belle vie ! Dieu veuille qu'on la voie un jour, cette République. ( Léonida commence à ronfler ) Tu dors, mon coco ?... ( Léonida ronfle de plus belle ) Il s'est endormi.


                                                                      Scène II


            Madame Efimitza se tourne sur le côté et s'endort aussi. Une heure du matin sonne lentement dans le voisinage : quatre coups pour les quarts, puis un autre, plus grave, pour marquer l'heure. A l'orchestre, trémolo mysterioso. Un autre moment de silence, puis on entend au loin deux, trois détonations suivis de cris sourds suivis d'autres détonations et des cris plus distincts cette fois. Le jeu se répète.

            Efimitza ( se réveille et se dresse sur son séant, regarde avec inquiétude du côté de la porte et s'écrie, affolée ). - Qui est là ? ( Un temps et elle saute du lit, va vite à la porte et s'assure qu'elle est bien verrouillée, elle en fait autant avec la fenêtre et regagne son lit un peu moins inquiète, en se signant ). Qui sait ce que j'ai bien pu rêver. ( Elle se recouche et s'assoupit. A l'orchestre, trémolo. Un temps, salve de détonations, cris redoublés. Efimitza bondit de son lit ). Qui est là ? ( un temps, elle va, tremblante, à la table, à tâtons elle cherche les allumettes et allume la lampe. Très agitée elle vérifie à nouveau si la porte est bien fermée puis, sur la pointe des pieds, elle va à l'armoire, donne rapidement un tour de clé, comme si elle avait surpris quelqu'un caché. Puis, le coeur battant, elle tend l'oreille à ce qui se passe à l'intérieur, elle regarde ensuite sous les lits, dans tous les coins, éteint la lampe, se signe et se remet au lit ). Qu'est-ce que ça peut bien être ? ( Soudain on entend une nouvelle salve et des cris prolongés. Madame Efimitza est aussitôt debout et écoute pétrifiée ). Léonida ! ( Le bruit se répète ) Léonida ! ! ( Un temps. Le bruit reprend plus fort. Exaspérée Efimitza heurte une chaise, trébuche et s'effondre sur le lit de Léonida ) Léonida ! !


                                                                      Scène III


            Léonida ( s'éveillant effrayé ) - Hein ? Qu'est-ce qui se passe ?
            Efimitza - Lève-toi, Léonida ! Il y a le feu !
            Léonida ( effrayé ) - Le feu ? Où ça ?u
            Efimitza - On se bat dans les rues !
            Léonida - Penses-tu ! En voilà une histoire ! Tu ne sais pas ce que tu dis, mon vieux !
            Efimitza - Une bataille en règle, ma chère : au pistolet, au fusil, au canon, Léonida ! des cris, des hurlements. C'est terrible. Ça ma réveillée en sursaut.
            Léonida ( essayant de la rassurer ) - Ce n'est rien, m'amie ! tu sais bien comme tu es nerveuse, ça vient de ce qu'on a parlé politique toute la soirée. Tu te seras couchée sur le dos et Dieu sait ce que tu as rêvé !
            Efimitza ( perdant patience ) - Léonida, suis-je éveillée ou non ?
            Léonida - Tiens, tu dois bien le savoir, m'amie !
            Efimitza ( vexée ) - Bravo, mon coco ! J'aurais jamais cru ça de toi ! Te faire pareilles idées sur mon compte, je ne te savais pas comme ça. Ça me fait de la peine... Apprenez, Monsieur Léonida, que je suis une personne bien éveillée... j'ai parfaitement entendu comme tu m'entends et comme je t'entends. C'est la révolution ! on se bat !
            Léonida - Tout doux, tout doux, m'amie, ne t'importe pas comme ça. Voyons, depuis que tu m'as réveillé, moi, as-tu encore entendu quelque chose ?
            Efimitza - Non.
            onida- Tu vois bien ! Comment expliques-tu ça ? Dis voir un peu... 
            Efimitza ( moins sûre d'elle ) - Euh !... Est-ce que je sais moi !
            Léonida - Tu vois bien ! Une supposition : admettons que tu aies raison, voyons ce que tu vas encore dire. Mettons que ce soit la révolution... mais tu ne sais donc pas qu'il est défendu de tirer dans les rues ? Ordre de la police...                                                                                    pinterest.fr
Image associée            Efimitza ( à moitié convaincue ) - Ma foi... mon coco, il faut bien que je dise comme toi. Tu as une telle façon de prouver aux gens que deux et deux font quatre, qu'on ne trouve plus rien à redire.( Elle réfléchit, reprise par le doute ) Et pourtant, ma chère, j'ai entendu. J'ai en-ten-du ! Qu'est-ce que j'aurais pu entendre s'il n'y avait rien eu ?
            Léonida Ah ! mon vieux, ce que j'ai pu en lire de ces histoires, plus que je n'ai de cheveux sur la tête ! Faut pas plaisanter avec l'homme ! Ça arrive !... ( d'un ton doctoral ) Et comment ça ? me diras-tu... Eh bien !... Un homme, par exemple, pour je ne sais quoi, ou pour quelque chose, comme il est nerveux et par pure bizarrerie, il se met une idée en tête. Bon ! Ça devient une idée fixe, alors la fantasmagorie le travaille, et de la fantasmagorie il tombe dans l'hypocondrie. Ensuite, forcément, il voit bouger même le vide.
            Efimitza - Quelle histoire, ma chère ! ( ébaubie ) Peut-être as-tu raison !
            Léonida - Tiens, par exemple, dans ton cas ce n'est qu'une hypocondrie passagère, ça s'arrangera... Allons nous coucher. Bonne nuit, m'amie.
             Efimitza - Bonne nuit. ( A demi rassurée, elle souffle la lampe et se met au lit ).
             Léonida ( après un moment ) - Ne te couche plus sur le dos, m'amie, tu ferais encore de mauvais rêves.
            ( Efimitza se tourne sur le côté. Nuit dans la chambre, trémolo à l'orchestre, un temps, puis soudain, au loin, des cris et des détonations ).


                                                                 Scène IV


            Efimitza - Tu as entendu ? 
            Léonida - Tu as entendu ?
            ( Tous deux effrayés, se dressent en même temps. Le bruit se rapproche ).
            Efimitza ( sautant du lit ) - Alors, c'était une idée fixe, Léonida ?
            Léonida ( épouvanté ) - Allume la lampe... ( il saute aussi du lit, le bruit se rapproche encore)
            Efimitza ( allume la lampe ) - C'était de la fantasmagorie, mon coco ?
            Léonida ( tout tremblant ) - Ce n'est pas normal tout cela, m'amie ! ( Le bruit devient de plus en plus fort ).
            Efimitza - C'était de l'hypocondrie, ma chère ? ( Le vacarme ne cesse d'augmenter ).
            Léonida - Un grand danger nous menace, monsieur ! Qu'est-ce que ça peut bien être ?
            Efimitza - Qu'est-ce que ça peut bien être ? Tu ne le vois donc pas ? C'est la révolution, on se bat dans les rues, Léonida !
            Léonida ( s'énerve ) - Bon. La révolution, la révolution, je veux bien, moi. Mais ne t'ai-je pas dit que la police interdit les armes à feu en ville ? ( Le bruit ne cesse de grandir ).
            Efimitza ( tremblante ) - Interdit ou non, tu n'entends donc pas ?
            Léonida ( même jeu ) - J'entends. Mais ce n'est pas, ce ne peut pas être la révolution... Tant que les nôtres sont au pouvoir, qui pourrait s'amuser à faire la révolution ?
            Efimiza - Eh ! C'est bien ce que je te demande. ( Grand bruit dehors ). Tu entends ?                             Léonida - Où est mon journal ? ( nerveux ). Parce que si révolution il y a, ça doit y être aux dernières nouvelles. Où est-il donc ce journal ? ( Il va à la table, prend le journal, jette un coup d'oeil en troisième page et jette un cri ). Ah !
            - Eh bien ?
            Léonida ( éperdu ) - Ce n'est pas la révolution, monsieur, c'est la réaction. Tiens, écoute ( il lit d'une voix tremblante
            " La réaction montre à nouveau les dents. Tel un fantôme dans la nuit, elle se tient à l'affût et guette en aiguisant ses griffes le moment propice pour déchaîner ses passions  ... O Nation, sois en éveil ! " ( désolé ) Et nous qui dormions, mon vieux !
            Efimiza même jeu ) - A qui la faute, mon coco, si tu n'as pas lu le journal hier au soir !...
( bruit effroyable ).
            Léonida ( atterré ) - Et moi, tous les réactionnaires le savent bien que je suis républicain, que je suis pour la nation.
            Efimitza ( toute tremblante, se met à pleurer ) - Que faire, mon coco ?
            Léonida ( se dominant pour lui donner du courage ) - Du calme, m'amie, du calme... ( salves et cris très proches ).
            Efimitza - Allons, vite, donne-moi un coup de main !
            ( Ils arrachent les draps des lits, les étendent au milieu de la pièce, vident l'armoire, la commode et font deux gros baluchons, puis ils barricadent la porte avec les lits et les autres meubles)
            Léonida ( tout en travaillant ) - Nous allons à la gare, en passant par le parc de Cismigiu, et à l'aube nous prenons le train pour Ploesti... Une fois là je suis tranquille, Je suis chez moi. Tous des républicains, les braves ! ( Le bruit est à présent tout proche ).
            Efimitza ( épouvantée s'arrête ) - Mon coco !... mon coco ! Tu entends ? Les rebelles... Ils arrivent...
            Léonida ( même jeu ) - J'entends... ( Ils tremblent de plus belle ) et comme ils me voient d'un mauvais oeil, ils viennent tout droit ici pour démolir la maison.
            Efimitza ( Les jambes flageolantes et suffoquant ) - Ah ! ma chère, tais-toi, je vais me trouver mal.
            Léonida - Allons, vite, vite ! ( Le bruit est encore plus proche. Léonida tombe à genoux )
            Efimitza - Ma chère, je me meurs ! Les voilà dans notre rue...
            Léonida - Éteins la lampe !
            ( Efimitza souffle aussitôt la lampe. Le bruit est maintenant sous les fenêtres. Tous deux sont comme foudroyés. Une pause, du bruit, puis soudain des coups dans la porte ).
            Efimitza ( elle chuchote ) - Ils sont à la porte.
            Léonida ( même jeu ) - Je suis perdu !... Ne bouge pas ( Les coups se répètent, plus violents. Le bruit semble s'être éloigné ). Cachons-nous dans l'armoire.
            Efimitza - Laissons là tout cet attirail et sautons par la fenêtre.
            Léonida - Et s'ils sont déjà dans la cour ? ( Les coups à la porte reprennent de plus belle. Le bruit se perd peu à peu ).
            Une voix de femme ( du dehors ) - Ça alors, ils se moquent du monde !
            Efimitza ( se penche tout étonnée vers la porte ) - Hein ?
            Léonida ( la retient ) - Chut ! Ne bouge pas ! ( Violents coups de poing dans la porte. Le bruit s'éloigne de plus en plus ).
            La voix ( du dehors ) - Hé ! Grands Dieux ! ( criant ). Madame !
            Efimitza ( ébahie ) - C'est la bonne, Léonida, c'est Safta...
            ( On entend presque plus les cris et les coups de feu, qu'éloignés ).
            Léonida - Chut ! On dirait que les rebelles se sont éloignés.
            ( Coups exaspérés à la porte ).
            La voix ( du dehors ) - Ouvrez, Madame, que j'allume le feu ! ( Léonida et Efimitza écoutent, étonnés, ne savent plus que croire ). Bonté du Ciel ! Ce n'est pas normal tout ça : Il a dû leur arriver quelque chose.
            Efimitza - C'est Safta... ( Elle se dirige vers la porte ).
            Léonida ( la retient ) - N'ouvre pas ! Pour rien au monde !
            Efimitza ( perd patience et se dégage ) - Il faut ouvrir, ma chère, sinon la sotte va se mettre à brailler et ce sera bien pis... Les rebelles n'auront qu'à revenir. ( Coups de plus en plus violents à la porte ).
            Léonida ( se tient le coeur des deux mains, sur un ton de suprême résignation ) - Ouvre !
            Efimitza ( va à la porte sur la pointe des pieds et demande à mi-vois ) - Qui est là ?
            La voix ( du dehors ) - C'est moi, madame, Je suis venue allumer le feu.
            Efimitza ( hésite un instant puis, se décide, écarte les meubles qui barrent l'entrée, ouvre la porte et, d'une voix blanche ) - Allons, entre ! ( A l'intérieur il fait sombre. Efimitza arrête Safta sur le pas de la porte ).


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            Efimitza ( tout émue, mystérieusement ) - Que se passe-t-il dehors, Safta ?
            Safta ( est entrée, porte une brassée de bois ) - Ça va, madame. Que voulez-vous qu'il y ait ? Seulement j'ai pas pu fermer l'oeil : ils ont fait la bombe toute la nuit chez l'épicier du coin. Ça vient à peine de finir. Quelques-uns sont passés par ici tout à l'heure. Ils allaient tout de travers, même que Nae Ipingesco, l'adjoint au commissaire de police, était avec eux, saoul comme une bourrique. Il poussait des hurlements et tirait des coups de pistolet... des coutumes de goujat, quoi !
            Léonida ( abasourdi ) - Quelles coutumes ?
            Safta - Vous savez bien, ils ont fait la bringue hier soir, pour fêter le mardi gras.
            Efimitza ( rassérénée, retrouve son bagout et à Léonida ironiquement ) - C'était mardi gras, beau masque !
            Léonida ( ragaillardi ) - Tu vois bien ! ( Fier du triomphe de sa théorie ) C'est exactement ce que je te disais, mon vieux. Un homme, par exemple, pour je ne sais quoi ou pour quelque chose, comme il est nerveux et par pure bizarrerie, il se met une idée en tête. Ça devient une idée fixe... alors la fantasmagorie le travaille, et de la fantasmagorie il tombe dans l'hypocondrie... ( à sa femme ) tu as bien vu ?
            Efimitza ( espiègle ) - Dis-moi plutôt, il me semblait t'avoir entendu dire que la police défendait de tirer dans les rues ?
            Léonida ( avec assurance ) - Certainement. Mais, tu ne vois donc pas que cette fois c'était la police en personne...
            Efimitza - Ah ! mon coco, quelqu'un qui sache tout, comme toi, c'est plutôt rare ! ( elle allume la lampe ).
            ( Ils sont tous deux très gais. Safta demeure bouche bée en voyant le désordre de la chambre )


                                                         
                                                      Ion Luca Caragiale
                 
                                                           ( 1852 - 1912 )