jeudi 25 octobre 2012

L'histoire se répète Mark Twain ( Conte humoristique USA )



    gorfou macaroni                                                                L'histoire se répète


            Ce qui suit je l'ai trouvé dans un journal des Îles Sandwich qui me fut envoyé par un ami du fond de cette paisible retraite. La coïncidence entre ma propre expérience  et celle dont parle ici feu M. Benton est si frappante que je ne puis m'empêcher de publier et de commenter ce paragraphe. Voici le texte du journal Sandwich :
            " Combien touchant, le tribut payé par feu l'honorable T.H. Benton à l'influence de sa mère.
            " - Ma mère me demanda de ne jamais fumer. Je n'ai jamais touché de tabac depuis ce jour-là jusqu'à aujourd'hui. Elle me demanda de ne plus jouer. Je n'ai plus jamais touché une carte. Je suis incapable quand j'ai vu jouer de dire qui a perdu. Elle me mit en garde aussi contre la boisson. Si j'ai quelques qualités              joueurs  de cartes cézanne
d'endurance actuellement, si j'ai pu me rendre quelque peu utile dans la vie je l'attribue à mon obéissance à ses voeux pieux et corrects. Quand j'avais sept ans elle me demanda de ne pas boire, et je fis alors le voeu d'abstinence absolue. Si j'y fus constamment fidèle c'est à ma mère que je le dois. "
            Je n'ai jamais rien vu de si curieux. C'est presque un bref résumé de ma propre carrière morale, en substituant simplement une grand-mère à une mère. Combien je me rappelle ma grand-mère me demandant de ne pas fumer ! Vieille chère âme " Je vous y prends, affreux roquet !  Bon ! Que je ne vous y prenne encore à mâcher du tabac avant le dîner ! Et je vous parie que je vous donne le fouet jusqu'à vous laisser pour mort. "
            De ce jour à aujourd'hui je n'ai jamais plus fumé dans la matinée.
            Elle me demanda de ne pas jouer. Elle me chuchota " Jetez-moi ces damnées cartes, tout de suite. Deux paires et un valet, idiot, et l'autre à une séquence. "
           Je n'ai plus joué depuis ce jour, jamais plus, sans un jeu de rechange dans la poche. Je ne puis pas même dire qui doit perdre une partie quand je n'ai pas fait moi-même  le jeu.
           Quand j'avais deux ans elle me demanda de ne pas boire. Je fis le voeu d'abstinence complète.
           Si je suis resté fidèle et si j'ai ressenti les effets bienfaisants de cette fidélité, jusqu'à ce jour, c'est à ma grand-mère que je le dois. Je n'ai jamais bu, depuis, une goutte de quelque sorte d'eau que ce soit.

           


                                                                 Mark Twain
















































           

lundi 22 octobre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui - Choses vues Victor Hugo


                                                     
                                                   Choses vues

                                                                                                                Novembre 1849

            Les ministres actuels sont des carreaux de vitres. On voit le président au travers.

                                              Le Vice-Président de la République

            M. Boulay de la Meurthe était un bon gros homme, chauve, ventru, petit, énorme avec le nez très court et l'esprit pas très long. Il était l'ami de Harel auquel il disait : " mon cher " et de Jérôme Bonaparte auquel il disait : " Votre Majesté ".
            L'Assemblée le fit, le 20 janvier, vice-président de la République.
            La chose fut un peu brusque et inattendue pour tout le monde, excepté pour lui. On s'en aperçut au long discours appris par coeur qu'il débita après avoir prêté serment. Quand il eut fini L'Assemblée applaudit puis à l'applaudissement succéda un éclat de rire. Tout le monde riait, lui aussi ; l'Assemblée par ironie, lui de bonne foi.
            Odilon Barrot qui, depuis la veille au soir, regrettait vivement de ne pas s'être laissé faire vice-président, regardait cette scène avec un haussement d'épaules et un sourire amer.
            L'Assemblée suivait du regard Boulay de la Meurthe  félicité et satisfait, et dans tous les yeux on lisait ceci : " Tiens ! Il se prend au sérieux ! "
            Au moment où il prêta serment d'une voix tonnante qui fit sourire, Boulay de la Meurthe avait l'air ébloui de la République, et l'Assemblée n'avait pas l'air éblouie de Boulay de la Meurthe.
            Ses concurrents étaient Vivien et Baraguay-d'Hilliers, le brave général manchot, lequel n'eut qu'une voix. Vivien avait beaucoup compté sur la chose. Quelques moments avant la proclamation du scrutin on le vit quitter son banc et s'en aller à côté du général Cavaignac. Le président manqué consola le vice-président raté. Je n'aimais pas Vivien parce qu'il était honteux de son père ancien maître d'études, pion, chien de cour, comme disent les gamins à la pension Cordier-Decotte, rue Sainte-Marguerite n° 41. Ceci m fit voter pour Boulay de la Meurthe.
            J'avais passé trois années de mon enfance, 1815, 1816 et 1817 dans cette pension Decotte.
            Ce père Vivien était un personnage à part. C'était un vieillard ébouriffé, flottant dans un habit à grandes basques. L'habit était râpé, le bonhomme était maigre, le tout était piteux. Le père Vivien avait été dans l'Inde et en avait rapporté des sparteries assez curieuses dont était tapissé le cabinet où son fils, élève gratuit, travaillait avec mon frère Eugène et moi. Ce cabinet n'était autre chose qu'un compartiment de la classe réservé aux grands. Vivien fils avait cinq ou six ans de plus que moi. C'était un grand beau jeune homme rose aux yeux bleus, clairs et brillants ; il avait sur le front deux petites bosses comme les faons dont les cornes vont pousser. Il était fort en discours latin. Il semblait humilié d'être " le fils du pion ". Ainsi le nommais la moquerie indifférente et féroce des enfants. Au sortir de la pension Decotte nous nous perdîmes de vue. Je le revis trente ans plus tard en 1847 ; lui avait été ministre et était député ; j'étais pair de France. Ma rencontre lui fut désagréable ; j'avais connu son père.
            Pendant que le vice-président pérorait à la tribune je causais avec Lamartine. Nous parlions architecture. Il tenait pour Saint Pierre de Rome, moi pour mes cathédrales. Il me disait ; " Je hais vos églises
sombres ; Saint-Pierre est vaste, magnifique, lumineux, éclatant, splendide. " Et je lui répondais : " Saint-Pierre de Rome n'est que le grand ; Notre-Dame, c'est l'infini. "
                                               
                  
                                               Monsieur le duc D'Harcourt
  
            M. le duc d'Harcourt venait à l'épaule de M. Thiers. Il était impossible de voir un plus petit homme et un plus grand nom. M. d'Harcourt avait l'oeil vif, le nez pointu, les cheveux gris, le sourire fin, les manières aisées et simples, l'air d'un grand seigneur et d'un bon homme. Ses opinions dépassaient le libéralisme. Un jour à propos de la Pologne il fit contre les rois d'Europe une telle sortie que M. Pasquier le rappela à l'ordre. M.d'Harcourt se contenta de lui jeter un regard d'ancien duc à nouveau duc.
            A la Chambre des pairs, il ne restait jamais en place ; il allait et venait sans cesse, ses deux mains dans les goussets de son pantalon gris, le collet de son habit de pair rabattu sur ses épaules, un bonnet de velours vert sur la tête. Un de ses fils, Jean d'Harcourt, était dans la marine et bon officier.
            M. d'Harcourt, presque républicain, affectait certaines façons suprêmes ; il faisait partie du groupe de pairs qui portait le collet de velours noir à broderie étroite ; ce velours noir était ménagé à dessein par les anciens pairs pour laisser voir la place des fleurs de lys, ce qui indiquait la date de leur pairie.          





              Sous la Restauration le collet et les parements des pairs  étaient brodés de fleurs de lys d'or et le collet et les parements des députés de fleurs de lys d'argent. Les pairs, depuis 1830, couvraient collet et parement de broderies qui laissaient à peine voir le velours. Ce collet séparait les anciens orgueils des vanités nouvelles. M. d'Harcourt n'était pas inaccessible à ces misères. Du reste intelligent, cordial, généreux, il ne battait personne à terre. Il fut clément pour Teste. La tribune lui venait au menton, mais il avait des idées, de la chaleur d'âme et se haussait peu à peu. Il commençait par être petit  et finissait par être grand. Au rebours des opinions reçues, il avait une haute idée de la Chambre des pairs comme pouvoir. Il me dit un jour : " Si cette Chambre voulait, elle ferait tout, elle a la parole comme la Chambre des députés et la durée comme le roi. "
            La République de Février le fit ambassadeur à Rome. M. d'Harcourt était fort laborieux A Gaëte, pendant l'exil du pape, il recopiait lui-même de sa main toutes ses dépêches. Il est vrai que la légation était désorganisée et qu'il n'avait pas de secrétaire.                        Gaëte ortie royale                                                                      
               Même à travers les choses folles et violentes que   
la réaction lui imposait contre les républicains de Rome, son vieux levain anti-monarchique lui restait. Le jour de la fête du roi de Naples, il se dispensa d'aller au baise-main et, par son ordre, le Tenare qui était mouillé dans la rade, ne se pavoisa ni ne salua.
               Cette haine lui venait, disait-on, d'un mot de Louis XVIII. Louis XVIII l'avait surnommé le duc-mouche. M. d'Harcourt dit : " La mouche piquera. " Par représailles il appelait Louis XVIII le roi-cachalot.


                                                                                                        Hugo


                                             


           

samedi 20 octobre 2012

Anecdotes et Réflexionsd'hier pour Aujourd'hui - Choses vues Victor Hugo ( France )


Fichier:Alexandre Dumas 1.jpg
               Dumas                                                  Choses vues

                                                                                                                          Octobre 1846

            On vient d'envoyer Alexandre Dumas en Espagne comme " historiographe du mariage " de M. de Montpensier. Voici comment ont été faits les fonds pour ce voyage : le ministère de l'Instruction publique a donné quinze cents francs, pris sur " les encouragements et secours aux gens de lettres" ; puis quinze cents francs sur " les Missions littéraires " ; le ministre de l'Intérieur a donné trois mille francs pris sur la caisse des fonds particuliers ; M. de Montpensier a donné douze mille francs ; au total dix-huit mille francs. En recevant la somme, Dumas a dit : - " Bon ! cela paiera toujours mes guides ! "                                                   
                                     

                                                                                                               1er Octobre

            Le tabac fameux de la Civette doit sa réputation d'excellence à l'idée qu'eut la débitante de cette boutique de mettre son tabac en dépôt dans une tinette. De là un goût qui fit les délices des priseurs et la fortune du marchand. De temps en temps il envoie sa tinette à rétamer.
                                          
                                         
    
                                                                                                                 9 Octobre 1847

            Ma femme est tombée malade aujourd'hui de la maladie de Toto. Fièvre typhoïde. Dieu nous    
            ait en pitié.


                                                                                                                  18 Octobre
            Aujourd'hui lundi, ma femme est hors de danger. Dieu soit loué.


                                                                                                                  21 Octobre

            La première nuit de la maladie de ma femme, je la veillais. Je m'étais étendu dans un fauteuil près de son lit, les yeux fermés. Depuis un certain temps, je l'entendais s'agiter et je sentais qu'elle ne dormait pas. tout à coup elle poussa un cri terrible, j'ouvre les yeux et je la vois sur son séant. Je me lève.
            - Ah ! dit-elle, vous vous levez ! C'est  bon ! Je rêvais que j'étais morte et que j'étais en enfer. Et voici quel était mon enfer ; je vous voyais toujours et vous ne remuiez jamais.
            Cet enfer m'est resté dans l'esprit et m'a paru effrayant.
                                        Rue de la Tour-d'Auvergne . © Photothèque des musées de la ville de Paris *
                                         1848 rue de la tour-d'auvergne                                                                          
                                                                                                                    15 octobre 1848
            J'ai quitté le n°5 dela rue d'Isly pour le n°37 de la rue de la Tour-d'Auvergne.
            Pendant que mes meubles déménagent de la rue d'Isly, les principes déménagent de la Constitution. Je m'occupe le plus que je peux du premier de ces déménagements pour ne pas prendre part à l'autre.
            Du reste, Lord Byron, Rossini et Paganini auraient refusé d'entrer chez moi dans les circonstances où j'y entre : J'ai quitté ma chambre à coucher de la place Royale le vendredi 23 juin, mes premiers meubles sont entrés dans ma chambre à coucher de la rue de la Tour-d'Auvergne le vendredi 13 octobre. En déposant la glace de la cheminée de cette chambre, on a trouvé écrit au charbon derrière cette glace le n°13
La chambre - mansarde que j'occupe provisoirement dans la maison, au quatrième, porte le n°13. Les présages sont mauvais comme dit Nuno Saledo.


                                                                                                             Hugo


mercredi 17 octobre 2012

Notes sur Paris Mark Twain ( Contes humoristiques USA )



           Caillebotte
                                                              Notes sur Paris


            Le Parisien voyage très peu, ne connaît pas d'autre langue que la sienne, ne lit pas d'autre littérature que la sienne. Ainsi a-t-il l'esprit très étroit et très suffisant.Cependant, ne soyons pas trop sévères. Il y a des Français qui connaissent une autre langue que la leur, ce sont les garçons d'hôtel. Entre autres ils savent l'anglais. C'est à dire qu'ils le savent à la façon européenne. - Ils le parlent, mais ne le comprennent pas. Ils se font comprendre facilement, mais il est presque impossible de prononcer une phrase anglaise de telle sorte qu'ils puissent en saisir le sens. Ils croient le saisir. Ils le prétendent. Mais non.Voici une conversation que j'ai eue avec une de ces créatures. Je l'ai notée aussitôt pour en avoir le texte exact.
            Moi - Ces oranges sont fort belles, d'où viennent-elles ?
            Lui - D'autres. Parfaitement. Je vais en chercher.
            Moi - Non, je n'en demande pas d'autres.Je voudrais seulement savoir d'où elles viennent, où elles ont poussé.
            Lui - Oui ( la mine imperturbable et le ton assuré ).
            Moi - Pouvez-vous me dire de quel pays elles viennent ?
            Lui - Oui ( l'air aimable, la voix énergique ).
            Moi ( découragé ) - Elles sont excellentes.
            Lui - Bonne nuit, Monsieur ( il se retire en saluant tout à fait satisfait de lui-même ).
            Ce jeune homme aurait pu apprendre très convenablement l'anglais, en prenant la peine, mais il était français et ne voulait pas. Combien différents sont les gens de chez nous ! Ils ne négligent aucun moyen. Il y a quelques soi-disant protestants français à Paris. Ils ont construit une jolie petite église sur l'une des grandes avenues qui partent de l'Arc de Triomphe, se proposant d'y aller écouter la bonne parole, prêchée en bonne et due forme dans leur bonne langue française, et d'être heureux. Mais leur petite ruse n'a pas réussi. Le dimanche les Anglais arrivent toujours là les premiers et prennent toute la place.Quand le ministre se lève pour prêcher il voit sa maison pleine de dévots étrangers, tous sérieux et attentifs, avec un petit livre dans les mains. C'est une bible reliée en maroquin, semble-t-il. Mais il s'agit seulement d'une apparence. En réalité c'est un admirable et très complet petit dictionnaire français-anglais qui, de forme, de reliure et de dimension
 est juste comme une bible. Et ces Anglais sont là                                                                               
 pour apprendre le français. Ce temple a été surnommé : l'église des cours gratuits de français.
              D'ailleurs les assistants doivent acquérir plutôt la connaissance des mots qu'une instruction générale. Car, m'a-t-on dit, un sermon français est                                                                         
 comme un discours français. Il ne cite jamais un événement    
historique, mais seulement la date. Si vous n'êtes pas fort sur les dates, vous n'y comprenez rien. Un discours en France est quelque chose dans ce genre :
            - Camarades, citoyens, frères, nobles, membre de la seule sublime et parfaite nation, n'oublions pas que le 10 août nous a délivrés de la honteuse présence des espions étrangers, que le 5 septembre s'est justifié lui-même à la face du ciel et de l'humanité, que le 18 Brumaire contenait les germes de sa propre punition, que le 14 juillet a été la voix puissante de la liberté proclamant la résurrection, le jour nouveau et invitant les peuples opprimés de la terre à contempler la France divine de la France et à vivre. Et n'oublions pas nos griefs éternels contre l'homme du 2 Décembre, et déclarons sur un ton de tonnerre, le ton habituel en France, que sans lui il n'y aurait pas eu dans l'histoire de 17 mars, de 12 octobre, de 19 janvier, de 22 avril, de 16 novembre, de 30 septembre, de 2 juillet, de 14 février, de 29 juin, de 15 août, de 31 mai, que sans la France, ce pays pur, noble et sans pair, aurait un calendrier serein et vide jusqu'à ce jour !
             J'ai entendu un sermon français qui finissait par ces paroles éloquentes et bizarres :
            - Mes frères, nous avons de triste motifs de nous rappeler l'homme du 13 janvier. Les suites du crime du 13 janvier ont été en justes proportions avec l'énormité du forfait. Sans lui n'eût pas été de 30 novembre, triste spectacle ! Le forfait du 16 juin n'eût pas lui-même existé.C'est à lui seul que nous devons le 3 septembre et le fatal 12  octobre. Serons-nous donc reconnaissants au 13 janvier qui soumit au joug de la mort vous et moi et tout ce qui respire ? Oui mes frères, car c'est à lui aussi que nous devons aussi le jour qui ne fut jamais venu sans lui, le 25 décembre béni !
             Il serait peut-être bon de donner quelques explications,   René Magritte
bien que pour beaucoup de mes lecteurs cela soit peu nécessaire : l'homme du 13 Janvier est Adam. Le crime à cette date fut celui de la pomme mangée. Le désolant spectacle du 30 novembre est l'expulsion de l'Eden, le forfait du 16 juin le meurtre d'Abel, l'événement du 3 septembre le départ en exil de Caïn pour la terre de Nod, le 12 octobre les derniers sommets de montagnes disparurent sous les eaux du déluge. Quand vous irez à l'église en France, emportez un calendrier, - annoté.



                                                                                                    Mark Twain
                                                                                          ( in contes humoristiques )

lundi 15 octobre 2012

Lettre à Madeleine 50 Apollinaire


              
                       Pioupious jeunes recrues 14/18
                                                      Lettre à Madeleine

                                                                                                          2 décembre au soir 1915

            Je m'étais trompé de date hier, mon amour, c'était le 1er. Aujourd'hui pas de lettre encore, pas de journaux, pas de ravitaillement. Les officiers ça va encore, parce que notre cuisinier se débrouille, mais les hommes ! Ils sont admirables d'héroïsme simple .Le ravitaillement n'arrivera je crois que cette nuit à 4 heures du matin. Je me suis fait installer une planche par les pionniers pr pouvoir écrire. Ici le temps est vraiment long. Éboulements perpétuels, les hommes ne dorment plus, travaillent tout le temps. La vie de tranchées en hiver a quelque chose de si simple qu'on sent ce que pouvait être la vie des Troglodytes de la préhistoire. Nous sommes au demeurant de véritables Troglodytes.
            J'ai ici deux camarades agréables dont l'un est mon supérieur, le lieutnt qui fait fonction de capitaine et commande la compagnie et un de mes sergents. Le premier est distingué et un causeur aimable assez au courant des choses des lettres et des arts et le second est un simple extrêmement rusé, adroit, malin et brave, il conduit très bien les hommes.. Ici on sent ce que c'est que l'autorité et ce qu'elle peut faire faire quand elle est à la fois douce et ferme. Je fais coucher avec moi mes deux sergents et j'ai pris aussi un petit garçon de la classe 15 innocent et brave à qui j'apprends à lire car il l'ignore.
            Mon sergent Jean-Marie est donc très bien. Il est en outre un grognard de 1è classe, mais on sent qu'on peut se fier à lui et cependant il rouspète tout le temps. Mais quel type amusant !
Mon amour les éléphants pare-éclats s'effritent de plus par la base et leur apparence d'éléphants se marque de plus en plus.
            Mon amour dans l'horreur mystérieuse métallique muette mais non silencieuse à cause des bruits épouvantables des engins qui sifflent geignent éclatent formidablement notre amour est la seule étoile, un ange parfumé qui flotte plus haut que la fumée noire ou jaune des bombes qui explosent.
            Il sourit au fond des sapes où il fait l'écoute anxieuse, il veille aux créneaux repérés que la balle ennemie traverse à intervalles réguliers, il plane sur le mystère ineffable des premières lignes dont l'horreur blanche fait rêver d'un paysage lunaire. Effrayante monotonie d'où l'eau, même l'eau non potable est absente. Ö pures tranchées comme des lys qui fleurissent en terre au lieu de fleurir vers le ciel. C'est la terre même qui fleurit. Pour utiliser le très peu de charbon que j'ai j'ai fait faire un encensoir avec une vieille gamelle percée de trous.On la balance au bout d'un fil de fer.
                                                                                                          site 14/18 grognard
                Écris-moi de l'amour, sois-moi ma panthère pour me remettre dans la vie de notre cher amour.
            Songe à quel point dans la vie de tranchées on est privé de tout ce qui vous retient à l'univers, on est qu'une poitrine qui s'offre à l'ennemi.
            Comme un rempart de chair vivante.
            Comme on se rend compte que la guerre des artilleurs est un véritable plaisir une partie de campagne, une excursion dont les risques ne sont pas beaucoup plus grands que ceux de l'Alpinisme. Ici le lien est solennel et désolé. La végétation ne l'orne même pas on est plus bas que terre.
            Je termine ce soir mon quatrième jour de 1res lignes. On a tué aujourd'hui un Boche qui s'est hasardé sur le parapet vers le mystère des hexaèdres, des chevaux de frise et des sphères.
           Je sens vivement maintenant toute l'horreur de cette guerre secrète sans stratégie mais dont les stratagèmes sont épouvantables et atroces.
            Mon amour je pense à ton corps exquis, divinement toisonné, et je prends mille fois ta bouche et ta langue.
                                                                                                                 Gui
                    
   hexaèdre                                                                                                                                            4 décembre 1915

            Mon amour, j'ai enfin tes deux lettres adorées du 23 et du 24 nov. Je crois d'après ce que je lis dans ta lettre du 23 que tu m'as écrit une lettre datée du 22 une lettre volupté que je n'ai pas eue. Comme je t'accuse toujours réception de tes lettres tu verras facilement si je t'ai parlé de celle-là et si je ne m'abuse en la pensant égarée. Si elle est perdue tu me la remplaceras dis ? Tes 2 lettres ont transfiguré pour moi la tranchée, je t'adore. J'ai fait ma demande de permission, le colonel m'avait demandé si j'avais de la famille à Oran ou si j'y avais mon domicile légal. J'ai répondu que je comptais y aller dans la famille de ma fiancée professeur au lycée de jeunes filles d'Oran et le maire d'Oran pouvait en témoigner. J'espère qu'il le fera puisque c'est la vérité. En ce cas, je pense que ma permission ne tardera pas. Je ne demande pas mieux que la guerre finisse vite d'après ce que tu prévois, mais je n'aperçois pas encore cette fin. Je commence aujourd'hui mon 5è jour de tranchée. Boue, éboulements contre lesquels on lutte jour et nuit comme Sisyphe contre son rocher. Je t'adore, mon amour, et ton amour me console de tout.Oui, je sens tes caresses, je sens contre moi le corps souple de ma Madeleine, je te serre contre moi, nous ne faisons qu'un, je sens ta douce chaleur qui me pénètre et la douceur de tes membres qui s'enroulent aux miens et l'odeur de ton corps qui m'enivre. A moi aussi la volupté venant de toi est une, par la caresse la plus ardente et la plus profonde. J'adore tes reins qui se cambrent, ton ventre et tes seins tendus vers mon baiser. Je te prends, mon amour, avec une violence surhumaine.iJe suis follement gourmand de toi,
                                                                      Le Titien
Madelon et je te dévore. J'adore tes ongles, ta porcelaine délicate. J'aime ma petite Madeleine caméléon. J'aime les ongles pointus de tes mains et les ongles ronds de tes orteils. J'adore ton cou au ton chaud. J'y mordrai follement à ce cou rond et flexible. Je dévorerai tes frisons, mon amour exquis. Je les ferai tomber de ton chignon bas. Je lécherai follement tes narines voluptueuses qui palpitent comme des moineaux dans la main.
            Mon amour ce que tu m'apprends du petit ermite me réjouit follement. Je l'adore, durci comme il était. C'est bien lui, tu l'as trouvé, mon amour chéri. J'adore ta langue, ta belle langue. Oui je suis fou de tes seins et je les mange. Je donne à ta bouche ma virilité durcie. Puis je te pénètre profondément. La folle caresse que tu as inventée est exquise. Oui, amour nous avons la même nature J' adore la dînette que tu inventes. Merci amour de ce que je prendrai pendant la perm. Je te mange. Tout jouit en moi quand je pense à toi. Oui, amour, je commence à sentir l'étreinte à distance, tu commences à me la rendre sensible tant tu mets d'art voluptueux dans tes lettres. Oui tu es ma toute fleur et je t'adore, je t'adore, je prends ton derrière et je le baise de toutes mes forces et de toutes ma volupté douce et insistante. Je te prends dans mes bras amour et t'empale moi debout, toi les jambes croisées autour de mes reins les bras passés autour de mon cou et mes bras et mes mains soutiennent ton superbe derrière qu'elles claquent ouvrent et caressent la porte secrète, un doigt y pénètre pr occuper le plus de tes portes et ma bouche est attachée à la tienne, je t'adore follement, je t'aime, je te veux follement. Ta toison est la seule végétation dont je me souvienne ici où il n'y a pas de végétation. Je prends ta bouche et le petit ermite durci se donne aussi ensuite à ma bouche affolée.


                                                                                                             Gui
                                                       
                                                                                                                                                                                                     
                                                                                                       

samedi 13 octobre 2012

Une lettre au Ministre des Finances ( Nouvelle Mark Twain EtasUnis )


John Griffin Carlisle, Brady-Handy photo portrait, ca1870-1880.jpg
John Carlisle 1893/1897
                                                Une lettre au Ministre des Finances

                                 A son Excellence Monsieur le Ministre des Finances à Washington


                        Monsieur le Ministre,
            Le prix des différentes sortes de combustibles étant hors de la portée des écrivains peu fortunés, je vous adresse la commande suivante :
            Quarante-cinq tonnes des meilleurs vieux titres sur l'Etat bien secs, pour alimenter les calorifères, ceux de 1864 de préférence.
            Douze tonnes des anciens billets de banque, pour fourneaux de cuisine.
            Huit barils de timbres-poste, mélangés de 25 à 50 cents, vignettes de 1866, pour allumer les feux.
            Veuillez avoir la bonté de me livrer ces marchandises le plus tôt possible et d'envoyer la facture à
                                                                        Votre respectueux serviteur,



   1868 timbre le plus rare des USA Benjamin Franklin Z- Grill poiçon inversé vendu 3 millions de dollars en 2005 le lot de 4

                                                                                                              MARK TWAIN
            qui vous sera très reconnaissant et votera bien.

Craquez pour les rillettes Frank Schmitt ( cuisine France )


                                                    Craquez pour les rillettes


            Ce joli petit volume propose 30 recettes et photos de " ces brunes confitures de cochon "( Balzac )
qui nous viennent de Touraine, du Mans dès le XVè peut-être avant. Ici adapatées à nos estomacs l'auteur oublie chaudrons graisses trop épaisses et très longues cuissons, ( 15 h par exemple ). Certaines sont végétariennes * Rillettes au chèvre, amandes et noisettes * 3mn de cuisson 10mn de préparation. Celles-ci sont proposées avec des pommes de terre vapeur. Pour les autres différentes sortes de pain les accompagnent. * Baguette à l'ancienne * pour les * Rillettes de maquereaux à l'aneth * mélange de baies roses petits suisses et divers arômates. *Rillettes de poulet rôti aux herbes * accompagnées de pain au lin ou baguette à l'ancienne pour cette recette plus longue à préparer 20mn et à cuire 2h, mixage de chair - lard - carrés de fromage frais et fromage blanc - différents arômates. Les classiques * Rillettes pur porc " 4h de cuisson ou pour un apéro sympathique rapide et délicieux les * Rillettes de roquette au roquefort et noix de pécan * sans cuisson ! Attentin mixer indispensable. Le livre existe en e-book.
      

jeudi 11 octobre 2012

Lettres à Madeleine 49 Apollinaire


IMGP03951418C
photo site bleu horizon                                  Lettre à Madeleine


                                                                                                     2 décembre 1915

            Mon amour, cette lettre qui partira demain 3 décembre, je te l'écris ce soit 2 à7h, en attendant le ravitaillement qui n'arrive pas. Les hommes n'ont rien eu de chaud et rien à boire aujourd'hui. - Et il faut travailler tout le temps. Ah ! la vie du fantassin est pénible, plus pénible que tout ce qu'on sait. Ça n'a rien à voir avec l'artillerie. Les artilleurs sont gais, grossiers dans leurs propos, indisciplinés. Ici les gens dans la gaieté ne dépassent pas la narquoiserie, ils sont sérieux, jamais grossiers et disciplinés. Du poste d'écoute j'ai regardé les cadavres dans les fils de fer barbelés. Amour, je t'écris et t'écrivais il y a de cela 2 heures encore, mais pr pouvoir t'envoyer la lettre j'ai dû l'interrompre.Il était question de notre aumônier de Rgt soldat de 2è classe c'est un père de la Chartreuse de Parkminster, par Partridge Green, Angleterre. J'ai causé assez longtemps avec ce Chartreux pendant un quart que je prenais.Il a une grande action de consolateur sur les hommes... Mon amour, depuis les deux heures où je ne t'ai pas écrit on a eu alerte de gaz, innocent exercice que j'aime mieux sous cette forme que la réelle. En ce moment les Boches envoient des 105 par 4, ça fait
                                                                    
" pocpocploc " très vite et avec une force telle que le coeur remue à chaque tonnerre. Il remue non de peur, d'émotion choses qui n'existent plus après 15 mois de guerre, mais il remue en fait parce que le déplacement d'air secoue tout. Comme singularité presque toute ma tranchée est prise d'enfilade par un fusil mécanique boche qui fait péter la balle toutes les minutes. Elle pète jusque devant ma cagnat, cette régularité donne à l'atmosphère une sonorité qui n'est pas un des plus singuliers mystères d'ici. T'ai-je dit que nous étions 3 officiers à ma Cie 1 lieutt  faisant fonction de capitaine et 2 sous/lieutt chefs de section, les 2 autres chefs de section de la Cie sont  l'adjudant et le sergent-major. µLes 3 officiers vivent ensemble en popote, c'est un ancien cuisinier de l'Hôtel de Paris à Monte-Carlo qui nous fait à manger. Tu dois t'imaginer que ce n'est pas mal. Ce qui manque un peu ce sont les fruits. Notre chef de popote le s/ltnt Ferrier reçoit de chez lui des poissons excellents, notre lieutnt reçoit toutes sortes de friandises très bonnes. La viande que nous avons de l'ordinaire est exquise. Jamais je n'en ai mangé de si bonne. Mais aujourd'hui et peut-être demain pas d'eau pas de pain pas de charbon. On ne mangera donc guère autre chose que du saucisson et du chocolat sans pain sans boire.
            J'essaie d'éviter la vermine mais je ne sais si j'y parviendrai, en tout cas quand je partirai en permission je m'enduirai d'onguent gris pour tuer tous les poux si j'en ai, ce qui ne saurait tarder, le colonel en a ! Et bien enduit j'irai jusqu'à Oran où je m'habillerait je ne sais comment ( j'achèterai tout à Marseille ).  
Aussitôt j'irai au bain me changer et il faudra, mon amour s'enquérir d'une étuve pour y faire passer dans la journée même mon uniforme linge etc. -                         Il n'y a pas de poux de têtes, mais rien que des poux du corps et des poux du pubis. Les officiers d'infanterie plus soldats que ceux d'artillerie qui sont des ingénieurs après tout, sont aussi plus chiquement vêtus qu'eux, mais ils sont tous rongés par la vermine. En réalité, aucun écrivain ne pourra dire la simple horreur, la mystérieuse vie de la tranchée.
            Mais assez sur cette froide et blanche et contemplative guerre de boyaux trop blancs. Je t'aime mon Madelon exquis, d'une façon enfantine et virile et l'une et l'autre vont si bien en mon coeur. Je te caresse divinement tout en faisant à tout le pays un rempart de ma poitrine. J'ai pensé aujourd'hui avec une folle ardeur à ta bouche si bien dessinée et à ta poitrine exquisément belle.
            A tes longues mains que tu m'as décrites à ta longue taille. Mon amour comme je t'aime ! Ma bouche effleure tout ton corps et je broute l'adorable gazon que tu sais. Ma bouche te donne toutes les caresses uniques que tu aimes, ô mon amour, mon Madelon.
           Ici, mon amour malgré le travail incessant le temps est plutôt long dans les tranchées. On y cause uniquement de la guerre, du Boche si proche, des morts ou blessés quotidiens. Le pays n'aura jamais une admiration assez grande pour les simples fantassins soldats admirables qui meurent glorieusement comme des mouches. Ô la solitude irréelle pour ainsi dire entre la tranchée boche et la française. Quelle singulière chose.
            Je suis exténué je prends ta bouche et te donne ma langue ma chère esclave chérie.


                                                                                                                Gui

mardi 9 octobre 2012

Une interview Mark Twain ( Nouvelle EtatsUnis )


The Mark Twain House 300x225 The Mark Twain House
         maison de mark twain                                              Une interview

            Le jeune nerveux, alerte et déluré, prit la chaise que je lui offrais, et dit qu'il était attaché à la rédaction du " Tonnerre quotidien ". Il ajouta :
            - J'espère ne pas être importun. Je suis venu vous interviewer.
            - Vous êtes venu quoi faire ?
            - Vous interviewer.
            - Ah ! très bien. Parfaitement. Hum !...Très bien...
            Je ne me sentais pas brillant, ce matin-là. Vraiment mes facultés me semblaient un peu nuageuses. J'allai cependant jusqu'à la bibliothèque. Après avoir cherché six ou sept minutes je me vis obligé de recourir au jeune homme.
            - Comment l'épelez-vous ? dis-je.
            - Épeler quoi ?
            - Interviewer.
            - Bon Dieu !que diable avez-vous besoin de l'épeler ?
            - Je n'ai pas besoin de l'épeler, mais il faut que je cherche ce qu'il signifie.
            - Eh bien, vous m'étonnez, je dois le dire. Il m'est facile de vous donner le sens de ce mot. Si...
            - Oh, parfait ! C'est tout ce qu'il faut. Je vous suis certes très obligé.
            - I-n, in, t-e-r, ter, inter... 
            - Tiens, tiens... vous épelez avec un i.
            - Évidemment.
            - C'est pour cela que j'ai tant cherché !
            - Mais, cher monsieur, par quelle lettre auriez-vous cru qu'il commençât ?
            - Ma foi, je n'en sais trop rien... Mon dictionnaire est assez complet. J'étais en train de feuilleter les planches de la fin, si je pouvais dénicher cet objet dans les figures. Mais c'est une très vieille édition.
            - Mon cher monsieur, vous ne trouverez pas une figure représentant une interview, même dans la dernière édition. Ma foi, je vous demande pardon, je n'ai pas la moindre intention blessante, mais vous ne me paraissez pas être aussi intelligent que je l'aurais cru... Je vous jure, je n'ai pas l'intention de vous froisser.
            - Oh ! cela n'a pas d'importance. Je l'ai souvent entendu dire, et par des gens qui ne voulaient pas me flatter, et qui n'avaient aucune raison de le faire. Je suis tout à fais remarquable à ce point de vue. Je vous assure. Tous en parlent avec ravissement.
            - Je le crois volontiers. Mais venons à notre affaire. vous savez que c'est l'usage maintenant, d'interviewer les gens connus.
            - Vraiment, vous me l'apprenez.Ce doit être fort intéressant. Avec quoi faites-vous cela ?
            - Ma foi, vous êtes déconcertant. Dans certains cas; c'est avec un gourdin qu'on devrait interviewer. Mais d'ordinaire ce sont des questions que pose l'interviewer, et auxquelles répond l'interviewer. C'est une mode qui fait fureur. Voulez-vous me permettre de vous poser certaines questions calculées pour mettre en lumière les points saillants de votre vie publique et privée ?
            - Oh ! avec plaisir. J'ai une très mauvaise mémoire, mais j'espère que vous passerez là-dessus. C'est-à-dire que j'ai une mémoire irrégulière, étrangement irrégulière. Des fois elle part au galop, d'autres fois, elle s'attardera toute une quinzaine à un endroit donné. C'est un grand ennui pour moi.

                                          
            - Peu importe. Vous ferez pour le mieux.
            - Entendu. Je vais m'y appliquer tout entier.
            - Merci. Etes-vous prêt ? Je commence.
            - Je suis prêt
            - Quel âge avez-vous ?
            - Dix-neuf ans, en juin
            - Comment ! Je vous en aurai donné trente-cinq ou trente-six ans. Où êtes-vous né ?
            - Dans le Missouri.
            - A quel moment avez-vous commencé à écrire ?
            - En 1836.
            - Comment cela serait-il possible, puisque vous n'avez que dix-neuf ans ?
            - Je n'en sais rien. Cela paraît bizarre en effet.
            - Très bizarre. Quel homme regardez-vous comme le plus remarquable de ceux que vous avez connus ?
            - Aaron Burr.
            - Mais vous n'avez jamais pu connaître Aaron Burr si vous n'avez que dix-neuf ans !
            - Bon ! si vous savez mieux que moi ce qui me concerne pourquoi m'interrogez-vous ?
            - Oh ! ce n'est qu'une suggestion. Rien de plus. Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Aaron Burr ?
            - Voici. Je me trouvais par hasard un jour à ses funérailles et il me pria de faire un peu moins de bruit, et...
            - Mais bonté divine, si vous étiez à ses funérailles, c'est qu'il était mort. Et s'il était mort, que lui importait que vous fassiez ou non du bruit ?
            - Je n'en sais rien. Il a toujours été un peu maniaque de ce côté-là.
            - Allons, je n'y comprends rien. Vous dites qu'il vous parle, et qu'il était mort.             Aaron Burr sénateur 1756/ 1836
            - Je n'ai jamais dit qu'il était mort.
            - Enfin était-il mort ou vivant ?
            - Ma foi, les uns disent qu'il était mort, les autres qu'il était vivant.           
            - Mais vous, que pensez-vous ?
            - Bon ! Ce n'était pas mon affaire. Ce n'est pas moi que l'on enterrait.
            - Mais cependant... Allons, je vois que nous n'en sortirons pas. Laissez-moi vous poser d'autres questions. Quelle est la date de votre naissance ?
            - Le lundi, 31 octobre 1693.
            - Mais c'est impossible ! Cela vous ferait cent-quatre-vingts ans d'âge. Comment expliquez-vous cela ?
            - Je ne l'explique pas du tout.
            - Mais vous me disiez tout à l'heure que vous n'aviez que dix-neuf ans ! et maintenant vous en arrivez à avoir cent-quatre-vingts ans ! C'est une contradiction flagrante.
            - Vraiment ! L'avez-vous remarqué ? - ( Je lui serrai les mains ). Bien souvent en effet cela m'a paru comme une contradiction... Je n'ai jamais pu, d'ailleurs, la résoudre. Comme vous remarquez vite les choses!
            - Merci du compliment, quel qu'il soit. Aviez-vous, ou avez-vous des frères et des soeurs ?
            - Eh ! Je... Je... Je crois que oui, mais je ne me rappelle pas.
            - Voilà certes la déclaration qu'on m'ait jamais faite !
            - Pourquoi donc ? Pourquoi pensez-vous ainsi ?
            - Comment pourrais-je penser autrement ? Voyons. Regardez par là. Ce portrait sur ce mur, qui est-ce ? N'est-ce pas un de vos frères ?
            - Ah !oui, oui, oui ! Vous m'y faites penser maintenant. C'était un mien frère, William, Bill, comme nous l'appelions. Pauvre vieux Bill !
            - Quoi ! il est donc mort ?
            - Certainement. Du moins, je le suppose. On n'a jamais pu savoir. Il y a un grand mystère là-dessous.
            - C'est triste, bien triste. Il a disparu, n'est-ce pas ?
            - Oui, d'une certaine façon, généralement parlant. Nous l'avons enterré.
            - Enterré ! Vous l'avez enterré, sans savoir s'il était mort ou vivant !
            - Qui diable vous parle de cela ? Il était parfaitement mort.
            - Ma foi ! J'avoue ne plus rien comprendre. Si vous l'avez enterré, et si vous saviez qu'il était mort...
            - Non, non nous pensions seulement qu'il l'était.
            - Ah ! je vois. Il est revenu à la vie.
            - Je vous parie bien que non.
            - Eh bien ! Je n'entendis jamais raconter chose pareille. Quelqu'un est mort. On l'a enterré. Où est le mystère là-dedans ?
            - Mais là justement ! C'est ce qui est étrange. Il faut vous dire que nous étions jumeaux, le défunt et moi. Et un jour, on nous a mêlés dans le bain, alors que nous n'avions que deux semaines et un de nous a été noyé. Mais nous ne savons pas qui. Les uns croient que c'était Bill. D'autres que c'était moi.
            - C'est très curieux. Et quelle est votre opinion personnelle ?
            - Dieu le sait ! Je donnerais tout au monde pour le savoir. Ce solennel et terrible mystère a jeté une ombre sur toute ma vie. Mais je vais maintenant vous dire un secret que je n'ai jamais confié à aucune créature jusqu'à ce jour. Un de nous avait une marque, un grain de beauté, fort apparent, sur le dos de la main gauche. C'était moi. Cet enfant est celui qui a été noyé.
            - Ma foi, je ne vois pas dès lors, qu'il y ait là-dedans le moindre mystère, tout bien considéré.
            - Vous ne voyez pas. Moi, je vois. De toute façon,
je ne puis comprendre que les gens aient pu être assez stupides pour aller enterrer l'enfant qu'il ne fallait pas. Mais chut ! N'en parlez jamais devant la famille. Dieu sait que mes parents ont assez de soucis pour leur briser le coeur sans celui-là.
            - Eh bien, j'ai, ce me semble, des renseignements suffisants pour l'heure, et je vous suis très obligé pour la peine que vous avez prise. Mais j'ai été fort intéressé par le récit que vous m'avez fait des funérailles d'Aaron Burr. Voudriez-vous me raconter quelles circonstances en particulier vous fit regarder Aaron Burr comme un homme si remarquable ?
            - Oh ! un détail insignifiant. Pas une personne sur cinquante ne s'en serait aperçue. Quand le sermon fut terminé, et que le cortège fut prêt à partir pour le cimetière, et que le corps était installé bien confortablement dans le cercueil, il dit qu'il ne serait pas fâché de jeter un dernier coup d'oeil sur le paysage. Il se leva donc et s'en fut s'asseoir sur le siège, à côté du conducteur.
            Le jeune homme, là-dessus, me salua et prit congé. J'avais fort goûté sa compagnie, et fut fâché de le voir partir.


                                                                                              Mark Twain

                                                                                   ( in contes humoristiques )