mercredi 21 octobre 2015

Anecdotes et Reflexions d'hier pour aujourd'hui 45 Samuel Pepys ( journal Angleterre )

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                                                                                                                  15 avril 1661

            Depuis chez mon père,  le roi et les lords ont eu ce matin un temps exécrable pour leur déplacement à Windsor, je me rendis au bureau où je rencontrai Mr Coventry et Sir Robert Slingsby, mais ne fis rien d'autre que de prendre rendez vous avec eux pour aller demain à Deptford. Après le départ de Mr Coventry et que j'eus mis en sûreté les 200 livres rapportées ce matin de chez l'échevin Backwell, je partis en voiture avec Slingsby dîner chez lui, et mangeai fort bien. Sa femme semble être une personne comme il faut. Ils étaient très curieux d'apprendre par la poste de midi ce qui s'était passé aux élections de Newcastle.
            Chez mon oncle Wight, et après un moment tous deux chez Mr Rawlinson où nous passâmes tout l'après midi car il faisait un temps épouvantable. Je discutai un peu avec lui du profit que je pourrais tirer des vaisseaux qui vont au Portugal, en risquant quelque argent. J'aurai sous peu une réponse.  De retour chez moi je fis venir un barbier, ensuite, au lit.

 
                                                                                                                16 avril

            Aussitôt l'arrivée par le canot  de Mr Coventry annoncée à la Tour, j'allai le  voir et le trouvai lisant les Psaumes en transcription sténographique, à laquelle il s'intéresse en ce moment. Il s'amuse fort des signes longs qui représentent ici des passages des Écritures et dont il n'aura sans doute jamais à se servir. Nous restâmes à discuter jusqu'à l'arrivée du contrôleur de la Marine, puis nous embarquâmes pour Deptford où nous montâmes à bord du bateau de plaisance du roi que le commissaire Pett esr en train de construire et qui sera assurément un fort joli bateau. De là au domicile du commissaire ou on servit un bon déjeuner. Arrivèrent les deux sirs William venus de Walthamstowe. Nous tinmes réunion et reglâmes bon nombre de questions relatives à l'armement de la flotte maintenant en instance de départ.
            Cela fait nous nous rendîmes au Globe où nous eûmes un bon dîner et tout de suite après reprîmes le canot pour rentrer chez nous. Au cours du trajet ils me prièrent de chanter, ce que je fis, par Mr Coventry. Ce dernier monta chez Sir William Batten où nous restâmes parler un bon moment, avant de nous séparer. Retour chez moi puis chez mon père où j'ai couché avec ma femme.


                                                                                                                 17 avril
                                                                                                                    nationalgroups.com
Afficher l'image d'origine            Par voie de terre, vu les arcs de triomphe maintenant terminés et fort beaux. Vu aussi ce matin les présentations de bateaux et autres sujets disposés devant les bureaux de la compagnie des Indes Orientales, très réussis. Au bureau puis dîner avec Sir William Batten. Retour chez moi  auprès de mes ouvriers. Je vois le travail progresser avec grande satisfaction. Arriva alors Mr Allen de Chattam que j'emmenai à la Mitre,  où nous bûmes. Il me communiqua le texte de la chanson qui me plaisait tant l'autre jour : "Merde et Mouscaille, c'est l'début des amours ". Ses filles doivent venir à Londres demain, mais je ne sais si je les verrai. J'allai ensuite au Dauphin comme convenu, rencontrai les deux sirs William et Mr Castle. Nous mangeâmes une bourriche d'huîtres et deux homards que je leur offris, et fûmes des plus gais.
            Nous parlâmes longuement de l'élévation de Warren au rang de chevalier par le roi et sir William Batten sembla très fâché contre lui.
            Retour chez moi.


                                                                                                                           18 avril

            Lever avec mes ouvriers puis, vers 9 heures parti à cheval avec les deux sirs William pour Walthamstowe, où nous trouvâmes milady et toutes ses filles.
            Ce fut une journée agréable, et tout pour l'être, si ce n'est que milady était de méchante humeur, ce qui nous chagrina. Eût-elle été d'un naturel généreux elle ne se serait pas conduite ainsi avec ses domestiques
lorsque nous arrivâmes. Sir William Penn remarqua aussi cela. Après dîner nous nous rendîmes tout près de l'échalier du cimetière où nous mangeâmes et bûmes. Et je m'efforçai de paraître aussi joyeux que je pus. Puis, comme il pleuvait fort, nous quittâmes sir William Batten et, prîmes le chemin du retour. Sur le chemin nous rencontrâmes deux paysans montés sur un cheval, auxquels je cédai sans façon le passage, mais sir William Penn le leur refusa, les frappa et eux de même, et passa son chemin. Mais comme ils lui disaient des insolences il revint sur ses pas, les battit et les jeta à bas de leur cheval dans un accès de fureur ce qui, à mon avis, n'est guère à son honneur. Puis il les laissa.
            Chez lui. Restai bavarder assez longtemps, puis chez moi et au lit.


                                                                                                                       19 avril

            Avec mes ouvriers, après quoi bureau. Puis dîner avec sir William Batten. Retour chez moi où arriva sir William Warren que j'emmenai avec Mr Shipley et Moore à la Mitre. Je réglai à Mr Warren le prix des planches que j'achetai tantôt pour milord. Il nous quitta, et nous restâmes assez longtemps avant de nous séparer. Le temps était si mauvais que je ne pus aller aujourd'hui à Whitehall assister à la cérémonie où l'on confère le titre de chevalier dans l'ordre du Bain, ce qui me chagrina fort. Rentrai chez moi. Je dus attendre quelque temps le retour de Will, dont l'absence m'exaspéra, et, dès son retour, je me rendis en bateau chez mon père et, après souper, au lit, avec ma femme.


                                                                                                                        20 avril 1661
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Afficher l'image d'origine            Mon petit valet vient ici m'apprendre que le duc d'York a convoqué aujourd'hui tous les officiers principaux, etc. Je me rendis donc en bateau chez Mr Coventry, et restai parler longtemps, en attendant l'arrivée de tous les autres. Nous montâmes chez le duc et le vîmes s'habiller. En vêtement de nuit c'est un homme fort ordinaire. Il nous dit d'aller dans son cabinet de travail où nous vîmes, entre autres, deux très beaux coffres couverts d'or et de laque indienne qui lui ont été offerts par la Compagnie des Indes orientales de Hollande. Le duc arriva et, après qu'il nous eut appris que la flotte devait se rendre à Alger, ce qui nous avait été caché, nous délibérâmes sur de nombreuses questions relatives à l'armement de la flotte, puis nous nous séparâmes. De là au Sceau Privé, peu de choses à faire là. J'emmenai Mr Creed et Moore et leur offris leur boisson du matin. Puis, chez milord où sir William Penn vint me rejoindre et dîner. Après quoi il partit avec d'autres personnes. Milord examina les livrées de ses pages et de ses valets de pied. Elles sont arrivées aujourd'hui et seront belles sans ostentation. Après cela à Whitehall avec milady et milady Wright. Nous vîmes dans la salle des Banquets le roi conférer le titre de comte à milord le chancelier et à plusieurs autres, et celui de baron à Mr Crew et à plusieurs autres aussi. Les premiers sont conduits devant le roi par des hérauts et cinq vieux comtes. Lecture est donnée du brevet à chacun et le roi le revêt de la robe, le ceint de l'épée et de la couronne et lui remet son brevet. Il baise alors la main du roi, se redresse et se tient debout, tête couverte devant lui. Même chose pour les barons, si ce n'est qu'ils ne sont conduits que par trois vieux barons et qu'on les ceint de l'épée avant qu'ils ne se présentent devant le roi.
            La cérémonie terminée ( costumes fort agréables ) je reconduisis milady chez elle. Je trouve milord furieux que son page ait laissé échanger par mégarde sa toque de castor neuve contre un vieux chapeau.
            Puis je m'en allai à la Bourse avec Mr Creed, où je fis quelques achats, tels que des gants, des lacets de col, etc. Retour au Cockpit et là, grâce à un certain Bowman nous pûmes entrer et voir le roi et le duc ainsi que la duchesse, femme quelconque qui ressemble à sa mère, l'épouse du chancelier.
            Je vis représenter devant le roi Le lieutenant fantasque, pas très bien joué toutefois, mais mon plaisir fut grand de voir la mise en scène et tant de grandes beautés, particulièrement Mrs Palmer à qui le roi témoigne une grande familiarité.
            Mr Creed et moi dînâmes chez Mrs Harper après la représentation. Nous restâmes boire, alors qu'il était environ minuit. Les chemins étaient si boueux et rendus si malaisés par les barrières que l'on a dressées aujourd'hui dans les rues, que je ne pus rentrer chez moi, mais allai avec lui à l'appartement qu'il occupe chez Mr Ware et y passai la nuit.


                                                                                                                          21 avril

            Le matin nous fûmes chagrinés d'entendre la pluie tomber si fort, pensant au grand cortège de demain. Une fois prêt je me rendis à pied chez mon père. Je trouve l'ancienne femme de chambre partie, et une nouvelle arrivée à sa place, choisie par ma mère, et qui déplaît à mon père. Ceci va donner lieu à un grand désaccord entre eux. Dînèrent ici le Dr Thomas Pepys et le Dr Fairbrother. Nous n'avons parlé que du cortège de demain, et de notre inquiétude à la pensée de la pluie probable.
            Après dîner arrivent mon cousin Snow et sa femme qui, je pense, vont rester jusqu'à la fin de la cérémonie. Je rentrai chez moi. La route est si encombrée de gens venus voir les arcs de triomphe que je pus
Afficher l'image d'originetout juste me frayer un passage.
            Chez moi donc, les gens étant à l'église. Je rentrai sans que personne ne me vît, montai dans mon cabinet et rédigeai mon journal des cinq ou six derniers jours.
             L'esprit quelque peu préoccupé du fait que mes ouvriers n'étant pas citoyens de la Cité risquent fort de se faire chercher noise par une paire de vauriens paresseux qui ont travaillé avec moi l'autre jour et qui sont, eux, citoyens. Mes travaux en souffriraient. Il faut que j'empêche cela si je puis.



                                                                                                                        22 avril 1661
                                                                            Parcours du roi de la Tour à Whitehall

            Levé tôt et me fis aussi beau que je pus, mis mon habit de velours pour la 1ère fois, confectionné il y a six mois. Une fois prêts, sir William Batten, milady, ses deux filles, son fils et sa bru, sir William Penn, son fils et moi-même allâmes chez Mr Young, fabricant de drapeaux de Cornhill. Nous disposâmes là d'une belle pièce pour nous seuls avec du vin et un bon gâteau et pûmes très bien suivre le cortège, dont il est impossible e rapporter la splendeur, ce jour-là. Elle éclatait dans les vêtements des cavaliers, leurs chevaux et leurs housses. Et parmi tous, lord Sandwich.
            Broderies et diamants s'étalaient à profusion.
            Les chevaliers de l'ordre du Bain formaient par eux-mêmes un spectacle magnifique. Et leurs écuyers, parmi lesquels Mr Armiger. On remarquait les deux hommes qui représentaient les deux ducs de Normandie et d'Aquitaine.
            Les évêques venaient ensuite, après les barons qui occupaient la première place, ce qui me porte à penser que dans le prochain Parlement les évêques seront appelés à la Chambre des Lords. Milord Monck venait après le roi, il montait à cru, menant par la bride un cheval de réserve, en sa qualité de grand maître de la cavalerie.
            Le roi, en habit richement brodé, avait fort noble allure. Wadlow, marchand de vin de la taverne du Diable dans Fleet Street menait une belle compagnie de soldats, tous jeunes et avenants, vêtus de pourpoints blancs. Suivaient le vice-chambellan, sir George Carteret, et une compagnie de soldats, tous vêtus à la turque. Mais je ne sais toujours pas ce qu'ils représentaient.
            Les rues toutes sablées et les façades des maisons tendues de tapisseries offraient un spectacle splendide avec les dames penchées aux fenêtres. Je m'intéressai fort à l'une d'elles, tout près de notre groupe, et en parlai, ce qui me divertit fort.
            Le cortège resplendissait à ce point d'or et d'argent que nous ne pouvions plus le regarder, nous finissions par en être tout éblouis.
            Le roi et le duc d'York nous remarquèrent, après que celui-ci nous eut aperçus à la fenêtre.
            Le cortège terminé, Mr Young nous offrit à dîner. Nous en fûmes joyeux et plus heureux que ce que l'on pourrait imaginer d'avoir vu semblable spectacle......
            Retour à la maison, Will et le petit valet sont restés. Ils ont vu le cortège depuis Tower Hill, Jane était chez Thomas Pepys, et ma femme chez Charles Glascock dans Fleet Street. Le soir par le fleuve chez milord, il me parla de son costume confectionné en France. Il lui a coûté 200 livres, est orné de riches broderies.


                                                                                                                   23 avril

            Je partageai le lit de Mr Shipley et me levai vers 4 heures du matin.

                                                           Jour du couronnement                                
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            Allai à l'abbaye où je suivis sir John Denham, le surintendant, avec d'autres personnes. Après bien des tracas et grâce au valet de Mr Cooper, je pus monter dans une vaste tribune qui barrait le côté nord de l'abbaye. J'attendis l'arrivée du roi, assis fort patiemment de 4 heures à 11 heures. Spectacle bien agréable que celui de l'abbaye, avec une estrade au centre, recouverte de pourpre et au sommet un trône, c'est-à-dire un fauteuil, et un repose-pieds. tous les officiers, quels qu'ils fussent, et même les violonistes, portaient des robes rouges.
            Arrivent enfin le doyen et le chanoine de Westminster, suivi des évêques, nombreux en chape tissée d'or. Derrière eux les nobles, tous revêtus de leurs robes de parlementaires. Magnifique spectacle. Puis le duc et le roi précédé du sceptre porté par milord Sandwich, de l'épée, du globe et de la couronne.
            Le roi en robe d'apparat, tête nue, splendide. Tout ce monde installé le roi accomplit toutes les cérémonies du couronnement, à mon grand chagrin, et à celui de la plupart des assistants, je ne vis rien de tout cela. Lorsque la couronne fut placée sur sa tête, il s'éleva une grande clameur. Le roi s'avança vers le trône, et se déroulèrent d'autres cérémonies. Ainsi il prêta serment, l'évêque lui lut un texte. Les lords ils  mirent leurs toques dès que le roi porta sa couronne, et les évêques s'agenouillèrent devant lui.
            Par trois fois le roi d'armes s'avança dans les trois espaces libres de la tribune et proclama que si quelqu'un connaissait une raison s'opposant à ce que Charles Stuart devînt roi d'Angleterre, c'était le moment de venir le dire.
            Un pardon général fut également lu par le chancelier et des médailles lancées à la volée par milord Cornwallis, en argent, mais je ne pus en attraper aucune.
            Le vacarme était tel que je pus à peine entendre la musique. Mais j'avais une telle envie de pisser que je sortis un peu avant que le roi n'eût achevé toutes ses cérémonies et remontai le long de l'abbaye jusqu'à la Grand-Salle de Westminster, en faisant tout le trajet derrière les barrières, au milieu de 10 000 personnes, sur un sol recouvert de drap bleu, avec des tribunes tout le long. Je pénétrai dans la Grand-Salle, magnifique spectacle de tentures, tribunes étagées l'une au-dessus de l'autre, pleines de jolies femmes. Ma femme à droite dans une petite tribune.
             Je restai là à marcher de long en large. Enfin, debout sur l'étal d'une échoppe, je vis entrer le roi et tous ceux, sauf les soldatsn qui participaient hier à la cavalcade. Leurs robes d'apparat toutes différentes. Le roi entra, la couronne sur la tête et le sceptre à la main, sous un dais soutenu par six mats d'argent portés par des barons des Cinque Ports, avec des clochettes à chaque extrémité.
           ....... Les Chevaliers de l'Ordre du Bain apportaient le premier plat du roi...... les hérauts conduisaient des personnes devant le roi et s'inclinaient devant lui, et milord Albermarle allait en cuisine goûter un morceau du premier plat destiné à la table du roi.
            Mais il y avait surtout les trois lords, Northumberland, Suffolk et le duc d'Ormond, qui précédaient chacun des plats à cheval et ne descendirent de leur monture pendant tout le repas. On fit entrer pour finir le champion du roi , en armure, à cheval, précédé de sa lance et de son bouclier. Un héraut proclama que quiconque oserait contester à Charles Stuart sa légitimité de roi d'Angleterre trouverait ici un champion à qui se mesurer. A ces mots, le champion jette le gant et refait le geste à trois reprises en s'avançant vers la table du roi. Lorsqu'il l'atteint le roi boit à sa santé et lui fait porter la coupe, qui est en or. Il la vide et repart à cheval, la coupe à la main.
            ...... Je rencontrai à la table des lords William Howe qui dit à milord un mot en ma faveur. Celui-ci lui donna quatre lapins et une poularde qui m'échurent, et avec Mr Creed, nous nous fîmes donner du pain par Mr Mitchell. Nous mangeâmes sur un étal, chacun de même avec ce qu'il avait pu trouver.
            Je pris grand plaisir à me promener de long en large en regardant les dames et à écouter toutes sortes de musique, mais surtout les 24 violons.
            Vers six heures, fin du repas, je montai près de ma femme et trouvai une beauté, Mrs Franklin, l'épouse d'un Dr ami de Mr Bowyer. Il est singulier de penser qu'il a fait beau durant ces deux jours, jusqu'à ce que le roi eût quitté la Grand-Salle. Ensuite, la pluie s'est mise à tomber, accompagnée de tonnerre et d'éclairs......
            ..... Nous attendîmes le feu d'artifice qui ne fut pas tiré......
            Je menai ma femme et Mrs Franklin..... à Axe Yard. Au fond de cette cour, trois grands feux de joie et nombreuse compagnie élégamment habillée. Ils se saisirent de nous et nous prièrent de boire à la santé du roi, à genoux sur un fagot...... cela me parut une curieuse lubie...... j'admirai l'entrain des dames à boire.....                                                                                                          
            Si jamais je fus saoul ce fut bien ce soir-là.                                          
            ........ C'est ainsi que s'acheva cette journée dans l'allégresse universelle......


                                                                                                                     24 avril 1661

            Eveillé ce matin la tête en piteux état après la beuverie de la nuit dernière, dont je suis fort marri. Levé et sorti avec Mr Creed prendre notre boisson du matin. Il m'offrit du chocolat afin de me remettre l'estomac...... Retrouvai ma femme et à la maison, moi au bureau.
            ...... Après dîner chez nous, je consultai ma femme sur les rangements à faire dans la maison. Puis elle partit coucher chez mon père et je restai avec mes ouvriers dont le travail me satisfait pleinement.
            Le soir j'entrepris de rédiger le journal de ces trois derniers jours, et tandis que j'y travaille me parvient le bruit des petites pièces d'artillerie et d'autres explosions du feu d'artifice que l'on tire en ce moment devant le roi sur la Tamise. J'aimerais bien être avec eux et regrette de ne pas voir cela.
            Au lit.


                                                                                                                  25 avril

            Toute la journée avec mes ouvriers éprouvant grand plaisir à les voir approcher du terme des travaux. A midi Mr Moore et moi nous rendîmes à la Tête du Roi dans Tower Street où nous eûmes un méchant repas. Après cela, retour chez moi, réglai quelques affaires avec lui, arrivent Mr Shipley et Pearse, le chirurgien. Avec eux à la Mitre où nous restâmes boire quelque temps, puis retour chez moi et, après avoir lu quelques page, me couchai.


                                                                                                                    26 avril
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            Au bureau toute la matinée, et à midi dînai seul chez moi d'un morceau de viande commandé chez un rôtisseur.
            A la maison tout l'après-midi avec mes ouvriers. Et le soir, au lit, songeant à organiser mon travail de façon à pouvoir me rendre à Portsmouth la semaine prochaine avec sir Robert Slingsby.


                                                                                                                                                                                                                                    27 avril


            Le matin chez milord où je dînai avec milady et, après dîner avec Mr Creed et le capitaine Ferrer au Théâtre voir Les Vicissitudes et après cela à la taverne du Coq où on joua pour nous, à notre demande, de la harpe et du violon. Retour en voiture..


                                                                                                                      28 avril
                                                                                                   Jour du Seigneur
            Le matin chez mon père où je dînai, et l'après-midi à leur église..... Après le sermon à la maison en leur compagnie, y restai causer un moment..... Prié de venir chez mon père où étaient arrivés mon cousin Augier de Cambridge et sa femme.Je fus heureux de les voir et commandai du vin en leur honneur. Ils soupèrent avec mon père. Après souper, mon père me raconta le bizarre incident qui s'était produit l'autre nuit au coucher entre ma mère et lui. Elle n'avait pas voulu le laisser coucher avec elle, par jalousie à son égard, à cause d'un laideron qui vivait naguère chez eux. La drôlesse la plus hideuse que j'aie jamais vue de ma vie. J'eus honte d'apprendre que ma mère était devenue sotte à ce point. Mon père me pria d'en toucher un mot à ma mère pour faire la paix entre eux. Tout ceci m'afflige beaucoup.


                                                                                                                      29 avril

            Levé et partis avec mon père vers ma maison, rencontrâmes en chemin le lieutenant Lambert, avec lui au Dauphin dans Tower Street où nous prîmes notre boisson du matin, tout chagriné qu'on lui ait proposé d'être lieutenant sur un vaisseau du quatrième rang, alors qu'il a été lieutenant sur un vaisseau du premier rang
            Au bureau où il est décidé que je partirai demain pour Portsmouth.
            Je quittai le bureau pour me rendre immédiatement à Whitehall, parlai avec sir William Penn et sir George Carteret qui me donnèrent leur sentiment sur mon départ..... Mangeai un morceau dans la dépense de milord, avec John Goods et Nes Osgood.
            Retour chez moi où je donne à mes ouvrier des directives sur les travaux à faire en mon absence.
            Le soir chez sir William Batten qui, avec sir William Penn, me persuade d'envoyer chercher ma femme chez mon père. Elle nous rejoint chez Mrs Turner où nous étions tous réunis ce soir pour une collation jusqu'à minuit. S'y trouvait une dame qui jouait fort bien du clavecin et chantait joliment en s'accompagnant. Tous fort gais.
            Chez moi, et au lit, où ma femme n'avait couché depuis longtemps.


                                                                                                                      30 avril 1661

            Ce matin après avoir laissé des directives à mes ouvriers, je pris la voiture avec ma femme et Mr Creed et dans Fish Street nous fîmes monter Mr Hayter et sa femme qui, de prime abord, vue à travers son masque, me parut vieille mais, après coup, s'avéra être une fort jolie brune, honnête de surcroît.
            Nous fîmes une brève halte à Leatherhead, puis poussâmes jusqu'à Godalming où nous passâmes la nuit et nous montrâmes fort gais. N'ayant aujourd'hui connu d'autre incident que la chute de mon chapeau qui tomba de ma tête dans l'eau à Newington. Il fut gâté, et moi honteux.
            Je regrette de n'avoir été à Londres pour être à Hyde Park demain, parmi les grandes dames et les beaux messieurs. Ce sera un fort beau spectacle.


                                                                                                  à suivre
                                                                             1er mai 1661
         
            Levé tôt et arrêt à Petersfield......








mardi 20 octobre 2015

Le festival n'aura pas lieu Gilles Jacob (roman France )



                                           Le festival n'aura pas lieu

            1952 John Ford tourne Mogambo au Kenya, généralement de mauvaise humeur il a néanmoins accepté la présence d'un journaliste Lucien Fabas heureux d'avoir devancé un collègue anglais. Jeune et intimidé il observe les stars du film qui, peut-être sera sélectionné pour le festival de Cannes. Si Ford peut refuser la décision appartient à Hollywood. Mais sous les tentes, dans les bungalows les stars sont entourées, Ava Gardner de Bappie, sa soeur de dix ans son aînée, la suit partout dans le monde, à Madrid, et à Londres où elles s'installent en définitive, la jeune et jolie Grace Kelly, Clark Gable qui sait si bien rassurer cette dernière. Fabas, pour partie le double de l'auteur journaliste, ardent cinéphile, devenu secrétaire général du festival, revient en France. Amour amitié Lucien et Bappie se retrouvent épisodiquement ici ou là sur la planète, car travailler pour le plus grand festival de cinéma signifie visionner les films de nombreux pays. Sélection diplomatique et surtout convaincre les stars d'accepter le déplacement. Leur présence est indispensable pour la promotion des uns et des autres, et pour les journalistes. Secrétaire général puis président, Gilles Jacob nous introduit dans les coulisses du festival. 1968, Si Louis Malle fait partie du jury, de jeunes cinéastes tels François Truffaut, dans une France en grève le festival ne peut avoir lieu, Jean Luc Godard, Claude Berri, Géraldine Chaplin et Carlos Saura, approuvent l'arrêt des projections, Roman Polanski très occupé alors par Sharon Tate, les soutient mais quitte Cannes. La vie de directeur de festival cette année-là est extrêmement difficile, et le 21è festival de Cannes commencé le 10 s'arrête neuf jours plus tard. Et les amours durant cette période sont déprimées, le personnel des hôtels en grève. Lucien Fabas de retour à Genève auprès de sa femme quittée quelques années plus tard. John Ford enchaîne les films, il dit être un artisan, " ...on me donne un scénario je le tourne.... " Avec légèreté un peu mélancolique, l'auteur écrit un roman, souvenirs de ses longues années à la tête du festival de cinéma de Cannes. La boisson à bulles, compagne des heures tristes et gaies.









lundi 19 octobre 2015

Petit Epistre au Roy - Epistre a celluy qui l'injuria ... Clément Marot ( Poème France )


Clément Marot (1496 - 1544)
jeanjosephjulaud.fr

                                    Petit Epistre au Roy

                     .
               En m'esbatant je faiz rondeaux et rime,
            Et en rimant, bien souvent je m'enrime :
            Bref, c'est pitié d'entre nous rimailleurs,
            Car vous trouvez assez de rime ailleurs.
            Et quand vous plaist, mieulx que moy, rimassez,
            Des biens avez, et de la rime assez.
            Mais moy à tout ma rime et ma rimaille
            Je ne soustiens ( dont je suis marry ) maille.

               Or ce me dist ( ung jour ) quelque rimart,                                     amaryllidaceae.org
Résultat de recherche d'images pour "fleur des poetes"            Viença Marot, trouves tu en rime art ?
            Qui serve aux gens, toy qui a rimassé ?
            Ouy vrayement ( respondz je ) Henry Macé.
            Car voys tu bien, la personne rimante,
            Qui au jardin de son sens la rime ente,
            Si elle n'a des biens en rimoyant,
            Elle prendra plaisir en rime oyant :
            Et m'est advis, que si je ne rimoys,
            Mon pauvre corps ne seroit nourry moys
            Ne demy jour. Car la moindre rimette
            C'est le plaisir, où fault que mon rys mette.

               Si vous supply qu'à ce jeune rimeur
           Faciez avoir ung jour par sa rime heur.
           Affin qu'on die, en prose et en rimant,
           Ce Rimailleur, qui se alloit enrimant,
           Tant rimassa, rima et rimonna,
           Qu'il a congneu quel bien par rime on a.
                                                             

                                                                                      Clément Marot
                                                                   ( 1532 in Adolescence Clémentine )


                                                                                    
                                                                 *******************************


                                                                     
                                                             Epistre a celluy qui l'injuria par escript,
                                                                            et ne se osa nommer                           
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                Quiconques soys, tant soys tu brave,
               Qui ton orde et puante bave
            Contre moy a esté crachant,
            Tu es sot, craintif et meschant.

               Ta sottie on voyt bien parfaicte
            En l'epistre que tu as faicte
            Sans art et sans aucun sçavoir.
            Toutesfoys tu cuydes aviur
            Chanté en Rossignol ramage ;
            Mais ung Corbeau de noir plumage
            Ou ung grant Asne d'Arcadie
            Feroit plus doulce mélodie.

               Et pour venir au demourant,
            Tu crains fort, O pouvre ignorant,
            Tu crains qu'envers toy je m'allume,
            Tu crains la fureur de ma plume.
             Pourquoy crains-tu ? Il fault bien dire
             Qu'en toy y a fort à redire :
             Car il est certain, si tu fusses
             Homme de bien et que tu n'eusses
             Quelque marque, ou mauvais renom,
             Tu ne craindroys dire ton nom.

               Quant est de ta meschanceté,
            Elle vient de grand'lascheté                                                             fotageframepool.com
Résultat de recherche d'images pour "rossignol"            D'injurier celluy, qui onques
            Ne te feit offenses quelconques.
            Et quant je t'auroys faict offense,
            Es tu de si peu de deffence,
            Si couard et si baboyn,
            De n'oser parler que de loing ?

               L'epistre venue de moy
            Pour femme, qui vault mieulx que toy,
            N'est autre cas que une risée
            Où personne n'est déprisée.
            Mais toy, lourdault mal entendu,
            En ta response m'a rendu
            Pour une risée une injure.
            Si je te congnoissoys ( j'en jure ),
            Tu sentiroys si mes lardons
             Ressemblent roses ou chardons.


                                                                              Clément Marot
         

                
            

mercredi 14 octobre 2015

Troisième Fable Poème à Lou Apollinaire ( Poèmes France )

Afficher l'image d'origine                                                                      lewebpedagogique.com
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                                      Troisième Fable

        Le ptit Lou s'ébattait dans un joli parterre
        Où poussait la fleur rare et d'autres fleurs itou
        Et Lou cueillait les fleurs qui se laissaient bien faire
        Mais distraite pourtant elle en semait partout
                       Et perdait ce qu'elle aime

                                     Morale

                      On est bête quand on sème                                                    

D'après une histoire vraie Delphine de Vigan ( roman France )


D'après une histoire vraie








                           



                                                 D'après une histoire vraie

            Au jeu du vrai-faux Delphine de Vigan a réussi, jusqu'au dernier mot signé à la façon désignée par L.,à plonger le lecteur dans l'incertitude, une certaine angoisse. L. rencontrée dans une soirée, élégante et mystérieuse, alors que l'auteur raconte ses difficultés parfois insurmontables face au succès de son dernier ouvrage " Rien ne s'oppose à la nuit ". Rencontres avec le public dans les librairies, les lycées ( prix Renaudot des lycéens ), colloques et autres. Mère de deux jumeaux, compagne d'un journaliste complètement attaché aux écrivains qu'il présente, qu'il filme, mais peu présent, elle ne retrouve ni le goût, ni l'idée de son prochain roman. Le vide et le désarroi, la vacuité. Tout en gardant ses distances L prend possession de sa vie, lui propose son aide devant les courriers abandonnés, la peur de Delphine lisant des lettres anonymes lui promettant mille maux, et surtout lui indique le sujet de son prochain livre. Obsession de l'amie devenue unique puisqu'elle a adroitement écarté toute autre affection hors la sienne, celle de ses enfants et de François. Ecrire encore et toujours sur son vécu, pas de fiction. Le public veut des ouvrages, films, livres, tirés de faits réels. L. dit être l'écrivain qui écrit pour de grands noms de l'actualité, chanteuses et autres. La narratrice en pleine dépression raconte les notes, le déploiement des feuillets, le dictaphone autour de l'ordinateur de L. venue s'installer chez elle, au sixième étage sans ascenseur quelques semaines. L. insiste : "... Il y a longtemps que la littérature s'est fait damer le pion en matière de fiction..... Tu n'as jamais pensé que les scénaristes vous avaient coiffé au poteau. Cloués même. Ce sont eux les nouveaux démiurges omniscients et omnipotents..... L'écrivain n'a pas besoin de fabriquer des pantins, aussi agiles et fascinants soient-ils. Il a suffisamment à faire avec lui-même..... " Puis un accident, une chute, et les réserves des uns et des autres s'épuisent. L'auteur dit apprécier Stephen King, notamment " Misery ", s'intéresser au problème du double. Dépression, Trahison, têtes de chapitres. Mais en fait qui a tué et dépecé les poisson rouge dans le bassin du jardin ?
            Delphine de Vigan a obtenu le prix Renaudot 2015.



samedi 10 octobre 2015

La Mort au Festival de Cannes Brigitte Aubert ( roman France )

La Mort au Festival de Cannes - Brigitte Aubert

                                 La Mort au Festival de Cannes

            Pas de panique ! Le vent mauvais qui souffle ne dérange pas les acheteurs, vendeurs, promoteurs, acteurs ou autres qui ne s'affolent qu'au bruit des applaudissements et de la proximité des buffets, à dégoûter le lecteur des canapés au saumon et des boissons "..... nous a offert du café bien que nous sortions du petit déjeuner. Comme je suis tout le temps immobile, j'ai la sensation que la caféine s'accumule dans mon corps telle une charge explosive qui me pousse à la tremblote mentale.... " L'héroïne n'est autre qu'Elise Andrioli apparue dans un autre livre de Brigitte Aubert. Victime lors d'un attentat, tétraplégique, muette, aveugle, clouée dans son fauteuil elle ne correspond qu'à travers son ordinateur attaché à son fauteuil et grâce à sa main gauche, encore faut-il qu'aucune main malveillante ne bouscule ses habitudes. De son accident, de sa nouvelle vie un film d'où sa présence à Cannes lors du festival. Elle préside également le jury " Jeunes Talents ". Des adultes nerveux, des adolescents pas très adolescents, une écriture qui transmet en fait la pensée d'une personne qui entend mais ne voit rien. Son odorat plus son imagination et les descriptions de son aide Yvette en font un livre qui, au départ surprend, puis l'ambiance, les personnages, les morts, suicide, assassinat ou meurtre, et les pages se tournent. Un commissaire à imperméable, genre Columbo. ".... La fatalité, la main sournoise.... Isidore.... est revenu poser des questions, essayé d'obtenir une cartographie des lieux..... Dix mille personnes défilent dans ces lieux chaque jour, de préférence en courant, s'arrête de manière inopinée.... font des écarts, des détours imprévus, bref on est très loin du meurtre intime dans la bibliothèque du manoir.... " Du bunker Yvette et Elise sortent peu, un petit tour sur la Croisette les conduit au Majestic ou elles logent, ou à une fête privée sur la plage, enfin pas vraiment une fête pour Elise. Une fin surprise.



vendredi 9 octobre 2015

Portraits de Musiciens - Peintres Chopin, Watteau Marcel Proust ( Ecrits sur l'art France )

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chopinwithcherries.blogspot.com
         
                                              Chopin
                                                                           A Edouard Risler

            Chopin, mer de soupirs, de larmes, de sanglots
            Qu'un vol de papillons sans se poser traverse
            Jouant sur la tristesse ou dansant sur les flots.
            Rêve, aime, souffre, crie, apaise, charme ou berce,
            Toujours tu fais courir entre chaque douleur
            L'oubli vertigineux et doux de ton caprice
            Comme le papillon vole de fleur en fleur ;                                      omifacsimiles.com
Afficher l'image d'origine            De ton chagrin alors ta joie est la complice :
            L'ardeur du tourbillon accroît la soif des pleurs.
            De la lune et des eaux pâle et doux camarade,
            Prince du désespoir ou grand seigneur trahi,
            Tu t'exaltes encore, plus beau d'être pâli,
            Du soleil inondant ta chambre de malade
            Qui pleure à lui sourire et souffre de le voir....
            Sourire du regret et larmes de l'Espoir !
                                                                                                           
                                                                                                                 
larousse.fr                                                                Marcel Proust
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                                                 Antoine Watteau

      Crépuscule grimant les arbres et les faces,
      Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;
       Poussière de baisers autour des bouches lasses...
       Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.
            La mascarade, autre lointain mélancolique,
            Fait le geste d'aimer plus faux, triste et charmant.
            Caprice de poète - ou prudence d'amant,
            L'amour ayant besoin d'être orné savamment -
            Voici barques, goûters, silences et musique.


                                                                         Marcel Proust
         












samedi 3 octobre 2015

Ce cochon de Morin Guy de Maupassant ( nouvelles France )


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                                   Ce cochon de Morin 
                                                                                A M. Oudinot
            - Ça, mon ami, dis-je à Labarbe, tu viens encore de prononcer ces quatre mots, " ce cochon de Morin ". Pourquoi, diable, n'ai-je jamais entendu parler de Morin sans qu'on le traitât de " cochon "?
            Labarbe, aujourd'hui député, me regarda avec des yeux de chat-huant.
            - Comment, tu ne sais pas l'histoire de Morin, et tu es de La Rochelle ?
            J'avouai que je ne savais pas l'histoire de Morin. Alors Labarbe se frotta les mains et commença son récit.Alors Labarbe se frotta les mains et commença son récit.
            - Tu as connu Morin, n'est-ce pas, et tu te rappelles son grand magasin de mercerie sur le quai de La Rochelle ?
            - Oui, parfaitement.
            - Eh bien, sache qu'en 1862 ou 63 Morin alla passer quinze jours à Paris, pour son plaisir, ou ses plaisirs, mais sous prétexte de renouveler ses approvisionnements. Tu sais ce que sont, pour un commerçant de province, quinze jours de Paris. Cela vous met le feu dans le sang. Tous les soirs des spectacles, des frôlements de femmes, une continuelle excitation d'esprit. On devient fou. On ne voit plus que danseuses en maillot, actrices décolletées, jambes rondes, épaules grasses, tout cela presque à portée de la main, sans qu'on ose ou qu'on puisse y toucher. C'est à peine si on goûte, une fois ou deux, à quelques mets inférieurs. Et l'on s'en va le coeur encore tout secoué, l'âme émoustillée, avec une espèce de démangeaison de baisers qui vous chatouillent les lèvres.
            Morin se trouvait dans cet état, quand il prit son billet pour La Rochelle par l'express de 8h40 du soir. Et il se promenait plein de regrets et de trouble dans la grande salle commune du chemin de fer d'Orléans, quand il s'arrêta net devant une jeune femme qui embrassa une vieille dame. Elle avait relevé sa voilette, et Morin, ravi, murmura : " Bigre, la belle personne ! "
            Quand elle eut fait ses adieux à la vieille, elle entra dans la salle d'attente, et Morin la suivit ; puis elle passa sur le quai, et Morin la suivit encore ; puis elle monta dans un wagon vide, et Morin la suivit toujours.
            Il y avait peu de voyageurs pour l'express. La locomotive siffla ; le train partit. Ils étaient seuls.
            Morin la dévorait des yeux. Elle semblait avoir dix-neuf à vingt ans ; elle était blonde, grande, d'allure hardie. Elle roula autour de ses jambes une couverture de voyage, et s'étendit sur les banquettes pour dormir.
            Morin se demandait : " Qui est-ce ? " Et mille suppositions, mille projets lui traversaient l'esprit. Il se disait : " On raconte tant d'aventures de chemin de fer. C'en est peut-être une qui se présente pour moi. Qui sait ? une bonne fortune est si vite arrivée. Il me suffirait peut-être d'être audacieux. N'est-ce pas Danton qui disait : " De l'audace, de l'audace et toujours de l'audace ? " Si ce n'est pas Danton, c'est Mirabeau. Enfin, qu'importe. Oui, mais je manque d'audace, voilà le hic. Oh! Si on savait, si on pouvait lire dans les âmes ! Je parie qu'on passe tous les jours, sans s'en douter, à côté d'occasions magnifiques. Il lui suffirait d'un geste pourtant pour m'indiquer qu'elle ne demande pas mieux... "
            Alors, il supposa des combinaisons qui le conduiraient au triomphe. Il imaginait une entrée en rapport chevaleresque, des petits services qu'il lui rendait, une conversation vive, galante, finissant par une déclaration qui finissait par... par ce que tu penses.
            La nuit cependant s'écoulait et la belle enfant dormait toujours, tandis que Morin méditait sa chute. Le jour parut, et bientôt le soleil lança son premier rayon, un long rayon clair venu de l'horizon, sur le doux visage de la dormeuse.
            Elle s'éveilla, s'assit, regarda la campagne, regarda Morin et sourit. Elle sourit en femme heureuse, d'un air engageant et gai. Morin tressaillit. Pas de doute, c'était pour lui ce sourire-là, c'était bien une invitation discrète, le signal rêvé qu'il attendait. Il voulait dire, ce sourire : " Êtes-vous bête, êtes-vous niais, êtes-vous jobard, d'être resté là, comme un pieu, sur votre siège depuis hier soir.
            Voyons, regardez-moi, ne suis-je pas charmante ? Et vous demeurez comme ça toute une nuit en tête à tête avec une jolie femme sans rien oser, grand sot. "
            Elle souriait toujours en le regardant ; elle commençait même à rire ; et il perdait la tête, cherchant un mot de circonstance, un compliment, quelque chose à dire enfin, n'importe quoi. Mais il ne trouvait rien, rien. Alors, saisi d'une audace de poltron, il pensa ! " Tant pis, je risque tout " ; et brusquement, sans crier " gare "
il s'avança, les mains tendues, les lèvres gourmandes, et, la saisissant à pleins bras, il l'embrassa.
            D'un bond elle fut debout, criant : " Au secours ", hurlant d'épouvante. Et elle ouvrit la portière ; elle agita ses bras dehors, folle de peur, essayant de sauter, tandis que Morin éperdu, persuadé qu'elle allait se précipiter sur la voie, la retenait par sa jupe en bégayant : " Madame... oh !... madame. "
            Le train ralentit sa marche, s'arrêta. Deux employés se précipitèrent aux signaux désespérés de la jeune femme qui tomba dans leurs bras en balbutiant : " Cet homme a voulu... a voulu... me... me..." Et elle s'évanouit.
            On était en gare de Mauzé.Le gendarme présent arrêta Morin.
            Quand la victime de sa brutalité eut repris connaissance, elle fit sa déclaration. L'autorité verbalisa. Et le pauvre mercier ne put regagner son domicile que le soir, sous le coup d'une poursuite judiciaire pour outrage aux bonnes moeurs dans un lieu public.


                                                                      II

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            J'étais alors rédacteur en chef du " Fanal des Charentes "; et je voyais Morin, chaque soir, au café du Commerce.
            Dès le lendemain de son aventure, il vint me trouver, ne sachant que faire. Je ne lui cachai pas mon opinion : " Tu n'es qu'un cochon. On ne se conduit pas comme ça. "
            Il pleurait ; sa femme l'avait battu ; et il voyait son commerce ruiné, son nom dans la boue, déshonoré, ses amis indignés, ne le saluant plus. Il finit par me faire pitié, et j'appelai mon collaborateur Rivet, un petit homme goguenard et de bon conseil, pour prendre ses avis.
            Il m'engagea à voir le procureur impérial, qui était de mes amis. Je renvoyai Morin chez lui et je me rendis chez ce magistrat.
            J'appris que la femme outragée était une jeune fille, Mlle Henriette Bonnel, qui venait de prendre à Paris ses brevets d'institutrice et qui, n'ayant plus ni père ni mère, passait ses vacances chez son oncle et sa tante, braves petits bourgeois de Mauzé.
            Ce qui rendait grave la situation de Morin, c'est que l'oncle avait porté plainte. Le ministère public consentait à laisser tomber l'affaire si cette plainte était retirée. Voilà ce qu'il fallait obtenir.
            Je retournai chez Morin. Je le trouvai dans son lit, malade d'émotion et de chagrin. Sa femme, une grande gaillarde osseuse et barbue, le maltraitait sans repos. Elle m'introduisit dans la chambre en me criant par la figure : " Vous venez voir ce cochon de Morin ? Tenez, le voilà, le coco ! ".
            Et elle se planta devant le lit, les poings sur les hanches. J'exposai la situation ; et il me supplia d'aller trouver la famille. La mission était délicate ; cependant je l'acceptai. Le pauvre diable ne cessait de répéter :  " Je t'assure que je ne l'ai pas même embrassée, non, pas même. Je te le jure ! "
            Je répondis : " C'est égal, tu n'es qu'un cochon. " Et je pris mille francs qu'il m'abandonna pour les employer comme je le jugerais convenable.
            Mais comme je ne tenais pas à m'aventurer seul dans la maison des parents, je priai Rivet de m'accompagner. Il y consentit, à la condition qu'on partirait immédiatement, car il avait, le lendemain dans l'après-midi, une affaire urgente à La Rochelle.
            Et, deux heures plus tard, nous sonnions à la porte d'une jolie maison de campagne. Une belle jeune fille vint nous ouvrir. C'était elle assurément. Je dis tout bas à Rivet : " Sacrebleu, je commence à comprendre Morin. "
            L'oncle, M. Tonnelet, était justement un abonné du " Fanal ", un fervent coreligionnaire politique qui nous reçut à bras ouverts, nous félicita, nous congratula, nous serra les mains, enthousiasmé d'avoir chez lui les deux rédacteurs de son journal. Rivet me souffla dans l'oreille : " Je crois que nous pourrons arranger l'affaire de ce cochon de Morin. "
            La nièce s'était éloignée ; et j'abordai la question délicate. J'agitai le spectre du scandale ; je fis valoir la dépréciation inévitable que subirait la jeune personne après le bruit d'une pareille affaire ; car on ne croirait jamais à un simple baiser.
            Le bonhomme semblais indécis ; mais il ne pouvait rien décider sans sa femme qui ne rentrerait que le lendemain tard dans la soirée. Tout à coup il poussa un cri de triomphe : " Tenez, j'ai une idée excellente. Je vous tiens, je vous garde. Vous allez dîner et coucher ici tous les deux ; et, quand ma femme sera revenue, j'espère que nous nous entendrons. "
            Rivet résistait ; mais le désir de tirer d'affaire ce cochon de Morin le décida ; et nous acceptâmes l'invitation.    ilyaunsiecle.blog.lemonde.fr
            L'oncle se leva radieux, appela sa nièce, et nous proposa une promenade dans sa propriété, en proclamant : " A ce soir les affaires sérieuses. "
            Rivet et lui se mirent à parler politique. Quant à moi, je me trouvai bientôt à quelques pas en arrière, à côté de la jeune fille. Elle était vraiment charmante, charmante !
            Avec des précautions infinies, je commençai à lui parler de son aventure pour tâcher de m'en faire une alliée.
            Mais elle ne parut pas confuse le moins du monde ; elle m'écoutait de l'air d'une personne qui s'amuse beaucoup.
            Je lui disais : " Songez donc, mademoiselle, à tous les ennuis que vous aurez. Il vous faudra comparaître devant le tribunal, affronter les regards malicieux, parler en face de tout ce monde, raconter publiquement cette triste scène du wagon. Voyons, entre nous, n'auriez-vous pas mieux fait de ne rien dire, de remettre à sa place ce polisson sans appeler les employés ; et de changer simplement de voiture ? "
            Elle se mit à rire : " C'est vrai ce que vous dites ! mais que voulez-vous ? J'ai eu peur ; et, quand on a peur, on ne raisonne plus. Après avoir compris la situation, j'ai bien regretté mes cris ; mais il était trop tard. Songez aussi que cet imbécile s'est jeté sur moi comme un furieux, sans prononcer un mot, avec une figure de fou. Je ne savais même pas ce qu'il me voulait. "
            Elle me regardait en face, sans être troublée ou intimidée. Je me disais : " Mais c'est une gaillarde, cette fille. Je comprends que ce cochon de Morin se soit trompé. "
            Je repris en badinant : " Voyons, mademoiselle, avouez qu'il était excusable, car, enfin, on ne peut pas se trouver en face d'une aussi belle personne que vous sans éprouver le désir absolument légitime de l'embrasser. "
            Elle rit plus fort, toutes les dents au vent : " Entre le désir et l'action, monsieur, il y a place pour le respect. "
            La phrase était drôle, bien que peu claire. Je demandai brusquement : " Eh bien, voyons, si je vous embrassais, moi, maintenant, qu'est-ce que vous feriez ? "
            Elle s'arrêta pour me considérer du haut en bas, puis elle dit tranquillement : " Oh, vous, ce n'est pas la même chose. "
            Je le savais bien, parbleu, que ce n'était pas la même chose, puisqu'on m'appelait dans toute la province " le beau Labarbe ". J'avais trente ans, alors, mais je demandai : " Pourquoi ça ? "
            Elle haussa les épaules, et répondit : " Tiens ! parce que vous n'êtes pas aussi bête que lui. " Puis elle ajouta, en me regardant en-dessous : " Ni aussi laid. "
            Avant qu'elle ait pu faire un mouvement pour m'éviter, je lui avais planté un bon baiser sur la joue. Elle sauta de côté, mais trop tard. Puis elle dit : " Eh bien ! vous n'êtes pas gêné non plus, vous. Mais ne recommencez pas ce jeu-là. "
            Je pris un air humble et je dis à mi-voix : " Oh ! mademoiselle, quant à moi, si j'ai un désir au coeur, c'est de passer devant un tribunal pour la même cause que Morin. "
            Elle demanda à son tour : " Pourquoi ça ? " Je la regardai au fond des yeux sérieusement : " Parce que vous êtes une des plus belles créatures qui soient , parce que ce serait pour moi un brevet, un titre, une gloire, que d'avoir voulu vous violenter. Parce qu'on dirait, après vous avoir vue : " Tiens, Labarbe n'a pas volé ce qui lui arrive, mais il a de la chance tout de même. "
            Elle se remit à rire de tout son coeur.                                                                  valdoise.fr
            " Êtes-vous drôle ? " Elle n'avait pas fini le mot - drôle - que je la tenais à pleins bras et je lui jetais des baisers voraces partout où je trouvais une place, dans les cheveux, sur le front, sur les yeux, sur la bouche parfois, sur les joues, par toute la tête, dont elle découvrait toujours malgré elle un coin pour garantir les autres.
            A la fin, elle se dégagea, rouge et blessée. " Vous êtes un grossier, monsieur, et vous me faites repentir de vous avoir écouté. "
            Je lui saisis la main, un peu confus, balbutiant : " Pardon, pardon, mademoiselle. Je vous ai blessée ; j'ai été brutal ! Ne m'en voulez pas. Si vous saviez ?... " Je cherchais vainement une excuse.
            Elle prononça, au bout d'un moment : " Je n'ai rien à savoir, monsieur. "
            Mais j'avais trouvé ; je m'écriai : Mademoiselle, voici un an que je vous aime ! "
            Elle fut vraiment surprise et releva les yeux. Je repris : " Oui, mademoiselle, écoutez-moi. Je ne connais pas Morin et je me moque bien de lui. Peu m'importe qu'il aille en prison et devant les tribunaux. Je vous ai vue ici, l'an passé, vous étiez là-bas, devant la grille. J'ai reçu une secousse en vous apercevant et votre image ne m'a plus quitté. Croyez-moi ou ne me croyez pas, peu m'importe. Je vous ai trouvée adorable
votre souvenir me possédait ; j'ai voulu vous revoir ; j'ai saisi le prétexte de cette bête de Morin ; et me voici.
Les circonstances m'ont fait passer les bornes ; pardonnez-moi, je vous en supplie, pardonnez-moi. "
            Elle guettait la vérité dans mon regard, prête à sourire de nouveau ; et elle murmura : " Blagueur. "
            Je levai la main, et, d'un ton sincère ( je crois même que j'étais sincère ) : " Je vous jure que je mens pas. "
            Elle dit simplement : " Allons donc. "
            Nous étions seuls, tout seuls, Rivet et l'oncle ayant disparu dans les allées tournantes ; et je lui fis une vraie déclaration, longue, douce, en lui pressant et lui baisant les doigts. Elle écoutait cela comme une chose agréable et nouvelle, sans bien savoir ce qu'elle en devait croire.
            Je finissais par me sentir troublé, par penser ce que je disais ; j'étais pâle, oppressé, frissonnant ; et, doucement, je lui pris la taille.
            Je lui parlais tout bas dans les petits cheveux frisés de l'oreille. Elle semblait morte, tant elle restait rêveuse.
            Puis sa main rencontra la mienne et la serra ; je pressai lentement sa taille d'une étreinte tremblante et toujours grandissante ; elle ne remuait plus du tout ; j'effleurais sa joue de ma bouche ; et tout à coup mes lèvres, sans chercher, trouvèrent les siennes. Ce fut un long, long baiser ; et il aurait encore duré longtemps, si je n'avais entendu " hum, hum " à quelques pas derrière moi.
            Elle s'enfuit à travers un massif. Je me retournai et j'aperçus Rivet qui me rejoignait.
            Il se campa au milieu du chemin, et, sans rire : " Eh bien ! c'est comme ça que tu arranges l'affaire de ce cochon de Morin ? "
            Je répondis avec fatuité : " On fait ce qu'on peut, mon cher. Et l'oncle ? Qu'en as-tu obtenu ? Moi, je réponds de la nièce. "
            Rivet déclara : " J'ai été moins heureux avec l'oncle. "
            Et je lui pris le bras pour rentrer.


                                                                           III

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            Le dîner acheva de me faire perdre la tête. J'étais à côté d'elle et ma main sans cesse rencontrait sa main sous la nappe ; mon pied pressait son pied ; nos regards se joignaient, se mêlaient.
            On fit ensuite un tour au clair de lune et je lui murmurai dans l'âme toutes les tendresses qui me montaient du coeur. Je la tenais serrée contre moi, l'embrassant à tout moment, mouillant mes lèvres aux siennes. Devant nous, l'oncle et Rivet discutaient. Leurs ombres les suivaient gravement sur le sable des chemins.
            On rentra. Et bientôt l'employé du télégraphe apporta une dépêche de la tante annonçant qu'elle ne reviendrait que le lendemain matin, à sept heures, par le premier train.
            L'oncle dit : " Eh bien, Henriette, va montrer leurs chambres à ces messieurs. " On serra la main du bonhomme et on monta. Elle nous conduisit d'abord dans l'appartement de Rivet, et il me souffla dans l'oreille : Pas de danger qu'elle nous ait menés chez toi d'abord. " Puis elle me guida vers mon lit. Dès qu'elle fut seule avec moi, je la saisis de nouveau dans mes bras, tâchant d'affoler sa raison et de culbuter sa résistance. Mais, quand elle se sentit tout près de défaillir, elle s'enfuit.
            Je me glissai entre mes draps, très contrarié, très agité, et très penaud, sachant bien que je ne dormirais guère, cherchant quelle maladresse j'avais pu commettre, quand on heurta doucement ma porte.
            Je demandai : " Qui est là ? "
            Une voix légère répondit : " Moi. "
            Je me vêtis à la hâte ; j'ouvris ; elle entra. " J'ai oublié, dit-elle, de vous demander ce que vous prenez le matin : du chocolat, du thé, ou du café ? "
            Je l'avais enlacée impétueusement, la dévorant de caresses, bégayant : " Je prends... je prends... je prends... " Mais elle me glissa entre les bras, souffla ma lumière et disparut.
            Je restai seul, furieux, dans l'obscurité, cherchant des allumettes, n'en trouvant pas. J'en découvris enfin et je sortis dans le corridor, à moitié fou, mon bougeoir à la main.
            Qu'allais-je faire ? Je ne raisonnais plus ; je voulais la trouver ; je la voulais. Et je fis quelques pas sans réfléchir à rien. Puis je pensai brusquement : " Mais si j'entre chez l'oncle ? que dirais-je ?... " Et je demeurai immobile, le cerveau vide, le coeur battant. Au bout de plusieurs secondes, la réponse me vint :
 " Parbleu ! je dirai que je cherchais la chambre de Rivet pour lui parler d'une chose urgente. "
            Et je me mis à inspecter les portes, m'efforçant de découvrir la sienne, à elle. Mais rien ne pouvait me guider. Au hasard, je pris une clef que je tournai. J'ouvris, j'entrai... Henriette, assise dans son lit, effarée, me regardait.
            Alors je poussai doucement le verrou ; et, m'approchant sur la pointe des pieds, je lui dis ;: " J'ai oublié, mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire. " Elle se débattait ; mais j'ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n'en dirai pas le titre. C'était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes.
            Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré ; et j'en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s'usèrent jusqu'au bout.                                                            abardel.free.fr
            Puis, après l'avoir remerciée, je regagnais, à pas de loup, ma chambre, quand une main brutale m'arrêta, et une voix, celle de Rivet, me chuchota dans le nez : " Tu n'as donc pas fini d'arranger l'affaire de ce cochon de Morin ? "
            Dès sept heures du matin, elle m'apportait elle-même une tasse de chocolat. Je n'en ai jamais bu de pareil. Un chocolat à s'en faire mourir, moelleux, velouté, parfumé, grisant. Je ne pouvais ôter ma bouche des bords délicieux de sa tasse.
            A peine la jeune fille était-elle sortie que Rivet entra. Il semblais un peu nerveux, agacé comme un homme qui n'a guère dormi ; il me dit d'un ton maussade : " Si tu continues, tu sais, tu finiras par gâter l'affaire de ce cochon de Morin. "
            A huit heures, la tante arrivait. La discussion fut courte. Les braves gens retiraient leur plainte, et je laisserais cinq cents francs aux pauvres du pays.
            Alors, on voulut nous retenir à passer la journée. On organiserait même une excursion pour aller visiter des ruines. Henriette derrière le dos de ses parents me faisait des signes de tête : " Oui, restez donc. "
J'acceptais, mais Rivet s'acharna à s'en aller.
            Je le pris à part ; je le priai, je le sollicitai ; je lui disais : " Voyons, mon petit Rivet, fais cela pour moi." Mais il semblait exaspéré et me répétait dans la figure ; " J'en ai assez, entends-tu, de l'affaire de ce cochon de Morin. "
            Je fus bien contraint de partir aussi. Ce fut un des moments les plus durs de ma vie. J'aurais bien arranger cette affaire-là pendant toute me existence.
            Dans le wagon, après les énergiques et muettes poignées de main des adieux, je dis à Rivet : " Tu n'es qu'une brute. " Il répondit : " Mon petit, tu commences à m'agacer bougrement. "
            En arrivant aux bureaux du " Fanal ", j'aperçus une foule qui nous attendait... On cria dès qu'on nous vit : " Eh bien avez-vous arrangé l'affaire de ce cochon de Morin ? "
            Tout La Rochelle en était troublé. Rivet, dont la mauvaise humeur s'était dissipée en route, eut grand-peine à ne pas rire en déclarant : " Oui, c'est fait, grâce à Labarbe. "
            Et nous allâmes chez Morin.
            Il était étendu dans un fauteuil, avec des sinapismes aux jambes et des compresses d'eau froide sur le crâne, défaillant d'angoisse. Et il toussait sans cesse, d'une petite toux d'agonisant, sans qu'on sût d'où lui était venu ce rhume. Sa femme le regardait avec des yeux de tigresse prête à le dévorer.
            Dès qu'il nous aperçut, il eut un tremblement qui lui secouait les poignets et les genoux. Je dis :          " C'est arrangé, salaud, mais ne recommence pas. "
            Il se leva, suffoquant, me prit les mains, les baisa comme celles d'un prince, pleura, faillit perdre connaissance, embrassa Rivet, embrassa même Mme Morin qui le rejeta d'une poussée dans son fauteuil.
            Mais il ne se remit jamais de ce coup-là, son émotion avait été trop brutale.
            On ne l'appelait plus dans toute la contrée que " ce cochon de Morin ", et cette épithète le traversait comme un coup d'épée chaque fois qu'il l'entendait.
            Quand un voyou dans la rue criait : " Cochon ", il retournait la tête par instinct. Ses amis le criblaient de plaisanteries horribles, lui demandant chaque fois qu'ils mangeaient du jambon : " Est-ce du tien ? "
            Il mourut deux ans plus tard.
            Quant à moi, me présentant à la députation, en 1875, j'allai faire une visite intéressée au nouveau notaire de Tousserre, Me Belloncle. Une grande femme opulente et belle me reçut.
            - Vous ne me reconnaissez pas ? dit-elle. "
            Je balbutiai :
            -  Mais... non... madame.
            - Henriette Bonnel.
            - Ah !
            Et je me sentis devenir pâle.
            Elle semblait parfaitement à son aise, et souriait en me regardant.
            Dès qu'elle m'eut laissé seul avec son mari, il me prit les mains, les serrant à les broyer :
            - Voici longtemps, cher monsieur, que je veux aller vous voir. Ma femme m'a tant parlé de vous. Je sais... oui je sais en quelle circonstance douloureuse vous l'avez connue, je sais aussi comme vous avez été parfait, plein de délicatesse, de tact, de dévouement dans l'affaire.
            Il hésita, puis prononça plus bas, comme s'il eût articulé un mot grossier ;
            - Dans l'affaire de ce cochon de Morin.


                                                                                               Maupassant
                                
                                                                                       ( in Les contes de la bécasse )