jeudi 5 novembre 2015

Correspondance Proust Gide 5 ( lettres France )


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                                                                                                        20 Janvier 1918

            Cher ami,
            Votre lettre me touche beaucoup, m'attriste aussi à cause de ce que vous pensez de mon indiscrétion, me rend surtout heureux parce que je crois comprendre que vous avez un bonheur. Mais ce bonheur, je vous supplie, puisque vous n'avez pas absolument confiance en moi, de ne pas me le révéler, même partiellement ( puisque actuellement je n'en soupçonne absolument rien ). La Bruyère dit très bien :
            " Toute confiance est dangereuse, si elle n'est pas entière ; il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui on doit devoir en dérober une circonstance. " 
J'ajoute que je ne suis pas curieux, même dans le sens le plus élevé du mot. Je ne regretterais qu'un ami me tût un secret que dans un seul cas, celui où je pourrais directement le servir, dans un cas où son coeur ou bien son amour-propre seraient engagés. J'ai dû en effet vous dire souvent que, si maladroit pour moi-même et faisant toujours rater les choses que je désire, j'y suis fort habile pour les autres, parce que j'unis deux qualités qui ne sont généralement pas jointes dans un seul être : une certaine perspicacité d'une part,  de l'autre une absence totale d'amour-propre et l'incapacité de tromper un ami. Aussi me suis-je trompé sur ma vocation qui était d'être entremetteur ou témoin dans les duels. C'est du reste souvent la compensation des gens qui échouent à tout pour eux-mêmes, de faire réussir pour les autres. Quant au défaut que vous m'attribuez, et qui est le plus contraire à ma nature ! l' indiscrétion, votre erreur a été probablement causée par ceci : Lors de votre dernière visite, j'ai pensé à une page de vous ( dans Isabelle, je crois ) où vous disiez que Jammes vous plaisait par sa manière de raconter les histoires. Pris d'émulation, je vous en ai conté ou voulu conter quelques-unes. Mais elles avaient trait à des gens que je ne connais pas, à côté de qui j'ai pu dîner une fois et que je n'ai jamais revus. Je ne puis appeler indiscrétion le récit de leurs dires nullement confidentiels.                                                                                            
Afficher l'image d'origine            Hélas, je vois revenir à moi, touchant mes amis, des confidences d'eux qu'ils ont faites à tel qu'ils ont cru discret, qui les a redites à un autre et ainsi de suite. Or, je suis justement celui qui ne ferait pas cela. Je peux porter des jugements plus ou moins sévères sur deux indifférents. Mais sur un ami ( et depuis trois ans, il me semble que vous en êtes un pour moi ), cela me serait impossible. Cher ami, je serais désespéré que pour me montrer que je vous ai persuadé, vous me confiiez quoi que ce soit. J'en serais au contraire malheureux. Et vous, si vous êtes heureux, ayez la force de garder votre bonheur pour vous seul. Il y a déperdition dans la simple confidence. En partageant son bonheur, on ne le multiplie pas, au contraire de ce que Hugo dit si bien pour l'amour maternel. En résumé, je vous supplie de ne me rien dire. Je me figure que je ne pourrais pas vous voir à votre passage à Paris. Voici pourquoi.  En ce moment mes crises ne finissent presque jamais avant une heure avancée de la soirée. Par exemple, à l'heure où vous m'avez vu la dernière fois, personne ne pourrait entrer chez moi. Cela tient à ce que je me suis fatigué pour une personne qui a été opérée ; j'ai dû me plier aux heures que le médecin lui permettait, et mon mal a pris sa revanche comme une oscillation de pendule. Je pense que cela ira en s'améliorant - d'ailleurs il y a des jours - mais si rares - de répit relatif, et je le désire d'autant plus que je n'ai toujours pas reçu mes épreuves de la N.R.F. et que j'aurai " un coup de collier à donner " quand elles arriveront enfin. Surtout ne vous plaignez pas à la N.R.F. de ce retard ; l'imprimeur avait égaré un cahier ; à la N.R.F., on ignorait qui l'avait envoyé, etc. Je me suis déjà plaint, plus peut-être que je n'aurais dû ; je serais donc très fâché que vous ajoutiez vos reproches à mes doléances. Ce serait d'autant plus inutile que l'imprimeur a promis de faire vite.                                        crayonsdecouleur.forumactif.com 
Afficher l'image d'origine            Cher ami, vous me feriez un grand plaisir et vous me montreriez que vous en attendez un petit de mon livre en ne le lisant qu'une fois imprimé, ou du moins quand je vous dirai que les épreuves en sont à un point où il n'y aura plus que des changements insignifiants. Actuellement, ce serait vous donner l'idée la plus fausse. D'autre part, même ces épreuves informes ne sont que les épreuves d'un commencement de volume. Or je publie tout l'ouvrage à la fois, malgré tant de raisons que j'aurais de faire autrement, afin qu'on puisse me juger sur le tout. Donc cent pages, même si elles étaient définitives ( et elles sont loin de l'être ! ) lues à part, iraient à l'encontre de ce à quoi je sacrifie des intérêts fort importants. Que si cela vous amuse - bien que mon oeuvre n'en vaille guère la peine ! - de voir la figure de mon travail progressif, je ne demande pas mieux, une fois que vous connaîtrez le livre imprimé, de vous communiquer les épreuves. Mais après, je vous en prie, pas avant. Bien entendu, s'il y a tel ou tel morceau qui puisse exciter votre curiosité, je vous en communiquerai les épreuves dès qu'elles seront nettes. Mais celles que j'attends n'ont nullement trait à ce qui peut vous amuser et n'a de sens qu'à sa place dans l'ensemble. Pardonnez-moi de tant vous parler et de ma santé et de mon livre, qui tous deux ont si peu d'importance. Mais, bien qu'espérant beaucoup vous voir à votre " passage ", j'ai voulu que vous sachiez que si par hasard je ne le pouvais pas, ce ne serait pas faute du grand désir que j'en ai. Et que si je recule un peu, d'autre part, le moment de vous soumettre mon ouvrage, c'est justement parce que votre impression m'est tellement précieuse. Mais paraîtra-t-il jamais ? Cet imprimeur, qui pendant plus d'un mois dit que s'il ne m'envoie pas d'épreuves c'est parce qu'il n'a pas d'ouvriers, puis après que c'est parce qu'il m'a tout envoyé du 1er volume... La N.R.F., d'autre part, assez peu au courant pour croire qu'il en est ainsi et avoir besoin que je lui rappelle qu'il y a un cahier représentant un bon tiers du volume dont je n'ai pas eu les épreuves pour qu'elle s'en souvienne à son tour ! Enfin j'envoie cahier sur cahier dont je n'ai pas les doubles. Ne se perdront-ils pas en route ? Tout cela, je l'ai dit, écrit et téléphoné à la N.R.F., en l'espèce à Madame Lemarié, il n'y a donc plus à le redire, elle a été très gentille et nous sommes d'accord. Mais il y a eu un moment où j'ai eu bien envie de quitter cet éditeur ( la N.R.F. ) que je préfère à tous, dont l'estime est mon plus grand honneur, pour quelque autre plus modeste, où du moins ma pensée eût été assurée d'être transmise. Enfin, je crois que je vais recevoir pas mal d'épreuves d'un jour à l'autre. Dans l'état de santé où je suis, il ne faut pas trop perdre de temps, d'autant plus que mes manuscrits sont fort peu déchiffrables, que les premières épreuves arriveront toujours n'ayant aucun rapport avec un texte qu'on n'aura pu lire, et que, moi disparu, personne ne s'y retrouverait. Au revoir, cher ami, je ne vous ai parlé que de moi, et pourtant je ne pense qu'à vous.
            Votre admirateur, votre ami,



                                                                                          Marcel Proust 


                                             
                                                                                                     21 novembre 1918
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Résultat de recherche d'images pour "appartement proust paris"            Cher ami,
            ( Et vous le savez bien ) ce serait le plus grand honneur de ma vie. Un honneur douloureux peut-être, car il est si rare qu'un après-midi je me trouve en état de me lever, maintenant. Et ne pas vous entendre ce jour-là !
            Cher ami, votre lettre m'a causé une grande joie ; parce que vous ne me donniez plus depuis si longtemps signe de vie, je vous croyais, volontairement, définitivement, sans raison que je pusse imaginer, sorti de la mienne. J'ai beau être à l'état de vie ralentie, dire tout naturellement d'un ami :
            " Ah ! lui, justement, je l'ai vu tout dernièrement ! "
et quand on me demande quand, calculer et remonter à une date si éloignée que je vois rire ceux qui ne comptent pas le temps à la même échelle que moi, malgré tout, ma pensée toujours concentrée sur vous avait trouvé bien longue la distance que vous aviez mise. Certes, j'ai trop pris dans l'isolement l'habitude d'aimer rien qu'en esprit et en vérité, et mes liens avec vous sont trop impossibles à rompre, pour que l'absence prolongée distende même, relâche, amincisse mon amitié. Tout de même un peu d'amitié pratiquée, effective, eût été douce. Sans savoir quoi que ce soit, j'imagine qu'il y a des choses dans votre vie, comme dans la mienne, douces dans la vôtre, cruelles jusqu'à mourir dans la mienne. Mais le hasard inouï, " Comme un ange cruel qui fouette des soleils ", est que le pèlerin bissextile, le bon Samaritain aux rares apparitions, que vous êtes pour moi, s'éclipse pendant les mois, les années, où l'inertie par exemple des imprimeurs me laisserait tout loisir de le voir, et le jour où des difficultés difficilement surmontables surgissent qui empêchent tout rendez-vous, apparaîtra. Je dois dire que pourtant je les surmonterai et qu'un de ces soirs vous me verrez venir ( mais peut-être vous serez sorti ) rue de la Cure, à moins que vous ne préfériez venir dîner, mais très tard, car je me repose très tard maintenant, près de mon lit ( ou au Ritz " Un oasis d'horreur dans un désert d'ennui ". ) Un taxi dévoué, dont le conducteur est le beau-frère de ma femme de chambre, vous reconduirait rue de la Cure. Ce qui ajoute terriblement aux difficultés de ce rendez-vous est ceci : la maison dans laquelle j'habite vient d'être vendue à un banquier qui va en faire une banque, donc m'expulser. Or un asthmatique ne sait jamais s'il respirera, et peut être à peu près sûr d'étouffer dans un logis nouveau. Or l'état de mon coeur ( physique ) ne me permet plus de faire les frais de crises, par elles-mêmes sans gravité. Moi qui aimais malgré tout tellement la vie, je comprends que la mort est notre seul espoir et donne le courage de marcher jusqu'au soir, si au moins elle n'était pas précédée de déménagement, de la recherche d'un appartement introuvable, et d'ennuis à côté desquels ceux-là ne sont rien.                     
Résultat de recherche d'images pour "swann proust"            Cher ami, j'ai une commission à vous faire de la part de Madame Lemarié. Je ne vous parle pas d'elle dans cette lettre qui est déjà trop longue pour mes forces. Mes rapports avec elle n'ont pas toujours été excellents, et j'ai des remords de lui avoir dit, à sa prière il est vrai, ma pensée toute nue, car elle était malade et je n'aurais pas dû parler ainsi. Toujours est-il que sans l'avoir revue depuis, je suis revenu avec elle à l'expression de mes sentiments de sympathie et de reconnaissance très réelle pour de grandes peines qu'elle a prises pour moi : malheureusement, pour des résultats déplorables. En tout cas tout ceci, confidentiel de vous à moi, ne peut s'expliquer ici. Mais voici où vient la commission dont elle m'a chargé. Elle m'a dit qu'elle vous voyait souvent, et elle voudrait que vous veniez chez elle, car elle voudrait avoir votre avis sur la façon de composer les exemplaires de luxe que je compte faire de mes livres ( j'ai l'autorisation de Gaston Gallimard ), les autres étant retenus d'avance, comme tout ce que publie la N.R.F., par la Société des Bibliophiles. Elle a parfaitement admis mon idée, pour faire ces exemplaires différents, d'adjoindre à un certain nombre des pages de mon manuscrit ou de mes épreuves remaniées ( idée approuvée par Gaston, et cela me fera je pense gagner un peu d'argent ), à d'autres, une reproduction de mon portrait par Blanche. Mais elle voudrait avoir vos conseils sur ce qui vous paraît le mieux comme réalisation. J'avoue que je n'aurais jamais osé vous demander cela ; je vous transmets sa demande. Il est certain qu'en dehors même de votre goût merveilleux, comme un portrait de vous a paru en tête des Caves du Vatican, vous pouvez la renseigner sur la manière dont on devrait reproduire le portrait de Blanche ( à qui je n'ai pas encore demandé
l'autorisation, mais il me l'accordera certainement ; d'ailleurs le portrait se vend en photographie chez Braun )
            J'avais même pensé, comme depuis longtemps Sert veut faire quelque chose pour moi, portrait
( pour lequel je ne peux me fatiguer à poser ), lanterne magique sur mon liège, à lui demander quelque chose de beaucoup plus simple : un dessin pour mettre en tête d'un de ces livres qu'il voulait illustrer. Mais, bien que désirant offrir aux amateurs de livres rares des exemplaires très variés, je crois que je renoncerai à cette dernière idée, car je ne vois pas d'intermédiaire entre un dessin original ( que je ne peux vraiment pas demander à Sert de faire en plusieurs exemplaires ) et la photographie, inutile, d'un dessin. En tout cas, puisque Madame Lemarié ne veut pas des spécialistes que je lui avais proposés, et croit pouvoir vous déranger ( d'ailleurs, elle a raison en croyant que vous en savez plus que tous les spécialistes et en admirant votre goût infini ), c'est la discrétion seule qui ne me fait pas m'associer à sa demande, mais vous la transmettre seulement. Tâchez surtout qu'elle ne vous propose en aucune chose d'attendre le retour ( toujours retardé ) de Gaston. C'est ainsi qu'elle a transformé la N.R.F. en un cabinet de lecture, quatorze personnes se passant de mains en mains Swann ( je cite ce seul exemple ), alors que, si on m'avait dit qu'il était épuisé, ce dont j'étais loin de me douter, et si on l'avait réimprimé, tous les exemplaires qu'on se prête eussent été achetés, ce qui eût été avantageux, non seulement pour moi, mais pour la N.R.F.
            A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs paraîtra dans un état déplorable, certaines parties n'ayant même pas eu d'épreuves, mais il faut en finir. Je crois que les Pastiches vous feront sourire. Mais ce que je voudrais pouvoir faire paraître ( et ce n'est possible que moi vivant, parce que mes manuscrits sont illisibles et que je n'ai pas encore eu une seule épreuve ), ce sont les derniers volumes, car je voudrais tant que vous les lisiez ; Swann, A l'Ombre des Jeunes filles, etc., sont si minces à côté.
           En tous cas ces volumes-là, si toutefois on me trouve des imprimeurs, ne paraîtront que plus tard, et c'est mieux ainsi, pour ne pas donner au lecteur un aliment indigérable. Mais dans un mois, si on y met un peu de bonne volonté, paraîtront à la fois : A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs, Pastiches et Mélanges
et la réimpression du premier Swann pour que les gens qui ne l'ont pas lu puissent l'acheter en même temps qu'A l'Ombre des Jeunes Filles qui est le deuxième volume de A la Recherche du Temps Perdu. C'est ce que nous avons convenu avec Madame Lemarié. ( Ne lui parlez pas des différends que nous avons eus ensemble, car sa gentillesse extrême doit me les faire oublier ).
            Cher ami, qu'il m'est pénible de vous avoir tant parlé de moi, alors que c'est à vous que je pense sans cesse. Mon moi m'est bien haïssable et je suis bien excédé d'avoir parlé de moi. Je vais me reposer en pensant à vous, à ma tendresse, à mon admiration pour vous.                  


                                                                                         Marcel Proust

samedi 31 octobre 2015

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 48 Samuel Pepys ( journal Angleterre )

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                                                                                                                         1er Juin 1661
                                                                                                                    samedi
            Après avoir pris congé de sir William Batten; et de milady qui se rendaient ce matin à Chatham pour la Pentecôte, sir William Penn, Mr Gauden et moi à Woolwich par le fleuve. Là nous fîmes le tour des navires pour ordonner les préparatifs de départ et juger de leur avancement. Puis à Deptford où nous fîmes de même après avoir dîné avec le capitaine Poole, à la taverne de Woolwich.
            Fîmes à pied le trajet de Deptford à Rotherhith, nous arrêtant à la Demi-Etape. Entrâmes dans une pièce où avaient été placés quantité de gâteaux fraîchement préparés pour la Pentecôte, et nous y fûmes fort gais.
            Retour par le fleuve et nous réglâmes des affaires au bureau. J'obtins, entre autres , de milord et de Mr Creed en vue du voyage, des avances de fonds de 1 000 et 10 000 livres respectivement et leur fis signer leurs lettres de change. Après quelques lettres pour la province et la lecture de quelques pages, je me mis au lit.


                                                                                                         Dimanche Pentecôte

            Sorti des mains du barbier, j'allai à l'église où j'entendis un bon sermon de Mr Mills, bien adapté à l'occasion. Rentrai dîner chez moi, puis de nouveau à l'église. De retour à la maison je trouve Greatorex, que j'attendais aujourd'hui pour dîner. Montons dans mon cabinet, buvons du vin et mangeons des anchois une ou deux heures, et devisons de maintes questions de mathématiques. Il m'explique entre autres ce qui fait la force des leviers et me montre comment ce qu'ils gagnent en force ils le perdent en temps.
            Il pleuvait à verse, comme cela se produit depuis quelque temps, au point que nous en venons à craindre la famine. Aussi fut-il obligé de rester plus longtemps que je ne le désirais.                                                  
            Le soir, après la prière, au
       
                                                                                                                                                                                                                                                                                          3 juin

Afficher l'image d'origine            A la Garde-Robe où, au cours de la conversation que j'eus avec milord, il m'instruisit des affaires de la Garde-Robe, pour le cas où pendant son absence,Mr Townshend viendrait à mourir. Me dit que maintenant, partant à la mer il entend nous associer , Mr Moore et moi. Nous nous entretînmes de nombreuses autres questions, comme avec une personne en qui il mettrait toute sa confiance, ce dont je suis fier. Ce fut une bonne occasion de lui dire, ce à quoi je pense depuis longtemps, que puisqu'il a plu à Dieu de m'accorder quelque bien, je désire en faire un peu profiter mon père. Mon choix s'est porté sur la place de Mr Young à la Garde-Robe. J'aimerais qu'en son absence milord laissât des ordres me donnant la priorité du choix, si cette place devenait vacante, ce qu'il me promit volontiers. J'en suis fort heureux, il me dit qu'il ferait au moins cela pour moi. J'accompagnai milord au canot qui allait à Whitehall, retournai chez moi en compagnie de Mr Creed. Etaient venus dîner avec moi mon père et mon cousin Scott et, avant la fin du repas, voici qu'arrivent papa Bowyer, ma mère, quatre filles, un jeune homme et sa soeur, leurs amis. Tout ce monde resta tout l'après-midi, ce qui me coûta une belle quantité de vin, et fûmes fort joyeux.
            Je fus bientôt appelé au bureau, restai quelque temps. Retour chez moi avec Mr Creed, en laissant les autres. Tous deux à la Tour pour commander des munitions de marine pour milord. Fîmes avec grand plaisir la visite de la Tour, ma première visite. Retour à la maison. Après une promenade avec ma femme sur la terrasse, nous allâmes nous coucher.
            Ce matin traversai le fleuve avec le Dr Pearse pour aller à la taverne de l'Ours, au pied du Pont, pensant rencontrer milord Hinchingbrooke et son frère qui partaient pour la France. Mais comme ils n'y étaient pas nous repassâmes le fleuve pour aller à la Garde-Robe. Apprenons que milord l'abbé Montagu n'étant pas à Paris, milord a l'intention de retarder un peu son départ.


                                                                                                               4 juin

            Le contrôleur de la Marine vint ce matin pour m'emmener visiter non loin de notre bureau une ou deux maison qu'il aimerait prendre pour lui ou Mr Turner, et qu'alors je reprenne le logement de Mr Turner, tandis que lui prendrait le mien et celui de Mrs Davis. Mais les maisons ne nous plurent pas. Aussi projet abandonné pour le moment.                                                                                 cheeeers.wordpress.com
Afficher l'image d'origine            Allons ensuite jusqu'au Pont par le fleuve puis remontâmes par le quai jusqu'au quartier du Temple. Je traversai pour me rendre chez mon père, rencontrai mon cousin John Holcroft et l'emmenai avec mon père et mon frère Tom à la taverne de l'Ours, leur offris du vin. Mon cousin doit retourner à la campagne demain. De là dîner chez milord Crew. Intéressante conversation sur l'opportunité de convaincre les jeunes nobles et personnes de condition d'envisager le service à la mer comme aussi honorable que le service dans l'armée de terre. Il nous raconta, entre autres, comment du temps de la reine Elisabeth les jeunes nobles faisaient le service de la table, se tenant plat en main derrière les chaises, jusqu'à ce qu'ils eussent atteint, eux aussi, leur majorité.Il l'avait constaté pour milord Kent, alors jeune lord Kent au service de milord Bedford, alors que ce dernier avait reçu une lettre lui annonçait que le comté de Kent était échu au jeune lord qui le servait. Lord Bedford avait alors quitté sa place à table et l'avait donnée à celui-ci, prenant pour sa part un siège placé plus bas, qui était en effet celui dû à son rang.
           Après cela au Théâtre où vis Henri IV, une bonne pièce. Je rentrai chez moi passant par le fleuve et traversant les champs jusqu'à Southwark, à mon luth et le soir, au lit.


                                                                                                                     5 juin 1661

            Donnai ce matin 4 livres à ma femme pour ses dépenses personnelles, dentelles et autres achats. A la Garde-Robe, puis à Whitehall et Westminster. Dînai avec milord, seul chez lui, et Ned Pickering. Après le dîner, au bureau où nous tînmes réunion et expédiâmes des affaires. Sir William et moi rentrâmes chez nous accompagné de sir Robert Slingsby, pour faire une partie sur son terrain de boules, et nous nous divertîmes fort, puis rentrés à l'intérieur pour boire et discuter. Sir William et moi regagnâmes nos logis respectifs. comme il faisait fort chaud je montai jouer du flageolet sur la terrasse qui donne sur le jardin, et sir William sortit en bras de chemise sur la sienne. Nous restâmes là à deviser, chanter et boire de grandes rasades de bordeaux et en mangeant de la boutargue avec du pain beurré, jusqu'à minuit, au clair de lune. Au lit, à moitié ivre.
     

                                                                                                                    6 juin

            J'ai eu mal à la tête toute la nuit et pendant toute la matinée après les excès de la nuit dernière.
            Révéillé ce matin par le lieutenant Lambert, maintenant commandant du Norwich. descendîmes le fleuve jusqu'à Greewich, faisant au long du trajet observations et remarques sur l'équipement des navires. Il répondit à toutes mes questions, ce qui me fut d'un grand profit.
            Une fois arrivés, nous allâmes manger, boire et écouter de la musique au Globe. Elle était accompagnée par un mécanisme simple, représentant une femme qui tenait une baguette et suivait la musique en battant la mesure, cela me paraît peu compliqué.
Afficher l'image d'origine            Retour par le fleuve, nous arrêtant chez le capitaine Lambert. Il possède une maison fort cossue et élégante, jouissant d'une belle vue à l'étage, depuis la terrasse. Puis réunion au bureau. Ensuite le capitaine et moi retour dans le quartier de Bridewell, chez Mr Holland, où se trouvaient sa femme ( personne quelconque, sans élégance ) et sa mère. Je donnai à Mrs Holland l'argent que je devais à son mari. Visite de deux jeunes personnes. L'une jouait assez bien du violon, mais grands dieux ! quelles louanges lui firent ces ignorantes ! Nous nous divertîmes   le-mot-juste-en-anglais.typepad.com                  fort.
            Je restai souper, puis chez moi, et au lit. Temps très chaud cette nuit, j'enlevai ma chemise.


                                                                                                                       7 juin

            Chez milord à Whithall, mais ne le trouvant pas j'allai à la Garde-Robe où je dînai avec milady qui se montra fort aimable. Au bureau et jusque tard. Retour chez moi, puis chez sir William Batten qui arrive aujourd'hui de Chatham avec milady qui a beaucoup souffert et souffre toujours des dents. Restai chez eux jusque tard. Chez moi, et au lit.


                                                                                                                     8 juin

            A Whitehall voir milord. Il aimerait que j'aille voir Mr Townshend à qui il a mandé de me révéler tous les mystères de la Garde-Robe, et à personne d'autre que moi. Il va faire de moi son fondé de pouvoir, au même titre que Mr Townshend, de crainte que ce dernier ne meure en son absence, ce qui me fait grand plaisir.
            Puis chez le rôtisseur avec Mr Shipley et Creed où nous dînâmes. J'allai ensuite au Théâtre et vis La Foire de la Saint-Barthélémy, première fois qu'on joue cette comédie à notre époque. C'est une pièce des plus admirables et bien jouée, mais trop grossière et blasphématoire.
            Après quoi, rencontrant Mr Creed à la porte, nous nous rendîmes chez le marchand de tabac sous le porche de la barrière du Temple et montâmes tout en haut de la maison, où nous restâmes longtemps à boire de la bière de Lambeth. Puis retour chez moi, m''arrêtai en chemin chez Mr Rawlinson, mon oncle Wight ayant quitté Londres, lui demandai conseil sur la réponse à faire à une lettre de mon oncle Robert qui me propose de mettre de l'argent dans l'achat d'un terrain contigu à certaines de ses terres. Me dit clairement que ce qui motive son avis c'est la facilité d'accès qu'un tel terrain donnerait à ses propres terres, ce qui me réjouit fort. Rawlinson me conseille de m'en remettre entièrement à mon oncle pour l'utilisation de mon argent. Qu'il en fasse ce qu'il veut, c'est à cela que je m'arrête. Retour chez moi, et au lit.


                                                                                                                       9 juin
                                                                                                      Jour du Seigneur
            Aujourd'hui, ma femme mit sa robe de soie noire, toute garnie maintenant de guipure noire, comme le veut la mode, fort jolie dans cette robe.                                                                artnet.fr
Afficher l'image d'origine            Nous nous rendîmes à pied chez milady à la Garde-Robe, où nous dînâmesn et on lui fit force compliments. Laissai là ma femme et allai à pied jusqu'à Whitehall, chez Mr Pearse et restai un bon moment à causer avec sa femme, toujours aussi jolie, jusqu'à son retour. Après lui, moi et Mr Symons, maître à danser qui accompagne milord à la mer, à la taverne du Cygne, où nous bûmes. Puis m'en retournai à Whitehall où je rencontrai le doyen Fuller. Nous nous promenâmes un bon moment, parlant, entre autres, de la liberté prise par l'évêque de Galloway, d'accueillir dans les ordres tous ceux qui en expriment le désir. Entre autres Roundtree, simple ouvrier, autrefois pasteur à la prison de la Flotte. Il me dit qu'il protesterait à ce sujet. Allâmes prendre un bateau, après avoir déposé Fuller à l'hôtel de Worcester, j'allai avec Will Howe jusqu'à la Garde-Robe.
            Rencontrai Mr Townshend qui se dit tout à fait prêt à me communiquer sur les affaires de milord tout ce qui pourra contribuer à les avancer. Montai à la tout de Jane Shore où je chantai avec Will Howe, puis allai chercher ma femme et rentrâmes à pied, puis au lit........


                                                                                                                       10 juin

            De bonne heure chez milord, il m'apprend en privé comment le roi lui a confié la charge d'ambassadeur pour amener ici la reine. Il doit se rendre à Alger pour régler cette affaire et préparer la flotte puis revenir à Lisbonne avec trois vaisseaux et y rencontrer la flotte qui doit l'escorter.
            Il m'avait demandé de venir pour me dire qu'il me confie le soin de veiller, en son absence, à tous les préparatifs nécessaires à cette grande affaire, conformément aux ordres que me donneront milord le chancelier et Mr Edward Montagu. Tout ceci me comble de joie pour l'honneur qui est fait à milord et le profit que j'en escompte.
            Bientôt sortis avec Mr Slingsby, Walden député de Huntingdon, Rolt, Mackworth et l'échevin Backwell pour aller boire de la bière de Lambeth dans une maison voisine. Retour à la Garde-Robe où je trouve milord prêt à se rendre à Trinity House. On élit aujourd'hui solennellement le grand maître, et c'est milord qui est choisi, il dîne donc là-bas.
            Je restai dîner avec milady. Pas plus tôt assis, arrivent des personnes de qualité, je me levai donc de table avec les enfants et nous mangeâmes entre nous, les enfants et moi, et fort gaiement. Ils me montrèrent beaucoup d'affection. Retour chez moi, et le soir, au lit. Nous couchâmes dans le logement de sir Robert Slingsby, dans leur salle à manger, dans notre lit vert, car l'on termine la peinture et le badigeonnage à la chaux de ma maison.


                                                                                                                     11 juin

            Au bureau ce matin, sir George Carteret avec nous. Nous mîmes au point une lettre au duc d'York lui exposant la condition déplorable dans laquelle se trouve notre bureau, faute d'argent. Que les gens ne peuvent continuer à nous servir sans argent, et que maintenant le crédit du bureau est tombé si bas que personne n'acceptera de nous vendre quoi que ce soit, si nous ne fournissons à cet effet notre garantie personnelle.
            Sorti tout l'après-midi pour plusieurs affaires, et le soir chez moi et au lit.


                                                                                                                    12 juin 1661
                                                                                                             Mercredi
            Jour partagé entre jeûne et liesse, les évêques ne s'étant pas encore décidés à faire observer le jeûne pour conjurer le mauvais temps, lorsque le beau temps revint, si bien qu'ils se trouvèrent contraints de choisir un moyen terme.
            A Whitehall, de là les capitaines Rolt, Ferrer et moi à Lambeth pour notre boisson du matin. Descendîmes aux Trois Mariniers, établissement connu pour sa bière et y restâmes un moment, fort gais. En partîmes à la recherche d'un bateau, nous tombons sur le capitaine Bunn qui descendait le fleuve. Nous montons auprès de lui. Il était avec une dame. Il les déposa à Westminster et moi au Pont.
            A la maison toute la journée avec mes ouvriers. Rédigeai la lettre que nous avions décidé hier d'envoyer au duc.
            Puis à Whitehall où je rencontrai milord. Il me dit qu'il lui faudra faire acheter pour 300 livres d'étoffes qu'il distribuera en Barbarie, comme présents aux Turcs.
            Cette occasion qui m'est donnée de gagner quelque chose me réjouit fort.
            Rentrai souper chez moi, puis chez sir Robert Slingsby et allâmes accompagnés de son frère chez milord à la Garde-Robe, où nous attendîmes longtemps. Mais milord fait ses adieux, il tarda et ils partirent.
            Milord rentra tout de suite après et je restai longtemps avec lui. Puis dans la chambre de Mr Moore dont je partageai le lit.


                                                                                                                 13 juin

Résultat de recherche d'images pour "barques è siecle"            Allai à trois reprises chez Backwell l'échevin, mais ses gens n'étant pas levés, je retournai chez moi, mis mon costume de drap gris et mon manteau blanc à parements taillé dans un jupon de ma femme, première fois que je le portais. Ainsi vêtu en cavalier je retournai chez l'échevin, m'entretins avec Mr Shaw. L'échevin m'offre 300 livres si milord le désire, pour acheter les étoffes, ce qui me plaît fort. Ainsi donc à la Garde-Robe où j'obtins de milord qu'il ordonnât à Mr Creed de m'avancer le montant qui sera versé par l'échevin Backwell.
            A Whitehall avec milord, par le fleuve. Après avoir pris congé du roi vient nous retrouver dans ses appartements et de là se rend à l'embarcadère du Jardin où il prend le canot. A l'embarcadère l'attendait sir Robert Slingsby qui lui fit ses adieux. J'entendis milord le remercier pour la bonté qu'il me témoignait, sir Robert lui fit une réponse qui était fort à mon avantage.
            Descendis avec milord jusqu'à Deptford, là montai à bord du yacht hollandais et restai un bon moment, William Howe n'étant pas venu avec les affaires de milord, ce qui mit ce dernier en colère. Le voici qui arrive peu après et nous mettons à la voile, puis allâmes bientôt dîner.. Milord et nous tous fort gais. Après le repas j'allai plus bas, chantai et dis au revoir à William Howe, au capitaine Rolt et à mes autres amis, puis remontai et fis mes adieux à milord qui me donna la main et me quitta avec grand respect.
            Je descendis accompagné du capitaine Ferrer, dans notre barque. Milord nous fit saluer de cinq coups de canon, utilisant toutes les pièces qui se trouvaient chargées, la marque de respect la plus grande que milord pouvait me témoigner, et dont je ne fus pas peu fier. Je les quittai donc, le coeur partagé entre la joie et la tristesse tandis qu'ils s'éloignaient sans encombre d'Erith, espérant arriver tôt demain matin aux Downs.
            Et nous vers Londres en barque. Enlevâmes nos chaussettes et laissâmes tremper longtemps nos jambes dans le fleuve, ce que je n'avais fait depuis des années.
            Arrivâmes à Greenwich, pensions monter à bord du yacht du roi, mais comme le roi s'y trouvait, passâmes sans nous arrêter, et à Woolwich, descendîmes à terre en compagnie du capitaine Poole de la Jamaïque..... A la taverne où nous fîmes grande beuverie de bière comme de vin. En sortant accompagnâmes chez lui Mr Falconer qui nous donna des cerises et du bon vin. Ensuite en bateau, le jeune Poole nous fit monter à bord du Charity, où il nous servit du vin, je bus tout mon saoul. Retrouvâmes ensuite notre barque, m'y assoupis et ne me réveillai que près de la Tour. Le capitaine et moi nous séparâmes là. Retour chez moi et me couchai la tête passablement lourde du vin que j'avais bu.


                                                                                                                    14 juin

            A Whitehall chez milady, y trouve Mr Edward Montagu et sa famille venus y coucher en l'absence de milord. Envoyai chez moi, sur l'ordre de milord, sa maquette de bateau et son virginal triangulaire. Puis me rendis chez mon père à qui je demandai d'acheter les étoffes qu'il faut envoyer à milord. Mais ne pus rester avec lui car, fort enrhumé pour avoir sottement barboté hier dans l'eau, je me sentais fort mal et rentrai chez moi en voiture pour me mettre au lit et ne mis pas les pieds au bureau de la journée. En restant au chaud je me libérai de mes vents, ce qui m'apporta quelque soulagement. Levé pour manger un peu au souper et retour au lit.


                                                                                                      à suivre...../
                                                                                                             15 juin 1661
            Mon père.....
                                                                         

jeudi 29 octobre 2015

La fille du train Paula Hawkins ( roman Grande-Bretagne )



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                                                    La fille du train

            Suspense. Angoisse. Que se passe-t-il chez les habitants du 15, du 23 des maisons qui bordent la voie ferrée. Banlieue nord de Londres, le train de 8 h 04 s'arrête ou ralentit beaucoup à Witney, emportant vers la capitale des banlieusards lisant des journaux ou leur tablette. Rachel, elle, boit, du gin tonic le matin, plus tard elle continuera avec le vin. Rachel a habité à Witney, au 23 Bleinheim Road, dans ces pièces où vivent maintenant son ex-mari Tom, son épouse et leur enfant. Au quinze, elle ne sait pas qui est cette jolie femme et son compagnon, alors elle imagine leur vie, invente des prénoms, Jess et Jason, en fait Megan et Scott. " ..... La tête appuyée contre la vitre du train, je regarde défiler ces maisons, comme un travelling au cinéma. J'ai une perspective unique sur elles, même leurs habitants ne doivent jamais les voir sous cet angle.... Il y a quelque chose de réconfortant à observer des inconnus à l'abri chez eux.... " Rachel licencieé, erre un peu dans Londres après être passée à la bibliothèque lire des annonces et parfaire son CV, hébergée par Cathy au-delà de Witney, Cathy gentille, trop, ignore le licenciement, et Rachel prend le train de 17 h 56, chaque jour pour retrouver la petite chambre que lui loue son amie. Du vendredi 5 juillet 2013, routine et fantasme au dimanche 18 août 2013, une série d'événements, qui seraient restés peut-être sans solution ou auraient permis d'autres meurtres si Rachel, pleine d'ennui et de nostalgie n'avait remarqué des changements, fugitifs lors du passage du train au feu rouge à proximité de Witney. Rachel refoulée, son alcoolisme rend peu crédible l'histoire qu'elle tente de raconter à la police, et pourtant... tout va s'accélérer durant ces quelques semaines. Trop saoule, la mémoire obscurcie, elle cherche des détails et voudrait tenter l'hypnose. Kamal Abdic psychanalyste serait-il le bon passeur ? Rachel si sympathique se décrit enlaidie, maladroite. Des mensonges des uns des autres, des maternités mal menées, un roman très bien mené, un premier roman.

            

samedi 24 octobre 2015

Une escroquerie de quinze millions Tristan Bernard ( Nouvelle France )

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ccec.revues.org

                                              Une escroquerie de quinze millions

            De plus en plus fort ! Hier on nous parlait d'une escroquerie de dix millions. Celle qui va être dévoilée est plus importante encore  quinze millions ! Et non pas quinze millions une fois escroqués, non, quinze millions par an !                                                                                
Afficher l'image d'origine            La bande est très nombreuse, Elle possède des ramifications et
une organisation puissante. Elle se pare même d'un titre officiel !
            Les affiliés se présentent comme les détenteurs d'une invention merveilleuse, d'un appareil qui transmet la parole à distance, et qui aurait été découvert par un nommé Graham Bell.
            Ils vous demandent quatre cents francs par an, et ils installent chez vous des petits instruments d'acajou et de métal, à l'aide desquels vous pourrez soi-disant converser avec des gens très éloignés de votre domicile.                                                                                                      
            Le nombre des victimes est de près de quarante mille !
Afficher l'image d'origine            Ce qui a pu permettre à cette bande de faire autant de dupes, c'est que d'ans d'autres villes d'Europe, Londres, Berlin, etc., des petits appareils, semblables d'aspect à ceux-là, transmettent vraiment la voix humaine.
            La bande a à sa tête un personnage extraordinaire, orné, lui aussi, d'un titre officiel. L'odyssée de ce personnage est bien curieuse à suivre et ses changements de noms sont assez édifiants. Il y a quelques années, il se faisait appeler Mougeot. Puis il prend le nom de Bérard. Enfin, à l'heure actuelle, il opère sous le nom de Simyan.
            Il faut admirer la docilité des victimes, que les gens de la bande appellent, dans leur langage méprisant, les " abonnés " ( terme d'argot,     dérivé du mot bon, et qui signifie bonne tête ).                                                                            
Afficher l'image d'origine            La bande en question a eu l'ingénieuse idée de se réclamer des pouvoirs publics. Autrement, on aurait crié depuis longtemps à l'escroquerie et il n'y aurait pas assez de tribunaux pour poursuivre ces exploiteurs audacieux. Mais le titre qu'ils se sont attribué exerce sur les naïfs une étrange fascination. Et tous considèrent comme une chose naturelle, et légitime, et conforme à l'harmonie sociale, d'être ainsi escroqué par l'Etat.                                                                                                              
                                                                                                                         
*    telcomhstory.org
** centraphone.fr                                                                                                                              
                                                                                            Tristan Bernard
                                                                           ( in Sous toutes réserves )

jeudi 22 octobre 2015

Le Monsieur de la Dame au Grand Chapeau Tristan Bernard ( nouvelle France )

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euphorbe.canalblog.com

                                             
                                             Le Monsieur de la Dame au grand Chapeau

            J'aime arriver de bonne heure au théâtre, et m'installer à ma place au moment où la salle est vide, de façon à voir venir les spectateurs un à un, et surtout pour ne pas manquer l'entrée d'un personnage entre tous sympathique, le monsieur qui accompagne une dame à grand chapeau.
Afficher l'image d'origine            ... D'ordinaire, il la laisse pénétrer toute seule dans la salle afin d'assister le moins possible à cette entrée, au moment où le regard des spectateurs avoisinants se lève sur le monument de plumes. Quand le monsieur entre à son tour, sa figure pâle est d'un calme effrayant. Il a l'air de ne pas penser du tout à ce chapeau énorme. Il est d'une grande politesse avec les gens qu'il dérange, mais c'est uniquement parce qu'il les dérange en passant.
            Puis, la dame installée, le monsieur s'assoit à côté d'elle, l'air plus digne et plus calme que jamais. Il s'efforce de ne pas bouger, pour ne pas gêner le spectateur qui se trouve derrière lui. On peut être sûr que sa tenue, au spectacle, sera des plus correctes, qu'il applaudira gentiment, sans exagération, et qu'il écoutera la pièce avec une attention scrupuleuse. En attendant que le rideau se lève, il a ouvert son programme et s'y plonge    artyparade.com              tout au fond... Pour rien au monde, il ne voudrait jeter un regard derrière lui, et voir ce cortège assis, mais plein de haine...
           A un moment donné, la dame se penche légèrement pour lui parler ; tout l'énorme écran parcourt un arc de cercle inquiétant... Le monsieur avance l'oreille ; peut-être n'est-il pas fâché que les gens qui murmurent puissent le croire un peu                         sourd...
            Ce n'est pas la première sortie du grand chapeau. Le monsieur est un résigné. Il a dit, au moment du départ :
            " - Tu mets ce chapeau-là ?
              - Oui, eh bien                                                                               lelingedejadis.net
Afficher l'image d'origine              - Eh bien, rien...
             - Est-ce que ça te gêne ?
             - Non, non.
             - Si ça te gêne, il faudrait le dire. "
            Il n'a rien dit. Ou bien s'est-il rendu compte que ses protestations étaient inutiles, ou bien n'a-t-il pas su ce qu'il aurait fallu dire. Et même, s'il l'avait su, il n'aurait pas protesté davantage, car c'eût été long, on serait arrivé en retard au spectacle, et on aurait dérangé tout un rang. Il n'eut plus manqué que cela !

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Afficher l'image d'origine            Voici une anecdote absolument authentique. C'était au Théâtre-Antoine, à la première d'Anna Karénine. Regagnant ma place à la fin d'un l'entr'acte, je la vis occupée par une dame à grand chapeau, qui s'était trompée d'un fauteuil. Je lui fis remarquer son erreur.
            - Oui, dit à haute voix une autre dame, placée à un rang derrière, madame n'est pas à sa place. Et c'est fort heureux pour ma petite fille, qui n'aurait absolument rien vu derrière ce chapeau... Je ne comprends pas qu'on vienne au théâtre avec des chapeaux pareils...
            La dame au grand chapeau jeta les yeux derrière elle, regarda un instant la petite fille, et trouva cette justification admirable :
            - Anna Karénine n'est pas une pièce pour les enfants...
puretrend.com
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            Moi, je pensai que cette dame était très gentille de donner au moins cette explication. Il est probable que si le monsieur de la dame au grand chapeau avait fait des observations à la compagne de sa vie, elle ne lui aurait rien répondu du tout. La grande supériorité des femmes sur les hommes, c'est que les hommes ont beaucoup de choses à leur dire, et qu'elles n'ont rien à leur répondre.                        
            Le monsieur se fût lancé dans des argumentations abondantes et pauvres. Qu'est-ce que peut faire un misérable être civilisé, avec sa chétive raison humaine, contre une splendide princesse sauvage, qui se met des plumes sur la tête ?
            Gêner dix personnes, leur gâter un plaisir auquel elles ont rêvé depuis plusieurs jours, voilà ce qu'un homme au faible coeur ne peut pas supporter. Mais une femme n'a pas à s'occuper de cela ; ce qu'elle fait s'appellerait pour un homme de la goujaterie ; pour elle, " ce sont les droits de la beauté ".   nhusser.com
Afficher l'image d'origine            Il y a des milliers d'années que les hommes ont la responsabilité de leurs actes. La peur des coups qu'a raillée Courteline , la bienfaisante " peur des coups " leur a appris à se soucier du bien-être d'autrui. Que ce soit pour ce vil motif ou pour des raisons plus nobles, il est incontestable que les hommes sont mieux élevés que les femmes.                                                                                
            Au théâtre, ils ne prennent pas un plaisir complet, s'ils sentent que ce plaisir n'est pas partagé par tout le monde. Plus d'un anticlérical farouche est gêné, dans une salle de spectacle, s'il entend dire du mal des curés. Il est gêné parce que ça gêne les autres. Il n'est pas là pour discuter, mais pour s'amuser, et pour sentir qu'on s'amuse autour de lui.                                                            
            Dans une loge, il est souvent moins désagréable d'être à la mauvaise place,  tout au fond, que d'être devant, et d'avoir derrière soi quelqu'un qui ne voit pas bien. Mais les dames, elles trônent superbement et sans remords aux meilleures places. Et les messieurs des loges supportent alors qu'elles aient de grands chapeaux, puisqu'elles ne gênent qu'eux...

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            Tels sont les propos que ce philosophe de mes amis se tenait à lui-même, et qu'il adressait, de loin et mentalement, à cette dame au grand chapeau.
            Il faut dire que ce philosophe, ce soir-là, était venu tout seul au théâtre. Aussi faisait-il le malin.




                                                                                             Tristan Bernard
                                                                       ( in Auteurs, Acteurs, Spectateurs )