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Mes souvenirs de la Commune
Oh ! ce 18 mars ! Ce jour-là nous, toute la littérature ou peu s'en faut d'alors, tout l'art, nous suivions le corbillard de
Charles Hugo, son père en tête, bien accablé. Le cortège attendait à la gare d'Orléans, très nombreux et très mêlé aussi. Après que, pour ma part entre tant d'autres, j'eus eu présenté mes hommages de condoléance au bon vieux
Maître qui, je m'en souviendrai toujours, me baisa de sa barbe déjà blanche et si douce ! nous nous mîmes en marche par un temps bis, mais en somme beau et qui avait été superbe dès l'aube.
J'étais, quant à ce qui me concerne, à côté d'
Edmond de Goncourt, encore tout meurtri de la mort de son frère, mais littéraire, en outre, en diable. Témoin ce dialogue entre lui et moi qui admirais les belles barricades se dressant et d'où sortaient de naïfs gardes nationaux tambours battant, clairons sonnant ( d'ailleurs que peu militairement ! ), mais enfin !
Moi. - Ne trouvez-vous pas gentil ce peuple énervé par ce siège prussien, qui, ne comprenant rien à la poésie de
Victor Hugo, mais le croyant, peut-être avec raison, son ami, fait à son fils de si touchantes funérailles ?
Lui. - M.
Thiers est un bien mauvais écrivain, bien mauvais, bien mauvais ; mais je doute fort que ces gens-là travaillent mieux que lui dans ce genre, - et du moins il représente l'ordre.
Le respect pour l'âge et le talent m'interdisaient de rétorquer l'argument, aussi bien, juste, mais mal sentimental. Donc je grommelai un peu, puis me tus.
Le cortège arriva péniblement, grâce à l'empressement gentiment indiscret de ces braves ouvriers déguisés en soldats bourgeois qui escortaient le mort à la façon qu'il eût fallu, mais enfin arriva au Père Lachaise, où des discours, trop !, furent prononcés à travers les peurs des purs républicains déplorant la mort des deux " généraux " dans la rue des Rosiers, et la victoire définitive de la " Réaction ".
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Une scène affreuse de passa. Le caveau patrimonial était trop étroit d'entrée pour le cercueil du pénultième descendant, et voici que les pioches et autres instruments procédèrent, avec un bruit retentissant aux coeurs de tous non sans pitié pour le grand poète, à quelque élargissement. Cela dura quelques minutes, trop, beaucoup trop longtemps ! Le corps, enfin, mis sur le corps des ancêtres, devant le père en larmes et presque en nerfs, on s'égailla...
Mais la scène, en dehors, s'était foncée, comme froncée en une vague colère, et, en somme, quelque injustice. On en voulait surtout à ces malheureux " curés ", aussi à ces infortunés " capitulards " de généraux, victimes encore plutôt que coupables d'une organisation militaire fantaisiste et confiante à l'excès, sous l'égide d'un " tyran " presque regrettable aujourd'hui. Aussi que de cris de :
" Vive la République communiste ! "
furent proférés en ce premier jour de la Commune .....
Verlaine
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Un tour à Londres
Je suis gourmand, et j'avouerai que ma principale surprise , en
lunchant pour la première fois depuis vingt-six ans à Londres, fut d'y trouver, dans certains grands restaurants jadis et naguère tout à fait britanniques, presque ( car tout est relatif ) francisés ou plutôt parisianisés : pains quasiment émis de la rue Vivienne, et rien de cette pâte sèche excellente pour les tartines du
breakfast et du
five'o'clock tea mais médiocre en toutes autres occurences sauf quand, molle, bouillie et ointe de moelle de boeuf, elle est prête pour le pudding ; pommes paille, même un peu trop ténues, le café classique ou peu s'en faut, d'ores et déjà.
J'aime la lumière, myope que je suis le soir après avoir été presbyte tout le jour, et, à la place de l'affreux luminaire qui eût pu faire croire, vers 1872, à une grève de gaziers, j'assistai à la littérale illumination, électrique et autrement, des grands quartiers, à de l'éclairage archi-parisien dans les faubourgs.
J'adore la toilette des femmes qui les idéalise, et, au lieu de ces affreux contrastes de vert-poireau et de ce rouge saignement de nez, dont se plaignait si sévèrement
Jules Vallès un peu après la Commune, j'admirai, en novembre dernier, le gris-perle et le rose-thé nuançant tant de distinction autrefois un peu raide, qui, dès lors, embellissaient encore les teints délicats et les traits angéliques de ces dames.
Je suis Parisien et je m'attendais aux réserves de jadis et de naguère, et ne voilà-t-il pas qu'une camaraderie tout à fait boulevardière me rappela mes beaux jours d'il y a malheureusement longtemps et heureusement de tout à l'heure, au Riche, à l'Anglais et chez l'ortoni ! Même le Quartier Latin a maintenant, à Londres, son reflet et son écho un peu partout où l'on est jeune, et il n'est pas jusqu'à telles belles personnes qui ne puissent figurer pour un Français novice encore... ou toujours, telles autres amies dont on connaît entre la Place Saint-Michel et l'Observatoire.
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Je ne raffole plus du théâtre, mais si je n'étais devenu, un peu forcément ( maladie, et. ) ce solitaire, ce sauvage et ce sage-ci, je continuerais d'idolâtres les cafés-concerts,
music-anglice halls. Or j'eusse pu, j'eusse dû même aller m'...amuser aux grands spectacles à grands orchestres wagnériens et autres, aux psychologies intenses ou non des meilleures scènes, etc. Eh bien ! non, j'ai là-bas cédé à ma vieille passion pour la chanson comique, pour les tours de force et d'adresse et, oh, pour les ballets nombreux et malicieux et d'un goût, d'une variété, sans doute indignes des planches qui se respectent, mais si gentils, si amusants en vérité que je doute que Paris lui-même puisse en offrir de meilleurs. Et Dieu sait si ces lieux, de véritables délices, fourmillent aujourd'hui dans le sombre London d'il y vingt et même dix ans, maintenant un London international et surtout parisien, dans son développement, néanmoins bien anglais et très traditionnel entre tous autres phénomènes sociaux de notre temps bon et mauvais, mauvais surtout, bon plutôt !
Puis, je ne suis point partisan de trop de pédantisme, et que le diable m'emporte si l'on peut trouver en Albion ces gens en
us et en
es,
qui florissaient du temps où j'avais trente et peu d'années, à moins que de plonger dans d'invraisemblables catacombes académiques ou parlementaires.
Et, définitivement, je suis un poète. Je n'en suis ni plus riche ni moins fier pour ça. Et figurez-vous que non seulement la poésie anglaise, la rivale pittoresque et rêveuse de notre poésie précise et si bellement, si clairement psychologique, s'est réconciliée avec celle-ci, mais encore que les poètes anglais accueillent, aiment leurs confrères de ce côté-ci de l'eau et que je crois bien qu'on le leur rendrait à Paris, le cas échéant, moi, chétif, en tête.
Bref, Londres est gallophile
comme Paris anglomane. J'ai passé quelques jours là-bas et j'y ai moissonné une affection profonde, une estime sans bornes, une sympathie haletante et toujours prête, pour ces braves gens et ces bonnes gens, cordiaux sous leur air froid et, défaut national ! excentriques jusqu'à vouloir bien, lors de leur concentration dans leur, à bon droit, aimée mère patrie, rapporter de leurs longs voyages de terre, de mer et de lectures, le goût des bonnes lettres continentales et la leçon, bien appropriée par eux, chez, des us et coutumes de leurs voisins, avec une nuance plaisante et flatteuse, de préférence pour nous autres,
French ladies and gentlemen.
Paul Verlaine