mardi 4 octobre 2016

Tickets, s'il vous plaît 2 fin D.H. Lawrence ( nouvelles Grande Bretagne )

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                                                         Tickets, s'il vous plaît

           Il serait vain qu'elle n'en fut pas surprise. Elle fut d'abord abasourdie, tous ses plans anéantis. Elle avait été " tellement " sûre de le tenir. Elle eut un moment d'étourdissement, où tout lui devint incertain. Puis elle se mit à pleurer avec fureur, indignation, désolation et misère. Puis elle eut un accès de désespoir. Et puis, quand John Thomas, avec son aplomb coutumier, grimpa dans la voiture de la receveuse, toujours familier, mais lui laissant voir à son port de tête qu'il était passé à quelqu'un d'autre et défrichait des terres nouvelles. Alors, Annie décida qu'elle aurait sa revanche.
            Annie avait une idée très sûre des filles avec lesquelles John Thomas avait bien pu " sortir ". Elle alla trouver Nora Purdy. C'était une grande fille assez pâle, mais bien faite, elle avait de beaux cheveux blonds. Elle était plutôt cachottière.
             - Avec qui est John Thomas en ce moment ?
            - Je ne sais pas, répondit Nora.
            - Mais si tu le sais, dit Annie en retombant ironiquement dans le patois. Tu le sais aussi bien qu'moi.
            - Comme tu voudras, dit Nora. Ca n'est pas moi, aussi t'en fais pas.
            - C'est bien Cissy Meakin, hein ?
            - Oui, pour autant que je le sache.
            - Quel culot ! dit Annie. Je ne peux pas la sentir. Je pourrais le rejeter du marchepied quand il monte dans ma voiture.
            - Il passera un mauvais quart d'heure un de ces jours, prophétisa Nora.
            - Ouais, quand quelqu'un que je connais l'aura décidé. Ca ne me déplairait pas de le voir un peu rabaisser son caquet. Et toi ?
            - J'y verrais pas d'inconvénient.
            - Tu as pour ça tout autant de raisons que moi, dit Annie. Mais on va lui tomber sur la gueule un de ces jours, ma fille. Hein ? Tu es contre ?
            - Ca m'est égal, répondit Nora.
            Mais en réalité Nora était encore bien plus vindicative qu'Annie.
            Annie fit le tour des anciennes passions de John Thomas, l'une après l'autre. Il se trouva que Cissy Meakin quitta son service dans les tramways au bout de très peu de temps. Sa mère était à l'origine de cette démission. Alors le contrôleur se retrouva sur le qui-vive. Il promena les yeux sur son ancien troupeau. Et ses yeux s'arrêtèrent sur Annie. Il pensait que maintenait elle serait calmée.      francoise1.unblog.fr                                   En outre, il l'aimait bien.
coq de-la-france            Elle convint de rentrer chez elle à pied, avec lui, le dimanche soir. Il advint que la voiture d'Annie arriverait au dépôt à neuf heures et demie, le dernier tramway rentrerait à dix heures un quart.
Aussi John Thomas devait-il attendre Annie là-bas.
            Au dépôt les receveuses avaient une petite salle d'attente à elles. C'était tout à fait sommaire mais confortable, avec du feu, un réchaud, un miroir, une table et des chaises en bois. La demi-douzaine de filles qui ne connaissaient John Thomas que trop bien s'étaient arrangées pour prendre leur service en ce dimanche après-midi. Aussi, à mesure que les voitures commençaient à rentrer, les receveuses pénétraient rapidement dans la salle d'attente et, au lieu de retourner très vite chez elles, elles s'asseyaient autour du feu en buvant une tasse de thé.  Dehors, c'était l'obscurité sans loi du temps de guerre.
            John Thomas arriva par la voiture qui suivit celle d'Annie, vers dix heures moins le quart. Sans se gêner il passa la tête dans la salle d'attente des receveuses.
            - Réunion religieuse ? demanda-t-il.
           - Ouais, répondit Laura Sharp. Dames seules.
           - C'est pour moi ! s'écria Thomas.
           C'était là une de ses expressions favorites.
           - Ferme la porte, mon vieux, dit Muriel Baggaley.
           - Devant ou derrière moi ? demanda John Thomas.
           - Comme tu voudras, répondit Polly Birkin.
           Il était entré, refermant la porte derrière lui. Le cercle des filles se modifia pour faire place au contrôleur auprès du feu. John Thomas ôta son pardessus et repoussa en arrière son couvre-chef.
            - Qui s'occupe de la théière ? demanda-t-il.
            Nora Purdy lui versa en silence une tasse de thé.
            - Un peu de ma tartine à la graisse ? lui demanda Muriel Baggaley.
            - Ouais, donne-m'en un bout.
            Et il entama son morceau de pain.
            - Ce qu'on est bien, chez soi, les filles, déclara-t-il.
            Toutes le regardèrent lorsqu'il émit cette remarque impudente. Il avait l'air de prendre un bain de soleil.
            - Surtout si tu n'as pas peur de rentrer chez toi dans l'obscurité, dit Laura Sharp.
            - Moi ? Sur mon âme, j'ai peur.
            Ils restèrent assis jusqu'à ce qu'ils entendissent arriver le dernier tram. Au bout de quelques minutes Emma Houselay apparut.
            - Entre donc, mon canard ! cria Polly Birkin.
            - C'est vraiment " mortel ", dit Emma tendant les doigts au feu.
            - Mais j'ai peur de " rentrer chez moi "dans l'obscurité, chantonnait Laura Sharp, sur un air qui l'obsédait.
            - Avec qui tu vas ce soir, John Thomas ? interrogea Muriel Baggaley froidement.
            - Ce soir ? répéta John Thomas. Oh ! Je rentre chez moi tout seul ce soir, tout seul comme un pauvre petit.                                                                                                 
Afficher l'image d'origine            - C'est pour moi ! s'écria Nora Purdy, se servant de l'interjection du contrôleur.
            Les filles éclatèrent d'un rire aigu.
            - Pour moi aussi, Nora, dit John Thomas.
            - Tu sais pas ce que tu dis, fit Laura.
            - Si, je me sauve, annonça-t-il en se levant et se dirigeant vers son manteau.
            - Pas du tout, fit Polly. On était toutes ici à t'attendre.
            - Faut se lever de bonne heure demain, dit-il avec une bienveillance paternaliste.
            Elles rirent, toutes.
            - Non, protesta Muriel. Nous abandonne pas toutes, John Thomas. Prends-en une !
           - Je prends tout le lot, si vous voulez, répondit-il avec galanterie.
           - Mais tu n'en feras rien, dit Muriel. Deux c'est de la compagnie, Sept c'est trop d'une bonne chose.
            - Allons... prends-en une, dit Laura. Tout le monde sur le pont, et dis-nous carrément laquelle.
            - Ouais ! fit Annie ouvrant pour la première fois la bouche. Fais ton choix, John Thomas, on t'écoute.
            - Non, ce soir je rentre tranquillement. Je serai sage, pour une fois.
            - Où vas-tu ? dit Annie. Prends-en une bonne, alors. Mais faut que tu en prennes une de nous !
           - Mais non, comment est-ce que je pourrais n'en prendre qu'une ? dit-il avec un rire embarrassé. Je ne veux pas me faire d'ennemies.
            - Tu ne t'en ferais qu'une seule, dit Annie.
            - Celle que tu choisirais, renchérit Laura.
            - Seigneur ! Me parlez pas des filles ! s'exclama John Thomas en se détournant de nouveau, comme pour fuit. Allons... bonne nuit.
            - Non, tu dois faire ton choix, insista Muriel.Tourne-toi face au mur, et dis qui t'a touché. Allons... on va seulement te toucher le dos, une de nous. Allons... Tourne-toi face au mur, sans regarder et dis qui t'a touché.
            Il était gêné, méfiant. Pourtant il n'avait pas le courage de filer. Elles le poussèrent vers un mur et lui mirent le nez dessus. Derrière son dos, toutes grimaçaient, ricanaient. Il avait l'air comique
Il se retourna gauchement.
            - Alors ? cria-t-il.
            - Tu regardes ! Tu regardes ! vocifèrent-elles.
            Il détourna la tête. Et soudain, avec un mouvement de chatte agile. Annie s'avança et lui porta sur la tempe un coup de poing qui envoya voler sa casquette et le fit vaciller. Il se retourna.
            Mais au signal d'Annie, toutes se jetèrent sur lui, lui donnant des tapes, le pinçant, lui tirant les cheveux, mais plus pour jouer que par malveillance ou colère. Lui, pourtant, vit rouge. Ses yeux bleus s'enflammèrent d'une frayeur étrange autant que de fureur. Il fonça tête baissée entre les filles en direction de la porte. Elle était fermée à clé. Il la secoua. Excitée, aux aguets, les filles en cercle le considéraient. Lui leur faisait face aux abois. En ces instants elles lui paraissaient plutôt horrifiantes, là, debout dans leurs uniformes courts. Il était visiblement effrayé.                                        
            - Allons, John Thomas ! Choisis ! dit Annie.
            - Qu'est-ce que vous manigancez ? Ouvrez la porte, ordonna-t-il.
            - Non, pas avant que tu aies choisi ! s'écria Muriel.
           - Choisi quoi ? demanda-t-il.
           - Choisi celle que tu épouseras, répliqua-t-elle.
           Il hésita quelques instants.                                                               fr.123.rf.fr 
Afficher l'image d'origine          - Ouvrez cette satanée porte, dit-il, et finissez de faire les idiotes.
          Il s'exprimait avec une autorité officielle.
          - Il faut que tu choisisses, criaient les filles.
          - Allons ! criait Annie en le fixant dans les yeux. Allons ! Allons !
          Il s'avança, plutôt incertain. Elle avait retiré sa ceinture et, l'ayant balancée, lui porta un coup violent sur la tête avec l'extrémité de la boucle. Il bondit sur elle. Mais aussitôt les autres filles s'élancèrent sur lui, tirant, déchirant, frappant/ Elles étaient maintenant tout à fait excitées. Maintenant c'était du sport. Elles allaient tirer de lui vengeance. Ces étranges créatures sauvages s'accrochaient à lui, se jetaient sur lui pour le mettre à terre. Le dos de sa tunique était déchirée sur toute sa longueur. Nora, ayant saisi l'arrière de son col, l'étranglait tout bonnement. Par chance, le bouton céda. Le contrôleur, en proie à une frénésie de fureur et d'épouvante presque folle, se débattait. Sa tunique lui fut simplement arrachée du dos, ses manches de chemise subirent le même sort, lui laissant les bras nus. Les filles se jetaient sur lui, refermaient les mains sur lui, tiraient. ou bien elles se jetaient sur lui et le poussaient, le cognaient de toutes leurs forces. Ou encore elles lui décochaient des coups furieux. Il esquivait de la tête, se dérobait, portait des coups latéraux. Elles redoublèrent d'énergie.
            Enfin, il fut à terre. Elles se jetèrent sur lui, s'agenouillèrent sur lui. Il n'avait ni le souffle, ni la force nécessaire pour faire un mouvement. Son visage saignait d'une longue égratignure, il avait le front meurtri.
            Annie était à genoux sur lui. Les autres filles étaient à genoux sur lui, accrochées à lui. Leurs visages étaient rouges, leurs cheveux en désordre. Leurs yeux brillaient d'une étrange lueur. Enfin il resta étendu, parfaitement immobile, détournant la tête ainsi qu'un animal vaincu, à la merci du chasseur. Parfois son oeil rendait leurs regards aux faces sauvages des filles. Sa poitrine se soulevait péniblement, ses poignets étaient écorchés.
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Résultat de recherche d'images pour "homme jeune coq fier"            En entendant cette voix triomphante, glacée, terrifiante, le contrôleur recommença alors à se débattre ainsi que pourrait le faire un animal. Mais les filles s'élancèrent sur lui avec une force et une puissance extraordinaires, le contraignant à rester au sol.
            - Oui... alors ! finit par haleter Annie.
            - Il y eut un silence de mort, l'on pouvait entendre battre les coeurs. C'était dans chaque âme une attente de pur silence.
            - Alors, tu vois où tu en es, dit Annie.
           La vision du bras blanc et nu de John Thomas rendit les filles folles. Il était étendu comme figé par la peur et l'hostilité. Les filles se sentirent pleines d'un pouvoir surnaturel.
            Soudain, Polly se mit à rire, à rire sauvagement, follement, sans pouvoir s'arrêter, imitée par Emma et Muriel. Mais Annie, Nora et Laura demeurèrent les mêmes, tendues, aux aguets, les yeux luisants. John Thomas grimaça pour échapper à ces yeux.
            - Oui, reprit Annie avec une bizarre voix basse, secrète et implacable. Oui ! Tu as ce que tu méritais maintenant. Tu sais ce que tu as fait, hein ? Tu sais ce que tu as fait ?
           Il n'émit aucun son, ne fit aucun signe, mais resta couché en détournant ses yeux brillants, son visage saignant.
            - Tu mériterais d'être tué, voilà ce que tu mériterais, dit Annie, tendue. Tu mériterais d'être tué.
            Il y avait dans sa voix une épouvantable volupté.
            Polly cessa de rire, elle poussait des " Oh-h-h " et des soupirs profonds en reprenant ses esprits.
            - Il faut qu'il choisisse, dit-elle vaguement.
            - Mais oui, il le faut, dit Laura avec une décision vindicative.
            - Tu entends ? Tu entends ? dit Annie.
            Et d'un geste brusque qui fit grimacer le contrôleur, elle tourna la tête vers elle-même.
            - Tu entends ? répéta-t-elle en le secouant.                                               fr.123rf.com 
Résultat de recherche d'images pour "homme jeune coq fier"            Mais il demeura tout à fait muet. Elle le claqua violemment au visage. Il tressaillit et ses yeux se dilatèrent. Puis, le défit malgré tout lui assombrit le visage.
            - Tu entends ? répéta-t-elle.
            Il se borna à la considérer de ses yeux hostiles.
            - Parle ! cria-t-elle en rapprochant du sien son visage satanique.
            - Hein ? fit-il presque maîtrisé.
            - Tu dois "choisir "! cria-t-elle comme s'il s'agissait d'une menace terrible et comme si elle souffrait de ne pouvoir exiger plus
            - Quoi ? demanda-t-il effrayé.
            - Choisis ta fille, espèce de maquereau. Il faut que tu la choisisses maintenant. Et je ne donne pas cher de ta peau si tu nous fais encore une de tes entourloupettes, mon vieux. Maintenant, t'es fixé.
            Il y eut une pause. A nouveau il détourna le visage. Il était rusé dans sa défaite. Il ne leur céderait pas vraiment, non, pas même si elles le déchiraient en petits morceaux.
            - Très bien, répondit-il, je choisis Annie.
            Sa voix était bizarre et pleine de malice. Annie le lâcha comme s'il avait été un morceau de charbon ardent.
            - Il a choisi Annie ! crièrent les filles choeur.
            - Moi ! s'exclama Annie.
            Elle était resté à genoux mais écartée de lui. Il demeurait couché, prostré, le visage détourné. Les filles les entouraient, gênées.
            - Moi ! répéta Annie avec une amertume effrayée.
            Alors, elle se leva, s'écarta de lui avec un dégoût, une amertume étranges.c
            - ... Même le toucher me ferait horreur, dit-elle.
            Mais son visage tressaillait d'une espèce d'angoisse. On aurait cru qu'elle allait tomber. Les autres filles se détournèrent. John Thomas restait couché par terre, les vêtements déchirés, la figure en sang.  peccadille.wordpress.com 
Résultat de recherche d'images pour "homme jeune coq fier"            - Mais... s'il a choisi, commença Polly.
            - Je n'en veux pas..., il peut en choisir une autre, dit Annie avec le même désespoir amer.
            - Debout, fit Polly en soulevant le contrôleur par l'épaule. Debout !
            Il se leva lentement, personnage étrange, en loques, étourdi. A quelque distance les filles le surveillaient, curieuses, furtives, menaçantes.
            - Qui veut de lui ? cria rudement Laura.
            - Personne, répondirent-elles avec mépris.
            Pourtant, chacune d'elles attendait qu'il la regardât, espérait qu'il la regarderait. Chacune, à l'exception d'Annie en qui quelque chose s'était brisé.
            Il y eut un long silence. John Thomas ramassa les fragments déchirés de sa tunique, sans savoir qu'en faire. Les filles se tenaient çà et là, embarrassées, rouges, haletantes, remettant inconsciemment de l'ordre dans leurs cheveux et leur costume, tout en surveillant le contrôleur. Il ne regarda aucune d'elles. Il avisa dans un coin sa casquette et alla la ramasser. Il la mit sur sa tête, et l'une des filles éclata d'un rire aigu, hystérique devant l'aspect que présentait John Thomas. Lui, cependant, resta indifférent, et marcha droit vers son manteau pendu à une patère. Les filles s'écartèrent pour éviter le contact du contrôleur, comme s'il avait été quelque fil à haute tension.  John Thomas mit son pardessus et le boutonna de haut en bas, puis il roula en paquet les lambeaux de sa tunique, et se tint devant la porte fermée à clé, muet.
            - Que quelqu'un ouvre la porte, dit Laura.
            - Annie a la clé, dit l'une d'elles.
            Annie, en silence, tendit la clé aux filles. Nora ouvrit la serrure.
            - Donnant, donnant, mon vieux, fit-elle. Montre-toi un homme. Et sans rancune.
            Mais sans un mot, sans un signe, il avait ouvert la porte et disparu, le visage fermé, la tête basse.
            - Ça lui fera les pieds, remarqua Laura.
            - Maquereau ! dit Nora.
            - La ferme, pour l'amour du ciel ! cria furieusement Annie, comme au supplice.
            - Eh bien, je vais être prête à partir Polly. Ouvre l'oeil ! enjoignit Muriel.
            Toutes les receveuses étaient impatientes de partir. Elles remettaient rapidement de l'ordre dans leur toilette, le visage hébété, sans expression.


                                                                           D.H.Lawrence
                                                                                                 ( in Ile, mon île )
    

dimanche 2 octobre 2016

Tickets, s'il vous plaît D.H.Lawrence 1/2 ( nouvelles Grande Bretagne )

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eastmidlands-butterflies.org.uk


                                                     Tickets, s'il vous plaît

             Il y a dans les Midlands une ligne de tramways à voie unique, laquelle quitte courageusement  le chef-lieu de comté pour plonger dans la campagne noire et industrielle, par monts et par vaux, à travers de longs villages, de laides maisons ouvrières, par-dessus canaux et voies ferrées, dépassant des églises haut et noblement perchées au-dessus de la fumée et de l'ombre, à travers de rudes, froides et sales petites places de marché, un tramway qui penche et se précipite en dépassant les cinémas et les boutiques pour dévaler dans le creux où sont les houillères, puis remonter, dépassant une petite église rurale sous les frênes, et s'élance vers le terminus, ultime et vilaine petite agglomération industrielle, petite ville froide qui frissonne au bord de la campagne sauvage et lugubre qui s'étend au-delà. Là, les wagons peints vert et crème semblent se reposer, ronronner avec une satisfaction bizarre. Mais au bout de quelques minutes, à la tourelle des magasins de la Société coopérative de vente en gros, l'horloge donne l'heure, le tramway repart une fois de plus à l'aventure. De nouveau ce sont les téméraires descentes à flanc de colline, les virages rapides, de nouveau l'attente frisquette au sommet de la colline, sur la place du marché. De nouveau la courte glissade à couper le souffle sur la pente abrupte, au-dessous de l'église, de nouveau les haltes patientes aux voies d'évitement dans l'attente de l'autre rame. Et cela continue ainsi durant deux longues heures jusqu'à ce qu'enfin la grand-ville apparaisse au-delà des grands réservoirs à gaz, les usines étroites se rapprochent et que nous soyons dans les sordides rues de la grand-ville et qu'une fois de plus nous accostions, nous nous immobilisions à notre terminus, déconcertés par les grandes voitures cramoisies et crème de la cité, mais toujours guilleret, désinvolte, un peu casse-cou, vert ainsi qu'un pied de persil jailli dans un jardin noir de houillère.
            Voyager dans ces voitures est toujours une aventure. Étant donné que nous sommes en temps de guerre, les conducteurs sont des hommes inaptes au service actif, des boiteux et des bossus. Aussi sont-ils possédés du démon. Le parcours devient une course d'obstacles. Hourra ! nous avons franchi d'un joli bond le pont du canal... et maintenant, passons au carrefour. Un crissement, une gerbe d'étincelles et nous revoici libres. Certes, il arrive souvent qu'un tramway déraille, mais quelle importance ? Il repose dans le fossé jusqu'à ce que d'autres trams viennent le tirer de là. Il est tout à fait courant qu'une voiture, bondée d'une seule masse solide de personnes vivantes, tombe en panne au milieu de l'obscurité complète, au coeur de l'inconnu, dans la nuit sombre., et que le conducteur et la receveuse crient :
            " - Tout le monde descend ! La voiture brûle ! "                                 cartablevirtuel.u-paris10.fr
Afficher l'image d'origine            Pourtant, au lieu de s'élancer dehors en proie à la panique, les passagers répondent flegmatiquement :
            " - Allons ! allons ! On ne descend pas. On reste où qu'on est. Va donc, George. "
            Ainsi jusqu'à ce que les flammes fassent vraiment leur apparition.
            Les nuits sont froides, noires et venteuses à crever, et la voiture un vrai havre de grâce. Les mineurs se déplacent d'un village à l'autre afin de changer de cinéma, de fille ou de bistrot. Les trams sont affreusement bondés. Qui se risquerait dans le gouffre des ténèbres extérieures pour attendre une heure peut-être un autre tram et déchiffrer alors la sinistre affiche " Dépôt seulement ", parce qu'il y a quelque chose qui ne va pas ? Ou pour accueillir une rame de trois voitures brillamment éclairées, toutes si pleines de monde qu'elles passeront sans s'arrêter dans un hurlement moqueur ? Tramways passant dans la nuit...
            Cette ligne de tramway, la plus périlleuse de toute l'Angleterre, ainsi que le déclarent, avec orgueil, les autorités elles-mêmes, a seulement des jeunes filles pour receveuses et pour conducteurs des jeunes gens impétueux, légèrement estropiés, ou des jeunes gens délicats, qui manoeuvrent avec épouvante. Les filles sont des jeunes filles effrontées, intrépides. dans leur affreux uniforme bleu, la jupe aux genoux, coiffées d'une vieille casquette informe, elles ont tout le sang-froid d'un vieux sous-officier. Dans un train bondé de mineurs hurlants, vociférant des hymnes au rez-de-chaussée et un genre de répons d'obscénités à l'impériale, ces demoiselles sont parfaitement à l'aise. Elles sautent sur les jeunes gens qui tentent d'échapper à leur appareil à tickets. Elles poussent au-dehors les hommes qui sont au bout de leur parcours. On ne la leur fait pas, non, pas à elles ! Elles ne craignent personne, et tout le monde les craint.
            - Salut Annie !
            - Salut Ted !
            - Aïe ! Attention à mon cor, Miss Pierre. M'est avis que vous avez un coeur de pierre, vous venez encore de marcher dessus.
            - Vous devriez le garder dans votre poche, répond Miss Pierre grimpant allègrement à l'impériale, chaussée de hautes bottines. Tickets, s'il vous plaît !
            Elle est péremptoire, soupçonneuse et prête à l'attaque. Elle est prête à se défendre contre dix mille. Le marchepieds de ce tramway représente ses Thermopyles.
            Aussi existe-t-il un certain romanesque sauvage à bord de ces voitures, et dans le sein résolu d'Annie elle-même. Le romanesque tendre se situe dans la matinée, entre dix et treize heures, période où l'affluence est plutôt réduite, à part les jours de marché et le samedi, bien sûr. Annie a donc le temps de regarder autour d'elle, alors elle bondit souvent de sa voiture dans quelque boutique où elle a guigné quelque chose tandis que le conducteur bavarde sur la grand-route. Receveuses et conducteurs s'entendent à merveille, ne sont-ils pas compagnons de péril, équipage à bord de ce vaisseau fou qu'est un tramway éternellement balancé par les vagues d'une terre houleuse ?
Afficher l'image d'origine*           Et puis, c'est pendant ces heures calmes que les contrôleurs se remarquent le plus. Pour une raison quelconque tous les employés de cette ligne de tramway sont jeunes. On n'y rencontre pas de tête grise. Ça ne ferait pas l'affaire. Voilà pourquoi les contrôleurs ont le bon âge et l'un d'eux, le chef, est le plus beau. Voyez-le donc debout par un matin sombre, humide, dans son long ciré, la casquette bien enfoncée au-dessus des yeux, attendant une voiture afin de l'arraisonner. Le teint coloré, la petite moustache brune hérissée par les intempéries, il a un léger sourire insolent. Assez grand et agile, même en imperméable, il s'élance à bord de la voiture et salue Annie.
            - Hello Annie ! On se maintient au sec ?
            - On essaie.
            Il n'y a que deux passagers à bord de la voiture. Le contrôle est vite achevé. Aussi l'on passe à un long bavardage effronté sur le marchepied, bavardage aisé de vingt kilomètres.
              Le nom du contrôleur est John Thomas Raynor, mais on l'appelle toujours John Thomas, sinon,, quelquefois malicieusement, Coddy-Mac. Son visage devient furieux quand, de loin, on s'adresse à lui en employant ce surnom. Dans une demi-douzaine de villages John Thomas est un considérable objet de scandale. Le matin il flirte avec les receveuses et part avec elles la nuit venue. lorsqu'elles quittent leur voiture au dépôt. Les receveuses, naturellement, quittent souvent le service. Alors le contrôleur flirte et se promène avec la nouvelle venue, toujours à condition qu'elle soit suffisamment séduisante et qu'elle accepte de se promener. Il est remarquable, toutefois, que la majorité des receveuses soient tout à fait plaisantes. Toutes sont jeunes, et ce vagabondage à bord des voitures leur confère une fougue, une témérité de matelot. Qu'importe leur comportement quand le navire est au port ? Demain, elles se retrouveront à bord.
            Pourtant, Annie avait quelque chose d'intraitable, et sa langue acérée avait, durant de longs mois, tenu John Thomas à distance respectueuse. Peut-être, d'ailleurs, ne l'en aimait-elle que davantage, car il montait toujours en souriant avec effronterie. Annie le regardait vaincre une receveuse après l'autre. Annie pouvait dire suivant les yeux et la bouche du contrôleur, lorsqu'il flirtait dans la matinée avec elle, qu'il avait fait un tour, la veille, avec telle ou telle fille. Un fier coq de village, ce John Thomas. Annie voyait parfaitement clair.
            Dans ce subtil antagonisme ils se reconnaissaient comme de vieux amis, présentaient presque la même perspicacité l'un envers l'autre, qu'un mari et sa femme. Mais Annie avait toujours maintenu le contrôleur à distance convenable. Et d'ailleurs, la receveuse avait son petit ami.
            Mais la foire des Statuts, à Bestwood, eut lieu en novembre. Il se trouva qu'Annie était libre le lundi soir. C'était un vilain soir à bruine. Pourtant Annie se mit sur son trente-et-un et se rendit au champ de foire. La receveuse était seule, mais pensait rencontrer bientôt un copain quelconque.
Afficher l'image d'origine   **      Les chevaux de bois tournaient en serinant leur musique, les baraques faisaient tout le bruit possible. Les tirs aux noix de coco ne présentaient pas de noix de coco mais des ersatz pour temps de guerre, que les gars déclaraient fixés aux tiges de fer. On constatait un triste déclin dans la lumière et dans le luxe. Néanmoins le sol était aussi boueux que jamais. Il y avait la même bousculade, la foule des visages illuminés par les feux de joie et les lampes électriques, la même odeur de naphte et de rares pommes de terre.
            Qui devait être le premier à saluer Miss Annie sur le champ de foire, sinon John Thomas ? Il portait un pardessus noir boutonné jusqu'au menton, ainsi qu'une casquette en tweed enfoncée jusqu'au-dessus des sourcils. Dans l'intervalle son visage était aussi coloré, souriant et malin que jamais. Annie connaissaient tellement bien les mouvements de ses lèvres !
            Elle était très contente d'avoir trouvé un " type ". Etre aux Statuts sans un gars manquait de charme. Aussitôt le contrôleur, en galant homme qu'il était, mena la receveuse sur les Dragons, des montagnes russes aux crocs sinistres. En fait, c'était loin d'être aussi excitant que les tramways. Mais, toutefois, être assise à l'intérieur d'un dragon vert et branlant, soulevée au-dessus d'un océan de faces en billes, tournoyant à une vitesse folle dans les régions inférieures du paradis tandis que John Thomas, la cigarette au bec, se penchait au-dessus de la receveuse, c'était après tout ce qu'il convenait de faire. Petite personne rondelette, rapide et vivante, Annie se sentait excitée et heureuse.
            John Thomas la fit rester pour le tour suivant. C'est pourquoi elle ne put décemment se formaliser ni repousser le contrôleur, lorsqu'il passa le bras autour d'elle et l'attira un peu plus près de lui, de façon très chaleureuse et caressante. D'ailleurs, il était assez discret, il maintenait une attitude aussi discrète que possible. Annie baissa les yeux et vit que la main rouge et propre de son compagnon se trouvait hors de la vue de la foule. Et puis, tous deux se connaissaient tellement bien ! C'est ainsi qu'ils se mirent au diapason de la fête.
            Après les dragons ils montèrent sur les chevaux. John Thomas payant chaque fois, sa compagne ne pouvait que se montrer complaisante. Lui, bien sûr était à califourchon sur le cheval externe, appelé Black Bess. Annie se tenait en amazone, tournée vers John Thomas, sur le cheval interne, appelé Flamme-Sauvage. Mais naturellement John Thomas n'allait pas rester assis sagement sur Black Bess, agrippé à la barre en cuivre. Ils viraient et se soulevaient dans la lumière. Le contrôleur se tourna sur son coursier de bois, lança une jambe au-travers de la monture d'Annie, et se balança dangereusement de haut en bas dans le vide, à demi couché sur le dos, en riant vers sa compagne. Il était parfaitement heureux. Elle, avait peur que son chapeau ne fût de guingois, mais elle s'amusait.
            Il jeta des palets sur une table et gagna pour Annie deux grandes épingles à chapeau bleu pâle. Puis, entendant la sonnerie des cinémas annonçant une nouvelle séance, tous deux grimpèrent sur l'estrade et entrèrent.                                                                                      francoise1.unblog.fr 
Résultat de recherche d'images pour "homme jeune coq fier"            Bien entendu, pendant les projections l'obscurité complète se fait de temps en temps quand la mécanique s'enraye. Alors on entend des huées furieuses, ainsi que les violents claquements de lèvres de baisers simulés. Dans ces moments-là John Thomas attirait Annie contre lui. Après tout, il avait une façon chaleureuse et confortable de tenir une fille au creux de son bras. Cela vous emboîtait si bien ! Après tout, c'était agréable d'être ainsi tenue, si réconfortant, si confortable, si bon ! Le contrôleur se penchait sur Annie qui sentait son souffle sur ses cheveux. Elle savait qu'il désirait baiser ses lèvres. Après tout, il était si chaud, et elle s'emboîtait si tendrement au creux de son bras ! Après tout, elle désirait ce contact sut ses lèvres.
            Mais la clarté revint soudain, Annie aussi tressaillit électriquement et remit son chapeau droit. John Thomas laissa reposer son bras nonchalamment derrière elle. Eh bien, c'était amusant de se trouver aux Statuts avec John Thomas.
            Quand le cinéma fut terminé, tous deux allèrent se promener à travers les champs sombres, humides. John Thomas avait tous les talents pour vous faire la cour. Ce qu'il réussissait le mieux, c'était de tenir une fille assis avec elle sur un échalier dans le crachin ténébreux. Il paraissait la tenir au milieu de l'espace contre sa propre chaleur agréable. Quant à ses baisers, ils étaient doux, lents et quêteurs.
            C'est ainsi qu'Annie " sortit " avec John Thomas, bien qu'elle gardât son petit ami en réserve. Quelques-unes des receveuses choisissaient la pruderie. Mais, mon Dieu, il faut prendre les choses comme elles viennent en ce monde.
            Il n'y avait pas à se raconter d'histoires : Annie aimait beaucoup John Thomas. Toutes les fois qu'il était près d'elle elle se sentait si riche, si chaleureuse à l'intérieur ! Quant à John Thomas, il aimait vraiment bien la receveuse, plus que d'habitude. La façon tendre, fondante, dont Annie était capable de vous envahir, comme si elle s'était fondue en vos propres os, c'était là quelque chose de rare et de bon, que John Thomas appréciait à sa juste valeur.
            Mais la connaissance, en se développant, commença à développer l'intimité. Annie voulait considérer John Thomas en personne humaine, en homme. Annie voulait s'intéresser intellectuellement à lui et recevoir de lui une réponse intelligents. Elle ne voulait pas d'une simple présence nocturne. Il n'avait pas la moindre intention de devenir un individu complet pour Annie. Lorsqu'elle commença de témoigner de l'intérêt intellectuel envers lui, sa vie et son caractère, il prit le large. Il avait horreur de l'intérêt intellectuel. Il savait que la seule façon d'y mettre fin, c'était de l'éviter. Chez Annie, venait de s'éveiller la femelle possessive. Aussi John Thomas la quitta-t-il..........

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                                                                         à suivre....... 2 suite et fin

           Il serait vain de déclarer......./



mercredi 28 septembre 2016

A propos de la loi dite liberté de l'enseignement Victor Hugo ( poème France )

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                                              A propos de la loi dite liberté de l'enseignement

            Prêtres, vous complotez de nous sauver, à l'aide
            Des ténèbres, qui sont en effet le remède
                                   Contre l'astre et le jour ;
            Vous faites l'homme libre au moyen d'une chaîne ;
             Vous avez découvert cette vertu, la haine,
                                   Le crime étant l'amour.

            Vous êtes l'innombrable attaquant le sublime ;
             L'esprit humain, colosse, a pour tête la cime
                                 Des hautes vérités ;
            Fatalement ce front qui se dresse dans l'ombre
            Attire à sa clarté le fourmillement sombre
                                  Des dogmes irrités.

            En vain le grand lion rugit, gronde, extermine ;                    tpechauvesourisultrasons.wordpress.com 
                L'insecte vil s'acharne ; et toujours la vermine
Afficher l'image d'origine                                   Fit tout ce qu'elle put ;
            Nous méprisons l'immonde essaim qui tourbillonne ;
            Nous vous laissons bruire, et contre Babylone
                                   Insurger Lilliput.

            Pas plus qu'on ne verrait sous l'assaut des cloportes
            Et l'effort des cirons tomber Thèbes aux cent portes
                                   Et Ninive aux cent tours,
            Pas plus qu'on ne verrait se dissiper le Pinde
            Ou l'Olympe, ou l'immense Himalaya de l'Inde
                                   Sous un vol de vautour.

            On ne verra crouler sous vos battement d'ailes
            Voltaire et Diderot, ces fermes citadelles,
                                   Platon qu'Horace aimait,
            Et ce vieux Dante ouvert, au fond des cieux qu'il dore,
            Sur le noir passé, comme une porte d'aurore
                                  Sur un sombre sommet.

            Ce rocher, ce granit, ce mont, la pyramide,
            Debout dans l'ouragan sur le sable numide,
                                 Hanté par les esprits,
            S'aperçoit-il qu'il est, lui l'âpre hiéroglyphe,
            Insulté par la fiente ou rayé par la griffe
                                  De la chauve-souris ?
                                                                                                             
            Non, l'avenir ne peut mourir de vos morsures,                               enesco.co.uk 
Résultat de recherche d'images pour "lilliput"            Les flèches du matin sont divines et sûres ;
                                 Nous vaincrons, nous voyons !
            Erreur, le vrai vous tue ; ô nuit, le jour te vise ;
            Et nous ne craignons pas que jamais l'aube épuise
                                  Son carquois de rayons.

            Donc, soyez dédaigneux sous la voûte éternelle,
            L'idéal n'aura pas moins d'aube en sa prunelle
                                   Parce que vous vivrez.
            La réalité rit et pardonne au mensonge.
            Quant à moi, je serai satisfait, moi qui songe
                                   Devant les cieux sacrés.

            Tant que Jeanne sera mon guide sur la terre,
            Tant que Dieu permettra que j'aie, ô pur mystère !
                                  En mon âpre chemin,
            Ces deux bonheurs où tient tout l'idéal possible,
            Dans l'âme un astre immense, et dans ma main paisible
                                  Une petite main.



                                                                    Victor Hugo

                                                                             ( extrait de " l' Art d'être Grand-Père )

         

lundi 26 septembre 2016

Ozu Marc Pautrel ( roman France )


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                                                          Ozu

            Lorsque Yasujirô Ozu naît le 12 décembre 1903 il n'imagine pas qu'un jour il sera reçu par l'empereur lui-même, au Palais d'été, à Tokyo, recevoir " Le Prix de l'Académie des Arts du Japon " pour l'ensemble de son oeuvre décerné le 23 mai 1959, et qu"il mourra en 1963 le 12 décembre. Sa mère est morte à 89 ans, elle vivait dans la petite maison qu'il a fait construire au bord d'une falaise friable, et souhaitait que son fils abandonne ce métier de cinéaste qui l'oblige à penser trop pour écrire les scenari avec son ami Noda, Ecrire et boire. Buveur invétéré il ne cessera qu'en de courtes périodes, de se munir de ses munitions, flacons de saké, whisky. Il aime infiniment Tokyo, la montagne aussi, qu'il parcourt. Le livre Ozu est un merveilleux hommage au Pays du Soleil levant, à Tokyo et à ses jardins cachés, aux rues, aux trains. Et dans un style infiniment simple nous entrons dans la pensée d'Ozu, le réalisateur qui posait ses caméras à hauteur d'homme, 80 cm, lui-même est très grand, aime rire, boire et manger, mais " ...... pourquoi les acteurs sourient toujours même lorsqu'ils traversent un drame, pourquoi les personnes sont filmées de si bas....... pourquoi jamais aucun mouvement, ni travelling....... les décors sont remplis de rectangles....... la géométrie commande le monde....... ajoutant mystérieusement, le plus grand carré n'a pas d'angle...... " Et gourmand de vie il essaie aussi d'être présent lorsque fleurissent les cerisiers. Il oblige ses acteurs à de multiples répétitions. Au contraire de certains de ses confrères, Kurozawa et d'autres, il filme le quotidien, pas de grandes fresques historiques. Mais comme eux Mizoguchi, Imamura, honorés par les palmes académiques, il meurt pensant qu'il sera éternel. Un merveilleux livre si on aime le cinéma d'Ozu. De plus l'auteur semble avoir trempé son stylo dans une encre venue du Pays du matin calme. Mais en fait il s'est basé sur les carnets du cinéaste, ce qui donne cet aspect de vérité. Le roman est court de même les chapitres.

            

jeudi 22 septembre 2016

Mariachi Plaza Michael Connelly ( roman EtatsUnis )


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                                              Mariachi Plaza

            C'est avec une nouvelle recrue que l'inspecteur Harry Bosch assiste à l'autopsie du mariachi Merced. Atteint d'une balle crue perdue alors que parmi d'autres il joue sur la Mariachi Plaza, à Los Angelès, attendant que lui et son groupe soient choisis pour jouer dans une soirée leur musique mexicaine si particulière. Le musicien vivra dix ans avec cette balle coincée dans la colonne vertébrale. La balle difficilement récupérée, analysée, il n'est plus possible d'affirmer que le mariachi est mort d'une septicémie. Accompagné de Lucia Sotto, sa nouvelle coéquipière, l'inspecteur à un an de la retraite, sera l'enquêteur pugnace, il s'occupe d'ailleurs des "cold cases ". Au cours de l'enquête, Bosh surprend Sotto alors que cette dernière, obligée par ailleurs de se rendre chez la psychologue attachée à la police, pour avoir tué deux fois lors de deux précédentes affaires, consulte et copie d'anciens dossiers concernant une affaire non conclue depuis vingt ans. La jeune femme se montre une collaboratrice aussi acharnée à découvrir les mobiles. Apparaissent un magna du béton trompé par un mariachi, un maire soutenu puis abandonné par le fortuné Broussard, des gangs latinos qui se font la guerre, un homme d'extrême droite devenu paranoïaque, une fausse innocente devenue nonne. La double enquête est conduite avec beaucoup de savoir-faire par le vieil inspecteur à qui la moindre erreur risque de l'obliger à quitter le métier avant l'heure, ce qui éviterait à l'administration le paiement à taux plein d'une rente confortable au futur retraité. Le lecteur est happé, rompt à regrets le fil de sa lecture. Très descriptif dans les déplacements des personnages, on peut les suivre parallèlement sur Google maps Michael Connolly ancien journaliste connait bien les administrations, bien entouré il a écrit un très bon policier. Enfin un collaborateur aussi présent qu'efficace  le smartphone, et évidemment la tablette.









mercredi 21 septembre 2016

L'homme à la lèvre tordue 2 fin Arthur Conan Doyle ( Nouvelle Grande Bretagne )

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                                                          L'homme à la lèvre tordue

                                                                                                suite......  un nouvel indice.....

            ...... Et ce fut le cas, bien qu'on ne trouvât guère dans la boue de la rive ce qu'on avait craint de trouver. C'était le manteau de Neville St Clair, et non Neville St Clair, qui gisait découvert par la marée descendante. Et que pensez-vous qu'ils ont trouvé dans ses poches ?
            - Je ne peux l'imaginer.
            - Non, je ne crois pas que vous devinerez. Chaque poche était bourrée de pennies et de demi-pennies - quatre cent vingt et un pennies et deux cent dix-sept demi-pennies. Ce n'est pas étonnant qu'il n'ait pas été emporté par la marée. Mais un corps humain, c'est une autre affaire. Il y a un violent tourbillon entre l'appontement et la maison. Il semble assez évident que le manteau lesté quand le corps déshabillé a été aspiré dans la rivière.
            - Mais j'ai cru comprendre que tous les autres vêtements avaient été trouvés dans la pièce. Le corps n'était donc couvert que d'un manteau ?
            - Non monsieur, mais les faits peuvent être assemblés de façon assez spécieuse. Supposez que l'homme Boone ait jeté par la fenêtre Neville St Clair, aucun oeil humain n'aurait pu voir son geste. Que fait-il alors ? Cela le frappera aussitôt qu'il doit se débarrasser des vêtements révélateurs. Il saisit alors le manteau et est sur le point de le jeter par la fenêtre quand il réalise qu'il flottera et ne coulera pas. Il a peu de temps, car il a entendu la bagarre en bas des escaliers quand la femme a essayé de se forcer un chemin, et peut-être sait-il déjà par son complice le Lascar, que les policiers se hâtent dans la rue. Il n'y a pas un instant à perdre. Il se précipite vers un magot secret où il accumule les fruits de sa mendicité et bourre les poches pour être sûr que le manteau coule. Il le jette dehors et aurait fait la même chose avec les autres vêtements s'il n'avait pas entendu le bruit des pas en-dessous et avait eu seulement le temps de fermer la fenêtre quand la police est apparue.
            - C'est certainement plausible.
            - Bien, nous prendrons cela comme hypothèse de travail en attendant d'en avoir une meilleure. Boone, comme je vous l'ai dit, a été arrêté et emmené au poste mais il n'a pu être prouvé qu'on avait quelque chose contre lui. Depuis des années il est connu comme mendiant professionnel, mais sa vie semble avoir été très calme et innocente. Voici l'état de l'affaire et les questions qu'il faut résoudre : que faisait Neville St Clair dans une fumerie d'opium, que lui est-il arrivé là, où est-il maintenant et qu'a à avoir Hugh Boone avec sa disparition. La solution est plus éloignée que jamais. J'avoue que je ne peux me rappeler aucun problème dans mon expérience qui semblait aussi simple au premier regard et qui, pourtant, présentait de telles difficultés.
            Pendant que Sherlock Holmes détaillait cette singulière série d'événements, nous avons filé rapidement au milieu des faubourgs de la grande ville jusqu'aux dernières maisons et nous roulions avec une campagne de chaque côté. Juste comme il achevait nous traversâmes deux villages isolés où quelques lumières brillaient encore.
            - Nous sommes dans les faubourgs de Lee, dit mon compagnon. Nous avons effleuré trois comtés anglais dans notre courte course, partant du Middlesex, traversant un coin du Surrey et finissant dans le Kent. Vous voyez cette lumière au milieu des arbres ? Voici les Cèdres et, à côté de la lampe est assise une femme qui, tendant une oreille anxieuse, a déjà perçu, je n'en doute pas, le claquement des sabots du cheval.                                                               francesoir.fr
Afficher l'image d'origine            - Mais pourquoi ne menez-vous pas cette affaire depuis Baker Street ? demandai-je.
            - Parce que de nombreuses recherches doivent être menées ici. Mrs St Clair a très gentiment mis deux pièces à ma disposition, et vous pouvez être certain qu'elle ne dira rien, si ce n'est bienvenu, à mon ami et collègue. Je déteste devoir la rencontrer, Watson, quand je n'ai aucune nouvelle de son mari. Nous y voilà. Ho, là, ho !
            Nous nous étions arrêtées devant une grande villa dressée au milieu de ses terres. Un garçon d'écurie courut à la tête du cheval et, descendant, je suivis Holmes le long d'un petit sentier sinueux de gravier qui menait à la maison. Tandis que nous approchions la porte s'ouvrit brusquement et une petite femme blonde se tint dans l'ouverture, vêtue d'une espèce de mousseline de soie, avec une touche de soie rose vaporeuse au cou et aux poignets. Elle était debout, la silhouette soulignée par le flot de lumière, une main sur la porte, l'autre à moitié levée dans l'impatience, le corps légèrement incliné, la tête et le visage en avant, les yeux avides et les lèvres entrouvertes : une position d'interrogation.
            - Alors, cria-t-elle alors ?
            Puis, voyant que nous étions deux, elle eut un cri d'espoir qui retomba en un gémissement voyant que mon compagnon secouait la tête et haussait les épaules.
            - Pas de bonne nouvelle ?
            - Aucune.
            - Pas de mauvaise ?
            - Non.
            - Merci mon Dieu pour ça. Mais entrez. Vous devez être épuisés après cette longue journée.
            - Voici mon ami le docteur Watson. Il m'a été d'une utilité vitale dans plusieurs de mes affaires et un coup de chance a fait qu'il a été possible de l'amener avec moi et de l'associer à cette investigation.
            - Je suis ravie de vous voir, dit-elle en me serrant chaleureusement la main. Vous excuserez, j'en suis sûre, tout ce qui peut laisser à désirer dans nos arrangements quand vous considérerez le coup qui est tombé si brutalement sur nous.
            - Ma chère madame, dis-je, je suis un vieux soldat, et même si je ne l'étais pas, je vois bien qu'il n'est besoin d'aucune excuse. Si je puis être d'une aide quelconque, à vous ou à mon ami, je serais vraiment ravi.
            - Maintenant, Mr Sherlock Holmes, dit la dame alors que nous entrions dans une salle à manger bien éclairée où un souper froid attendait, j'aimerais beaucoup vous poser une ou deux questions sans détour auxquelles, j'espère, vous donnerez une réponse sans détour.
            - Certainement madame.
            - Ne vous occupez pas de mes sentiments. Je ne suis pas hystérique, ni sujette aux évanouissements. Je souhaite simplement entendre votre véritable, véritable opinion.
            - Sur quel point ?
            - Dans le coeur de votre coeur, pensez-vous que Neville est en vie ?
            Sherlock Holmes parut embarrassé par la question
            - Franchement, maintenant, répéta-t-elle debout sur le tapis et le regardant avec insistance alors qu'il était renversé sur une chaise en osier.
            - Franchement alors, madame, je ne le pense pas.
            - Vous pensez qu'il est mort ?
            - Je le pense.
            - Assassiné ?
            - Je ne dis pas ça. Peut-être.
            - Et quel jour a-t-il trouvé la mort ?
            - Lundi.
            - Alors, peut-être, Mr Holmes, serez-vous assez bon pour m'expliquer comment il se fait que j'aie reçu cette lettre de lui aujourd'hui ?
            Sherlock Holmes bondit de sa chaise comme galvanisé.
            - Quoi ? rugit-il.
            - Oui, aujourd'hui.
            Elle se dressait en souriant et agitait en l'air un petit morceau de papier.
            - Puis-je la voir ?
            - Certainement.
            Il le lui arracha avec force et, l'aplanissant sur la table, tira la lampe au-dessus et l'examina intensément. J'avais quitté ma chaise et je regardais par-dessus son épaule. L'enveloppe était très ordinaire et tamponnée du cachet de la poste de Gravensend, avec la date du jour même, ou plutôt du jour précédent car minuit était bien dépassé.
            - Ecriture grossière ! murmura Holmes. Ce n'est sûrement pas l'écriture de votre mari, madame.
            - Non, mais le contenu l'est.
            - Je remarque aussi que celui qui a adressé l'enveloppe a dû se renseigner sur l'adresse.
            - Comment pouvez-vous dire cela ?
            - Le nom, voyez-vous, est d'une encre tout à fait noire, qui a séché toute seule. Le reste est de couleur plus grise, ce qui montre qu'on a utilisé un papier buvard. Si cela avait été écrit d'une seule traite puis séché rien ne serait d'une nuance de noir profond. Cet homme a écrit le nom et il y a eu une pause avant qu'il écrive l'adresse, ce qui peut seulement signifier qu'elle ne lui était pas familière. C'est, bien sûr, une vétille, mais il n'y a rien d'aussi important que les vétilles. Voyons maintenant la lettre. Ha ! il y a eu quelque chose dedans.
            - Oui, c'était une bague. Sa chevalière.
            - Et vous êtes sûre que c'est de la main de votre mari ?
            - D'une de ses mains.
            - D'une ?
            - La main qui écrit très vite. Ce n'est pas comme son écriture habituelle et pourtant je la connais bien.
            - " Chérie, ne sois pas effrayée. Tout va bien. Il y a une énorme erreur qu'il faudra un peu de temps pour rectifier. Attends patiemment, Neville. " Ecrit au crayon sur la page de garde d'un livre, format in-octavo, pas de filigrane. Postée aujourd'hui à Gravensend par un homme avec un pouce sale
Ha ! le rabat a été collé à la gomme, si je ne fais pas d'erreur, par une personne qui a chiqué du tabac. Et vous n'avez aucun doute ? C'est de la main de votre mari, madame ?  francesoir.fr 
            - Aucun. Neville a écrit ces mots.
            - Et ils furent postés aujourd'hui à Gravensend. Eh bien, Mrs St Clair, les nuages se dissipent, même si je ne me hasarderai pas à dire que le danger est passé.
            - Mais il doit être en vie, Mr Holmes.
            - A moins que ce ne soit une habile imitation pour nous mettre sur la mauvaise piste. La bague, après tout, ne prouve rien. On peut la lui avoir prise.
            - Non, non... c'est... c'est... C'est vraiment son écriture !
            - Très bien. Cela peut, cependant, avoir été écrit lundi et posté seulement aujourd'hui.
            - C'est possible.
            - Si c'est le cas, beaucoup de choses peuvent être arrivées depuis.
            - Oh, vous ne devez pas me décourager, Mr Holmes. Je sais qu'il va bien. Il y a entre nous une entente si forte que je saurais si le malheur s'était abattu sur lui. Le jour même où je l'ai vu pour la dernière fois, il s'est coupé dans la chambre et pourtant, moi qui étais dans la salle à manger, je me suis aussitôt précipitée en haut, avec l'extrême certitude que quelque chose était arrivé. Pensez-vous que je serais sensible à une telle bêtise et pourtant ignorante de sa mort ?
            - J'en ai trop vu pour ne pas savoir que l'impression d'une femme peut avoir plus de valeur que la conclusion d'un raisonneur analytique. Et dans cette lettre vous avez certainement une preuve très forte pour corroborer vos vues. Mais si votre mari est vivant et capable d'écrire des lettres, pourquoi reste-t-il loin de vous ?
            - Je ne peux pas l'imaginer. C'est impensable.
            - Et lundi, n'a-t-il fait aucune remarque avant de vous quitter ?
            - Non.
           - Et vous étiez très surprise de le voir dans Swandam Lane ?
           - Très.
           - La fenêtre était-elle ouverte ?
           - Oui.
           - Alors, il aurait pu vous appeler.
           - Il aurait pu.
           - Il a seulement, si j'ai bien compris, poussé un cri inarticulé ?
           - Oui.
           - Un appel au secours, avez-vous pensé ?
           - Oui. Il agitait les mains.
           - Mais ça aurait pu être un cri de surprise. Etonné en vous voyant, il a pu lever les mains.
           - C'est possible.
           - Et vous pensez qu'il était tiré en arrière ?
           - Il a disparu si soudainement !
           - Il pourrait avoir sauté en arrière. Vous n'avez vu personne d'autre dans la pièce ?
           - Non. Mais cet horrible a avoué avoir été là et le Lascar était au pied de l'escalier.
           - Tout à fait. Votre mari, pour autant que vous pouviez le voir, portait-il ses vêtements habituels ?
            - Mais sans col ni sa cravate. J'ai vu distinctement sa gorge découverte.
            - A-t-il jamais parlé de Swandam Lane ?
            - Jamais.
            - A-t-il jamais montré des signes qu'il prenait de l'opium ?        francoisquinca.skynetblogs.be
Afficher l'image d'origine            - Jamais.
            - Merci Mrs St Clair. Ce sont les principaux points que je voulais absolument éclaircir. Nous devrions maintenant prendre un petit souper et ensuite nous retirer, car nous aurons sans doute une journée très active demain.
            Une grande chambre confortable avec deux lits avait été mise à notre disposition et je fus vite entre les draps car j'étais épuisé après ma nuit d'aventure. Toutefois Sherlock Holmes était un homme qui, quand il avait un problème irrésolu à l'esprit pouvait continuer durant des jours, pendant une semaine même, sans se reposer, à le tourner, à réorganiser les faits, à l'observer de divers points de vue, jusqu'à ce qu'il l'ait embrassé ou qu'il soit convaincu que ses données étaient insuffisantes. Il me fut bientôt évident qu'il se préparait à rester assis toute la nuit. Il ôta son manteau et son gilet, passa un grand peignoir bleu, puis tourna dans la pièce ramassant les oreillers sur son lit et les coussins sur le canapé et les fauteuils. Avec cela il construisit une sorte de divan oriental en haut duquel il se percha, les jambes croisées, avec une once de tabac très fort et une boîte d'allumettes posée devant lui. A la faible lueur de la lampe je le vis assis là, une vieille pipe de bruyère entre les lèvres, les yeux fixés d'un air vague sur le coin du plafond, la fumée bleue serpentant au-dessus de lui, silencieux, immobile, la lumière éclairait ses traits aquilins et marqués. Il était ainsi quand je m'endormis et quand je fus réveillé par un cri soudain. Je vis le soleil d'été briller dans l'appartement, la pipe était toujours entre ses lèvres, la fumée serpentait toujours au-dessus de lui et la chambre était pleine d'une épaisse brume de tabac, mais il ne restait rien du tas de tabac très fort de la nuit passée.
            - Réveillé, Watson, demanda-t-il ?
            - Oui.
            - Prêt pour une promenade matinale ?
            - Certainement.
            - Alors, habillez-vous. Personne ne bouge encore, mais je sais où dort le garçon d'écurie et nous devrions bientôt avoir notre carriole sortie. Il riait en lui-même tout en parlant, ses yeux étincelaient et il paraissait un autre homme, différent du sombre penseur de la nuit précédente.
            Pendant que je m'habillais je regardai ma montre. Il n'était pas étonnant que personne ne bougeât. Il était 4h25. J'avais à peine fini que Holmes vint annoncer que le garçon attelait le cheval.
            - Je veux vérifier une petite théorie, dit-il en enfilant ses bottes. Je crois Watson que vous êtes, en ce moment, en présence du plus grand imbécile en Europe. Je mérite qu'on me donne des coups de pied au derrière d'ici à Charring Cross. Mais je pense que j'ai maintenant la clef de cette affaire.
   timeout.fr                                                               - Et où est-elle ? demandai-je en souriant.
Résultat de recherche d'images pour "douanier rousseau"            - Dans la salle de bains, répondit-il. Oh oui, je ne plaisante pas, poursuivit-il devant mon regard incrédule. J'y suis simplement allé, je l'ai prise et je l'ai mise dans cette valise. Venez mon garçon, et nous verrons si elle ne rentre pas dans la serrure.
            Nous descendîmes aussi doucement que possible et sortîmes dans le clair soleil matinal. Sur la route nous retrouvâmes notre cheval et notre voiture avec le garçon d'écurie à moitié vêtu qui attendait à sa tête. Nous sautâmes tous les deux dedans et nous élançâmes sur la route de Londres. Quelques charrettes paysannes roulaient transportant des légumes vers la métropole, mais les rangées de villas de chaque côté étaient silencieuses et inanimées comme une ville dans un rêve.
            - Ca a été en bien des points une affaire singulière, dit Holmes en effleurant le cheval de sa cravache pour qu'il galope. J'avoue que j'ai été aussi aveugle qu'une taupe, mais il vaut mieux apprendre la sagesse tardivement que ne jamais l'apprendre.
            En ville, les plus matinaux commençaient juste à regarder par la fenêtre l'air endormi, tandis que nous roulions à travers les rue du Surrey. Nous descendîmes Waterloo Bridge Road, traversâmes la rivière et, nous élançant dans Wellington Street, nous tournâmes brusquement à droite et nous trouvâmes dans Bow Street. Sherlock Holmes était bien connu de la police et deux agents devant la porte le saluèrent. L'un d'eux tint la tête du cheval pendant que l'autre nous accompagnait.
            - Qui est en fonction, demanda Holmes ?
            - L'inspecteur Bradstreet, monsieur.
            - Ah, Bradstreet, comment allez-vous ? Un grand et vigoureux officier, avec un casque pointu et une veste croisée, arrivait le long du couloir dallé. J'aimerais vous dire un mot, Bradstreet.
            - Certainement, Mr Holmes. Entrez ici, dans mon bureau.
            Une petite pièce faisait office de bureau, un énorme registre posé sur la table et un téléphone accroché au mur. L'inspecteur s'assit derrière son bureau.
            - Que puis-je pour vous Mr H olmes ?
            - Je suis venu pour un mendiant, Boone. celui accusé de la disparition de Mr Neville St Clair, de Lee.
            - Oui. Il a été amené puis renvoyé pour complément d'enquête
            - C'est ce que j'ai entendu dire. L'avez-vous ici ?
            - Dans les cellules.
            - Est-il calme ?
            - Oh, il ne pose pas de problème. Mais c'est un coquin, sale !
            - Sale ?
            - Oui. Tout ce que nous pouvons faire c'est l'obliger à se laver les mains. Sa figure est noire comme celle d'un étameur. Eh bien, une fois que l'affaire aura été réglée il aura un bain réglementaire en prison. Et je pense que si vous le voyiez vous seriez d'accord avec moi.
            - J'aimerais beaucoup le voir.
            - Vous voulez ? C'est facile à faire. Venez par ici. Vous pouvez laisser votre sac.
            - Non, je crois que je vais le prendre.
            - Très bien. Venez par ici, s'il vous plaît.
            Il nous conduisit le long d'un corridor, ouvrit une porte barrée, descendit un escalier en colimaçon et nous amena dans un couloir blanchi à la chaux avec une rangée de portes de chaque côté.                                                                                                        amandahall-illustration.com 
Afficher l'image d'origine            - Il est dans la troisième sur la droite, dit l'inspecteur. Le voilà. Il tira doucement un panneau dans la partie supérieure de la porte et regarda au-travers. Il dort, dit-il. Vous pouvez très bien le voir.
             Nous mîmes tous les deux nos yeux sur le grillage. Le prisonnier était allongé, le visage tourné vers nous, plongé dans un sommeil très profond. Il respirait doucement et pesamment. C'était un homme de taille moyenne, grossièrement vêtu comme lorsqu'il était arrivé, d'une chemise colorée qui sortait d'une déchirure de son manteau en lambeaux. Il était, comme l'avait dit l'inspecteur, extrêmement sale, mais la crasse qui couvrait son visage ne pouvait pas dissimuler sa laideur repoussante. La large marque d'une vieille cicatrice le barrait de l'oeil au menton, et une contraction retroussait le bord de la lèvre supérieure, si bien que ses dents étaient exposées en un rictus perpétuel. Une tignasse de cheveux d'un rouge éclatant retombait sur ses yeux et son front.
            - C'est une beauté, n'est-ce pas, dit l'inspecteur ?
            - Il a certainement besoin de se laver, fit remarquer Holmes. J'avais dans l'idée que ce serait le cas et j'ai pris la liberté d'emporter les instruments avec moi. Il ouvrit sa serviette pendant qu'il parlait et en sortit, à ma surprise, une très grande éponge de bain.
            - Eh ! eh ! vous êtes un drôle de personnage, rit l'inspecteur.
            - Maintenant si vous avez la grande bonté d'ouvrir cette porte très doucement, nous le ferons bientôt apparaître sous un aspect plus respectable.
            - Eh bien, pourquoi pas, dit l'inspecteur. Il ne fait pas honneur aux cellules de Bow Street, n'est-ce pas ?
            Il glissa sa clef dans la serrure. Le dormeur se tourna à moitié et retomba dans un sommeil profond. Holmes se pencha vers le broc d'eau, mouilla son éponge et la passa vigoureusement sur le visage du prisonnier.                                                                                  
            - Laissez-moi vous présenter, hurla-t-il, Mr Neville St Clair, de Lee, dans le comté du Kent.
            Jamais de ma vie je n'avais vu un tel spectacle. Le visage de l'homme pela sous l'éponge comme l'écorce d'un arbre. Disparue la grossière couleur marron ! Disparue aussi l'horrible cicatrice qui le couturait et la lèvre tordue qui donnait à son visage ce rictus repoussant ! Une secousse emporta la perruque rouge et embroussaillée, et là, assis sur le lit, il y avait un homme pâle, triste, d'apparence raffinée, les cheveux noirs et la peau lisse qui se frottait les yeux et regardait autour de lui avec une confusion                    ensommeillée. Puis, réalisant soudain qu'il était démasqué, il poussa un cri et se jeta la tête dans l'oreiller.
            - Grands dieux ! cria l'inspecteur, c'est en fait l'homme disparu. Je le reconnais d'après sa photographie.
            Le prisonnier se retourna, l'air téméraire d'un homme qui n'a plus rien à perdre.
            - C'est ainsi, dit-il, Et je vous prie, de quoi suis-je accusé ?
            - D'avoir fait disparaître Mr Neville St... Oh, allons, vous ne pouvez pas être accusé de cela, à moins qu'on en fasse un cas de tentative de suicide, dit l'inspecteur avec une grimace. Eh bien, je suis dans la police depuis vingt-sept ans, mais ça, c'est vraiment le bouquet.
            - Si je suis Mr Neville St Clair, alors il est évident qu'aucun crime n'a été commis et dans ce cas je suis détenu illégalement.
            - Ce n'est pas un crime, mais c'est une très grande erreur qui a été commise, dit Holmes. Vous auriez mieux fait de faire confiance à votre femme.
            - Ce n'était pas ma femme, c'étaient les enfants, gémit le prisonnier. Dieu me vienne en aide, je ne voudrais pas qu'ils aient honte de leur père. Mon Dieu ! Quelle révélation ! Que puis-je faire ?      Sherlock Holmes s'assit près de lui sur la couchette et lui tapota gentiment l'épaule.
            - Si vous laissez une cour de justice éclaircir le problème, dit-il, vous ne pourrez bien sûr pas éviter la publicité. D'un autre côté, si vous convainquez les autorités de la police qu'il n'y a pas d'affaire contre vous, je ne pense pas qu'il y ait une raison pour que les détails apparaissent dans les journaux. L'inspecteur Bradstreet noterait, j'en suis sûr, tout ce que vous pourriez nous dire et le soumettrait aux autorités compétentes. L'affaire n'irait alors jamais en justice.
            - Dieu vous bénisse ! cria le prisonnier passionnément. J'aurais supporté la prison, toujours, même une exécution, plutôt que de laisser mon misérable secret comme une souillure familiale à mes enfants.                                                                                                                   laparafe.fr
Afficher l'image d'origine            Vous êtes les premiers à entendre mon histoire. Mon père était maître d'école à Chesterfield où j'ai reçu une excellente éducation. J'ai voyagé dans ma jeunesse, fait de la scène et suis finalement devenu journaliste pour un journal du soir à Londres. Un jour, mon rédacteur souhaita avoir une série d'articles sur la mendicité dans la métropole et je fus volontaire pour les lui fournir. C'est là le point de départ de mes aventures. C'était seulement en essayant de mendier comme amateur que je pouvais réunir les faits sur lesquels fonder mes articles. En tant qu'acteur j'avais bien sûr appris tous les secrets du maquillage et j'étais célèbre au foyer des artistes pour mon habileté. J'ai donc tiré avantage de mes talents. J'ai peint mon visage et, pour me rendre aussi pitoyable que possible, j'ai fait une belle cicatrice et fixé un côté de ma lèvre en une torsion à l'aide d'un petit morceau d'emplâtre de couleur chair. Puis, avec une perruque rouge et des vêtements appropriés, j'ai pris ma place dans la partie la plus active de la City, prétendument comme vendeur d'allumettes, mais en réalité comme mendiant. Pendant sept heures, j' m'adonnai à mon commerce et quand je revins à la maison dans la soirée, je m'aperçus à ma surprise, que j'e n'avais pas reçu moins de vingt-six shillings et quatre pennies.
            J'écrivis mes articles et ne pensai plus guère à l'affaire jusqu'à ce que j'endosse une note pour un ami et reçoive une assignation pour vingt-cinq livres. Je me creusais la tête pour savoir où trouver l'argent, mais une idée soudaine me vint. J'implorai un délai de quinze jours auprès de mon créditeur, demandai des vacances à mes employeurs et passai mon temps à mendier dans la City sous mon déguisement. En dix jours j'avais mon argent et j'avais payé ma dette.
            Eh bien vous pouvez imaginer comme il fut difficile de revenir à un travail laborieux payé deux livres par semaine quand je savais que je pouvais gagner autant en un jour si je barbouillais mon visage avec un peu de fard, étalais mon béret sur le trottoir et restais tranquillement assis. Ce fut une longue lutte entre mon orgueil et l'argent, mais l'argent finit par gagner. Je laissai tomber le journalisme et m'assis jour après jour dans le coin que j'avais choisi, inspirant pitié avec mon visage affreux et remplissant mes poches de monnaie. Seul un homme connaissait mon secret. Le propriétaire d'une fumerie en sous-sol où je logeais dans Swandam Lane. De là je pouvais sortir tous les matins en mendiant crasseux et où je me transformais le soir en habillé en tenue de ville. L'individu, un Lascar, était bien payé pour son appartement, aussi je savais que mon secret était en sécurité en sa possession.
            Or, très bientôt je me rendis compte que je gagnais des sommes d'argent considérables. Je ne veux pas dire que n'importe quel mendiant dans les rue de Londres pourrait gagner sept cents livres par an, ce qui est moins que ma recette moyenne, mais j'avais des avantages exceptionnels avec mon art du maquillage et aussi une facilité de repartie qui s'accrut avec la pratique et fit de moi un personnage tout à fait reconnu dans la City. Toute la journée, un flot de pennies, alternant avec des pièces d'argent, se déversait sur moi, et c'était un très mauvais jour quand je n'atteignais pas deux livres.
            Comme je devenais plus riche, je devenais plus ambitieux. J'achetai une maison à la campagne et me mariai finalement, sans que personne n'ait eu de soupçons sur mon activité réelle. Ma chère femme savait que j'avais des affaires dans la City. Elle ne savait guère lesquelles.
Résultat de recherche d'images pour "douanier rousseau"            Lundi dernier j'avais fini ma journée et je m'habillais dans ma chambre au-dessus de la fumerie d'opium, quand je regardai pas la fenêtre et vis, avec horreur et étonnement, que ma femme se tenait dans la rue, les yeux fixés en plein sur moi. Je poussai un cri de surprise, levai les bras pour cacher mon visage, et me précipitai vers mon complice, le Lascar, pour le supplier d'empêcher quiconque de monter me voir. J'entendis sa voix en bas des escaliers, mais je savais qu'elle ne pourrait pas monter. J'ôtai rapidement mes vêtements, enfilai ceux de mendiant, et mis mon fard et ma perruque. Même les yeux d'une épouse n'auraient pu transpercer un déguisement si total. Mais il m'apparut qu'on fouillerait peut-être la pièce et que mes vêtements pourraient me trahir. J'ouvris brutalement la fenêtre, rouvrant dans ma violence une petite coupure que je m'étais faite ce matin-là dans la chambre. Puis je saisis mon manteau lesté par les pièces que j'avais juste transférées du sac en cuir dans lequel je transportais ma recette, je le lançai par la fenêtre et il disparut dans la Tamise. Les autres vêtements auraient suivi le même chemin, mais à ce moment-là il y eut une bousculade de policiers dans les escaliers et quelque minutes après je me rendis compte, je l'avoue, à mon soulagement, qu'au lieu d'être identifié comme Mr Neville St Clair, j'étais arrêté pour son meurtre.
            Je ne sais pas s'il y a autre chose à expliquer. J'étais déterminé à préserver mon déguisement aussi longtemps que possible et de là ma préférence pour un visage sale. Sachant que ma femme serait terriblement inquiète, j'enlevai ma bague et la confiai au Lascar à un moment où il n'y avait pas d'agent qui me regardait, avec un griffonnage rapide disant qu'elle n'avait pas de raison d'être inquiète.
            - Le billet lui est parvenu seulement hier, dit Holmes.
            - Grand Dieu ! Quelle semaine elle a dû passer.
            - La police a surveillé ce Lascar, dit l'inspecteur Bradstreet, et je peux parfaitement comprendre qu'il ait eu des difficultés à poster la lettre sans être observé. Il l'a probablement donnée à un marin de sa connaissance qui l'a oubliée pendant quelques jours.
            - C'est cela, dit Holmes en hochant la tête pour approuver, je n'ai aucun doute là-dessus. Mais n'avez-vous jamais été poursuivi pour mendicité ?
            - De nombreuses fois. Mais que représentait une amende pour moi ?
            - Cela doit se terminer ici, cependant, dit l'inspecteur Bradstreet, si la police doit taire cette histoire il ne faut plus qu'il y ait de Hugh Boone.
            - Je l'ai juré du plus solennel serment qu'un homme puisse faire.
            - Dans ce cas, je pense qu'il est probable qu'aucune nouvelle disposition ne sera prise. Mais si on vous retrouve encore une fois, tout devra être divulgué. Je suis sûr, Mr Holmes, que nous vous sommes très redevables d'avoir éclairci cette affaire. J'aimerais savoir comment vous parvenez à ces résultats.
            - Je suis parvenu à celui-ci, mon ami, en m'asseyant sur cinq oreillers et en fumant une once de tabac très fort. Je pense, Watson, que si nous partons pour Baker Street, nous devrions y être à temps pour le petit déjeuner.


                                                                  Fin

                                                                         Arthur Conan Doyle