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Comme Brutus
Monsieur Lepic
Poil de Carotte, tu n'as pas travaillé l'année dernière comme je l'espérais. Tes bulletins disent que tu pourrais beaucoup mieux faire. Tu rêvasses, tu lis des livres défendus. Doué d'une excellente mémoire, tu obtiens d'assez bonnes notes de leçons, et tu négliges tes devoirs. Poil de Carotte, il faut songer à devenir sérieux.
Poil de Carotte
Compte sur moi, papa. Je t'accorde que je me suis un peu laissé aller l'année dernière. Cette fois je me sens la bonne volonté de bûcher ferme. Je ne te promets pas d'être le premier de ma classe en tout.
Monsieur Lepic
Essaie quand même.
Poil de Carotte
Non, papa, tu m'en demandes trop. Je ne réussirai ni en géographie, ni en allemand, ni en physique et en chimie, où les plus forts sont deux ou trois types nuls pour le reste et qui ne font que ça. Impossible de les dégoter ; mais je veux - écoute, mon papa - je veux, en composition française, bientôt tenir la corde et la garder ; et si malgré mes efforts elle m'échappe, du moins je n'aurai rien à me reprocher, et je pourrai m'écrier fièrement, comme Brutus : " O vertu ! tu n'es qu'un nom ! "
Monsieur Lepic
Ah ! mon garçon, je crois que tu les manieras.
Grand frère Félix
Qu'est-ce qu'il dit, papa ?
Soeur Ernestine
Moi, je n'ai pas entendu.
Madame Lepic
Moi non plus. Répète voir, Poil de Carotte ?
Poil de Carotte
Oh ! rien, maman.
Madame Lepic
Comment ? Tu ne disais rien, et tu pérorais si fort, rouge et le poing menaçant le ciel, que ta voix portait jusqu'au bout du village ! Répète cette phrase, afin que tout le monde en profite.
Poil de Carotte
Ce n'est pas la peine, va, maman.
Madame Lepic
Si, si, tu parlais de quelqu'un ; de qui parlais-tu ?
Poil de Carotte
Tu ne le connais pas, maman.
Madame Lepic
Raison de plus. D'abord, ménage ton esprit s'il te plaît, et obéis.
Poil de Carotte
Eh bien, maman, nous causions avec mon papa qui me donnait des conseils d'ami, et par hasard, je ne sais quel idée m'est venue, pour le remercier, de prendre l'engagement, comme ce Romain qu'on appelait Brutus, d'invoquer la vertu...
Madame Lepic
Turlututu, tu barbotes. Je te prie de répéter, sans y changer un mot, et sur le même ton, la phrase de tout à l'heure. Il me semble que je ne te demande pas le Pérou et que tu peux bien faire ça pour ta mère.
Grand frère Félix
Veux-tu que je répète, moi, maman ?
Madame Lepic
Non, lui le premier, toi ensuite, et nous comparerons. Allez, Poil de Carotte, dépêchez.
Poil de Carotte
Il balbutie d'une voix pleurarde.
Ve-ertutu-u n'e qu'un-un nom.
Madame Lepic stephyprod.com
Je désespère. On ne peut rien tirer de ce gamin. Il se laisserait rouer de coups, plutôt que d'être agréable à sa mère.
Grand frère Félix
Tiens, maman, voilà comme il a dit : ( Il roule les yeux et lance des regards de défi ). Si je ne suis pas premier en composition française. ( Il gonfle ses joues et frappe du pied ), je m'écrierai comme Brutus ; ( Il lève les bras au plafond ). O vertu ! ( Il les laisse retomber sur ses cuisses ), tu n'es qu'un nom ! Voilà comme il a dit.
Madame Lepic
Bravo, superbe ! Je te félicite, Poil de Carotte, et je déplore d'autant plus ton entêtement qu'une imitation ne vaut jamais l'original.
Grand frère Félix
Mais, Poil de Carotte, est-ce bien Brutus qui a dit ça ? Ne serait-ce pas Caton ?
Poil de Carotte
Je suis sûr de Brutus : " Puis il se jeta sur une épée que lui tendit un de ses amis et mourut ".
Soeur Ernestine
Poil de Carotte a raison. Je me rappelle même que Brutus simulait la folie avec de l'or dans une canne.
Poil de Carotte
Pardon, soeur, tu t'embrouilles. Tu confonds mon Brutus avec un autre.
Soeur Ernestine
Je croyais. Pourtant je te garantis que mademoiselle Sophie nous dicte un cours d'histoire qui vaut bien celui de ton professeur au lycée.
Madame Lepic
Peu importe. Ne vous disputez pas. L'essentiel est d'avoir un Brutus dans sa famille, et nous l'avons. Que grâce à Poil de Carotte, on nous envie ! Nous ne connaissions point notre honneur. Admirez le nouveau Brutus. Il parle latin comme un évêque et refuse de dire deux fois la messe pour les sourds. Tournez-le : vu de face, il montre les taches d'une veste qu'il étrenne aujourd'hui, et vu de dos, son pantalon déchiré. Seigneur, où s'est-il encore fourré ? Non, mais regardez-moi la touche de Poil de Carotte Brutus ! Espèce de petite brute, va !
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phil-ouest.com
Lettres choisies
de Poil de Carotte à M. Lepic
et quelques réponses
de M. Lepic à Poil de Carotte
De Poil de Carotte à M. Lepic
Institution Saint-Marc
Mon cher papa,
Mes parties de pêche des vacances m'ont mis l'humeur en mouvement. Des gros clous me
sortent des cuisses. Je suis au lit. Je reste couché sur le dos et madame l'infirmière me pose des cataplasmes. Tant que le clou n'a pas percé, il me fait mal.Après, je n'y pense plus. Mais ils se multiplient comme des petits poulets. Pour un de guéri, trois reviennent. J'espère d'ailleurs que ce ne sera rien.
Ton fils affectionné.
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Puisque tu prépares ta première communion et que tu vas au catéchisme, tu dois savoir que l'espèce humaine ne t'a pas attendu pour avoir des clous. Jésus-Christ en avait aux pieds et aux mains. Il ne se plaignait pas et pourtant les siens étaient vrais.
Ton père qui t'aime.
De Poil de Carotte à M. Lepic
Mon cher papa,
Je t'annonce avec plaisir qu'il vient de me pousser une dent. Bien que je n'aie pas l'âge, je crois que c'est une dent de sagesse précoce. J'ose espérer qu'elle ne sera pas la seule et que je te satisferai toujours par ma bonne conduite et mon application.
Ton fils affectionné.
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Juste comme ta dent poussait, une des miennes se mettaient à branler. Elle s'est décidée à tomber hier matin. De telle sorte que si tu possèdes une dent de plus, ton père en possède une de moins. C'est pourquoi il n'y a rien de changer et le nombre de dents de la famille reste le même.
Ton père qui t'aime.
De Poil de Carotte à M. Lepic
Mon cher papa,
Imagine-toi que c'était hier la fête de M. Jâques, notre professeur de latin, et que, d'un commun accord, les élèves m'avaient élu pour lui présenter les voeux de toute la classe. Flatté de cet honneur, je prépare longuement le discours où j'intercale à propos quelques citations latines. Sans fausse modestie, j'en suis satisfait. Je le recopie au propre sur une grande feuille de papier ministre et, le jour venu, excité par mes camarades qui murmuraient : " Vas-y, vas-y donc ! " je profite d'un moment où M. Jâques ne nous regarde pas et je m'avance vers sa chaire. Mais à peine ai-je déroulé ma feuille et articulé d'une voix forte :
Vénéré Maître
que M. Jâques se lève furieux et s'écrie :
- Voulez-vous filer à votre place plus vite que ça !
que mes amis se cachent derrière leurs livres et que M. Jâques m'ordonne avec colère :
- Traduisez la version.
Mon cher papa, qu'en dis-tu ?
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Quand tu seras député, tu en verras bien d'autres. Chacun son rôle. Si on a mis ton professeur dans une chaire, c'est apparemment pour qu'il prononce des discours et non pour qu'il écoute les tiens.
De Poil de Carotte à M. Lepic
Mon cher papa,
Je viens de remettre ton lièvre à M. Legris, notre professeur d'histoire et géographie. Certes, il me parut que ce cadeau lui faisait plaisir. Il te remercie vivement. Comme j'étais entré avec mon parapluie mouillé, il me l'ôta lui-même des mains pour le reporter au vestibule. Puis nous causâmes de choses et d'autres. Il me dit que je devais enlever, si je voulais, le premier prix d'histoire et de géographie à la fin de l'année. Mais croirais-tu que je restais sur mes jambes tout le temps que dura notre entretien et que M. Legris qui, à part cela, fut très aimable, je le répète, ne me désigna même pas un siège ?
Est-ce oubli ou impolitesse ?
Je l'ignore et serais curieux, mon cher papa, de savoir ton avis.
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Tu réclames toujours. Tu réclames parce que M. Jâques t'envoie t'asseoir, et tu réclames parce que M. Legris te laisse debout. Tu es peut-être encore trop jeune pour exiger des égards. Et si M. Legris ne t'a pas offert une chaise, excuse-le : c'est sans doute que, trompé par ta petite taille, il te croyait assis.
De Poil de Carotte à M. Lepic
Mon cher papa, pinterest.fr
J'apprends que tu dois aller à Paris. Je partage la joie que tu auras en visitant la capitale que je voudrais connaître et où je serai de coeur avec toi. Je conçois que mes travaux scolaires m'interdisent ce voyage, mais je profite de l'occasion pour te demander si tu ne pourrais pas m'acheter un ou deux livres. Je sais les miens par coeur. Choisis n'importe lesquels. Au fond, ils se valent. Toutefois, je désire spécialement La Henriade par François-Marie-Arouet de Voltaire, et La Nouvelle Héloïse, par Jean-Jacques Rousseau. Si tu me les rapportes ( les livres ne coûtent rien à Paris ), je te jure que le maître d'étude ne me les confisquera jamais.
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Ta lettre de ce matin m'étonne fort. Je la relis vainement. Ce n'est plus ton style ordinaire et tu y parles de choses bizarres qui ne me semblent ni de ta compétence ni de la mienne.
D'habitude, tu nous racontes tes petites affaires, tu nous écris les places que tu obtiens, les qualités et les défauts que tu trouves à chaque professeur, les noms de tes nouveaux camarades, l'état de ton linge, si tu dors et si tu manges bien.
Voilà ce qui m'intéresse. Aujourd'hui, je ne comprends plus. A propos de quoi, s'il te plaît, cette sortie sur le printemps alors que nous sommes en hiver ? Que veux-tu dire ? As-tu besoin d'un cache-nez ? Ta lettre n'est pas datée et on ne sait si tu l'adresses à moi ou au chien. La forme même de ton écriture me paraît modifiée, et la disposition des lignes, la quantité de majuscules me déconcertent. Bref, tu as l'air de te moquer de quelqu'un. Je suppose que c'est de toi, et je tiens à t'en faire non un crime, mais l'observation.
Réponse de Poil de Carotte
Mon cher papa,
Un mot à la hâte pour t'expliquer ma dernière lettre. Tu ne t'es pas aperçu qu'elle était en vers.
*************************
. Le Toiton
.jardizone.be
Ce petit toit où, tour à tour, ont vécu des poules, des lapins, des cochons, vide maintenant, appartient maintenant en toute propriété à Poil de Carotte pendant les vacances. Il y entre commodément, car le toiton n'a plus de porte. Quelques grêles orties en parent le seuil, et si Poil de Carotte les regarde à plat ventre, elles lui semblent une forêt. Une poussière fine recouvre le sol. Les pierres des murs luisent d'humidité. Poil de Carotte frôle le plafond de ses cheveux. Il est là chez lui et s'y divertit, dédaigneux des jouets encombrants, aux frais de son imagination.
Son principal amusement consiste à creuser quatre nids avec son derrière, un à chaque coin du toiton. Il ramène de sa main, comme d'une truelle, des bourrelets de poussière et se cale.
Le dos au mur lisse, les jambes pliées, les mains croisées sur ses genoux, gîté, il se trouve bien. Vraiment, il ne peut pas tenir moins de place, il oublie le monde, ne le craint plus. Seul, un bon coup de tonnerre le troublerait.
L'eau de vaisselle qui coule non loin de là, par le trou de l'évier, tantôt à torrent, tantôt goutte à goutte, lui envoie des bouffées fraîches.
Brusquement, une alerte.
Des appels approchent, des pas.
- Poil de Carotte ? Poil de Carotte ?
Une tête se baisse et Poil de Carotte, réduit en boulette, se poussant dans la terre et le mur, le souffle mort, la bouche grande, le regard même immobilisé, sent que des yeux fouillent l'ombre.
- Poil de Carotte, es-tu là ?
Les tempes bosselées, Il souffre. Il va crier d'angoisse.
- Il n'y est pas, le petit animal. Où diable est-il ?
On s'éloigne, et le corps de Poil de Carotte se dilate un peu, reprend de l'aise.
Sa penssée parcourt encore de longues routes de silence.
Mais un vacarme emplit ses oreilles. Au plafond, un moucheron s'est pris dans une toile d'araignée, vibre et se débat. Et l'araignée glisse le long d'un fil. Son ventre a la blancheur d'une mie de pain. Elle reste un instant suspendue, inquiète, pelotonnée.
Poil de Carotte, sur la pointe des fesses, la guette, aspire au dénouement, et quand l'araignée tragique fonce, ferme l'étoile de ses pattes, étreint la proie à manger, il se dresse debout, passionné, comme s'il voulait sa part.
Rien de plus.
L'araignée remonte. Poil de Carotte se rassied, retourne en lui, en son âme de lièvre où il fait noir.
Bientôt, comme un filet d'eau alourdie par le sable, sa rêvasserie, faute de pente, s'arrête, forme flaque et croupit.
à suivre................
Imagine-toi que c'était hier la fête de M. Jâques, notre professeur de latin, et que, d'un commun accord, les élèves m'avaient élu pour lui présenter les voeux de toute la classe. Flatté de cet honneur, je prépare longuement le discours où j'intercale à propos quelques citations latines. Sans fausse modestie, j'en suis satisfait. Je le recopie au propre sur une grande feuille de papier ministre et, le jour venu, excité par mes camarades qui murmuraient : " Vas-y, vas-y donc ! " je profite d'un moment où M. Jâques ne nous regarde pas et je m'avance vers sa chaire. Mais à peine ai-je déroulé ma feuille et articulé d'une voix forte :
Vénéré Maître
que M. Jâques se lève furieux et s'écrie :
- Voulez-vous filer à votre place plus vite que ça !
que mes amis se cachent derrière leurs livres et que M. Jâques m'ordonne avec colère :
- Traduisez la version.
Mon cher papa, qu'en dis-tu ?
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Quand tu seras député, tu en verras bien d'autres. Chacun son rôle. Si on a mis ton professeur dans une chaire, c'est apparemment pour qu'il prononce des discours et non pour qu'il écoute les tiens.
De Poil de Carotte à M. Lepic
Mon cher papa,
Je viens de remettre ton lièvre à M. Legris, notre professeur d'histoire et géographie. Certes, il me parut que ce cadeau lui faisait plaisir. Il te remercie vivement. Comme j'étais entré avec mon parapluie mouillé, il me l'ôta lui-même des mains pour le reporter au vestibule. Puis nous causâmes de choses et d'autres. Il me dit que je devais enlever, si je voulais, le premier prix d'histoire et de géographie à la fin de l'année. Mais croirais-tu que je restais sur mes jambes tout le temps que dura notre entretien et que M. Legris qui, à part cela, fut très aimable, je le répète, ne me désigna même pas un siège ?
Est-ce oubli ou impolitesse ?
Je l'ignore et serais curieux, mon cher papa, de savoir ton avis.
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Tu réclames toujours. Tu réclames parce que M. Jâques t'envoie t'asseoir, et tu réclames parce que M. Legris te laisse debout. Tu es peut-être encore trop jeune pour exiger des égards. Et si M. Legris ne t'a pas offert une chaise, excuse-le : c'est sans doute que, trompé par ta petite taille, il te croyait assis.
De Poil de Carotte à M. Lepic
Mon cher papa, pinterest.fr
J'apprends que tu dois aller à Paris. Je partage la joie que tu auras en visitant la capitale que je voudrais connaître et où je serai de coeur avec toi. Je conçois que mes travaux scolaires m'interdisent ce voyage, mais je profite de l'occasion pour te demander si tu ne pourrais pas m'acheter un ou deux livres. Je sais les miens par coeur. Choisis n'importe lesquels. Au fond, ils se valent. Toutefois, je désire spécialement La Henriade par François-Marie-Arouet de Voltaire, et La Nouvelle Héloïse, par Jean-Jacques Rousseau. Si tu me les rapportes ( les livres ne coûtent rien à Paris ), je te jure que le maître d'étude ne me les confisquera jamais.
Réponse de M. Lepic
Mon cher Poil de Carotte,
Ta lettre de ce matin m'étonne fort. Je la relis vainement. Ce n'est plus ton style ordinaire et tu y parles de choses bizarres qui ne me semblent ni de ta compétence ni de la mienne.
D'habitude, tu nous racontes tes petites affaires, tu nous écris les places que tu obtiens, les qualités et les défauts que tu trouves à chaque professeur, les noms de tes nouveaux camarades, l'état de ton linge, si tu dors et si tu manges bien.
Voilà ce qui m'intéresse. Aujourd'hui, je ne comprends plus. A propos de quoi, s'il te plaît, cette sortie sur le printemps alors que nous sommes en hiver ? Que veux-tu dire ? As-tu besoin d'un cache-nez ? Ta lettre n'est pas datée et on ne sait si tu l'adresses à moi ou au chien. La forme même de ton écriture me paraît modifiée, et la disposition des lignes, la quantité de majuscules me déconcertent. Bref, tu as l'air de te moquer de quelqu'un. Je suppose que c'est de toi, et je tiens à t'en faire non un crime, mais l'observation.
Réponse de Poil de Carotte
Mon cher papa,
Un mot à la hâte pour t'expliquer ma dernière lettre. Tu ne t'es pas aperçu qu'elle était en vers.
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. Le Toiton
.jardizone.be
Ce petit toit où, tour à tour, ont vécu des poules, des lapins, des cochons, vide maintenant, appartient maintenant en toute propriété à Poil de Carotte pendant les vacances. Il y entre commodément, car le toiton n'a plus de porte. Quelques grêles orties en parent le seuil, et si Poil de Carotte les regarde à plat ventre, elles lui semblent une forêt. Une poussière fine recouvre le sol. Les pierres des murs luisent d'humidité. Poil de Carotte frôle le plafond de ses cheveux. Il est là chez lui et s'y divertit, dédaigneux des jouets encombrants, aux frais de son imagination.
Son principal amusement consiste à creuser quatre nids avec son derrière, un à chaque coin du toiton. Il ramène de sa main, comme d'une truelle, des bourrelets de poussière et se cale.
Le dos au mur lisse, les jambes pliées, les mains croisées sur ses genoux, gîté, il se trouve bien. Vraiment, il ne peut pas tenir moins de place, il oublie le monde, ne le craint plus. Seul, un bon coup de tonnerre le troublerait.
L'eau de vaisselle qui coule non loin de là, par le trou de l'évier, tantôt à torrent, tantôt goutte à goutte, lui envoie des bouffées fraîches.
Brusquement, une alerte.
Des appels approchent, des pas.
- Poil de Carotte ? Poil de Carotte ?
Une tête se baisse et Poil de Carotte, réduit en boulette, se poussant dans la terre et le mur, le souffle mort, la bouche grande, le regard même immobilisé, sent que des yeux fouillent l'ombre.
- Poil de Carotte, es-tu là ?
Les tempes bosselées, Il souffre. Il va crier d'angoisse.
- Il n'y est pas, le petit animal. Où diable est-il ?
On s'éloigne, et le corps de Poil de Carotte se dilate un peu, reprend de l'aise.
Sa penssée parcourt encore de longues routes de silence.
Mais un vacarme emplit ses oreilles. Au plafond, un moucheron s'est pris dans une toile d'araignée, vibre et se débat. Et l'araignée glisse le long d'un fil. Son ventre a la blancheur d'une mie de pain. Elle reste un instant suspendue, inquiète, pelotonnée.
Poil de Carotte, sur la pointe des fesses, la guette, aspire au dénouement, et quand l'araignée tragique fonce, ferme l'étoile de ses pattes, étreint la proie à manger, il se dresse debout, passionné, comme s'il voulait sa part.
Rien de plus.
L'araignée remonte. Poil de Carotte se rassied, retourne en lui, en son âme de lièvre où il fait noir.
Bientôt, comme un filet d'eau alourdie par le sable, sa rêvasserie, faute de pente, s'arrête, forme flaque et croupit.
à suivre................