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Dialogue de deux Amoureux
Le premier commence en chantant
Mon coeur est tout endormy,
Recueille moy belle
Mon coeur est tout endormy,
Recueille my
Le second
Lui, compaignon
Le premier
He, mon amy,
Comment te va?
Seconde
Par le corps bien ( beau Sire )
Ie ne te le daignerais dire
Sans t'accoller. Ca c'est eschine ;
De l'autre bras que ie t'eschine
De fine force d'accolades.
Premier
Et puis ?
Seconde
Et puis ?
Premier
Chansons, dizains, propos menus,
Compte moy qu'ilz sont devenus,
Se faict il plus rien de nouveau ?
Seconde
Si faict, mais i'en ai cerveau
Si rompu, & si altéré,
Qu'en effect, i'ai délibéré
De ne m'y rompre plus la teste.
Premier
Pourquoy cela ?
Seconde
Que tu es beste !
Ne sçais tu pas bien, qu'il y ha
Plus d'un an, qu'amour me lia
Dedens les prisons de mamye ?
Premier
Est ce encore de Barthelemie
La blondelette ?
Seconde
Et qui donc ?
Ne içais tu pas, que ie n'euz onc
D'elle plaisir, ny un seul bien ?
Premier
Nenny vrayment ie n'en sçais rien :
Mais si tu m'en eusses parlé,
Ton affaire en fuit mieux allé. ?
Croy moy, que de tenir les choses
D'amours si couvertes, & closes,
Il n'en vient que peine, & regret.
Vray est, qu'il fault estre secret :
Et seroit l'homme bien coquart,
Qui vouldroit appeler un quart :
Mais en effect il fault un tiers.
Demande à tous ces vieilz routiers,
Qui ont esté vrays Amoureux.
Seconde
Si est un tiers bien dangereux
S'il n'est amy Dieu sçait combien.
Premier
He mon amy, choysi le bien :
Quand tu l'auras bien choysi,
Si ton coeur se trouve faili
De quelque ennuyeuse tristesse,
Ou bien d'une grande liesse,
J'adore décharger.
Sçais tu comment t'allegeras ?
Tout ain si par sang scainct George,
Comme si tu rendois ta gorge.
Le iour d'un Caresmeprenant.
Seconde
Il vault donc mieux desmaintenant,
Que ie t'en compte tout du long :
N est ce pas bien dict ?
Premierr
Or la donc.
Mais pour ce, que ie suis des vieux
En cas d'amours il vauldra mieux,
Que les demandes ie te face,
Combien, de qui, en quelle place,
Des refuz, des paroles franches,
Des circonstances, & des branches,
Et des rameaux : car les ay tous,
Allant avec eux à la messe.
Or vien ça, compte moi, quand est ce,
Que premierement tu l'aymois ?
Seconde
Il y ha plus de seize moys,
Voire vingt, sans avoir iouy.
P,remier
L'aymes tu encores ?
Seconde
Justi.
Premier
Tu es un fol. Or de par Dieu,
Comment dois ie dire ? en quel lieu
Fut premier ta pensée esprise
De son amour ?
Seconde
En une Eglise :
Là commençay mes passions.
Premier
Voylà de mes deuotions !
Et quel iour fut ce ?
Seconde
Par sainct Iacques
Ce fut le propre iour de Pasques.
( A bon iour bonne oeuvre )
Premier
Et comment ?
Tu venois lors tout fretchement
De confesse, & de recvoir.
Seconde
Il esr vray : mais tu dois sçavoir,
Que touiours à ces grans iournees
Les femmes sont mieux attournees;
Qu'aux autres iours, & cela tente.
O mon Dieu, qu'elle estait contente
De sa personne, ce iour là !
Avecques la grace, qu'elle ha
Elle vous avait un corset
D'un fin Bleu, lasse d'un lasset
Iaune, qu'elle avoit faict expres.
Elle vous avoit puis après,
Mancherons d'escarlate verte,
Robbe de pers, large, & ouverte,
( i'entens à l'endroict des tétins )
Chausses noires, petits patins;
Linge blanc, ceinture houppee;
Le chapperon faict en poupee,
Les cheveux en passesillon,
Et l'oeil gay en esmerillon,
Souple et droicte, comme une gaule.
En effect sainct François de Paule,
Et le plus sainct Italien
Eut esté prins en son lien
S'à la voir se fut amusé.
Premier
Ie te tiens donc pour excuse
Pour ce iour-là : que fuz tu ?
Seconde
Pris.
Premier
Quel visage as tu d'elle ?
Seconde
Gris.
Premier
Ne te rit elle iamais ?
Seconde
Point.
Premier
Que veux tu estre à elle ?
Seconde
Ioinct.
Premier
Par mariage, ou autrement :
Lequel veux tu ?
Seconde
Par mon serment
Tous deux sont bons, & si ne sçay :
Ie l'aymerois mieux à l'essay,
Avant qu'entrer en mariage.
Premier
Touche-la, tu as bon courage,
Et si n'es point trop desgousté,
Tu l'auras, & d'autre costé
On m'ha dit, qu'elle est amyable,
Comme un mouton.
Seconde
Elle est le Diable.
C'est par sa teste que i'endure :
Elle est par le corps bien plus dure,
Que n'est le pommeau d'une dague.
Premier
C'est signe qu'elle est bonne bague
Compaignon.
Seconde
Voicy un moqueur :
I'entens dure parmy le coeur :
Car quant au corps n'y touche mie,
Des que ie l'appelle mamye :
Vostre amye n'est pas si noire,
Faict elle. Vous ne sçauriez croire,
Comme elle est prompte à me desdire,
Du tout.
Premier
Ainsi.
Seconde
Laisse moy dire.
Si tost, que ie la veux toucher,
Ou seulement m'en approcher,
C'est peine, ie n'ay nul crédit :
Et sçais yu bien qu'elle me dit ?
Un fascheux, & vous c'est tout un :
Vous estes le plus iùpotyun,
Que iamais ie vy. En effect
I en voudrois estre la deffaict,
Et m'en croyez.
Premier
Que tu es belistre !
Et n'ha tu pas ton franc arbitré
Pour sortir d'où tu es entré ?
Sevond
Arbitre ? C'est bien arbitré :
Ie le veux bien, mais ie ne puis.
Bien un an l'ay laissee, & puis
I'ay parle aux Egyptienn es
Et aux sorcieres anciennes;
D'y chercher iusque au dernier poinct
Le moyen de ne l'aymer point.
Mais ie ne m'en puis descoiffer.
Ie pense que c'est un Enfer,
Dont iamais ie ne sortiray.
Premier
Par mon ame ie te diray :
Puis qu'il n'est pas en ta puissance
De la laisser, sa iouyssance
Te feroit une grand' recept
Seconde
Sa iouyssance ? Ie l'accepte
Amenez la moy.
Premier
Non : attens.
Mais à fin que ne perdons temps,
Compte moy cy par les menuz
Les moyens que tu as tenuz
Pour parvenir à ton affaire.
Seconde
I'ay faict tout ce, qu'on sçauroit faire
I'ay souspiré, i'ay faict des criz,
I'ay rnvoyé de beaux escriptz;
I'ay danse, & au faict gambades,
Ie luy ai tant donné d'oeillades,
Que mes yeux en sont tous lassez.
Premier
Encore n'est ce pas assez.
Seconde fredpailhes
Ie l'attendais au benoistier.
Premier
Encores n'est ce pas assez.
Seconde
Ie luy ay dit qu'elle etait belle,
I' ay baise la paix après elle,
Ie luy ay donné fruicts nouveaux
Acheptés en la place aux veaux
Disant, que c'estait de mon creu,
Ie ne sçay si elle l'a creu ;
Et puis tant de bouquetz, & roses.
Bref elle ha mis toutes ces choses
Au ranc des pechez effacez.
Premier
Encores n'est ce pas assez,
Il falloit estre diligent
De luy donner.
Seconde
Quoy ?
Premier
De l'argent.
Quelque chaine d'or bien pesante,
Quelque esmeraude bien luysante,
Quelques patenostres de preïs,
Tout soudain cela seroit pris
Et en le prenant el' s'oblige.
Seconde
El' n'en prendrait iamais te dis ie :
Car c'est une femme d'honneur.
Premier
Mais tu es un mauvais donneur,
J'en fais bien trois.
Seconde
Non suis point ;
Mais croy qu'elle n'en prendroit point,
En y eutil plein trois barilz.
Premier
Mon amy elle est de Paris,
Ne te y fien car c'est un lieu
Le plus gluant.
Seconde
Par le corps bleu
Tu me comptes de grans matières.
Premier
Quand les petites vilotieres,
Trouvent quelque hardy Amant,
Qui vueille mettre un Dyamant
Devant leurs yeux rians, & vers,
Coac elles tombent à l'envers.
Tu ris, maudit soit il, qui erre :
C'est la grand' vertu de la pierre
Qui esblouit ainsi les yeux.
Tels dons, tels presens servent mieux,
Que beauté, sçavoir, ne prieres.
Ilz endorment les chamberieres,
Ilz ouvrent les portes fermees;
Comme s'elles estoient charmees ;
Ils font aveugles ceux qui voyent,
Et taire les chiens, qui aboyent :
Ne me crois tu pas ?
Seconde
Si fais, si.
Mais de la tienne, Dieu mercy
Compaignon tu ne m'en dy rien.
Premier
Et que veux tu : el' m'aymr bien,
Ie n'ay que faire de m'en plaindre.
Seconde
Il est vray : mais sy peut on faindre
Aucunesfois une amitié
Qui n'est pas si grand' la moytié
Comme on la demontre par signes.
Premier
Ouy bien quand aux femmes fines :
Mais la mienne en si grand' ieunesse
Ne sçauroit avoir grand' finesse :
Ce n'est qu'un enfant.
Seconde
De quel aage ?
Premier
De quatorze ans.
Seconde
Ho, voyla rage :
Elle commence de bonne heure.
Premier
Tant mieux : elle en sera plus seure,
Car avec le temps on s'affine.I
Seconde
Ouy, elle en sera plus fine,
N'est ce pas cela ?
Premier
Que d'esmoy !
Entens, que son amour en moy
Coistra toujours avec les années.
Seconde
Ne faisons pas tant des plaisans :
Par tout il y ha descevance
Dequoy la congnois tu ?
Premier
D'enfance.
D'enfance tout premierement.
Car nous estions prochains voysins.
L'esté luy donnois des raisins,
Des pommes, des prunes, des poires,
Des pois verdz, de cerises noires,
Du pain benist, du pain d'espice,
Des eschaidez, de la reglisse,
De bon succre, & de la dragee.
Et quand elle fut plus aagee,
Ie lui donnois de beaux bouquets,
Un tas de petits assiquets,
Qui n'estoient pas de grand'valeur :
Quelque ceincture de couleur
Au temps que le Landit venoit.
Encor de moy rien ne prenoit,
Que devant sa mère, ou son père,
Disant, que c'estoit vitupere
De prendre rien sans congé d'eux.
D'huy à un bon an, ou à deux,
L'huy donneray & corps et biens
Pour les mesler avec les siens,
Et à son gré en disposer
Seconde
Tu l'aymes donc pour l'espouser ?
Premier
Ouy, car ie scay seurement,
Que ceux : qui ayment autrement,
Sont voluntiers tous marmiteux :
L'un est fasché, l'autre est piteux,
L'un brusle & art, l'autre est transi.
Qu'ay ie que faire d'estre ainsi ?
Ainsi comme i'ayme mamye,
Cinq, six, sept heures, & et demie
L'entretiendray, voire dix ans :
Sans avoir peur des mesdisans,
Et sans danger de ma personne.
Seconde
Corps bieu ta raison est tresbonne :
Car d'une bonne intention
Ne vient doubt, ni passion.
Mais compaignon ie te demande,
Quelle est la matiere plus grande,
Qu'elle t'ha offerte desia ?
Premier
Ma foy ie ne mentiray ia,
Ie n'ose toucher son teton,
Mais ie la prens par le menton,
Et tout premierement la baise.
Second
Ventre sainct gris que tu es aise
Compaignon d'amours.
Premier
Par ce corps,
Quand il fault, que i'aille dehors,
Si tost qu'elle en est advertie,
Et que c'est loing, ma departie
La faict pleurer, comme un oignon.
Second
Ie puisse mourir, compaignon,
Ie croy, que tu es plus heureux
Cent fois que tu n'es amoureux.
Ô le grand aise, en quoy tu vis !
Mais pourquoy est ce, à ton advis,
Que la mienne m'est si estrange,
Et qu'elle prise moins, que fange
Ma peine, & moy, & mon pourchas ?
Premier
C'est signe que tu ne couchas
Encores iamais avec elle.
Second
Corps bieu tu me la bailles belle :
Ien devinerois bien autant.
Or si poursuivray ie pourtant
La chasse, que i'ay entreprinse :
Car tant plus on tarde à la prinse,
Tant plus doulx en est le repos.
Premier
Une chanson avec propos
N'auroy point trop mauvaise grace :
Disons la.
Second
La dirons nous grasse
De mesme le iour ?
Premier
Rien quelconques :
Honneur partout.
Commençons donques.
Second
Languir me fait,
Contentent desir ?
Premier
A telles ne prens point plaisir,
Elles sentent trop leurs clamours.
Second
Disons donques, i'uis qu'en amours :
Tu la diz assez voluntiers.
Premier
Il est vray, mais il fault un tiers;
Car elle est composée à trois.
Un Quidam
Messieurs, s'il vous plaist, que ie y soys.
Ie servirai d'enfant de coeur.
Car ie la sçay toute par coeur;
Il ne s'en fault pas une notte.
Second
Bien venu par sainct Penotte,
Sois mignon le bien arrive.
Premier
Luy siet il bien d'estre privé !
Chantez vous clair ?
Quidam
Comme layton :
Baillez moi seulement le ton
Et vous verrez, si ie l'entens
Puis qu'en amours ha si beau
Passetemps.
Clément Marot
( 1496 - 1544 )