jeudi 15 avril 2021

Le Journal du Séducteur Sören Kierkegaard 11 ( Essai Danemark )

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            Me voilà donc en possession légitime de Cordélia. J'ai le consentement et le bénédiction de la tante, les félicitations des amis et des parents. On verra bien si cela persiste.
            Les tracas de la guerre sont donc du passé, et les bienfaits de la paix commenceront. Quelles sottises ! Comme si les bénédictions de la tante, les félicitations des amis étaient capables, au sens le plus profond, de me mettre en possession de Cordélia. Comme si l'amour exprimait un tel contraste entre le temps de guerre et le temps de paix ! n'est-ce pas plutôt que, tant qu'il dure, il se proclame en lutte, même si les armes sont autres ? La différence est, au fond, si la lutte a lieu " cominus " ou " eminus ". Dans les affaires de cœur plus la lutte a eu lieu " eminus ", plus c'est triste, car plus la mêlée devient insignifiante. La mêlée inclut des poignées de main, des attouchements de pied, qu'Ovide, comme on sait, recommande et déconseille à la fois avec une jalousie profonde, et je ne parle pas des baisers et des étreintes. Celui qui lutte " eminus " n'a, en général, comme armes que ses yeux, et pourtant, s'il s'en sert en artiste, sa virtuosité lui permettra d'arriver presque au même résultat.
            Il pourra porter ses yeux sur une jeune fille avec une tendresse trompeuse qui agit comme s'il la touchait accidentellement. Il sera capable de la saisir aussi fermement avec ses yeux que s'il la tenait serrée dans ses bras. Mais ce sera toujours une faute ou un malheur de lutter trop longtemps " eminus ", car une telle lutte n'est qu'une indication et non pas une jouissance. Ce n'est qu'en luttant " cominus " que tout aura sa signification réelle.
            L'amour cesse s'il n'y a pas de lutte. Je n'ai presque pas du tout lutté " eminus ", et c'est pourquoi je ne me trouve pas à la fin mais au début, et je sors les armes.
            Je la possède, c'est vrai, mais au sens juridique et prudhommesque, et je n'en retire aucun avantage, j'ai des intentions beaucoup plus pures. Elle est fiancée, à moi, c'est vrai. Mais, si j'en concluais qu'elle m'aime, ce serait une déception, car elle n'aime pas du tout. Je la possède légitimement, et je ne suis pourtant pas en possession d'elle, de même qu'on peut bien être en possession d'une jeune fille sans la posséder légitimement.

                                            Auf  heimlich errötender Wange
                                            Leuchter des Herzens Glühen.
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             Elle est assise sur le sofa devant la table à thé et moi sur une chaise, je suis à côté d'elle. Cette position, bien qu'intime, est d'une dignité qui éloigne.
            Enormément de choses dépendent de la position, c'est-à-dire pour celui qui comprend. L'amour en possède beaucoup, mais celle-ci est la première.
            Comme la nature a royalement doté cette jeune fille ! Ses chastes formes si douces, sa profonde candeur féminine, ses yeux clairs, tout m'enivre. Je l'ai saluée. Elle est venue à ma rencontre avec sa gaieté habituelle, mais un peu confuse, un peu désorientée. 
            Les fiançailles doivent bien un peu modifier nos rapports, mais comment ? elle ne le sait pas. Elle m'a pris la main, mais sans sourire comme d'habitude. Je lui ai rendu son salut d'une poignée de main légère, presque imperceptible. J'étais affectueux, aimable, mais sans manifester d'érotisme. Elle est assise sur le sofa, devant la table à thé, et moi sur une chaise à côté d'elle.
            Une solennité radieuse plane sur la situation, une douce lumière matinale. Elle est silencieuse, rien n'interrompt le calme. Mes yeux glissent sur elle doucement, sans convoitise, ce qui serait effronté. Une rougeur fine et fuyante, comme un nuage sur les champs, passe sur elle et dépérit lentement. Que signifie cette rougeur ? Est-ce de l'amour, du désir, de l'espoir, de la crainte ? Car la couleur du cœur est le rouge. Rien de tout cela. Elle s'étonne, elle est surprise, non pas de moi, ce serait trop peu lui offrir, elle s'étonne non pas d'elle-même, mais en elle-même, elle se transforme en elle-même. Cet instant exige le silence, c'est pourquoi aucune réflexion ne doit venir le troubler, aucun bruit de passion le rompre. C'est comme si j'étais absent, Pourtant, c'est justement ma présence  qui est à la base de sa surprise contemplative. Nos natures sont en harmonie. C'est dans un tel état qu'une jeune fille, comme quelques divinités, est adorée par le silence.   


            Quelle chance que j'occupe la maison de mon oncle. Pour dégoûter un jeune homme du tabac je l'introduirais dans quelque fumoir de Regensen. Si je désire dégoûter une jeune fille des fiançailles je n'ai qu'à l'introduire ici. Comme il n'y a que des tailleurs pour aller au siège de la corporation des tailleurs, seuls des fiancés viennent ici. C'est effarant d'être tombé dans une telle compagnie et je ne peux blâmer Cordélia de s'impatienter. Quand nous nous réunissons en masse, je crois que nous sommes dix couples, sans compter les bataillons annexes qui, aux grandes fêtes, arrivent de la province.
            Je me présente avec Cordélia sur la place d'alarme afin de la dégoûter de ces palpabilités passionnées, de ces gaucheries d'artisans amoureux. Sans discontinuer, tout le long de la soirée on entend un bruit comme si quelqu'un se promenait avec un tue-mouches. Il s'agit des baisers des amoureux. On se comporte dans cette maison avec un sans-gêne aimable. On ne cherche même pas les coins, non ! on reste assis autour d'une grande table ronde. Moi aussi, je fais mine de traiter Cordélia de même. A cette fin, je dois faire effort sur moi-même. Il serait vraiment révoltant que je me permette de blesser sa profonde féminité de cette façon. Je me le reproche plus que si je la trompais.
            En somme, toutes les jeunes filles qui veulent se confier à moi peuvent être assurées d'un traitement parfaitement esthétique, seulement, à la fin bien entendu, elles seront trompées, mais aussi c'est une clause dans mon esthétique car, ou bien la jeune fille trompe l'homme, ou bien c'est l'homme qui trompe la jeune fille. Il serait assez intéressant d'obtenir de quelque rosse littéraire qu'elle compte dans les fables, les légendes, les chansons populaires, les mythologies, si une jeune fille est plus souvent infidèle qu'un homme.
            Je ne regrette pas le temps que Cordélia me coûte, bien qu'elle m'en coûte beaucoup. Toute rencontre demande souvent de longs préparatifs. Je vis avec elle la naissance de son amour. Ma présence est presque invisible bien que je sois visiblement assis près d'elle. Une danse qui devrait réellement être dansée par deux mais qui ne l'est que par un, donne l'image de mon rapport avec elle. Car je suis le danseur numéro deux, mais je suis invisible. Elle se conduit comme si elle rêvait et pourtant, elle danse avec un autre, cet autre étant moi, invisible bien que visiblement présent, et visible bien qu'invisible.                                                                                                                   pinterest.cl
            Les mouvements exigent un second danseur, elle s'incline vers lui, elle lui tend la main, elle s'enfuit, elle s'approche de nouveau. Je prends sa main, je complète sa pensée qui est pourtant achevée en elle-même. Ses mouvements suivent la mélodie de sa propre âme, je ne suis que le prétexte de ces mouvements. Je ne suis pas érotique, ce qui ne ferait que l'éveiller, je suis souple, malléable, impersonnel, je présente presque un état d'âme.
            De quoi parlent, généralement, les fiancés. Autant que je sache ils s'appliquent beaucoup à s'emmêler l'un l'autre dans les ennuyeux rapports de parenté des deux familles. 
            Est-ce alors étonnant que l'érotisme n'y ait pas de place ? Si on ne sait pas faire de l'amour cet absolu auprès de quoi toute autre histoire disparaît, on ne devrait jamais se hasarder à aimer, même pas si on se mariait dix fois.
            Si j'ai une tante qui s'appelle Marianne, un oncle nommé Christophe, un père chef de bataillon, etc., toutes ces questions de notoriété publique n'ont rien à faire avec les mystères de l'amour. Oui, même votre propre passé est sans importance. Une jeune fille n'a généralement rien à raconter à cet égard. Dans le cas contraire, peut-être pourrait-on l'écouter, mais la plupart du temps, non l'aimer. 
            Personnellement, je ne recherche pas d'histoires. Il est vrai de dire que j'en ai eues pas mal. Je recherche l'immédiateté. Le fonds éternel de l'amour c'est que les individus ne naissent l'un pour l'autre que dans son instant suprême.
            Il faut qu'un peu de confiance soit éveillée chez elle, ou plutôt qu'un doute soit éloigné. Je n'appartiens pas précisément au nombre de ces amants qui s'aiment par estime, qui se marient par estime et qui, par estime, ont ensemble des enfants, mais je sais bien que l'amour, tant que la passion n'a pas été mise en mouvement, exige de celui qui en est l'objet qu'il ne choque pas esthétiquement la morale. L'amour a sa propre dialectique à cet égard. Par exemple, tandis que du point de vue de la morale, mes rapports avec Edouard sont beaucoup plus blâmables que ma conduite envers la tante, il me sera beaucoup plus facile de justifier ceux-là que celle-ci pour Cordélia.
            Il est vrai qu'elle n'a rien dit, mais j'ai tout de même trouvé qu'il valait mieux lui expliquer pourquoi j'ai dû me conduire ainsi. Ma précaution a flatté sa fierté et le mystère que j'y mettais à captivé son attention. Il se peut qu'en cela j'ai trahi déjà trop de formation érotique, que je serai plus tard en contradiction avec moi-même lorsque je serai forcé d'insinuer que je n'ai jamais aimé auparavant, mais cela n'a pas d'importance. Je ne crains pas de me contredire, pourvu qu'elle ne le flaire pas et que j'atteigne mon but. Libre aux disputailleurs savants de mettre de l'orgueil à éviter toute contradiction, la vie d'une jeune fille est trop riche pour en être exempte et elle rend donc la contradiction nécessaire.

            Elle est fière et, en outre, n'a aucune idée de l'érotisme. En matière spirituelle, il est vrai, elle me rend quelque hommage, mais quand l'érotisme commencera à se faire valoir il est fort possible qu'elle s'avise de tourner sa fierté contre moi. D'après tout ce que j'ai pu observer, elle ne sait que penser de l'importance réelle de la femme. C'est pourquoi il a été facile de soulever sa fierté contre Edouard. Mais cette fierté était tout à fait excentrique parce qu'elle n'avait aucune idée de l'amour. Dès qu'elle s'en fera une, sa vraie fierté naîtra, mais un reste de cette fierté excentrique pourrait bien s'y joindre, et alors il est toujours possible qu'elle se tourne contre moi.
            Elle ne se repentira pas d'avoir consenti aux fiançailles, mais cependant elle verra aisément que j'en suis sorti à bon marché et que de son côté l'histoire est mal partie. Si elle s'en rend compte elle osera m'affronter. Et c'est bien ce qu'il faut. Je saurai alors jusqu'à quel point l'émotion l'a pénétrée.
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            En effet ! De loin, dans la rue, j'ai déjà vu cette jolie petite tête bouclée qui se penche aussi loin que possible par la fenêtre. Voilà trois jours que je la remarque

          Ce n'est sûrement pas pour rien qu'une jeune fille regarde par la fenêtre, elle a sans doute ses raisons... Mais, je vous en prie, pour la grâce du ciel, ne vous penchez pas autant que cela. Je parie que vous êtes montée sur le barreau de la chaise, je le devine à la position. Rendez-vous compte de l'horreur que ce serait si vous tombiez sur une tête, non pas la mienne, car je reste, jusqu'à nouvel ordre, en-dehors de l'affaire, mais sur la sienne, car enfin il faut bien qu'il y en ait un... 
            Tiens, qu'est-ce que je vois là-bas, au milieu de la rue ? Mais, c'est mon ami le licencié Hansen. Sa tenue est singulière, il a choisi un véhicule exceptionnel et, à en juger par les apparences, il arrive sur les ailes du désir. Fréquenterait-il cette maison ? Et moi qui ne le savais pas...
            " Ma belle demoiselle, vous avez disparu. Oh ! je comprends, vous êtes allée ouvrir la porte pour le recevoir...
             Mais revenez donc, il n'a rien à faire du tout dans la maison...
             comment ? vous le savez mieux que moi ? Mais je vous l'assure, il me l'a dit lui-même. Si la voiture qui vient de passer n'avait pas fait tant de bruit, vous auriez pu l'entendre vous-même. Je lui disais, oh ! tout en passant : -  Entres-tu ici ? 
                                                 Il m'a répondu sans rien mâcher :
                                              - Non.
            Vous pouvez bien dire adieu, car à présent le licencié et moi allons faire une promenade. Il est
embarrassé, et les gens embarrassés aiment à bavarder. Maintenant je lui parlerai de la paroisse qu'il demande... Adieu, ma belle demoiselle, nous irons à la douane. En arrivant je lui dirai : malédiction ! comme tu m'as détourné de mon chemin. Je devais aller à Vestergade. "
             Enfin nous y voilà de  nouveau... Quelle fidélité, encore à la fenêtre. Une fille pareille doit rendre un homme heureux... Mais, demandez-vous, pourquoi fais-je tout cela ? Est-ce parce que je suis une crapule qui trouve son plaisir à taquiner les autres ? Nullement. Je le fais par sollicitude pour vous, aimable demoiselle. D'abord. Vous avez attendu le licencié, vous avez soupiré après lui, et lorsqu'il arrivera alors il sera doublement beau. Ensuite. Quand à présent le licencié entre il dira :
            " - Fichtre ! nous avons failli être pincés, ce sacré homme n'était-il pas devant la porte quand je venais te voir. Mais j'ai été malin, je l'ai engagé dans une longue parlotte sur la paroisse que je cherche, et patati et patata, je l'ai entraîné jusqu'à la douane. Je te promets qu'il n'a rien remarqué. "
            Et quoi alors ? Eh bien, vous aimerez le licencié plus que jamais, car vous avez toujours cru qu'il avait une excellente disposition d' esprit, mais qu'il fût malin... hein, vous venez de le voir vous-même. Et vous pouvez m'en remercier.                                                                           cottet.org 
            Mais, j'y pense, vos fiançailles n'ont évidemment pas encore été déclarées, car autrement je l'aurais su. 
            La fille est délicieuse et fait plaisir aux yeux, mais elle est jeune et ses connaissance n'ont peut-être pas encore mûri. Ne serait-il pas possible qu'elle aille faire un acte extrêmement grave à la légère ? Il faut l'empêcher, il faut que je lui parle. Je le lui dois, car c'est sûrement une jeune fille très aimable. Et je le dois au licencié, car il est mon ami, donc à elle aussi, car elle est la future de mon ami. Je le dois à la famille, car c'est sûrement une famille très respectable. Je le dois à tout le genre humain, car il s'agit d'une bonne action. A tout le genre humain ! 
            Haute pensée, sport édifiant que d'agir au nom de tout le genre humain, et que d'avoir en sa possession un tel pouvoir général.
            Mais revenons à Cordélia. J'ai toujours l'emploi d'états d'âme, et la belle langueur de cette jeune fille-là m'a réellement ému.

            C'est donc à présent que commence la première guerre avec Cordélia, guerre dans laquelle je prends la fuite et lui apprends ainsi à vaincre en me poursuivant. Je continuerai à reculer et, dans ce mouvement de repli, je lui apprends à reconnaître sur moi toutes les puissances de l'amour, ses pensées inquiètes, sa passion et ce que sont le désir, l'espérance et l'attente impatiente. 
            En les figurant ainsi pour elle je fais naître et se développer en elle tous ces états. Je la conduis dans une marche triomphale et je suis celui qui chante les louanges dithyrambiques de sa victoire autant que je guide ses pas. 
            Le courage de croire à l'amour lui viendra et, voyant l'empire qu'il a pris sur moi et mes réflexes, elle comprendra sa puissance éternelle. Devant ma conscience en mon art et la vérité qui est à la base de tout ce que je fais, elle me croira car, autrement, elle ne me croirait pas.
            A chacun de mes mouvements elle devient de plus en plus forte, l'amour naît en elle. Elle est investie de la dignité de la femme.
            Au sens prudhommesque je n'ai pas encore demandé sa main, mais à présent je le ferai, je la libérerai, car ce n'est qu'ainsi que je veux l'aimer. Il ne faut pas qu'elle soupçonne qu'elle me le doit, car elle perdrait confiance en elle. Alors, quand elle se sentira libre, tellement libre qu'elle serait presque  tentée de rompre avec moi, la seconde guerre commencera.
            A ce moment elle aura de la force et de la passion, et la lutte aura de l'importance pour moi. Quant aux conséquences immédiates, advienne que pourra.
            Mettons que, dans sa fierté, la tête lui tourne et qu'elle rompe avec moi, enfin ! elle aura sa liberté, mais, en tout cas, elle doit m'appartenir. C'est une sottise de penser que les fiançailles la lient, je ne veux la posséder qu'en sa liberté. Même si elle me quitte, la seconde guerre aura lieu et, dans cette lutte, je vaincrai, aussi sûr que sa victoire dans la première a été une déception pour moi.
            La première est la guerre de la délivrance, et elle est un jeu. La seconde est la guerre de conquête, elle se fera pour la vie ou la mort.

            Est-ce que j'aime Cordélia ? Oui ! Sincèrement ? Oui ! Fidèlement ? Oui ! au sens esthétique et cela aussi signifie bien quelque chose.
            A quoi servirait à cette jeune fille d'être tombée entre les mains d'un maladroit de mari fidèle ? Qu'aurait-il fait d'elle ? Rien. 
            On dit que pour réussir dans la vie il faut un peu plus que de l'honnêteté. Je dirais qu'il faudrait un peu plus que de l'honnêteté pour aimer une telle jeune fille. Et je possède ce plus, c'est la fausseté. Et pourtant, je l'aime fidèlement. C'est avec fermeté et continence que je veille moi-même à ce que tout ce qui est en elle, toute sa riche nature divine puisse se déployer. Je suis un des rares qui puissent le faire, elle est une des rares qui conviennent. Ne sommes-nous donc pas faits l'un pour l'autre ?


                                                                           à suivre............


mercredi 14 avril 2021

La Pyramide de Ponzi Xavier Bétaucourt Nathalie Ferlut ( BD France )

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                                                    La Pyramide de Ponzi

            Au début du siècle dernier, un certain Carlo-Pietro-Giovanni-Guglielmo Tebaldo Ponzi débarque à Boston. Il a quitté l'Italie, espérant faire fortune en Amérique, puisque ne dit-on pas qu'il suffit de se pencher pour ramasser l'or. Le but de son voyage devait être Pittsburgh et les 200 dollars reçus des mains de sa mère lui permettre d'attendre chance et travail lucratif. Mais Ponzi présomptueux joue durant la traversée, et il décide à son arrivée à Boston de rester avec plus que 3 dollars en poche. D'aventures en mésaventures Ponzi perd, se retrouve en prison, notamment à Atlanta, rencontre une jolie jeune fille, l'épouse et devenu le directeur de l'entreprise de sa jeune femme, ruine et perd tout. Elle absorbe tout ce qu'il dit, n'ont souvent plus un sou, mais Ponzi garde l'espoir de voir aboutir certain projet : Prendre aux uns et donner aux autres. Plus exactemet promettre un bon pourcentage aux premiers investisseurs qui sera prélevé sur les prochains capitaux versés.
Ils vont rouler sur l'or, durant quelques années, puis arrive le krach de 1928. Ce système financier a été plusieurs fois utilisé, chacun se souvient du plus récent, Madoff. Cette jolie bande dessinée, jolie parce que les dessins de Nathalie Ferlut, sont doux, les personnages peut-être un peu trop caricaturaux, mais les couleurs agréables, et comme Ponzi est toujours de bonne humeur dans l'histoire racontée ici par Xavier Bétaucourt, la BD se lit avec plaisir et de nous interroger, pourquoi vouloir toujours rajouter de l'argent à de l'argent, gonfler un capital ? Parce que.... et que.... aurait dit Proust.




mardi 13 avril 2021

La colère qui casse l'homme César Vallejo ( Poème Perou )

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                     La colère qui casse l'homme en enfant

            La colère qui casse l'homme en enfant,
            qui casse l'enfant en oiseaux égaux,
            et l'oiseau, après, en petits œufs ;
            la colère du pauvre
            a une huile contre deux vinaigres.

            La colère qui casse l'arbre en feuilles
            la feuille en bourgeons inégaux
            et le bourgeon, en ramures télescopiques :
            la colère du pauvre a deux fleuves contre nombre de mers.

            La colère qui casse le bien en doutes,
            Le doute, en trois arches semblables
            et l'arche, ensuite, en tombes imprévues ;                                               youtube.com
            la colère du pauvre
            a un acier contre deux poignards.
                                                                                         
 
            La colère qui casse l'âme en corps,
            le corps en organes dissemblables
            et l'organe, en huitièmes pensées ;
            la colère du pauvre
            a un feu central contre deux cratères.


                                                    26 Octobre 1937

                           César Vallejo

 

samedi 10 avril 2021

On ne sait qui va vers toi César Vallejo ( Poème Pérou )

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                              On ne sait qui va vers toi

            On ne sait qui va vers toi. Ne le cache pas.
            On ne sait qui aube.
            Caresse-le. Ne lui dis rien. Il est
            endurci par ce qu'il fuit.
            Caresse-le. Allez ! Comme tu le plaindrais.

            Raconte qu'il n'est pas possible
            que tous disent c'est bien
            quand tu vois qu'il se tourne et retourne,
            animal qui a appris à partir... Non ?
            Oui ! Caresse-le. Ne l'accuse pas.
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            On ne sait qui va vers toi aube.
             As-tu compté quels pores n'ouvrent qu'une sortie
             et combien une entrée ?
             Caresse-le. Allez ! Mais qu'il n'apprenne pas
             que tu le fais parce que je te le demande. 
             Allez !


                                     César Vallejo
            
              

           

        

mercredi 7 avril 2021

Le journal du Séducteur Sören Kierkegaard 10 ( Essai Danemark )











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                               Le 23 juillet.

            Aujourd'hui j'ai recueilli le fruit d'un bruit que j'avais fait courir, disant que j'étais amoureux d'une jeune fille. Grâce à Edouard il est arrivé aussi jusqu'à Cordélia. Elle est curieuse, elle m'observe, mais n'ose pas me questionner, et cependant, ce n'est pas sans importance pour elle d'en acquérir la certitude, d'une part parce que cela passe toute croyance et, d'autre part, parce qu'elle verrait presque un antécédent pour elle-même. Car, si un railleur aussi froid que moi peut tomber amoureux, elle le pourrait aussi bien sans avoir besoin d'en rougir. 
            Aujourd'hui j'y ai fait allusion. Je crois que je sais raconter une histoire de telle façon que la pointe ne s'en perde pas, et n'arrive pas trop tôt. Et ma joie est de tenir in suspenso ceux qui m'écoutent de vérifier par de petits mouvements épisodiques l'issue qu'on désire à mon récit et de les tromper pendant son cours. Mon art est d'employer des amphibologies pour qu'on me comprenne dans un sens et qu'on s'aperçoive subitement que mes paroles peuvent être comprises autrement aussi. Si on veut avoir une bonne occasion pour les observations spéciales il faut toujours faire un discours. Dans une conversation les autres s'échappent plus facilement de vous, et par des questions et des réponses ils peuvent mieux cacher l'impression produite par les paroles.
            Je commençai mon discours à la tante avec une gravité solennelle :
            " - Dois-je l'attribuer à la bienveillance de mes amis ou à la méchanceté de mes ennemis, et qui des deux choses n'en a pas excès ? ".
            Ici la tante fit une remarque que je délayais de mon mieux afin de tenir en haleine Cordélia, qui écoutait et ne pouvait pas rompre cette attention soutenue puisque c'était avec la tante que je parlais, et que je mettais tant de solennité. Je continuai !
            " - ou dois-je l'attribuer à un hasard, au generatio aequivoca d'un bruit... " 
            Apparemment Cordélia ne comprenait pas cette expression, elle la rendait seulement confuse, et ceci d'autant plus que j'y mettais un accent faux et que je la prononçais en prenant une mine matoise, comme si c'était l'essentiel de ce que j'avais à dire
            " - un hasard, dis-je, qui m'a fait tout l'objet de commentaires prétendant que je me suis fiancé "
             Cordélia attendait évidemment encore mes explications, et je continuai :
             " - c'est peut-être mes amis, puisqu'on doit toujours estimer que c'est un grand bonheur de devenir amoureux ( elle restait interdite ), ou mes ennemis, puisqu'on doit toujours estimer très ridicule que ce bonheur m'échet ( mouvement en sens contraire ), ou c'est un pur hasard, puisqu'à la base il n'y a pas la moindre raison, ou bien c'est la generatio aequivoca, puisque le bruit a dû naître grâce aux hantises irréfléchies d'une tête vide ".                                                                123RF
            La tante s'impatientait avec une curiosité féminine pour connaître le nom de la dame avec laquelle il m'aurait plu de me fiancer. Mais je récusai toute question à cet égard. Toute l'histoire fit de l'impression sur Cordélia, et je crois presque que les actions d'Edouard sont en hausse de quelques points.
            L'instant décisif s'approche. Je pourrais m'adresser à la tante et, par écrit, demander la main de Cordélia. C'est bien là le procédé habituel dans les affaires de cœur, comme s'il était plus naturel pour le cœur de s'exprimer par écrit que par vive voix. Mais ce qui me ferait choisir ce procédé est justement ce qu'il y a de prudhommesque en lui. Si je le choisis je serai privé de la surprise proprement dite et je ne veux pas y renoncer
            Si j'avais un ami il me dirait peut-être : " - As-tu bien réfléchi à la démarche très grave que tu fais, démarche qui décidera de toute ta vie future et du bonheur d'un autre ? " C'est bien l'avantage qu'on possède quand on a un ami. Je n'ai pas d'ami. Je ne déciderai pas si c'est un avantage, mais être dispensé de ses conseils est, selon moi, un avantage absolu. J'ai, d'ailleurs, au sens le plus strict mûrement médité toute l'affaire.
            En ce qui me concerne il n'y a plus rien qui s'oppose aux fiançailles.
            Je suis donc un candidat épouseur, mais qui s'en doute à me voir ? Bientôt, ma pauvre personne sera regardée d'un point de vue supérieur. Je cesse d'en être une et je deviens " un parti". Oui, un bon parti, dira la tante. C'est elle qui me fait presque le plus de peine, car elle m'aime d'un amour agronomique si pur et sincère, elle m'adore presque comme son idéal.
            Dans ma vie j'ai déjà fait bien des déclarations d'amour, pourtant toute mon expérience ne m'est d'aucune aide ici, car cette déclaration doit être faite d'une manière toute particulière. Ce que je dois surtout inculquer dans mon esprit est qu'il ne s'agit que d'une feinte. J'ai fait pas mal d'exercices de pas pour trouver la meilleure façon de me présenter. Il serait imprudent de mettre d'érotisme dans ma démarche, car cela risquerait d'anticiper sur ce qui doit suivre plus tard et se développer graduellement.
Mettre trop de gravité serait dangereux. Un tel moment a tant d'importance pour une jeune fille que toute son âme peut s'y fixer, comme celle d'un mourant dans sa dernière volonté.
            Rendre la démarche cordiale ou d'un bas comique jurerait avec le masque adopté jusqu'ici par moi, et aussi avec le nouveau que j'ai l'intention de prendre et de montrer. La rendre spirituelle et ironique serait trop risquer
.            Si l'essentiel pour moi et pour les gens en général dans une telle occasion, était de faire sortir le petit " oui ", cela irait tout de go. Il est vrai que cela est important, mais non pas d'une importance absolue. Car, bien que j'aie jeté les yeux sur cette jeune fille une fois pour toutes, bien que je lui aie voué beaucoup d'attention, oui : tout mon intérêt. Il y a pourtant des conditions qui ne me permettraient pas d'accepter son oui.
            Je ne tiens pas du tout à la posséder, au sens grossier. Ce qui m'importe est de jouir d'elle au sens artistique. C'est pourquoi il faut mettre autant d'art que possible dans le commencement.
            Celui-ci doit avoir une forme aussi vague que possible et ouvrir la porte à toutes sortes de choses. Elle m'entend mal si elle voit tout de suite en moi un trompeur, car je n'en suis pas un au sens vulgaire. Mais si elle me prend pour un amant fidèle, elle s'entend mal aussi à mon égard. 
            Ce qui importe, c'est qu'à cet épisode son âme reste aussi peu déterminée que possible. A un tel moment l'âme d'une jeune fille est prophétique comme celle d'un mourant. C'est ce qu'il faut empêcher. Ma charmante Cordélia ! Je te frustre de quelque chose de beau, mais il n'y a rien à faire et je donnerai toutes les compensations en mon pouvoir. Tout cet épisode doit rester aussi insignifiant que possible pour qu'après m'avoir donné son oui elle ne soit capable en aucune manière de rendre compte de ce qui peut se cacher dans nos rapports. C'est justement cette possibilité infinie qui constitue ce qui est intéressant. Si elle était capable de prédire quelque chose, j'aurais fait fausse route et nos rapports perdraient leur sens.   fr.rbth.com 
            Il n'est pas imaginable qu'elle me dise oui parce qu'elle m'aime, car elle ne m'aime pas du tout. Le mieux serait que je pusse transformer les fiançailles de sorte qu'elles deviennent un événement au lieu d'être un acte, qu'elles deviennent quelque chose qui lui arrive, au lieu d'être quelque chose qu'elle fait et dont elle doit dire : " Dieu sait comment c'est arrivé. "


                                Le 31 juillet.

            Aujourd'hui j'ai écrit une lettre d'amour pour un tiers. J'y prends toujours un grand plaisir. Il est d'abord toujours très intéressant d'approfondir une telle situation, et pourtant à peu de frais. Ma pipe bourrée j'écoute l'histoire, et les lettres de l'intéressée me sont mises sous les yeux. Je m'intéresse toujours vivement à la façon dont une jeune fille s'exprime par écrit. Alors il reste là, amoureux comme un rat, il me lit les lettres et est interrompu par ses remarques laconiques : " c'est écrit bien, elle a du sentiment, de goût, de la prudence, sans doute n'est-ce pas la première fois qu'elle aime, etc. " En second lieu je fais une bonne action. J'aide des jeunes gens à s'unir, ensuite je prends mon parti. Pour chaque couple heureux je jette mon dévolu sur une victime. Je fais deux heureux et, au plus, un seul malheureux. Je suis honnête, on peut se fier à moi, je n'ai jamais trompé personne qui se soit ouvert à moi. Il y a toujours un peu de bouffonnerie pour moi, enfin, cela ne représente que l'émolument légitime. Et pourquoi a-t-on tant de confiance en moi? parce que je sais le latin, que je suis assidu à mes études et parce que je garde toujours mes petites histoires pour moi. Et je mérite bien cette confiance, n'est-ce pas ? Car je n'en abuse jamais.

                             Le 2 août

            Le moment était venu. J'ai entrevu la tante dans la rue et je savais donc qu'elle n'était pas à la maison. Edouard était allé aux douanes. Par conséquent, il y avait toute chance pour que Cordélia soit toute seule chez elle. Et elle l'était aussi, assise à son travail devant la table à ouvrage. Il est très rare que je rende visite à la famille le matin, et elle fut donc un peu émue en me voyant. La situation faillit s'en ressentir. Cela n'aurait pas été de sa faute car elle se ressaisit assez vite, mais de la mienne, car malgré ma cuirasse elle me fit une impression exceptionnellement forte. Quelle grâce elle avait dans sa robe d'intérieur en calicot, à rayures bleues et simple, avec une rose fraîche cueillie, non, la jeune fille en était une elle-même. Elle était aussi fraîche que si elle venait d'arriver. 
            Qui veut bien me dire où une jeune fille passe la nuit, ce doit être dans le pays des mirages, mais chaque matin elle rentre et rapporte cette fraîcheur juvénile. Elle paraissait si jeune et pourtant si parfaite, comme si la nature, semblable à une tendre et riche mère, ne venait qu'à cet instant même de la laisser échapper de ses mains. J'avais l'impression d'être témoin de cette scène d'adieux, je voyais comment cette tendre mère l'embrassait encor une fois avant de se séparer d'elle, et je l'entendais dire :
            " - Va, par monts et par vaux, ma petite, j'ai fait tout pour toi, prends ce baiser comme un sceau sur tes lèvres, c'est un sceau qui gardera le sanctuaire et que personne ne peut briser sans que tu ne le veuilles toi-même, mais quand viendra celui qu'il faut, tu le comprendras. " Et elle pose un baiser sur ses lèvres, un baiser qui ne s'empare pas de quelque chose comme fait un baiser humain, mais un baiser divin qui donne tout, qui donne à la jeune fille la puissance du baiser. 
            Oh ! Nature merveilleuse, profonde et énigmatique, tu donnes la parole aux hommes mais l'éloquence du baiser aux jeunes filles ! C'est ce baiser qu'elle avait sur ses lèvres, cet adieu sur son front et ce salut joyeux dans son regard, et c'est pourquoi elle apparaissait à la fois si familière, car elle est bien enfant de la maison, et si étrangère, car elle ne connaissait pas le monde, mais seulement la tendre mère qui, invisible, veillait sur elle. Elle était vraiment charmante, jeune comme une enfant et, pourtant, imprégnée de la noble dignité virginale qui commande le respect.
     123RF
      Mais bientôt j'étais de nouveau froid et solennellement stupide, comme il sied quand on veut faire une chose importante sans qu'elle ait, en réalité, aucun sens.
            Après quelques remarques d'ordre général je l'approchai d'un peu plus près et sortis ma demande. Quelqu'un qui parle comme un livre est extrêmement ennuyeux à écouter. Parfois, cependant, parler ainsi peut être utile, car, chose curieuse, un livre a ceci de particulier qu'il peut être interprété comme on veut. De même les paroles quand on parle comme un livre. Je me tins tout sobrement à quelques formules ordinaires. Incontestablement, elle fut surprise, comme je m'y attendais.
            Il m'est difficile de me rendre compte de son air à ce moment. Son air était complexe, oui, à peu près comme le commentaire pas encore édité, mais annoncé, de mon livre, commentaire qui admettra la possibilité de toutes les interprétations. Un mot, et elle aurait ri de moi, un mot, elle aurait été émue, un mot, et elle m'eût évité. Mais aucun mot ne s'échappait de mes lèvres, je restais solennellement stupide et je suivais strictement le rituel.
            " Elle m'avait connu si peu de temps ", que voulez-vous, on ne rencontre de telles difficultés que sur la route étroite des fiançailles, non pas sur les sentiers fleuris de l'amour. Chose curieuse ! Quand, les jours précédents, je réfléchissais à toute la question, j'avais assez de cran et j'étais sûr qu'à l'instant de la surprise elle dirait oui.
            Ce n'est pas ainsi que l'affaire se dénoua, car elle ne dit ni oui ni non, mais elle m'adressa à la tante. J'aurais dû le prévoir. J'ai vraiment de la chance, car ce résultat était encore meilleur.



            La tante donnera son consentement, ce dont je n'ai d'ailleurs jamais douté. Cordélia suivra ses conseils. Quant à mes fiançailles je ne me vanterai pas de leur poésie, elles sont à tous égards prudhommesques, d'esprit boutiquier. La jeune fille ne sait pas si elle doit dire oui ou non. La tante dira oui, la jeune fille aussi dira oui, je prends la jeune fille, elle me prend, et l'histoire commencera.


                                       Le 3 août

            Me voilà donc fiancé, Cordélia aussi, et c'est sans doute à peu près tout ce qu'elle sait de cette affaire. Si elle avait une amie à qui parler sincèrement, elle dirait probablement :
            " - Quel sens attribuer à tout cela ? réellement je ne le comprends pas. Il y a quelque chose en lui qui m'attire, mais je perds mon latin en cherchant ce que c'est, il a un pouvoir étrange sur moi, l'aimer ? non, et je n'y arriverai peut-être jamais. Mais je supporterai bien de vivre avec lui et, par conséquent, je pourrai aussi devenir assez heureuse avec lui. Car il n'exigera sûrement pas beaucoup pourvu que j'aie la patience de le supporter. "
            Ma chère Cordélia ! Il exigera peut-être plus et, par contre, moins d'endurance.
            Parmi toutes les choses ridicules les fiançailles remportent le prix. Le mariage au moins a un sens. Bien que ce soit un sens peu commode pour moi. Les fiançailles sont d'invention purement humaine et ne font pas honneur à leu inventeur. Elles ne sont ni chair ni poisson et ressemblent aussi peu à l'amour que la bandelette du dos de l'appariteur à une toge de professeur. A présent, je suis membre de cette honorable confrérie. Cela a son importance, car, comme dit Trop, ce n'est que lorsqu'on est artiste soi-même qu'on acquiert le droit de juger les autres artistes. Et un fiancé, n'est-il pas aussi un bateleur comme ceux de Dyrehavsbakken ?

            Edouard est hors de lui, exaspéré. Il laisse pousser sa barbe et, ce qui n'est pas peu dire, il a accroché son habit noir. Il désire voir Cordélia et lui dépeindre ma perfidie. Ce sera une scène poignante : Edouard non rasé, négligemment habillé et parlant haut à Cordélia. Pourvu qu'il ne l'emporte pas sur moi avec sa barbe longue. Je fais de vains efforts pour le raisonner, j'explique que c'est la tante qui est l'artisan des fiançailles, que Cordélia nourrit peut-être encore de bons sentiments pour lui et que je suis prêt à me retirer s'il peut la gagner. Un instant il hésite à se faire tailler sa barbe autrement, à acheter un nouvel habit noir et, l'instant d'après, il me rabroue.  
            Je fais tout pour garder bonne contenance avec lui. Si furieux qu'il soit contre moi, je suis sûr qu'il ne fera pas un pas sans me consulter. Il n'oublie pas le profit qu'il a tiré de moi en ma qualité de mentor. Et pourquoi devrais-je lui ravir son ultime espoir, pourquoi rompre avec lui ? c'est une brave homme et qui sait ce que réserve l'avenir !



            Ce que j'aurai à faire à présent est d'abord de tout arranger pour rompre les fiançailles et m'assurer des rapports plus beaux et plus importants avec Cordélia. Et ensuite mettre à profit le temps aussi bien que possible pour me réjouir de tout le charme, de toute l'amabilité dont la nature l'a si surabondamment dotée, m'en réjouir mais avec la restriction et la circonspection qui empêchent d'anticiper sur les événements. Quand je serai arrivé à lui faire comprendre ce qu'est l'amour, l'amour de moi, alors les fiançailles s'écrouleront naturellement comme représentant un état imparfait, et elle m'appartiendra.
            D'autres se fiancent lorsqu'ils sont arrivés à ce point et ils auront alors de bonnes chances d'un mariage ennuyeux pour toute l'éternité. Tant pis pour eux.
            En sentant dans l'amour toute sa propre importance elle l'appliquera pour m'aimer, et quand elle se doutera que c'est de moi qu'elle l'a appris, elle m'aimera doublement. 
            L'idée de ma joie m'étouffe, tellement que je suis prêt à perdre contenance.
            Son âme n'a pas été évaporée, ni détendue par les émotions indécises de l'amour, ce qui fait que beaucoup de jeunes filles ne réussissent jamais à aimer, c'est-à-dire à aimer d'un amour décidé, énergique, total. Elles portent dans leur conscience une fantasmagorie indécise qui doit être un idéal d'après lequel l'objet réel de l'amour sera mis à l'épreuve. De ces demi-mesures résulte quelque chose avec laquelle on peut se débrouiller chrétiennement à travers l'existence.
            Pendant qu'alors l'amour s'éveille en elle, je le perce à jour et je l'écoute en dehors d'elle à l'aide de toutes les voix de l'amour. Je me rends compte de la forme qu'il a affectée en elle et je me façonne conformément à elle. De même que j'ai été incorporé déjà immédiatement dans l'histoire que l'amour parcourt dans son,coeur, je viens à nouveau à sa rencontre du dehors, d'une manière aussi fallacieuse que possible. Car une jeune fille n'aime qu'une fois.



                                                            à suivre.............

samedi 3 avril 2021

Autobiographie d'une Courgette Gilles Paris ( Roman France )


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                                         Autobiographie d'une Courgette

            Courgette n'aime pas être appelé Icare, cela ne présage rien d'agréable. Habitué aux gifles à cinq doigts que sa mère distribue généreusement, il gère sa vie, mais il n'a que neuf ans, et l'accident redoutable tranche, sa vie auprès du voisin dépenaillé qui ne parle qu'au cochon, jouer aux billes avec ses deux copains, c'est fini. Et Courgette " voudrait tuer le ciel ". Il voudrait aussi interroger son papa, parti avec une poule dit sa mère, ce qui laisse le jeune garçon incrédule : il ne savait pas qu'on pouvait emporter une poule en voyage. Son papa ne répond pas, il n'a pas tué le ciel. Seul Raymond, le gendarme, lui-même père de Victor et veuf, à peine remis de son chagrin, conduit Icare dans une maison d'accueil. Courgette, tous l'appelleront ainsi, s'adapte et fait connaissance avec des enfants qui ont le chagrin enfoui, mais se défendent dans cette maison où Rosy confortable soigne et veille, Geneviève, ainsi doivent l'appeler les petits pensionnaires, la directrice punit, sourit, sévère mais récompense, Simon qui sait tout sur tout le monde. Un jour il dira à Icare-Courgette, qu'il a du soleil dans le coeur , alors que chez lui il n'y a que des nuages, il a vu ses parents mourir d'une overdose. Il y a celui dont le père est en prison, il sort et rend visite. Résultat imprévu. Et quelques autres, et arrive Camille, petite fille traînée par une tante, la sorcière, et dès leur premier regard, c'est l'amour qui jaillit " ils se font des yeux terribles ". Mais Camille a parfois les yeux brumeux, elle dira " avoir un papa, une maman, une maison et une chambre à soi, c'est mieux, " même si sa maman décousait, transformait des vêtements le jour, et réparait les coeurs de messieurs qui passaient la nuit et parfois le père revenait et alors, drame.
Le cuisinier les gâte, la piscine, le mardi, Raymond le dimanche. Les enfants ne sont malheureux que lorsque le passé remonte encombrer les esprits. Raymond, " sa chemise est toujours sortie de son pantalon à cause de son ventre et il transpire sous son blouson.... " Simon joue les durs, je sais tout mais " Simon dit rien, même ses larmes c'est que du silence.... " Raymond toujours et encore qui réserve des surprises aux deux enfants devenus inséparables, Raymond et sa mère en chaise roulante une journée à la plage. Simon je sais-tout à Courgette très interrogatif : " .... l'âge est comme un élastique et que les enfants et les gens très âgés tirent dessus chacun à un bout, et il finit par craquer et c'est toujours les gens âgés qui se prennent l'élastique dans la figure et après ils meurent..... - Quand j'étais petit ma grand-mère à moi était déjà au ciel à tricoter des pulls aux anges...... " Les enfants jouent à prendre des photos " ..... sauf ma grand-mère qui tricote un pull.... elle a pas le temps de le finir sur terre : < elle fait une crise du coeur >...... " Et oui, Raymond réserve une jolie surprise à deux petits privilégiés, qui ne fera pas que des heureux parmi les autres, mais ainsi va la vie.
            Roman écrit sous la plume de Courgette, toujours vif, pensées d'enfant réflexions d'adulte, l'histoire pourrait n'être que tristesse, mais bien menée, elle tient son lecteur, sourire aux lèvres. Livre paru il y a plusieurs années, primé de multiples fois, un film tiré des aventures de Courgette and Co césarisé, présenté aux Oscars. Une histoire sans âge. 5è roman de Gilles Paris qui l'écrivit lors de circonstances difficiles, dit-il, et connut là son premier grand succès de librairie. Vraiment joli roman pour toutes les générations. Bonne lecture.



            

vendredi 2 avril 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 140 SamuelComm Pepys ( Journal Angleterre )









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                                                                                                             1er Mai 1665

            Levé, chez Mr Povey, à son chevet avons longuement parlé. A ce que je vois il insiste longuement, entre autres, sur la difficulté de se procurer de l'argent, et souhaiterait que je contribue à imaginer quelque moyen de me défaire de la charge de trésorier en faveur d'un dénommé Ball. J'affichai mon mépris pour cette suggestion et résolus de faire de mon mieux ou de renoncer.
            Chez le duc d'Albemarle où je fus chagrin d'arriver un peu en retard. Puis chez moi et, à midi, à la Bourse, rencontrai Mr Brouncker, sir Robert Moray et Mr Hooke qui se rendaient en voiture dîner chez le colonel Blount si bien qu'ils s'arrêtèrent et me prirent au passage. Descendîmes à l'embarcadère de la Tour puis, par voie d'eau, à Greenwich, où noud attendaient des voitures qui nous conduisirent à sa résidence, un manoir de toute beauté, tant par son site que par ses cultures admirables, parmi lesquelles un vignoble, chose que je n'avais encore jamais vue. Le repas fut quelconque et on ne se divertit guère, sauf après dîner, lorsque nous allâmes expérimenter divers procédés destinés à rendre les voitures confortables. Parmi celles qu'on essaya une seule se révéla d'un grand confort : toute la caisse de la voiture repose sur un seul long ressort. Et chacun de faire un tour après l'autre. Belle invention et qui devrait avoir du succès. La compagnie étant venue tout exprès pour ces essais, ma foi prometteurs.
            Revînmes en voiture à Greenwich, puis prîmes le canot de plaisance du colonel pour aller à Deptford. Descendîmes pour nous rendre chez Mr Evelyn. Fort belle demeure, mais comme le jour tombait et qu'il se faisait tard, je ne restai pas. Revins à pied jusqu'à Rotherhithe, accompagné du doyen Wilkins et de Mr Hooke, satisfaits des conversations intéressantes de la journée.
            Comme il était tard les invitai à se rafraîchir chez moi, leur donnai quelques friandises et une lanterne pour rentrer chez eux. Il n'y a pas en Angleterre, ni dans le monde, je crois, hommes plus respectables que ces deux-là.
            Ensuite chez milady Batten où ma femme a passé la soirée et après avoir bavardé gaiement, rentrai et, au lit.


                                                                                                                     2 mai

            Levé et à mon bureau toute la journée, fort tard. puis y retournai derechef, et comme il avait été décidé hier, sir William Batten, milady, ma femme et moi, allâmes à la taverne du Vin du Rhin à Steelyard, mangeâmes des langoustes et des salicoques, fort réjouis de nous voir réunis tous les quatre, alors que ma femme et milady brouillées depuis un an, avaient dit ne jamais vouloir se fréquenter à nouveau. Fûmes bientôt rejoints par sir Richard Ford ainsi que Mrs Esther qui vivait auparavant chez milady Batten, mais que voilà mariée, et fort bien, à un pasteur venus voir milady.
            Rentrâmes dans la soirée, puis à mon bureau où restai tard, puis chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                                  3 mai

            Levé tôt et à pied chez sir Philip Warwick. Passai avec lui un long moment dans son cabinet, en privé, parler de l'affaire de sir George Carteret et des préjudices qu'il fait subir au pays en se montrant mauvais payeur, ce qui nous tourmente tous deux, et je ne vois guère d'espoir d'y remédier, à ma connaissance. Puis chez milord Ashley pour une séance de la commission de Tanger portant sur les comptes de milord Rutherford. Allâmes ensuite chez milord le trésorier où je reçus un pouvoir adressé à sir Robert Long afin qu'il m'autorisât par mandat à encocher des tailles.
            Derechef à l'auberge près de Cripplegate croyant y trouver ma mère qui doit venir à Londres, mais elle n'y était point, pas plus que la semaine dernière, la diligence étant bondée.

            A la Bourse, puis rentrai dîner. Ressortis pour me rendre à Gresham College, où je vis un chat mourir sous l'effet du poison du duc de Florence. La preuve fut faite sous mes yeux que l'huile de tabac, extraite par les soins d'un membre de la Société, a le même effet, et à l'examen, n'est autre que ce poison lui-même, identique quant à sa couleur, son odeur et ses effets. Je vis aussi un avorton conservé dans l'esprit de sel. Nous partîmes, puis à Whitehall, à la Chambre du Conseil, au sujet d'un arrêt relatif à la marine, nous donnant pouvoir d'écrouer les marins ou les lieutenants de vaisseau qui, engagés ou enrôlés de force se refusent à faire leur devoir, mais ne pûmes l'obtenir. Rentrai donc, contrarié car j'avais adressé une note au duc d'Albemarle, sous ma propre signature. A mon bureau quelque temps puis, au lit.
            Milord Hyde, président du tribunal du Banc du roi, est mort               amazon                                             subitement cette semaine, il y a un jour ou deux, d'apoplexie.


                                                                                                                           4 mai

            Levé et à mon bureau. Fûmes occupés toute la matinée. A midi rentrai dîner puis, derechef, à mon bureau toute la journée, jusqu'à près de minuit. Rentrai las, souper et, au lit.


                                                                                                                                5 mai

            Levé tôt. Par le fleuve à Westminster, m'entretins pour la première fois avec sir Robert Long et lui donnai mon sceau privé ainsi que l'arrêt de milord le trésorier pour les tailles de Tanger. Il me reçut assez aimablement. Repartis par le fleuve puis descendis aussitôt vers Woolwich et jusqu'à Blackwall où je vis la Brèche qui doit être aménagée en bassin de mâtage. Puis à Deptford, à la taverne du Globe, où milord Brouncker, sir John Mennes, sir William Batten et le commissaire Pett étaient attablés après être allés eux aussi à la Brèche, mais ils estiment le coût de l'aménagement trop élevé.
            Après dîner chez Mr Evelyn qui était sort, si bien que nous nous promenâmes dans son jardin, magnifique et imposant en vérité avec, entre autres curiosités, une ruche. Comme il est plaisant de voir les abeilles dans leur ruche de verre, faire leur miel et leurs rayons. Repartis, puis passai voir Mr Povey qui, souffrant, garde encore la chambre. Sur son conseil me rendis chez un certain Lovett, vernisseur, afin d'y voir son nouveau procédé de vernissage. Ne le trouvai pas chez lui, mais son épouse, fort jolie femme, me fit voir divers échantillons d'un travail admirable. Etais venu au sujet de mes feuillets afin d'y tracer des lignes, pour mes inventaires, entre autres. Je ne saurais dire si c'était les échantillons eux-mêmes qui me plurent, ou le fait que ce fût elle qui me les montrât, mais me voilà résolu à faire venir quelques feuillets. Puis à mon bureau tard, puis souper et, au lit.
            Ma femme m'apprend que ma pauvre tante, Mrs James, s'est fait amputer d'un sein à Londres, elle avait depuis longtemps une tumeur.
            Aujourd'hui, alors que je me laissais pousser les cheveux, afin de les avoir longs, je trouve si commode de mettre une perruque que je me les suis recoupés très courts. Je m'en tiendrai dorénavant aux perruques.


                                                                                                                       6 mai 1665

            Levé et à mon bureau toute la journée, sauf pendant le dîner. Restai jusqu'à plus de minuit. Rentrai me coucher satisfait, comme je le suis toujours lorsque j'ai abattu force besogne, ce qui me réjouit grandement.


                                                                                                                          7 mai
                                                                                                    Jour du Seigneur
            Levé, puis à l'église avec ma femme. Rentrâmes dîner et arriva Mr Andrews. Il passa l'après-midi avec moi pour discuter de notre affaire de subsistance pour Tanger. Après le sermon arrivèrent Mr Hill et un gentilhomme, un certain Mr Scott, qui chante aussi fort bien, puis revint Mr Andrews et tous ensemble nous chantâmes, puis soupâmes. On rechanta ensuite et ce fut un dimanche agréable et tranquille. Allai un moment à mon bureau, puis chez moi, prières et, au lit.
            Hier ma femme a commencé à apprendre le dessin d'un certain Browne, mais Mr Hill l'aide également. D'après son premier dessin qui a pour sujet des yeux, je crois qu'elle fera de belles choses. Je m'en réjouirai.


                                                                                                                           8 mai

            Levé fort matin, travaillai bien avant de sortir voir diverses personnes, dont le capitaine Taylor qui voudrait me laisser en grande partie la conduite de ses affaires maintenant qu'il part pour Harwich. Si la chose me rapporte de l'argent, comme je le crois, j'accepterai de lui rendre quelques services.
            Puis avec sir William Batten chez le duc d'Albemarle où beaucoup de besogne, et à la Bourse. Dîner avec sir William Warren dans une gargote et parlâmes avec grand profit jusqu'à 5 heures de l'après-midi. Rentrai, eus fort à faire très tard, puis chez moi et, au lit.


                                                                                                                           9 mai

            Levé tôt, vaquai à mes affaires au bureau toute la matinée. A midi Mrs Theophilia Turner vint dîner, le maître à dessiner de ma femme resta aussi, et je me réjouis à l'idée que ma femme mène à bien cette entreprise. Llewellyn dîna aussi avec nous. J'allai ensuite à mon bureau, travaillai jusqu'à près de minuit, puis rentrai, souper et, au lit.                                                                          pinterest/com
            La nouvelle est arrivée aujourd'hui que huit vaisseaux furent capturés par quelques-uns des nôtres, alors qu'ils approchaient de l'île de Texel, les deux bâtiments de ligne qui les convoyaient s'étant réfugiés dans le port. Ils venaient des parages d'Irlande et étaient passés par le nord.


                                                                                                                         10 mai 19665

            Levé tôt, allai au Cockpit où le duc nous fit part, à sir William Batten et à moi, de la récente capture des huit vaisseaux et de son intention de ramener immédiatement la flotte à Gunfleet, ce qui nous force hâte et grands préparatifs en vue de l'arrivée de la flotte. Puis chez Mr Povey, conversâmes, puis allai à Southwork mander quelques soldats de la garde, sur ordre du Duc, afin d'aider à maintenir
les hommes enrôlés de force à bord de nos vaisseaux. Puis à la Bourse où nous fûmes fort affairés, puis dîner chez moi où je trouve ma pauvre mère, arrivée aujourd'hui de la campagne, en bonne santé. Et je me réjouis de la voir, mais mes affaires, et je le déplore, m'empêchent de lui rendre les hommages qui lui sont dus à sa première visite. Elle n'a plus guère sa tête et radote parfois lorsqu'elle parle, ce qui est dû à l'âge mais aussi à quelque tare héréditaire. Les laissai, elle et ma femme, sortir faire des achats, et m'en retournai à mon bureau. Le soir, à une taverne toute proche, retrouvai, comme convenu, sir William Warren et Mr Dering afin d'aboutir à un accord dans une grosse affaire de madriers. Rentrai, à mon bureau, puis souper et, au lit, ma mère étant déjà couchée.


                                                                                                                 11 mai

            Levé tôt et à mon bureau toute la matinée. Dînai à la maison, puis au bureau toute la journée jusqu'au soir tard. Rentrai, souper, las de travailler et, au lit.


                                                                                                                  12 mai

            Levé tôt. Eus la déception de recevoir à l'instant la somme de 50 £, espérant davantage de la part de Mr Warren en remerciement de mon autorisation d'exemption de la presse, mais il me promet de faire mieux. Puis, par voie d'eau, à l'Echiquier, dont je parcourus tous les bureaux afin de faire encocher mes tailles pour un montant de 17 500 £. J'y vois le témoignage insigne que la bonté de Dieu a pour moi. En être venu, pauvre petit commis que j'étais, à ordonner moi-même l'encochage de tailles pour une telle somme et au titre où je le fais à présent, voilà qui relève, à mes yeux, d'une grâce prodigieuse. Je les ferai encocher demain. Mais voir comment un modeste quidam prend soin de ses rétributions et encaisse ce qu'il peut à chaque occasion, les taxes du roi qu'il doit lui-même payer sur ces 17 500 £ devant dépasser les 100£, voilà qui est singulière matière à réflexion.
            Puis retrouvai ma femme chez Unthank, allâmes à la nouvelle Bourse et ailleurs afin de m'acheter un col de dentelle, que nous n'achetâmes point. M'est avis que les habits élégants sont chose si indispensable que je ne peux faire autrement que d'y investir quelque argent.
            A la Bourse, puis chez mon horloger qui a fait la réparation. C'est une belle pièce, robuste qui, me dit-il, vaut 14 livres. Le cadeau a plus de valeur que je ne lui en donnai.         Rivagedeboheme
            Rentrai dîner, puis plusieurs personnes arrivèrent, parmi lesquelles mon cousin d'Hatcham, Thomas Pepys, venu toucher son dû de milord Sandwich. Lui payai aussi ce qui lui revenait au titre de la dette de mon oncle et, contre toute attente, je pus obtenir de lui qu'il signât et scellât ma vente de terres en liquidation de dettes, si bien que je m'estimes plus riche dorénavant de 100 livres. Alors que naguère mon oncle Thomas ou ses enfants, pour chaque arpent de terre vendu pouvait me demander des comptes, à moi ou à mes descendants. Voilà, me semble-t-il, une fort excellente chose que d'en avoir terminé avec tout cela.
            Lui parti, entrèrent Mr Povey, le Dr Twysden et Mr Lawson, venus quérir mon cautionnement pour le règlement de 4 000 £ accordés à sir John Lawson.
            Sortis un moment, puis revins. A mon bureau puis à mon cabinet, fort tard, à reclasser mes papiers aujourd'hui, mis sans dessus dessous. Puis souper et, au lit.


                                                                                                                              13 mai

            Levé. Souffris toute la journée de gargouillements douloureux, comme souvent, provenant de vents dus, je crois, à un jeûne prolongé et à un manque d'exercice et, peut-être, à ce que j'ai eu trop chaud dans mes habits. Le temps est à la chaleur, et je porte les mêmes habits qu'en hiver.
            A la Bourse après le bureau. L'horloger m'a remis ma montre. Une jolie pièce, c'est Briggs, le notaire, qui me l'a offerte.
            Rentrai dîner. Allai ensuite chez le procureur général lui demander conseil au sujet de la loi sur le transport par voie de terre, qu'il préféra ne pas me donner avant que le Conseil ne m'eût mandaté. 
            En revenant chez moi, fis réserver un exemplaire des " Œuvres " du Roi qui me coûtera, je crois 50 shillings. Chez moi, à mon bureau très tard.
            Grand Dieu ! suis-je donc encore à ce point sujet à mes enfantillages et caprices d'antan, que je ne puisse m'empêcher, comme je l'ai fait, de garder ma montre à la main tout l'après-midi, dans la voiture, et regarder cent fois l'heure. Je me demande volontiers comment j'ai pu en rester si longtemps privé. Encore que je me souviens en avoir eu jadis une, mais qui m'avait semblé une gêne, si bien que j'avais résolu de ne plus m'en embarrasser, aussi longtemps que je vivrais.
            Rentrai souper et, au lit. Chagriné par la lettre que m'envoie Mr Cholmley de Tanger, lequel m'avise que tout est fait pour contrer notre affaire de subsistances, ce qui me fera perdre 300 £ l'an. Je lui suis fort obligé d'avoir eu la bonté de me mettre au secret, et résolu à lui revaloir son geste, dans ses propres affaires et d'y veiller.


                                                                                                                        14 mai
                                                                                                   Jour du Seigneur
            Levé et à l'église avec ma femme en ce jour de Pentecôte. Ma femme est fort jolie dans sa nouvelle capeline en œil-de-perdrix jaune, à présent fort en vogue. Nous eûmes un piètre sermon.
            A la maison, dîner. Ma mère s'est fait livrer son nouvel habit qui lui sied fort. Après dîner, ma femme avec Mercer au baptême du premier enfant de la femme de Thomas Pepys. Me rendis à Wanstead en voiture, à la maison où vivait sir Henry Mildmay, et où demeure à présent sir Robert Brookel qui a racheté la maison au duc d'York à qui elle était revenue après confiscation. C'est une belle propriété, mais la maison est surannée, et semble à l'abandon, étant peu habitée. Puis à Walthamstow rejoints par sir William Batten, qui n'avait eu la chance de nous trouver à l'autre endroit. Visitai en compagnie de milady la maison et le parc, ma foi plaisants. Puis souper fort gai. Revins en voiture à la nuit tombée. Lus cet après-midi dans la voiture le livre  parjure sur la cour du roi Jacques, paru il y a fort longtemps, et qui vaut d'être lu, malgré la perfidie de son propos.
            Aussitôt parvenu chez moi, ayant reçu une lettre du duc d'Albmarle, pris un canot vers minuit, et descendis le fleuve en yole, avec mon petit valet, jusqu'à l'estuaire.
            Levé à nouveau, après m'être endormi et éveillé avec un égal plaisir. Ma tâche étant de monter à bord de chacun de nos navires d'avitaillement afin de les mettre en partance.

                                                                                                        
                                      15

            Rentrai, puis, après dîner, au Théâtre du Roi, seul. Vis La Maîtresse de l'amour. Quelques bons moments et fort variés, mais peu ou pas de fantaisie. Puis chez le duc d'Albemarle pour lui rendre compte de mes démarches de la journée. Il me montra des lettres de sir George Downing, écrites quatre jours plus tôt, disant que les Hollandais ont fait une sortie, qu'ils se sont regroupés, ne manquent pas d'hommes d'équipage, sont résolus à aborder nos meilleurs vaisseaux et prêts à se battre, sans l'ombre d'un doute.


             Puis au Cygne chez Herbert, où j'eus la compagnie de Sarah un moment. M'en fus, puis passai à la Harpe et la Balle, dont la servante, Mary, est tout ce qu'il y a de formosa. Dieu du ciel ! je m'avise qu'aujourd'hui mon vœu n'est pas plus tôt arrivé à expiration que me voilà fin prêt à courir les plaisirs et à négliger mes affaires.
            Rentrai, eus sommeil et, au lit.


                                                                             à suivre..........
                                                                                                                                                                                                                                                                                     16 Mai 1665

               Levé tôt. Chez.....