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Le Diamant de la Couronne
Une soirée avec Sherlock Holmes
Pièce en 1 Acte
Décor : Baker Street. Le bureau de M. Holmes. Mobilier ordinaire, au fond de la pièce un rideau suspendu à une tringle de cuivre fixé à 2m 50 du sol devant une profonde fenêtre en rotonde.
Entrée de Watson et Billy
Watson - Bon, Billy, quand sera-t-il de retour .
Billy - Je ne peux pas vous le dire, Monsieur.
Watson - Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?
Billy - Je ne sais vraiment pas, Monsieur.
Watson - Comment ça, vous ne le savez pas ?
Billy - Non, Monsieur. Un clergyman est venu hier, aussi un vieux libraire et un ouvrier.
Watson - Et alors ?
Billy - Je ne suis pas sûr qu'il ne s'agisse pas chaque fois de M. Holmes. Il est actuellement en plein dans une affaire.
Watson - Oh !
Billy - Il ne mange ni ne dort plus, pour ainsi dire. Comme moi vous avez vécu avec lui, alors vous savez comment il est quand il chasse quelqu'un.
Watson - Je le sais, oui.
Billy - C'est vraiment une responsabilité, Monsieur... Y a des fois où ça me donne drôlement du souci. Lorsque je lui demande s'il veut me dire ce qu'il désire pour le dîner, il me répond :
" - Oui, vous me servirez des côtes-purée après-demain à 19 h 30.
- Vous ne mangerez pas avant, Monsieur ? je lui demande alors, et il me répond :
- Je n'ai pas le temps, Billy. Je suis très occupé. "
Il maigrit de plus en plus, et devient de plus en plus pâle, avec les yeux tout brillants. C'est terrible de le voir comme ça !
Watson - Ca ne peut pas continuer comme ça. Il faut que je lui parle et que j'y mette bon ordre.
Billy - Oh ! oui, Monsieur !... Ca me sera un grand soulagement !
Watson - Mais de quoi s'occupe-t-il donc ?
Billy - C'est cette affaire du diamant de la couronne.
Watson - Quoi ? Ce vol de cent mille livres ?
Billy - Oui, Monsieur. Il faut le leur récupérer à tout prix. Pensez, j'ai vu le Premier Ministre et le Ministre de l'Intérieur assis là, sur ce canapé ! M. Holmes leur a promis de faire tout son possible. Il a été vraiment très aimable avec eux, les mettant tout de suite à l'aise.
Watson - Seigneur ! J'ai lu ça dans le journal... Mais dîtes-moi, Billy, qu'avez-vous fait dans cette pièce ? Qu'est-ce que ce rideau ?
Billy - Je ne sais pas, Monsieur. M. Holmes l'a fait installer y a de ça trois jours. Mais derrière y a quelque chose de rigolo.
Watson - Quelque chose de rigolo ?
Billy, riant - Oui, Monsieur. C'est lui qui l'a fait faire.
( Il s'approche du rideau qu'il tire de côté et découvre une effigie en cire de Sherlock Holmes, assis dans un fauteuil, le dos au public. )
Watson - Grand Dieu, Billy !
Billy - Oui, Monsieur... C'est bien lui, hein ? ( Tout en parlant il détache la tête du mannequin et l'exhibe. )
Watson - C'est extraordinaire. Mais, dans quel but ?
Billy - Voyez-vous, Monsieur, il tient à ce que ceux qui l'épient le croient à la maison quand parfois il n'y est pas. Ah ! on sonne, Monsieur. ( Il remet la tête en place et ferme le rideau. ) Il faut que j'y aille.
( il sort )
Watson s'assied, allume une cigarette et déplie un journal. Entre une vielle dame, grande et voutée, vêtue de noir, avec voile et des anglaises.
Watson, il se lève - Bonjour, madame.
La Dame -Vous n'êtes pas M. Holmes ?
Watson - Non, madame. Je suis son ami, le Dr Watson
La Dame - Je me doutais que vous ne pouviez pas être M. Holmes. J'ai toujours entendu dire que c'était un bel homme.
Watson à part - Mince alors !
La Dame - Mais il me faut le voir tout de suite.
Watson - Je vous assure qu'il n'est pas là.
La Dame - Je ne vous crois pas.
Watson - Quoi !
La Dame - Vous avez un visage fourbe, sournois... Oh ! oui, un bien vilain visage. Allez, jeune homme, où est-il ?
Watson- Madame, vraiment.
La Dame - Très bien je m'en vais le trouver toute seule. Il doit être par ici, je suppose. ( elle se dirige vers la porte de la chambre )
Watson se lève et veut lui barrer le chemin - C'est sa chambre à coucher. Vraiment, madame, vous passez les bornes.
La Dame - Je me demande ce qu'il garde dans ce coffre-fort.
Alors qu'elle s'en approche, les lumières s'éteignent, la pièce est dans le noir à l'exception de quatre lampes qui éclairent une inscription " N'y touchez pas !" au-dessus du coffre. Après quelques secondes les lumières se rallument et Holmes est debout à côté de Watson.
Watson- Ciel, Holmes !
Holmes - Un bon petit signal d'alarme, n'est-ce pas Watson ? Il est de mon invention, vous le déclenchez en marchant sur une lame du parquet. ou je peux aussi l'allumer. De la sorte, quand je reviens, je sais si quelqu'un est venu fureter dans mes affaires. Il s'éteint automatiquement, comme vous l'avez pu voir.
Watson- Mais, mon cher ami, pourquoi diable ce déguisement ?
Holmes - Un petit entracte comique, Watson. Lorsque je vous ai vu assis là avec un air si solennel, je n'ai vraiment pas pu m'en empêcher. Mais je vous assure que l'affaire dont je m'occupe n'a rien de comique. Bon sang ! ( Il se précipite vers la fenêtre et tire soigneusement le rideau resté entrouvert.
Watson - Pourquoi ? Qu'y a-t-il ?
Holmes - Du danger, Watson. Des fusils à air comprimé. Je m'attends à quelque chose ce soir.
Watson - Vous vous attendez à quoi, Holmes ?
Holmes allumant sa pipe - Bien que mon sens de l'humour soit limité, je pourrais quand même imaginer une meilleure plaisanterie, Watson. Non, c'est la réalité. Et au cas où cela se produirait, il y a environ une chance sur deux, il vaut peut-être mieux que vous chargiez votre mémoire du nom et de l'adresse de l'assassin.
Watson - Holmes !
Holmes - Vous pourrez ainsi les donner à Scotland Yard avec mes amitiés et mon ultime bénédiction. Le nom est Moran... Colonel Sebastian Moran... Notez-le Watson, notez ! 136 Moorside Gardens. C'est noté ?
Watson - Mais il doit sûrement être possible de faire quelque chose, Holmes... Ne pourriez-vous faire arrêter cet homme ?
Watson - Alors, pourquoi ne le faites-vous pas ?
Holmes - Parce que j'ignore où se trouve le diamant.
Watson - Quel diamant ?
Holmes - Le grand diamant jonquille de soixante-dix-sept carats, mon garçon, et d'une pureté... Le diamant de la couronne. J'ai réussi à prendre deux gros poissons dans mon filet, mais je n'ai pas la pierre. Alors, à quoi ça m'avance de les avoir ? C'est le diamant qu'il me faut.
Watson - Le colonel Moran est-il un des poissons pris dans le filet ?
Holmes - Oui, et c'est un requin. Il mord. L'autre c'est Sam Merton, le forceur de coffres-forts. Ce n'est pas un mauvais bougre Sam, le colonel s'est servi de lui. Sam n'est pas un requin, juste un gros goujon balourd. N'empêche qu'il se débat aussi dans mon filet.
Watson - Où est ce colonel Moran ?
Holmes - Toute la matinée j'ai été près de lui... A un moment donné, il a même ramassé mon ombrelle en me disant : " Permettez-moi, madame... " La vie est pleine de ces imprévus. Je l'ai suivi jusqu'à l'atelier du vieux Straubenzee. Et Straubenzee lui fabrique un fusil à air comprimé... Du très bel ouvrage, à ce que je crois savoir.
Watson - Un fusil à air comprimé ?
Holmes - Son idée était de me tuer en tirant à travers la fenêtre. C'est pourquoi j'ai dû faire mettre ce rideau. A propos, avez-vous vu le mannequin ? ( il tire le rideau et Watson acquiesce ) Ah ? Billy vous l'a montré. Il peut à tout moment recevoir une balle dans sa belle tête.
Entre Billy
Holmes - Qu'y a-t-il Billy ?
Billy - Le colonel Sebastian Moran, monsieur.
Holmes - Ah ! L'homme en personne. Je m'y attendais plus ou moins... Décidément, c'est un homme qui ne manque pas d'aplomb ! Il a dû sentir que j'étais sur ses talons ( il regarde par la fenêtre ) Et je vois Sam Merton dans la rue... Sam aussi bête que fidèle... Où est le colonel, Billy ?
Billy - Dans la salle d'attente, monsieur.
Holmes - Introduisez-le quand je sonnerai.
Billy- Oui, monsieur.
Holmes - Oh ! une chose encore, Billy... Si je ne suis pas dans la pièce, introduisez quand même le colonel.
Billy - Très bien, monsieur. ( Il sort )
Watson - Je vais rester avec vous, Holmes.
Holmes - Non, mon cher ami, vous me seriez d'une terrible gêne. ( Il s'approche du bureau, écrit quelque chose sur un papier )
Watson - Il peut vous tuer !
Holmes - Cela ne m'étonnerait pas.
Watson - Je ne peux vraiment pas vous abandonner ainsi...
Holmes - Mais si, mon cher Watson, vous le pouvez car vous avez toujours joué le jeu, et je suis certain que vous le jouerez jusqu'au bout. Portez ce message à Scotland Yard et revenez avec la police. Ainsi notre homme sera arrêté.
Watson - J'y vais avec joie !
Holmes - D'ici à ce que vous reveniez j'aurai juste le temps de découvrir où est le diamant. ( Il sonne ) Par ici, Watson. Nous allons sortir ensemble. Je préfère voir mon requin avant qu'il ne m'aperçoive.
Watson et Holmes sortent par la porte de la chambre.
Entrent Billy et le colonel Sebastian Moran, homme robuste à l'air cruel, vêtu de façon voyante et tient à la main une lourde canne. )
Billy - Le colonel Sebastian Moran. ( Il sort )
Holmes - Ne le brisez pas, colonel, ne le brisez pas !
Le colonel - ( il se retourne en cherchant )- Grand Dieu !
Holmes - C'est un si bel objet. Il est dû à Tavernier, le modeleur français, aussi expert en cet art que Straubenzee pour ce qui est des fusils à air comprimé. ( il ferme le rideau )
Le colonel - Des fusils à air comprimé ? De quoi voulez-vous parler, monsieur ?
Holmes - Posez donc votre canne et votre chapeau sur cette table. Merci... Asseyez-vous, je vous en prie... Cela vous ennuierait-il de déposer aussi votre révolver ? Oh ! bon, comme vous voudrez, si vous préférez être assis dessus.
( Le colonel s'assied et Holmes poursuit )
Je souhaite avoir cinq minutes d'entretien avec vous.
Le colonel - Et moi, avec vous.
( Holmes s'assoit à côté de lui et croise les jambes )
Le colonel - Je ne chercherai pas à nier que j'ai cherché à vous agresser voici un instant.
Holmes - Il m'avait bien semblé que cette idée avait dû vous traverser l'esprit.
Le colonel - Et vous ne vous trompiez pas, monsieur.
Holmes - Mais pourquoi en avez-vous ainsi après moi ? pinterest.fr
Le colonel - Parce ce que vous vous ingéniez à me créer des difficultés. Parce que vous lancez sur mes traces de vos créatures.
Holmes - Des créatures à moi ?
Le colonel - Je les ai fait suivre, et je sais qu'elles viennent vous faire leur rapport.
Holmes - Je vous assure bien que non.
Le colonel - Allons, allons, monsieur ! D'autres sont capables de se montrer aussi observateurs que vous. Hier il s'agissait d'un vieux turfiste, aujourd'hui c'était une vieille dame. De toute la journée ils ne m'ont pas perdu de vue.
Holmes - Vraiment monsieur, vous me faites là un grand compliment ! Avant qu'il ne soit pendu à Newgate, le vieux baron Dawson avait la bonté de dire que, en ce qui me concernait, la scène avait perdu ce que la police y avait gagné. Et, à présent, c'est vous qui venez me dire ces choses aimables. Au nom de la vieille dame comme du turfiste, je vous en remercie. Il y avait aussi un plombier désœuvré qui était une belle composition... Mais vous ne semblez pas l'avoir remarqué ?
Le colonel - C'était vous... Vous ?
Le colonel - Si je m'en étais douté, jamais vous n'auriez...
Holmes - ... revu cette modeste demeure. J'en étais pleinement conscient. Mais vous ne vous êtes douté de rien, si bien que nous voici à bavarder tous deux.
Le colonel - Ce que vous m'apprenez ne fait qu'aggraver les choses. Ce n'étaient pas vos gens, mais vous-même qui me suiviez. Pour quelle raison ?
Holmes - Vous est-il arrivé de chasser le tigre ?
Le colonel - Oui, monsieur.
Holmes - Pour quelle raison ?
Le colonel - Pfft ! Pour quelle raison chasse-t-on le tigre ? Pour l'émotion... le danger.
Holmes - Et sans doute aussi pour débarrasser le pays d'une bête nuisible qui le dévaste et nuit à ses habitants.
Le colonel - Exactement, oui.
Holmes - Eh bien, mes raisons sont les mêmes.
Le colonel ( il se lève d'un bond ) - Insolent !
Holmes - Rasseyez-vous, monsieur, rasseyez-vous. Il y avait aussi une raison d'ordre plus pratique.
Le colonel - Et c'est ?
Holmes - Que je veux ce diamant de la couronne.
Le colonel - Ca, c'est le comble ! Bon, continuez.
Holmes - Vous saviez très bien que c'était pour cela que je vous poursuivais. Et la véritable raison de votre présence ici ce soir, c'est que vous voudriez découvrir jusqu'à quel point je suis au courant. Eh bien, je vous le dis sans détour : je suis au courant de tout, à l'exception d'une chose que vous allez m'apprendre.
Le colonel sarcastique - Et quelle est cette chose, je vous prie ?
Holmes - L'endroit où est le diamant.
Le colonel - Oh ! Vous voudriez que je vous dise ça ? Mais comment diable pourrais-je le savoir ?
Holmes - Non seulement vous le savez, mais vous allez me le dire.
Le colonel - Oh, vraiment ?
Holmes - Vous ne pouvez pas me bluffer, colonel. Vous êtes limpide comme de l'eau de roche et je vois jusqu'à vos pensées les plus profondes.
Le colonel - Alors vous savez où est le diamant.
Holmes - Ah ! Vou s le savez donc ! Vous venez d'en convenir !
Le colonel - Moi ! Je ne conviens de rien du tout.
Holmes - Ecoutez, colonel, si vous voulez bien vous montrer raisonnable, nous pouvons nous entendre. Dans le cas contraire, le risque est grand pour vous.
Le colonel - Et c'est vous qui parlez de bluff !
Holmes ( il prend un livre sur la table ) - Savez- vous ce que je garde dans ce livre ?
Le colonel - Non, monsieur. Je n'en ai aucune idée.
Holmes - Vous.
Le colonel - Moi ?
Holmes - Oui, monsieur, vous ! Vous êtes tout entier là-dedans, avec tous les actes commis au cours de votre dangereuse et vile existence.
Le colonel - Le diable vous emporte, Holmes ! N'allez pas trop loin !
Holmes - Quelques détails intéressants, colonel. La vérité sur la mort de miss Minnie Warrender, de Laburnum Grove. Tout est là, colonel.
Le colonel - Vous... vous...
Holmes - Et l'histoire du jeune Arbothnot qui fut trouvé noyé dans le canal Regents alors qu'il s'apprêtait à vous dénoncer pour avoir triché aux cartes.
Le colonel - Je... Je n'ai jamais touché à ce garçon.
Holmes - Mais il n'en est pas moins mort bien opportunément. De quoi voulez-vous que je vous parle encore, colonel ? Ce n'est pas la matière qui manque dans ce livre. Par exemple, le vol commis dans le train de luxe allant de la Riviera, le 13 février 1892 ? Ou bien le chèque sur le Crédit Lyonnais falsifié cette même année.
Le colonel - Non, là vous êtes dans l'erreur.
Holmes - C'est donc que le reste est exact. Colonel, vous jouez aux cartes. Vous savez, par conséquent, que lorsque l'adversaire détient tous les atouts, c'est un gain de temps que d'abattre son jeu.
Le colonel - S'il y avait un seul mot de vrai dans tout ce que vous racontez, m'aurait-on laissé en liberté depuis tant d'années ?
Holmes - On n'avait pas eu recours à moi. Dans l'enquête menée par la police, il y avait des chaînons manquants. Mais les chaînons manquants, j'ai le don de les retrouver, vous pouvez m'en croire.
Le colonel - Du bluff, monsieur Holmes. Du bluff !
Holmes - Oh ! Vous souhaitez que je prouve mes dires ? Eh bien, si je tire cette sonnette, la police arrivera et je n'aurai plus dès lors à m'occuper de cette affaire. Je sonne ?
Le colonel - Quel rapport tout cela a-t-il avec le joyau dont vous parlier ?
Holmes - Doucement, colonel ! Ne brûlons pas les étapes et laissez-moi en venir au fait à ma tranquille façon. J'ai tout ce qui est là contre vous, et aussi des preuves irréfutables dans cette affaire du diamant de la couronne, tant contre vous que contre votre brute d'acolyte.
Le colonel - Vraiment !
Holmes - J'ai le cocher du fiacre qui vous a conduit à Whitehall et celui qui vous en a ramené. J'ai l'huissier qui vous a vu près de la vitrine. J'ai également Ikey Cohen qui a refusé de tailler le diamant pour vous. Ikey a mangé le morceau, et la partie est terminée.
Le colonel - Bon sang !
Holmes - Voilà les atouts avec lesquels je vais jouer. Mais il me manque une carte. J'ignore où est le roi des diamants.
Le colonel - Vous ne le saurez jamais.
Holmes - Eh là ! Ne devenez pas méchant comme ça. Réfléchissez : vous allez passer vingt ans en prison, et Sam Merton aussi. Alors, à quoi vous servira-t-il d'avoir le diamant ? A rien du tout. Mais si vous me dites où il est... Eh bien, ma foi je transigerai... Ce qui nous intéresse, ce n'est pas de vous avoir, vous ou Sam. C'est la pierre. Donnez-la moi et, en ce qui me concerne, vous pourrez à l'avenir continuer à jouir de la liberté aussi longtemps que vous saurez vous tenir. Mais si vous vous laissez aller de nouveau, alors que Dieu vous vienne en aide ! Personnellement, j'ai été chargé de récupérer la pierre, et non de mettre la main sur vous. ( il sonne )
Le colonel - Mais si je refuse ?
Holmes - Alors, hélas, ce sera vous que je livrerai au lieu du diamant.
Entre Billy
Billy - Oui, monsieur ?
Holmes au colonel - Je pense préférable que votre ami Sam participe à cet entretien. Billy, devant la porte d'entrée, vous verrez un monsieur très costaud et très laid. Demandez-lui de monter, voulez-vous?
Billy - Oui, monsieur. Mais supposons qu'il ne veuille pas venir ?
Holmes - Ne recourez pas à la force, Billy ! Ne le malmenez pas ! Si vous lui dite que le colonel Moran le demande, il viendra.
Billy - Bien, monsieur.
Billy sort
Le colonel - Où voulez-vous en venir ?
Holmes - Tout à l'heure, mon ami Watson était avec moi. Je lui ai dit que j'avais pris dans mon filet un requin et un goujon. A présent je hisse le filet avec son contenu.
Le colonel ( se penche en avant ) - Vous ne mourrez pas dans votre lit, Holmes.
Holmes - Figurez-vous que j'y ai souvent pensé, en effet. Mais en ce qui vous concerne, vous avez plus de chances de finir à la verticale qu'à l'horizontale. Toutefois, ce sont là des anticipations morbides. Abandonnons-nous sans réserve aux joie du présent. Inutile de tripoter votre revolver, mon ami, vous savez très bien que vous n'oserez pas vous en servir. C'est bruyant les revolvers. Mieux vaut s'en tenir au fusil à air comprimé. Colonel Moran... Ah ! il me semble entendre le pas léger de votre digne associé...
Billy - M. Sam Merton.
Sam Merton entre vêtu d'un costume à gros carreaux, avec une cravate voyante et un pardessus mastic.
Holmes - Bonjour, monsieur Merton. Il fait plutôt humide dehors, non ?
Merton au colonel - Qu'est-ce que ça signifie ? Que se passe-t-il ?
Holmes - Pour être concis, monsieur Merton, je dirais que tout est fini.
Merton au colonel - Il cherche à être marrant ou quoi ? J'suis pas d'humeur à rigoler.
Holmes - Vous y serez encore moins enclin à mesure que la soirée s'avancera, je crois pouvoir vous l'assurer. Bon, cela dit colonel, je suis très occupé et je n'ai pas de temps à perdre. Je vais dans ma chambre. En mon absence, faites comme chez vous, je vous prie. Vous pourrez en profiter pour expliquer a situation à votre ami. Je vais travailler la Barcarolle sur mon violon ( il regarde sa montre ). Je reviendrai dans cinq minutes pour que vous me donniez votre réponse définitive. Vous avez bien compris l'alternative, n'est-ce pas ? Nous mettons la main sur la pierre... ou sur vous. ( Il passe dans la chambre en emportant son violon )
Merton - Mais qu'est-ce que c'est ? Il est au courant pour la pierre ?
Le colonel - Oui, il en sait beaucoup trop à ce sujet... Je ne suis même pas sûr qu'il ne sache tout.
Merton - Bon sang !
Le colonel - Ikey Cohen a mangé le morceau. Merton - Il a fait ça ? Alors il y coupe pas que je vais lui casser la gueule !
Le colonel - Mais ça ne nous aidera en rien. Il nous faut décider de ce que nous allons faire.
Merton - Un moment ! Il écoute pas au moins ? ( il s'approche de la porte de la chambre ). Non, c'est fermé. Et même à clef, j'ai l'impression... ( de la musique provient de la chambre ). Oui, pas de doute, il est là-dedans. ( il se dirige vers le rideau ) Mettons-nous ici... ( il tire le rideau, découvre le mannequin) Oh ! le diable l'emporte, il était là ! pinterest.fr
Le colonel - Tut ! C'est un mannequin, rassure-toi.
Merton - Un mannequin ? ( Il l'examine, fait tourner la tête ) Mince alors ! J'voudrais bien pouvoir lui tordre le cou aussi facilement ! C'est lui tout craché. Mme Tussaud ne fait pas mieux !
Comme Merton revient vers le colonel, les lumières s'éteignent brusquement et l'inscription* N'y touchez pas * apparaît dans une clarté rouge. Après quelques instants l'éclairage redevient normal. C'est dans cet intervalle que doit s'opérer la substitution
Merton - Oh ! J'aime pas ça ! Qu'est-ce que c'est donc ? Ca commence à me porter sur les nerfs, Patron!
Le colonel - Allons, allons, il s'agit seulement d'un de ces trucs enfantins qu'affectionne Holmes...Un ressort ou un déclic actionné par un réveil... Ecoute, nous n'avons pas de temps à perdre. Il peut nous faire arrêter pour le diamant.
Merton - Bon Dieu de bon sang !
Le colonel - Mais il nous laissera filer si nous lui disons où se trouve la pierre...
Merton - Ca, il peut se l'accrocher ! Une pierre de cent mille livres !
Le colonel - C'est ça ou aller en taule.
Merton - Y'a pas un moyen de s'en tirer ? C'est vous le cerveau, Patron. Vous devez sûrement pouvoir trouver une combine ?
Le colonel - Attends voir ! J'en ai abusé de plus malin que lui. J'ai la pierre ici, dans ma poche secrète. Elle peut être hors d'ici dès cette nuit, et taillée en quatre à Amsterdam avant samedi. Il sait rien de Van Seddor, tu comprends ?
Merton - Je croyais que Van Seddor ça devait attendre jusqu'à la semaine prochaine ?
Le colonel - Oui, ça devait. Mais à présent il va lui falloir partir par le premier bateau. L'un de nous deux va devoir s'arranger pour filer à l'Excelsior avec la pierre dire à Van Seddor de faire cela.
Merton - Mais on n'a pas encore mis le double fond au carton à chapeau !
Le colonel - Alors, il lui faudra courir le risque d'emporter la pierre comme ça. Il n'y a pas un instant à perdre. Quant à Holmes, nous n'allons pas avoir grand mal à le posséder. Il ne nous fera pas arrêter s'il pense pouvoir récupérer la pierre. Nous allons le lancer sur une fausse piste. Avant qu'il ne découvre la manœuvre, la pierre sera à Amsterdam, et nous aussi nous aurons quitté le pays !
Merton - Formidable !
Le colonel - A présent, file dire à Van Seddor de faire diligence. Moi, je m'occupe du jobard à qui je vais servir une histoire de ma façon. Je vais lui raconter que la pierre est à Liverpool... Quand il aura constaté qu'elle n'y est pas, elle aura été divisée et nous voguerons sur la grande bleue ! ( Il regarde autour de lui avec circonspection, puis sort de sa poche une petite bourse de cuir qu'il tend à son complice ) Tiens, voilà le diamant de la couronne.
Holmes ( il s'en saisit en se levant de son fauteuil ) - Merci.
Le colonel ( il marque un arrêt sous l'effet de la stupeur ) - Le diable vous emporte, Holmes ! ( il enfonce une main dans sa poche )
Merton - Allez-y, Patron !
Holmes - Pas de violence, messieurs, pas de violence, je vous en prie. Il faut vous convaincre que vous êtes dans une situation impossible. La police est en bas.
Le colonel - Maudit... ? Comment vous trouviez-vous là ?
Holmes - Grâce à un moyen tout simple mais efficace : il suffit de faire l'obscurité pendant quelques instants, le reste tombe sous le sens. J'ai pu ainsi vous entendre converser librement, sans que ma présence ne vous gêne. Non, colonel, non : mon Derringer 450 est braqué sur vous dans la poche de ma robe de chambre. ( Il sonne )
Entre Billy
Holmes - Faites-les monter, Billy.
Billy sort
Le colonel - Vous nous avez possédés, salaud !
Merton - Ah ! c'est bien un flic... Mais ce bon sang de violon que j'ai entendu ?
Holmes - Ah, oui, ces nouveaux gramophones ! Une merveilleuse invention... Mer-veilleuse !
Arthur Conan Doyle