jeudi 15 juillet 2021

Le Monde comme il Va Voltaire ( conte France )










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                                                  Le Monde
                                                                  Comme Il Va
                                         Vision de Babouc écrite par lui-même

            Parmi les génies qui président aux empires du monde, Ituriel tient un des premiers rangs, et il a le département de la Haute Asie. Il descendit un matin dans la demeure du Scythe Babouc sur le rivage de l'Oxus et lui dit :
            - Babouc les folies et les excès des Perses ont attiré notre colère. Il s'est tenu hier une assemblée des génies de la Haute Asie pour savoir si on châtierait Persépolis ou si on la détruirait. Va dans cette ville, examine tout, tu reviendras m'en rendre un compte fidèle et je me déterminerai sur ton rapport à corriger la ville ou à l'exterminer.
            - Mais Seigneur, dit humblement Babouc, je n'ai jamais été en Perse, je n'y connais personne.
            - Tant mieux, dit l'ange, tu ne seras point partial. Tu as reçu du Ciel le discernement, et j''y ajoute le don d'inspirer la confiance. Marche, regarde, écoute, observe, et ne crains rien, tu seras partout bien reçu.
            Babouc monta sur son chameau et partit avec ses serviteurs. Au bout de quelques journées il rencontra vers les plaines de Sannaar l'armée persane qui allait combattre l'armée indienne. Il s'adressa d'abord à un soldat qu'il trouva écarté. Il lui parla et lui demanda quel était le sujet de la guerre.
            - Par tous les dieux, dit le soldat, ce n'est pas mon affaire. Mon métier est de tuer et d'être tué pour gagner ma vie. Il n'importe qui je serve. Je pourrais même dès demain passer dans le camp des Indiens, car on dit qu'ils donnent près d'une demi-drachme de cuivre par jour à leurs soldats de plus que nous n'en avons dans ce maudit service de Perse. Si vous voulez savoir pourquoi on se bat parlez à mon capitaine.
            Babouc ayant fait un petit présent au soldat entra dans le camp. Il fit bientôt connaissance avec le capitaine et lui demanda le sujet de la guerre.
            - Comment voulez-vous que je le sache, dit le capitaine. Et que m'importe ce beau sujet, j'habite à deux cents lieues de Persépolis, j'entends dire que la guerre est déclarée, j'abandonne aussitôt ma famille et je vais chercher, selon notre coutume, la fortune ou la mort, attendu que je n'ai rien à faire.
            - Mais vos camarades, dit Babouc, ne sont-ils pas un peu plus instruits que vous ?
            - Non, dit l'officier, il n'y a guère que nos principaux satrapes qui savent bien précisément pourquoi on s'égorge.                                                                                              
            Babouc étonné s'introduisit chez les généraux, il entra dans leur familiarité. L'un d'eux lui dit enfin :
            - La cause de cette guerre qui désole depuis vingt ans l'Asie vient originairement de la querelle entre un eunuque d'une femme du grand roi de Perse et un commis du grand roi des Indes. Il s'agissait d'un droit qui revenait à peu près à la trentième partie d'une darique. Le premier ministre des Indes et le nôtre soutinrent dignement les droits de leurs maîtres. La querelle s'échauffa. On mit de part et d'autre en campagne une armée d'un million de soldats. Il faut recruter cette armée tous les ans de plus de quatre cent mille hommes. Les meurtres, les incendies, les ruines, les dévastations se multiplient. L'univers souffre et l'acharnement continue. Notre premier ministre et celui des Indes protestent souvent qu'ils n'agissent que pour le bonheur du genre humain, et à chaque protestation il y a toujours quelque ville détruite et quelques provinces ravagées.                                                                            
            Le lendemain, sur un bruit qui se répandit que la paix allait être conclue, le général persan et le général indien s'empressèrent de donner bataille. Elle fut sanglante. Babouc en vit toutes les fautes et toutes les abominations. Il fut témoin des manœuvres des principaux satrapes qui firent ce qu'ils purent pour faire battre leur chef. Ils vit des officiers tués par leurs propres troupes. Il vit des soldats qui achevaient d'égorger leurs camarades expirants pour leur arracher quelques lambeaux sanglants déchirés et couverts de fange. Il entra dans les hôpitaux où l'on transportait les blessés dont la plupart expiraient par la négligence inhumaine de ceux mêmes que le roi de Perse payait chèrement pour les secourir.
            - Sont-ce là des hommes, s'écria Babouc, ou des bêtes féroces ? Ah ! je vois bien que Persépolis sera détruite.
            Occupé de cette pensée il passa dans le camp des Indiens. Il y fut aussi bien reçu que dans celui des Perses, selon ce qui lui avait été prédit. Mais il y vit tous les mêmes excès qui l'avaient saisi d'horreur. " Oh, Oh ! dit-il en lui-même, si l'ange Ituriel veut exterminer les Persans, il faut donc que l'ange des Indes détruise aussi les Indiens. " S'étant ensuite informé plus en détail de ce qui s'était passé dans l'une et l'autre armée, il apprit des actions de générosité, de grandeur d'âme, d'humanité qui l'étonnèrent et le ravirent.
            - Inexplicables humains, s'écria-t-il, comment pouvez-vous réunir tant de bassesse et de grandeur, tant de vertus et de crimes ?
            Cependant la paix fut déclarée, les chefs des deux armées dont aucun n'avait remporté la victoire mais qui, pour leur seul intérêt, avaient fait verser le sang de tant d'hommes, leurs semblables, allèrent briguer dans leurs cours des récompenses. On célébra la paix dans des écrits publics qui n'annonçaient que le retour de la vertu et de la félicité sur la terre.
            - Dieu soit loué ! dit Babouc, Persépolis sera le séjour de l'innocence épurée, elle ne sera point détruite comme le voulaient ces vilains génies. Courons sans tarder dans cette capitale de l'Asie.

            Il arriva dans cette ville immense par l'ancienne entrée, qui était toute barbare et dont la rusticité dégoûtante offensait les yeux. Toute cette partie de la ville se ressentait du temps où elle avait été bâtie car, malgré l'opiniâtreté des hommes à louer l'antique aux dépens du moderne, il faut avouer qu'en tout genre les premiers essais sont toujours grossiers.
            Babouc se mêla dans la foule d'un peuple composé de ce qu'il y avait de plus sale et de plus laid dans les deux sexes. Cette foule se précipitait d'un air hébété dans un enclos vaste et sombre. Au bourdonnement continuel, au mouvement qu'il y remarqua, à l'argent que quelques personnes donnaient à d'autres pour avoir droit de s'asseoir, il crut être dans un marché où l'on vendait des chaises de paille. Mais bientôt voyant que plusieurs femmes se mettaient à genoux en faisant semblant de regarder fixement devant elles et regardant les hommes de côté, il s'aperçut qu'il était dans un temple. Des voix aigres, rauques, discordantes, sauvages faisaient retentir la voûte de sons mal articulés qui faisaient le même effet que les voix des onagres quand elles répondent dans les plaines des Pictaves au cornet à bouquin qui les appelle. Il se bouchait les oreilles, mais il fut près de se boucher encore les yeux et le nez quand il vit entrer dans ce temple des ouvriers avec des pinces et des pelles. Ils remuèrent une large pierre et jetèrent à droite et à gauche une terre dont s'exhalait une odeur empestée. Ensuite on vint poser un mort dans cette ouverture, et on remit la pierre par-dessus.
            - Quoi ! s'écria Babouc, ces peuples enterrent leurs morts dans les mêmes lieux où ils adorent la Divinité ! Quoi ! leurs temples sont pavés de cadavres ! Je ne m'étonne plus de ces maladies pestilentielles qui désolent souvent Persépolis. La pourriture des morts et celle de tant de vivants rassemblés et pressés dans le même lieu est capable d'empoisonner le globe terrestre. Ah ! La vilaine vilaine ville que Persépolis ! Apparemment que les anges veulent la détruire pour en rebâtir une plus belle et la peupler d'habitants moins malpropres et qui chantent mieux, la Providence peut avoir ses raisons, laissons-la faire.

            Cependant le soleil approchait du haut de sa carrière, Babouc devait aller dîner à l'autre bout de la ville chez une dame pour laquelle son mari, officier de l'armée, lui avait donné des lettres. Il fit d'abord plusieurs tours dans Persépolis, il vit d'autres temples mieux bâtis et mieux ornés, remplis d'un peuple poli et retentissant d'une musique harmonieuse. Il remarqua des fontaines publiques lesquelles, quoique mal placées, frappaient les yeux par leur beauté, des places où semblaient respirer en bronze les meilleurs rois qui avaient gouverné la Perse, d'autres places où il entendait le peuple s'écrier :
            - Quand verrons-nous ici le maître que nous chérissons ?
            Il admira les ponts magnifiques élevés sur le fleuve, les quais superbes et commodes, les palais bâtis à droite et à gauche, une maison immense où des milliers de vieux soldats blessés et vainqueurs rendaient chaque jour grâce au Dieu des armées. Il entra enfin chez la dame qui l'attendait à dîner avec une compagnie d'honnêtes gens. La maison était propre et ornée, le repas délicieux, la dame jeune, belle, spirituelle, engageante, la compagnie digne d'elle, et Babouc disait en lui-même à tout moment :  " L'ange Ituriel se moque du monde de vouloir détruire une ville si charmante. "

            Cependant il s'aperçut que la dame qui avait commencé par lui demander tendrement des nouvelles de son mari, parlait plus tendrement encore sur la fin du repas, à un jeune mage. Il vit un magistrat qui, en présence de sa femme, pressait avec vivacité une veuve. Et cette veuve indulgente avait une main passée autour du cou du magistrat, tandis qu'elle tendait l'autre à un jeune citoyen très beau et très modeste. La femme du magistrat se leva de table la première pour aller entretenir dans un cabinet voisin son directeur, qui arrivait trop tard et qu'on avait attendu à dîner. Et le directeur, homme éloquent, lui parla dans ce cabinet avec tant de véhémence et d'onction, que la dame avait, quand elle revint, les yeux humides, les joues enflammées, la démarche mal assurée, la parole tremblante.
            Alors Babouc commença à craindre que le génie Ituriel n'eût raison. Le talent qu'il avait d'attirer la confiance le mit dès le jour même dans les secrets de la dame. Elle lui confia son goût pour le jeune mage et l'assura que dans toutes les maisons de Persépolis il trouverait l'équivalent de ce qu'il avait vu dans la sienne. Babouc conclut qu'une telle société ne pouvait subsister, que la jalousie, la discorde, la vengeance devaient désoler toutes les maisons, que les larmes et le sang devaient couler tous les jours, que certainement les maris tueraient les galants de leurs femmes où en seraient tués. Et qu'enfin Ituriel faisait fort bien de détruire tout d'un coup une ville abandonnée à de continuels désordres.

            Il était plongé dans ces idées funestes, quand il se présenta à la porte un homme grave, en manteau noir, qui demanda humblement à parler au jeune magistrat. Celui-ci, sans se lever, sans le regarder, lui donna fièrement, et d'un air distrait quelques papiers, et le congédia. Babouc demanda quel était cet homme. La maîtresse de la maison lui dit tout bas :
            - C'est un des meilleurs avocats de la ville. Il y a cinquante ans qu'il étudie les lois. Monsieur qui n'a que vingt-cinq ans, et qui est satrape de la loi depuis deux jours lui donne à faire l'extrait d'un procès qu'il doit juger qu'il n'a pas encore examiné.
            - Ce jeune étourdi fait sagement, dit Babouc, de demander conseil à un vieillard. Mais pourquoi n'est-ce pas ce vieillard qui est juge ?
            - Vous vous moquez, lui dit-on, jamais ceux qui ont vieilli dans les emplois laborieux et subalternes ne parviennent aux dignités. Ce jeune homme a une grande charge parce que son père est riche et qu'ici le droit de rendre la justice s'achète comme une métairie.
            - Ô mœurs ! Ô malheureuse ville ! s'écria Babouc, voilà le comble du désordre. Sans doute ceux qui ont ainsi acheté le droit de juger vendent leurs jugements. Je ne vois ici que des abîmes d'iniquité.
            Comme il marquait ainsi sa douleur et sa surprise, un jeune guerrier qui était revenu ce jour-même de l'armée lui dit :
            - Pourquoi ne voulez-vous pas qu'on achète les emplois de la robe, j'ai bien acheté, moi, le droit d'affronter la mort à la tête de deux mille hommes que je commande ? Il m'en a coûté quarante mille dariques d'or cette année pour coucher sur la terre trente nuits de suite en habit rouge, et pour recevoir ensuite deux bons coups de flèches dont je me sens encore. Si je me ruine pour servir l'empereur persan, que je n'ai jamais vu, Mr le satrape de robe peut bien payer quelque chose pour avoir le plaisir de donner audience à des plaideurs.
            Babouc, indigné, ne put s'empêcher de condamner dans son cœur un pays où l'on mettait à l'encan les dignités de la paix et de la guerre. Il conclut précipitamment que l'on y devait ignorer absolument la guerre et les lois et que quand même Ituriel n'exterminerait pas ces peuples. Ils périraient par leur détestable administration.
            Sa mauvaise opinion augmenta encore à l'arrivée d'un gros homme qui, ayant salué très familièrement toute la compagnie, s'approcha du jeune officier, et lui dit :
            - Je ne peux vous prêter que cinquante mille dariques d'or car, en vérité, les douanes de l'empire ne m'en ont rapporté que trois cent mille cette année.
            Babouc s'informa quel était cet homme qui se plaignait si peu. Il apprit qu'il y avait dans Persépolis quarante rois plébéiens qui tenaient l'empire de Perse et qui en rendaient quelque chose au monarque.

            Après dîner il alla dans un des plus superbes temples de la ville, il s'assit au milieu d'une troupe de femmes et d'hommes qui étaient venus là pour passer le temps. Le mage partit dans une machine élevée qui parla longtemps du vice et de la vertu. Ce mage divisa en plusieurs parties ce qui n'avait pas besoin d'être divisé. Il prouva méthodiquement tout ce qui était clair. Il enseigna tout ce qu'on savait. Il se passionna froidement et sortit suant et hors d'haleine. Toute l'assemblée alors se réveilla et crut avoir assisté à une instruction. Babouc dit :
            - Voilà un homme qui a fait de son mieux pour ennuyer deux ou trois cents de ses concitoyens. Mais son intention était bonne et il n'y a pas là de quoi détruire Persépolis.
             Au sortir de cette assemblée on le mena vers une fête publique qu'on donnait tous les jours de l'année. C'était dans une espèce de basilique au fond de laquelle on voyait un palais. Les plus belles concitoyennes de Persépolis, les plus considérables satrapes rangés avec ordre formaient un spectacle si beau que Babouc crut d'abord que c'était là toute la fête. Deux ou trois personnes qui paraissaient des rois et des reines parurent bientôt dans le vestibule de ce palais. Leur langage était très différent de celui du peuple, il était mesuré, harmonieux et sublime. Personne ne dormait, on écoutait dans un profond silence qui n'était interrompu que par les témoignages de la sensibilité et de l'admiration publique. Le devoir des rois, l'amour de la vertu, les dangers des passions étaient exprimés par des traits si vifs et si touchants que Babouc versa des larmes. Il ne douta pas que ces héros et ces héroïnes, ces rois et ces reines qu'il venait d'entendre ne fussent les prédicateurs de l'empire. Il se proposa même d'engager Ituriel à les venir entendre bien sûr qu'un tel spectacle le réconcilierait pour jamais avec la ville.
            Dès que cette fête fut finie il voulut voir la principale reine qui avait débité dans ce beau palais une morale si noble et si pure. Il se fit introduire chez Sa Majesté. On le mena par un petit escalier au second étage dans un appartement mal meublé où il trouva une femme mal vêtue qui lui dit d'un air noble et pathétique :
            - Ce métier-ci ne me donne pas de quoi vivre. Un des princes que vous avez vus m'a fait un enfant. J'accoucherai bientôt, je manque d'argent et sans argent on n'accouche point.
            Babouc lui donna cent dariques d'or en disant :
            - S'il n'y avait que ce mal là dans la ville Ituriel aurait tort de se tant fâcher.
            De là il alla passer sa soirée chez des marchands de magnificences inutiles. Un homme intelligent avec lequel il avait fait connaissance, l'y mena. Il acheta ce qui lui plut et on le lui vendit avec politesse beaucoup plus qu'il ne valait. Son ami, de retour chez lui, lui fit voir combien on le trompait. Babouc mit sur ses tablettes le nom du marchand pour le faire distinguer par Ituriel au jour de la punition de la ville. Comme il écrivait on frappa à sa porte. C'était le marchand lui-même qui venait lui rapporter sa bourse que Babouc avait laissé par mégarde sur son comptoir.                                                   
            - Comment se peut-il, s'écria Babouc, que vous soyez si fidèle et si généreux après n'avoir pas eu de honte de me vendre des colifichets quatre fois au-dessus de leur valeur ?
            - Il n'y a aucun négociant un peu connu dans cette ville, répondit le marchand, qui ne fût venu vous rapporter votre bourse, mais on vous a trompé quand on vous a dit que je vous avais vendu ce que vous avez pris chez moi quatre fois plus qu'il ne vaut. Je vous l'ai vendu dix fois davantage et cela est si vrai que si dans un mois vous voulez le revendre vous n'en aurez pas même le dixième. Mais rien n'est plus juste. C'est la fantaisie des hommes qui met le prix à ces choses frivoles. C'est cette fantaisie qui fait vivre cent ouvriers que j'emploie. C'est elle qui me donne une belle maison, un chat commode, des chevaux. C'est elle qui excite l'industrie, qui entretient le goût, la circulation et l'abondance. Je vends aux nations voisines les mêmes bagatelles plus chèrement qu'à vous, et par là je suis utile à l'empire.
            Babouc, après avoir un peu rêvé, le raya de ses tablettes.

            Babouc fort incertain sur ce qu'il devait penser de Persépolis résolut de voir les mages et les lettrés car les uns étudient la sagesses et les autres la religion, et il se flatta que ceux-là obtiendraient grâce pour le reste du peuple. Dès le lendemain matin il se transporta dans un collège de mages. L'archimandrite lui avoua qu'il avait cent mille écus de rente pour avoir fait preuve de pauvreté.et qu'il exerçait un empire assez étendu en vertu de son vœu d'humilité. Après quoi il laissa Babouc entre les mains d'un petit frère qui lui fit les honneurs.
            Tandis que ce frère lui montrait les magnificences de cette maison de pénitence, un bruit se répandit qu'il était venu pour réformer toutes ces maisons. Aussitôt il reçut des mémoires de chacune d'elles et les mémoires disaient tous en substance : " Conservez-nous et détruisez toutes les autres. " A entendre leurs apologies ces sociétés étaient toutes nécessaires. A entendre leurs accusations réciproques elles méritaient toutes d'être anéanties. Il admirait comme il n'y en avait aucune d'elles qui, pour édifier l'univers, ne voulût en avoir l'empire. Alors il se présenta un petit homme qui était un demi-mage et qui lui dit :
            - Je vois bien que l'œuvre va s'accomplir, car Zerdust est revenu sur la terre. Les petites filles prophétisent en se faisant donner des coups de pincettes par devant et le fouet par derrière. Ainsi nous vous demandons votre protection contre le grand lama.
            - Comment ! dit Babouc, contre ce pontife-roi qui réside au Tibet ?
            - Contre lui-même.
            - Vous lui faites donc la guerre et vous levez contre lui des armées ?
            - Non, mais il dit que l'homme est libre et nous n'en croyons rien. Nous écrivons contre lui de petits livres qu'il ne lit pas. A peine a-t-il entendu parler de nous. Il nous a seulement fait condamner comme un maître ordonne qu'on échenille les arbres de ses jardins.

             Babouc frémit de la folie de ces hommes qui faisaient profession de sagesse, des intrigues de ceux qui avaient renoncé au monde, de l'ambition et de la convoitise orgueilleuse de ceux qui enseignaient l'humilité et le désintéressement. Il conclut qu'Ituriel avait de bonnes raisons pour détruire toute cette engeance.

            Retiré il envoya chercher des livres nouveaux pour adoucir son chagrin, et il pria quelques lettrés à dîner pour se réjouir. Il en vint deux fois plus qu'il n'en avait demandé, comme les guêpes que le miel attire. Ces parasites se pressaient de manger et de parler. Ils louaient deux sortes de personnes, les morts et eux-mêmes, et jamais leurs contemporains, excepté le maître de la maison. Si quelqu'un d'eux disait un bon mot, les autres baissaient les yeux et se mordaient les lèvres de douleur de ne l'avoir pas dit. Ils avaient moins de dissimulation que les mages parce qu'ils n'avaient pas de si grands objets d'ambition. Chacun d'eux briguait une place de valet et une réputation de grand homme. Ils se disaient en face de choses insultantes qu'ils croyaient des traits d'esprit. Ils avaient eu quelque connaissance de la mission de Babouc. L'un d'eux le pria tout bas d'exterminer un auteur qui ne l'avait pas assez loué il y avait cinq ans, un autre demanda la perte d'un citoyen qui n'avait jamais ri à ses comédies, un troisième demanda l'extinction de l'Académie parce qu'il n'avait jamais pu parvenir à y être admis. Le repas fini chacun d'eux s'en alla seul, car il n'y avait pas dans toute la troupe deux hommes qui pussent se souffrir, ni même se parler ailleurs que chez les riches qui les invitaient à leur table. Babouc qu'il n'y avait pas grand mal quand cette vermine périrait dans la destruction générale.

            Dès qu'il se fut défait d'eux il se mit à lire quelques livres nouveaux. Il y reconnut l'esprit de ses convives. Il vit surtout avec indignation ces gazettes de la médisance, ces archives du mauvais goût, que l'envie, la bassesse et la faim ont dictées, ces lâches satires où l'on ménage le vautour et où l'on déchire la colombe, ces romans dénués d'imagination où l'on voit tant de portraits de femmes que l'auteur ne connaît pas.
            Il jeta au feu tous ces détestables écrits et sortit pour aller le soir à la promenade. On le présenta à un vieux lettré qui n'était point venu grossir le nombre de ses parasites. Ce lettré fuyait toujours la foule, connaissait les hommes, en faisait usage et se communiquait avec discrétion. Babouc lui parla avec douleur de ce qu'il avait lu et de ce qu'il avait vu.
            - Vous avez lu des choses bien méprisables, lui dit le sage lettré, mais dans tous les temps et dans tous les pays et dans tous les genres le mauvais fourmille et le bon est rare. Vous avez reçu chez vous le rebut de la pédanterie parce que dans toutes les professions ce qu'il y a de plus indigne de paraître est toujours ce qui se présente avec le plus d'impudence. Les véritables sages vivent entre eux retirés et tranquilles. Il y a encore parmi nous des hommes et des livres dignes de votre attention.
            Dans le temps qu'il parlait ainsi un autre lettre les joignit. Leurs discours furent si agréables et si instructifs, si élevés au-dessus des préjugés et si conformes à la vertu que Babouc avoua n'avoir jamais rien entendu de pareil. " Voilà des hommes, disait-il tout bas, à qui l'ange Ituriel n'osera toucher, ou il sera bien impitoyable. "
            Accommodé avec les lettrés il était toujours en colère contre le reste de la nation.
            - Vous êtes étranger, lui dit l'homme judicieux qui lui parlait, les abus se présentent à vos yeux en foule, et le bien qui est caché et qui résulte quelquefois de ces abus mêmes, vous échappe. .
            Alors il apprit que parmi les lettrés il y en avait quelques-uns qui n'étaient pas envieux, et que parmi les mages mêmes il y en avait de vertueux. Il conçut à la fin que ces grands corps, qui semblaient en se choquant préparer leurs communes ruines, étaient au fond des institutions salutaires, que chaque société de mages était un frein à ses rivales, que si ces émules différaient dans quelques opinions ils enseignaient tous la même morale, qu'ils instruisaient le peuple et qu'ils vivaient soumis aux lois, semblables aux précepteurs qui veillent sur le fils de la maison, tandis que le maître veille sur eux-mêmes. Il en pratiqua plusieurs et vit des âmes célestes. Il apprit même que parmi les fous qui prétendaient faire la guerre au grand-lama il y avait eu de très grands hommes. Il soupçonna enfin qu'il pourrait bien en être des mœurs de Persépolis comme des édifices dont les uns lui avaient paru dignes de pitié et les autres l'avaient ravi en admiration.

            Il dit à vos lettrés :
            - Je connais très bien que ces mages que j'avais crus si dangereux sont en effet très utiles surtout quand un gouvernement sage les empêche de se rendre trop nécessaires, mais vous m'avouerez au moins que vos jeunes magistrats qui achètent une charge de juge dès qu'ils ont appris à monter à cheval doivent étaler dans les tribunaux tout ce que l'impertinence a de plus ridicule et tout ce que l'iniquité a de plus pervers. Il vaudrait mieux sans doute donner ces places gratuitement à ces vieux jurisconsultes qui ont passé toute leur vie à peser le pour et le contre.
            Le lettré lui répliqua :
            - Vous avez vu notre armée avant d'arriver à Persépolis. Vous savez que nos jeunes officiers se battent très bien quoiqu'ils aient acheté leur charge. Peut-être verrez-vous que nos jeunes magistrats ne jugent pas mal, quoiqu'ils aient payé pour juger.
      Il le mena le lendemain au grand tribunal où l'on devait rendre un arrêt important. La cause était connue de tout le monde. Tous ces vieux avocats qui en parlaient étaient flottants dans leurs opinions, il alléguaient cent lois dont aucune n'était applicable au fond de la question. Ils regardaient l'affaire par cent côtés dont aucun n'était dans son vrai jour. Les juges décidèrent plus vite que les avocats ne doutèrent. Leur jugement fut presque unanime, ils jugèrent bien parce qu'ils suivaient les lumières de la raison et les autres avaient opiné mal, parce qu'ils n'avaient consulté que leurs livres.

            Babouc conclut qu'il y avait souvent de très bonnes choses dans les abus. Il vit dès le jour même que les richesses des financiers, qui l'avaient tant révolté, pouvaient produire un effet excellent car l'empereur ayant eu besoin d'argent, il trouva en une heure ce qu'il n'aurait pas eu en six mois par les voies ordinaires. Il vit que ces gros nuages enflés de la rosée de la terre lui rendaient en pluie ce qu'ils en recevaient. D'ailleurs les enfants de ces hommes nouveaux, souvent mieux élevés que ceux des familles plus anciennes, valaient quelquefois beaucoup mieux, car rien n'empêche que l'on soit un bon juge, un brave guerrier, un homme d'Etat habile, quand on a eu un père bon calculateur.
 
            Insensiblement Babouc faisait grâce à l'avidité du financier qui n'est pas au fond plus avide que les autres hommes et qui est nécessaire. Il excusait la folie de se ruiner pour juger et de se battre, folie qui produit de grands magistrats et des héros. Il pardonnait à l'envie des lettrés parmi lesquels il se trouvait des hommes qui éclairaient le monde. Il se réconciliait avec les mages ambitieux et intrigants chez lesquels il y avait encore plus de grandes vertus que de petits vices. Mais il lui restait bien des griefs et surtout les galanteries des dames et les désolations qui en devaient être la suite le remplissaient d'inquiétude et d'effroi.
            Comme il voulait pénétrer dans toutes les conditions humaines il se fit mener chez un ministre mais il tremblait toujours en chemin que quelque femme ne fût assassinée en sa présence par son mari. Arrivé chez l'homme d'Etat il resta deux heures dans l'antichambre sans être annoncé, et deux heures encore après l'avoir été. Il se promettait bien dans cet intervalle de recommander à l'ange Ituriel et le ministre et ses insolents huissiers. L'antichambre était remplie de dames de tout étage, de mages de toutes couleurs, de juges, de marchands, d'officiers, de pédants. Tous se plaignaient du ministre. L'avare et l'usurier disaient :
            - Sans doute cet homme-là pille les provinces.
            Le capricieux lui reprochait d'être bizarre, le voluptueux disait :
            - Il ne songe qu'à ses plaisirs.
            L'intrigant se flattait de le voir bientôt perdu par une cabale, les femmes espéraient qu'on leur donnerait bientôt un ministre plus jeune.
            Babouc entendait leurs discours, il ne put s'empêcher de dire :
            - Voilà un homme bien heureux. Il a tous ses ennemis dans son antichambre. Il écrase de son pouvoir ceux qui l'envient. Ils voient à ses pieds ceux qui le détestent.
            Il vit un petit vieillard courbé sous le poids des années et des affaires, mais encore vif et plein d'esprit
            Babouc lui plut et il parut à Babouc un homme estimable. La conversation devint intéressante. Le ministre lui avoua qu'il était un homme très malheureux, qu'il passait pour riche et qu'il était pauvre, qu'on le croyait tout-puissant et qu'il était toujours contredit. Qu'il n'avait guère obligé que des ingrats et que dans un travail continuel de quarante années il avait eu à peine un moment de consolation. Babouc en fut touché et pensa que si cet homme avait fait des fautes et si l'ange Ituriel voulait le punir il ne fallait pas l'exterminer mais seulement lui laisser sa place.

            Tandis qu'il parlait au ministre entre brusquement la belle dame chez qui Babouc avait dîner, on voyait dans ses yeux et sur son front les symptômes de la douleur et de la colère. Elle éclata en reproches contre l'homme d'Etat, elle versa des larmes, elle se plaignit avec amertume de ce qu'on avait refusé à son mari une place où sa naissance lui permettrait d'aspirer et que sa naissance et ses services méritaient. Elle s'exprima avec tant de force, elle mit tant de grâce dans ses plaintes, elle détruisit les objections avec tant d'adresse, elle fit valoir les raisons avec tant d'éloquence, qu'elle ne sortit point de la chambre sans avoir fait la fortune de son mari.
            Babouc lui donna la main.                                    
            - Est-il possible, madame lui dit-il, que vous vous soyez donné toute cette peine pour un homme que vous n'aimez point et dont vous avez tout à craindre ?          
            - Un homme que je n'aime point ! s'écria-t-elle, sachez que mon mari est le meilleur ami que j'aie au monde, qu'il n'y a rien que je ne lui sacrifie, hors mon amant. Et qu'il ferait tout pour moi, hors de quitter sa maîtresse. Je veux vous la faire connaître. C'est une femme charmante, pleine d'esprit et du meilleur caractère du monde. Nous soupons ensemble ce soir avec mon mari et mon petit mage, venez partager notre joie.
            La dame mena Babouc chez elle. Le mari qui était enfin arrivé, plongé dans la douleur, revit sa femme avec des transports d'allégresse et de reconnaissance. Il embrassait tour à tour sa femme, sa maîtresse, le petit mage et Babouc. L'union, la gaieté, l'esprit et les grâces furent l'âme du repas.            - Apprenez, lui dit la belle dame chez qui il soupait, que celles qu'on appelle quelquefois de malhonnêtes femmes ont presque toujours le mérite d'un très honnête homme, et pour vous en convaincre venez demain dîner avec moi chez la belle Téone. Il y a quelques vieilles vestales qui la déchirent, mais elle fait plus de bien qu'elles toutes ensemble. Elle ne commettrait pas une légère injustice pour le plus grand intérêt. Elle ne donne à son amant que des conseils généreux, elle n'est occupée que de sa gloire. Il rougirait devant s'il avait laissé échapper une occasion de faire du bien, car rien n'encourage plus aux actions vertueuses que d'avoir pour témoin et pour juge de sa conduite une maîtresse dont on veut mériter l'estime.
            Babouc ne manqua pas au rendez-vous. Il vit une maison où régnaient tous les plaisirs. Téone régnait sur eux, elle savait parler à chacun son langage. Son esprit naturel mettait à son aise celui des autres. Elle plaisait sans presque le vouloir, elle était aussi aimable que bienfaisante et, ce qui augmentait le prix de toutes ses bonnes qualités, elle était belle.
            Babouc, tout Scythe et tout envoyé qu'il était d'un génie, s'aperçut que s'il restait encore à Persépolis il oublierait Ituriel pour Téone. Il s'affectionnait à la ville dont le peuple était poli, doux et bienfaisant, quoique léger, médisant et plein de vanité. Il craignait que Persépolis ne fût condamnée. Il craignait même le compte qu'il allait rendre.
            Voici comme il s'y prit pour rendre ce compte. Il fit faire par le meilleur fondeur de la ville une petite statue composée de tous les métaux, des terres et des pierres les plus précieuses et les plus viles. Il la porta à Ituriel.
            - Casserez-vous, dit-il cette jolie statue parce que tout n'y est pas or et diamant ?
            Ituriel entendit à demi-mot. Il résolut de ne pas même songer à corriger Persépolis et de laisser aller le monde comme il va car dit-il :
            - Si tout n'est pas bien, tout est passable.
            On laissa donc subsister Persépolis, et Babouc fut bien loin de se plaindre comme Jonas qui se fâcha qu'on ne détruisait pas Ninive. Mais quand on a été trois jours dans le corps d'une baleine on n'est pas de si bonne humeur que quand on a été à l'opéra, à la comédie et qu'on a soupé en bonne compagnie


                                                                                      V O L T A I R E

                         ( conté en ste en 1747 1è éd  1748 titre de 1764 )                     
      

Le jardinier d'Otchakov Andreï Kourkov ( roman Ukraine )





   







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                                    Le jardinier d'Otchakov

            Ou la vie pour partie extra-ordinaire d'Igor né à Kiev, habitant de Irpen à peine distant de 20 km de la capitale.. Un conte pour adulte. Jours d'automne, tout au long du livre souvent " ... le ciel était grisâtre, nuageux... " et Igor homme encore jeune, inactif, sujet à des migraines à la suite d'un choc à la tête dans son enfance, pourtant il songe " ... toute journée d'existence, qu'elle soit maussade ou torride, avait besoin d'être correctement remplie, faute de quoi on pouvait aussi bien rayer cette date de sa vie... " Il vit avec sa mère et sa rente dans une petite maison. Un jour cette dernière ramène Stépan. Il se dit à la recherche d'un travail et d'un toit. La remise, et les divers travaux d'entretien du jardin seront le point de départ d'une drôle d'histoire. Une énigme tatouée sur son épaule... Nous sommes en 2010. Les ordinateurs d'importation sont d'une grande aide mais aussi dangereux pour de trop habiles informaticiens. Ainsi Kolian très grand ami d'Igor, employé de banque mais aussi hacker craint les menaces des victimes piégées. Ils sont vêtus de vêtements chinois, boivent beaucoup de cognac et de thé. Vodka et nourriture ukrainienne, kasha, catlettes, fument les papirosis. Ambiance. De bagages retrouvés Stépan sort un uniforme de milicien russe, il l'offre à Igor alors !
Là habile, l'auteur nous transporte en 1957 et ce sont les mœurs sous domination de l'URSS. La mafia d'hier et du jour, l'amour. Plus tard Igor plongé dans un livre de recettes de cuisine lit " ...La nourriture ennemie. Elle asservit le peuple. Il n'est qu'à considérer le pêcheur : il appâte le poisson avant de le pêcher, il l'habitue à fréquenter le lieu même où la mort le guette. De la même manière, les ennemis du peuple appâtent l'homme... "
 Et Igor conclura plus tard que la société est composée de forestiers qui abattent et de jardiniers... Par l'auteur du Pingouin, de Laitier de nuit. Plaisir de la lecture.


vendredi 9 juillet 2021

Carole et Clark Vincent Duluc ( Roman biographie France )

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                                                   Carole & Clark

            Couple mythique formaté par les services publicités de la MGM. Duluc articule son livre autour de la si belle Carole pour qui il éprouve visiblement une sympathie, raisonnée, et nous aussi. Jane Alice Peters née dans l'Indiana, en 1908, quitte très tôt sa ville natale, entraînée par sa mère, et commence une vie hollywoodienne. Et Hollywood ne fut pas du tout un mirage pour l'adolescente qui courut les castings et les figurations pour subvenir aux frais quotidiens. Sportive, l'actrice fut bonne tenniswoman et se lia d'amitié avec une championne et des champions. Chapeautée par sa mère, mais libre malgré tout Carole Lombard débute alors que le cinéma muet produit ses derniers feux, mais aura une présence et une voix suffisamment agréables pour passer l'épreuve du parlant. Fine, élégante, jolie blonde pleine de ressources, de vitalité, parle comme un charretier dit-on, suivie par une belle collection d'amants, elle tourne dans des comédies souriantes, aimerait quelques rôles dram atiques. Carole Lombard, star hollywoodienne, joue le jeu de la star employée, et l'une des mieux payées, par les studios de la Metro 
Goldwyn Mayer. Les moindres faux-pas ou vus tels par le public sont rattrapés et retravaillé le communiqué. Très ouverte elle pense qu'il n'y a qu'un Dieu, le même pour tout le monde. L'auteur de cette biographie romancée nous montre un " Rhett Butler "que Carole Lombard rencontre alors qu'il tourne Autant en emporte le vent; appelé le " King ", mais qu'elle surnomme Pappy, " ..... porteur d'un règne animal...... " mais cachant ses mauvaises dents sous des jaquettes, collant ses grandes oreilles le temps du tournage, mais timide, détestant les interviews, avec fossettes et aimant la chasse, la pêche, son ranch. Il perd sa mère à dix mois ensuite les aléas se sont succédés. Il quitte l'Ohio et trouve le chemin de Hollywood, fera partie des élus. Comme Carole, Clark Gable accepte les directives des studios, temps mesuré des baisers, et autres restrictions dans les scènes de cinéma, porte-t-il une moustache aussi élégante que William Powell, c'est selon les goûts. Mais l'homme au vécu pauvre, est connu " comme avare comme un rat ". Il se mariera cinq fois, courant après " toutes les mini-jupes ". Et Carole jalouse prend l'avion au lieu du train, pour être plus tôt près de Clark qui alors tourne avec Lana Turner, dangereuse blonde du cinéma des années 40. Pearl Harbour et ce désastre ont décidé Carole de visiter qlques villes où elle lève des fonds, deux millions pour l'armée. Son retour hâtif et le tragique accident pousseront Clark à s'engager aussi. Leur vie est un roman. " ..... elle avait rejoint le culte bahaïe, elle avait tenté d'expliquer à Clark que toutes les religions venaient du même Dieu, qu'il fallait consacrer son temps sur terre à apprendre......... mais dans ses bons jours Gable avait du mal à apprendre....... " Mieux qu'une biographie banale, le roman de Gable et Lombard, pardon Carole et Clark, semble dire ; " Seraient-ils méconnus ? " Agréable lecture.



mercredi 7 juillet 2021

Le mot et la chose Gabriel - Charles de Lattaignant ( Poème France )


                                                                                                                

  aquarelle guillaume apollinaire piqué cult.fr 














                                   Le mot et la chose      

            Madame quel est votre mot
            Et sur le mot et sur la chose
            On vous a dit souvent le mot
            On vous a fait souvent la chose

            Ainsi de la chose et du mot
            Vous pouvez dire quelque chose
            Et je gagerais que le mot
            Vous plaît beaucoup moins que la chose                                                  

            Pour moi voici quel est mon mot
            Et sur le mot et sur la chose
            J'avoûrai que j'aime le mot
            J'avoûrai que j'aime la chose

            Mais c'est la chose avec le mot
            Mais c'est le mot avec la chose
            Autrement la chose et le mot
            A mes yeux seraient peu de chose

            Je crois même en faveur du mot
            Pouvoir ajouter quelque chose
            Une chose qui donne au mot
            Tout l'avantage sur la chose

            C'est qu'on peut dire encore le mot
            Alors qu'on ne fait plus la chose
            Et pour peu que vaille le mot
            Mon Dieu c'est toujours quelque chose


            De là je conclus que le mot                                 


            Doit être mis avant la chose
            Qu'il ne faut ajouter au mot                                                 
            Qu'autant que l'on peut quelque chose

            Que pour vous la chose et le mot
            Doivent être la même chose                                                                              pinterest.fr
            Et vous n'avez pas dit le mot                              
            Qu'on est déjà prêt à la chose

            Et que pour le jour où le mot
            Viendra seul hélas sans la chose
            Il faut se réserver le mot
            Pour se consoler de la chose

            Pour vous je crois qu'avec le mot
            Vous voyez toujours autre chose
            Vous dîtes si gaîment le mot
            Vous méritez si bien la chose

            Mais quand je vous dis que le mot
            Doit être mis avant la chose
            Vous devez me croire à ce mot
            Bien peu connaisseur en la chose ?      

            Eh bien voici mon dernier mot
            Et sur le mot et sur la chose
            Madame passez-moi le mot
            Et je vous passerai la chose


                       L'Abbé Gabriel - Charles de L'Attaignant

                                 ( 1697 - 1779 )
            

mardi 6 juillet 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 143 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                           16 Juin 1665    

            Levé puis à mon bureau. Travaillait d'arrache-pied quand je fus informé de l'arrivée du duc d'York et du rendez-vous qu'il nous avait fixé pour l'après-midi. Dîner, fis quelque travail au bureau, puis à Whitehall où on ne voit à la Cour que le Duc et ses courtisans de retour, tous gros et gras, le teint rougi par le soleil après avoir été en mer. Lui baisai les mains et nous restâmes là tout l'après-midi. Un peu plus tard vis aussi Mr Coventry, ce qui me fit grand plaisir. Bientôt lui et moi faussâmes compagnie aux autres et allâmes déambuler dans la grande galerie où, après bien des marques d'affection, nous en vînmes à parler affaires. Entre autres, comment milord Sandwich, à la fois par ses conseils et les services qu'il a rendus s'est conduit de la façon la plus honorable et à l'avantage de chacun.
            Sir John Lawson est arrivé à Greenwich, mais sa blessure au genou a encore fort mauvaise allure. Jonas Poole du Vanguard s'est montré si lâche qu'il est, ou sera, renvoyé de son poste. Le capitaine Holmes qui, du fait de la mort de Sansum, s'attendait à être promu contre-amiral du prince, mais c'est Harman qui a été nommé, a rendu au Duc son brevet qui le lui a pris et déchiré. Il semble que le Duc ait demandé au prince, qui lui avait le premier fait part des intentions de Holmes de rendre son brevet, de l'en dissuader car, dans ce cas, il avait pris la résolution de le reprendre s'il le lui rendait.. Mais Holmes était bien décidé, en jeune vaniteux et irréfléchi, mais il a du bien et, dit-on, guettait l'occasion de quitter la marine.
            Plusieurs de nos capitaines ont mal agi. Ce sont nos bâtiments de fort tonnage qui ont emporté la victoire et ont littéralement terrassé l'ennemi, qui a pris la fuite à la seule vue du Prince.
            Il est singulier de voir qu'on vilipende déjà sir William Berkeley, le frère de milord Fitzharding, alors qu'il était, il y a à peine trois mois, la coqueluche de la Cour. Quand au capitaine Smith du Mary, le Duc en parle avec louange et quelque grand honneur lui est réservé.
            Il est curieux d'apprendre que les Hollandais se font passer pour les vainqueurs, au dire du Duc, et qu'on fait des feux de joie en leur honneur à Dunkerque, alors que jamais victoire n'a été plus décisive. Mr Coventry estime que leurs pertes se chiffrent au bas mot à 6 000 hommes. Chez nous, guère plus de 200 morts et 400 blessés, en tout environ 600.
            Rentrai et à mon bureau jusqu'à plus de minuit, puis chez moi, souper et, au lit. Ma femme et ma mère n'étant pas encore rentrées de chez Will Hewer qui donne une réception en l'honneur de ma mère.
            <<  Le capitaine Grove, selon le Duc, à commis la pire des vilénies à Lowestoft car, quand il entendit gronder les canons, il refusa, au contraire des autres, de mettre à la voile et resta à l'ancre, ce pour quoi il sera jugé. Il a la réputation d'être un freluquet jacasseur et un lâche. >>


                                                                                                                           17 juin

            Ma femme est rentrée se coucher vers une heure du matin.
            Levé puis sortis m'occuper des affaires de Tanger, revins à mon bureau où nous travaillâmes. A midi chez moi, dînai puis me rendis chez Mr Povey, après qu'avec Mr Andrews sommes allés trouver Mr Ball et un certain major Strange qui essaie de trouver de l'argent contre des tailles, et seconde Mr Andrews. Parlai longuement avec Ball qui nous sera sans doute fort utile dans mes entreprises. Ai dit tout net à Mr Povey le peu d'enthousiasme que j'avais pour mon poste de trésorier qui me cause tant de soucis. Il manifesta, apparemment, une grande inquiétude à la pensée que je puisse renoncer à ce poste sans plus de façons. ll va sans dire que, si la chose est possible, je le garderai. Apprenant que milord le trésorier général avait quitté la ville avec sa famille, à cause de l'épidémie, je rentrai sans plus tarder. Trouvai à mon bureau sir William Penn, qui a fort bonne mine, Et je suis plus heureux de le voir en ces circonstances qu'en d'autres, ayant entendu tant de louanges à son sujet pour services rendus au cours du haut fait récent. A mon bureau très tard, puis rentrai me coucher.
            Cet après-midi j'eus un grand émoi, dans Holborne, alors que je revenais en fiacre de chez milord le trésorier général. Le cocher, que je voyais conduire de plus en plus lentement, finit par s'arrêter tout net et descendit en titubant. Il me dit qu'il s'était soudain senti très mal et avait eu un éblouissement au point de ne plus voir clair. Je descendis donc, pris un autre fiacre, le cœur plein de tristesse pour ce malheureux et inquiet pour moi, craignant qu'il n'ait été frappé par la peste qui sévit à l'autre bout de la ville, là où je suis monté en voiture. Dieu ait pitié de nous tous !
            J'apprends que sir John Lawson est plus mal qu'hier. Le roi lui a rendu visite hier, fort aimablement. Ce n'est pas que sa blessure soit très grave, mais il est atteint de la fièvre d'une inflammation de la gorge et d'un hoquet, les trois à la fois, ce qui est, je crois, très mauvais signe.


                                                                                                                     18 juin
                                                                                                  Jour du Seigneur
            Levé et à l'église où sir William Penn se rendait pour la première fois depuis son retour de bataille. Mr Mills fit un piètre sermon, visant à démontrer qu'un autre monde succéderait à celui-ci. Chez moi, dîner, puis à mon cabinet tout l'après-midi. Mr Andrews vint alors me rendre visite pour que nous chantions ensemble, mais Mr Hill n'arrivant point, et comme nous avions, l'un et l'autre, fort à faire on se quitta. Mr Povey et Creed vinrent parler de nos besoins d'argent pour Tanger. Eux partis j'apprends que sir William Batten et milady sont revenus de Harwich. J'allai leur rendre visite. Il est savoureux de voir à quel point nous faisons montre d'amabilité entre nous, alors que nous nous soucions les uns des autres comme d'une guigne.
            Rentrai souper, une missive urgente du commissaire Pett étant arrivée, afin de recruter de force des calfats dès que possible, et je m'y emploierai pour servir Sa Majesté. Je rédigeai un mandat en toute hâte, puis le délivrai. A mon bureau quelque temps, puis rentrai me coucher.


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            Levé, à Whitehall avec sir William Batten, nous arrêtant en chemin chez lord Ashley, mais en vain il était absent. Au palais nous tînmes notre réunion habituelle devant le Duc et d'autres officiers des munitions. Revins à la Bourse, dînai seul, ma femme étant allée chez sa mère. Après quoi allai chez mon nouveau petit orfèvre qui a comme épouse la plus jolie, la plus vertueuse brunette que j'aie jamais vue. Achetai une douzaine de salières d'argent pour 6 £ 14 shillings et 6 pence, puis avec John Lawson, toujours malade malgré un léger mieux. Son hoquet n'ayant encore guère cessé ne pûmes parler. Chez moi, souper, quelque temps à mon bureau, l'esprit mécontent à la vue de la quantité de papiers
 et de travail qui s'accumulent et du peu de temps que j'ai à y consacrer.


                                                                                                                              20 juin 1665
                                                             Jour de grâces pour la victoire sur les Hollandais
            Levé et à mon bureau, seul, toute la matinée, travaillai beaucoup jusqu'à l'heure de l'office. Entendis un bien médiocre sermon de Mr Mills, puis à la taverne du Dauphin où, nous tous du bureau de la Marine, avons entendu, comme convenu, les commissaires du service des munitions. Dînèrent et, à ma demande, fut jouée quelque plaisante musique. Notre écot se monta à 34 shillings par personne, nous étions neuf.
            Après dîner à Whitehall avec sir William Berkeley, dans sa voiture, puis marchai jusque chez Herbert où je passai quelque moment avec la mosa, sin hazer algo con ella que embrasser et tocar ses mamelles, que me haza hazer la cosa a mi mismo con gran plaisir.
            Puis par le fleuve à Vauxhall, où je me promenai seul une heure, et j'observai comment en ce jour de congé les gens venus de la Cité se divertissaient, chacun suivant son humeur, jouaient à la cerise, ou Dieu sait quoi encore. Derechef à mon bureau, Travaillai fort tard, car ni ma femme ni ma mère qui avaient passé toute la journée sur la Tamise, n'étaient rentrées, bien que ma mère dût quitter la ville sans tarder. Rentrai souper et, au lit. ( Ma femme rentra lorsque je revins du bureau. )
            < Fus avisé aujourd'hui que quatre ou cinq personnes étaient mortes aujourd'hui de la peste à Westminster, dimanche dernier, dans plusieurs maisons dans une venelle, Bell Alley qui jouxte la porte du palais. On persiste à croire que les chiffres sont inférieurs à ceux de la semaine précédente.
            Les Hollandais ont fait une nouvelle sortie, 20 navires sous le commandement de Banckert. Ils font route vers le nord, pense-t-on, à la rencontre de leur flotte des Indes orientales. >


                                                                                                                          21 juin

            Levé, eus fort à faire toute la matinée. A midi, avec Creed, au bureau de la Règle où j'apprends qu'il faudra seize mois avant d'avoir l'argent de nos tailles, voilà qui est bien triste, à savoir que le roi ait tant d'intérêts à payer pour chaque penny qu'il dépense, et singulier car, les orfèvres avec qui je me suis entretenu affirment qu'on ne les fera pas se départir de leur argent, malgré l'augmentation de leurs intérêts à 10 % qu'ils ont obtenus. Par conséquent, ils désirent que je ne m'en mêle point. A vrai dire, ce serait désastreux pour le roi et de fâcheuses conséquences en découleraient pour toutes les finances royales. 
            Chez moi. Mon oncle Whight et ma tante James ont dîné avec moi, ma mère devant partir dès demain.
            A Whitehall où je puis, avant et après le Conseil, m'entretenir avec sir Thomas Ingram de la mauvaise tournure que prennent nos affaires de Tanger en matière d'argent. Il a demandé au roi de tenir une réunion vendredi qui, je l'espère, mettra un terme, d'une manière ou d'une autre, à mon inquiétude.
            Sur le chemin du retour m'arrêtai à la taverne des Deux Clefs, à Cripplegate, où je constate que tout le monde, ou presque, quitte la ville. Voitures et charrettes sont remplies de gens partant pour la campagne. Eus quelque temps la compagnie de la femme du tavernier, puis, derechef, à mon bureau et chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                       22 juin  

            Levé joliment tôt, me demandant avec angoisse si je devais envoyer ma mère à la campagne aujourd'hui, car j'apprends par mes gens qu'elle, la pauvre, a envie de rester quelque temps encore, ce dont je ne puis la blâmer, sachant qu'elle vie elle devra mener, mais elle en est la seule responsable, quand elle rentrera chez elle, au lieu des agréments et des libertés dont elle a profité ici. Je résolus enfin de la laisser décider elle-même, et elle accepta de partir. Je ne m'y opposai pas à cause de l'épidémie qui frappe la ville et de mon intention de faire partir ma femme. Lui donnai donc de l'argent et pris affectueusement congé d'elle. La pauvrette me demanda de pardonner à mon frère John. Je refusai, ce qui la mécontenta, la pauvre âme. Je le lui ai pourtant dit gentiment et j'ai laissé tomber la conversation, mais elle me quitta cependant le cœur fort chagrin.

            Partis à mon bureau, laissant ma femme et mes gens l'accompagner jusqu'aux portes de la ville et lui faire leurs adieux. Travaillai à mon bureau. A midi ma femme me dit qu'elle est partie après bien des histoires, Dieu la bénisse ! Elle n'avait aucune envie de partir, jusqu'au dernier moment, mais refusa de partir, si bien qu'à force de tergiverser elle perdit la place qui lui avait été réservée dans la diligence et dut voyager à l'arrière. 
            Après dîner derechef à mon bureau jusqu'au soir, très affairé, puis rentrai point trop tard, souper et, au lit.


                                                                                                                                                                                              23 juin

            Levé et à Whitehall, à une séance de la commission de Tanger, en présence de son Altesse Royale. Nous avions pour dessein de leur exposer la véritable situation où se trouve notre commission par manque d'argent, si grand que nous avions besoin d'aide urgente. A notre satisfaction il fut décidé que cette aide serait accordée et on proposa divers moyens à cette fin.
            Arriva milord Sandwich qui, je l'ignorais, est semble-t-il rentré de Londres hier soir. Lorsque la séance fut levée, milord me prit à part et nous déambulêmes, seul à seul, une heure dans la chambre de la Robe. Il me dit tout le cas que firent de lui le Duc et Mr Coventry, à la fois en mer et ici, et cela contre l'avis du prince. Puis, en aparté, il me dit qu'il avait été témoin où tous deux s'étaient moqués du prince et avaient ri de lui. Mais il trouve singulier que, dans tout ce qu'on dit à Londres et ce qu'on imprime, il n'y ait pas un mot pour lui rendre hommage. Il m'assure que, bien que le prince ait été en première ligne, par hasard, au début de la bataille lors de la première bordée, il avait lui-même combattu en première ligne tout le reste de la journée et y était resté. Que, malgré tout le bruit que fait le prince, c'est à peine si un boulet avait touché le flanc de son vaisseau, et pas un seul de ses hommes tué, tandis que lui, milord avait reçu plus de trente boulets dans sa coque, et n'avait pas eu un seul mât ni une seule vergue épargnés, que son vaisseau avait été le plus endommagé, qu'il avait le plus souffert de pertes en hommes, si on excepte le capitaine Smith du Mary. Que la plupart des actions du Duc furent menées hors de portée de canon et que si, en effet, le Duc était venu à la rescousse de milord c'était après que ce dernier eut lui-même combattu quatre vaisseaux hollandais, que, malgré tout le bien qu'on avait pu en dire, sir John Lawson s'était comporté de piètre façon, car son vaisseau avait changé de cap, tandis que sir John Lawson était sur le pont, mettant ainsi en danger tout le reste de la flotte.
            Par conséquent, milord est mécontent que Coventry n'ait pas dit un seul mot de lui dans son rapport. Je lui répondis que je savais avec certitude que le rapport avait été établi non par Mr Coventry, mais par L'Estrange, à partir de diverses lettres, ce dont j'avais été témoin, et que dans cette lettre au Duc d'Albemarle, Mr Coventry rendait justice autant à milord qu'au prince. Je l'avais moi-même lue le premier et recopiée, et lui fis promettre de la lui montrer, ce qui le rasséréna quelque peu.
            Sur quoi milord entreprit de me faire part de son inquiétude au sujet de ses filles, ne sachant de quelle façon les placer, me demandant mon aide et mes conseils. Et il proposa de marier milady Jemima au fils aîné de sir George Carteret. Ce que j'approuvai et lui offris de lui en parler comme si l'idée venait de moi, ce qui plut à milord. Je pris congé l'esprit tout occupé par ce projet.
            Derechef à la Bourse, dînai et en voiture chez Mr Povey. De là, avec lui et Creed, sur rendez-vous, chez un dénommé Finch, un des commissaires de la Régie, prendre des renseignements sur celle-ci, afin de régler certains points de nos affaires de Tanger, et ceci à notre avantage. Il m'a paru fort sérieux et avisé. 
            De là, satisfaits, Creed et moi allâmes chez Mr Fox à Whitehall pour l'entretenir du même sujet. Après quoi ayant reçu de lui d'autres assurances, allâmes tous deux à Vauxhall où nous passâmes deux ou trois heures à deviser fort posément. Je me sentis tout à fait rafraîchi par le bon air et l'agrément de ce jardin, et de tout cela, me semble-t-il, nous devrions nous réjouir.
            Revînmes à Whitehall où on se sépare. Allai chez milord pour de plus amples consignes quant au projet de mariage dont il m'avait parlé le matin....... Je mentionnai le Dr Clarke, et l'idée plût à milord, si bien que j'entrepris d'aller le trouver ce soir, mais en vain.
            Chez moi, en voiture de louage. Ce moyen de transport est devenu dangereux, vu les progrès considérables de l'épidémie. Puis, au lit.


                                                                                                                         24 juin
                                                                                                    Jour de la St Jean
            Levé fort matin, à 6 heures, à Westminster chez le Dr Clarke à 7 heures, l'ayant, par une note, fait prévenir la veille. Lui soumis donc, du mieux que je le pus, de mon projet d'union...... , nouvelle qu'il accueillit, et je m'en doutais, avec joie. Fûmes d'accord pour penser que milord et lui étant tous deux bons amis, hommes de mer, de grande vertu et de bonne famille, et avec la bienveillance du roi, leur alliance pourrait servir nos fins. Il entreprit d'aller trouver sir George ce matin même et de mettre l'affaire sur pied. Tous deux fort satisfaits, je vis sa nièce, lui demandai de chanter une ou deux chansons, ce qu'elle fit fort joliment. Puis à mon bureau où j'eus la mauvaise surprise de trouver Mr Coventry et les membres de la Commission siégeant avant mon arrivée. J'excusai mon retard disant que j'avais dû me rendre sur la Tamise pour affaires. Travaillâmes toute la matinée, à midi le capitaine Ferrer et Mr Moore dînèrent avec moi. C'est la première fois que je vois le capitaine depuis son retour de mer, et il me fit le meilleur récit d'un point de vue général et un compte rendu aussi fidèle que je pouvais le souhaiter sur la façon dont le prince et milord Sandwich avait servi le roi. Ils partirent après dîner. Allai à Whitehall avec Creed et Povey, me rendis auprès de milord le trésorier général que je convainquis de nous signer un ordre de paiement de 15 à 20 OOO £, ce qui, je crois, nous permettra de traiter notre affaire de Tanger, puis chez le Dr Clarke où j'apprends qu'il a parlé de notre affaire à sir George Carteret, et que celui-ci prend très bien la chose.
            Allai ensuite trouver sir George Carteret dans son cabinet et fis avancer l'affaire du mieux que je pus. Il accueillit le projet avec grand respect, satisfaction et reconnaissance à mon égard, et promis de faire tout son possible pour son fils, afin qu'il soit digne de la fille de milord. Il me témoigna son affection, conscient de celle que j'avais pour lui. J'apprends aujourd'hui de sir William Penn que Mr Coventry doit être élevé à la dignité de conseiller privé du roi, ce dont mon cœur se réjouit. 
            Rentrai, m'occupai des lettres qui devaient partir par la poste, puis souper et, au lit.


                                                                                                                  25 juin 1665
                                                                                                Jour du Seigneur
            Levé, plusieurs personnes vinrent me voir pour affaires relatives à mon service, puis à mon cabinet m'occuper de mes affaires de Tanger, dînai à midi. Je sortis ensuite, par le fleuve, sous une pluie battante afin de descendre à Woolwich, puis me ravisai et traversai le pont pour me rendre à Whitehall où, après avoir rendu une nouvelle visite à sir George Carteret et reçu son plein assentiment ainsi que celui de milady à ma proposition, me rendis chez milord Sandwich qui, après avoir appris l'accueil reçu chez sir George Carteret, me pria d'y retourner et de le remercier pour l'aimable acceptation de son offre, et lui dire qu'il serait dès demain disposé à s'entretenir avec lui. Ce qui fut fait, et l'affaire ainsi close, à la grande joie des deux partis. Je crois comprendre que milord a l'intention de doter sa fille de 5 000 £ et s'attend qu'elle reçoit une rente annuelle de 800 £;
            Rentrai par le fleuve, souper et, au lit, ce qui me plut fort.
            <  Ce soir, sir George Carteret m'a fait savoir, dans sa grande bonté, que par ordre du conseil privé Hayter et Whitefield sont mis dans l'incapacité définitive de servir le roi, mais que, par son entremise, cet ordre n'a pas été inscrit au registre. Il a étés  bien aimable de me le faire savoir, mais voilà qui m'inquiète. >                                                                                              wikipedia.org

            Après dîner et avant d'aller à Whitehall, suis descendu par le fleuve à Greenwich, voulant rendre visite à sir John Lawson. J'appris en arrivant qu'il était mort ce matin même, ce qui me causa une vive surprise. C'est ma foi une grande perte pour la nation, à moins que de mentir, je ne peux dire que je regrette cet homme qui n'a jamais eu pour moi la moindre bonté.
            A Whitehall passai voir Mr Coventry qui aborda le sujet qui est en ce moment grandement débattu à la Maison du Roi, à savoir que le Duc reprenne la mer, sur quoi la Maison du Roi est fort divisée. Coventry était d'avis comme moi, qu'il valait mieux, pour l'honneur et la sécurité du Duc, après que celui-ci eut affronté tant de dangers, rendu de si grands services et remporté pareille victoire qu'il ne repartît point, surtout que l'absence du Duc serait dangereuse pour la Couronne, car lui parti, il serait plus facile de tenter quelque action contre le roi. Mais Coventry se demandait comment la flotte serait commandée sans lui, car le prince n'avait rien d'un homme de commandement et était si inflexible dans son jugement que personne, de rang modeste, ne pouvait lui imposer son avis, et il disait qu'en vérité qu'il aurait été préférable que le Prince fût parti en Guinée, et que s'il n'était pas là il serait facile de dire ce qu'il adviendrait, car milord Sandwich était plus que quiconque, à sa connaissance, homme de modération et d'équité et que, il parlait d'expérience, sa modération était nécessaire pour corriger le tempérament du prince. Mais il est fort inquiet, je le vois, du tour que prendront les choses. Sur ce pris congé de lui.


                                                                                                                           26 juin

            Levé, à Whitehall en compagnie de sir John Mennes et à une séance de la commission de Tanger. Le trésorier général était présent et c'est la 1è fois que je l'y vois. Il nous promet 15 000 £ pour Tanger, pas un penny de plus, ce qui sera à peine suffisant, mais si je parviens à payer à Mr Andrews l'argent que je lui dois ainsi que les lettres de change, je n'en demande pas plus..
            Puis nous descendîmes, avec Mr Povey et Creed, vers le nouveau cabaret de Mr Povey, fort élégant, et nous parlâmes de ses affaires, lui apportant sinon satisfaction du moins le moins de désagrément que je pus. Creed fit de même. Après, avec Creed, à la taverne de la Tête du Roi où nous dînâmes à la table d'hôte. On rit haut et fort avec un certain Nicholl, blanc-bec intarissable qui se prétendait poète mais refusait de réciter le moindre vers.
            Rentrai chez moi où je trouvai le frère de ma femme et son épouse, un joli bout de femme fort honnête qui dînèrent avec mon épouse. Il venait me demander mon aide pour un travail. Après m'avoir donné toutes les assurances de son sérieux, m'avoir dit qu'il ne serait pas une charge pour moi, je finis par lui promettre de songer à lui trouver quelque chose, mais c'est surtout parce que sa jeune épouse semble être un joli tendron, humble et réservé, et il a l'air désireux de faire quelque chose pour l'entretenir. Il m'a raconté les tristes épreuves qu'elle a dû subir avec lui en Hollande. J'espère qu'il ne sera pas une charge pour moi
            A Woolwich par le fleuve, puis à pied jusqu'à Greenwich, aller et retour, afin de reparler avec Sheldon qui aimerait que ma femme passât l'été chez lui et qui l'attend. A y réfléchir je pense que ce séjour lui fera du bien, et à moi aussi. 
            Rentrai chez moi, las, puis à mon bureau quelque temps, jusqu'à presque minuit et, au lit. 
            La peste s'étend considérablement. J'ai vu aujourd'hui une maison condamnée, celle d'un bourrelier, près de l'église St Clement, qui donne en plein sur la rue, navrant spectacle.


                                                                                                                          27 juin

            Levé et à mon bureau toute la matinée. A midi dînai par hasard avec milady Batten qui envoya quérir ma femme. Il y avait aussi milady Penn et Peg. Ce fut fort gai. Derechef à mon bureau jusqu'à minuit. Rentrai, souper et, au lit.


                                                                                                                             28 juin

            Sir John Mennes nous conduisit à Whitehall. De là offrit de conduire ma femme dans sa voiture où elle voulait. Me rendis chez le Duc pour parler des affaires de la marine. Nous ne lui baisâmes point la main et d'ailleurs, m'est avis que, quoi qu'ils prétendent partir demain, je crois bien qu'ils ne partiront pas du tout. Je fis cependant mes adieux à sir William Coventry qui, à ce qu'il paraît, a été fait chevalier et conseiller privé du roi il y a deux jours, et qui m'a témoigné les égards de sa vieille amitié, et je crois qu'il sera toujours pour moi un excellent ami.
            Puis par le fleuve aux Blackfriars et à l'enclos de Saint-Paul où j'ai commandé plusieurs livres, puis rentrai dîner, le compère William m'ayant donné une langouste qu'il m'a fait parvenir par Sarah, mon ancienne servante.
           Ai rencontré ce matin sir George Carteret qui m'a annoncé que tout avançait pour le mieux entre lui et milord Sandwich et que les deux parties avaient l'intention de conclure ce mariage assez vite. Il m'a témoigné une grande amabilité et m'a dit que nous étions désormais presque apparentés. Me voici fort heureux de cette alliance en ce qui me concerne, et encore plus en ce qui concerne la famille de milord.        
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            Après dîner à Whitehall, croyant m'entretenir avec milord Ashley, mais ne le pus. Patientai quelque temps dans les environs du palais de Westminster au cas où il viendrait, vis en chemin plusieurs maisons pestiférées dans King's Street et au palais. J'apprends là que Mrs Martin a quitté la ville et que son mari, un bon à rien, revient de France, à ce qu'il prétend. Mais je n'en crois pas un traître mot. Je craignais d'entrer dans une maison, quelle qu'elle fût, mais allai tout de même à la taverne du Cygne, puis à Whitehall après avoir donné un shilling au batelier, un jeune gars et un ancien du Plymouth.
            Puis en voiture à divers endroits. Chez moi, et passai la soirée avec sir John Mennes et toutes le femmes de la maison, sauf milady Batten, à bavarder tard dans le jardin. A minuit rentrai, souper et, au lit.
            Milord Sandwich s'est mis en route pour la mer aujourd'hui, sur un coup de tête. Je ne lui ai pas fait mes adieux.


                                                                                                                                  29 juin

            Levé et par le fleuve à Whitehall où la cour du palais est pleine de gens et de voitures en partance pour la campagne. A la taverne de la Balle et de la Harpe où j'ai bu et bavardé avec Mary qui m'a dit, au hasard de la conversation, qu'elle avait naguère habité chez mon voisin, Mr Knightley, ce qui me fit m'abstenir d'engager plus avant la conversation. Dans ce quartier de la ville la peste gagne de jour en jour du terrain. Le bulletin de mortalité annonce 267 morts, environ 90 de plus que le dernier. Parmi ces morts 4 seulement sont de la Cité, ce qui est une grande bénédiction. Chez Creed, et ce furent quelques allées et venues inutiles à propos de notre affaire de Tanger. 
            Pris de nouveau congé de Mr Coventry, encore que, je l'espère, le Duc ne soit pas parti longtemps, d'autres l'espèrent aussi. 
            En rentrant chez moi m'arrêtai à Somerset House où tout le monde fait également ses bagages. La reine-mère part aujourd'hui pour la France afin d'y prendre les eaux de Bourbon, car elle souffre de consomption, et ne compte pas revenir d'ici à l'hiver de l'année prochaine. 
            En voiture chez moi où je travaillai toute la matinée. A midi Mrs Hunt dîna avec nous, repas très joyeux et c'est une très brave femme. A mon bureau fort occupé à remettre de l'ordre dans mes affaires, puis fis mon courrier jusqu'à la nuit tombée. Rentrai vers 10 heures, les jours raccourcissent sensiblement. Auparavant, il m'est arrivé de fermer le bureau l'été alors qu'il faisait encore jour, mais ma vie n'a guère été différente de ce qu'elle est les jours d'hiver. Mais pendant un mois je vais essayer de voir ce que je parviens à faire quand il fait encore jour. Rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                        30 juin

            Levé et à Whitehall voir le duc d'Albemarle que je trouvai chez le secrétaire Bennet, car m'est avis qu'il ne reste plus en ville désormais aucun grand homme d'Etat, sinon milord le chancelier. Je reçus d'eux plusieurs missions, dont celle d'approvisionner la garnison de Guernesey en pains et en fromages, ce pour quoi ils me firent promesse de veiller à ce que je sois payé.
            A la Bourse puis chez moi, dîner. L'après-midi descendis à Woolwich où arrivèrent après moi ma femme et Mercer que je conduisis chez Mr Sheldon pour leur montrer sa maison. Je trouve l'endroit très joli pour elles. Revins donc après diverses allées et venues et laissai ma femme rentrer par le fleuve. Puis sans détour me rendis à Whitehall où j'arrivai tard chez le secrétaire Bennet afin de lui dire où en était l'affaire dont il m'avait chargé ce jour même. Après l'avoir attendu, las et manquant de sommeil, jusqu'à plus de minuit, je résolus de lui confier ma pensée par écrit. Rentrai par le fleuve, dans l'obscurité et à contre-courant, dépassâmes le Pont, les bateliers conduisant à tâtons à la perche, et je ne fus point rassuré tant que nous n'eûmes pas passé le Pont. Chez moi vers une ou deux heures du matin, la maisonnée fort inquiète et ne sachant ce qu'il était advenu de moi. Souper et, au lit.
            Ainsi s'achève ce volume commencé il y a deux ans. Nous sommes, ma femme et moi en bonne santé. A savoir, moi-même, ma femme, Mercer, sa dame de compagnie, Mary, Alice et Su, nos servantes et Tom mon petit valet. C'est une saison malsaine, cette peste prenant de l'ampleur. J'ai sur les épaules la lourde responsabilité de la trésorerie de Tanger, qui me vaut de grosses dépenses et n'ai point d'argent pour les payer. En outre, beaucoup de travail au bureau. Projet de faire partir ma femme à Woolwich. Elle a naguère entrepris d'apprendre à peindre, y prend du plaisir et réussit. Tout le reste pour le mieux, sans oublier mon crédit dont j'ai récemment usé en préparant un mariage entre le fils aîné de sir George Carteret et milady Jemima Montagu. Le duc d'York s'est rendu auprès de la flotte, mais personne ne pense qu'il y restera car, comme chacun sait, ce n'est point souhaitable.


                                                                                 à suivre............

                                                                                                                          1er juillet 1665

            Fus réveillé de bonne heure............
                            

dimanche 4 juillet 2021

Charlie Hebdo l'Album ( BD France )

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                                             Charlie Hebdo

                                           Tout est pardonné

            Recueil, recueillement. Choisir un album, une période, si on ne les a pas tous, pourquoi pas 2016, l'année qui suivit la mort de nos dessinateurs en janvier 2015, bien joliment sous-titré " Tout est pardonné ". Et comme toujours chacun exprime son humour sur tout ce qui est à sa portée, les hommes, la politique et autres. C'est un recueil dans cet album épais des dessins de ceux qui nous ont quittés brutalement, incidemment, de cahiers signés Wolinski, Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Il y a aussi Coco échappée et qui a récemment publié un ouvrage avec Raphaël Enthoven sur, Socrate. Mais raconter les joyeux dessins des uns et des autres, prenant pour cibles Sarkozy, Hollande, Fillon, alors que la présidentielle de 2017 se profile alors, est improbable. Alors bonne lecture, bon feuilletage, à lire les jours de spleen.