vendredi 1 avril 2022

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 153 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

 





                                                                                                                       16 Novembre 1665

            Levé me préparai pour mon expédition auprès de la flotte : envoyai mon argent et mon valet par le fleuve à Erith, puis empruntai un cheval au fils de Mr Boreman. Après m'être attardé une heure à plaisanter, boire et manger avec milady Batten et Mrs Turner, je montai en selle et partis pour Erith. Là, brève visite à Mrs William qui me dit que Will Howe avait acheté huit sacs de pierres précieuses prises au cou du vice-amiral hollandais, parmi lesquelles se trouvaient huit diamants que celui-ci avait payé    4 000 £ en Inde et dont il comptait tirer 12 000 £ ici, qu'elle tient cette information de l'homme qui lui a vendu un de ces sacs, rempli de rubis, pour 35 shillings, et que la preuve pourra être faite que Howe a tiré 125 £ d'un seul de ces rubis qu'il a achetés. Elle me demanda d'en avertir milord Sandwich, ce que je ferai.
            Allai rejoindre milord Brouncker à bord du Pooley, visitai la cale où ils me firent voir, épars, le plus grand amoncellement de richesses qui soit, du poivre dispersé dans chaque recoin, au point que l'on marchait dessus, des clous de girofle et des noix de muscade, qui m'arrivaient plus haut que le genou et à pleines cambuses, des balles de soie, des caisses de cuivre en feuille dont l'une était ouverte.
            Après un tel spectacle, l'un des plus beaux de ma vie, je m'en fus à bord de l'autre navire, désespérant de trouver le canot de plaisance des messieurs qui s'y trouvaient pour me conduire auprès de la flotte. Arrivèrent finalement Mr Ashburham et le colonel Wyndham qui, lorsque j'eus allégué le service du roi, m'autorisèrent sur le champ à utiliser leur canot. Montai et on mit à la voile, et grâce à Wydham j'obtins une bonne couchette. Après avoir fait voiles toute la nuit arriivâmes à Queensborough où tous les gros navires sont au mouillage

            < <17 >> Montai à bord de celui de milord qui eut plaisir à me recevoir. Après un bref entretien, allâmes rejoindre à son bord sir William Penn, où on fit conseil de guerre sur les multiples besoins de la flotte, en particulier sur la manière de fournir en hardes et en subsistances l'escorte qui va bientôt partir accompagner nos navires hambourgeois retenus si longtemps, quatre ou cinq mois, faute de convoyeurs. Une solution fut, tant bien que mal, trouvée. Puis, après force bavardages, sir William Penn nous fit servir un succulent dîner, meilleur, à mon avis, que tous ceux que j'ai pris chez lui, et je n'étais point le seul de cet avis.
            Après dîner parlâmes à loisir, entre autres choses, de l'argent qu'il toucherait sur les prises de guerre. A cela je lui fis une réponse assez froide, sans pour autant le froisser. Laissai tomber le sujet puis suivit milord Sandwich qui m'avait devancé de peu à bord du Royal James où je passai une heure tandis que milord jouait de la guitare, qu'il préfère à tout autre instrument, car elle est suffisamment grave pour tenir lieu d'accompagnement à une seule voix et il est aisé de la transporter et d'en jouer. Puis, ayant attendu que milord soit seul, lui fis part du cas de Will Howe dont le capitaine Cocke lui avait parlé, mais il n'avait guère prêté importance.. C'est chose faite à présent et le voici résolu à le faire mettre aux fers et à faire saisir tous ses biens, ajoutant que depuis un an ou deux il avait du mal à le supporter, si grandes étaient sa fierté et sa vanité. Mais, bien que je ne fusse pas mécontent de l'affaire, je le priai cependant de ne rien mettre en oeuvre avant que je lui en parle à nouveau et que j'ai le temps d'enquêter pour savoir la vérité, ce à quoi il agréa. 
            Nous parlâmes ensuite des affaires publiques. L'essentiel de notre conversation étant qu'il me déclara, sans l'ombre d'un doute, que Coventry était, et depuis longtemps, son ennemi. J'en ai donc le cœur net, milord me l'ayant dit lorsque, à ma suggestion qu'ils devinssent amis, il me répondit que la chose était impossible. M'est avis que Coventry n'a jamais songé à déplaire à milord dans le compte rendu imprimé ,qu'il fit de sa première bataille, mais je vois bien que milord n'est pas capable de l'oublier, ni l'autre de croire que milord en est capable. Je lui fis voir qu'il avait tout intérêt à quitter son poste dans la Marine, qu'elles qu'en fussent les conditions. Il me répondit que c'était aussi son avis, mais que jamais le roi ne le laisserait partir. Il me dit qu'à présent milord Orrery, qui lui eût servi d'intercesseur, lui manquait car il jouit d'un grand crédit auprès du roi. 
            Milord me dit, sous le sceau du plus grand secret, que la rivalité entre le Roi et le Duc est à sont comble, que les amours libertines causent grand émoi à la cour. Le duc d'York est passionnément  amoureux de Mrs Stewart, que, pis encore, la Duchesse elle-même s'est enamourée de son nouveau grand écuyer, un certain Harry Sydney, ainsi que d'un autre, Harry Savile. Dieu seul sait quel tour prendront les choses. Il ajoute que le Duc semble avoir récemment perdu de son obséquiosité, mais qu'il a gagné en arrogance, et se verrait volontiers à la tête d'une armée dont il serait général, que le bruit court qu'il aurait offert ses services au roi d'Espagne pour aller combattre en Flandre, que le roi est au courant de son empressement pour Mrs Stewart, si bien qu'il faut s'attendre au plus grand froid entre eux. Qu'il sait, en outre, que le duc d'York accepte qu'on médise de milord en public, devant lui, et ne fait rien pour s'y opposer, et depuis quand il a pu observer ce manège. Tout bien considéré, donc, milord en est venu à souhaiter de tout cœur se défaire dignement de sa charge. Puis, quand il m'eut remercié de mon aimable visite et de mes bons conseils, qu'il m'apparu apprécier, je pris congé et regagnai mon Bezan et là me mis à lire un très bel ouvrage français, La Nouvelle Allégorique ( nte Furetière ) qui traite de la rivalité entre la rhétorique et ses ennemis, fort plaisante lecture. Après souper, au lit. Avons navigué toute la nuit et accosté à Erith avant l'aube.


pinterest.it                                                                                                                              18 novembr
            Vers 9 heures, débarquai et m'arrêtai en chemin, brièvement, chez milord Brouncker afin de donner à Mrs Williams des nouvelles de ses affaires. Pris ensuite une haridelle de louage et me rendis chez moi, à Greenwich où on me dit combien les soldats avaient été grossiers en mon absence, qu'ils avaient juré qu'ils s'en prendraient à moi, ce qui m'inquiéta. Quoiqu'il en soit, mangeai un morceau, me rendis au bureau où je restai tard à écrire des lettres, puis chez moi et, au lit.



                                                                                                                              19 novembre
                                                                                                                Jour du Seigr Lneur
                      Levé et une fois rasé, à Erith par le fleuve, seul et mon recueil de chansons à la main, chantai au fil de l'eau le long récitatif de Mr Lawes par lequel commence le livre. A bord du bateau de milord Brouncker trouvai le capitaine Cocke et d'autres ( sa femme est souffrante ). On se divertit fort en compagnie de sir Edmond Pooley, fort gai, gentilhomme de la vieille Angleterre et qui, comme d'autres Cavaliers dont il est, estime qu'on fait peu de cas de sa loyauté. Après dîner on mit pied à terre pour rendre visite à milady Williams, chez qui nous avons bu et bavardé. Seigneur ! elle est avec milord de la pire impertinence. Derechef je lui fis part de mon entretien avec milord au sujet de Will Howe, sur quoi elle me donna d'autres détails sur cette affaire et sur l'enquête qu'on menait.
            On se quitta et on reprit un bateau pour Woolwich où, en arrivant, nous trouvâmes ma femme souffrant de ses menstrues. Quant à moi, d'humeur maussade, je commençai à prendre sa peinture en dégoût, ses derniers tableaux me plaisant moins que les premiers, et je m'en veux d'avoir été si désagréable. Si bien que sans avoir mangé ni bu, car il n'y avait point de vin, ce qui me fâcha aussi, nous allâmes à pied, avec une lanterne, à Greenwich, manger quelque chose chez lui, puis chez moi et, au lit.


                                                                                                                      20 novembre 1665

            Levé avant l'aube. Ecrivis des lettres afin qu'elles puissent partir chez milord. L'une au sujet de Will Howe qui, je crois, servira à le faire renvoyer. Partis ensuite, à cheval, pour Nonesuch, accompagné de deux hommes, par de fort mauvais chemins, et sous la pluie et le vent. Mais nous arrivâmes bientôt à bon port et je trouvai mes tailles prêtes. Sur ce à Ewell, en compagnie de qui voulait
et nous dînâmes fort bien. Vis ma Bess, la villageoise fort bien tournée de cette auberge. Après m'être bien diverti et avoir dépensé une pièce de huit, repartis à cheval et pris un chemin différent en fort bon état, malgré la pluie drue et le vent, arrivai chez moi sans encombre. Trouvai Mr Dering venu m'importuner pour quelque affaire qui fut réglée dans l'instant. Il m'apprit en partant que Luellin était mort de la peste depuis deux semaines, dans St Martin's Lane, ce qui m'étonna beaucoup.


                                                                                                                             21 novembre

            Levé, à mon bureau où je passai la matinée à travailler. A midi dîner chez moi et derechef revins vite à mon bureau où j'eus à faire jusqu'au soir. Tard écrivis à Mr Coventry un long discours traitant à sa demande d'une méthode plus stricte pour payer les factures de la Marine, ce qui sera fort satisfaisant, encore que son intention première soit, sans doute, de nuire à sir George Carteret.
            Las, mais satisfait d'en avoir ainsi terminé, rentrai, souper et, au lit.




                                                                                                                      22 novembre
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            Levé et, par le fleuve, chez le duc d'Albemarle pour expédier quelques affaires, et surtout pour me montrer. Lui et milord Craven m'ont toujours dans leurs petits papiers. De là au Cygne m'y désaltérer, puis descendis près du Pont et, de là, à la Bourse où je parlai de diverses affaires avec quantité de personnes, ce qui me mit en retard. On me dit aujourd'hui que Mr Harrington n'est pas mort de la peste comme nous l'avions cru, ce qui me fit grand plaisir, et d'avantage encore d'apprendre que la peste a beaucoup régressé, le total de morts est inférieur à 1 000, dont 600 et quelques de la peste. On espère une nouvelle diminution car le temps est aux fortes gelées et s'y maintient. 
            Aujourd'hui est paru le 1er numéro de La Gazette d'Oxford, joliment présentée, pleine de nouvelles et sans extravagance. Williamson en est l'auteur. 
            On craint que nos navires hambourgeois ne soient empêchés de partir, à cause des fortes gelées, là-bas, dit-on. Quant à nos navires ancrés à Pillau, ils n'ont pu obtenir de laissez- passer, si bien qu'ils y resteront bloqués, j'en ai bien peur. Quittai la Bourse, de nouveau fort animée, pour me rendre chez moi où je pris quelques affaires, puis regagnai mon logis par le fleuve, à Greenwich. Dîner puis à mon bureau quelque temps. Le soir, retour au logis où, ayant fait venir Thomas Wilson et William Hayter, nous passâmes la soirée, jusqu'à minuit, à parler de notre affaire de ravitaillement pour Tanger, et à la régler, de sorte qu'à présent je puis rédiger les instructions destinées aux intendants, ce qui devraient nous permettre de recevoir l'argent dont nous avons besoin. Sur ce, au lit, tard. Entre autres, j'ai eu la satisfaction de pouvoir démontrer qu'un commissaire de marine qui ne fraude à tout coup, perd à tout coup deux fois plus que ce qu'il gagne.


                                                                                                                        23 novembre

            Levé de bon matin et, une fois rasé, commençai à rédiger des documents en vue de mon rendez-vous avec sir Hugh Cholmley récemment rentré de Tanger. Il arriva bientôt et tout fut fait de manière à ce qu'il fût payé. Il se déclara fort satisfait de moi et résolu à me donner 200 £ l'an.
            Le temps étant toujours au grand gel, ce qui nous donne l'espoir de voir finir la peste une bonne fois pour toutes, allâmes tous deux nous promener dans le parc où nous parlâmes avec affliction des malheurs de notre époque, de la façon dont on servait le roi, du gouvernement de Tanger confié aux soins d'un homme qui, bien qu'honorable, ne s'occupe guère que des moyens de s'enrichir et de presque rien d'autre, si bien que la place ne pourra jamais prospérer. Je le menai chez moi et lui fis servir un bon dîner. Le capitaine Cuttance nous rejoignit par hasard. Il m'a appris que Wil Howe avait été mis aux arrêts, assigné à demeurer à bord du Royal Catherine, et que ses marchandises avaient été saisies. Il me dit qu'à cause d'une querelle, que m'avait aussi racontée milord l'autre soir, le capitaine Ferrer, pour avoir rossé de belle façon un autre serviteur de milord, dut quitter son service.
            J'envoyai chercher la petite Mrs Tooker et, quand ils furent partis, passai une heure à la lutiner, à promener ma main sur elle partout où j'en avais l'envie, quelle belle petite créature. Le soir pris congé d'elle et me rendis à mon bureau où j'écrivis des lettres, tard. Puis je regagnai mon logis où je rédigeai les douze derniers jours de mon journal et, au lit. 
            On se demande quel autre mauvais coup nous réservent les Français, une guerre inévitable. S'il nous faut prendre la mer l'an prochain, nous n'avons pas le moindre sou et manquons de tout le reste. Milord Sandwich a quitté hier la flotte pour regagner Oxford.



                                                                                                                  24 novembre

            Levé et, après quelque besogne au bureau, à Londres. Chemin faisant m'arrêtai chez mon ancienne marchande d'huîtres de Gracious Street et achetai deux bourriches d'huîtres à la jolie propriétaire toujours en vie après la peste. C'est désormais la première remarque à faire ou la première question à poser à Londres au sujet des gens qu'on connaissait avant l'épidémie. A la Bourse, où s'affairaient des gens que j'eus plaisir à voir si nombreux. On espère une nouvelle décroissance de l'épidémie la semaine prochaine, rentrai ensuite dîner chez moi avec sir George Smith, après avoir fait livrer l'une de mes bourriches d'huîtres, fort bonnes bien que provenant de Colchester où la peste a tant sévi. Ce fut un bien bon dîner, bien qu'impromptu. Seigneur. C'est la marque de la grande bonté que Dieu a eu pour moi et de la bénédiction qu'il m'accorde pour le mal que je me donne et ma ponctualité en affaires. Après dîner allai travailler avec le capitaine Cocke, puis rentrai à Greenwich avec ma deuxième bourriche d'huîtres que je fis transporter en barque chez Mrs Penington, tandis que le capitaine Cocke et moi débarquions pour aller rendre visite à Mr Evelyn, avec qui on eut une excellente conversation. Il me montra notamment un grand livre de paie, vieux de tout juste cent ans, ayant appartenu à son arrière-grand-père trésorier de la Marine. Le livre parut tant me plaire qu'il m'en fit présent. Cet ouvrage est, à mes yeux, une grande rareté, et espère en trouver d'autres encore plus anciens. Il me montra aussi plusieurs lettres ayant appartenu au vieux lord de Leicester au temps de la reine Elisabeth, de sa main même, de Marie Stuart, reine d'Ecosse, et d'autres encore, vénérables signatures. Mais Seigneur ! comme on écrivait mal à mon goût, en ce temps-là, et sur quel papier grossier et mal découpé ! De là, Cocke ayant fait venir sa voiture, allâmes chez Mrs Penington, où nous eûmes grand plaisir à rester bavarder et manger nos huîtres, puis rentrai chez moi, à mon logis et, au lit.


                                                                                                                                  25 novembre
                                                                                                                                pinterest.it
            Levé, occupé à mon bureau toute la journée, hormis le moment du dîner et restai fort tard dans la soirée, puis chez moi et, au lit.                      
            Nous avons à présent pour seule préoccupation notre flotte de navires hambourgeois, dont on ne sait si elle pourra partir cette année, à cause du temps qui est au gel. L'attente n'était due maintenant qu'au manque de pilotes. J'ai écrit à ce sujet à Trinity House, mais ils m'ont fait si piètre réponse que j'ai adressé un courrier, ce soir même, à sir William Coventry à la Cour.


                                                                                                                        
                                                                                                   26 novembre
                                                                                                             Jour du Seigneur
            Levé, bien que couché fort tard, avant le point du jour, afin de me préparer pour partir à Erith, par voie de terre, car il gelait trop dur pour y aller par le fleuve. Empruntai donc deux chevaux, l'un à Mr Howell, l'autre à son ami et, après force cérémonie, me mis en route, les chevaux ayant dû d'abord être ferrés à glace, ce dont je n'avais encore jamais entendu parler, et mon petit valet ayant perdu l'un de mes étriers et l'une de mes genouillères alors qu'il les portait chez le maréchal-ferrant. Mais, après en avoir emprunté une, sautai en selle accompagné de Mr Tooker, on partit pour Erith
            Là, à bord du navire de milord Brouncker, rencontrai sir William Warren au sujet de son affaire, entre autres, et nous expédiâmes force besogne. Sir John Mennes, grâce à Dieu ! n'était point là pour nous faire subir ses impertinences. Nos affaires terminées allâmes dîner, fort gaiement car il y avait aussi sir Edmond Pooley, gentilhomme de qualité. Pour ce qui est des prises de guerre, ils en sont maintenant aux coffres de cuivre, et espèrent avoir tout débarquer cette semaine. Prîmes congé après dîner et allâmes à terre rendre visite à Mrs Williams, à qui je voulais parler de la lettre que milord m'avait envoyée au sujet de Howe, qu'il a mis aux arrêts sur la présomption qu'il détient les pierres précieuses. Elle me donna copie de l'interrogatoire que milord Brouncker avait fait de cet individu, où il déclare les avoir en sa possession. Ensuite on remonta en selle, mais le chemin étant des plus mauvais, le sol dur et glissant à cause du verglas, nous ne pouvions guère aller plus loin que Woolwich la nuit tombée. 
            Pourtant, ayant grande envie de me rendre auprès du duc d'Albemarle je m'entêtai à poursuivre mais, la nuit venant et la route étant impraticable, je mis pied à terre, laissai mon cheval à Tooker, et revins à pied chez ma femme à Woolwich. Je la trouvai, comme je le lui avais demandé, au milieu des préparatifs d'un bon dîner prévu le lendemain, auxquels avaient été conviés des gens des arsenaux. Il s'agissait de fêter son départ, car elle avait résolu de revenir habiter avec moi, pour de bon, d'ici un à deux jours. Mais voici qu'on me dit que l'une des maisons voisines des arsenaux a été contaminée, si bien que je dus patienter là-bas un bon moment, le temps qu'ils ouvrent leur porte de derrière, ce qu'ils ne parvinrent point car elle avait été barricadée. Il me fallut alors repasser à côté de cette maison, près des lits des malades qu'ils enlevaient, ce qui m'ennuya fort. Je leur demandai donc d'annuler leur invitation pour le lendemain, et de venir plutôt chez moi. Puis, avec une lanterne, allai à pied, tout fatigué que j'étais, à Greenwich, mais ce fut une plaisante marche par ce temps de gel. Chez le capitaine Cocke, mais en arrivant on me dit qu'il m'attendait chez Mrs Penington. Je m'y rendis et on y soupa fort gaiement. Cocke, qui avait sommeil, partit tôt, si bien que je restai seul à bavarder et folâtrer avec elle jusqu'à plus de minuit. Elle me laissa " a hazer " tout ce que " ego voulus avec ses mamelles, et je la convainquis presque, à force de discours de " tocar mi cosa " toute nue, ce qu'"ella " fit presque sans  rechigner. 
            Heureux de sa compagnie, je pris congé et rentrai chez moi à une heure passée, tous mes gens étant couchés, croyant que je passais la nuit hors de la ville.


                                                                                                                            27 novembre

            Levé, devant présenter mes respects au duc d'Albemarle qui doit quitter la ville pour se rendre à Oxford demain, mais n'ayant point envie de m'y rendre par le fleuve, car il fait grand froid, allai à pied, accompagné du petit valet de ma logeuse, Christopher. A Lambeth, après une marche plaisante et un arrêt à la Demi-Etape où me désaltérai.
            Chez le duc d'Albemarle, où chacun vient lui rendre visite avant son départ, il se montre fort aimable avec moi. Après avoir sollicité de Sa Grâce qu'il parle favorablement de moi au duc e'York, si l'occasion se présentait, il me dit qu'il avait toutes les raisons de le faire, car sans moi rien ne serait jamais fait dans la Marine. J'ai appris qu'il partait pour régler l'affaire de la flotte et que, selon certains parmi ses proches parents, il brûle d'envie de partir en mer l'an prochain. Une lettre de sir George Carteret m'attendait. Il est arrivé à Cranborne, m'informant qu'il serait ici dans l'après-midi et souhaitait me voir, si bien que le duc me pria de rester dîner avec lui. Comme ce n'était point encore l'heure du dîner me rendis au Cygne où je trouvai Sarah, seule à la taverne, et profitai de l'occasion pour hazer ce que je tena l'envie à haze con ella, mais juste con les mains. Elle se fâcha quand je voulus a tocar la dessous sus jupes, mais j'y parvins tout de même une fois nonobstant cela.      maicei.com
            Je revins ensuite chez le duc d'Albemarle et on dîna. Il eut les plus grandes amabilités pour moi et devant tous les autres convives. Sir George Carteret arriva pendant le repas. Après dîner j'eus un long tête à tête avec lui. Il m'apprend que milord a dû souffrir de plus en plus de médisances de la part de vils courtisans, mais qu'il a toujours la faveur du roi et, selon toute apparence, celle du Duc, et que milord le Chancelier lui aurait fait ce serment ! " Par Dieu, je jure de ne point abandonner milord Sandwich. " 
            Nous parlâmes ensuite de cette loi devant permettre d'obtenir de l'argent, sir George Carteret étant allé demander quelles sommes elle avait fait rentrer, on lui répondit aucune, pensée qui le réjouit car, au cas ou l'Echiquier réussirait il perdrait son office. Pour ma part, j'ai tendance à penser qu'en ces temps de confusion, de perte et de paralysie de tout commerce, ce n'est point cette nouvelle procédure, que peu de gens comprennent, qui fera rentrer de l'argent. Allâmes nous promener dans le parc, avec Cocke, puis comme nous devions rencontrer le vice-chambellan le lendemain à Nonsuch, pour discuter de cette affair avec sir Robert Long, pris une voiture de louage, à la nuit tombée, pour me rendre à Londres. C'est la première fois que j'ose prendre, depuis longtemps et non sans éprouver mille craintes, mais comme il était imprudent de m'y rendre par le fleuve, de nuit par ce froid et ce gel, et que je me sentais incapable d'y aller à pied, trop fatigué par la marche de ce matin, je n'avais pas d'autre choix.
            Il y a encore fort peu de monde dans les rues, et de boutiques ouvertes, une vingtaine de personnes ici et là, bien qu'il ne soit guère que 5 ou 6 heures du soir. Chez Vyner, qui me parla de Cocke que j'allai retrouver à la Tête du Pape où il buvait en compagnie de Temple. Me joignit à eux. En tant qu'orfèvres, ils décrient fort la nouvelle loi selon laquelle l'Echiquier encaissera dorénavant tout l'argent et effectuera les paiements, et ajoutent qu'ils ne lui avanceront pas un liard. Ce qui est d'ailleurs de dire et de faire.
            Puis, Cocke et moi, chez sir George Smith, à la nuit tombée. Montâmes l'attendre et bavarder dans sa chambre, où je me rasai en prévision du lendemain. Vers 9 heures, sir George Smith arriva, ainsi que le lieutenant de la Tour. Et là, causer et boire jusqu'à minuit passé, et fort gaillardement, le lieutenant de la Tour étant d'excellente humeur pour chanter. Il a l'oreille fort juste et la voix forte, mais aucun talent. Sir George Smith me fit voir le petit boudoir de sa dame, fort élégant. Puis, après force gaieté, allai me coucher dans une magnifique chambre, car j'étais traité le mieux du monde. 
            C'est la première nuit que je passe à Londres depuis longtemps.


                                                                                                                         28 novembre

            Levé avant l'aube puis, Cocke et moi montâmes dans la voiture de louage, à quatre chevaux, venue nous prendre, et nous fit passer par le Pont de Londres. Repensant soudain à quelque affaire, je mis pied à terre au pied du Pont et, à la lumière d'un chandelier posé dans une échoppe où travaillaient des poseurs de pavés, écrivis une lettre à Mr Hayter, comme quoi j'avais grand raison de toujours porter sur moi plume, encre et cire à cacheter. A Nonsuch, par de fort mauvais chemins, chez Robert Long, belle demeure où nous arrivâmes à l'heure du dîner. Nous avions pris un petit déjeuner peu copieux chez Mr Gauden bien qu'il fût sorti, et lui avons emprunté les sermons du Dr Taylor, fort excellent livre qui mérite que je l'achète. Nous mangeâmes fort bien et dans la plus étrange des tenues. Il y avait là deux dames, des parentes à lui guère avenantes, mais riches, qui avaient entendu parler de moi par la Turner, et nous fîmes joyeuse bombance. 
            A près dîner parlâmes de notre affaire, à savoir la loi votée par le Parlement. En un mot, sir Robert Long me parut fort acharné à en défendre les qualités, et avec une telle ténacité pour cette affaire, comme pour d'autres, qu'à mon avis il manque de jugement, ou du moins n'en montre pas autant que j'espérais de lui. Ils ont déjà fait en sorte de ne plus recevoir à l'Echiquier les gens venus encaisser leurs billets à ordre.
            Voilà qui irrite sir George Carteret, mais avons tous deux résolu de tirer le meilleur parti possible pour le roi, mais nous pensons que tous nos efforts seront impuissants à lui faire rendre les services qu'elle devrait. Une fois seuls il me reparla de milord et s'oppose vivement à ce qu'il parte en essayant d'épargner ses anciens amis car, reconnut-il, il avait des raisons de le faire, sachant qu'on s'acharnait à lui faire ombrage, mais que pour sa part il avait, et du fond du coeur, le plus grand respect pour milord Sandwich. Sur ces paroles on se quitta, la séance fut levée et on se mit en route.
            En passant, avec le capitaine Cocke, par Wandsworth, nous nous arrêtâmes boire chez sir Allen Brodrick, grand ami de Cocke, plus précieux que quiconque pour son humour et sa bonne compagnie. Puis à Vauxhall, d'où on descendit par bateau jusqu'à l'ancien Cygne et de là à Lombard Street, par nuit noire, et à la Tour. où nous descendîmes par le fleuve à Greenwich. Cocke alla chez lui et moi au bureau, où je fis quelques besognes avant de regagner mon logis où ma femme est arrivée, ce qui me réjouit. L'ennui au sujet de ce logis est que la maîtresse des lieux pratique des tarifs si honteusement élevés pour la moindre chose, que nous résolûmes de déménager dès que nous connaîtrions les chiffres de la peste pour la semaine, et nous espérons qu'elle sera en nette régression. Au lit.


                                                                                                                    29 novembre 1665

            Levé. Ma femme et moi avons débattu du moyen de déménager nos affaires, et résolu d'envoyer à la maison nos deux servantes, Alice qui a passé un jour ou deux à Woolwich avec ma femme, croyant que nous ferions une fête, et Susan. Après dîner, ma femme les conduisit donc à Londres avec quelques-unes de nos affaires. L'après-midi, après m'être occupé d'autre chose, partis rejoindre le capitaine Cocke, puis de chez lui me rendis chez sir Roger Cuttance, au sujet de l'argent que Cocke lui devait pour ses dernières prises de guerre. Sir Roger craint de ne point recevoir le paiement promis et l'autre de devoir payer sans être sûr de pouvoir jouir en toute quiétude de son bien. En outre Cocke me dit que certains pressent tant le roi afin que la lumière soit faite sur les prises de guerre volées, que je crains que l'avenir ne nous réserve des ennuis, si bien que je m'en débarrasserai dès que possible, et dès que l'on m'aura payé.
            Rentrai chez moi, voir ma femme. Revînmes ensemble à Greenwich par le fleuve, et passâmes la nuit ensemble.


                                                                                                                     30 novembre
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            Levé et travaillé toute la matinée. A midi visite de sir Thomas Allin que j'invitai à dîner. C'est un homme fort agréable et fort bon, mais quelqu'un qui, à mon avis, ne cache pas son amour du gain et de l'épargne. Il y avait à dîner également ma femme et Mrs Barbara que me femme fait venir de Woolwich aussi longtemps que celle-ci désire rester ici. Après dîner, à mon bureau où je restai fort tard à écrire des lettres, puis je revins chez moi où ma femme et les gens m'avaient attendu et, après souper, au lit.
            Cette semaine nous nous réjouissons fort de ce que le bulletin hebdomadaire ne donne que 544 morts, dont seulement 333 de la peste, ce qui nous encourage à retourner habiter Londres au plus tôt.
            Mon père m'annonce la grande nouvelle qui nous réjouit tous, cette semaine il a revu circuler pour la première fois la diligence d'York à Londres, et qu'elle était bondée. Il ajoute que ma tante Bell est morte de la peste, il y a sept semaines.


                                                       à suivre...........

                                                                                                                         1er Décembre 1665

            Ce matin........................











































        


























    

mardi 29 mars 2022

La Reine Hortense Guy de Maupassant ( Nouvelle France )

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                                                  La Reine Hortense

            On l'appelait, dans Argenteuil, la Reine Hortense. Personne ne sut jamais pourquoi. Peut-être parce qu'elle parlait ferme comme un officier qui commande ? Peut-être parce qu'elle était grande, osseuse, impérieuse ? Peut-être parce qu'elle gouvernait un peuple de bêtes domestiques, poules, chiens, chats, serins et perruches, de ces bêtes chères aux vieilles filles ? Mais elle n'avait pour ces animaux familiers ni gâteries, ni mots mignards, ni ces puériles tendresses qui semblent couler des lèvres des femmes sur le poil velouté du chat qui ronronne. Elle gouvernait ses bêtes avec autorité, elle régnait.
            C'était une vieille fille, en effet, une de ces vieilles filles à la voix cassante, au geste sec, dont l'âme semble dure. Elle n'admettait jamais ni contradiction, ni réplique, ni hésitation, ni nonchalance, ni paresse, ni fatigue. Jamais on ne l'avait entendu se plaindre, regretter quoi que ce fût, envier n'importe qui. Elle disait: " Chacun sa part " avec une conviction de fataliste. Elle n'allait pas à l'église, n'aimait pas les prêtres, ne croyait guère à Dieu, appelant toutes les choses religieuses de la " marchandise à pleureurs. "
            Depuis trente ans qu'elle habitait sa petite maison, précédée d'un petit jardin longeant la rue, elle n'avait jamais modifié ses habitudes, ne changeant que ses bonnes impitoyablement, lorsqu'elles prenaient vingt et un ans.
            Elle remplaçait sans larmes et sans regrets ses chiens, ses chats et ses oiseaux quand ils mourraient de vieillesse ou d'accident, et elle enterrait les animaux trépassés dans une platebande, au moyen d'une petite bêche, puis tassait la terre dessus de quelques coups de pied indifférents.
            Elle avait dans la ville quelques connaissances, des familles d'employés dont les hommes allaient à Paris tous les jours. De temps en temps, on l'invitait à venir prendre une tasse de thé le soir. Elle s'endormait inévitablement dans ces réunions, il fallait la réveiller pour qu'elle retournât chez elle. Jamais elle ne permit à personne de l'accompagner, n'ayant peur ni le jour ni la nuit. Elle ne semblait pas aimer les enfants.
            Elle occupait son temps à mille besognes de mâle, menuisant, jardinant, coupant le bois avec la scie ou la hache, réparant sa maison vieillie, maçonnant même quand il le fallait.
            Elle avait des parents qui la venaient voir deux fois l'an : les Cimme et les Colombel, ses deux sœurs ayant épousé l'une un herboriste, l'autre un petit rentier. Les Cimme n'avaient pas de descendants les Colombel en possédaient trois : Henri, Pauline et Joseph. Henri avait vingt ans, Pauline dix-sept et Joseph trois ans seulement, étant venu alors qu'il semblait impossible que sa mère fût encore féconde.
            Aucune tendresse n'unissait la vieille fille à ses parents.                   warnerbros.fr 
            Au printemps de l'année 1882, la reine Hortense tomba malade tout à coup. Les voisins allèrent chercher un médecin qu'elle chassa. Un prêtre s'étant alors présenté, elle sortit de son lit à moitié nue pour le jeter dehors.
            La petite bonne, éplorée, lui faisait de la tisane.
            Après trois jours de lit, la situation parut devenir si grave, que le tonnelier d'à côté, d'après le conseil du médecin, rentré d'autorité dans la maison, prit sur lui d'appeler les deux familles.
            Elles arrivèrent par le même train vers dix heures du matin, les Colombel ayant amené le petit Joseph.
            Quand elles se présentèrent à l'entrée du jardin, elles aperçurent d'abord la bonne qui pleurait, sur une chaise, contre le mur.
            Le chien dormait sur le paillasson de la porte d'entrée, sous une brûlante tombée de soleil ; deux chats, qu'on eût crus morts, étaient allongés sur le rebord des deux fenêtres, les yeux fermés, les pattes et la queue tout au long étendues.
            Une grosse poule gloussante promenait un bataillon de poussins, vêtus de duvet jaune, léger comme de la ouate, à travers le petit jardin ; et une grande cage accrochée au mur, couverte de mouron, contenait un peuple d'oiseaux qui s'égosillaient dans la lumière de cette chaude matinée de printemps.
            Deux inséparables dans une autre cagette de forme de chalet restaient bien tranquilles, côte à côte sur leur bâton.
            M. Cimme, un très gros personnage soufflant, qui entrait toujours le premier partout, écartant les autres, hommes ou femmes, quand il le fallait, demanda :
            - Eh bien ! Céleste, ça ne va donc pas ?
            La petite bonne gémit à travers ses larmes :
            - Elle ne me reconnaît seulement plus. Le médecin dit que c'est la fin.
            Tout le monde se regarda.
             Mme Cimme et Mme Colombel s'embrassèrent instantanément, sans dire un mot. Elles se ressemblaient beaucoup, ayant toujours porté des bandeaux plats et des châles rouges, des cachemires français éclatants comme des brasiers.
                                                                  Cimme se tourna vers son beau-frère : 
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             Mais personne n'osait pénétrer dans la chambre de la mourante située au rez-de-chaussée. Cimme lui-même cédait le pas. Ce fut Colombel qui se décida le premier, et il entra en se balançant comme un mât de navire, faisant sonner sur les pavés le fer de sa canne.
            Les deux femmes se hasardèrent ensuite, et M. Cimme ferma la marche.
            Le petit Joseph était resté dehors, séduit par la vue du chien.
            Un rayon de soleil coupait en deux le lit, éclairant tout juste les mains qui s'agitaient nerveusement, s'ouvrant et se refermant sans cesse. Les doigts remuaient comme si une pensée les eût animés, comme s'ils eussent signifié des choses, indiqué des idées, obéi à une intelligence. Tout le reste du corps restait immobile sous le drap. La figure anguleuse n'avait pas un tressaillement. Les yeux demeuraient fermés.
            Les parents se déployèrent en demi-cercle et se mirent à regarder, sans dire un mot, la poitrine serrée, la respiration courte. La petite bonne les avait suivis et larmoyait toujours.
            A la fin, Cimme demanda !
            - Qu'est-ce que dit au juste le médecin ?
            La servante balbutia :
            - Il dit qu'on la laisse tranquille, qu'il n'y a plus rien à faire.
            Mais, soudain les lèvres de vieille fille se mirent à s'agiter. Elles semblaient prononcer des mots silencieux, des mots cachés dans cette tête mourante, et ses mains précipitaient leur mouvement singulier.
            Tout à coup elle parla d'une petite voix maigre qu'on ne lui connaissait pas, d'une voix qui semblait venir de loin, du fond de ce cœur toujours fermé peut-être ?
            Cimme s'en alla sur la pointe du pied, trouvant pénible ce spectacle. Colombel, dont la jambe estropiée se fatiguait, s'assit.
            Les deux femmes restaient debout.
            La reine Hortense babillait maintenant très vite sans qu'on comprît rien à ses paroles. Elle prononçait des noms, appelait tendrement des personnes imaginaires.
            " - Viens ici, mon petit Philippe, embrasse ta mère. Tu l'aimes bien ta maman, dis, mon enfant ?
Toi, Rose, tu vas veiller sur ta petite sœur pendant que je serai sortie. Surtout, ne la laisse pas seule, tu m'entends ? Et je te défends de toucher aux allumettes. "
            Elle se taisait quelques secondes puis d'un ton plus haut, comme si elle eût appelé: " Henriette !" Elle attendait un peu et reprenait : " Dis à ton père de venir me parler avant d'aller à son bureau. " Et soudain : " Je suis un peu souffrante aujourd'hui, mon chéri ; promets-moi de ne pas revenir tard. Tu diras à ton chef que je suis malade. Tu comprends qu'il est dangereux de laisser les enfants seuls quand je suis au lit. Je vais te faire pour le dîner un plat de riz au sucre. Les petits aiment beaucoup cela. C'est Claire qui sera contente ! "
            Elle se mettait à rire, d'un rire jeune et bruyant, comme elle n'avait jamais ri : " Regarde Jean, quelle drôle de tête il a. Il s'est barbouillé avec les confitures, le petit sale ! Regarde donc, mon chéri, comme il est drôle ! "
            Colombel, qui changeait de place à tout moment sa jambe fatiguée par le voyage, murmura :
            - Elle rêve qu'elle a des enfants et un mari, c'est l'agonie qui commence.
            Les deux sœurs ne bougeaient toujours point, surprises et stupides.
            La petite bonne prononça :
            - Faut retirer vos châles et vos chapeaux, voulez-vous passer dans la salle ?
            Elles sortirent sans avoir prononcé une parole. Et Colombel les suivit en boîtant, laissant de nouveau toute seule la mourante.
            Quand elles se furent débarrassées de leurs vêtements de route, les femmes s'assirent enfin. Alors un des chats quitta la fenêtre, s'étira, sauta dans la salle, puis sur les genoux de Mme Cimme, qui se mit à le caresser.
            On entendait à côté la voix de l'agonisante, vivant, à cette heure dernière, la vie qu'elle avait attendue sans doute, vivant ses rêves eux-mêmes au moment où tout allait finir pour elle.
            Cimme, dans le jardin, jouait avec le petit Joseph et le chien, s'amusant beaucoup, d'une gaieté de gros homme aux champs, sans aucun souvenir de la mourante.
             Mais tout à coup il rentra, et, s'adressant à la bonne :
             - Dis donc, ma fille, tu vas nous faire à déjeuner. Qu'est-ce que vous allez manger, Mesdames ?
             On convint d'une omelette aux fines herbes, d'un morceau de faux-filet avec des pommes nouvelles, d'un fromage et d'une tasse de café.
            Et comme Mme Colombel fouillait dans sa poche pour chercher son porte-monnaie, Cimme l'arrêta : puis, se tournant vers la bonne ;
            - Tu dois avoir de l'argent ?                                                                    123rf.com  
            Elle répondit :                                                                                                     
            - Oui, Monsieur.
            - Combien ?
            - Quinze francs.
            - Ca suffit. Dépêche-toi, ma fille, car je commence à avoir faim.
            Mme Cimme, regardant au-dehors les fleurs grimpantes baignées de soleil, et deux pigeons amoureux sur le toit en face, prononça d'un air navré :
            - C'est malheureux d'être venu pour une aussi triste circonstance. Il ferait bien bon dans la campagne aujourd'hui.
            Sa sœur soupira sans répondre, et Colombel murmura ému peut-être par la pensée d'une 
marche :
            - Ma jambe me tracasse bougrement :
            Le petit Joseph et le chien faisaient un bruit terrible : l'un poussant des cris de joie, l'autre aboyant éperdument. Ils jouaient à cache-cache autour des plates-bandes, courant l'un après l'autre comme deux fous.
            La mourante continuait à appeler ses enfants, causant avec chacun, s'imaginant qu'elle les habillait, qu'elle les caressait, qu'elle leur apprenait à lire : " Allons, Simon, répète : ABCD. Tu ne dis pas bien, voyons, DDD, m'entends-tu ? Répète alors... "
            Cimme prononça :
            - C'est curieux ce que l'on dit à ces moments-là.
            Mme Colombel alors demanda : 
            - Il vaudrait peut-être mieux retourner auprès d'elle.
            Mais Cimme aussitôt l'en dissuada :
            - Pourquoi faire, puisque vous ne pouvez rien changer à son état ? Nous sommes aussi bien ici.
            Personne n'insista. Mme Cimme considéra les deux oiseaux verts, dits inséparables. Elle loua en quelques phrases cette fidélité singulière et blâma les hommes de ne pas imiter ces bêtes. Cimme se mit à rire, regarda sa femme, chantonna d'un air goguenard : "Tra-la-la- tra-la-la ", comme pour laisser entendre bien des choses sur sa fidélité, à lui, Cimme.
            Colombel, pris maintenant de crampes d'estomac, frappait le pavé de sa canne.
            L'autre chat entra la queue en l'air.
            On ne se mit à table qu'à une heure.
            Dès qu'il eut goûté au vin, Colombel à qui on avait recommandé de ne boire que du bordeaux de choix, rappela la servante :
            - Dis donc, ma fille, est-ce qu'il n'y a rien de meilleur que cela dans la cave ?
            - Oui, Monsieur, il y a du vin fin qu'on vous servait quand vous veniez.
            - Eh bien ! va nous en chercher trois bouteilles.
            On goûta ce vin qui parut excellent ; non pas qu'il provint d'un cru remarquable, mais il avait quinze ans de cave. Cimme déclara :
            -  C'est du vin de malade.
            Colombel, saisi d'une envie ardente de posséder ce bordeaux, interrogea de nouveau la bonne :
            - Combien en reste-t-il, ma fille ?
            - Oh ! presque tout, Monsieur ; Mam'zelle n'en buvait jamais. C'est le tas du fond.
            Alors il se tourna vers son beau-frère
          - Si vous vouliez, Cimme, je vous reprendrais ce vin-là pour autre chose, il convient merveilleusement à mon estomac.
            La poule était entrée à son tour avec son troupeau de poussins ; les deux femmes s'amusaient à lui jeter des miettes.
           On renvoya au jardin Joseph et le chien qui avaient assez mangé.
            La reine Hortense parlait toujours, mais à voix basse maintenant, de sorte qu'on ne distinguait plus les paroles
            Quand on eut achevé le café, tout le monde alla constater l'état de la malade. Elle semblait calme.
            On ressortit et on s'assit en cercle dans le jardin pour digérer.
            Tout à coup le chien se mit à tourner autour des chaises de toute la vitesse de ses pattes, portant quelque chose en sa gueule. L'enfant courait derrière éperdument. Tous deux disparurent dans la maison
            Cimme s'endormit le ventre au soleil.
            La mourante se remit à parler. Puis, tout à coup, elle cria.
            Les deux femmes et Colombel s'empressèrent de rentrer pour voir ce qu'elle avait. Cimme, réveillé, ne se dérangea pas, n'aimant point ces choses-là.
            Elle s'était assise, les yeux hagards. Son chien, pour échapper à la poursuite du petit Joseph, avait sauté sur le lit, franchit l'agonisante ; et, retranché derrière l'oreiller, il regardait son camarade de ses yeux luisants, prêt à sauter de nouveau pour recommencer la partie. Il tenait à la gueule une des pantoufles de sa maîtresse, déchirée à coups de crocs, depuis une heure qu'il jouait avec.
            L'enfant, intimidé par cette femme dressée soudain devant lui, restait immobile en face de la couche.
            La poule, entrée aussi, effarouchée par le bruit, avait sauté sur une chaise ; et elle appelait désespérément ses poussins qui pépiaient, effarés, entre les quatre jambes du siège.
            La reine Hortense criait d'une voix déchirante :
            " - Non, non, je ne veux pas mourir, je ne veux pas ! je ne veux pas ! Qui est-ce qui élèvera mes enfants ? Qui les soignera ? Qui les aimera ? Non, je ne veux pas !... je ne... "
            Elle se renversa sur le dos. C'était fini.
            Le chien, très excité, sauta dans la chambre en gambadant.
            Colombel courut à la fenêtre, appela son beau-frère :
            - Arrivez vite, arrivez vite. Je crois qu'elle vient de passer.
            Alors Cimme se leva et, prenant son parti, il pénétra dans la chambre en balbutiant :
            - C'a été moins long que je n'aurais cru.


                                                              Guy de Maupassant

                                               ( nouvelle parue en avril 1883 dans Gil Blas )
                 
            
            




























             



   


























































jeudi 24 mars 2022

Dans la tête de Poutine Michel Eltchaninoff ( Document France )

Dans la tête de Poutine     

Ecrit par le philosophe Michel Eltchaninoff, " Dans la tête de Vladimir Poutine ", est surtout une biographie succincte. Ne pas lire ici de critique politique. Lorsque Eltchaninoff nous décrit Vladimir Poutine lecteur des auteurs russes principalement, puis de Kant et de Hegel, pourquoi ne pas connaitre davantage la personnalité du personnage. On apprend donc, entre autres, que son père fut un temps cuisinier de Staline. Mais surtout son attachement à sa ville, Saint-Petersbourg, et à ses compagnons de jeunesse de la même ville. Puis son accession au KGB. Sa réflexion le conduit à la conclusion que la Russie et l'Eurasie forment un bloc face à l'Europe. Poutine, chrétien orthodoxe, est le sujet de ce court ouvrage qui nous entraîne sur un aussi court chemin vers la philosophie. Bonne lecture. * ( image amason.fr )

 



mercredi 23 mars 2022

Klimt Cornette - Marc - Rénier ( Bande dessinée France )

 





 



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                                                                Klimt

            Vienne 1907. Quels mots employer pour raconter une vie de peintre dans une bande dessinée. Ici un épisode, un moment où, malgré la profonde affliction qui suivit l'exposition du tableau 
" La médecine ", Gustav Klimt très remonté contre les critiques et le public choqués par l'abondance de nus, déclare haut et fort que " sous les vêtements les corps sont nus, particulièrement devant les médecins ". Mais il conserve des amitiés, notamment le couple Bloch-Bauer. Bien qu'il soit de notoriété publique que les femmes, mondaines entre autres, soient ses maîtresses, Ferdinand insiste pour que Gustav, devenu l'ami du couple, fasse le portrait de sa femme, Adèle. Klimt accepte et promet à son ami un portrait d'Adèle couvert d'or. Portrait devenu célèbre, reproduit dans l'album, ainsi que quelques toiles accompagnant quatre pages d'une courte biographie. Gustav Klimt a choisi de vivre avec sa mère et ses soeurs, mais aussi dans une maison accueillante où les filles n'hésitent pas à sortir nues pour rattraper un chat fugueur. Beaucoup de nudité dans quelques pages, pourtant on retient surtout le style particulier du peintre, quelques toiles célèbres. Vie d'un homme de chair et de sang, qui souffre se croyant incompris, mange avec appétit la soupe préparée par la mère occupée à son jardin et gourmande son homme de fils qui profère quelques paroles, un peu, grossières. Tout cela dans une BD légère et bien enlevée. Bonne lecture, souriante. MB 













            

lundi 21 mars 2022

Numéro Deux David Foenkinos ( Roman France )















                                                   Numéro Deux   

           Londres. John, anglais fantaisiste et créateur d'objets inutiles, ainsi la cravate-parapluie, et Jeanne, française, se rencontrent à un concert de The Cure. Ils se marieront et auront un fils. Martin. Heureux, puis malheureux, Jeanne ne supportant plus les échecs de John ils se séparent. Jeanne intègre la rédaction du Point à Paris. John obtient la garde en semaine de Martin, puis week-end chez sa mère à Paris. Accommodement jusqu'au jour où, John devenu décorateur ou aide-décorateur sur les tournages de films, apprend que son fils a été reconnu comme le portrait même d'un jeune héros, Harry Potter. Les livres de J.K. Rowling sont la joie des libraires, mais deviennent vite le cauchemar de certains. Repéré donc par un directeur de casting, Martin, briefé par son père, accède à la dernière marche avant le choix de J.K.Rowling, du metteur en scène et autres responsables. Son concurrent, un autre jeune garçon, David Radcliff. L'attente est douloureuse pour les jeunes enfants, Martin a 10 ans. Et Radcliff l'emporte, comme le savent les millions de spectateurs qui ont lu l'histoire et vu les films. La surenchère, l'absolue certitude que lui donnait son entourage de tous côtés ne préparaient pas Martin à l'échec. A sa rancœur, il ressemble énormément à Radcliff et donc à Harry Potter, s'ajoute un événement douloureux et Martin quitte Londres et habite désormais avec sa mère, à Paris. L'enfant ne manque pas d'affection, de soins, mais il reste taciturne et voue une phobie à tout ce qui touche Harry Potter. Années difficiles pour Martin, alors qu'une lourde publicité entoure la sortie de chaque volume, de chaque film. De plus un incident dramatique le confronte au nouveau compagnon de sa mère. Martin connaîtra longtemps tous les épisodes dus à une dure dépression. Adulte, bachelier, sa personnalité, son échec, il demeure indécis sur son choix de carrière, mais accepte cependant un poste de gardien de salle, au Louvre. Ses tourments le contraignent à vérifier la bibliothèque de ses éventuelles amoureuses. Jusqu'aux dernières pages l'indécision demeure. De l'euphorie au trou noir Martin, bien entouré trouvera-t-il, ou qui le sortira de son brouillard. Joliment écrit, on peine à quitter le personnage, sympathiques la mère, le père. Et les affres de l'entourage face à un dépressif quasi mutique et intelligent. Bonne lecture. M











vendredi 18 mars 2022

Un Gentleman à Moscou Amor Towles ( Roman Etats Unis )

 

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                                                Un Gentleman                                                                                                                                                                          à Moscou

            C'est un Best-seller, ce n'est pas un Best-seller fracassant, nulle violence, pas de pataquès familial, mais l'histoire d'un confinement. Confinement durable, de nombreuses années. Et, finalement, l'histoire d'un homme pas malheureux car le comte Alexandre ( Sasha ) Rostov, membre du Jockey Club et filleul d'un proche du tsar, a reçu une éducation digne d'un aristocrate qui passe ses diplômes en 1905, alors que les révoltes se multiplient. Profondément attaché à son pays, après avoir sauvé sa grand-mère des luttes qui s'annoncent le comte revient en Russie. Sauvé de la déportation qui attend les aristocrates par un poème, son origine nous est conté dans le livre, il est néanmoins assigné à résidence à Moscou, à l'hôtel Metropol où le comte Rostov avait ses habitudes. Mais plus de suite au 2è étage, le comte se contentera d'un logis sous les toits avec pour voisins des pigeons qui grattent les gouttières et les jours de spleen profond, sur la terrasse, d'un vieil employé qui élève des abeilles. Ruches parfois vides de leurs occupantes, puis, joie, de retour, avec un miel qui sent le lilas qui fleurit dans les jardins Alexandre, en bas. En se penchant Alexandre aperçoit la place du Théâtre, le Bolchoï, de l'autre côté le Kremlin. Un plan est proposé au début du livre. Le comte, homme fin, lettré, a conservé outre Anna Karénine et quelques autres les Essais de Montaigne bien utile pour caler les pieds d'une table, pieds précieux qui conservent une petite réserve de pièces d'or rares. On trouve tout au Metropol, du barbier au restaurant, où Sasha portant longtemps moustache arriva un jour lèvre découverte et la visite à sa table de Nina, petite fille sous la garde de son père oligarque de la nouvelle équipe dirigeante. Ils se lieront d'une amitié indéfectible, parcourront l'hôtel du sous-sol aux combles. Le comte a des relations d'adulte, une liaison avec Anna, comédienne bien sympathique et fort utile dans les moments délicats, rares car le comte est prudent, que vivront tous les héros. Il y a Emile et les autres, tous fidèles les uns aux autres, et puis les méchants, dont l'un communiste sans concession, surnommé le Fou. Et le comte devint serveur au grand restaurant de l'hôtel, car tous se doivent de travailler, de plus son éducation lui permet d'apporter la touche finale à la présentation des tables, des plats. Les années passent et l'Histoire avance, de même que Staline qui s'installera au Kremlin, puis mourra un jour de mars.                                          " ....... Le comte trouvait les discours politiques ennuyeux, quelle que fût l'opinion exprimée...."              Soir de dépression monté sur la terrasse il fait connaissance avec un vieil homme qui ne reçoit guère de visite, n'a qu'un tabouret mais : " ..... Une tasse de café, songea le comte, une tasse de café c'était exactement ce qu'il fallait. En effet, quoi de plus polyvalent ? Adapté au gobelet en fer-blanc tout autant qu'à la porcelaine de Limoges, le café donne de l'énergie au travailleur à l'aube, calme l'âme songeuse à midi et redonne courage aux désespérés au cœur de la nuit.....- Le secret c'est le moment où on le moud....... " 1922 le comte avait une trentaine d'année, enfermé sans rancœur, esprit observateur, de ses occupations à ses moments entre les plantes du grand hall, ses visites au Chaliapine, liant amitié solide avec Andreï le barman du bar de l'hôtel, une nouvelle petite fille lui est confiée, il l'élèvera sans sortir du Métropol, avec l'aide de ses amis fidèles, musicienne sensible elle jouera à Pleyel qu'elle quitte pieds nus, mais cela se lit. Sans concentration particulière, la vie se poursuit, le monde extérieur vient à lui à travers ceux qui entrent ou travaillent au Metropol, telle Marina épatante couturière, Il ne se plaint jamais, sourit autant qu'il faut, ses colères sont froides. La fin est ce que l'on attendait ou redoutait, selon......... Toute la vie du comte Rostov est inscrite en symboles sur la belle couverture de ce livre épatant, personnages réjouissants. Best seller aux Etats Unis en 2016. Très bonne lecture. A noter les prémisses de l'arrivée de Kroutchev qui fut maire de Moscou et l'amorce du déclin de Malenkov, ce qui intéresse fort un espion présumé, américain.

 


jeudi 17 mars 2022

Elle et son Chat Makoto Shinkai - Naruki Nagakawa ( Roman Japon )



 





                              

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                                                     Elle et son Chat

            Japon, un chaton dans un carton, dans une poubelle, s'apprête à laisser la mort l'emporter, tant il est léger. De plus qui veut d'un si petit animal malade, ou presque. Une jeune femme, triste, aux longs cheveux, penchée sur la poubelle. Elle est triste, nous connaîtrons ses raisons, il est malheureux. Il s'appellera Chobi. Sa langue de chat, traduite par l'auteur, nous mène au sein de la société des chiens et des chats, d'appartement, de gouttière, bien sympathiques. Trop peut-être. Chobi soigné, grandit, observe sa maîtresse qui, un jour, pleure, pleure, alors il dit en miaous traduits en mots, Je serai ton Amoureux puisque tu es ma maîtresse. Et de chatière en déambulations dans un quartier traversé par les trains, et fourni en végétation, cosmos, camphrier, Chobi visite, s'éloigne et revient veillant toujours. Si les femmes et les hommes tentent de résoudre les problèmes habituels, sentimentaux, travail, amitiés, Chobi - chat rencontre John, le chien, chenu et sage. Il pense que nous venons tous d'une étoile, il pense qu'on revient du pays des morts, dans un autre corps. Il gère les domaines de chacun de ses copains animaux la plupart sans domicile fixe. Et Chobi va rencontrer sa mère, et ses quatre frères et sours placés dans le quartier. Léger mais grave, très imagé, les saisons passent, et voilà le printemps et les cerisiers en fleurs qui réveillent même Aoï, jeune fille choquée par la mort d'une amie, serait-elle responsable ? Le froid, la neige. Shino obligée de soigner ses beaux-parents coléreux. Un moment, quelques courtes années d'un coin d'une grande ville au Japon, des chiens, des chats - chatons, et des femmes et des hommes. Les pages sont parsemées de dessins d'un chat, noir. Il est possible de suivre les aventures de Elle et son Chat en vidéo disponible.










samedi 12 mars 2022

Un parricide Guy de Maupassant ( Nouvelle France )

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                                                   Un parricide

            L'avocat avait plaidé la folie. Comment expliquer autrement ce crime étrange ?
            On avait retrouvé un matin, dans les roseaux, près de Chatou, deux cadavres enlacés, la femme et l'homme, deux mondains connus, riches, plus tout jeunes, et mariés seulement de l'année précédente, la femme n'étant veuve que depuis trois ans.
            On ne leur connaissait point d'ennemis, ils n'avaient pas été volés. Il semblait qu'on les eût jetés de la berge dans la rivière, après les avoir frappés, l'un après l'autre, avec une longue pointe de fer.
            L'enquête ne faisait rien découvrir. Les mariniers interrogés ne savaient rien ; on allait abandonner l'affaire, quand un jeune menuisier d'un village voisin nommé Georges Louis, dit Le Bourgeois, vint se constituer prisonnier.
            A toutes les interrogations, il ne répondit que ceci :
            - Je connaissais l'homme depuis deux ans, la femme depuis six mois. Ils venaient souvent me faire réparer des meubles anciens, parce que je suis habile dans le métier.
            Et quand on lui demandait :
            - Pourquoi les avez-vous tués ?
            Il répondait obstinément :
            - Je les ai tués parce que j'ai voulu les tuer.
            On n'en put tirer autre chose.
            Cet homme était un enfant naturel sans doute, mis autrefois en nourrice dans le pays, puis abandonné. Il n'avait pas d'autre nom que Georges Louis, mais comme, en grandissant, il devint singulièrement intelligent, avec des goûts et des délicatesses natives que n'avaient point ses camarades, on le surnomma : " le Bourgeois " ; et on ne l'appelait plus autrement. Il passait pour remarquablement adroit dans le métier de menuisier qu'il avait adopté. Il faisait même un peu de sculpture sur bois. On le disait aussi fort exalté, partisan des doctrines communistes et même nihilistes, grand liseur de romans d'aventures, de romans à drames sanglants, électeur influent et orateur habile dans les réunions publiques d'ouvriers ou de paysans.
            L'avocat avait plaidé la folie.
            Comment pouvait-on admettre, en effet, que cet ouvrier eût tué ses meilleurs clients, des clients riches et généreux ( il le reconnaissait ), qui lui avaient fait faire, depuis deux an, pour trois mille francs de travaux ( ses livres en faisaient foi ). Une seule explication se présentait : la folie, l'idée fixe du déclassé qui se venge sur deux bourgeois de tous les bourgeois, et l'avocat fit une allusion habile à ce surnom de Le Bourgeois donné par le pays à cet abandonné ; il s'écriait :
            " - N'est-ce pas une honte, et une ironie capable d'exalter encore ce malheureux garçon qui n'a ni père ni mère ? C'est un ardent républicain. Que dis-je ? Il appartient même à ce parti politique que la République fusillait et déportait naguère, qu'elle accueille aujourd'hui à bras ouverts, à ce parti pour qui l'incendie est un principe et le meurtre un moyen tout simple.
            Ces tristes doctrines, acclamées maintenant dans les réunions publiques, ont perdu cet homme. Il a entendu des républicains, des femmes même, oui, des femmes ! demander le sang de M. Gambetta, le sang de M. Grévy ; son esprit malade a chaviré ; il a voulu du sang, du sang de bourgeois !
            Ce n'est pas lui qu'il faut condamner, Messieurs, c'est la Commune ! "
            Des murmures d'approbation coururent. On sentait bien que la cause était gagnée pour l'avocat. Le ministère public ne répliqua pas,
            Alors le président posa au prévenu la question d'usage :
            - Accusé, n'avez-vous rien à ajouter pour votre défense ?
            L'homme se leva.                                                                                    cultea.fr
            Il était de petite taille, d'un blond de lin, avec des yeux gris, fixes et clairs. Une voix forte, franche et sonore sortait de ce frêle garçon et changeait brusquement, aux premiers mots, l'opinion qu'on s'était faite de lui.
            Il parla hautement, d'un ton déclamatoire, mais si net que ses moindres paroles se faisaient entendre jusqu'au fond de la grande salle :
            - Mon président, comme je ne veux pas aller dans une maison de fous, et que je préfère même la guillotine, je vais tout vous dire.
            Maintenant, écoutez-moi et jugez-moi.

            Une femme, ayant accouché d'un fils, l'envoya quelque part en nourrice. Sut-elle seulement en quel pays son complice porta le petit être innocent, mais condamné à la misère éternelle, à la honte d'une naissance illégitime, plus que cela : à la mort, puisqu'on l'abandonna, puisque la nourrice, ne recevant plus la pension mensuelle, pouvait, comme elles font souvent, le laisser dépérir, souffrir de faim, mourir de délaissement !
            La femme qui m'allaita fut honnête, plus honnête, plus femme, plus grande, plus mère que ma mère. Elle m'éleva. Elle eut tort en faisant son devoir. Il vaut mieux laisser périr ses misérables jetés aux villages des banlieues, comme on jette une ordure aux bornes.
            Je grandis avec l'impression vague que je portais un déshonneur. Les autres enfants m'appelèrent un jour " bâtard ". Ils ne savaient pas ce que signifiait ce mot, entendu par l'un d'eux chez ses parents. Je l'ignorais aussi, mais je le sentis.
            J'étais, je puis le dire, un des plus intelligents de l'école. J'aurais été un honnête homme, mon président, peut-être un homme supérieur, si mes parents n'avaient pas commis le crime de m'abandonner.
            Ce crime, c'est contre moi qu'ils l'ont commis. Je fus la victime, eux furent les coupables. J'étais sans défense, ils furent sans pitié. Ils devaient m'aimer : ils m'ont rejeté.
            Moi, je leur devais la vie, mais la vie est-elle un présent ? La mienne, en tout cas, n'était qu'un malheur. Après leur honteux abandon, je ne leur devais plus guère que la vengeance. Ils ont accompli contre moi l'acte le plus inhumain, le plus infâme, le plus monstrueux qu'on puisse accomplir contre un être.
            Un homme injurié frappe ; un homme volé reprend son bien par la force. Un homme trompé,  martyrisé, tue ; un homme souffleté tue ; un homme déshonoré tue. J'ai été plus volé, trompé, martyrisé, souffleté moralement, déshonoré, que tous ceux dont vous absolvez la colère.
            Je me suis vengé, j'ai tué. C'était mon droit légitime. J'ai pris leur vie heureuse en échange de la vie horrible qu'ils m'avaient imposée.
            Vous allez parler de parricide ! Etaient-ils mes parents, ces gens pour qui je fus un fardeau abominable, une terreur, une tache d'infâmie ; pour qui ma naissance fut une calamité et ma vie une menace de honte ? Ils cherchaient un plaisir égoïste ; ils ont eu un enfant imprévu. Ils ont supprimé l'enfant. Mon tour est venu d'en faire autant pour eux.
            Et pourtant, dernièrement encore, j'étais prêt à les aimer.
            Voici deux ans, je vous l'ai dit, que l'homme, mon père, entra chez moi pour la première fois. Je ne soupçonnais rien. Il me commanda deux meubles. Il avait pris, je le sus plus tard, des renseignements auprès du curé, sous le sceau du secret, bien entendu.
            Il revint souvent ; il me faisait travailler et payait bien. Parfois même il causait un peu de choses et d'autres. Je me sentais de l'affection pour lui.
            Au commencement de cette année il amena sa femme, ma mère. Quand elle entra, elle tremblait si fort que je la crus atteinte d'une maladie nerveuse. Puis elle demanda un siège et un verre d'eau. Elle ne dit rien ; elle regarda mes meubles d'un air fou, et elle ne répondait que oui et non, à tort et à travers, à toutes les questions qu'il lui posait ! Quand elle fut partie, je la crus un peu toquée.
            Elle revint le mois suivant. Elle était calme, maitresse d'elle. Ils restèrent, ce jour-là, assez longtemps à bavarder, et ils me firent une grosse commande. Je la revis encore trois fois, sans rien deviner ; mais un jour voilà qu'elle se mit à me parler de ma vie, de mon enfance, de mes parents. Je répondis : " Mes parents, Madame, étaient des misérables qui m'ont abandonné. " Alors elle porta la main sur son cœur, et tomba sans connaissance. Je pensai tout de suite : " C'est ma mère ! " mais je me gardai bien de laisser rien voir. Je voulais la regarder venir.
            Par exemple, je pris de mon côté mes renseignements. J'appris qu'ils n'étaient mariés que du mois de juillet précédent, ma mère n'étant devenue veuve que depuis trois ans. On avait bien chuchoté qu'ils s'étaient aimés du vivant du premier mari, mais on n'en avait aucune preuve. C'était moi la preuve, la preuve qu'on avait cachée d'abord, espéré détruite ensuite.                         pinterest.fr
            J'attendis. Elle reparut un soir, toujours accompagnée de mon père. Ce jour-là, elle semblait fort émue, je ne sais pourquoi. Puis, au moment de s'en aller, elle me dit : " Je vous veux du bien, parce que vous m'avez l'air d'un honnête garçon et d'un travailleur ; vous penserez sans doute à vous marier quelque jour ; je viens vous aider à choisir librement la femme qui vous conviendra. Moi, j'ai été mariée contre mon cœur une fois, et je sais comme on en souffre. Maintenant, je suis riche, sans enfants, libre, maîtresse de ma fortune. Voici votre dot. "
            Elle me tendit une grande enveloppe cachetée.
            Je la regardai fixement, puis je lui dis : " Vous êtes ma mère ?
            Elle recula de trois pas et se cacha les yeux de la main pour ne plus me voir. Lui, l'homme, mon père, la soutint dans ses bras et il me cria ! " Mais vous êtes fou ! "
            Je répondis ! " Pas du tout. Je sais bien que vous êtes mes parents. On ne me trompe pas ainsi. Avouez-le et je vous garderai le secret ; je ne vous en voudrai pas ; je resterai ce que je suis, un menuisier. "
            Il reculait vers la sortie en soutenant toujours sa femme qui commençait à sangloter. Je courus fermer la porte, je mis ma clef dans ma poche, et je repris : " Regardez-la donc et niez encore qu'elle soit ma mère. "
            Alors il s'emporta, devenu très pâle, épouvanté par la pensée que le scandale évité jusqu'ici pouvait éclater soudain ; que leur situation, leur renom, leur honneur seraient perdus d'un seul coup ; il balbutiait : " Vous êtes une canaille qui voulez nous tirer de l'argent. Faites donc du bien au peuple, à  ces manants-là, aidez-les, secourez-les ! "
            Ma mère, éperdue, répétait coup sur coup : " Allons-nous-en, allons-nous-en ! "
            Alors, comme la porte était fermée, il cria : " Si vous ne m'ouvrez pas tout de suite, je vous fais flanquer en prison pour chantage et violence ! "
            J'étais resté maître de moi ; j'ouvris la porte et je les vis s'enfoncer dans l'ombre.
            Je les rattrapai bientôt. La nuit était venue toute noire. J'allais à pas de loup sur l'herbe, de sorte qu'ils ne m'entendirent pas. Ma mère pleurait toujours. Mon père disait : " C'est votre faute. Pourquoi avez-vous tenu à le voir ! C'était une folie dans notre position. On aurait pu lui faire du bien de loin, sans se montrer. Puisque nous ne pouvons le reconnaître, à quoi servaient ces visites dangereuses ? "
            Alors, je m'élançai devant eux, suppliant. Je balbutiai : " Vous voyez bien que vous êtes mes parents. Vous m'avez déjà rejeté une fois, me repousserez-vous encore ? "
            Alors, mon président, il leva la main sur moi, je vous le jure sur l'honneur, sur la loi, sur la République. Il me frappa, et comme je le saisissais au collet, il tira de sa poche un revolver.
            J'ai vu rouge, je ne sais plus, j'avais mon compas dans ma poche ; je l'ai frappé, frappé tant que j'ai pu.
            Alors elle s'est mise à crier : " Au secours ! à l'assassin ! " en m'arrachant la barbe. Il parait que je l'ai tuée aussi. Est-ce que je sais, moi, ce que j'ai fait, à ce moment-là ?
            Puis, quand je les ai vus tous deux par terre, je les ai jetés à la Seine, sans réfléchir.
            Voilà. - Maintenant jugez-moi. "

            L'accusé se rassit. Devant cette révélation, l'affaire a été reportée à la session suivante. Elle passera bientôt. Si nous étions jurés, que ferions-nous de ce parricide ?



                                                     Guy de Maupassant
            
            
            

            





















            

Ecris-moi vite et longuement Françoise Sagan ( Roman - autobiographie France )

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                                             Ecris-moi vite et longuement

                                    Correspondance de Françoise Sagan à Véronique Campionle 

           De juin 1952 à... Charmant. Elégant. Lorsque Sagan - Quoirez écrit à son amie, suivant les circonstances, elle termine ainsi : " Mes meilleurs souvenirs à tes parents ". Propos d'une jeune fille que la pensée de préparer propédeutique, avec son amie Véronique, ennuie mais demeurera une grande lectrice des modernes, des classiques. Ainsi à Véronique " Si tu trouves Rousseau lis-le ". L'écriture de son roman puis sa parution la transporte dans un monde pas si éloigné du sien même si les personnages sont différents. Et de voyage en voyage, d'un pays à l'autre, Françoise Quoirez devenue Sagan porte allègrement le succès de " Bonjour tristesse ", transmet ses différentes adresses à son amie, les meilleurs hôtels et entre cocktails et signatures le roman s'est classé 2è meilleure vente aux Etats-Unis et 1er à New-York. Les deux amies se sont surnommées Plick et Plock, ou " ........ Mon cher toto, il ne me reste plus qu'à t'attendre, en commençant par tes lettres"......... Réponds-moi sur le champ ou je ne réponds  plus de rien à rien. " Sagan est lucide. Dans la préface le mariage et le divorce de Sagan-Schoeller est une parenthèse. Sagan en a-t-elle souffert ou la souffrance tellement niée est-elle physique, après le très grave accident de la route qui l'a laissée accroc à certaines drogues. Et dans une lettre à Véronique elle rappelle que les gens veulent vous voir le plus malheureux possible occultant leurs propres ennuis. Ces quelques lettres rassemblées par son fils, Denis Westhoff met en lumière son goût pour la vie, son goût pour les voitures luxueuses et rapides, Jaguar, Aston  " Martin - accident gravissime - Mais en fait où est Sagan, personnalité publique, ou plus secrète. Préfacé par Olivia de Lamberterie ce joli et court ouvrage épistolaire est bien venu en cette période, ces années où il n'est question que de morts, de virus, aussi incidemment de bombes. Bonne lecture. M.







dimanche 6 mars 2022

Beethoven Régis Penet ( BD France )

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                                                Beethoven

                                         Le Prix de la Liberté

            Un épisode de la vie du musicien. Ludwig van Beethoven à vingt ans quitte Bonn, l'Allemagne, le pays, la ville où il est né et a grandi sous la coupe d'un père violent qui, un jour, s'aperçut que son fils avait un fort talent de musicien. Il le força alors à s'exhiber, comme Mozart. Mais Ludwig n'était pas Mozart. Il choisit la ville et le pays où il construira son avenir de musicien, Vienne et l'Autriche où il trouvera l'accueil et le mécène qui lui permettront de composer ses plus grandes oeuvres. Il écrit ses meilleurs oeuvres, malgré une surdité envahissante, souvent à la suite de grands sentiments éprouvés en diverses circonstances. Ainsi la 3è Symphonie, Symphonie Héroïque en mi bémol majeur fut dédiée à Bonaparte, dans un premier temps, outre ses symphonies des concertos, sonates que lui inspirent ses amours. Mais le musicien très obstiné dans ses positions politiques refuse parfois de jouer devant des ministres ou grands militaires ses musiques, contre la volonté de son mécène, alors l'épouse du Prince Lobkowitz intervient, et il poursuit son labeur et sa vie dans leur résidence de Raudnitz.  Il composera aussi pour elle. Traits fins, la BD en noir et blanc est agréable. Bonne lecture et bon moment musical. M