vendredi 25 novembre 2022

Quelques lettres à des petites filles de Lewis Carroll 15 /16 ( Dodgson ) ( Lettres Angleterre )

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                                                     Lettre
                                                                  à          
                                                                        Agnes Hull1 

                                                                                                        Oxford, le 21 avril 1881

            Mon Agie chérie,
            ( Oh oui, je sais fort bien ce que tu vas dire : " Comment se fait-il qu'il ne comprenne pas ce qu'on lui laisse entendre ? Il aurait quand même pu se rendre compte, d'après le début de ma dernière lettre, que je voulais lui indiquer que mon affection était en train de s'affaiblir ! " Bien sûr que je l'ai compris ! Mais était-ce une raison pour que la mienne, par symétrie, s'affaiblisse aussi ? Je te soumets ce problème, à toi, jeune personne douée de raison, et qui, à force de discuter avec Alice une heure chaque matin avant de te lever, a un bon entraînement à la logique : n'ai-je pas le droit d'être affectueux si j'en ai envie ? Assurément je l'ai, tout autant que toi le droit d'être aussi peu affectueuse qu'il te plaît. Et il va de soi que tu ne saurais envisager d'écrire quoi que ce soit que tu ne sentes pas. Non, non, la vérité avant tout !
            ( Applaudissements, dix minutes de pause pour se désaltérer. )
            Je suis arrivé à Londres lundi, venant d'Eastbourne, avec Mr Sampson ( quelques-unes d'entre vous l'ont rencontré à Eastbourne ), pour voir The Cup et The Belle's Stratagem, et mardi j'ai rendu une ou deux visites avant de rentrer à Guildford, et je suis passé par High Streed, Kensington. J'avais à 
" demi " agité la " demi " idée de sonner au numéro 55. Mais le Bon Sens me dit :
            - " Non, Agie se contentera de t'asticoter et de t'offrir l'extrémité de son oreille gauche pour un baiser, te disant :           
              - C'est vraiment la dernière fois, Mr Dodgson, car je vais avoir seize ans le mois prochain !
              - Ne sais-tu pas, me dit le Bon Sens, que les dernières fois de toutes choses sont extrêmement désagréables ? Mieux vaut les éviter et attendre qu'elle ait passé son seizième anniversaire. Vous en serez alors à vous serrer la main, ce qui sera reposant et commode.
*        - Tu as raison, Bon Sens, répondis-je. Je vais aller rendre visite à d'autres jeunes filles. "
            Cela dit, inutile de bâiller et de dire : " Que cette lettre est ennuyeuse ! " 
            Je vais te raconter quelque chose au sujet de The Cup, qui va t'intéresser. 
            Une dame ( une cousine à moi ) m'a écrit qu'elle souhaitait vivement lire cette pièce : pourrais-je lui en offrir la possibilité ( car on ne l'a pas publiée ) ? J'écrivis donc à la perle du Lyceum pour lui demander si elle pouvait nous aider. Je reçus aussitôt un paquet par la poste contenant, tout d'abord, son propre exemplaire imprimé, portant la dédicace : " A Ellen Terry, de la part de A. Tennyson, avec des corrections de Tennyson lui-même, et aussi des notes écrites par elle-même concernant des attitudes  et des expressions du visage, etc. ( ce qu'on appelle sur scène des " indications " ) toutes choses qui rendaient le volume extrêmement intéressant, en sorte que, bien que j'aie découvert par la suite que l'exemplaire en question m'avait été expédié par erreur, je fus ravi que l'erreur ait été commise. L'autre livre était une copie manuscrite du premier, présentée dans un album merveilleusement écrite par une jeune fille de ses amies. Je renvoyai l'exemplaire imprime et envoyai l'autre à ma cousin pour qu'elle le lise. Si Miss Terry m'y autorise, je compte le recopier avant de le lui rendre. Et si je le fais, il se peut qu'un jour, si tu es vraiment très sage et que tu ne te sois pas fâchée de toute la journée, je te le laisse regarder, d'un œil seulement. Comment ! Cela ne te suffira donc pas ? Comme tu es exigeante ! Eh bien, d'accord, tu pourras utiliser tes deux yeux .
            Quant à The Belle's Stratagem, je ne l'estime guère, mais elle contient deux scènes très drôles. L'une où Létitia Hardy ( Ellen Terry ), pour faire une plaisanterie à Doricourt ( H, Irving ) qui est obligé ( en vertu de quel testament ) de l'épouser, se fait passer pour une campagnarde turbulente. L'autre où Doricourt, pur éviter de l'épouser, fait semblant d'être fou. Irving est capable, quand il le veut, d'être extrêmement comique. Pour ce qui est d'elle, les mots ne suffisent pas à décrire ses talents comiques ! mieux vaut pour toi essayer de les imaginer.
            Bon, je suppose que tu vas dire : " Cette lettre est décidément assez longue, Mr Dodgson ! "
            Je m'arrête donc. Embrasse bien vos sœurs ( j'espère que c'est du bon français ) pour moi.
            Ton ami qui t'aime

* lepoint
                                                                                       C.L.D.


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                                                         Lettre
                                                                     à    
                                                                          Agnes Hull

                                                                                                        Oxford, le 30 avril 1881


   Youtube                                                     Haïssable Araignée,
            ( Vous avez bigrement raison : la façon dont on commence une lettre n'a pas la moindre importance, pas plus, du reste, de la façon dont on la continue, ni même que celle dont on la termine. Au bout de quelque temps il devient incroyablement facile d'écrire froidement, plus facile sans doute que d'écrire ardemment.   
        C'est ainsi que j'ai récemment écrit au Doyen à propos de questions concernant Christ Church, et que j'ai commencé ma lettre en ces termes :
           
" Obscur Animalcule "
            Or, il a la sottise de s'en montrer fâché, de dire que ça n'était pas une manière correcte de s'adresser à lui et de prétendre vouloir demander au Vice-Chancelier de m'expulser de l'Université. Et tout cela par votre faute ! )
            Non, je ne crois malheureusement pas pouvoir vous envoyer ce livre si précieux : on a fait que me le prêter, à moi et à ma cousine. Mais je crois pouvoir dire que j'aurai sous la main cet ouvrage, ou sa copie, durant mon séjour à Eastbourne et qu'alors, le jour où il vous arrivera de porter par ici, toute seule ( il me semble vous voir ), vos pas nonchalants avec l'intention de vous amuser à feuilleter mes livres, à compulser ma collection de photographies, ou de jouer de mon orguinette, tandis que je continuerai de travailler, ayant toutefois l'œil sur vous, au cas où vous feriez des bêtises, eh bien je ne verrai aucun inconvénient à ce que vous en lisiez quelques lignes, vous aussi d'un seul œil, tout en fixant sur moi le regard de votre second œil brillant de reconnaissance.
           Qu'est-ce qu' Aymatt pense du Colonel ? Une de mes voisines et amies m'affirme que c'est 
" complètement idiot ".
            Sur quoi, je vous salue
                 Votre très méprisant
                                                                          
                                                                                       C.L.D.
               
















     





                                                

dimanche 20 novembre 2022

Blumfeld, un célibataire plus très jeune Franz Kafka 4/4 ( Nouvelle Allemagne )

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                                          Blumfeld,   

                                                               un célibataire plus très jeune

            Il ne se plaignait d'ailleurs pas avec insistance, mais juste incidemment, quand se présentait une occasion qui s'y prêtait. Néanmoins le bruit se répandit bientôt, parmi les collègues malveillants que quelqu'un avait demandé à Ottomar s'il était possible qu'après avoir pourtant reçu une aide aussi extraordinaire Blumfeld continuât encore à se plaindre. A quoi Ottomar aurait répondu qu'effectivement Blumfeld se plaignait encore, mais que c'était à bon droit. Que lui, Ottomar, avait enfin compris et qu'il avait l'intention de doter progressivement Blumfeld d'un stagiaire pour chaque couturière donc au total d'environ soixante. Mais que si ça ne suffisait pas encore, il lui en attribuerait encore davantage et qu'il ne s'arrêterait pas avant que ce ne soit la délirante pagaille qui s'installait déjà depuis des années dans le service de Blumfeld.
            Or, dans ce propos, le style d'Ottomar était à vrai dire bien imité, mais en réalité, Blumfeld n'en
doutait pas, jamais Ottomar ne s'était exprimé sur son compte de pareille façon. Tout cela était une invention des flemmards qui occupaient les bureaux du premier étage, Blumfeld en faisait fi. Si seulement il avait pu faire fi aussi calmement de la présence des stagiaires ! Mais ils étaient plantés là et il ne pouvait plus s'en débarrasser. Des gamins pâlots et sans énergie. Au vu de leur dossier ils n'avaient plus l'âge d'aller à l'école, mais en réalité on avait peine à le croire. On n'aurait même pas envisagé de les confier à un instituteur, tant on voyait bien qu'ils avaient encore besoin de la main maternelle. Ils étaient encore incapables de se mouvoir raisonnablement, la station debout, surtout les premiers temps, les fatiguait énormément. Si on cessait de les surveiller, aussitôt leur faiblesse les laissait tassés sur eux-mêmes et ils s'accotaient de travers accroupis dans un coin. Blumfeld cherchait à leur faire comprendre qu'ils s'estropieraient pour le reste de leur vie s'ils cédaient toujours ainsi à la commodité.
            Il était risqué de confier aux stagiaires une petite course. Une fois, l'un d'eux avait eu à porter quelque chose à quelques pas de là, et il avait couru avec tant de zèle qu'il s'était ouvert le genou contre le pupitre. La pièce était pleine de couturières, les pupitres encombrés de marchandise, mais Blumfeld avait dû tout laisser en plan, emmener le stagiaire en pleurs dans le bureau et lui faire un petit pansement sur place. 
            Mais même ce zèle des stagiaires était qu'extérieur. En vrais enfants ils voulaient parfois se faire valoir, mais beaucoup plus souvent, ou plutôt presque toujours, ils ne cherchaient qu'à échapper à l'attention de leur supérieur et à le tromper.
*            Une fois, à un moment où il y avait le plus de travail, Blumfeld en sueur passant en courant devant eux, les avait vus cachés entre des ballots de marchandises et échangeant des timbres. Il aurait voulu leur flanquer des coups de poing sur la tête pour pareille conduite. C'eût été le seul châtiment possible, mais c'étaient des enfants. Blumfeld ne pouvait tout de même pas assommer des enfants, et donc, il continuait à subir leur présence insupportable.
            Au départ, il s'était imaginé que les stagiaires l'assisteraient dans les tâches élémentaires qui, au moment de la distribution des marchandises exigeaient tant d'efforts et de vigilance. Il pensait se tenir au milieu, derrière son pupitre, garder une bonne vue d'ensemble et se charger de noter, tandis que sur son ordre les stagiaire courraient de-ci, de-là pour tout distribuer. Il s'était imaginé que sa surveillance, insuffisante, si aigüe qu'elle fût dans un tel tumulte serait complétée par l'attention des stagiaires, et que peu à peu ils acquerraient de l'expérience, n'auraient pas à tout propos besoin de ses instructions et finiraient par apprendre eux-mêmes à faire la différence entre les couturières quant à leurs besoins en matière première et à leur fiabilité. Face à ces stagiaires ç'avaient été de vains espoirs. Blumfeld comprit bientôt qu'il ne devait absolument pas les laisser parler aux couturières. En effet, dès le départ ils n'étaient pas du tout allés, parce qu'elles leur inspiraient de l'aversion ou de la crainte. D'autres en revanche, pour lesquelles ils avaient une prédilection, étaient par eux assaillies dès la porte. A
celles-ci ils apportaient tout ce qu'elles souhaitaient, même quand elles y avaient droit, ils le leur faisaient passer comme en cachette. A destination de ces préférées ils collectionnaient sur une étagère vide diverses petites chutes, des restes sans valeur mais aussi des bricoles utilisables et, tout heureux, ils les leur montraient de loin, derrière le dos de Blumfeld, ce qui leur valait des bonbons qu'elles leur fourraient dans la bouche.
            A vrai dire, Blumfeld mit bientôt un terme à cette pagaille, en enfermant les stagiaires dans leur réduit dès qu'arrivaient les couturières. Mais longtemps encore ils considérèrent cela comme une grande injustice et rouspétèrent, cassant leurs plumes comme à plaisir et tambourinant contre les vitres, sans toutefois oser lever la tête, pour attirer l'attention des couturières sur le mauvais traitement qu'ils estimaient subir de la part de Blumfeld.
            En revanche, les délits dont ils se rendent coupables, ils sont incapables de les concevoir. Par exemple, ils arrivent presque toujours en retard. Blumfeld, leur supérieur qui, dès sa prime jeunesse a estimé qu'il allait de soi qu'on arrivât au bureau avec au moins une demi-heure d'avance, non par fayotage, ni par une conscience excessive du devoir, juste par un certain sentiment de décence, eh bien Blumfeld doit généralement attendre ses stagiaires plus d'une heure. Mâchant le petit pain de son petit déjeuner il attend généralement debout dans la salle, derrière son pupitre et vérifie les comptes des couturières dans leurs petits livrets. Il est bientôt plongé dans ce travail sans penser à rien d'autre, et voilà que soudain il sursaute au point que la plume lui tremble entre les mains pendant encore un moment. L'un des stagiaires est entré en trombe, on dirait qu'il va s'étaler, d'une main il se cramponne quelque part, de l'autre il tient sa poitrine haletante, mais tout cela ne rime à rien, sinon qu'il cherche à son retard une excuse, si ridicule cependant que Blumfeld refuse de l'entendre, autrement il lui faudrait rosser le garçon comme il le mérite. Il se contente donc de le regarder un moment, puis de la main lui montre le réduit où il doit se rendre et se remet à son travail. 
            On pourrait alors s'attendre à ce que le stagiaire comprenne quelle est la bonté de son supérieur et à ce qu'il se hâte de gagner sa place. Non, il ne se hâte pas, il esquisse une danse sur la pointe des pieds, pas à pas. Veut-il se moquer de son supérieur ? Non plus. Une fois encore c'est seulement ce mélange de crainte et de satisfaction qui vous laisse désarmé.
            Comment expliquer autrement qu'aujourd'hui, alors qu'il est arrivé exceptionnellement tard, Blumfeld, après avoir attendu longtemps, il n'a aucune envie de vérifier les comptes dans les livrets, aperçoive dans la rue, à travers les nuages de poussière que soulève avec son balai un stupide employé, ses deux stagiaires qui arrivent tranquillement ? Ils se serrent l'un contre l'autre et semblent se raconter des choses importantes mais qui, certainement, n'ont qu'un rapport lointain avec le travail, voire illicite. Plus ils approchent de la porte vitrée plus ils marchent lentement. Enfin, l'un des deux saisit la poignée, mais sans l'actionner, ils continuent à se raconter des choses, s'écouter et à rire.
   
**        " - Ouvre donc à ses messieurs ! " crie Blumfeld au balayeur en levant les mains. Mais lorsque les stagiaires entrent il n'a plus envie de les quereller, il ne répond pas à leur salut et va s'asseoir à son bureau. Il se met à ses comptes levant parfois les yeux pour voir ce que font les stagiaires. L'un des deux paraît très fatigué, il bâille et se frotte les yeux, après avoir accroché son manteau à la patère il profite de l'occasion pour rester encore un peu appuyé au mur. Dans la rue il était fringant, mais la proximité du travail fait qu'il est soudain fatigué. L'autre stagiaire, en revanche a envie de travailler, mais pas à n'importe quoi. Ainsi il souhaite depuis toujours qu'on l'autorise à balayer. Seulement c'est un travail qui n'est pas de son ressort, le balayage incombe exclusivement au commis du bureau. En soi, Blumfeld  ne verrait pas d'objection à ce que le stagiaire balaie, que le stagiaire balaie donc. On ne saurait faire ça plus mal que le commis. Mais si le stagiaire y tient, eh bien qu'il arrive plus tôt, avant que le commis s'y mette, et qu'il n'y consacre pas un temps qui doit être uniquement dédié aux travaux du bureau. Mais dès lors que ce garçon est fermé à toute considération de bon sens, alors au moins le commis, ce vieillard à demi aveugle que le patron ne tolèrerait sûrement dans aucun autre service que celui de Blumfeld, et qui n'existe encore que par la grâce de Dieu et du patron, alors ce commis pourrait se montrer accommodant et prêter pour un instant le balai au garçon, maladroit, et qui perdra aussitôt toute envie de balayer et courra avec le balai derrière le commis pour qu'il se remette surtout à balayer. Or voilà que le commis semble précisément se sentir particulièrement responsable du balayage. On le voit, dès que le garçon s'approche de lui, empoigner plus fermement le balai de ses mains tremblantes. Il préfère s'immobiliser et cesser de balayer pour bien concentrer toute son attention sur la possession du balai. 
            Le stagiaire n'exprime pas alors sa demande par des paroles, car il redoute tout de même Blumfeld qui fait mine d'être plongé dans ses calculs. D'ailleurs des paroles ordinaires seraient sans effet, car le commis n'entend que ce qu'on crie à tue-tête. Le stagiaire commence donc par tirer le commis par la manche. Le commis sait naturellement de quoi il retourne, il jette au stagiaire un regard noir, secoue la tête et ramène le balai contre lui, sur sa poitrine. Alors le stagiaire joint les mains en signe de prière. En vérité, il n'a aucun espoir d'obtenir quelque chose par la prière, cette prière l'amuse et c'est pourquoi il s'y livre. L'autre stagiaire accompagne ce qui se passe, riant discrètement et croit manifestement, même si c'est inconcevable, que Blumfeld ne l'entend pas. Sur le commis la prière ne fait pas la moindre impression, il se détourne et croit maintenant pouvoir se servir à nouveau du balai en toute sécurité. Mais le stagiaire l'a suivi, sautillant sur la pointe des pieds et frottant ses mains en signe de supplication, qu'il lui adresse maintenant de ce côté.
            Ces virages du commis et ces sautillements du stagiaire à sa suite se répètent plusieurs fois. Pour finir le commis se sent bloqué de toutes parts et se rend compte, comme il aurait pu le faire dès le départ s'il était un peu moins simplet, qu'il se fatiguera plus vite que le stagiaire. Par conséquent, il cherche une aide extérieure, menace du doigt le stagiaire et lui montre Blumfeld à qui il se plaindra si le stagiaire n'arrête pas.
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          Le stagiaire comprend qu'il doit à présent faire très vite s'il veut décidément s'emparer du balai. Avec audace il tend la main vers celui-ci. Une exclamation involontaire de l'autre stagiaire annonce le dénouement prochain. Le commis sauve bien le balai encore ce coup-ci en le tirant vers lui tout en reculant d'un pas. Mais cette fois le stagiaire ne relâche pas ses efforts, la bouche ouverte et les yeux lançant des éclairs, il bondit en avant. Le commis veut fuir mais ses vieilles jambes vacillent au lieu de courir. Le stagiaire tire sur le balai et, sans s'en rendre maître, il parvient tout de même à le faire tomber, si bien qu'il est perdu pour le commis. Mais apparemment aussi pour le stagiaire, car à la chute du balai tous trois restent pétrifiés. Les stagiaires et le commis, en effet, maintenant tout va  n'nécessairement être découvert par Blumfeld.
            De fait Blumfeld lève les yeux derrière sa vitre comme si son attention venait seulement d'être attirée, il fixe sur chacun d'eux un regard sévère et inquisiteur, même le balai par terre ne lui échappe pas. Soit que le silence dure trop longtemps, soit que le stagiaire coupable ne puisse réprimer son désir de balayer, en tout cas il se penche, à vrai dire très prudemment, comme pour saisir un animal et non le balai. Il prend celui-ci, passe un coup sur le sol, mais le lâche aussitôt avec effroi lorsque Blumfeld se dresse d'un bond et sort du réduit.
            " - Vous deux, au travail, et on ne bronche plus " crie Blumfeld la main tendue, montrant aux deux stagiaires la direction de leurs pupitres. Ils s'exécutent aussitôt, mais non pas la tête honteusement baissée, ils passent tout raides devant Blumfeld, se tournant vers lui et le regardant droit dans les yeux, comme s'ils voulaient le retenir de le frapper. Et pourtant ils pourraient être suffisamment instruits par l'expérience : Blumfeld, par principe, ne frappe jamais. Mais ils sont anxieux à l'extrême et cherchent toujours et sans aucun tact à défendre leurs droits réels ou de façade

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                                                  Franz Kafka

                                  fin de   *  Blumfeld, un célibataire plus très jeune  *  4/4

                                              

                                                                         







































 
                                                             
  




















 




















            













  







samedi 19 novembre 2022

Bordeaux -12 - Corbeyran / Espe ( BD France )


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                                                            Bordeaux

            De ceps en vignobles Corbeyran et Espe  content les dernières aventures de Alexandra Baudricourt. Au Domaine du Chêne Courbé Faustine, la sommelière est remplacée par Jérémie. Mais, dans ce charmant paysage, Alexandra pourrait s'effondrer sous les problèmes : juridiques, les propriétaires des vignes situées dans l'estuaire de la Gironde, entre deux mers, sont confrontés à un problème écologique qui peut conduire au déclassement d'un cinquième cru, et, d'autre part, entre les parents du jeune Jules se précise le divorce. Sa mère alors, Alexandra, lui propose la visite des lieux où le raisin devient vin, passant du moût au bicarbonate et aux effluves dangereux de ce dernier. Alexandra avance, cavalière dans ses actes, mais parviendra-t-elle à payer ses dettes, à sauver son domaine ? 12è volume de la série des Châteaux Bordeaux, se parcourt, avec toujours plaisir et le désir d'une promenade en terres bordelaises, et attendre le 13è volume. Couleurs toujours dans les ocres, personnages, visages aux traits curieusement accusés. Bonne BD et bonne lecture pour le week-end.









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vendredi 18 novembre 2022

Blumfeld, un célibataire plus très jeune Franz Kafka 3/4 ( Nouvelle Allemagne )

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                                            Blumfeld

                                                             un célibataire plus très jeune

            " - Alfred, Alfred ! " appelle-t-il.
            Le garçon hésite longuement.
            " - Mais viens donc, s'écrie Blumfeld, je vais te donner quelque chose. 
            Les deux fillettes du concierge sont sorties de la porte d'en face et, pleines de curiosité, se placent de part et d'autre de Blumfeld. Elles ont l'esprit beaucoup plus vif que le garçon et elles ne comprennent pas pourquoi il ne vient pas aussitôt. Elles lui font signe, mais sans quitter Blumfeld des yeux, mais elles n'arrivent pas à deviner quel genre de cadeau attend Alfred. La curiosité les tenaille et elles sautillent d'un pied sur l'autre.
            Blumfeld rit, autant d'elles que du garçon. Celui-ci semble avoir enfin compris de quoi il retourne : raide et pataud, il remonte l'escalier. Même sa démarche est celle de sa mère qui, du reste, apparaît en bas à la porte de la cave. Blumfeld crie, très fort, pour que son employée le comprenne aussi et, au besoin, veille à l'exécution de sa consigne.
            " - J'ai là-haut, dit Blumfeld, dans ma chambre, deux jolies balles. Est-ce que tu les veux ? "
            Le garçon se contente de tordre la bouche, ne sait comment se comporter, se tourne vers sa mère et l'interroge du regard. Les filles, elles, se mettent aussitôt à gambader autour de Blumfeld en lui demandant les balles.
            " - Vous aurez aussi le droit de jouer avec, " leur dit Blumfeld, mais il attend la réponse du garçon. Il pourrait tout de même donne les balles aux filles, mais elles lui semblent trop tête en l'air, et maintenant le garçon lui inspire davantage confiance. Entre-temps ce dernier a pris conseil auprès de sa mère, sans qu'ils aient échangé une parole et, lorsque Blumfeld repose sa question, le garçon fait oui de la tête. 
            " - Alors écoute bien, " dit Blumfeld, passant volontiers sur le fait que le cadeau ne lui vaudra aucun remerciement, " c'est ta mère qui a la clef de mon appartement, il faut que tu la lui empruntes. Et voici la clef de mon armoire à vêtements, c'est dans cette armoire que se trouvent les balles. Referme soigneusement à clef l'armoire et la chambre. De ces balles tu peux faire ce que tu veux et tu n'auras pas à les rapporter. Tu m'as compris ? "
            Or, malheureusement, le garçon n'a pas compris. Blumfeld voulait tout expliquer de façon particulièrement claire à cet être d'une stupidité sans fond, mais c'est précisément cette bonne intention qui lui a fait tout répéter trop souvent, l'a fait parler trop de fois de clefs, de chambre et d'armoire, si bien que le garçon le regarde fixement, non comme un bienfaiteur mais comme un subordonné. Les filles, en revanche, ont tout de suite tout compris, elles assaillent Blumfeld et tendent les mains vers la clef.
            " - Attendez donc ", dit Blumfeld que tout le monde commence à énerver et puis le temps passe, il ne peut s'attarder davantage. Si seulement son employée pouvait enfin dire qu'elle l'a compris, elle, et qu'elle fera tout comme il faut à la place du garçon ! Au lieu de cela elle est toujours en bas debout à sa porte, avec le sourire forcé d'une sourde qui en a honte, s'imaginant peut-être que Blumfeld, là-haut, est soudain tombé en adoration devant son garçon, et lui fait réciter sa table de multiplication. Mais Blumfeld ne peut quand même pas descendre l'escalier de la cave pour crier à son employée qu'il faut, pour l'amour du ciel, que son garçon le débarrasse de ses balles. Il a déjà suffisamment pris sur lui en acceptant de confier la clef de son armoire à cette famille pour toute une journée. Ce n'est pas pour se ménager qu'il tend la clef au garçon, au lieu de le conduire là-haut pour lui remettre les balles. Mais c'est qu'il ne peut pas lui en faire cadeau là-haut pour les lui reprendre aussitôt, comme ce sera probablement le cas en les entraînant derrière lui comme une escorte.
            " - Donc, tu ne me comprends pas ? " demande Blumfeld presque mélancolique, après avoir amorcé une nouvelle explication, mais avoir aussitôt renoncé devant le regard vide du garçon. Ce genre de regard vide vous laisse désarmé. Il pourrait vous entraîner à en dire plus qu'on ne voudrait, juste pour combler ce vide avec du bon sens.
            " - On va aller chercher les balles pour lui", s'écrient les filles. Elles sont futées, elles ont compris qu'elles peuvent avoir les balles par quelque entremise du garçon, mais qu'il faut, de surcroît, qu'elles organisent cette entremise.                                                                             pinterest.fr
           Dans la loge du concierge une horloge sonne qui rappelle à Blumfeld de se hâter. ?
            " - La clef de la chambre, allez la demander en bas à cette femme, dit encore Blumfeld, et quand vous reviendrez avec les balles, il faudra lui redonner les deux clefs.
              - Oui, oui, ", crient les deux filles en dévalant l'escalier. Elles savent tout, absolument tout, et comme si Blumfeld était contaminé par la stupidité du garçon, voilà qu'il ne comprend plus lui-même comment elles ont si vite pu tout comprendre à ses explications.
            Voilà déjà qu'en bas elles se suspendent aux jupes de son employée, mais Blumfeld ne peut, si tentant que ce soit, s'attarder plus longtemps pour voir comment elles s'acquitteront de leur mission et ce, non seulement parce qu'il est déjà tard, mais aussi parce qu'il ne veut pas être présent lorsque les balles seront libérées. Il entend même être déjà à quelques rues de là lorsque les filles n'en seront qu'à ouvrir la porte de sa chambre. Il ne sait quelles précautions prendre encore contre ces balles ! ll sort dont à l'air libre pour la deuxième fois de la matinée. Il a encore vu son employée se débattre littéralement contre les filles, et le garçon se hâter sur ses jambes torses d'aller secourir sa mère. Blumfeld ne comprend pas pourquoi des êtres comme cette femme prospèrent en ce monde et se reproduisent.
            Sur le chemin de la fabrique de lingerie où Blumfeld est employé, les pensées concernant le travail supplantent tout autre sujet. Il presse le pas et, en dépit du retard dû au garçon, il est le premier dans son bureau. C'est une petite pièce vitrée, elle contient un bureau pour Blumfeld et deux pupîtres hauts pour les stagiaires qui sont sous ses ordres. Ces pupîtres ont beau être aussi petits et étroits que s'ils étaient destinés à des écoliers, on est néanmoins très à l'étroit dans ce bureau et les stagiaires ne peuvent pas s'asseoir, parce que alors il n'y aurait plus de place pour le fauteuil de Blumfeld. Ils sont donc toute la journée debout, serrés contre leurs pupitres. C'est certes très inconfortable pour eux, mais cela rend aussi difficile de les surveiller pour Blumfeld. Ils s'appuient, parfois, tant qu'ils peuvent à leurs pupitres, mais pas du tout pour travailler : pour se parler à l'oreille voire, pour somnoler. Blumfeld a bien du tracas avec eux, ils sont loin de l'assister suffisamment dans le travail gigantesque dont il est chargé. Ce travail consiste à gérer la totalité des marchandises et des sommes d'argent concernant les ouvrières à domicile qu'emploie la fabrique pour la production de certaines fines.
             Pour pouvoir juger de l'ampleur de ce travail, il faut avoir une vision précise de l'ensemble des éléments qui le conditionnent. Or cette vision précise, depuis qu'est mort voilà quelques années le supérieur de Blumfeld, personne ne l'a plus, c'est d'ailleurs pourquoi Blumfeld ne reconnaît à personne le droit de juger son travail. Le propriétaire, M. Ottomar, par exemple, sous-estime le travail de Blumfeld. Il reconnaît naturellement les mérites que Blumfeld s'est acquis dans l'entreprise au cours de ces vingt années, et il les reconnaît non seulement parce qu'il ne peut faire autrement, mais aussi parce qu'il considère Blumfeld comme un homme loyal et digne de confiance. Il sous-estime néanmoins son travail. En effet, il croit qu'il pourrait être organisé de façon plus simple et donc en tout point plus rentable que Blumfeld ne le fait. On dit, et ce n'est pas invraisemblable, que si Ottomar se montre si rarement dans le service de Blumfeld, c'est uniquement pour s'épargner l'irritation que provoque chez lui le spectacle des méthodes de travail de Blumfeld. Etre ainsi méconnu est certes triste pour Blumfeld, mais on y peut rien, car il ne peut tout de même pas contraindre Ottomar à passer, disons un mois de suite, dans le service de Blumfeld, à étudier les multiples sortes de tâches qui sont à accomplir, à mettre en pratique ses propres méthodes qu'il prétend meilleures et, face à l'effondrement du service qui en résulterait nécessairement, à se laisser convaincre par Blumfeld. Ainsi Blumfeld accomplit-il son travail , comme avant, sans s'émouvoir. Quand Ottomar surgit au bout d'un certain temps, par un sens du devoir propre au subordonné, une timide tentative pour expliquer à Ottomar tel ou tel dispositif, sur quoi celui-ci hoche la tête en silence et reprend son chemin les yeux baissés et, du reste, il souffre ainsi moins d'être méconnu qu'à l'idée que, le jour où il faudra bien qu'il cède son poste, la conséquence immédiate sera une pagaille inextricable, car il ne connaît personne dans l'usine qui puisse le remplacer et occuper son poste de manière à éviter, des mois durant, ne serait-ce que les plus graves blocages dans l'entreprise. Sur quoi celui-ci hoche la tête en silence et reprend son chemin les yeux baissés et, du reste, il souffre ainsi moins d'être méconnu qu'à l'idée que, le jour où il faudra bien qu'il cède son poste, la conséquence immédiate sera une pagaille inextricable, car il ne connaît personne dans l'usine qui puisse le remplacer et occuper son poste de manière à éviter, des mois durant, ne serait-ce que les plus graves blocages dans l'entreprise. sur quoi celui-ci hoche la tête en silence et reprend son chemin les yeux baissés et, du reste, il souffre ainsi moins d'être méconnu qu'à l'idée que, le jour où il faudra bien qu'il cède son poste, la conséquence immédiate sera une pagaille inextricable, car il ne connaît personne dans l'usine qui puisse le remplacer et occuper son poste de manière à éviter, des mois durant, ne serait-ce que les plus graves blocages dans l'entreprise. 
            Quand le patron mésestime quelqu'un, naturellement les employés cherchent à surenchérir sur lui, tant qu'ils peuvent. Du coup tout le monde mésestime le travail de Blumfeld. Personne ne juge nécessaire de travailler un temps dans son service pour se former et, quand on engage de nouveaux employés, personne n'est affecté spontanément chez lui. Par conséquent il n'y a pas de relève pour le service de Blumfeld.
            Ce furent des semaines du combat le plus dur lorsque Blumfeld qui, jusque-là, avait tout fait seul dans le service avec juste un manutentionnaire, avait revendiqué qu'on lui adjoigne un stagiaire. Blumfeld s'était présenté presque chaque jour dans le bureau d'Ottomar pour lui exposer calmement et en détail pourquoi un stagiaire était nécessaire dans son service. Il disait que cette nécessité ne tenait nullement, par exemple, au désir qu'aurait eu Blumfeld de se ménager. Il ne l'avait pas, il travaillait plus que son dû et ne songeait pas à s'arrêter. Mais il fallait que M. Ottomar voulut bien considérer simplement comment l'entreprise s'était développée au fil du temps. Tous les services avaient été agrandis en conséquence, seul celui de Blumfeld était oublié. Et comme le travail s'était accru, justement là ! 
            Lorsque Blumfeld était arrivé, M. Ottomar n'avait sûrement plus le souvenir de cette époque. On travaillait avec une dizaine de couturières aujourd'hui leur nombre était entre cinquante et soixante. Pareil travail exige des forces. Blumfeld pouvait garantir qu'il s'adonnait totalement à ce travail, mais il ne pouvait plus garantir qu'il s'en acquitterait totalement dorénavant. Or jamais M. Ottomar ne repoussait carrément la requête de Blumfeld, il ne pouvait pas face à un vieil employé. Mais sa façon d'écouter à peine, de parler avec d'autres gens par-dessus la tête du requérant, de concéder des choses à moitié, d'avoir tout oublié au bout de quelques jours, cette façon était fort offensante. Pas pour Blumfeld, en fait, qui n'a rien d'un rêveur. Si bien que ce soit d'être honoré et reconnu, Bumfeld peut s'en passer. En dépit de tout il restera sur sa position aussi longtemps que ce sera encore possible. En tout cas il est dans son droit, et le droit doit nécessairement, même si ça prend quelquefois longtemps, finir par assurer une reconnaissance. Blumfeld a fini par obtenir deux stagiaires, quels stagiaires, à vrai dire ! On aurait pu croire qu'Ottomar s'était rendu compte qu'il pouvait manifester le peu de cas qu'il faisait du service de Blumfeld encore plus clairement qu'en lui refusant des stagiaires : en lui accordant ces stagiaires-là. Il est même possible qu'Ottomar ait fait lanterner Blumfeld aussi longtemps parce qu'il cherchait deux stagiaires de ce genre et que longtemps il n'en avait pas trouvé, ce qui se comprenait.
           Et désormais Blumfeld ne pouvait pas se plaindre, la réponse eût été prévisible : n'avait-il pas obtenu deux stagiaires, alors qu'il n'en avait demanfé qu'un ? Ottomar avait combiné habilement toute l'affaire. Naturellement Blumfeld se plaignit quand même, mais uniquement parce que sa situation d'urgence l'imposait, non qu'il espérât qu'il y fût encore porté remède.


                                                            A suivre...........
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            Il ne se..........