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Blumfeld
un célibataire plus très jeune
" - Alfred, Alfred ! " appelle-t-il.
Le garçon hésite longuement.
" - Mais viens donc, s'écrie Blumfeld, je vais te donner quelque chose.
Les deux fillettes du concierge sont sorties de la porte d'en face et, pleines de curiosité, se placent de part et d'autre de Blumfeld. Elles ont l'esprit beaucoup plus vif que le garçon et elles ne comprennent pas pourquoi il ne vient pas aussitôt. Elles lui font signe, mais sans quitter Blumfeld des yeux, mais elles n'arrivent pas à deviner quel genre de cadeau attend Alfred. La curiosité les tenaille et elles sautillent d'un pied sur l'autre.
Blumfeld rit, autant d'elles que du garçon. Celui-ci semble avoir enfin compris de quoi il retourne : raide et pataud, il remonte l'escalier. Même sa démarche est celle de sa mère qui, du reste, apparaît en bas à la porte de la cave. Blumfeld crie, très fort, pour que son employée le comprenne aussi et, au besoin, veille à l'exécution de sa consigne.
" - J'ai là-haut, dit Blumfeld, dans ma chambre, deux jolies balles. Est-ce que tu les veux ? "
Le garçon se contente de tordre la bouche, ne sait comment se comporter, se tourne vers sa mère et l'interroge du regard. Les filles, elles, se mettent aussitôt à gambader autour de Blumfeld en lui demandant les balles.
" - Vous aurez aussi le droit de jouer avec, " leur dit Blumfeld, mais il attend la réponse du garçon. Il pourrait tout de même donne les balles aux filles, mais elles lui semblent trop tête en l'air, et maintenant le garçon lui inspire davantage confiance. Entre-temps ce dernier a pris conseil auprès de sa mère, sans qu'ils aient échangé une parole et, lorsque Blumfeld repose sa question, le garçon fait oui de la tête.
" - Alors écoute bien, " dit Blumfeld, passant volontiers sur le fait que le cadeau ne lui vaudra aucun remerciement, " c'est ta mère qui a la clef de mon appartement, il faut que tu la lui empruntes. Et voici la clef de mon armoire à vêtements, c'est dans cette armoire que se trouvent les balles. Referme soigneusement à clef l'armoire et la chambre. De ces balles tu peux faire ce que tu veux et tu n'auras pas à les rapporter. Tu m'as compris ? "
Or, malheureusement, le garçon n'a pas compris. Blumfeld voulait tout expliquer de façon particulièrement claire à cet être d'une stupidité sans fond, mais c'est précisément cette bonne intention qui lui a fait tout répéter trop souvent, l'a fait parler trop de fois de clefs, de chambre et d'armoire, si bien que le garçon le regarde fixement, non comme un bienfaiteur mais comme un subordonné. Les filles, en revanche, ont tout de suite tout compris, elles assaillent Blumfeld et tendent les mains vers la clef.
" - Attendez donc ", dit Blumfeld que tout le monde commence à énerver et puis le temps passe, il ne peut s'attarder davantage. Si seulement son employée pouvait enfin dire qu'elle l'a compris, elle, et qu'elle fera tout comme il faut à la place du garçon ! Au lieu de cela elle est toujours en bas debout à sa porte, avec le sourire forcé d'une sourde qui en a honte, s'imaginant peut-être que Blumfeld, là-haut, est soudain tombé en adoration devant son garçon, et lui fait réciter sa table de multiplication. Mais Blumfeld ne peut quand même pas descendre l'escalier de la cave pour crier à son employée qu'il faut, pour l'amour du ciel, que son garçon le débarrasse de ses balles. Il a déjà suffisamment pris sur lui en acceptant de confier la clef de son armoire à cette famille pour toute une journée. Ce n'est pas pour se ménager qu'il tend la clef au garçon, au lieu de le conduire là-haut pour lui remettre les balles. Mais c'est qu'il ne peut pas lui en faire cadeau là-haut pour les lui reprendre aussitôt, comme ce sera probablement le cas en les entraînant derrière lui comme une escorte.
" - Donc, tu ne me comprends pas ? " demande Blumfeld presque mélancolique, après avoir amorcé une nouvelle explication, mais avoir aussitôt renoncé devant le regard vide du garçon. Ce genre de regard vide vous laisse désarmé. Il pourrait vous entraîner à en dire plus qu'on ne voudrait, juste pour combler ce vide avec du bon sens.
" - On va aller chercher les balles pour lui", s'écrient les filles. Elles sont futées, elles ont compris qu'elles peuvent avoir les balles par quelque entremise du garçon, mais qu'il faut, de surcroît, qu'elles organisent cette entremise. pinterest.fr
Dans la loge du concierge une horloge sonne qui rappelle à Blumfeld de se hâter. ?
" - La clef de la chambre, allez la demander en bas à cette femme, dit encore Blumfeld, et quand vous reviendrez avec les balles, il faudra lui redonner les deux clefs.
- Oui, oui, ", crient les deux filles en dévalant l'escalier. Elles savent tout, absolument tout, et comme si Blumfeld était contaminé par la stupidité du garçon, voilà qu'il ne comprend plus lui-même comment elles ont si vite pu tout comprendre à ses explications.
Voilà déjà qu'en bas elles se suspendent aux jupes de son employée, mais Blumfeld ne peut, si tentant que ce soit, s'attarder plus longtemps pour voir comment elles s'acquitteront de leur mission et ce, non seulement parce qu'il est déjà tard, mais aussi parce qu'il ne veut pas être présent lorsque les balles seront libérées. Il entend même être déjà à quelques rues de là lorsque les filles n'en seront qu'à ouvrir la porte de sa chambre. Il ne sait quelles précautions prendre encore contre ces balles ! ll sort dont à l'air libre pour la deuxième fois de la matinée. Il a encore vu son employée se débattre littéralement contre les filles, et le garçon se hâter sur ses jambes torses d'aller secourir sa mère. Blumfeld ne comprend pas pourquoi des êtres comme cette femme prospèrent en ce monde et se reproduisent.
Sur le chemin de la fabrique de lingerie où Blumfeld est employé, les pensées concernant le travail supplantent tout autre sujet. Il presse le pas et, en dépit du retard dû au garçon, il est le premier dans son bureau. C'est une petite pièce vitrée, elle contient un bureau pour Blumfeld et deux pupîtres hauts pour les stagiaires qui sont sous ses ordres. Ces pupîtres ont beau être aussi petits et étroits que s'ils étaient destinés à des écoliers, on est néanmoins très à l'étroit dans ce bureau et les stagiaires ne peuvent pas s'asseoir, parce que alors il n'y aurait plus de place pour le fauteuil de Blumfeld. Ils sont donc toute la journée debout, serrés contre leurs pupitres. C'est certes très inconfortable pour eux, mais cela rend aussi difficile de les surveiller pour Blumfeld. Ils s'appuient, parfois, tant qu'ils peuvent à leurs pupitres, mais pas du tout pour travailler : pour se parler à l'oreille voire, pour somnoler. Blumfeld a bien du tracas avec eux, ils sont loin de l'assister suffisamment dans le travail gigantesque dont il est chargé. Ce travail consiste à gérer la totalité des marchandises et des sommes d'argent concernant les ouvrières à domicile qu'emploie la fabrique pour la production de certaines fines.
Pour pouvoir juger de l'ampleur de ce travail, il faut avoir une vision précise de l'ensemble des éléments qui le conditionnent. Or cette vision précise, depuis qu'est mort voilà quelques années le supérieur de Blumfeld, personne ne l'a plus, c'est d'ailleurs pourquoi Blumfeld ne reconnaît à personne le droit de juger son travail. Le propriétaire, M. Ottomar, par exemple, sous-estime le travail de Blumfeld. Il reconnaît naturellement les mérites que Blumfeld s'est acquis dans l'entreprise au cours de ces vingt années, et il les reconnaît non seulement parce qu'il ne peut faire autrement, mais aussi parce qu'il considère Blumfeld comme un homme loyal et digne de confiance. Il sous-estime néanmoins son travail. En effet, il croit qu'il pourrait être organisé de façon plus simple et donc en tout point plus rentable que Blumfeld ne le fait. On dit, et ce n'est pas invraisemblable, que si Ottomar se montre si rarement dans le service de Blumfeld, c'est uniquement pour s'épargner l'irritation que provoque chez lui le spectacle des méthodes de travail de Blumfeld. Etre ainsi méconnu est certes triste pour Blumfeld, mais on y peut rien, car il ne peut tout de même pas contraindre Ottomar à passer, disons un mois de suite, dans le service de Blumfeld, à étudier les multiples sortes de tâches qui sont à accomplir, à mettre en pratique ses propres méthodes qu'il prétend meilleures et, face à l'effondrement du service qui en résulterait nécessairement, à se laisser convaincre par Blumfeld. Ainsi Blumfeld accomplit-il son travail , comme avant, sans s'émouvoir. Quand Ottomar surgit au bout d'un certain temps, par un sens du devoir propre au subordonné, une timide tentative pour expliquer à Ottomar tel ou tel dispositif, sur quoi celui-ci hoche la tête en silence et reprend son chemin les yeux baissés et, du reste, il souffre ainsi moins d'être méconnu qu'à l'idée que, le jour où il faudra bien qu'il cède son poste, la conséquence immédiate sera une pagaille inextricable, car il ne connaît personne dans l'usine qui puisse le remplacer et occuper son poste de manière à éviter, des mois durant, ne serait-ce que les plus graves blocages dans l'entreprise. Sur quoi celui-ci hoche la tête en silence et reprend son chemin les yeux baissés et, du reste, il souffre ainsi moins d'être méconnu qu'à l'idée que, le jour où il faudra bien qu'il cède son poste, la conséquence immédiate sera une pagaille inextricable, car il ne connaît personne dans l'usine qui puisse le remplacer et occuper son poste de manière à éviter, des mois durant, ne serait-ce que les plus graves blocages dans l'entreprise. sur quoi celui-ci hoche la tête en silence et reprend son chemin les yeux baissés et, du reste, il souffre ainsi moins d'être méconnu qu'à l'idée que, le jour où il faudra bien qu'il cède son poste, la conséquence immédiate sera une pagaille inextricable, car il ne connaît personne dans l'usine qui puisse le remplacer et occuper son poste de manière à éviter, des mois durant, ne serait-ce que les plus graves blocages dans l'entreprise.
Quand le patron mésestime quelqu'un, naturellement les employés cherchent à surenchérir sur lui, tant qu'ils peuvent. Du coup tout le monde mésestime le travail de Blumfeld. Personne ne juge nécessaire de travailler un temps dans son service pour se former et, quand on engage de nouveaux employés, personne n'est affecté spontanément chez lui. Par conséquent il n'y a pas de relève pour le service de Blumfeld.
Ce furent des semaines du combat le plus dur lorsque Blumfeld qui, jusque-là, avait tout fait seul dans le service avec juste un manutentionnaire, avait revendiqué qu'on lui adjoigne un stagiaire. Blumfeld s'était présenté presque chaque jour dans le bureau d'Ottomar pour lui exposer calmement et en détail pourquoi un stagiaire était nécessaire dans son service. Il disait que cette nécessité ne tenait nullement, par exemple, au désir qu'aurait eu Blumfeld de se ménager. Il ne l'avait pas, il travaillait plus que son dû et ne songeait pas à s'arrêter. Mais il fallait que M. Ottomar voulut bien considérer simplement comment l'entreprise s'était développée au fil du temps. Tous les services avaient été agrandis en conséquence, seul celui de Blumfeld était oublié. Et comme le travail s'était accru, justement là !
Lorsque Blumfeld était arrivé, M. Ottomar n'avait sûrement plus le souvenir de cette époque. On travaillait avec une dizaine de couturières aujourd'hui leur nombre était entre cinquante et soixante. Pareil travail exige des forces. Blumfeld pouvait garantir qu'il s'adonnait totalement à ce travail, mais il ne pouvait plus garantir qu'il s'en acquitterait totalement dorénavant. Or jamais M. Ottomar ne repoussait carrément la requête de Blumfeld, il ne pouvait pas face à un vieil employé. Mais sa façon d'écouter à peine, de parler avec d'autres gens par-dessus la tête du requérant, de concéder des choses à moitié, d'avoir tout oublié au bout de quelques jours, cette façon était fort offensante. Pas pour Blumfeld, en fait, qui n'a rien d'un rêveur. Si bien que ce soit d'être honoré et reconnu, Bumfeld peut s'en passer. En dépit de tout il restera sur sa position aussi longtemps que ce sera encore possible. En tout cas il est dans son droit, et le droit doit nécessairement, même si ça prend quelquefois longtemps, finir par assurer une reconnaissance. Blumfeld a fini par obtenir deux stagiaires, quels stagiaires, à vrai dire ! On aurait pu croire qu'Ottomar s'était rendu compte qu'il pouvait manifester le peu de cas qu'il faisait du service de Blumfeld encore plus clairement qu'en lui refusant des stagiaires : en lui accordant ces stagiaires-là. Il est même possible qu'Ottomar ait fait lanterner Blumfeld aussi longtemps parce qu'il cherchait deux stagiaires de ce genre et que longtemps il n'en avait pas trouvé, ce qui se comprenait.
Et désormais Blumfeld ne pouvait pas se plaindre, la réponse eût été prévisible : n'avait-il pas obtenu deux stagiaires, alors qu'il n'en avait demanfé qu'un ? Ottomar avait combiné habilement toute l'affaire. Naturellement Blumfeld se plaignit quand même, mais uniquement parce que sa situation d'urgence l'imposait, non qu'il espérât qu'il y fût encore porté remède.
A suivre...........
4 fin
Il ne se..........
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