mardi 8 septembre 2020

Le rickshaw fantôme Rudyard Kipling 1è partie ( nouvelle Angleterre )

Montréal
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                                            Le rickshaw fantôme

            Un des rares avantages que l'Inde possède sur l'Angleterre, c'est sa grande sociabilité. Au bout de cinq ans de service on s'y trouve, directement ou indirectement, en relations familières avec les deux ou trois cents " civilians " de sa province, tous les mess des dix ou douze régiments et batteries, et quelques quinze cents autres personnes du monde non officiel. En dix ans le monde des connaissances peut se trouver doublé et au bout de vingt ans il n'est pas un Anglais de l'Empire que l'on ne connaisse ou dont on n'ait entendu parler, on peut ensuite voyager du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest sans bourse délier.
            Les globe-trotters qui comptent l'hospitalité comme un droit, ont porté quelque atteinte à cette largesse de coeur, mais il n'en persiste pas moins aujourd'hui que si vous appartenez au cercle des initiés et n'êtes ni un ours ni une brebis galeuse, toutes les maisons vous sont ouvertes, et que notre petit monde est très, très bienveillant, très, très secourable.
            Rickett de Kamartba fut, il y a quelque quinze ans, l'hôte de Polder de Kumaon, avec l'intention de ne séjourner chez lui que quarante-huit heures, mais il se trouva terrassé par une crise de rhumatisme articulaire et, durant six semaines, désorganisa la maison de Polder, l'empêcha de travailler et faillit mourir dans sa chambre à coucher. Polder se conduit comme si Rickett avait fait de lui son éternel obligé et, chaque année envoie au petit Rickett une caisse de bonbons et de jouets.
            Il en va de même dans tout le pays. Des hommes qui ne se donnent pas la peine de vous cacher qu'ils vous tiennent pour un âne bâté, ou des femmes qui noircissent votre réputation et interprètent de travers les distractions de votre femme, se mettront en quatre si vous tombez malade ou si vous vous trouvez sous le coup de sérieux ennuis.                                                                   encheres.catawiki.eu
Afficher l'image d'origine            Heatherlegh le médecin, en plus de sa clientèle ordinaire tenait un hôpital pour son compte privé, toute une collection de box pour incurables, disaient ses amis. En tout cas une sorte de cale sèche pour l'embarcation que la dureté du temps avait endommagée. Le temps en Inde est souvent accablant, et comme la quantité de briques est toujours la même, et que la seule liberté qu'on vous y accorde est celle de travailler plus que de raison sans espérer de remerciements, il arrive que les gens s'effondrent sur la route et ont finalement la tête aussi brouillée que les métaphores dans ce paragraphe.
            Heatherlegh est le plus charmant docteur que la terre ait porté et l'ordonnance dont il gratifie en général ses malades est :
            " Ne vous dépensez pas, ne vous pressez pas, ne vous emballez pas. "
            Il prétend que le surmenage tue plus de gens que ne justifie l'importance de ce bas monde. Il prétend que c'est le surmenage qui tua Pansay qui mourut entre ses mains, il y a environ trois ans. Il a, cela va sans dire, le droit de parler avec autorité et se moque de ma théorie lorsque je prétends que Pansay avait le cerveau fêlé et que c'est par la fêlure que pénétra le petit coin du monde des Ténèbres qui le précipita vers la mort.. " Pansay a perdu la boule ! a déclara Heatherlegh, après un long congé en Angleterre. Il se peut, oui ou non, qu'il se soit conduit comme un malotru vis-à-vis de Mrs Keith-Wessington. Mon opinion est que le travail de colonisation de Katabundi lui cassa les jambes et qu'il se mit à broyer du noir et prit trop à coeur un flirt ordinaire de paquebot. Toujours est-il qu'il fut effectivement fiancé à Miss Mannering, et elle rompit aussi effectivement avec lui. Après cela il contracta une fièvre légère et toute cette histoire de fantômes ne fit que croître et embellir. Mais c'est bien le surmenage la cause de la maladie. qui l'entretint et tua le pauvre diable. Inscrivez-le au nombre des victimes du système qui consiste à faire exécuter à un seul homme le travail de deux hommes et demi.
            Telle n'est pas ma croyance. Lorsque Heatherlegh était appelé chez ses malades et qu'il m'arrivait d'être disponible, je veillais Pansay. La description que le pauvre garçon me faisait à voix basse, égale, du cortège qui toujours passait au pied de son lit, me rendait vraiment malheureux. Ajoutez à cela qu'il avait la richesse d'expression des malades. Lorsque guéri pendant quelque temps, je le poussai à écrire toute l'histoire, depuis le commencement jusqu'à la fin, pensant que le travail de la plume pourrait aider au soulagement de l'esprit.
Afficher l'image d'origine            Tout le temps qu'il écrivit il resta sous l'emprise d'une forte fièvre, et le style de mélodrame qu'il adopta ne pouvait le calmer. Deux mois plus tard il fut déclaré de nouveau bon pour le service. Mais bien qu'on eût un besoin urgent de lui pour combler un déficit d'hommes à la commission des finances, il préféra mourir, jurant jusqu'à la fin qu'il était ensorcelé.
            J'obtins qu'il me remit son manuscrit avant sa mort, et voici, telle qu'il l'écrivit, sa version de l'affaire.
            " Mon médecin me dit qu'il me faut du repos et un changement d'air. Il n'est pas impossible que d'ici peu j'aie l'un et l'autre, repos que ni l'ordonnance à dolman rouge ni le canon de midi ne sauraient rompre, et changement d'air bien au-delà de ce que peut m'offrit un steamer en route pour le pays. En attendant, je suis décidé à rester où je suis, et au parfait mépris des ordres de mon médecin à mettre le monde entier dans ma confidence. Vous apprécierez par vous-même la nature véritable de ma maladie, et jugerez non moins par vous-même si nul homme né de femme sur cette terre passa jamais par les mêmes tourments que moi.
            Pour parler maintenant comme le pourrait faire un condamné avant qu'on ait tiré sur lui les verrous de la trappe, mon histoire, quelque étrange et horriblement invraisemblable qu'elle puisse paraître, réclame tout au moins de l'attention. Que jamais elle ne doive recevoir créance j'en suis on ne peut plus sûr. Il y a deux mois j'airais traité de dément ou d'ivrogne celui qui eût osé me raconter la même. Il y a deux mois j'étais le plus heureux homme de l'Inde. Aujourd'hui, de Peshawer à la mer nul n'est plus torturé. Mon médecin et moi sommes les seuls à connaître tout ceci. Son explication : " J'ai le cerveau, la digestion et la vue, tous légèrement atteints, ce qui donne lieu à ces fréquentes et persistantes  hallucinations. Hallucinations, vraiment ! Je le traite d'idiot, mais il continue à me soigner avec le même inlassable sourire, le même suave tour de main professionnel, les mêmes favoris rouges bien soignés, jusqu'à ce que je m'accuse de n'être qu'un ingrat et un mauvais malade. Mais vous jugerez par vous-même.
            Il y a trois ans j'eus la bonne... l'on ne peut plus mauvaise fortune... de faire route de Gravesend à Bombay, au retour d'un long congé, avec une certaine Agnès Keith-Wessington, femme d'un officier côté Bombay. Quelle genre de femme ? Là n'est point pour vous la question. Contentez-vous de savoir qu'avant la fin du voyage nous étions éperdument et sans raisonnement possible amoureux. Dieu sait que je peux aujourd'hui en faire l'aveu sans ombre de vanité.
            Dans de semblables situations il en est toujours un qui donne et l'autre qui accepte. Dès le premier jour de notre fatal attachement, j'eus conscience que la passion d'Agnès était plus forte, plus dominante et, s'il m'est permis d'employer l'expression, plus pure que la mienne. Reconnut-elle alors le fait, je ne le sais pas. Toujours est-il que par la suite ce ne fut que trop clair pour nous deux.
            Arrivés à Bombay au printemps, nous partîmes chacun de notre côté, et ne nous rencontrâmes plus pendant trois ou quatre mois, lorsque mon congé et notre amour nous conduisirent à Simla. Nous passâmes la saison ensemble et mon feu de paille s'y consuma en une fin pitoyable avec les derniers jours de l'année. Je ne cherche pas à m'excuser. Je n'adresse aucune excuse. Mrs Wessington avait abandonné pour moi beaucoup de choses et était prête à tout abandonner. De mes propres lèvres, en 1882, elle apprit que j'avais soupé d'elle, de sa vue, de sa société, du son de sa voix. Quatre-vingt-dix-neuf femmes sur cent se seraient détachées. Soixante-quinze se seraient promptement vengées grâce à quelque flirt actif et importun avec d'autres hommes. MrsWessington était la centième. Sur elle, ni mon aversion clairement énoncée, ni les brutalités cinglantes dont étaient agrémentées nos entrevues n'eurent le moindre effet.
            - Jack, mon chéri ! Telle était son éternelle antienne. Je suis sûre qu'il ne s'agit en tout cela que d'une méprise, d'une horrible méprise, et qu'un de ces jours nous redeviendrons bons amis. Je vous prie, Jack ! Pardonnez-moi, mon ami !  fr123rf.com
Afficher l'image d'origine            C'était moi le coupable, et je le savais. Le savoir transforma ma pitié en passive endurance, puis en haine aveugle. Ce même instinct, je suppose, qui vous pousse à mettre le pied avec férocité sur l'araignée que vous n'avez tuée qu'à moitié. Et c'est avec cette haine au cœur que s'acheva la saison 1882.
            L'année suivante nous nous retrouvâmes de nouveau à Simla. Elle avait les mêmes timides essais de réconciliation et le même visage, moi avec l'horreur d'elle dans toutes les fibres de mon être. Il arriva plusieurs fois que je ne pusse éviter de la rencontrer seule, et en chaque occasion ses mêmes paroles. Toujours cette plainte irraisonnée, que tout cela n'était qu'une " méprise ", et toujours l'espoir d'une prochaine " réconciliation ". J'aurais pu m'apercevoir en y prenant garde que seul cet espoir la maintenait en vie. De mois en mois elle pâlissait et devenait diaphane. Vous voudrez bien convenir avec moi qu'une telle conduite aurait mené n'importe qui à la folie, qu'elle était inutile, enfantine, peu digne d'une femme. Je maintiens qu'il y avait beaucoup de la faute de MrsWessington. Et, d'autre part, dans le trouble et la fièvre de mes insomnies je pensai cependant parfois que j'aurais pu me montrer un peu meilleur à son égard. Mais voilà qui pour le coup est une " hallucination ".
            Je ne pouvais prétendre de continuer à l'aimer alors que je ne l'aimais plus. Qu'en dites-vous ? C'eût été peu loyal pour tous deux.
            L'an dernier nous nous rencontrâmes encore, dans les mêmes conditions qu'auparavant. Toujours ces fastidieux appels, et de mes lèvres toujours ces cinglantes réponses. Je finirais bien par lui montrer combien ses tentatives pour reprendre les anciennes relations étaient vaines et illusoires.

            Lorsque la saison avança nous fîmes bande à part, c'est-à-dire qu'il lui fut assez difficile de me rencontrer, d'autant que je fus occupé par d'autres sujets plus absorbants.
            Quand j'y pense tranquillement dans ma chambre de malade, la saison 1884 m'apparaît comme un cauchemar embrouillé où la lumière et l'ombre s'entremêlèrent dans une danse fantastique. Ma cour à la petite Mannering, mes espérances, mes doutes et mes craintes, nos longues chevauchées ensemble, mon tremblant aveu, sa réponse et de temps en temps la vision d'un visage pâle fuyant dans le rickshaw aux livrées noir et blanc que jadis j'épiais d'un regard insistant. Le signe que faisait de sa main gauche gantée Mrs Wessington et, lorsqu'elle me rencontrait seul, ce qui arrivait rarement, la fastidieuse monotonie de son interrogatoire. J'aimais Kitty Mannering. Je l'aimais honnêtement, de tout mon cœur. A mesure que grandissait mon amour pour elle grandissait ma haine contre Agnès.
            En août Kitty et moi fûmes fiancés, le lendemain je rencontrai ces maudits " jhampanies " couleur de pie derrière le Jakko et, mû par quelque sentiment de pitié, m'arrêtai pour tout raconter à Mrs Wessington. Elle le savait déjà.
            - Ainsi Jack j'apprends que vous voilà fiancé, mon ami ( puis sans une seconde de répit ), je suis sûre qu'il ne s'agit en tout cela que d'une méprise, d'une horrible méprise. Un de ces jours nous redeviendrons bons amis, Jack, comme par le passé.                                

            Ma réponse fut de celle qu'un homme même eût tressailli. Elle cingla, tel un coup de fouet, la femme mourante que j'avais devant moi.
            - Je vous en prie Jack, pardonnez-moi, mon intention n'était pas de vous fâcher. Mais c'est vrai, c'est vrai, vous avez raison !
            Et Mrs Wessington cette fois-ci se tut, anéantie.
            Je la laissai finir sa promenade en paix, m'éloignai avec le sentiment, mais cela ne dura qu'un instant, que je m'étais conduit comme le dernier des goujats. Je regardai en arrière et vis qu'elle avait fait tourner son rickshaw pensant, je suppose, me rattraper.
            La scène et son cadre s'imprimèrent dans ma mémoire. Le ciel balayé par les dernières pluies ( la saison des pluies touchait à sa fin ), les pins alourdis, ternes, la route boueuse et les rochers noirs fendus à la mine, formaient un arrière-plan mélancolique sur lequel les livrées noir et blanc des jhampanies, le rickshaw aux panneaux jaunes et la tête dorée que tenait baissée très bas Mrs Wessington se découpaient très nettement. Elle avait son mouchoir dans la main gauche et s'appuyait en arrière, épuisée, contre les coussins. Je fis tourner mon cheval dans un chemin de traverse, près du réservoir de Sanjowlie ; et pris littéralement la fuite. Je crus entendre encore un faible " Jack ! " Peut-être était-ce simple imagination de ma part. Je ne m'arrêtai pas pour le vérifier. Au bout de dix minutes je tombai sur Kitty à cheval et, dans les délices d'une longue chevauchée avec elle, j'oubliai toute l'entrevue.

            Une semaine plus tard Mrs Wessington mourut, et ma vie fut délivrée de l'indicible fardeau de son existence. Je gagnai la plaine parfaitement heureux. Trois mois ne s'étaient pas écoulés que j'avais oublié tout ce qui la concernait, sauf, parfois, la découverte de quelques-unes de ses lettres me rappelaient fâcheusement nos relations d'antan. Vers janvier j'avais exhumé du fouillis de mes affaires tout ce qui restait de notre correspondance et l'avais brûlé. Au début d'avril de cette année 1885 je me trouvais une fois de plus à Simla, Simla à demi déserté, je m'y trouvais livré tout entier aux conversations et promenades amoureuses avec Kitty. Il était décidé que nous nous marierions à la fin de juin. On comprendra donc qu'aimant Kitty avec une telle assiduité je n'exagère pas en déclarant que j'étais à cette époque l'homme le plus heureux de l'Inde.

            Une quinzaine de jours délicieux passèrent sans que je me sois aperçu de leur fuite. Alors, mû par le sentiment de ce qui convenait à des mortels placés dans cette situation, je fis remarquer à Kitty qu'une bague de fiançailles était l'insigne extérieur et visible de sa dignité en tant que fiancée et qu'il lui fallait incontinent venir chez Hamilton afin d'y faire prendre mesure de son doigt. Jusqu'à ce moment-là, je vous en donne ma parole, nous avions totalement oublié ce simple détail. Chez Hamilton, en conséquence, nous rendîmes-nous ce 15 avril 1885. Rappelez-vous, quoique mon médecin puisse dire le contraire, j'étais alors en parfaite santé, jouissais d'un non moins parfait équilibre d'esprit et d'une absolue tranquillité d'âme.
            Kitty et moi entrâmes ensemble dans la boutique de Hamilton et là, sans souci du décorum, je pris moi-même la mesure du doigt de ma fiancée, sous le regard amusé du commis. La bague était un saphir flanqué de deux diamants.
            Puis nous descendîmes à cheval la route qui mène au pont Combermere et à la boutique Peliti.
            Tandis que mon " waler " avançait avec précaution sur le schiste incertain et que Kitty riait et bavardait à mes côtés, tandis que tout Simla, c'est-à-dire tout ce qui était alors venu des plaines, se trouvait groupé autour de la Salle de Lecture et de la Yerandah de Peliti, j'eus conscience que quelqu'un, apparemment à une grande distance, m'appelait par mon nom de baptême. Il me sembla bien avoir déjà entendu cette voix, mais où et quand, sur l'instant je n'aurais su le dire. Dans le court laps de temps qu'il fallait pour couvrir la distance entre le chemin qui va du magasin de Hamilton à la première planche du pont Combermere, j'avais repassé dans ma tête une demi-douzaine de gens capables d'avoir commis cet excès de familiarité, et avais fini par décider qu'il s'agissait probablement de quelque bourdonnement d'oreilles. Juste en face de la boutique Peliti, mon regard se trouva attiré par le spectacle de quatre jhampanies en livrée couleur de pie qui poussaient un rickshaw de louage, d'apparence médiocre et dont les panneaux étaient jaunes. Je me remémorai immédiatement la saison précédente et Mrs Wessington avec un sentiment d'irritation et de déplaisir. N'était-ce pas assez que la femme fût morte et enterrée, fallait-il encore que ses serviteurs noir et blanc réapparaissent pour gâter une journée de bonheur ?
            Qui que fussent ceux qui les employaient j'irais les voir pour leur demander, comme une faveur, de change la livrée de ses jhampanies.
            Je louerais moi-même les hommes et, s'il était nécessaire, leur achèterais les habits qu'ils portaient.
Résultat de recherche d'images pour "bague saphir deux diamants"            Il est impossible de dire ici le flot d'indésirables souvenirs que leur présence évoquait.
            - Kitty, criai-je, voici revenus les jhampanies de la pauvre Mrs Wessington ! Je me demande à qui maintenant ils appartiennent.
            Kitty avait un peu connu Mrs Wessington la saison dernière, et s'était toujours intéressée à cette femme maladive.
            - Quoi ? Où ? demanda-t-elle. Je ne les vois nulle part.
           Alors qu'elle parlait, son cheval voulut éviter une mule chargée, se jeta droit devant le rickshaw qui avançait. J'eus à peine le temps de crier gare que cheval et amazone, à mon indicible horreur passèrent à travers les hommes et la voiture impalpables.                                                                                                                                                                            bijouterielofaso.com
            - Qu'est-ce qu'il y a ? cria Kitty, qu'est-ce qui vous a fait crier comme cela, sottement, Jack ? Si je suis fiancée est-ce une raison pour que tout l'univers le sache ? La place ne manque pas entre la mule et la véranda, et si vous croyez que je ne sais pas ce que c'est de tenir un cheval, voyez !
            Sur quoi, la rétive Kitty, son exquise petite tête en l'air, se lança au galop de chasse vers le kiosque à musique, s'attendant bien, comme elle me le dit ensuite, à ce que je la suive.
            Que se passait-il ? Rien, je dois le dire. J'étais fou, ivre ou tout Simla n'était hanté que de démons. Je retins mon cob impatient et tournai bride. Le rickshaw l'était également, retourné, et se tenait maintenant juste en face de moi, près du parapet de gauche du pont de Cambermere/
            - Jack ! Jack, mon chéri ! ( Il n'y avait pas cette fois-ci d'erreur en ce qui concernait les paroles. Elles retentissaient à travers mon cerveau comme si on les avait criées dans l'oreille.) C'est quelque horrible méprise, j'en suis sûre. Je vous en prie, Jack, pardonnez-moi et redevenons bons amis.
            La capote du rickshaw était retombée en arrière et à l'intérieur, aussi vrai que j'implore chaque jour la mort que je redoute la nuit, était assise Mrs Keith-Wessington, un mouchoir à la main, et sa tête d'or baissée sur le sein.   hippologie.fr
Afficher l'image d'origine            Combien de temps restai-je là, les yeux grands ouverts, sans bouger, je n'en sais rien. Je fus finalement réveillé par mon Syce qui prenait la bride du waler et me demandait si j'étais malade. De l'horrible au banal il n'est qu'un pas. Je dégringolai de cheval et me précipitai, à demi défaillant, dans la boutique de Peliti pour demander un verre de cherry-brandy. Il y avait là deux ou trois couples assemblés autour des tables de café discutant les potins du jour. Leurs petits bavardages me réconfortèrent plus, à ce moment, que n'auraient pu faire les consolations de la religion. Je plongeai tête baissée dans la conversation, m'entretins, ris et plaisantai, les traits, quand j'en saisis un reflet dans une glace, aussi pâles et aussi tirés que ceux d'un cadavre. Trois ou quatre hommes s'aperçurent de mon état, le mettant évidemment sur le compte d'un trop grand nombre de verres, ils s'efforcèrent charitablement de me tirer à part du reste des flâneurs. Mais je refusai de me laisser emmener. J'avais besoin de la compagnie de mes semblables, comme l'enfant qui fond au milieu d'un dîner après avoir été pris de peur dans l'obscurité. Je devais causer depuis dix minutes environ, bien qu'il me semblât depuis une éternité, lorsque j'entendis dehors la voix claire de Kitty demander après moi. L'instant suivant elle était dans la boutique, prête à me faire honte pour un pareil manquement à mes devoirs. Quelque chose dans ma physionomie l'arrêta.
            - Mais, Jack, s'écria-t-elle, qu'est-ce que vous êtes devenu ? Qu'est-il arrivé ? Etes-vous malade ?
            Poussé de la sorte à mentir carrément, je déclarai que le soleil m'avait un peu tapé sur la tête. Il était tout près de cinq heures, en avril, par un après-midi couvert, et le soleil était resté caché toute la journée. A peine avais-je prononcé ces quelques mots que je m'aperçus de l'erreur, essayai de la réparer, m'embrouillai désespérément et, fou de rage, suivis Kitty dehors suivi par les sourires de mes connaissances. Je fis quelque excuse, j'ai oublié quoi, au sujet d'un subit malaise, et gagnai au petit galop mon hôtel, laissant Kitty finir seule sa promenade à cheval.
            Une fois dans ma chambre je m'assis et tâchai de raisonner toute l'affaire à tête reposée. C'était bien moi qui étais là, moi, Théobald Jack Pansay, agent instruit du service du Bengale en l'an de grâce 1885, d'aspect sain, certainement bien portant, arraché à ma fiancée, sous l'empire de la terreur par l'apparition d'une femme morte et mise au tombeau huit mois plus tôt. C'étaient là des faits que je ne pouvais prétendre ignorer. Rien n'était plus loin de ma pensée que tout souvenir de Mrs Wessington lorsque Kitty et moi sortîmes de chez le joaillier. Rien n'offrait une plus complète banalité que la surface du mur opposée à la boutique de Peliti. Il faisait grand jour. La route était pleine de monde et cependant, remarquez bien, voici que, au défit de toutes les lois de la probabilité, en outrage direct à toutes les lois de la nature, voici que m'était apparu un visage d'outre-tombe.
            L'arabe de Kitty était passé à travers le rickshaw : voici qui réduisait à néant l'espoir dont je me nourrissait, quelque femme ressemblant d'une façon frappante à Mrs Wessington eût loué la voiture et les coolies avec leur ancienne livrée.
            Sans cesse me revenaient ces pensées, et sans cesse je renonçais à comprendre, dérouté et désespéré. La voix était tout aussi inexplicable que l'apparition. J'eus tout d'abord la folle idée de confier le tout à Kitty, de la prier de m'épouser sur l'heure, et dans ses bras de défier le possesseur-fantôme du rickshaw : " Après tout, arguai-je, la présence du rickshaw suffit en elle-même à prouver l'existence d'une illusion-spectrale. On peut voir des fantômes d'hommes et de femmes, mais sûrement jamais de coolies et de voitures. Toute cette histoire est absurde. S'imagine-t-on le fantôme de
la montagne ! "                                                                                            equitfeatjuju.canalblog.com
Afficher l'image d'origine           J'envoyai le lendemain matin un mot d'excuse à Kitty, l'implorant de ne pas faire attention à mon étrange conduite de la veille. Ma belle était encore fort contrariée, et il fallut que je présente mes excuses en personne. J'expliquai, avec la facilité de quelqu'un qui a passé toute la nuit à ruminer son mensonge, que j'avais été pris d'une soudaine palpitation de coeur, résultat d'une indigestion. Cette solution pratique eut sont effet, et cet après-midi-là nous fîmes ensemble une promenade à cheval, l'ombre de mon premier mensonge entre nous. Rien ne pouvait plus lui plaire qu'un temps de galop autour du Jakko. Les nerfs encore tendus après une nuit comme la précédente, je protestai faiblement contre cette idée en proposant Observatory Hill, Jutoghn la route de Boileaugunge, tout plutôt que le tour du Jakko. Kitty se montra fâchée, même un peu blessée, aussi cédai-je craignant de voir se prolonger notre mésentente, et nous nous mîmes en route vers Chota Simla. Longtemps au pas puis, suivant notre habitude, fîmes du canter à partir d'un mille environ au-dessus du couvent jusqu'à la route plate près des réservoirs de Sanjowlie. Les sacrés chevaux semblaient voler, et plus nous approchions du sommet de l'ascension, plus mon coeur battait vite. Tout l'après-midi j'avais eu l'esprit plein de Mrs Wessington et il n'était pas un centimètre de la route du Jakko qui ne témoignât des promenades et des conversations de jadis. Les rochers en renvoyaient l'écho, les pins les chantaient tout haut au-dessus de ma tête, les torrents grossis par les pluies ricanaient et pouffaient en cachette de la honteuse histoire, et le vent soufflait fort mon crime dans les oreilles.
            Pour achever le tout, au milieu de la route plate appelée le Mille des Dames, l'Horreur m'attendait. Il n'y avait pas d'autre rickshaw en vue, rien que les quatre jhampanies noir et blanc, l'équipage aux panneaux jaunes et la tête dorée de la femme à l'intérieur, tous, apparemment, comme je les avais laissés huit mois et quinze jours plus tôt ! Un instant je crus que Kitty voyait nécessairement ce que je voyais, nous sympathisions de façon si merveilleuse en toutes choses. Ses premiers mots me désabusèrent.
            - Pas une âme en vue ! Venez, Jack, je vais faire la course avec vous jusqu'aux bâtiments du Réservoir !.........../
           
                                                                        à suivre....... 2 suite et fin....../
  
            Son petit arabe nerveux........


         
                                                               
            

dimanche 6 septembre 2020

L"oeuf carré Saki ( Nouvelle Grande Bretagne )

Œuf carré | Picsou Wiki | Fandom
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                                                                L'Oeuf Carré

            Le blaireau cette créature terne et grisâtre de l'ombre et des ténèbres, qui fouine, creuse et se terre, l'oeil et l'oreille toujours aux aguets, est assurément l'animal auquel un soldat ressemble le plus dans cette guerre de tranchées. Ne doit-il pas en effet se battre et ronger comme lui pour la possession de quelques mètres carrés de terre aussi avidement convoitée qu'un rayon de ciel bleu pour celui qui bout en enfer ?
            Ce que le blaireau pense de la vie en général et de son existence en particulier, nous ne le saurons jamais, ce qui est sans doute grand dommage, mais qu'y pouvons-nous ? Savons-nous même ce que pense un homme  quand il se trouve dans les tranchées ? La vie parlementaire, les impôts, les réceptions mondaines, et toutes les mille et une horreurs de la civilisation lui paraissent infiniment lointaines, presque aussi lointaines et irréelles que la guerre elle-même. A deux cents mètres de vous, séparés par une bande de terrain vague et éventré et quelques fils de fer barbelé, vous guettent les hommes, que dis-je, des hommes, des ennemis dont les ancêtres ont combattu sous les ordres de Moltke, de Blücher, de Frédéric le Grand et du Grand Électeur, de Wallenstein, de Maurice de Saxe, de Frédéric Barberousse, d'Henry le Lion et de Wittekind le Saxon. On n'oublie certes pas qu'ils sont là, bien mal nous en prendrait - et pourtant on se soucie peu de savoir s'ils mangent de la soupe et des saucisses, s'ils ont froid ou faim, s'ils ont de quoi lire pour se distraire où comment ils parviennent à traîner leur carcasse dans ce bain de boue.
            Car plus importante que l'ennemi dont on pourrait respirer l'odeur à quelques centaines de pas de vous, et plus obsédante encore que la guerre qui dévaste l'Europe tout entière, la présence de la boue qui, à certains moments,vous engouffre, vous absorbe, vous aspire comme un fromage engloutit un asticot. Nous avons tous eu l'occasion d'observer dans un jardin zoologique un élan ou un bison se vautrer dans une fondrière, et nous nous sommes inquiétés de savoir à quoi cela pouvait ressembler que de mariner dans un tel bourbier. Et bien maintenant c'est une question que l'on ne se pose plus. Dans d'étroites tranchées, quand une pluie diluvienne succède au gel, quand tout autour de vous est noir comme dans un four, et que vous tâtonnez pour trouver votre chemin en vous appuyant contre des murs de bise fondante, quand vous devez marcher à quatre pattes dans une gadoue épaisse pour gagner un abri, quand les pieds emprisonnés dans la boue vous tentez de saisir de vos doigts terreux d'objets qui le sont tout autant, que vous avez de la boue dans les yeux et les oreilles, que vous mordez dans des biscuits boueux avec des dents boueuses, alors vous êtes en mesure de vous faire une idée plus exacte de ce que peut signifier se vautrer dans un bourbier comme le fait un bison et le plaisir que semble en retirer cet animal vous paraît de plus en plus incompréhensible.
Afficher l'image d'origine            Mais quant on arrive à ne plus penser à la boue, c'est   probablement aux estaminets que l'on pense le plus. Un estaminet est un havre que l'on trouve en abondance dans la plupart des villes et villages environnants, en général au milieu d'un tas de maisons sans toit colmatées par-ci par-là de bric et de broc, là où le besoin s'en fait le plus sentir, afin d'attirer tout un flot de clients, militaires pour la plupart, venus remplacer les civils qui ont fui. Un estaminet est à la fois un bar à vins et un coffee shop, meublé d'un petit comptoir, de quelques tables assez semblables à des tables de réfectoire, flanquées de bancs, d'un volumineux poêle à charbon et d'une arrière-salle servant d'épicerie, avec presque toujours deux ou trois enfants courant dans tous les sens et se cognant contre vos jambes le plus souvent lorsque vous commencez à vous lever de table ou à porter un verre à vos lèvres. Ils sont généralement assez grands pour être autorisés à jouer et à courir dans la salle et assez petits pour vous filer entre les jambes. Vivant dans les villages situés près de la zone des combats ils jouissent toutefois d'un avantage considérable par rapport à leurs petits camarades de temps de paix, c'est qu'aucun adulte n'essaie de leur apprendre l'ordre. Comment tenter de leur faire comprendre qu'il y a une place pour chaque chose et que chaque chose doit être à sa place dans un univers où le toit de la maison voisine gît dans la cour arrière de votre propre maison, que votre propre chambre à coucher est à demi ensevelie sous un monceau de betteraves et que les poulets perchent au-dessus d'un garde-manger abandonné parce qu'un obus est tombé sur le poulailler.
               Peut-être n'y a-t-il rien, me direz-vous, dans cette description qui soit de nature à suggérer qu'un estaminet de village, fréquemment bombardé par des obus, puisse tenir lieu de paradis, vrai ou artificiel, mais quand on a pataugé dans un désert de boue pendant un assez long temps, on a plaisir à se reporter par la pensée  dans ces petites salles de bistrot très simplement meublées ou des enfants courent dans tous les sens au risque de vous faire renverser la tasse de café chaud ou le verre de vin ordinaire qu'on s'apprête à soulever d'une main avide. Pour le soldat cantonné dans une tranchée, l'estaminet est ce qu'est la taverne pour le caravanier en Orient. Là on va et vient au milieu d'une foule d'hommes vêtus d'habits couleur kaki, au sein de laquelle on peut, si on le veut, se fondre et disparaître comme une chenille sous une feuille de salade. On peut rester assis sans parler, seul ou entre amis. On peut également si l'on est d'humeur à causer ou à entendre causer, se joindre à un groupe d'hommes de divers grades, ils vous racontent leurs expériences réelles ou imaginaires.

           Au milieu de la foule mouvante des militaires en uniforme kaki maculé de boue, circulent un certain nombre de civils originaires de la région, d'interprètes, d'hommes portant des tenues militaires variées, allant du simple soldat appartenant à une quelconque armée régulière, jusqu'à je ne sais quel corps intermédiaire que seul un expert pourrait désigner par son nom ainsi, bien sûr, que, çà et là, des représentants de cette grande armée de pickpockets qui poursuit sans relâche ses opérations aussi bien en tant de guerre qu'en temps de paix sur la presque totalité de la terre. On les croise aussi bien en Angleterre, en Russie, qu'à Constantinople et on les retrouve probablement en Islande, même si sur ce point je n'ai pas de témoignage direct.
            Je me trouvais un jour à l'estaminet " Le Lapin chanceux ", assis à côté d'un individu dont l'âge était aussi indéfinissable que l'uniforme. Il profita de ce qu'il n'avait pas d'allumettes sur lui pour se croire autorisé à engager la conversation avec moi. Il avait l'air faussement désinvolte et l'amabilité superficielle de ceux que l'expérience a rendus méfiants et la nécessité audacieux. Il avant en outre le regard méfiant et la moustache tombante auxquels on reconnaît dans le monde entier le tapeur patenté.
            - Tel que vous me voyez là, cher Monsieur, je suis une victime de guerre, s'écria-t-il après quelque préambule.
            - Que voulez-vous mon cher, on ne peut pas faire d'omelettes sans casser des œufs, répondis-je avec la muflerie bien compréhensible d'un homme qui a vu des dizaines de kilomètres carrés de pays dévastés et des centaines de maisons sans toit.
            - Des œufs ! Mais vous ne croyez pas si bien  dire, vociféra-t-il à mon oreille, c'est précisément de cela que je voulais vous parler. Vous êtes-vous jamais demandé ce qui clochait dans l’œuf ? Oui, je parle bien de l’œuf de tous les jours, de celui qu'on trouve dans le commerce ainsi que dans le poulailler et dans l'assiette.
            - Sa tendance à s'abîmer rapidement peut être en effet considéré comme un lourd désavantage, hasardai-je. Contrairement aux États-Unis qui croissent en force et respectabilité chaque jour que Dieu fait, un œuf, lui, perd sur la durée. Il ressemble en cela au roi Louis XV qui perdit la faveur populaire au fil des années, du moins s'il faut en croire les historiens.
            - Non, ce n'est pas une question d'âge, répondit sérieusement mon interlocuteur. Voyez-vous, c'est sa forme, sa rotondité qui font problème. Considérez simplement sa tendance à rouler. Posé sur une table, sur une étagère ou un comptoir, il suffit d'une pichenette, bien involontaire du reste, pour qu'il tombe par terre et s'écrase. Quelle catastrophe alors pour les pauvres, et d'une manière générale pour tous ceux qui n'ont pas de quoi s'acheter de la viande.                                 papillesetpupilles.fr  
Oeufs ©Bizior            J'eus un petit geste d'acquiescement à cette idée : ici l’œuf coûte plusieurs sous la pièce.
            - Monsieur, continua-t-il, c'est là une question à laquelle j'ai souvent réfléchi, à cette métamorphose économique, si j'ose dire, de l’œuf domestique. Dans notre petit village de Verchey-les-Torteaux, dans le Tarn, ma tante possède une petite laiterie et un élevage de volailles dont nous tirions un modeste revenu. Nous n'étions pas vraiment pauvres, mais nous étions tout le temps obligés de travailler, de calculer, d'économiser. Je m'aperçus un jour qu'une des poules de ma tante, vous savez, celles qui ont une crête et qu'on appelle, je crois, les poules de Houdan, avait pondu un œuf qui n'était pas aussi parfaitement ovoïde que ceux des autres poules. On ne pouvait pas dire qu'il était réellement carré, mais il avait tout de même des angles assez bien définis. Je découvris que cette poule-là pondait toujours des œufs de cette forme particulière. Cette découverte, comme vous pouvez le penser, stimula ma réflexion sur la question. Si l'on réussissait à sélectionner toutes les poules enclines à pondre des œufs légèrement anguleux et n'élever que des poussins couvés par ces poules, on finirait bien, me disais-je, avec de la patience et de la ténacité, par produire une race de poules qui ne pondraient plus que des œufs carrés.
            - Mais monsieur, cela demanderait des centaines, voire même des millions d'années.
            - Peut-être avec vos poules nordiques lentes à se déplacer, me répondit-il avec un brin d'irritation dans la voix, mais avec nos poules vivaces du sud-ouest, il en va tout autrement. Ecoutez-moi bien. J'ai fait des recherches et des expériences, j'ai exploré les poulaillers du voisinage, j'ai visité les foires et les marchés des villes environnantes, et chaque fois que j'ai trouvé une poule qui avait pondu un œuf plus ou moins anguleux, je l'ai achetée. J'ai ainsi pu sélectionner une multitude de poules qui représentaient toutes la même tendance et à partir de leur descendance je n'ai sélectionné que des poules dont les œufs manifestaient la déviation la plus marquée par rapport à la rotondité normale. J'ai continué, j'ai persévéré, et c'est ainsi, monsieur, que j'ai produit une race de poules qui pondent des œufs qui ne roulent pas, quelle que soit la manière dont on les pousse. Mon expérience fut couronnée de succès et constitue l'une des pages les plus glorieuses de l'industrie moderne. Mes œufs devinrent ainsi fameux. On commença à les rechercher pour leur nouveauté, leur bizarrerie, une nouveauté. C'est alors que les commerçants, les ménagères saisirent l'avantage et l'utilité qu'ils présentaient par rapport à l’œuf ordinaire. Je pus donc les vendre à un prix bien plus élevé que celui du marché, et je commençai à gagner beaucoup d'argent. Je détenais le monopole. Je refusais, bien entendu, de vendre mes " pondeuses carrées " et les œufs que je vendais sur les marchés étaient soigneusement stérilisés afin qu'aucun poussin ne puisse être couvé à partir de l'un d'eux.. J'étais sur le point de devenir riche, très riche. Puis cette maudite guerre a éclaté et a apporté la misère à beaucoup. Je fus obligé d'abandonner mes poules et mes clients et d'aller au front. Ma tante prit l'affaire en mains et continua à vendre des œufs carrés, les œufs que j'avais conçus, créés et améliorés, et à recevoir les profits. Eh bien, figurez-vous qu'elle refuse de m'envoyer le moindre centime sur tout ce qu'elle gagne. Elle prétend que, puisqu'elle s'occupe des poules, qu'elle paie le maïs pour les nourrir et qu'elle expédie les œufs au marché, l'argent est à elle. Mais légalement, bien sûr, il est à moi. Si je pouvais lui intenter un procès, je récupérerais tout l'argent que lui ont rapporté mes œufs depuis le début de la guerre, c'est-à-dire des milliers et des milliers de francs. Mais pour intenter un procès il faut un minimum d'argent. J'ai un ami avocat qui ne me demanderait pas cher, mais malheureusement je n'ai pas la somme de départ. Il me faut encore quatre-vingts francs. En temps de guerre c'est difficile à trouver.                                                                                                                                                                                                                                                     saas.forumgratuit.org  
Afficher l'image d'origine            J'avais toujours imaginé que c'était là une pratique à laquelle on recourait surtout en temps de guerre et je le lui dis.
            - Sur une grande échelle oui, mais moi je ne parle que d'une toute petite somme. Il est plus facile de prêter trois millions que quatre-vingts ou quatre-vingt-dix francs.
            Le soi-disant financier s'arrêta un instant de parler, puis reprit, d'un ton confidentiel.
            - Je sais que parmi les soldats il y en a qui disposent d'une fortune personnelle, n'est-ce pas ? L'un ou l'autre serait peut-être prêt à m'avancer une petite somme, pourquoi pas vous, ce serait en même temps un bon placement et rapidement remboursé en plus.
            - Si j'ai quelques jours de permission j'irai faire un tour à Berchey-les Torteaux pour inspecter votre élevage, et j'interrogerai les marchands d’œufs du coin sur la situation et les perspectives du marché.
            Mon interlocuteur haussa un peu les épaules, se balança un moment sur son siège et commença à rouler une cigarette d'un air taciturne. Son intérêt pour moi s'était soudain éteint mais, pour sauver les apparences et terminer avec plus ou moins de panache la conversation qu'il avait si laborieusement commencée, il dit :
            - Ah, vous irez à Berchey-les-Torteaux pour vous renseigner sur notre ferme. Et si vous constatez que ce que je vous ai dit concernant les œufs carrés est vrai, que ferez-vous, monsieur .
            - J'épouserai votre tante.


                                                                                 Saki                                        

lundi 31 août 2020

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 128 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

 Les chasse-marée et la route du poisson. Réduire la distance pour  approvisionner Paris du xiiie siècle au xviiie siècle

journals.openedition.org

                                                                                                             1er Novembre 1664

            Levé et au bureau affairé toute la matinée. A midi, ma femme étant invitée chez milady Sandwich, dîné tout seul à la maison d'une belle oie, avec Mr Waith, parlant affaires. Allé au comité des Pêcheries où en réunion avec plusieurs, bons exposés et d'autres mauvais et sots, dans un grand désordre et pourtant faits par les hommes d'affaires de la ville. Mais mon rapport sur les donations volontaires a été couvert de louanges et me fera quelque réputation. En vérité, c'est la seule chose qui ait l'air d'une chose bien faite depuis le commencement de nos réunions.                                                                 Allé avec Mr Perham à la taverne, mais je ne bus pas de vin, mais il me donna une nouvelle bourriche d'huîtres, et il amena un certain major Greene, poissonnier expert, et cet entretien m'apprit beaucoup. Rentré à la maison et tard au travail à mon bureau. puis souper et, au lit.


                                                                                                                  2 novembre

            Levé de bonne heure et descendu avec Mr Castle à Rotherhite de là, à pied à Deptford inspecter un lot d'excellent bois coudé qu'il a et qui, en vérité, est très bon.                                                                           Retour à la maison, je lui fais visage fort amical, quoique je sache que c'est un coquin et qui me hait cordialement.                                                                                                                                                       Rentré dîner, puis à mon bureau tout l'après-midi, où quelque douleur dans le dos me chagrina, mais je crois que cela ne vient que de me pencher et de rien d'autre.                                                                       Le soir chez Nelson et de-ci de-là pour affaires, et rentré à mon bureau, puis à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                                          3 novembre

            Levé et au bureau où c'est merveille de voir comme les gens se pressent autour de sir William Penn en prévision de son départ en mer. Au bureau expédiai maintes affaires, entre autres, en finis avec celle qui m'a beaucoup tracassé, l'affaire des étamines et des pavillons.                                                                   A midi à la Bourse, et de là, comme convenu, fus rejoint par la femme de Bagwell, qui me suivit à Moorfields et là, dans un cabaret où, seul à seule, nous mangeâmes et bûmes ensemble. Je la mignotai mais, quoique j'eusse fait mine d'essayer, elle ne me permit point de rien faire de mal mais me repoussa fort vertueusement, ce dont je fus bien aise et je l'en estimerai davantage et, j'espère, ne la tenterai plus jamais de pécher.                                                                                                                                  Rentré en ville et nous nous quittâmes. Je retournai chez moi où tard au bureau. Sir William Penn vint prendre congé, car il doit, demain, ce que nous trouvons très soudain, monter et coucher à bord. Mais je crois qu'il reviendra à terre avant que le navire, le Charles puisse partir. A la maison, souper et, au lit.                                                                                                                                                         Ce soir, sir William Batten, entre autres, me conte une étrange nouvelle qui le chagrine : que milord Sandwich serait envoyé comme gouverneur à Tanger, ce dont à certains égards je devrais être fort aise, pour le bien de cette ville et pour sa sécurité à lui. Mais je crois que son honneur en souffrira et la distance pourrait affaiblir son crédit.


                                                                                                                       4 novembre

            M'éveillai de très bonne heure et restai longtemps au lit éveillé, tant j'ai l'esprit affairé. Puis levé, et à St James où je trouve Mr Coventry tout affairé, en train de faire ses bagages pour partir en mer avec le Duc. Allé à pied avec lui, en causant, jusqu'à Whitehall et aux appartements du Duc, qui y est récemment venu loger. Je fis une apparition devant le Duc, puis avec Mr Coventry une heure dans la grande galerie à causer du gouvernement de notre bureau. Il me dit que le poids de l'expédition des affaires reposera surtout sur moi. Et il me dit très franchement ce qu'il pensait de sir William Batten et de sir John Mennes. Ce dernier, dit-il très justement, était comme un vanneau qui ne fait que voleter en battant des ailes pour écarter les autres du nid qu'ils voudraient atteindre. Il me conta une curieuse histoire au sujet du premier, à propos de phares : comment il avait tout d'abord témoigné devant le Duc contre leur usage et qu'ils étaient une grande charge pour le commerce, et aussitôt après, étant à Harwich, il s'envient demander de pouvoir en établir un, et de plus, fait témoigner Trinity House de son utilité.              Éducation à la Nature - LE VANNEAU HUPPÉ - Ekolien curieux par nature    ekolien.fr                                                                                                                                                       Après avoir longuement discuté et considéré nos réserves et d'autres choses, par exemple que le roi s'est résolu à nommer le capitaine Taylor et le colonel Middleton, le premier commissaire à Harwich, le second à Portsmouth, je m'en fus à la Bourse où j'avançai beaucoup mon travail.                                                                                                                                  Rentré dîner avec Mr Duke, notre directeur des Pêcheries. Après dîner discussion sur nos affaires, à mon grand contentement. Puis il partit et j'allai par le fleuve chez les forgerons de l'autre rive, et à la taverne avec l'un d'eux, et faillis acheter quatre ou cinq ancres, et appris quelque chose qu'il est bon de savoir à leur sujet.                                                                                                                                             A la maison et au bureau resté tard, la tête tout affairée puis parti à la maison, souper et, au lit.

                                                                                                                                                                                                                                                                                               5 novembre   

            Levé et au bureau toute la matinée. A midi à la Bourse et puis rentré dîner. Allé ensuite avec ma femme au Théâtre du Duc voir une pièce, Macbeth, une assez bonne pièce, mais admirablement jouée. Rentrés à la maison, la voiture forcée de faire un détour par la muraille à cause des feux de joie, cette fête étant célébrée avec zèle dans la Cité.                                                                                                                  Travailler tard à mon bureau, puis à la maison, souper et, au lit.                                                                                                                                                            

                                                                                                                                  6 novembre                                                                                                                                      Jour du Seigneur                                     Levé et avec ma femme à l'église. Dîné à la maison, et tout l'après-midi enfermé dans mon bureau à préparer certaines propositions que je veux présenter demain au comité des Pêcheries, car j'ai bien l'intention de me rendre utile dans cette affaire, si je le puis. Le soir souper avec mon oncle Wight, beaucoup de gaieté, puis à la maison, prières et, au lit.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                 7 novembre

            Levé et à Whitehall avec sir William Batten. Il y a grande presse autour du Duc maintenant sur le départ. Nous demeurâmes longtemps auprès de lui. Il nous conseilla de suivre nos affaires de près et, en son absence, d'obéir aux instructions de la commission du Conseil de la Marine..                                            Réunion tantôt des Pêcheries, en présence du Duc, mais dans une telle précipitation et en examinant les choses si superficiellement que je n'eus pas l'occasion de proposer le plan que j'écrivis hier, mais je l'avais d'abord montré à Mr Grey et à Mr Wren à qui il plut grandement, à ce qu'ils me dirent, et je ne crois pas qu'ils dissimuleraient de cette façon en telle matière. Mais je vois que les affaires les plus importantes sont traitées si superficiellement que je me demande comment rien qui concerne l'Etat peut jamais réussir chez nous.                                                                                                          Reparti quelque peu contrarié de me voir frustré du bien que j'espérais faire et d'un peu de réputation que j'espérais gagner, et allé chez mon barbier, mais Jane n'y étant point allé chez milady Sandwich où retrouvé ma femme et dîné. Mais je m'aperçois que je dîne aussi bien chez moi, je veux dire aussi élégamment et mes viandes aussi bonnes et bien accommodées que chez ma bonne lady en l'absence de milord.                                                                                                                                                  Reparti par le fleuve et chez mon barbier derechef, rencontré ma Jane dans la rue, mais ne pus lui dire qu'un ou deux mots, puis allé prendre ma femme en voiture et rentré à la maison où resté tard à mon bureau, puis, c'est jour de lessive, souper et, au lit.

                                                                                                                                                                                                                                                                                         8 novembre

            Levé et au bureau où tantôt arriva Mr Coventryn et après avoir fait un peu de travail il prit congé de nous, devant prendre la mer demain avec le Duc.                                                                                                A midi allé avec sir John Mennes et lord Berkeley, qui est fait grand maître de l'artillerie avec sir John Duncombe et Mr Chicheley, au bureau des munitions afin d'y discuter de bourre pour les canons. Puis dîner, tous ensemble, chez le lieutenant de la Tour, bon dîner, mais interrompu en plein milieu par la venue du roi à la Tour, et donc nous levâmes de table pour nous joindre à lui et parcourir les entrepôts et les magasins qui sont, avec un grand entrepôt nouvellement ajouté, admirables à voir.                                      Lui parti je m'en fus à mon bureau où la femme de Bagwell m'attendait, restai avec elle un bon moment et la reverrai bientôt. Tout l'après-midi à mon bureau, jusqu'à très tard, puis au lit, charmé d'aimer mon travail et d'être habile à m'y employer.       Each turn Louis- Philibert Debucourt (1755-1832) d'après le peintre Carle  Vernet (1758-1836). "Chacun son tour". Gravure (aquatinte en couleurs).  1823. Paris, musée Carnavalet Stock Photo - Alamy                                                               Aujourd'hui Mr Lever envoya à ma femme une paire de chandeliers d'argent, très jolis. Le premier à m'offrir un présent, à qui, non seulement je n'ai guère rendu service mais à qui, manifestement, plus que tous les autres membres du Conseil, j'ai causé le plus grand tort en examinant ses comptes de commissaire général de la flotte.

                                                                                                                                                                                                                                                                                           9 novembre

            Appelé, comme j'en avais convenu, par Henry Russell entre 2 et 3 heures du matin, et allé avec Tom, mon petit valet, en yole sur le fleuve jusqu'au Hope, par une belle nuit étoilée. Arrivé vers huit heures et trouvai, comme prévu, le Charles recevant le grand mât. Le commissaire Pett à bord. Je parcourus et visitai le navire que je connaissais si bien, et quel travail c'est que de dresser un si grand mât ! Puis le commissaire et moi à bord du Henry de sir John Ascue, qui manque cruellement d'hommes, ce qui me fait penser qu'en vérité il n'y a  point tant de mérite qu'on croit dans un homme qui a déjà occupé un emploi. Car, il y a un mois, on n'aurait jamais pensé qu'il lui fallait 1 000 hommes sur ses talons. Et je ne crois pas que ce soit un très bon marin, car il me dit, en ses propres termes :                              " - Autrefois nous trouvions nos navires propres et prêts, tout à notre disposition dans les Downs. Maintenant j'arrive et il faut que je veille à faire tout faire comme un esclave, des choses auxquelles je n'ai jamais prêté attention, ni ne puis veiller. " Et à ses propos je m'aperçois qu'il ne s'est occupé de rien du tout à bord.                                                                                                                                    Sans m'attarder, le vent soufflant fort, je fis usage du yacht le Jemmy pour revenir à la Tour, mon valet me tenant compagnie par sa drôlerie. Rentré à la maison manger quelque chose, me changeai et partis pour Whitehall. Et là, le roi étant en Conseil de Cabinet, je demandai à parler à sir John Carteret, je fus invité à entrer, et le roi me posa maintes questions auxquelles je répondis. Il y avait à ce conseil milord le chancelier, l'archevêque de Cantorbery, le lord trésorier général, les deux secrétaires et sir George Carteret.                                                                                                                                                          Pas peu content de cette occasion d'être connu de ces personnes et d'être à maintes reprises appelé par mon nom par le roi, j'allai chez Mr Pearse prendre congé de lui, mais il n'y était pas et je vis sa femme, et ne m'attardai guère mais retourné droit à mon bureau où j'expédiai les affaires, puis souper et, au lit.                                                                                             Le duc d'York est parti aujourd'hui pour Portsmouth.

                                                                                                                                                                                                                                                                               10 novembre 1664  

            Levé et, ne trouvant pas mes effets prêts, je me mis si fort en colère contre Bess que je demandai à ma femme de lui ordonner pour de bon de se chercher une autre place car, bien qu'elle soit d'un très bon naturel, elle n'a ni soin ni mémoire pour son travail.                                                                                           Au bureau où, chagriné par la malice de sir William Batten et la sottise de sir John Mennes contre sir William Warren, mais je mis le holà et je continuerai, quoique au prix de mes alarmes et de mes peines.                                                                                                                                                                 A midi dîné avec sir William Batten et les comptables de l’Échiquier, au Dauphin, sur l'invitation de Mr Waith, et me mis ensuite au travail sur les comptes de sir George Carteret, puis rentré au bureau où sir William Batten se hâte trop de se livrer à ses fourberies, donnant le prix qu'il veut pour des denrées.                                                                                                                                                                 Sorti avec l'intention de parler à milord le chancelier de la vieille affaire de son bois à Clarendon, mais je ne pus et donc à la maison derechef et tard à mon bureau, puis à la maison, souper et, au lit.                                                                                                                                                                      Ma petite Susan est tombée malade de la rougeole, à ce que nous craignons, ou au mieux de la scarlatine.

                                                                                                                                                                                                                                                                                     11 novembre

            Levé et avec sir John Mennes et sir William Batten à la salle du Conseil à Whitehall pour la commission des Lords pour la Marine, où l'on nous fit faire antichambre une heure ou deux avant de nous inviter à entrer. Pendant ce temps, comme je regardais quelques livres d'héraldique de la composition de sir Edward Walker, qui sont fort beaux, j'observai que les armes du duc de Monmouth  sont élégantes, et son titre : " Le très noble prince de haut lignage James Scott, duc de Monmouth, etc. " et ni sir John Mennes ni personne ne put me dire d'où il prend ce nom de Scott. Puis je découvris que le titre de milord Sandwich sous ses armes est : " Le très noble et très puissant seigneur Edward, comte de Sandwich, etc. "                                                                                                                                                        Sir Edward Walker étant par la suite entré nous dit en causant qu'il n'y avait aucune des familles princières de la chrétienté qui remontât aussi loin qu'à Jules César ni qui pût prouver son ascendance en droite ligne depuis mille ans. Quelques-unes seulement, en Allemagne, disent descendre de familles patriciennes de Rome, mais c'est douteux. Et, entre autres, il s'en prit avec véhémence aux romans qu'on écrit, disant que dans cinq cents ans, puisqu'ils sont sûrs des sujets dans l'ensemble véridiques, comme le roman Cléopâtre ( nte de l'éd. Long roman de La Calprenèce ) le monde ne saura plus discerner le vrai du faux.                                                                                                                                                              Il y avait, présent là, un quidam qui nous dit qu'il avait vu l'autre jour, et il en avait rapporté un croquis à sir Francis Prujean, un monstre né de la femme d'un palefrenier de Salisbury, deux enfants de sexe féminin parfaitement constitué ce que font tous les enfants vigoureux, mais fut tué à force d'être trop montré.                                                                                                                                                               Nous fûmes tantôt invités à entrer devant une multitude de lords, Amnesty présidant. Mais mon Dieu ! de voir le travail qu'ils vont nous donner, quel tracas ce sera pour nous que de tenir des gens au courant d'affaires dont ils ne connaissent pas le premier mot juste quand nous sommes dans la plus grande presse, c'est là chose qu'il faut déplorer, et je crains que les conséquences n'en soient mauvaises pour nous.                                                                                                                                                                    En voiture à la Bourse, puis à la maison pour le dîner, avec un fort mal de tête à cause de tant de travail.                                                                                                                                                                    Notre petite fille mieux qu'hier.                                                                                                                    Après dîner ressorti en voiture pour aller chez milord le chancelier , mais ne pus lui parler. Puis cherché partout sir Philip Warwick, sir George Carteret et milord Berkeley, mais fis chou blanc. Rentré chez moi et travaillé tard.                                                                                                                                          Entre autres, Mr Turner venant se plaindre à moi que mes commis font tout le travail et ont tous les bénéfices et que lui il n'a point de satisfactions ni n'a de quoi vivre, je lui fis comprendre qu'il m'est redevable, plus qu'à quiconque, de lui permettre d'agir comme fournisseur de provisions courantes. Et j'insistai si longuement sur le peu de cas que je fais de la faveur de quiconque que je crois qu'il ne se plaindra plus de longtemps.                     Petit Garçon Jouant Hamlet Dans Une Pièce De L'école, Tenant Un Ballon De  Volley Avec Un Crâne Peint Sur Elle Clip Art Libres De Droits , Vecteurs Et  Illustration. Image 32283896.fr.123rf.com                                                                                                                A la maison, souper et, au lit, après les prières et après que mon vals Mercer m'ont joué un peu de musique, chacun un peu.

                                                                                                                                                                                                                                                                                          12 novembre

            Levé avec la peur que Mr Coventry ne soit rentré en ville et déjà au bureau. Alors je descends en courant sans manger ni boire ni me laver, au bureau, mais ce n'était que milord Belkeley                                      Resté là toute la matinée. A midi à la Bourse, puis rentré dîner avec Mr Waith et au bureau où fort embesogné jusqu'à très tard, mais bénis Dieu de pouvoir mener mon travail à bien et j'espère continuer.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                 13 novembre 1664                                                                                                                           Jour du Seigneur                                            Le matin à l'église où fort divertissant d’entendre le clerc de notre paroisse chanter faux quoique son maître, qui donne le ton et le maintien pour ses paroissiens, soit assis à côté de lui.                           Très bien dîné à la maison, et passé tout l'après-midi chez nous avec ma femme à apprendre à dire une tirade de Hamlet , " Etre ou ne pas être ", sans le livre.                                                                               Le soir chanté des psaumes, et voilà que Mr Hill entra me voir et alors, lui, moi et mon valet de chanter à merveille. On se sépara bientôt après grand plaisir. Lui parti, souper, puis prières et, au lit.

                                                                                                                                                                                                                                                                                              14 novembre

            Levé et avec sir William Batten à Whitehall voir les lords de l'Amirauté, où nous fîmes bientôt notre travail. Puis allé voir sir Philip Warwick au sujet d'affaires de la Marine, et milord Ashley, et ensuite milord le chancelier, qui est fort satisfait de moi et de ma façon de m'occuper de son affaire. Puis à la Bourse où fort affaire, et rentré dîner à la maison où vu Mr Creed et Mr Moore. Après allé chez milord le trésorier général, vu là sir Philip Warwick, puis à Whitehall voir le duc d'Albermarle à propos de Tanger. Puis, en rentrant chez moi, au café pour entendre les nouvelles, et il paraît que les Hollandais, comme les lettres de Mr Coventry me le confirment plus tard, ont saisi une cargaison de mâts appartenant à sir William Warren, venant chez nous dans un bateau suédois. Et ils ne veulent pas le relâcher sur la réclamation de sir George Downing, ce qui semble être le premier acte d'hostilité, et c'est bien ainsi que le prend Mr Coventry.                                                                                                                L'Elias venant de la Nouvelle Angleterre, commandant le capitaine Hill, a sombré. Seuls le commandant et quelques matelots sauvés. Il a coulé par le fond.                                                                             Rentré chez moi, infiniment affairé jusqu'à minuit, puis à la maison, souper et, au lit.

                                                                                                                                                                                                                                                                                           15 novembre

            Afin de ne pas être trop bien mis pour ce que j'ai dessein de faire aujourd'hui, je quittai mon beau costume de drap neuf doublé de peluche et remis  mon pauvre costume noir. Et, après le bureau, où beaucoup de travail mais qui n'a pas beaucoup avancé, allé à la Bourse, et de là la femme de Bagwell en faisant beaucoup de manières, traversa Moonfields avec moi jusqu'à un cabaret discret où je la mignotai, mangeai et bus, et la pauvrette me lança maints regards sévères et maints soupirs et, je crois, était vraiment contrariée par ce que je faisais. Mais enfin, après maintes protestations, peu à peu je parvins à mes fins, avec grand plaisir. Le soir, sous la pluie, nous retournâmes vers la ville jusqu'à un endroit où elle savait où elle était, et je pris une voiture et allai à Whitehall pour la commission de          Tanger où, comme partout ailleurs, Dieu merci ! je vois grandir ma réputation. Rentré chez moi, et tard, très tard au travail, personne ne s'en souciant que moi, et à la maison et, au lit, las et rempli de pensées. Les affaires se gâtent entre les Hollandais et nous de toutes parts.

                                                                                                                                                                                                                                à suivre................

                                                                                                   16 novembre 1664

            Ma femme........