samedi 6 novembre 2021

Les cicatrices de la nuit Alexandre Galien ( Roman policier France )

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                                  Les Cicatrices de la nuit

            Derniers jours à la Mondaine, les Cabarets, le service de nuit, les indics autrement nommés            " tontons ". Une cinquantaine et une femme trentenaire qui veut un enfant. Et un mari aux horaires de bureau. Un poste libéré et Philipe Valmy devient chef de groupe à la crim'. Et un secret traîné longtemps avoué sème le trouble dans son couple. Le commandant Valmy n'a guère le temps de s'attarder sur ses problèmes, premier jour à la crim' au Bastion, le nouveau 36 quai... installé à Clichy et l'équipe est transportée sur les quais, à la Villette : meurtre d'une jeune femme, très mince, et Valmy se trouve en face de l'une de ses indics, pense-t-il, Cynthia étudiante qui arrondissait ses modestes revenus en se prostituant. Mais l'enquête s'accélère, la vie de couple se dégrade, sans laisser de répit aux équipes. Un deuxième corps trouvé dans les fourrés du Bois de Boulogne, et les équipiers informaticiens sont sur le pont, rapprochement des appels " bornés " au mêmes endroits, caméras de rues, de boutiques et cinémas interrogées, lorsqu'elles marchent. Et l'enquête qui suit son cours est coupée de chapitres concernant l'éventuel tueur en séries, sans doute, ses addictions, son goût pour le meurtre, sa psychologie qu'il semble dévoiler au cours des pages qui lui sont consacrées. Et la perversité des hommes qui paient très cher la libération momentanée de leur libido, Hommes souvent haut placés, universitaires, dir' com', hommes d'affaires et des filles embrigadées dans des réseaux, ici russes, apatées par le luxe et les lieux de rencontres, St James, Crillon. Le Boudoir, la rue Vivienne, les clubs échangistes, alors que les policiers habitent des quartiers moins clinquants. Glauque, l'auteur répète le mot, et un quotidien que l'on soupçonne, jeunes étudiants en manque d'argent qui se vendent, pris dans des réseaux. Mais s'agit-il de réseaux ici ou d'un seul cruel tueur ? A lire, écrit dans un souffle, par un jeune auteur entré dans la police en 2015, s'est mis en disponibilité pour écrire, après avoir été lauréat du Prix du Quai des Orfèvres, prix créé en 1946. Attachant comme un polar qui nous emmène dans un univers, glauque. 







mercredi 3 novembre 2021

Ce n'était que la peste Ludmila Oulitskaïa ( Roman Russie )

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                                                 Ce n'était que la peste     

            La toux, l'épuisement, puis la mousse rouge et la fin du tourment. Vite diagnostiquée la peste se propage très rapidement, mais encore faut-il connaître le premier propagateur de la maladie. L'histoire écrite en 2020 par Ludmila Oulitskaïa valut quelques ennuis à l'auteur car, dit-on, arrivée au professeur Rapoport puis contée par sa fille. Histoire interne ( voir un article du Monde date ? ) Mais le livre nous rappelle nos virus du jour alors que sous le régime stalinien les ordres suivent la hiérarchie, la recherche et l'arrestation des malheureux contaminés ou présumés ( comme les accusés ) sont recherchés et arrêtés en pleine nuit. Et d'un chapitre salle des urgences, bien organisée, à la relation arrestation l'histoire avance rapidement, Ecrite comme un scénario, qui l'est en fait, les personnages presque tous sympathiques, voir la vieille dame encombrée d'un balluchon qui guigne les belles bottes fourrées, d'un voyageur endormi dans un train qui se rend à Moscou, ou celui d'un dirigeant qui croit le KGB avoir eu vent de quelques malversations. Celui également de deux dirigeants : " Le commissaire du Peuple à la Santé est reçu par un Personage haut placé qui parle avec l'accent géorgien Je ne comprends pas en quoi doit consister notre participation Yakov Stepanovitc..... " Dans la neige moscovite deux soldats discutent acceptant l'avis officiel de l'influenza " - Il est clair que c'est particulièrement dangereux... - Tu rigoles ? Au XXè siècle à Moscou ? En hiver ? - Il y a des épidémies qui se répandent justement en hiver....... " Livre court, d'une lecture facile et d'une approche très actuelle, universelle, d'une étendue indéfinie. Noter quand même que l'infectiologue inquiet parle d'un accident au laboratoire. Bonne lecture, 
MB






  

lundi 1 novembre 2021

Lui ? Maupassant ( Nouvelle France )

 








       



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                                               Lui ?

            Mon cher ami, tu n'y comprends rien ? et je le conçois. Tu me crois devenu fou ? Je le suis peut-être un peu, mais non pas pour les raisons que tu supposes.
            Oui. Je me marie. Voilà.
            Et pourtant mes idées et mes convictions n'ont pas changé. Je considère l'accouplement légal comme une bêtise. Je suis certain que huit maris sur dix sont cocus. Et ils ne méritent pas moins pour avoir eu l'imbécilité d'enchaîner leur vie, de renoncer à l'amour libre, la seule chose gaie et bonne au monde, de couper l'aile à la fantaisie qui nous pousse sans cesse à toutes les femmes, etc., etc. Plus que jamais, je  me sens incapable d'aimer une femme, parce que j'aimerai toujours toutes les autres. Je voudrais avoir mille bras, mille lèvres et mille... tempéraments pour pouvoir étreindre en même temps une armée de ces êtres charmants et sans importance.
            Er cependant je me marie.
            J'ajoute que je ne connais guère ma femme de demain. Je l'ai vue seulement quatre ou cinq fois. Je sais qu'elle ne me déplaît point ; cela me suffit pour ce que j'en veux faire. Elle est petite, blonde et grasse. Après-demain, je désirerai ardemment une femme grande, brune et mince.
            Elle n'est pas riche. Elle appartient à une famille moyenne. C'est une jeune fille comme on en trouve à la grosse, bonnes à marier, sans qualités et sans défauts apparents, dans la bourgeoisie ordinaire. On dit d'elle : 
             " - Mlle Lajolle est bien gentille. "   
             On dira demain :   
             " - Elle est fort gentille, Mme Raymon. "                                                   carpediem.loutarwen.com        
             Elle appartient enfin à la légion des jeunes filles honnêtes " dont on est heureux de faire sa femme " jusqu'au jour où on découvre qu'on préfère justement toutes les autres femmes à celle qu'on a choisie.
            Alors pourquoi me marier, diras-tu ?
            J'ose à peine t'avouer l'étrange et invraisemblable raison qui me pousse à cet acte insensé.
            Je me marie pour n'être pas seul !
            Je ne sais comment dire cela, comment me faire comprendre. Tu auras pitié de moi, et tu me mépriseras tant mon état d'esprit est misérable.
            Je ne veux plus être seul, la nuit. Je veux sentir un être près de moi, contre moi, un être qui peut parler, dire quelque chose, n'importe quoi.
            Je veux pouvoir briser son sommeil ; lui poser une question quelconque brusquement, une question stupide pour entendre une voix, pour sentir habitée ma demeure, pour sentir une âme en éveil, un raisonnement en travail, pour voir, allumant brusquement ma bougie, une figure humaine à mon côté... parce que... parce que... ( je n'ose pas avouer cette honte... ) parce que j'ai peur, tout seul.
            Oh ! tu ne me comprends pas encore.
            Je n'ai pas peur d'un danger. Un homme entrerait, je le tuerais sans frissonner. Je n'ai pas peur des revenants ; je ne crois pas au surnaturel. Je n'ai pas peur des morts ; je crois à l'anéantissement définitif de chaque être qui disparaît.
            Alors !... oui. Alors !... Eh bien ! J'ai peur de moi ! j'ai peur de la peur ; peur des spasmes de mon esprit qui s'affole, peur de cette horrible sensation de la terreur incompréhensible.
            Ris si tu veux. Cela est affreux, inguérissable. J'ai peur des murs, des meubles, des objets familiers qui s'animent, pour moi, d'une sorte de vie animale. J'ai peur surtout du trouble horrible de ma pensée, de ma raison qui m'échappe brouillée, dispersée par une mystérieuse et invisible angoisse. 
            Je sens d'abord une vague inquiétude qui me passe dans l'âme et me fait courir un frisson sur la peau. Je regarde autour de moi. Rien ! Et je voudrais quelque chose ! Quoi ? Quelque chose de compréhensible. Puisque j'ai peur uniquement parce que e ne comprends pas ma peur.
            Je parle ! j'ai peur de ma voix. Je marche ! j'ai peur de l'inconnu de derrière la porte, de derrière le rideau, de dans l'armoire, de sous le lit. Et pourtant je sais qu'il n'y a rien nulle part.
            Je me retourne brusquement parce que j'ai peur de ce qui est derrière moi, bien qu'il n'y air rien et que je le sache.
            Je m'agite, je sens mon effarement grandir ; et je m'enferme dans ma chambre ; et je m'enfonce dans mon lit, et je me cache sous mes draps ; et blotti, roulé comme une boule, je ferme les yeux désespérément, et je demeure ainsi pendant un temps infini avec cette pensée que ma bougie demeure allumée sur ma table de nuit et qu'il faudrait pourtant l'éteindre. Et je n'ose pas.  
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            Autrefois je n'éprouvais rien de cela. Je rentrais tranquillement. J'allais et je venais en mon logis sans que rien troublât la sérénité de mon âme. Si l'on m'avait dit quelle maladie de peur invraisemblable, stupide et terrible, devait me saisir un jour, j'aurais bien ri ; et j'ouvrais les portes dans l'ombre avec assurance ; je me couchais lentement, sans pousser les verrous, et je ne me relevais jamais au milieu des nuits pour m'assurer que toutes les issues de ma chambre étaient fortement closes. 
            Cela a commencé l'an dernier d'une singulière façon.

            C'était en automne, par un soir humide. Quand ma bonne fut partie, après mon dîner, je me demandais ce que j'allais faire. Je marchai quelque temps à travers ma chambre. Je me sentais las, accablé sans raison, incapable de travailler, sans force même pour lire. Une pluie fine mouillait les vitres ; j'étais triste, tout pénétré par une de ces tristesses sans causes qui vous donnent envie de pleurer, qui vous font désirer de parler à n'importe qui pour secouer la lourdeur de notre pensée. 
            Je me sentais seul. Mon logis me paraissait vide comme il n'avait jamais été. Une solitude infinie et navrante m'entourait. Que faire ? Je m'assis. Alors une impatience nerveuse me courut dans les jambes. Je me relevai, et je me remis à marcher. J'avais peut-être aussi un peu de fièvre, car mes mains, que je tenais rejointes derrière mon dos, comme on fait souvent quand on se promène avec lenteur, se brulaient l'une à l'autre, et je le remarquai. Puis, soudain, un frisson de froid me courut dans le dos. Je pensai que l'humidité du dehors entrait chez moi, et l'idée de faire du feu me vint. J'en allumai, c'était la première fois de l'année. Et je m'assis de nouveau en regardant la flamme. Mais bientôt l'impossibilité de rester en place me fit encore me relever, et je sentis qu'il fallait m'en aller, me secouer, trouver un ami
            Je sortis. J'allai chez trois camarades que je ne rencontrai pas ; puis je gagnai le boulevard, décidé à découvrir une personne de connaissance.
            Il faisait triste partout. Les trottoirs trempés luisaient. Une tiédeur d'eau, une de ces tiédeurs qui vous glacent par frissons brusques, une tiédeur pesante de pluie impalpable accablait la rue, semblait lasser et obscurcir la flamme du gaz.
            J'allais d'un pas mou, me répétant : " Je ne trouverai personne avec qui causer. "
            J'inspectai plusieurs fois les cafés, depuis la Madeleine jusqu'au faubourg Poissonnière. Des gens tristes, assis devant des tables, semblaient ne pas même avoir la force de finir leurs consommations. 
            J'errai longtemps ainsi, et vers minuit, je me mis en route pour rentrer chez moi. J'étais fort calme, mais fort las. Mon concierge, qui se couche avant onze heures, m'ouvrit tout de suite, contrairement à son habitude ; et je pensai : " Tiens, un autre locataire vient sans doute de remonter. "
            Quand je sors de chez moi, je donne toujours à ma porte deux tours de clef. Je la trouvai simplement tirée, et cela me frappa. Je supposai qu'on m'avait monté des lettres dans la soirée.
            J'entrai. Mon feu brûlait encore et éclairait même un peu l'appartement. Je pris une bougie pour aller l'allumer au foyer, lorsque en jetant les yeux devant moi, j'aperçus quelqu'un assis dans mon fauteuil, et qui se chauffait les pieds en me tournant le dos.
            Je n'eus pas peur, oh ! non, pas le moins du monde. Une supposition très vraisemblable me traversa l'esprit : celle qu'un de mes amis était venu pour me voir. La concierge, prévenue par moi à ma sortie, avait dit que j'allais rentrer, avait prêté sa clef. Et toutes les circonstances de mon retour, en une seconde, me revinrent à la pensée : le cordon tiré tout de suite, ma porte seulement poussée.
            Mon ami, dont je ne voyais que les cheveux, s'était endormi devant mon feu en m'attendant, et je m'avançai pour le réveiller. Je le voyais parfaitement, un de ses bras pendant à droite ; ses pieds étaient croisés l'un sur l'autre ; sa tête, penchée un peu sur le côté gauche du fauteuil, indiquait bien le sommeil. Je me demandais : " Qui est-ce ? " On y voyait peu d'ailleurs dans la pièce. J'avançai la main pour lui toucher l'épaule !...
            Je rencontrai le bois du siège ! Il n'y avait plus personne. Le fauteuil était vide !
            Quel sursaut, miséricorde !
            Je reculai d'abord comme si un danger terrible eût apparu devant moi.
            Puis je me retournai, sentant quelqu'un derrière mon dos ; puis, aussitôt, un impérieux besoin de revoir le fauteuil me fit pivoter encore une fois. Et je demeurai debout, haletant d'épouvante, tellement éperdu que je n'avais plus une pensée, prêt à tomber.
            Mais je suis un homme de sang-froid, et tout de suite la raison me revint. Je songeai : " Je viens d'avoir une hallucination, voilà tout. " Et je réfléchis immédiatement sur ce phénomène. La pensée va    stickersmalin.com                                   vite dans ces moments-là.
            J'avais une hallucination, c'était là un fait incontestable. Or, mon esprit était demeuré tout le temps lucide, fonctionnant régulièrement et logiquement. Il n'y avait donc aucun trouble du côté du cerveau. Les yeux seuls s'étaient trompés, avaient trompé ma pensée. Les yeux avaient eu une vision, une de ces visions qui font croire aux miracles les gens naïfs. C'était là un accident nerveux de l'appareil optique, rien de plus, un peu de congestion peut-être.
            Et j'allumai ma bougie. Je m'aperçus, en me baissant vers le feu, que je tremblais, et je me relevai d'une secousse, comme si on m'eût touché par-derrière.
            Je n'étais point tranquille, assurément. 
            Je fis quelques pas ; je parlai haut. Je chantai à mi-voix quelques refrains.
            Puis je fermai la porte de ma chambre à double tour, et je me sentis un peu rassuré. Personne ne pouvait entrer, au moins.
            Je m'assis encore et je réfléchis longtemps à mon aventure ; puis je me couchai, et je soufflai ma lumière.
            Pendant quelques minutes, tout alla bien. Je restais sur le dos, assez paisiblement. Puis le besoin me vint de regarder dans ma chambre ; et je me mis sur le côté.
            Mon feu n'avait plus que deux ou trois tisons rouges qui éclairaient juste les pieds du fauteuil ; et je crus revoir l'homme assis dessus.
            J'enflammai une allumette d'un mouvement rapide. Je m'étais trompé, je ne voyais plus rien.
     
      Je me levai, cependant, et j'allai cacher le fauteuil derrière mon lit.
            Puis je refis l'obscurité et je tâchai de m'endormir. Je n'avais pas perdu connaissance depuis plus de cinq minutes, quand j'aperçus, en songe, et nettement comme dans la réalité, toute la scène de la soirée. Je me réveillai éperdument, et, ayant éclairé mon logis, je demeurai assis dans mon lit, sans oser même essayer de redormir.
            Deux fois cependant le sommeil m'envahit, malgré moi, pendant quelques secondes. Deux fois je revis la chose. Je me croyais devenu fou.
            Quand le jour parut, je me sentis guéri et je sommeillai paisiblement jusqu'à midi.
            C'était fini, bien fini. J'avais eu la fièvre, le cauchemar, que sais-je ? J'avais été  malade, enfin. Je me trouvai néanmoins fort bête.
            Je fus très gai ce jour-là. Je dînai au cabaret ; j'allai voir le spectacle, puis je me mis en chemin pour rentrer. Mais voilà qu'en approchant de ma maison, une inquiétude étrange me saisit. J'avais peur de le revoir, lui. Non pas peur de lui, non pas peur de sa présence, à laquelle je ne croyais point, mais j'avais peur d'un trouble nouveau de mes yeux, peur de l'hallucination, peur de l'épouvante qui me          saisirait. 
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        Pendant plus d'une heure, j'errai de long en large sur le trottoir ; puis je me trouvai trop imbécile à la fin et j'entrai. Je haletais tellement que je ne pouvais plus monter mon escalier. Je restai encore plus de dix minutes devant mon logement sur le palier, puis, brusquement, j'eus un élan de courage, un roidissement de volonté. J'enfonçai ma clef ; je me précipitai en avant, une bougie à la main, je poussai d'un coup de pied la porte entrebâillée de ma chambre, et je jetai un regard effaré vers la cheminée. Je ne vis rien. " Ah !... "
            Quel soulagement ! Quelle joie ! Quelle délivrance ! J'allais et je venais d'un air gaillard. Mais je ne me sentais pas rassuré ; je me retournais par sursauts ; l'ombre des coins m'inquiétait
              Je dormis mal, réveillé sans cesse par des bruits imaginaires.                                                                      Mais je ne le vis pas. C'était fini !

            Depuis ce jour-là j'ai peur tout seul, la nuit. Je la sens là, près de moi, autour de moi, la vision. Elle ne m'est point apparue de nouveau. Oh non ! Et qu'importe, d'ailleurs, puisque je n'y crois pas, puisque je sais que ce n'est rien !
            Elle me gêne cependant, parce que j'y pense sans cesse. - Une main pendait du côté droit, sa tête était penchée du côté gauche comme celle d'un homme qui dort... Allons, assez, nom de Dieu ! Je n'y veux plus songer !
            Qu'est-ce que cette obsession, pourtant ? Pourquoi cette persistance ? ses pieds étaient tout près du feu !
            Il me hante, c'est fou, mais c'est ainsi. Qui, Il ? Je sais bien qu'il n'existe pas, que ce n'est rien ! Il n'existe que dans mon appréhension, que dans ma crainte, que dans mon angoisse ! Allons, assez !...
            Oui, mais j'ai beau me raisonner, me roidir, je ne peux plus rester seul chez moi, parce qu'il y est. Je ne le verrai plus, c'est fini cela. Mais il y est tout de même, dans ma pensée. Il demeure invisible, cela n'empêche qu'il y soit. Il est derrière les portes, dans l'armoire fermée, sous le lit, dans tous les coins obscurs, dans toutes les ombres. Si je tourne la porte, si j'ouvre l'armoire, si je baisse ma lumière sous le lit, si j'éclaire les coins, les ombres, il n'y est plus ; mais alors je le sens derrière moi. Je me retourne, certain cependant que je ne le verrai pas, que je ne le verrai plus. Il n'en est pas moins derrière moi, encore.
            C'est stupide, mais c'est atroce. Que veux-tu ? Je n'y peux rien.
            Mais si nous étions deux chez moi je sens, oui, je sens assurément, qu'il n'y serait plus ! Car il est là parce que je suis seul, uniquement parce que je suis seul !



                                                      Maupassant















            































     

jeudi 28 octobre 2021

La Sentence John Grisham ( Roman policier Etats-Unis )

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                                                La Sentence

            Mississipi, 1946. Clanton, petite ville au sein d'hectares de champs de coton. Memphis, La Nouvelle Orléans sont à quelques heures, de même que Tupelo où réside l'avocat de l'épouse de Dexter Bell. Dexter Bell pasteur de l'église méthodiste de Clanton, nommé dans ce coin reculé du Mississipi cinq ans plus tôt et dont le rôle dans la communauté s'achève dès les toutes premières pages sous les balles de Pete Banning, l'un des grands propriétaires de champs de coton, plusieurs centaines d' hectares. Pourquoi Pete Banning père de deux adolescents Joel et Stella et époux de Liza décide-t-il d'achever ce qu'il a décidé ? Ce secret lourd sans doute le confiera-t-il un jour à sa sœur, Fleury. Mais sait-il que quelque précaution qu'il ait prise sur le plan juridique, ses enfants peuvent perdre la propriété agrandie depuis trois générations par les Banning, mais Pete Banning ne se cache pas, il attend sur le pas de sa porte son arrestation et désigne son revolver. Mais jamais il ne donne les raisons qui l'ont poussé à ce crime. Tuer un pasteur n'est pas un acte banal dans une petite communauté d'autant plus où les langues vont bon train, où les principales distractions sont liées à l'église. Nous sommes en 1946, la guerre est à peine achevée, Pete passé pour mort est revenu avec de multiples blessures, il claudique. Liza s'est occupée de la ferme, de l'ouvrage. La prison est ouverte ou presque, ils sont moins d'une dizaine prisonniers et Fleury apporte le déjeuner pour tous tous les jours. Oui mais Pete refuse toujours de donner les raisons de son crime. Le téléphone est quasi public à quelques exceptions près et la chaise électrique pour le meurtre avec préméditation. Puis le tiers suivant du livre nous conduit aux Philippines où Pete vécut et nous avec tant les descriptions sont réalistes, les camps, les coups des philippins acquis aux Japon où les caches américaines dans des grottes, au sein d'une jungle touffue. La maladie, le paludisme, la faim, les longues marches à peine interrompues sous les coups de baïonnettes et les morts non identifiés abandonnés dans des fossés. Grisham né dans le Mississipi et avocat de formation, signale les auteurs qui l'ont aidé à parler notamment de la marche de la mort de Bataan. " Les souffrances de ces soldats, leur héroïsme dépassent l'entendement. " Puis dernier tiers du livre retour à Clandon, bataille d'avocats. Impossible de décrire cette partie des plus classiques sans mettre en avant la ou les raisons qui ont poussé Pete à commettre ce crime et à interner Liza prise de dépression. La Sentence parut en 2O2O en pleine pandémie, les lecteurs de John Grisham ne seront pas déçus par ce nouvel opus qui nous replonge dans ce sud qu'il affectionne. Bonne lecture.











lundi 25 octobre 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 149 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )








 







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                                                                                                           16 Septembre 1665

            Levé, à pied à Greenwich, ai lu une pièce en chemin. Au bureau, où j'apprends que ce triple sot de John Mennes est parti rejoindre la flotte où il ne fera rien de bon, si ce n'est de se faire passer pour un âne,  car il ne pourra être d'aucun service, pas plus qu'il n'apprendra à milord, qui s'est mis au mouillage dans l'estuaire de la Tamise, quoi que ce soit qui en vaille la peine.
            A midi dîner chez milord Brouncker où étaient invités sir William Batten et sa dame, et fûmes fort gais, seulement attristés de l'augmentation prévisible de la peste cette semaine. Mais nous nous réjouissons quand même à la pensée de nos récentes captures. Après dîner Mr Andrews vint me voir sur rendez-vous, et nous allâmes tous deux nous promener dans le jardin et parler de notre affaire de Tanger. Je tentai alors de lui donner quelque encouragement afin qu'il poursuive ses activités avec ses collègues, ce à quoi il me parut sensible. Il faut avouer que j'en retire un profit tel que je ne peux que souhaiter qu'ils les poursuivent, et je ferait tout mon possible pour les aider dans leur trésorerie.
            Lui parti, après que je lui eus fait verser 2 000 £ et qu'il m'ait payé ma commission, je revins à pied travailler au bureau. Mais je constate qu'à cause de l'incommodité de cette pièce et du fait que je ne cesse de festoyer et boire du vin, je ne suis plus autant disposé à travailler qu'avant, comme je le devrais.
            Le soir chez le capitaine Cocke, pensant y dormir à cause de l'heure tardive, mais comme il n'était point chez lui, allai à pied le retrouver chez milord Brouncker où je restai un moment pendant qu'ils jouaient au trictrac, puis nous partîmes, à pied, chez lui. Là, après avoir soupé d'un bon bouillon, au lit, fort gai. car il est d'excellente compagnie.


                                                                                                                17 septembre
                                                                                                   Jour du Seigneur
            Levé et, avant même de sortir de ma chambre, écrivis une gamme afin de l'avoir sous la main prête à servir pour mes exercices, car il me tarde de mettre ce temps libre à profit pour perfectionner mes gammes et m'exercer dans l'art de composer. 
            Sur ce descendis rejoindre le capitaine Cocke aux mains de son barbier, le même que celui du commissaire Pett et celui dont j'ai déjà été le client. Il proposa de venir dans l'après-midi avec son violon, jouer des airs de viole de gambe, ce dont je me réjouis d'avance, et en attends grand plaisir.
            Une fois prêts à l'église où se trouvaient bon nombre de gens de qualité. C'est une fort belle église et on y entend un fort bon sermon de Mr Plume grand érudit. En sortant de l'église je vis Mr Pearse, à ma grande honte, car je ne suis point allé le voir depuis mon arrivée à Greenwich, mais je lui proms une visite. Puis en voiture dîner chez le capitaine Cocke où arrivèrent milord Brouncker et sa maîtresse, et la compagnie fut excellente. Mais au moment de dîner arrive ce nigaud de John Mennes, de retour de la flotte, qui n'a rien à dire de ce qu'il est allé y faire, mais nous dit à combien il évalue le butin, ajoute que milord Sandwich se porte bien et est impatient d'avoir de bonnes nouvelles de moi. Je fus soudain pris du désir de m'y rendre, ce dont je fis part à milord, et il fut aussitôt décidé qu'on irait par la prochaine marée, nous deux et le capitaine Cocke. Chacun alla donc se préparer et je rentrai à pied à Woolwich, me raser et me changer et, tandis que je m'apprêtais, ils vinrent avec le Bezan, yacht où je les rejoignis avec Tom, mon petit valet. Fîmes voile fort gaiement et, après avoir contourné Gravesend où on s'amarra pour la nuit, on soupa, bavarda et on alla enfin dormir, très commodément installés sur les coussins de la cabine.


                                                                                                                 18 septembre

            Arrivâmes au point du jour en vue de la flotte, splendide spectacle car il y avait là plus de cent navires, grands et petits, parmi lesquels le vaisseau amiral de chaque escadre, reconnaissable aux divers étendards hissés au grand mât, au mât de misaine ou au mât d'artimon. Il y avait entre autres le Sovereign, le Charles et le Prime à bord duquel se trouvait milord Sandwich. Quand nous fûmes très près milord dormait encore, on jeta donc l'ancre à quelque distance, pensant pouvoir le rejoindre en chaloupe, mais le vent et la marée nous étaient si contraires qu'on n'y put parvenir, même avec l'aide d'un canot du Prince venu nous remorquer. Enfin, pourtant il nous hala suffisamment près, si bien qu'on nous lança un cordage du haut, et on put se hisser à bord, non sans mal, patience et longueur de temps, car il faisait grand froid. Avons trouvé milord en robe de chambre, frais levé et fort dispos. Il nous reçut aimablement, nous décrivit l'état de la flotte : les provisions font défaut, il y a pénurie de bière et on manque de tout ou presque, depuis trois semaines, voire un mois, la flotte n'ayant plus que quelques jours de viandes desséchées. Il ajouta qu'à son opinion aucune flotte n'avait été mise à la mer lors de sa dernière sortie.
            Il nous donna des détails au sujet de l'affaire de Bergen, afin de nous montrer qu'on ne peut se fier à la rumeur publique pour les choses dont elle ignore tout. La rade de Bergen est à peine assez large, tant s'en faut, pour que les navires puissent y accéder, et les bouts de vergues se prennent dans le rochers. Il n'a trouvé, selon ses renseignements, aucune raison valable d'incriminer les décisions prises par Tedema,, ce dernier n'ayant pas perdu de temps à négocier, sinon de nuit et, pendant qu'il se préparait à l'assaut et amenait son navire sur la ligne de front, ce qui ne prit pas un quart d'heure de plus, dit-il, et contrairement à ce qu'on croit, il était impossible de faire entrer en ligne un plus grand nombre de navires, et tout aussi impossible de faire débarquer des hommes, car il y avait à terre 10 000 Danois en armes. Impossible enfin d'en attendre davantage des Danois qui ne pouvaient mettre feu aux navires sans du même coup incendier la ville entière. Mais, dit-il, là où les Danois commirent une erreur, c'est en venant au secours des Hollandais, tout en traitant avec nous, alors qu'ils auraient dû être neutres.     
      Quoiqu'il en soit ils se contentèrent de nous demander de nous en tenir à notre traité, à savoir que nous ne devions pas venir avec plus de cinq navires. Ils hissèrent le pavillon en signe de trêve, et milord ajoura qu'il jurerait l'avoir vu. Et ce faisant ils nous tirèrent dessus, soit qu'il n'ait point été vu, soit qu'on ait point jugé bon de cesser le feu à la vue de ce pavillon, alors qu'eux continuaient leur tir.
            Mais ce qui étonne le plus milord, et ce qu'il reproche aux Danois, c'est que cet âne bâté qui a tant de dettes envers les Hollandais, et qui disposait là d'un trésor plus précieux que son propre royaume, dont la privation aurait appauvri les Hollandais à jamais, ne profita point de l'occasion pour rompre avec eux, et leur payer sa dette, dont il aurait été quitte, en s'emparant du plus fabuleux trésor qui ait jamais existé. Puis milord me parla de ses affaires en privées, ne me fit pas mystère de la situation pitoyable où se trouvait la flotte et de l'immense chance qu'il avait eue, et sans laquelle aucune des captures n'aurait pu se faire. Il me dit aussi qu'il trouvait désobligeant et injuste le procès de Coventry qui avait envoyé sir William Penn prendre les devants, mais qu'à force de se montrer autoritaire et enjôleur avec sir William Penn celui-ci perdit tout pouvoir sur la flotte, alors qu'elle lui témoigna à lui son obéissance. Il ajoute qu'il est homme de grande bassesse et mauvais coucheur, il est fourbe et retors, ce que je tiens pour vrai, et comme je le fis jadis, je dis à milord ce que je savais de cet homme.
            Bientôt fut réuni à bord un conseil de guerre auquel se joignit William Penn et d'autres. On discuta des besoins de la flotte en subsistances, vêtements et argent, chacun, sauf milord y allant de son discours. A en juger par les sottises faussement graves de sir William Penn et les piètres et misérables propos des autres, je crois pouvoir dire que la direction et le gouvernement des affaires les plus sérieuses qui soient, dans les trois nations, sont confiées, ma foi, à des cervelles très ordinaires, milord mis à part. Toue en effet repose sur lui et lui seul, qui fait des autres ce qu'il veut, ne trouvant point chez eux le moindre soupçon d'entendement pour pouvoir le contredire sur tel ou tel point. Si bien que je crains fort que tout soit mené aussi mal que le reste des affaires publiques du roi.
            Le conseil terminé ils partirent tous, sauf sir William Penn, mais le vent était si violent que le bateau, bien que le tangage fût à peine perceptible à l'œil, me donna le mal de mer, si bien que je ne pus rien manger, ou presque.
            Après dîner Cocke me pria de l'aider à obtenir 500 £ de Howe, le vice-trésorier, ce à quoi milord Brouncker et moi-même sommes intéressés. Je m'adressai donc à milord qui consentit. Je fis verser la somme à sir Roger Cuttance et Mr Pearse à titre d'acompte pour plus de 1 000 £ de marchandises, macis, noix de muscade, cannelle, clou de girofle. Il me dit que nous pouvions compter sur 500 £ de profit, ce que Dieu veuille !
            J'apprends que le pillage des deux navires de la Compagnie des Indes orientales a été considérable, mais qu'ils arriveront au roi encore bondés de richesses. Si bien que j'espère que ce voyage me vaudra une centaine de livres. Versâmes cet argent puis prîmes congé de milord, et regagnâmes le yacht, ayant vu bon nombre de mes amis à bord. J'apprends, entre autres, que Will Howe s'enrichira fort dans cette histoire, et qu'il en devient déjà fier et insolent, mais je m'y attendais.
            Tout le monde m'a dit combien milord Sandwich s'était inquiété de moi pendant mon long silence, craignant que je ne fusse mort de la peste, en ces temps d'épidémie.
            Sitôt arrivé sur le yacht, bien que fort réjoui de l'excellente besogne que nous avons faite aujourd'hui, je fus vaincu par le mal de mer, et me mis à vomir d'abondance, ce qui dura assez longtemps, et je finis par descendre dans la cabine où, quand j'eus fermé les yeux, ma nausée se calma et je m'endormis jusqu'à notre arrivée dans l'embouchure de la rivière de Chatham, où l'eau était étale, si bien que je me sentis bien. Mais la marée nous étant défavorable, accostâmes un peu avant Chatham, parcourûmes une demi-lieue à pied, en causant plaisamment, arrivâmes à la nuit tombée, tout juste lorsqu'il se mit à pleuvoir.
            Chez le commissaire Pett, pûmes bien boire et bien manger, fort gaiement. Vers dix heures du soir, au clair de lune et par grand froid, prîmes sa voiture dans laquelle nous voyageâmes toute la nuit jusqu'à Greenwich, tantôt somnolant, tantôt bavardant et riant. Ce fut fort plaisant, à ceci près qu'il faisait un froid de tous les diables, ce qui me fit craindre de prendre une fièvre.
            L'incident le plus coasse se produisit lorsque, la voiture s'arrêtant brusquement, le cocher en descendit et cria " Ho ! " pour calmer les chevaux qui s'agitaient, ce qui me réveilla. Je tressaillis en voyant le cocher debout près de la malle arrière à faire je ne sais quoi, puis crier tout à coup " Ho ! ", si bien que sans le reconnaître, ni même songer que ce pouvait être lui, je trouvai le courage, dans un demi-sommeil de le saisir par l'épaule, croyant qu'il s'agissait d'un voleur. Lorsque je fus tout à fait éveillé je sentis mon cœur poltron s'emplir de frayeur et vis bien que jamais je n'aurais accompli une telle action en état de veille, 


                                                                                                                      19 septembre

            Arrivâmes vers 4 ou 5 heures du matin à Greenwich. Après avoir déposé milord Brouncker en premier, allâmes, Cocke et moi, chez lui, de jour. Là, à notre vive inquiétude, ensommeillés et grelottants, apprîmes la mauvaise nouvelle : Jack, le petit valet du capitaine Cocke, était allé s'aliter, souffrant, ce qui nous émut fort, car le garçon, nous dit-on, se plaignait de la tête, ce qui parut mauvais signe. Ils se consultèrent donc pour aviser, si ou non il fallait le transporter ailleurs. Pour ma part je choisis de ne pas trop leur laisser trop voir ma peur en partant, et d'ailleurs je n'avais nulle part où aller, me couchai donc et dormis jusqu'à 10 heures, lorsque le capitaine Cocke vint me réveiller et me dire que son valet allait mieux, nouvelle que j'eus grand plaisir à entendre et lui à m'en faire part. Levé et au bureau où l'on travailla peu, à vrai dire trop peu.
            A midi fûmes invités chez milord Brouncker où on attendit milady Batten jusqu'à 4 heures, comme elle ne venait point on dîna fort gaiement, mais contrariés de l'avoir tant attendue. Après dîner au bureau, écrire des lettres, jusqu'au soir. Puis chez sir John Mennes, où milady Batten était arrivée. Je les trouvai tous fort occupés à jouer aux cartes. Puis milord Brouncker et sa maîtresse durent partir, et d'autres et, alors que je m'attendais à voir sir John Mennes et sa sœur rester à faire souper sir William Batten et milady, je les vis monter se coucher fort en colère, sans le moindre signe d'adieu et les laissai en tête à tête avec Mr Boreman.                                                                                pinterest.fr   
            Je n'en sus pas aussitôt le pourquoi, mais on me dit que la raison en est que sir John Mennes espérait les garder à souper, mais qu'eux, sans égard pour leur hôte, avait sollicité Boreman en premier et voilà toute la querelle. Je restai néanmoins souper. Nous étions fort contrits de cette affaire, et plus encore d'apprendre que le valet de Cocke est malade, et que milady Batten et sir William Batten sont venus à Greenwich avec l'intention d'y loger, si bien que je dus trouver un nouveau gîte, que Will Hewer me procura en me laissant sa chambre en ville. C'est une bonne chambre et je dormis fort bien.
                                                                                                                                                                                                                     20 septembre 1665

            Réveillé par le capitaine Cocke ( fort en émoi la nuit dernière parce que la santé de son valet avait empiré, sur quoi il l'avait transporté de chez lui à l'écurie, et m'apprend, à mon grand réconfort que son valet est remis. 
          Levé, après m'être fait raser, c'est la première fois qu'un barbier me rase depuis au moins un an , me rendis chez sir John Mennes où les uns et les autres sont encore tout froissés et refusent de se parler, puis sir John Mennes et sir William Batten durent partager le carrossé de milord Brouncker et on partit tous les quatre à Lambeth Hall chez le duc d'Albemarle, l'informer des dispositions que nous avions prise au sujet de la flotte, somme toute fort peu de choses et recevoir ses consignes. Seigneur ! Triste époque que celle où on ne voit plus de bateaux sur la Tamise, où l'herbe envahit la cour de Whitehall et où seuls quelques pauvres hères hantent les rues. Pis encore, le duc nous montre les chiffres de la peste de la semaine que lui a fait parvenir le lord-maire hier soir : ils dépassent de 600 ceux de la semaine précédente, contrairement à ce que nous espérions, conséquence des frimas de l'arrière-saison. Le nombre total des morts est de 8297, dont 7165 morts de la peste, soit 50 de plus que le bulletin le plus alarmant et qui nous accable tous de douleur.
            Milord Brouncker et le capitaine Cocke me firent part de leur dessein de désigner milord Brouncker comme celui d'entre nous qui serait envoyé à bord des navires de la Compagnie des Indes orientales, ainsi que le capitaine Cocke en tant que marchand, accompagné de sir John Mennes et de sir John Smith. Mais je fis en sorte que seuls milord Brouncker et sir John Mennes fussent désignés, voulant empêcher les marchands de s'en mêler, car m'est avis que leur présence serait des plus préjudiciables pour le roi. J'ai rendu là, je crois, un excellent service, encore que je ne puisse me libérer complètement de la jalousie qui me tenaille à ce sujet, à l'idée que d'autres que moi feront leurs choux gras de cette affaire, pendant que je consacre mon temps à résoudre les difficultés du bureau.
            Revins dans le carrosse de milord, chez milord Brouncker où je retrouvai milady Batten, devenue grande amie de Mrs Williams, la catin de milord Brouncker. Dîner fort gai.
             Sur ce chez sir John Mennes d'où étaient partis sir William Batten et milady, et rentrés chez eux à Walthamstow, car ils sont fort en colère contre sir John Mennes, mais aussi par la force des choses, car ils ont appris qu'une de leurs servantes est tombée malade. Je restai donc et décidai de profiter du carrosse de milord Brouncker, qu'il mit à ma disposition, bien qu'il ne puisse venir lui-même, comme prévu. Retournai à ma chambre de la nuit dernière et, au lit, où je suis fort bien couché.


                                                                                                                        21 septembre

            Levé entre 5 et 6 heures du matin et j'eus le temps de me préparer avant l'arrivée de la voiture de milord, venu me prendre. Accompagné de Will Hewer, en deuil de son père récemment mort de la peste comme celui de mon petit valet Tom, je partis, emportant sur moi 100 £ environ pour payer les appointements, si bien que je ne voyageai point tranquille craignant d'être volé. En arrivant ne trouvai que Mr Ward qui me conduisit auprès de Burges puis de Spicer, encore au lit, ayant surveillé la maison car ils sont de quart chaque nuit, et restèrent au lit tard ce matin, mais je ne trouvai rien de fait, ce qui me contraria. N'y pouvant rien je suivis Mr Ward qui me fit visiter les lieux. Mais bientôt Spicer et Mr Falconbridge vinrent me trouver et on se rendit au village voisin, Ewell, où on put boire, rafraîchir les chevaux et commander à dîner. En attendant que ce fût prêt j'allai visiter la maison et le parc avec Spicer. Ce que j'ai vu jusqu'à présent est magnifique, ainsi que la perspective aux alentours de la maison, une immense allée où alternent ormes et noyers, toutes les façades extérieures sont ornées de scènes à personnages et il y a un beau tableau de Rubens ou de Holbein. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que tout à l'intérieur, à savoir les jambages et les huisseries est recouvert de plomb et doré. En me promenant dans le jardin à l'abandon vis une fillette toute simple, une parente de Mr Falconbridge, qui chantait fort juste, se fiant à son oreille et d'une voix charmante. S'il me manque une servante je songerai à elle.
            Puis on se rendit au village et on dîna tous ensemble, et ce fut un bon dîner commandé par mes soins. Falconbridge dîna ailleurs où il avait rendez-vous. J'ai trouvé William Bowyer, à 41 ans étonnamment jeune, il en paraît 24 au plus. C'est ma foi l'une des choses les plus surprenantes qui soient.
            Après dîner, vers 4 heures, on se sépara et je rentrai en voiture, craignant toujours pour cet argent que je transportais sur moi, mais l'ami de Spicer qui est l'un des gardes du Duc nous accompagna presque tout au long du chemin. J'arrivai chez milord Brouncker avant la nuit, soupai en sa compagnie et en celle de sa maîtresse et de Cocke dont le valet est toujours souffrant.
            Après avoir perdu une couronne au trictrac, rentrâmes à pied et Cocke m'accompagna à mon nouveau gîte là, au lit.
            < Ma seule occupation aujourd'hui, pendant l'aller et le retour en carrosse, fut de réviser ma gamme que je voudrais connaître à la perfection. >


                                                                                                                           23 septembre 

            Levé tôt et au bureau pensant pouvoir compléter les 5 ou 6 derniers jours de mon journal, mais milord Brouncker et sir John Mennes me demandèrent de les accompagner. A Blackwalle afin de vérifier l'état des entrepôts où seront emmagasinées les marchandises débarquées des navires de la Compagnie des Indes orientales. Ensuite chez Johnson qui nous fit un accueil chaleureux avec force vin et victuailles. Mais ce qu'il nous apprit est fort intéressant : lors du creusement du nouveau dock, il retrouva des arbres en parfait état recouverts de terre, des noyers avec leurs branches et même avec leurs noix dont il nous fit voir quelques-unes, aux coques noircies par le temps, et dont une fois ouvertes le fruit était desséché, mais avec une coquille plus dure que jamais. Il nous montra aussi un if dont, dit-il, on avait retiré le lierre encore intact et qui taillé à la hachette se révéla que l'arbre vivant, réputé très dur à l'état naturel, mais je ne m'y connais guère. A ce qu'il paraît, les branches étaient entières quand on les coupa du tronc, ce qui est fort curieux.                                 pinterest/fr
            Repartis par le fleuve, puis chez moi à pied avec milord Brouncker. Au moment du dîner arrive une lettre de milord Sandwich me disant qu'il serait aujourd'hui à Woolwich et souhaitait que l'on s'y rencontrât. Je crains fort qu'elle n'ait traîné un bon moment dans la poche de John Mennes par qui elle m'est parvenue, ce qui nous donna l'occasion à milord Brouncker à sa maitresse et à moi de parler de sir John Mennes et de remarquer qu'il est des plus inapte en affaires, néanmoins j'appris plus tard qu'il n'était en rien coupable pour le retard de cette lettre, mais j'ai à présent la preuve claire et nette de ce que pense milord Brouncker de lui. Il fit aussitôt atteler sa voiture et on se rendit à Woolwich, où milord n'y étant pas on prit une barque et à environ un mile de la côte je le vis à bord de son ketch, l'abordai et revins avec lui. Après une petite halte chez moi que j'avais prévue afin que ma femme pût le rencontrer, nous allâmes tous ensemble chez Mr Boreman où sir John Mennes lui fit grand accueil, et c'est là qu'il dormira. Sir John Mennes lui fit servir d'emblée un excellent souper et on conversa fort plaisamment.....
            Milord me témoigna grand respect et force amabilités, puis au hasard des circonstances une chose en amenant une autre, il observa la joie extrême que je manifestai à la vue de la lettre que lui avait adressée le roi. Je leur dis combien je l'avais embrassée et combien j'aimais le roi quelle que fût son attitude. La chose eut un tel effet sur milord Brouncker qu'il ne put se retenir de m'embrasser devant milord, disant qu'il trouvait chaque jour davantage de raisons de m'apprécier. Le capitaine Cocke, quant à lui, entendit milord dire grand bien de moi, ce qui pourra m'être de quelque utilité.
            Parlâmes entre autres de longévité, sir John Mennes disant que son grand-père vi
vait sous le règne d'Edouard V et milord Sandwich que depuis le roi Henri VIII il y avait somme toute fort peu de descendants dans sa famille, à savoir le président du tribunal du Banc du roi et lord Montagu son fils, le père de lord Sidney soit son propre père. Et pourtant, fait étrange entre tous, il nous assura qu'il avait entendu lord Montagu lui-même qui au temps du roi Jacques avait eu l'idée de demander au roi de le priver du droit d'hériter de terres concédées à sa famille sous Henri VIII qui alors reviendraient à la Couronne, ce qui fut fait, afin de montrer au roi qu'il était fort improbable que la chose eût lieu à moins que le roi n'y trouvât un intérêt immédiat, dire qu'à cette époque il y avait 4 000 descendants issus du président du tribunal du Banc du roi. Il semble que le nombre de filles dans cette famille fût fort élevé et qu'elles-mêmes eurent des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. Il m'assura que c'était une vérité connue de tous et indiscutable.
            Après dîner milord Brouncker prit congé et je fis de même accompagné du capitaine Herbert que j'hébergeai chez moi. Il n'eut de cesse de savoir qui était la personne en robe noire qu'il avait vue aux côtés de ma femme hier, refusant de croire qu'il s'agissait de Mercer, c'était pourtant bien elle.


                                                                                                                 23 septembre 1665

            Levé et chez milord Sandwich qui me demanda quelle confiance il pouvait accorder au capitaine Cocke dans l'affaire des prises de guerre, milord me disant qu'elles lui ont rapporté 2 000 à 3 000 £ et que c'est une bonne manière de se procurer de l'argent plutôt que d'attendre la gratification du roi car, observe-t-il, l'argent ainsi obtenu du roi l'est beaucoup plus sûrement que s'il fallait patienter jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Je lui conseillai de ne point accorder une confiance illimitée à Cocke, mais offrir de lui avancer 1 000 ou 2 000 £ à terme, rubis sur l'ongle. Il fut d'accord, ce qui me réjouit fort car peut-être en tirerai-je quelque bénéfice.
            Puis nous prîmes des voitures pour Lambeth, milord ainsi que tous les membres du bureau et allâmes chez le duc d'Albemarle où, lorsqu'il eût fort aimablement complimenté milord, nous tînmes notre réunion sur la question des dispositions à prendre en matière d'argent et de subsistances pour la flotte, ainsi que sur le sort des invalides et des prisonniers; Je suggérai de prendre sur les prises de marchandises pour un montant de 10 000 £, ce qui fut accepté. Le duc et milord signèrent un ordre de paiement, comme il se doit, qui fut ensuite transmis à milord Brouncker et à sur John Mennes. J'ignore quelles difficultés apparaîtront dans cette affaire, mais je crains qu'elles ne soient nombreuses.
            Puis on dîna et j'entendis milord Craven murmurer des propos avantageux à mon égard, car il a fort bonne opinion de moi, et que ce bon milord appuya. Sur ce milord Craven parla de moi au duc haut et fort devant tous les autres, et le duc ajouta quelques compliments tout aussi avantageux ce qui, je crois, ne réjouis pas mes confrères outre mesure, mais me procura une très grande joie.
            On se quitta, milord Sandwich devant rendre visite à l'évêque de Canterbery et je descendis avec sir William Batten jusques à la Tour d'où il poursuivit son chemin par le fleuve, tandis que je rentrai chez moi. Entre autres, pris tout mon or sur moi, ce qui fait 180 livres ou plus, afin de le transporter ce soir en compagnie du capitaine Cocke, à bord d'un bateau, espérant l'investir et en tirer bien davantage.
            A Greenwich, à mon bureau où j'écrivis plusieurs lettres, puis chez milord Sandwich où ce fut fort plaisant. Il eut maintes bontés pour moi et me complimenta au su de tous. Je partis après souper, et avec le capitaine Cocke à bord du yacht, vers 10 heures du soir. Avons causé et bu quelque peu. J'avais l'esprit tout préoccupé de notre entreprise, craignant d'être doublé par le capitaine. Et on alla dormir sur des lits que le capitaine avait apportés à bord, fort confortables. Jamais je n'ai dormi aussi bien que sur ces lits posés à même le sol de la cabine.


                                                                                                                        24 septembre
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            Me réveillai, me levai, bus, puis nous discutâmes. Comme nous étions à la hauteur de Grayes et que c'était une belle matinée, fort calme, nous prîmes notre canot pour aller à la Pêcherie. Avons acheté quantité de beaux poissons, puis on se rendit à Gravesend, chez White, en faire préparer une partie. En attendant nous fîmes une promenade d'un mile environ, en-dehors de la ville et nous revînmes. Après le déjeuner un de nos bateliers nous vint dire qu'il avait entendu parler d'une bonne affaire de clous de girofle pouvant nous intéresser. Nous nous rendîmes à une taverne borgne à l'autre bout de la ville. Nous trouvâmes deux matelots misérables et pouilleux qui, à eux deux les pauvres, avaient 37 livres de clous de girofle et 10 livres de noix de muscade que nous leur achetâmes. 5 shillings et 6 pence la livre pour les premiers, et le reste à 4 shillings. Les payâmes en or, mais Seigneur ! ces hommes sont d'une bêtise quant il s'agit de vendre, et d'une telle crédulité qu'ils goberaient n'importe quoi. ils ont voulu nous vendre pour 20 livres de clous de girofle un sac qui pesait 25 livres après pesée. Mais jamais, sut ma conscience, je ne me serais permis de faire du tort à ces malheureux qui nous dirent au prix de quels dangers ils s'étaient procurés une partie de ces marchandises, et combien ils payaient cher le reste.
            Après, satisfaits de notre affaire, revînmes à bord et parlâmes de notre entreprise. Mais il rechigne encore de m'en entretenir à découvert, et je ne m'engage pas tant que je ne saurai pas clairement comment il se comportera avec sir Roger Cuttance. Quoi qu'il en soit cette conversation  me servit et me valut une copie de l'accord passé l'autre jour à bord au sujet de la part qui revient à Mr Pearse et sir Roger Cuttance, la plus belle part revenant à milord Sandwich.

            On dîna vers 3 heures, puis je descendis dans la cabine écrire mon journal pour ces sept derniers jours qui m'ont valu de grandes satisfactions, car il a plu à Dieu qu',en ces tristes temps de peste, de faire en sorte que tout a conspiré à mon bonheur et à mes plaisirs, et ce en l'espace très court de ces trois derniers mois qui m'ont plus apporté que tout le reste de ma vie. Que Dieu m'accorde longtemps cette faveur et m'en rende reconnaissant ! Ayant terminé mon journal, lus et bavardai, puis souper et, au lit, l'esprit quelque peu inquiet, car j'ignore encore quelle part de bénéfices le capitaine Cocke me réserve dans cette affaire.


                                                                                                                            25 septembre

            Arrivés près de la flotte montâmes à bord du Prince où, après de longues discussions, nous décidâmes avec sir Roger Cuttance, d'acheter pour 5 000 £ de soie, de cannelle, de noix de muscade et d'indigo pour le compte de milord Sandwich. J'étais sur le point de signer un ordre de paiement mais, par chance, je m'en gardai, ce dont à la réflexion je me réjouis par la suite, car je redoutais quelque machination de la part du capitaine Cocke dont les conditions me seraient peut-être désavantageuses.
            Je ne pus rapporter aucune babiole pour ma femme. Allai dîner puis, en grande hâte, fis une brève visite à sir William Penn que je trouvai avec milady, sa fille et de nombreux officiers, attablés pour le dîner. Il y avait entre autres sir George Ascue dont plus personne ne parle, pourquoi, je l'ignore. Ce fut un dîner fort plaisant, après quoi sir William Penn s'entendit avec Cocke pour lui acheter dix balles de soie à 16 shillings la livre, une bonne affaire au dire de Cocke.
            On repartit sur le Prince et milord venu de Greenwich monta bientôt à bord. Je le lis en gardeen quelques mot contre un excès de confiance envers Cocke, puis on se sépara et on revint à bord du yacht. Mais comme il n'y avait point de vent nous prîmes pour gagner du temps notre canot à rames pour aller à Chatham. La nuit tombante nous mit dans les pires embarras. Notre idiot de batelier, pourtant sûr de lui s'est trompé une ou deux fois, et je me demande si ce n'était pas plus. En chemin, j'ai été surpris, avec les autres, par l'apparence étrange de l'eau de mer par une nuit sans lune, et pourtant elle avait l'éclat du feu à chaque coup de rame. On dit que c'est le signe d'une tempête.......
            On se rendit à l'auberge de la Couronne, à Rochester. Soupâmes, plaisantâmes avec notre pauvre petit pêcheur qui nous raconta qu'il n'avait pas dormi dans un lit de toutes ces sept longues années, depuis le début de son apprentissage, et qu'il devait servir comme apprenti encore deux ou rois ans. Mangeâmes un morceau puis, au lit, tout habillés.


                                                                                                                      26 septembre 1665

            Levés dès 5 heures, prîmes des chevaux de poste, et en route pour Greenwich, après un arrêt à Deptford, pour boire.. A Greenwich me changeai et au bureau d'où bientôt milord Brouncker et sir John Mennes se mirent en route pour Erith, afin de prendre en charge les deux navires de la Compagnie des Indes orientales, chose que j'ai moi-même combinée dans l'espoir de rendre service au roi, ce qui me vaudra peut-être à moi aussi quelque faveur. Allai dîner avec Mr Waith chez son beau-père à Greenwich, ce vieillard le plus benêt, le plus inoffensif, le plus radoteur qui soit. .
            Creed dîna avec moi et, entre autres discours, me fit promettre de lui verser la moitié de la commission qu'il pourrait m'obtenir de milord Rutherford en remerciement de mes services pour ses affaires, ce qui, dit-il, devrait avoisiner au bas mot 50 £ pour ma part. Voilà qui est bon à prendre, bien que j'aie dû ruser pour y parvenir. Bientôt arriva Llewellyn, et je compte recevoir bientôt quelque chose de Dering. Eux partis, avec Mr Waith allai discuter dans le jardin, grandement embarrassés, car nous craignions de perdre l'intérêt et le principal de ce que nous avons investi en achetant les marchandises provenant des prises, ce qui me fait songer à me désintéresser de l'affaire, mais j'aviserai avant de m'y résoudre. Puis au bureau et, après quelques lettres, rentrai à Woolwich où voilà une semaine que je n'ai pas dormi auprès de ma femme, voire plus. Après souper et lui avoir confié mon embarras au sujet de ma décision d'acheter ces marchandises, au lit.


                                                                                                               27 septembre

            Levé pus voir et admirer le tableau que ma femme a fait de Notre Sauveur. Il est achevé et fort joliment exécuté. Par le fleuve à Greenwich où je retrouve Creed et lord Rutherford qui me dit qu'il me donnerait 100 £ pour ma peine, ce dont je me réjouis, mais ce sacré aigrefin de Creed m'a extorqué la promesse de lui en donner la moitié. Allâmes à la taverne de la Tête du Roi, celle où l'on joue de la musique, c'est la première fois que j'y vais, et nous eûmes un bon déjeuner. Pris congé, fort tourmenté d'avoir appris par Creed qu'il avait entendu raconter à Salisbury que j'étais devenu grand jureur et grand buveur, alors que je m'en garde bien, Seigneur ! Il a suffi que je boive un tout petit peu de vin ces derniers temps pour que ceux qui me jalousent en profitent ! Me rendis chez le capitaine Cocke qui n'est point encore en ville, puis chez Mr Evelyn où on plaisanta gaiement, puis avec lui en voiture chez le duc d'Albemarle, à Lambeth, qui était de fort belle humeur. Le duc nous apprit que les Hollandais étaient toujours en mer et que notre flotte doit faire voile à nouveau ou s'y préparer. Nous prîmes diverses résolutions, comme il convient, pour venir en aide aux prisonniers, aux malades et aux blessés, vis aussi le bulletin de mortalité pour la semaine passée. Dieu soit loué ! Il y a 1 800 morts de moins, c'est la première fois que le nombre de décès baisse de façon notable.
            Revins par le même chemin et eus une conversation intéressante avec Mr Evelyn sur toutes sortes de savoir, en quoi il me parut gentilhomme fort raffiné, tout particulièrement en peinture, discipline dans laquelle excelle, selon lui, la belle Mrs Myddleton et en quoi sa propre femme réussit assez bien. Il me déposa au bureau où le capitaine Cocke arriva à l'improviste avec une partie de nos marchandises dans un chariot. Il fut d'abord décidé qu'elles seraient d'abord entreposées dans notre bureau, puis on revint sur cette résolution, l'endroit se trouvant dans le palais du roi, elles furent alors déposées chez son ami Mr Glanville où elles seront en sûreté, il faudrait que le reste le soit aussi. Nous en vînmes à causer de mon bénéfice, et il m'offrit 500 £ net, alors que je voudrais m'assurer un profit net de 600 £. On se quitta à la nuit tombée et je restai dormir chez Mr Glanville, car il n'y a personne si ce n'est une servante et un jeune homme. J'ai quelque inquiétude, d'une part parce que je ne sais comment me comporter dans cette affaire où je n'ai point envie de renoncer à mes bénéfices, et d'autre part parce que Jack est toujours malade et le nègre de Cocke vient aussi de tomber malade. Une fois Cocke parti, au lit.


                                                                                                                  28 septembre
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            Levé fort satisfait de mon gîte pour la nuit, bus une chope de bière et en route pour mon bureau, travaillai, puis pris une barque et descendis à Woolwich, après être passé prendre Mrs Williams qui descend voir milord Brouncker. Dînai là, préparai papiers, argent et autres en vue de mon expédition à Nonsuch le lendemain. Et me rendis à Greenwich où je travaillai fort tard en attendant la visite du capitaine Cocke qui arriva. Il m'accompagna à mon nouveau logis, où j'ai choisi de dormir de préférence à cause des marchandises entreposées et du bénéfice qu'elles me vaudront, mais la maisonnée dormait encore, on dut donc taper à la porte pour les réveiller. Dormis mais fus fort embarrassé d'un relâchement du ventre en pleine nuit, causé, je crois, par une chemise encore humide portée cette nuit. Tâtonnai à la recherche d'un pot de chambre, mais n'en trouvai point et je dus aller tirer la servante de son lit qui avait, je suppose, omis d'en placer un. Si bien que je fus obligé, dans cette maison qui ne m'était pas familière, de me lever pour aller chier dans la cheminée, par deux fois. Me recouchai, la douleur passant me rendormis.
< < 29 >> jusqu'à 5 heures, où il fait encore nuit noire à présent. Me levai ayant donné à Marlowe la consigne de me réveiller. Levé donc, puis habillé. Bientôt arriva, à cheval, Lashmore, je me fis apporter mon cheval, emprunté à Mr Gilsthropp, secrétaire de sir William Batten, et on se mit en route à bride abattue. Atteignîmes Nonsuch vers 8 heures, après un voyage plaisant et par grand beau temps. J'arrivai juste pour l'heure de l'office à la Chapelle, et m'y rendis avec eux, puis allai dans divers bureaux au sujet de mes tailles. L'encochage était fait, mais mal, car on avait encore des sommes ne convenant pas à mes besoins, si bien que je dus les faire promettre de les encocher à nouveau pour les bonnes sommes. Seigneur ! J'eus toutes les peines du monde à convaincre ces crétins de le faire, en particulier Mr Warder, chargé d'enregistrer les dépenses et les recettes, alors qu'il n'avait guère lieu de se méfier. J'y parvins enfin et leur laissai mes tailles pour les reprendre un autre jour. Puis nous allâmes à pied à Ewell où je leur payai une tournée. La maison était pleine et on se divertit grandement avec la sœur de la patronne, une vieille fille qui vient d'épouser un lieutenant de la compagnie qui y a pris ses quartiers. Causâmes plaisamment puis, le dîner terminé, remontâmes en selle pour arriver à Greenwich avant la nuit. Regagnai mon logis où, fatigué, je m'assis et commençai à classer les papiers de mon portefeuille. Puis arriva le capitaine Cocke, eûmes une longue et sérieuse conversation sur le désordre dans lequel se trouve l'Etat  par manque d'officiers chargés des affaires publiques et capables de les démêler. On se quitta après avoir bavardé très tard. Avons aussi parlé de la dernière affaire que j'envisageais, à savoir des profits que je ferai sur le capital investi dans ces marchandises, mais il estime que j'en demande trop et continue à me parler de 500 livres net. On laissa là ce sujet et j'allai me coucher.
            < J'ai appris de source sûre, ce soir en chemin, que sir Martin Noell est mort de la peste aujourd'hui à Londres, après avoir été malade huit jours. >


                                                                                                                         30 septembre 1665

            Levé et au bureau où je travaillai toute la matinée, à midi allai dîner avec sir William Batten chez le colonel Clegatt, sur invitation, mets délectables dont je me rassasiai et force gaieté. La lourde tâche qui nous occupe à présent au bureau est de pourvoir aux besoins de nos prisonniers et de nos malades convalescents, car les pauvres diables passent leurs journées et leurs nuits couchés devant nos portes. Les capitaines ne veulent plus d'eux à leur bord, une fois qu'ils ont été débarqués à terre, et nous n'avons plus guère d'autres bateaux sur lesquels les embarquer, ni d'argent pour leur payer leur solde ou subvenir à leurs besoins. Dieu nous tire d'embarras ! Nous fûmes suivis tout du long jusqu'à la porte du gentilhomme chez qui nous étions invités à dîner. Ils nous attendirent à notre sortie. Llewellyn vint me trouver et voulut me faire accepter de force 20 pièces d'or de la part de Mr Dering qui me les avait déjà offertes il y a quelque temps. Je les pris, mais contre mon gré, car en toute franchise et en toute sincérité, il ne parait guère homme à réussir dans son travail, et il ne me sied guère d'avoir affaire à lui, ni d'être l'obligé de quelqu'un qui se soucie davantage de son plaisir et de son divertissement que de son travail.
            Repartîmes fort réjouis du dîner et de la compagnie, puis on se sépara. Me trouvai aussitôt encerclé d'une troupe de ces miséreux à qui je donnai quelques bonnes paroles et quelque argent, et les malheureux s'en retournèrent doux comme des agneaux. A vrai dire, on ne saurait les blâmer si le besoin les pousse au vol ou autres crimes quand ils n'ont pas même de quoi vivre. Puis au bureau, écrivis une lettre ou deux, et expédiai quelques affaires. Ensuite chez le capitaine Cocke où se trouvait Mr Temple, un gros gaillard, le bras droit de Mr Vyner. Tous les trois plus deux de leurs amis nous rendîmes le soir, comme prévu, à bord du Bezan et nous eûmes juste assez de marée pour atteindre Woolwich, vers 8 heures du soir. Je débarquai donc retrouver ma femme, mais fus vivement contrarié de la trouver tout en émoi. Elle me fit descendre et me prit à part pour me dire qu'elle s'était brouillée avec ses deux servantes, mais surtout avec Mary qui lui avait dit tout à trac qu'elle aurait bien des choses à me raconter à son sujet, qui lui rabattraient vite le caquet et autres paroles du même acabit, qui, je le soupçonne pourraient bien concerner Browne. Mais ma femme me pria d'examiner moi-même l'affaire, ce qui, étant donné ma jalousie naturelle, me mit hors de moi. Mais jugeant qu'il ne seyait point d'entamer une querelle, je partis courroucé, pensant retourner dormir à bord.. Mais à peine arrivé à l'embarcadère je réfléchis que le Bézan ne pourrait guère partir avant la prochaine marée, qu'il était plus confortable de dormir dans un bon lit et sans doute de me rasséréner en me raccommodant avec ma femme, si bien que je fis demi-tour et, au lit. Ayant par ailleurs tant d'occasions de me réjouir et d'espérer, en outre, des profits avantageux et songeant aux dommages qu'en ces temps de peste, les tourments et la mélancolie peuvent causer au sein d'une famille, je me dis que si grande que soit l'occasion de la dispute, ce n'est point le moment de licencier ses gens, si bien que je pris le parti de panser la plaie plutôt que d'y remuer le couteau. Je fis à nouveau bonne figure à ma femme et, au lit, sans qu'il ne soit plus question de notre dispute. 
            M'endormis donc fort content. Mis à part ce soir et un ou deux autres jours où semblable querelle eut lieu, il y a environ un mois ou six semaines, j'achève ce mois dans le plus grand contentement, et je puis ajouter que ces trois derniers mois, pour ce qui est du plaisir, de la santé et des gains, furent sans doute les meilleurs que j'ai connus en l'espace de douze mois. Rien ne me peine sinon la pensée de la maladie qui rôde en ces temps de peste, Dieu en soit loué !


                                                                à suivre............

                                                                                                                                                                                                                                                                                     1er Octobre 1665
                                                                                                  Jour du Seigneur
            Fus réveillé vers.............