lundi 29 novembre 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 151 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

       

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                                                                                                                         15 Octobre 1665                                                                                                         Jour du Seigneur
            Levé et, en attendant le barbier, m'essayai à composer un duo contrapuntique qui, je crois, sera d'un bel effet, car il a été composé selon la règle de Mr Birchensha, puis, sur rendez-vous, arriva le carrosse de Mr Povey qui était, et c'est plus que je n'espérais, venu lui-même me chercher pour me conduire à Brentford. On parla aussitôt, après avoir lampé du xérès chaud, et on fit route le plus noblement du monde dans sa voiture fort élégante et bien pourvue de divers équipements nouveaux qui, il y a deux jours n'y étaient point encore installés.
            Parlâmes de notre affaire de Tanger, du manque d'argent, du laisser-aller des affaires publiques dont personne ne se soucie alors que chacun pense à soi et à ses propres désirs. On arriva bientôt chez lui, je mangeai un peu puis, avec un nouvel attelage, ces magnifiques chevaux, assurément les plus beaux d'Angleterre, le roi lui-même n'en possède pas d'aussi beaux, il me conduisit chez sir Robert Vyner que je rencontrai revenant de l'église. Après avoir passé près d'une demi-heure à admirer l'attelage, entouré d'un groupe de gentilshommes, allâmes lui et moi parler d'argent dans son jardin, mais il fut impossible d'en obtenir, car il m'avoua être dans l'embarras, et je veux bien le croire. Fort de cette réponse et voyant que je n'en obtiendrai point de meilleure, l'entretins des affaires du pays, et on en vint à se demander avec quel argent la flotte et les matelots allaient être payés.
            A mon avis la chose n'est point concevable, étant donné l'état du pays. Le commerce ne fait rentrer aucun argent, et ceux de la Cité qui en ont refusent de s'en démunir. Il semblerait que le Parlement ait octroyé par vote 1 250 000 £ au roi au moyen d'un impôt mensuel  de 50 000 £ pour la guerre, et qu'il a également voté son soutien au roi dans sa lutte contre les Hollandais et leurs alliés, et qu'en outre on lui sait gré de l'aide qu'il a apportée au duc d'York qui vote témoignage de la grande popularité du Duc.
            Il m'apprit que les impôts correspondant à la dernière imposition n'avaient point encore été mis en recouvrement, alors qu'ils auraient dû être en grande partie perçus, ce qui est souvent le cas même dans la Cité de Londres, que l'apport du fourrage est quantité négligeable, qu'enfin tout va à vau-l'eau.
           Sur quoi je pris congé, l'esprit guère apaisé, n'ayant point trouvé l'argent mais au moins satisfait de m'être acquitté de mon devoir envers le roi.
            Revînmes par une fort belle soirée, souper chez Mr Povey. Ensuite on causa, on chanta, avec la femme de son valet Dutton qui chante à ravir, une fort grosse dame. Je transcrivis l'une de ses chansons et en notai la mélodie fort jolie. Jamais je n'ai entendue quiconque prendre autant de plaisir à chanter que cette dame qui s'en donnait à coeur joie, et ce fut fort plaisant.


                                                                                                                      16 octobre

            Levé vers 7 heures. Après avoir bu et constaté à quel point Mr Povey faisait pénitence s'agissant du boire, du manger, de ses équipages, outre ses chevaux dont il veut vendre les meilleurs, comme de tout le reste, y compris son mobilier, il m'accompagna à pied à Syon où je pris une barque après qu'il m'eût entretenu, chemin faisant, des manières dissolues de la Cour qui ne songe à rien d'autre qu'à la bagatelle. Comme je fis la réflexcion que la chose finirait par achever le roi d'ici peu s'il n'y mettait fin, il me répondit :
            " - Non, car le roi se contente de passer la plupart de son temps à caresser et baiser leurs corps nus allongés sur son lit, sans faire l'autre chose, à moins de s'y sentir enclin. Mais jamais il ne perdra ce goût de la luxure. "
   *         Le laissant là pris une barque pour descendre à la Tour où on me dit que se trouve le duc d'Albemarle. M'arrêtai à Lombard Street sans pouvoir y trouver d'argent. A la Bourse, Dieu sait si elle est vide ! et on n'y voit plus guère que de petites gens. On raconte avec certitude que les Hollandais et leur flotte sont en vue de Margate, et que certains de leurs matelots ont essayé de venir à terre après le départ de la sentinelle, sans doute pour voler des moutons. Et Seigneur ! avec quelle emportement Colvill s'en prend aux affaires du Trésor public, et je ne doute pas qu'il ait raison, disant que nul ne s'en soucie et que d'ici peu ce sera la ruine assurée du roi et du royaume. Il invective aussi contre milord à qui il reproche l'affaire des prises, sans savoir, je crois, quelle relation j'ai avec lui.
            A la Bourse fis tout mon possible pour rassurer les gens au sujet des lettres de change de Tanger, mais ils durent se contenter de bonnes paroles car, pour ce qui est de l'argent je n'en ai point, ni ne peux en obtenir. Dieu seul sait ce qu'il adviendra d'ici peu des affaires du roi qui, de jour en jour, sombre davantage dans les dettes, sans se soucier du moyen de les payer.
            De là, à pied, à la Tour. Seigneur ! comme les rues sont désertes et lugubres, que de pauvres gens errent par les rues, couverts de plaies, et que de tristes histoires j'entends raconter en chemin, chacun parlant d'un tel qui est mort, d'un tel qui est malade, de tant de morts ici, de tant d'autres ailleurs. Et j'apprends qu'il ne reste plus aucun médecin, qu'il y a un seul apothicaire à Westminster, tous les autres étant morts et qu'on a bon espoir d'une forte régression de la peste cette semaine, ce que Dieu veuille !
            A la Tour trouvai milord le duc d'Albemarle et la duchesse en train de dîner, si bien que je me joignis à eux. Bonne chère avec le lieutenant et sa dame ainsi que d'autres officiers de la suite du duc. Mais, Seigneur ! la conversation était d'une sottise à vous en faire perdre la raison, le duc n'étant entouré que de sots ou presque. On parla beaucoup du débarquement des Hollandais que, dit-on, certains auraient vus, et du vol du mouton. Et on accusa ceux qui ont la charge de la flotte, mais Seigneur vienne en aide au duc ! Ni lui, ni personne au monde ne pourra prendre la mer tant que les subsistances viendront à manquer, car nous n'aurons pas de quoi faire notre devoir. Et comme il eût été préférable de suivre le conseil du duc, à savoir de faire repartir immédiatement la flotte ! Dien vienne en aide au roi quand on entend de pareils conseils et quand ceux qu'on donne ne sont pas mieux suivis ! Après le dîner, ayant reçu de nombreuses consignes du duc, me rendis à notre bureau de Tower Hill où j'ai réglé quelques affaires, puis revins chez Colvill et pris donc une barque à la Tour. Rencontrai le capitaine Cocke si bien que nous descendîmes à Greenwich. Je venais de recevoir des lettres de milord Sandwich. Il me donnait les plus vifs encouragements au sujet des prises de guerre, disant qu'il ne voulait pas nous voir craindre qui que ce fût, mais que nous devions avoir tout à fait bonne conscience à propos de ce que nous avions pris et de ce que nous avions fait, sans avoir à admettre la moindre faute, ni à éprouver la moindre crainte, car le roi a donné son autorisation et l'a confirmée et, ajoute-t-il, a envoyé des ordres afin qu'il ne soit contrevenu à rien de ce que milord a décidé en ce qui concerne la répartition de ces marchandises parmi les officiers de la flotte, voilà qui nous rassure.
            Mais milord me dit aussi que cette affaire nous aura beaucoup appris. Mon plus grand plaisir fut pourtant d'apprendre par le capitaine Cocke qu'il avait compris que Fisher avait été lancé à dessein dans cette entreprise par des hommes du duc d'Albemarle, Warcupp et d'autres, qui lui avaient avancé de l'argent afin de le convaincre d'aller de l'avant, et Warcupp a dépensé une somme considérable à cet effet, mais qu'à présent Fisher se fait maudire et traiter de fourbe pour avoir accepté 100 £, alors qu'il aurait pu tout aussi facilement en gagner 1 500, qu'il s'en est suivi une violente querelle et que l'affaire ne saurait tarder à s'ébruiter.
            Mais, ce qui me tracassa derechef, aussitôt après que je fus arrivé à mon bureau de Greenwich, fut d'apprendre que nous n'étions pas au bout de nos ennuis, car la maison du capitaine Cockje était assiegée de part et d'autre par des gardes. En outre, je crains qu'ils ne viennent ici, à mon bureau, chercher les marchandises de Cocke et trouver diverses choses appartenant à mes commis. Je les aidai ainsi à supprimer toute trace de leur petit commerce. Mais j'appris bientôt qu'il ne s'agissait que des agents de l'hôtel des Douanes venus saisir ce qui se trouvait chez Mr Granville, pour quoi ils n'avaient pas encore vu de l'laissez-passer et dont je n'avais pas encore entendu parler. Mes craintes se sont alors envolées, car on leur fit préparer un laissez-passer
            Aujourd'hui Cocke est parvenu à faire livrer à Londres la majeure partie de ses marchandises, à la taverne de Steelyard, fermée pour cause de peste, mais j'y suis allé et cette affaire est à présent réglée.
            On ne parle plus que des discours du chancelier et du roi lors de la session parlementaire, dont on dit le plus grand bien et qui, à n'en pas douter, nous vaudront bientôt une brouille avec la France et avec les Hollandais. Voilà qui nous occupera. Rentrai tard à mon bureau afin de rédiger les huit derniers jours de mon journal, que je n'ai pu écrire au jour le jour à cause de mon surcroît de travail. Ce que je fis dans le plus grand souci de vérité et de détails, espérant revenir à mes ancienndes habitudes de rédaction quotidienne.
            Regagnai mes appartements où j'eus pour souper un bon poulet puis, au lit, par le plus grand des froids, Dieu merci !


                                                                                                                         17 octobre

            Levé et fort occupé toute la matinée à mon bureau. Passai seulement chez moi à midi pour dîner d'une volaille. Le soir, ma femme et Mercer vinrent chez moi, ce qui me contrarie un peu, car demain je serai fort occupé toute la journée à faire mes comptes sans discontinuer. Rentrai tard du bureau retrouver ma femme, souper et, au lit.

                                                                                                                      18 octobre

            Levé et, après avoir plaisamment devisé avec ma femme, bien que l'esprit fort préoccupé, je sortis et la laissai regagner Woolwich tandis que je me rendis au bureau et, par le fleuve, chez le duc d'Albemarle, ma femme étant repartie. A mon cabinet, dans mes appartements, où je me mis à mes comptes de Tanger, non sans rencontrer de graves difficultés, mes calculs récents ne correspondant pas à mes anciens calculs, car j'ai eu l'occasion de mélanger mon propre argent, comme cela s'est produit avec mes finances de Tanger en d'autres occasions, avec d'autres rentrées d'argent. Quoiqu'il en soit, travaillai fort tard et m'en acquittai presque. Petite collation puis, au lit, l'esprit débarrassé de tant de chiffres et d'additions.


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        Levé et me remis à mes comptes que je parvins enfin à apurer. A midi dîner chez moi avec comme convives Mr Hayter et Will Hewer. Je suis parvenu hier à un accord avec ma logeuse, fixant à 6£ par mois pour un nombre convenu de pièces dont j'aurai l'usage ainsi que ma femme, des commis ainsi que la servante quand elle viendrait, étant convenu par ailleurs que je paierai moi-même mes repas. Après dîner je leur donnai la rédaction des comptes et du courrier devant, quant à moi, me rendre chez le duc d'Albemarle dans la soirée. Je lui suggérai entre autres de prendre Balty, le frère de ma femme, dans sa garde, à quoi il me répondit aimablement qu'il le ferait. Mon affaire de ravitaillement va à ma guise et je n'ai plus à présent à l'esprit que la manière d'en tirer quelque profit pour moi-même ou quelqu'un d'autre. Ecrivis à cette fin à Mr Coventry où je me proposai d'occuper les fonctions de surintendant des subsistances, poste auquel j'ai quelque raison d'espérer qu'il me recommandera. Mais je n'y compte point trop, encore que cela m'aiderait considérablement.
             Derechef à mon bureau sans parvenir à achever la rédaction de ces lettres et papiers avant une heure du matin passée, ce qui me contraria. Les expédiai sans grand espoir qu'elles partent avec la prochaine poste, puis rentrai chez moi et, au lit.


                                                                                                                       20 octobre 1665

            Levé. On vient de me rapporter mes lettres d'hier soir, ce qui m'ennuie fort au cas où on demanderait à voir mes comptes avant qu'ils ne soient parvenus. L'idée m'est insupportable, car je suis bien plus pressé de les leur envoyer qu'eux de me les réclamer. Je les envoyai donc par messagerie express à Oxford, et adressai un double de ma lettre à Mr Coventry concernant les subsistances à Portsmouth, craignant qu'il ne s'y soit rendu, comme il en avait l'intention. 
            Fus ainsi occupé toute la matinée. A midi dîner chez Cocke, seuls lui et moi, fâchés de n'être point encore débarrassés de nos soucis au sujet de ces marchandises. Mais tout sera bientôt terminé.
           Après midi revins à mes appartements où je passai tout l'après-dîner ainsi que la soirée avec Mr Hayter, à parler de nos affaires du bureau. Entre autre il m'apprend que Thomas Wilson lui a laissé entendre de temps à autre que j'entreprends trop de choses à la fois, plus que je n'en puis faire, au point d'en négliger certaines, ce qui est vrai, je le confesse, à mon vif regret. Mais la cause en est que je dois prendre en charge un grand nombre d'affaires, au-delà de ce qui incombe à ma fonction. Sur quoi je finis par lui conseiller de prendre un autre commis s'il jugeait la chose utile, que je veillerais à faire rémunérer. Je m'entretins avec des personnes qui conviendraient pour traiter des affaires de subsistances et dont je puis prélever une partie du salaire, mais je ne vois guère de manière simple de résoudre ce problème, car il faudrait que Thomas Wilson refusât le meilleur poste à Londres, et qui rapporte 200 £ l'an, que j'avais l'intention d'attribuer à Tooker, et que je fusse en mesure de prélever sur cette somme 50£ l'an pour aider Mr Hayter. Quoi qu'il en soit, je m'efforcerai de leur proposer un arrangement de ce genre.
            Ayant achevé de m'entretenir avec lui à une heure tardive, entrepris de recopier au propre mes comptes de Tanger, puis souper et, au lit.


                                                                                                                                21 octobre

            Levé et à mon bureau fort affairé toute la matinée puis, accompagné de mes deux commis, rentrai dîner chez moi, puis derechef au bureau, fort occupé très tard, rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                                    22 octobre
                                                                                                                    Jour du Seigneur
            Levé puis, une fois prêt, me rendis chez le capitaine Cocke où j'apprends qu'une autre partie de nos marchandises a été mise en sûreté. Puis à l'église. Après avoir trouvé, chemin faisant, diverses lettres qui m'ont fait prendre la résolution d'aller, après l'office, à Lambeth avec la voiture de Cocke. Mais je mis tant de temps à m'y rendre, à passer le fleuve et à traverser Whitehall, que le duc avait presque fini de dîner. On me fit cependant apporter de nouvelles victuailles. Et on parla beaucoup et fort plaisamment. On reparla des prises, milord disant haut et clair que milord Sandwich et Penn devraient faire ce qu'ils voudraient et en assumer la responsabilité, mais que pour sa part il dirait tout au roi. Il ajoute que l'ambassadeur de Hollande à Oxford a été emprisonné, mais depuis j'ai appris que c'était inexat. Revins peu avant le soir chez moi, d'où Cocke n'y étant point, je me rendis avec Mr Salomon chez Glanville où on trouva Cocke, et restâmes souper, fort plaisamment, avec comme seule autre convive, Mrs Penington, dame fort jolie et pleine d'esprit. Nous restâmes tard le soir, fort gais, puis chez moi et, au lit.


                                                                                                                          23 octobre

            Levé, fis quelque travail, puis par le fleuve rendis visite à ma femme avec qui je me divertis fort une dizaine de minutes. A Erith où milord Brouncker et moi avons tenu réunion et travaillé, comme convenu, à bord du Bezan, entre autres au sujet des marchands de hardes qui, depuis si longtemps, nous ont fait crédit ce qui, selon toute attente, ne saurait durer, et je crains fort que cette raison mineure n'ait raison de notre flotte cet hiver. Puis on se rendit à bord du bateau de la Compagnie des Indes orientales où Sa Seigneurie avait fait préparer un magnifique dîner auquel se joignirent bientôt sir John Mennes précédé de sir William Warren puis un fabricant de téléscopes à qui nous achetâmes chacun une longue-vue de poche.
            Je fus agacé par la jactance et le ton rogue de Mrs Williams et son impudence, à supposer qu'elle ne fût pas l'épouse de milord. Ils se préparent à confier la totalité des marchandises à la Compagnie des Indes orientales, qui les aura donc en sa possession. En échange elle avancera les deux-tiers de leur valeur estimée, et les vendra du mieux qu'elle pourra, le roi lui versant 6% pour la jouissance de l'argent ainsi avancé. Ainsi la Compagnie ne pâtira pas de la baisse du prix des marchandises qui résultera de la vente de celles du roi.
            Le soir revins avec sir William Warren et le capitaine Taylor à bord de mon bateau. Ce dernier m'accompagna au bureau où nous fîmes nos comptes, et je crois que les services que je lui ai dernièrement rendus me vaudront 100 livres, ce qui est une excellente chose. Puis chez moi, trouvai, à ma grande satisfaction, milord Rutherford. Soupâmes et restâmes tard à bavarder. Il se conduisit le plus coquinement du monde avec la belle-fille de ma logeuse, qui était joliment vaniteuse et grosse d'enfant. Il voulut entreprendre de lui caresser les seins, mais elle lui opposa un chaste refus.
            Elles parties, milord et moi nous mîmes au travail. Il me demanda d'ajourner le paiement dû à l'échevin Backwell, ce que je ferai, espérant que cela me vaudra quelque bénéfice, encore que je ne crois pas que milord ira au-delà des bontés qu'il a déjà eues pour moi, ni que j'obtiendrai plus que dernièrement en lui offrant de toucher des intérêts sur ses 7 700 £. Ce qui fut fait, et à son plus grand avantage. Notre entrevue terminée il alla dormir dans ma chambre, et moi dans une autre.


                                                                                                                           24 octobre
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            Restai couché tard, enrhumé. Puis allé dire au revoir à milord en partance pour Oxford. A mon bureau, arriva sir William Batten rentré depuis peu d'Oxford. Je ne puis rien apparendre de lui concernant milord Sandwich ni l'affaire des prises, car il est des plus réservés. Mais il me fit voir un projet de loi lu à la Chambre, disant que le fait de s'emparer des marchandises d'un navire constituera désormais un acte de félonie. C'est une loi bien sotte et qui n'aura guère de poids, élaborée tout exprès pour le cas de milord. Il me fit aussi lire une belle lettre imprimée adressée par l'évêque de Munster aux Etats de Hollande, contre qui étaient formulés ces griefs.
            Après avoir travaillé on se sépara et me rendis à un dîner chez Cocke où était aussi convié Mr Evelyn. Fort plaisant malgré notre chagrin de voir l'état des affaires publiques et le peu d'attention portée aux prisonniers, aux malades et aux blessés de guerre.
            Puis à mon bureau où, à peine arrivé, j'apprends à ma grande surprise que milord Sandwich est de retour en ville, allai donc chez Boreman le retrouver. Il se montra plein d'amabilité, mais nous n'eûmes pas l'occasion de l'entretien qu'il me dit vouloir avoir avec moi dans le privé. Il éprouva brusquement le besoin de se rendre auprès de la flotte afin de faire sortir en mer quelques navire pour effrayer les Hollandais. Le laissai à son entrevue avec sir William Batten et d'autres, et à mon bureau jusqu'à vers 10 heures du soir puis, mon courrier terminé, revins le trouver chez le capitaine Cocke, chez qui il soupait et dormait. Jamais je ne le vis aussi gai. Il y avait aussi Charles Harbord que le roi vient de faire chevalier. A ma grande satisfaction, milord déclara devant eux, que jamais texte n'avait été lu devant le roi, le Conseil et en présence de tous les ministres d'Etat, avec autant de succès que ma lettre sur les subsistances, dont chacun des termes ne reçut que pleine approbation, et ordre fut donné que mes recommandations fussent suivies et dûment mises en application. Force réjouissance puis milord, qui avait voyagé toute la nuit, alla se coucher. On prit congé et je rentrai.


                                                                                                           25 octobre 1665

            Levé et chez milord Sandwich en compagnie de plusieurs officiers auprès de qui je m'informai de l'état de nos navires. Je m'aperçois que quatre tout au plus sont en état de reprendre la mer, en vérité. Le manque subsistances est notre grande faiblesse, cette année, que ce soit en mer ou maintenant dans l'estuaire de la Tamise et à Portsmouth où toute la flotte est au mouillage. Puis milord descendit et nous eûmes une heure durant un entretien en privé. Il me dit que Mr Coventry et lui sont devenus ennemis jurés et irréconciliables. L'unique cause de cette brouille étant, me dit-il, l'outrage qu'il lui fît lors de la première bataille et dont il ne s'excusa point. Voilà, me semble-t-il de bien mauvaises raisons, car je jurerais sur ma conscience que tel n'était pas le dessein de Coventry. Quoi qu'il en soit, lorsque j'ai demandé à milord, s'il ne valait pas mieux, quitte à témoigner des marques de condescendante, se raccommoder avec lui, il me dit que la chose était impossible, si bien que je renonçai.
            Il me dit, en grande confidence, que la Cour est déchirée entre diverses factions, entre le parti du roi et celui du duc d'York, et que le roi, ce qui est une situation difficile, soutient milord contre le parti du Duc, que milord le chancelier étant, à n'en pas douter, le protecteur du Duc, la raison pour laquelle il considère Mr Coventry comme l'un de ses ennemis est fort mystérieuse. Que s'il désirait renoncer à ce rôle, ce qu'à son avis souhaite Mr Coventry, et d'ailleurs lui et moi sommes enclins à le souhaiter aussi. Pourtant, à son avis, il n'y parviendra pas car le roi persiste à vouloir le maintenir exprès dans le camp opposé. Que le prince Rupert et lui sont les meilleurs amis du monde, que milord a exagéré outre mesure l'affaire des prises, alors que lui-même ne s'est jamais autant livré au pillage que quand il accompagnait le Duc en mer, que du temps de sir John Lawson, il capturait, pillait, coulait un navire entier en Méditerranée, sans que Coventry trouvât rien à redire. Que milord Arlington lui voue une solide amitié et que le chancelier lui bat froid et bien que je lui eusse dit que chacun, moi inclus, pensant que milord le chancelier avait dit de lui tout le bien possible dans son dernier discours, il persiste à croire le contraire............ ajoutant à son avis, et au mien, que la nation sera d'ici peu la proie de la confusion.
            Il me fit part du récent dessein du duc d'York de lever dans le nord du pays une armée dont il aurait été le général, sans en aviser le duc d'Albemarle et sans son conseil, qui l'apprenant fut si fâché que le projet dut être abandonné afin de le rasséréner. Il ajouta que son alliance avec la famille de sir George Carteret accroît davantage encore le différend qui l'oppose à Coventry, car ils sont ennemis, que le chancelier, comme tout le monde, avait parlé de moi en termes élogieux, mais que, néanmoins lors de la séance de la commission de Tanger il s'était mis en colère apprenant que j'avais suggéré qu'on accepte d'enregistrer le non-paiement d'une lettre de change. A cela milord me pria de prendre garde car il devait me sembler clair que je n'avais aucunement besoin d'ennemis, pas plus que quiconque. En bref il me parla en toute sincérité et en toute affection, avec la plus grande confiance en mes paroles et mes actes.
            Notre entretien terminé on se mit à table, fort réjouis, entre autres, par ce projet de loi soumis à la Chambre par lequel le fait de s'emparer des marchandises d'un navire passe pour félonie, projet qui, comme le dit fort bien milord, aura pour conséquence qu'il n'y aura plus aucun prise de guerre ou que, si prise il y a, elle sera coulée aussitôt navire pillé. On se gaussa aussi de cette loi, à présent votée, permettant de prélever 1 250 000 £, et sur la manière dont on fera rentrer l'argent, loi entachée des pires imperfections.   
            Après dîner milord descendit en ketch à Erith, où le Bezon était amarré, car il fait grand vent ces deux derniers jours et, à présent, un vent de terre souffle nuit et jour vers le sud, si bien que les Hollandais  ont certaibement été repoussés de le côte.
            Milord parti me rendis à mon bureau, trouvai le capitaine Ferrer. Il m'apprend que sa femme est venue le voir en ville et qu'elle ne l'a pas vu depuis quinze semaines, soit depuis son dernier départ en mer. Elle est en ce moment dans une taverne où elle passe toute la nuit, si bien que je me sentis obligé de laisser à Ferrer ma chambre et mon logis pour la nuit, ce qu'il finit par accepter, après force protestaions et non sans insistance de ma part. Fis donc conduire sa femme dans la voiture de Mr Evelyn, sur quoi, au retour de la voiture, me rendis avec Mr Evelyn à Deptford où nous travaillâmes quelque temps puis, dans sa voiture, revins chez moi où je passai deux heures à bavarder avec Mrs Ferrer et ma jeune amie Mrs Frances Tooker, ce qui fut fort plaisant. Le capitaine arriva bientôt, on soupa fort gaiement, puis je les conduisis à leur chambre et allai moi-même me coucher, après avoir raccompagner ma jeune et jolie amie chez elle, à la maison voisine.


                                                                                                                                       
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            Levé puis, laissant mes invités à leur toilette, me rendis au bureau, où vinrent me voir sir Jeremy Smith et sir Christopher Myngs de retour de Portsmouth où ils sont allés rendre visite à la flotte. Restai un bon moment à bavarder avec eux, puis on se quitta et nous descendîmes, sir Christopher Myngs et moi par le fleuve à la Tour. L'homme m'a paru d'une grande finesse d'esprit et fort beau parleur et n'a point fait mystère de ses ascendants, il est fils de cordonnier et se rend à présent chez son père. Quant à moi, à la Bourse. J'apprends que les Français ont capturé deux de nos navires marchands et coulé un autre en Méditerranée, et qu'ils ont conduit ces navires à Toulon si bien, qu'à n'en pas douter nous devrons les attaquer.
            Il y avait assez grande presse à la Bourse et la ville commence à revivre, encore que les rues sont désertes et les boutiques fermées pour la plupart. Repartis, pris une barque et me rendis chez sir Christopher Myngs, à Sainte Catherine, où il était entouré de petites gens de ses amis dont, me dit-il, il tire grande fierté. On descendit à Greenwich, par grand vent, voile dehors jusqu'à ce que je la fisse amener. Comme il était 3 heures je l'invitai chez moi et lui fis servir un bon dîner, puis on se quitta.
   
        En ce qui concerne les affaires de la Marine, il est désormais l'un de mes prochez associés et sait que je suis le serviteur de milord Sandwich. Lui parti me rendis au bureau jusqu'au soir où mes gens me vinrent dire que ma femme était arrivée en ville, si bien que j'allai la retrouver, mécontent de sa visite, mais elle n'avait qu'un objet anodin, si bien que je m'en réjouis et la priai de rester, le capitaine Ferrer et sa dame étaient encore là. Je les abandonnai donc à leurs danses et me rendis au bureau jusqu'à 9 heures du soir passées. Revins trouver mes invités que je vis danser de belle manière, le capitaine Ferrer et d'autres......... On soupa puis on se remit à danser, avec Golding comme violoneux, qui joue très bien et connaît tous les airs, jusqu'à plus de minuit, puis on se quitta et tout le monde au lit. On trouva où loger tous nos invités. Mrs Tooker était rentrée chez elle.


                                                                                                                               27 octobre

            Levé puis, après avoir plaisamment conversé avec ma femme, je sortis et la laissai en compagnie de Mrs Ferrer. Me rendis chez le capitaine Cocke pour affaires, puis nous prîmes sa voiture et on vit en passant, dans Kent Street, quartier pauvre, miséreux, pitoyable, des gens assis par terre, couverts de pansements toutes les quatre ou cinq maisons. 
            A la Bourse puis de là me rendis par le fleuve chez le duc d'Albemarle où il y avait grand monde. Mais je restai dîner et il fit grand cas de moi. Il m'apprit que les Hollandais étaient repartis après avoir perdu près de 160 filins et ancres lors de la dernière tempête. Sur quoi il m'offrit, de la part de Mr Coventry, comme je le lui avais demandé, d'être nommé surintendant des subsistances, ce que j'acceptai. Mais j'avoue que les termes dont usa Mr Coventry pour me recommander à ce poste sont des plus élogieux, au bas mot, car il dit que je suis l'homme le plus compétent qui soit et qu'il ne doute pas que, si j'accepte cette tâche, elle sera menée à bien et, qu'en outre, il est fort à souhaiter que je sois ainsi aiguillonné, car l'encouragement que j'ai au bureau de la Marine n'est nullement en proportion avec mon mérite ou mes capacités.
            Voilà qui, venant s'ajouter à la lettre que j'ai reçue de Mr Southern il y a trois jours, où il me laisse entendre que le duc d'York avait, en l'absence de son maître, ouvert ma lettre et l'avait chargé de me dire qu'il approuvait sans réserve ma nomination, me transporta de joie au-delà de ce que je puis exprimer. Je me réjouis de ce que, au vu de mes peines, Dieu me bénisse et m'ait confié à des maîtres capables de remarquer le mal que je me donne.
            Lorsque tout fut dit, revins par le fleuve à Londres où m'attendait derechef la voiture du capitaine Cocke et me rendis à Greenwich d'où je fis ensuite reconduire ma femme à Woolwich. Puis à mon bureau d'où je rentrai tard le soir avec le capitaine Taylor. Avons mis alors nos comptes et je constate que les services que je lui ai rendus ces six derniers mois me valent 120 £ de sa part. Ce qui nous occupa jusqu'à près d'une heure du matin, puis il repartit après souper et j'allai au lit fort satisfait de tout ceci, ainsi que de la décision que j'ai prise ce soir conjointement avec Mr Hayter, de proposer que Thomas Wilson soit nommé aux subsistances du port de Londres, car il y sera des plus compétents, et quant à moi je serai à l'abri de ses protestations. Au lit.


                                                                                                                           28 octobre

            Levé, envoyai quérir Thomas Wilson que je mis au fait de l'affaire des subsistances, ce dont il est fort content, et moi de même de l'avoir choisi pour ce poste. Puis chez Mr Boreman où loge sir William Batten, afin de lui faire part de l'offre que j'avais faite à Thomas Wilson et de la nouvelle que j'ai apprise ce matin de sir William Clarke, à savoir que, malgré tous les efforts du duc d'Albemarle pour remettre les marchandises venant des prises et provenant des Indes entre les mains de la Compagnie des Indes orientales, et en dépit du fait que milord Brouncker et sir John Mennes firent décharger une grande partie des marchandises, ordre nous parvint de la Cour de tout arrêter et de confier ces marchandises aux soins de la sous-commission des prises. Voilà qui me réjouit, car la chose ne manquera pas d'irriter ce triple niais, ce qui sera pour nous une petite compasation pour la disgrâce encourue par milord Sandwich. Il me dit que le Parlement a accordé 120 000 £  au duc d'York  qui lui seront payées une fois que seront collectées des 1 250 000 £  de l'impôt qui sera levé pour le roi. Il ajoute que les Hollandais ont récemment entrepris de construire 16 nouveaux bateaux, nouvelles ô combien importantes.
            Puis à cheval avec Mr Deane à Erith d'où on alla voir milord Brouncker à son bord. Dînâmes gaiement, eux deux discutant de façon intéressante de la construction des navires. Après ce dîner et quelque agréable conversation nous repartîmes et derechef à Greenwich. Là à mon bureau, fort tard, occupé à nommer mes hommes aux ports de ravitaillement, à ma grande satisfaction, et aussi maintes autres besognes, à mon grand contentement, puis, las, regagnai mes appartements où, après avoir mangé et bu sobrement, au lit.
            On raconte que le Roi et la Cour viennent de prendre enfin la résolution de n'acheter aucun vêtement qui ne soit produit par l'Angleterre, ce qui, si la décision est respectée, fera grand plaisir au peuple et lui sera fort profitable.


                                                                                                                         29 octobre
                                                                                                       Jour du Seigneur
            Levé et une fois prêt, pris la voiture du capitaine Cocke, avec lui pour Erith, Mr Deane chevauchant à nos côtés. Dînâmes fort gaiement, après quoi on se mit à parler des Hollandais, Cocke s'évertuant à nous prouver qu'ils étaient capables de nous faire la guerre pendant trois ans d'affilée, ce qui est peut-être vrai, mais milord et moi pas satisfaits de ses arguments, nous les réfutâmes avec vigueur, ce qui eut pour conséquence de nous échauffer tous. Cocke est plein de suffisance, mais dénué de toute logique, ce qui nous amusa. On prit congé puis on s'en retourna sans qu'un mot ou presque fût prononcé de tout le voyage, tant il était fâché de voir que nous n'étions pas gagnés à ses arguments. Il me déposa à l'autre bout de Woolwich et je dus traverser la ville à pied dans l'obscurité, la nuit étant tombée. Dépassai et manquai de bousculer dans la rue deux femmes en pleurs qui, à elles deux portaient un homme dans un cercueil, sans doute le mari de l'une d'elles, ce qui est bien triste.
           Arrivé chez Sheldon, je trouvai mes gens dans le noir, au milieu de la salle à manger, occupés à s'ébaudir et à rire, et je crois en train de folâtrer, ce qui, Dieu me pardonne, excita aussitôt mon envie. Je vins dans le noir et, l'une d'entre elles m'ayant frôlé, je m'aperçus après qu'il s'agissait de Sue, lui fis pousser un cri, puis me retirai à l'étage, tandis qu'elles s'enfuirent après avoir allumé une bougie. Je ressortis fort contrarié, jusqu'à ce qu'on me dise que ma femme était sortie aujourd'hui avec Mr Hill et Mercer afin de me rendre visite à Greenwich où ils étaient restés souper. Soudain la bougie tomba du chandelier, ce que je vis en sortant dans la cour, mais Mrs Barbara étant là, je fus aussitôt rassuré, et hésitai alors entre rester ou me rendre à Greenwich. J'irais, ma décision était prise. Aussi, avec une lanterne et accompagné de trois ou quatre personnes, dont Mr Browne, on se mit en route, moi tenant la lanterne, nous parlâmes tous deux de peinture et des différents styles.
            Arrivai bientôt à Greenwich, rencontrai Mr Hill ainsi que ma femme, eus grand plaisir à la voir. On soupa, on parla musique puis, au lit. Partageai le même lit que lui, si bien qu'on parla jusqu'à plus de minuit des règles de composition de Birchensha dont je lui appris, à sa grande joie, l'existence, puis on s'endormit.


                                                                                                                                 30 octobre 1665

            Levé et à mon bureau, travailler. A midi dîner, parler musique avec Hill, puis revins à mon bureau quelque temps tandis qu'il allait prier Mr Coleman de venir, s'il était libre, ce soir. Revins bientôt chez moi où je trouvai Hill revenu avec Mr Coleman, sans sa femme malade, et Mr Lanier. Ils jouèrent de leur luth et, en leur compagnie nous nous divertîmes fort et chantâmes plaisamment jusqu'à minuit, après que je leur eus servi un bon dîner. Mais la voix de Coleman a perdu son timbre, et quand il commence à être saoul il est de la meilleure compagnie qui soit, puis une fois sobre devient vite pénible et impertinent. Lanier chante fort bien, d'un phrasé mélancolique et il m'a paru homme de grande réserve. Eux partis, au lit.
            Le capitaine Ferrer revenu aujourd'hui de chez milord dut dormir ici. Je lui fis partager la chambre de Mr Hill.


                                                                                                                              31 octobre

            Levé et au bureau, après que le capitaine Ferrer fut reparti tôt chez milord. Au bureau rencontrai sir William Batten qui me dit que le nègre du capitaine Cocke est mort de la peste. Je le savais déjà mais n'y avais guère prêté attention. Le capitaine Cocke arrivant bientôt au bureau, sir William et moi lui firent dire qu'il devait s'abstenir de venir, et même s'abstenir de se rendre à son propre bureau. Certes, j'ai rencontré hier les enquêteurs revenant de chez lui baguette à la main et les entendis dire qu'il n'était point mort de la peste. Mais je sais qu'il était malade depuis longtemps et, à ce qu'on me dit, Jack son valet est malade aussi.                                                                               laquintejuste.com     
            A midi chez moi, dîner et derechef au bureau, laissant le soin à Mr Hill d'inviter Mrs Coleman ce soir, s'il le peut.  Vers 9 heures du soir rentrai à la maison où je trouvai Mrs Pearse, la petite Frances Tooker, Mr Hill et de nombreux autres, en train de danser. Puis arriva Mrs Coleman et son mari et Lanier. Après la danse on chanta, ce que Mrs Coleman fait à merveille, encore que sa voix ait perdu de son volume, mais bien que faible elle est fort mélodieuse, outre que c'est une femme charmante et drôle et de fort joyeuse humeur ce soir. Entre autres choses Mr Lanier avait apporté ce soir, à la demande de Mr Hill, deux ou trois fort belles gravures afin de les montrer à ma femme, les plus belles que j'aie jamais vues.
            Pour ce qui est de chanter on demanda à Mrs Coleman de nous chanter, entre autres, l'un des airs de son opéra, encore qu'elle ne veuille pas admettre en avoir jamais chanté une partie sans livret quand elle répétait pour la scène, mais ce qu'elle fit le plus excellemment du monde fut de parodier le rôle du capitaine Cocke lorsqu'il traite ses hommes de traîtres, de lâches et de vils esclaves etc. On chanta jusqu'à minuit, puis on se sépara et, au lit. Dormis derechef avec Hill, mais comme nous avions sommeil tous les deux on parla moins longtemps qu'hier soir.
            Ainsi avons-nous gaiement achevé ce mois, d'autant qu'après avoir redouté une extension de la peste cette semaine, j'apprends, de source certaine, qu'il y a eu 400 morts de moins, le chiffre total étant de 1 388, dont 1 031 de la peste.
            La Marine est dans le plus grand désordre par manque d'argent. Les hommes sont enclins à se mutiner, et je suis seul ici à devoir m'occuper des affaires de la Marine, du moins sir William Batten n'a-t-il rien fait durant les quelques jours qu'il a passés ici. J'espère le plus grand bien de mon poste de surintendant des subsistances qui me rapportera 300 livres l'an.


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                                                                à suivre............

                                                                                                                                                                                                                                                                                    1 er Novembre 1665

            Me suis attardé...........



























      












jeudi 25 novembre 2021

Le réveil en voiture Gérard de Nerval ( Poème France )

 




enpaysdelaloire.com     











                                 Le Réveil en voiture

            Voici ce que je vis : -  Les arbres sur ma route
             Fuyaient mêlés, ainsi qu'une armée en déroute ;
             Et sous moi, comme ému par les vents soulevés,
             Le sol roulait des flots de glèbe et des pavés.

             Des clochers conduisaient parmi les plaines vertes                         sainttropeztourisme.com
             Leurs hameaux aux maisons de plâtre, recouvertes
             En tuiles, qui trottaient ainsi que des troupeaux
             De moutons blancs, marqués en rouge sur le dos. 

             Et les monts enivrés chancelaient : la rivière
             Comme un serpent boa, sur la vallée entière
             Etendu, s'élançait pour entortiller...
              - J'étais en poste, moi, venant de m'éveiller !


                                             Gérard de Nerval

mardi 23 novembre 2021

Un si long silence Sarah Abitbol ( Document France )

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                                                  Un si long silence 

            A quinze ans et durant plusieurs années la jeune fille est violée par son entraîneur. Sarah Abitbol est patineuse. Toute petite sa découverte de la glace lui donne l'élan pour s'élancer vers des performances qui l'obligent à suivre un emploi du temps de sportive. Cours scolaires à mi-temps et entraînement plusieurs heures chaque jour. Ses parents font les sacrifices nécessaires pour la suivre, sa mère très présente prépare les plats diététiques nécessaires à son entraînement. Mais ni son père, ni sa mère ne se rendront compte que celui que Sarah nomme Mr O., son nouvel entraîneur, a de multiples fonctions au sein du sport à glace, meurtrit leur fille. Et Sarah souffre, du silence, de la honte, de la brutalité. Enfin arrive le moment où elle s'accordera une pause, son statut lui permet d'envisager les championnats de France, d'Europe, du Monde. Ce sera en couple. Et son corps éloigné de celui qu'elle désigne comme son prédateur oublie un temps. Suivie en psychanalyse la patineuse explique ce qu'elle vit, une amnésie traumatique. C'est glaçant lorsque l'on comprend la discipline demandée aux victimes. Elle est très petite, pèse 43 kilos. Légère son partenaire peut la porter, elle peut accomplir les triples sauts pour les programmes obligatoires. Le meilleur ami de son compagnon est Candoloro, dans les programmes on trouve Surya Bonaly. Interviews, voyages. Mais attention à la chute qui la garde plusieurs mois inactive, et le corps qui avait oublié la peur de l'approche de Mr O. revient. Mais encore menue Sarah Abitbol reprend l'entraînement avec un chorégraphe russe. La championne a une fille. Comment expliquer à son enfant ce qu'elle décide de dévoiler dans son livre. Sa mère redoute avec raison les réactions de l'entourage, son père la pousse à tout dire. Ils ont tous deux été effondrés, de la fragilité de leur enfant et d'avoir reçu amicalement Mr O. Le livre touche par ses détails, la douleur, le silence qui entoure le prédateur alors que d'autres ont subi et ne veulent pas parler, ou savaient mais se taisent. Un récit, mais surtout un document, à lire, bien écrit.

lundi 22 novembre 2021

Le Banquet Raphaël Enthoven Coco ( Bande dessinée France )







                            


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                                                             Le Banquet   

                                                        ( d'aptès l'oeuvre de Platon )

            La Grèce, Athènes, 4è siècle avant notre ère. Athènes battue par Sparte se remet. Parmi les ripailleurs Agathon donne un banquet. Il reçoit Aristodème entre autres qui lui confirme l'arrivée de Socrate. Mais celui-ci tarde car arrêté par ce qu'il nomme son " démon ", cette voix, qui n'en est pas une, mais l'oblige à cesser toute activité durant " enregistrement ". Car, en fait, Socrate apprend ce qu'il transmettra plus tard à ses disciples : " - Votre Socrate s'est retiré sous le porche de la maison des voisins. Il est là debout....." Socrate bouche lippue, œil globuleux, rappelle dans ses propos que sa mère était accoucheuse, cela a-t-il un rapport avec ses cours jamais écrits, comme aucun de ses discours mais transcrits plus tard par Platon, présent ce jour-là au banquet. Socrate sobre dans la vie quotidienne est gros buveur mais jamais ivre. La discussion commence sur le thème de la beauté, de l'amour. " Le tir à l'arc, la médecine, la divination, sont des trouvailles qu'Apollon doit au désir et à l'amour...... Il est envié de qui s'en voit privé, précieux à qui s'en voit comblé..... " Mais Amour est-il l'amour de quelque chose ou de rien. Et Socrate répond au discours d'Agathon et conclut l'Amour manque de beauté puisqu'il n'en possède pas.... Mais que serait l'Amour alors ? Là encore, ce serait un intermédiaire entre le mortel et l'immortel.... C'est par son entremise que les dieux nous parlent pendant notre sommeil........ " Bien, mais comment dessiner la beauté.... la beauté ne ressemble à rien de ce qui existe. " Assistent aussi à ce Banquet qui restera célèbre deux millénaires plus tard, Phèdre le poète, Aristophane pas aimable du tout avec Socrate qu'il décrit dans ses " Nuées ". Par ailleurs Alcibiade beau et jeune, très amoureux de Socrate, recherche sa présence et après un repas pris en privé, malgré les propositions et la promiscuité Socrate s'endort. Les deux faces d'Eros, l'un divin, l'autre humain, réflexions et dessins noir et blanc, quelques pages rougeoient d'autres jaunissent Raphaël Enthoven, professeur de philosophie et les dessins de Coco, burlesques et emportés font une belle bande dessinée, un beau sujet, à lire, à feuilleter, à critiquer s'il le faut, à apprécier. Très bonne lecture, pour tous.






vendredi 19 novembre 2021

Le relais Gérard de Nerval ( Poème France )

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                        Le Relais   

            En voyage, on s'arrête, on descend de voiture,
            Puis entre deux maisons on passe à l'aventure,
            Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
            L'œil fatigué de voir et le corps engourdi.

            Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
            Une vallée humide et de lilas couverte,
            Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, -
            Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !

            On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre,
            De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre,
            Et sans penser à rien on regarde les cieux...
            Hélas ! une voix crie : " En voiture, messieurs ! "

                                                                                                                          pinterest.fr   
                                          Gérard de Nerval

mercredi 17 novembre 2021

Les bijoux,Guy de Maupassant ( nouvelle France )

Marc Chagall
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                                                       Les bijoux

            M. Lantin, ayant rencontré cette jeune fille, dans une soirée, chez son sous-chef de bureau, l'amour l'enveloppa comme un filet.
            C'était la fille d'un percepteur de province, mort depuis plusieurs années. Elle était venue ensuite à Paris avec sa mère, qui fréquentait quelques familles bourgeoises de son quartier dans l'espoir de marier la jeune personne.
            Elles étaient pauvres et honorables, tranquilles et douces. La jeune fille semblait le type absolu de l'honnête femme à laquelle le jeune homme sage rêve de confier sa vie. Sa beauté modeste avait un charme de pudeur angélique, et l'imperceptible sourire qui ne quittait point ses lèvres semblait un reflet de son coeur.
            Tout le monde chantait ses louanges ; tous ceux qui la connaissaient répétaient sans fin :
            " - Heureux celui qui la prendra. On ne pourrait trouver mieux. "
            M. Lantin, alors commis principal, au ministère de l'Intérieur, aux appointements annuels de trois mille cinq cents francs, la demanda en mariage et l'épousa.
            Il fut avec elle invraisemblablement heureux. Elle gouverna sa maison avec une économie si adroite qu'ils semblaient vivre dans le luxe. Il n'était point d'attentions, de délicatesses, de chatteries qu'elle n'eût pour son mari ; et la séduction de sa personne était si grande, que six ans après leur rencontre, il l'aimait plus encore qu'aux premiers jours.
            Il ne blâmait en elle que deux goûts, celui du théâtre et celui des bijouteries fausses.
            Ses amies ( elle connaissait quelques femmes de modestes fonctionnaires ) lui procuraient à tous moments des loges pour les pièces en vogue, même pour les premières représentations ; et elle traînait, bon gré, mal gré, à ces divertissements qui le fatiguaient affreusement après sa journée de travail. Alors il la supplia de consentir à aller au spectacle avec quelque dame de sa connaissance qui la ramènerait ensuite. Elle fut longtemps à céder, trouvant peu convenable cette manière d'agir. Elle s'y décida enfin par complaisance, et il lui en sut un gré infini.
            Or ce goût pour le théâtre fit bientôt naître en elle le besoin de se parer. Ses toilettes demeuraient toutes simples, il est vrai, de bon goût toujours, mais modestes ; et sa grâce douce, sa grâce irrésistible, humble et souriante, semblait acquérir une saveur nouvelle de la simplicité de ses robes, mais elle prit l'habitude de pendre à ses oreilles deux gros cailloux du Rhin qui simulaient des diamants, et elle portait des colliers de perles fausses, des bracelets en similor, des peignes agrémentés de verroteries variées jouant les pierres fines.                                                                                          pinterest.fr
Résultat de recherche d'images pour "tableaux couPles 1900"            Son mari que choquait un peu cet amour du clinquant, répétait souvent :
            - Ma chère, quand on n'a pas le moyen de se payer des bijoux véritables, on ne se montre parée que de sa beauté et de sa grâce, voilà encore les plus rares joyaux.
            Mais elle souriait doucement et répétait :
            - Que veux-tu ? j'aime ça. C'est mon vice. Je sais bien que tu as raison ; mais on  ne se refait pas. J'aurais adoré les bijoux, moi !
            Et elle faisait rouler entre ses doigts les colliers de perles, miroiter les facettes de cristaux taillés, en répétant :
            - Mais regarde donc comme c'est bien fait. On jurerait du vrai.
            Il souriait en déclarant :                                                                             
            - Tu as des goûts de Bohémienne.
            Quelquefois, le soir quand ils demeuraient en tête à tête au coin du feu, elle apportait sur la table où ils prenaient le thé la boîte de maroquin où elle enfermait la " pacotille ", selon le mot de M. Lantin ; et elle se mettait à examiner ces bijoux imités avec une attention passionnée, comme si elle eût savouré quelque jouissance secrète et profonde ; et elle s'obstinait à passer un collier au cou de son mari pour rire ensuite de tout son coeur en s'écriant :
            - Comme tu es drôle !
            Puis elle se jetait dans ses bras en l'embrassant éperdument.
            Comme elle avait été à l'Opéra, une nuit d'hiver, elle rentra toute frissonnante de froid. Le lendemain elle toussait. Huit jours plus tard elle mourait d'une fluxion de poitrine.
            Lantin faillit la suivre dans la tombe. Son désespoir fut si terrible que ses cheveux devinrent blancs en un mois. Il pleurait du matin au soir, l'âme déchirée d'une souffrance intolérable, hanté par le souvenir, par le sourire, par la voix, par tout le charme de la morte.
            Le temps n'apaisa point sa douleur. Souvent pendant les heures du bureau, alors que les collègues s'en venaient causer un peu des choses du jour, on voyait soudain ses joues se gonfler, son nez se plisser, ses yeux s'emplirent d'eau ; il faisait une grimace affreuse et se mettait à sangloter.
            Il avait gardé intacte la chambre de sa compagne où il s'enfermait tous les jours pour penser à elle ; et tous les meubles, ses vêtements même demeuraient à leur place comme ils se trouvaient au dernier jour.
            Mais la vie se faisait dure pour lui. Ses appointements qui, entre les mains de sa femme, suffisaient aux besoins du ménage, devenaient, à présent, insuffisants pour lui tout seul. Et il se demandait avec stupeur comment elle avait sur s'y prendre pour lui faire boire toujours des vins excellents et manger des nourritures délicates qu'il ne pouvait plus se procurer avec ses modestes ressources.
            Il fit quelques dettes et courut après l'argent à la façon des gens réduits aux expédients. Un matin, enfin, comme il se trouvait sans un sou, une semaine entière avant la fin du mois, il songea à vendre quelque chose ; et tout de suite la pensée lui vint de se défaire de la " pacotille " de sa femme, car il avait gardé au fond du coeur une sorte de rancune contre ces " trompe-l'oeil " qui l'irritaient autrfois. Leur vue même, chaque jour, lui gâtait un peu le souvenir de sa bien-aimée.
            Il chercha longtemps dans le tas de clinquant qu'elle avait laissé, car jusqu'aux derniers jours de sa vie elle en avait acheté, obstinément, rapportant presque chaque soir, un objet nouveau, et il se décida pour le grand collier qu'elle semblait préférer, et qui pouvait bien valoir, pensait-il, six ou huit francs, car il était vraiment d'un travail très soigné pour du faux.
Résultat de recherche d'images pour "bijou 1900" *         Il le mit en sa poche et s'en alla vers son ministère en suivant les boulevards, cherchant une boutique de bijoutier qui lui inspirât confiance.
            Il en vit une enfin et entra, un peu honteux d'étaler ainsi sa misère et de chercher à vendre une chose de si peu de prix
           - Monsieur, dit-il au marchand, je voudrais bien savoir ce que vous estimez ce morceau.
           L'homme reçut l'objet, l'examina, le retourna, le soupesa, prit une loupe, appela son commis, lui fit tout bas des remarques, reposa le collier sur son comptoir et le regarda de loin pour mieux juger de l'effet.
            M. Lantier, gêné par toutes ces cérémonies, ouvrait la bouche pour déclarer !
           " - Oh ! Je sais bien que cela n'a aucune valeur " quand le bijoutier prononça :
           - Monsieur, cela vaut de douze à quinze mille francs ; mais je ne pourrais l'acheter que si vous m'en faisiez connaître exactement la provenance.
            Le veuf ouvrit des yeux énormes et demeura béant, ne comprenant pas. Il balbutia enfin :
            - Vous dîtes... Vous êtes sûr ?
            L'autre se méprit sur son étonnement, et, d'un ton sec
            - Vous pouvez chercher ailleurs si on vous en donne davantage. Pour moi, cela vaut, au plus, quinze mille. Vous reviendrez me trouver si vous ne trouvez pas mieux.
            M. Lantin, tout à fait idiot, reprit son collier et s'en alla, obéissant à un obscur besoin de se trouver seul et de réfléchir
            Mais, dès qu'il fut dans la rue, un besoin de rire le saisit, et il pensa :
           " L'imbécile ! Oh ! L'imbécile ! Si je l'avais pris au mot tout de même ! En voilà un bijoutier qui ne sait pas distinguer le faux du vrai ! "
            Et il pénétra chez un autre marchand à l'entrée de la rue de la Paix. Dès qu'il eut aperçu le bijou, l'orfèvre s'écria :
            - Ah ! Parbleu ; je le connais bien, ce collier : il vient de chez moi.
            M. Lantier, fort troublé, demanda :
            - Combien vaut-il ?
            - Monsieur, je l'ai vendu vingt-cinq mille. Je suis prêt à le reprendre pour dix-huit mille, quand vous m'aurez indiqué, pour obéir aux prescriptions légales, comment vous en êtes détenteur.
            Cette fois, M. Lantier s'assit perdu d'étonnement. Il reprit :
            - Mais... mais, examinez-le bien attentivement, Monsieur,j'avais cru jusqu'ici qu'il était en... en faux.
            Le joaillier reprit :
            - Voulez-vous me dire votre nom, Monsieur ?
           - Parfaitement. Je m'appelle Lantier, je suis employé au ministère de l'Intérieur, je demeure 16, rue des Martyrs.
            Le marchand ouvrit ses registres, rechercha et prononça :           pinterest.fr 
Résultat de recherche d'images pour "van dongen femme bijoux"            - Ce collier a été envoyé, en effet, à l'adresse de Madame Lantier, 16, rue des Martyrs, le 20 juillet  1876.                                              
            Et les deux hommes se regardèrent dans les yeux, l'employé éperdu de surprise, l'orfèvre flairant un voleur.
            Celui-ci reprit :
            - Voulez-vous me laisser cet objet pendant 24 heures seulement, je vais vous en donner un reçu.
            M. Lantin balbutia :
            - Mais oui, certainement. Et il sortit en pliant le papier qu'il mit dans sa poche.
            Puis il traversa la rue, la remonta, s'aperçut qu'il se trompait de route, redescendit aux Tuileries, passa la Seine, reconnut encore son erreur, revint aux Champs-Elysées sans une idée nette dans la tête. Il s'efforçait de raisonner, de comprendre. Sa femme n'avait pu acheter un objet d'une pareille valeur.
            " - Non, certes. "
            Mais alors c'était un cadeau ! Un cadeau ! Un cadeau de qui ? Pourquoi ?
            Il s'était arrêté et demeurait debout au milieu de l'avenue. Le doute horrible l'effleura.            -            " - Elle ? Mais alors tous les autres bijoux étaient aussi des cadeaux ! " Il lui sembla que la terre remuait ; qu'un arbre devant lui s'abattait ; il étendit les bras, et s'écroula, privé de sentiment.
            Il reprit connaissance dans la boutique d'un pharmacien où les passants l'avaient porté. Il se fit reconduire chez lui, et s'enferma.
            Jusqu'à la nuit il pleura éperdument, mordant un mouchoir pour ne pas crier. Puis il se mit au lit accablé de fatigue et de chagrin, et il dormit d'un pesant sommeil.
            Un rayon de soleil le réveilla, et il se leva lentement pour aller à son ministère. C'était dur de travailler après de pareilles secousses. Il réfléchit alors qu'il pouvait s'excuser auprès de son chef ; et il lui écrivit. Puis il songea qu'il fallait retourner chez le bijoutier ; et une honte l'empourpra. Il demeura longtemps à réfléchir. Il ne pouvait pourtant pas laisser le collier chez cet homme ; il s'habilla et sortit.
            Il faisait beau, le ciel bleu s'étendait sur la ville qui semblait sourire. Des flâneurs allaient devant eux, les mains dans les poches.
            Lantin se dit, en les regardant passer :
            " Comme on est heureux, quand on a de la fortune ! Avec de l'argent on peut secouer jusqu'aux chagrins, on va où l'on veut, on voyage, on se distrait ! Oh ! Si j'étais riche ! "
            Il s'aperçut qu'il avait faim, n'ayant pas mangé depuis l'avant-veille. Mais sa poche était vide, et il se ressouvint du collier. Dix-huit mille francs ! Vingt fois il faillit entrer ; mais la honte l'arrêtait toujours.
            Il avait faim pourtant, grand'faim, et pas un sou. Il se décida brusquement, et traversa la rue en courant pour ne pas se laisser le temps de réfléchir, et il se précipita chez l'orfèvre.
            Dès qu'il l'aperçut, le marchand s'empressa, offrit un siège avec une politesse souriante. Les commis eux-mêmes arrivèrent, qui regardèrent de côté Lantin, avec des gaietés dans les yeux et sur les lèvres.
            Le bijoutier déclara :
            - Je me suis renseigné, Monsieur, et si vous êtes toujours dans les mêmes dispositions, je suis prêt à vous payer la somme que je vous ai proposée.
            L'employé balbutia :
            - Mais certainement.
Selfportrait, 1895, Edvard Munch
 **         L'orfèvre tira de son tiroir dix-huit grands billets, les compta, les tendit à Lantin, qui signa un petit reçu et mit d'une main frémissante l'argent dans sa poche.
            Puis, comme il allait sortir, il se tourna vers le marchand qui souriait toujours, et, baissant les yeux :
            - J'ai...j'ai d'autres bijoux... qui me viennent... de la même succession. Vous conviendrait-il de me les acheter aussi ?
            Le marchand s'inclina :
            - Mais certainement, Monsieur. Un des commis sortit pour rire à son aise ; un autre se mouchait avec force.
            Lantin, impassible, rouge et grave, annonça :
            - Je vais vous les apporter.
            Et il prit un fiacre pour aller chercher les joyaux.
            Quand il revint chez le marchand, une heure plus tard, il n'avait pas encore déjeuné. Ils se mirent à examiner les objets pièce à pièce, évaluant chacun. Presque tous venaient de la maison.
            Lantin, maintenant, discutait les estimations, se fâchait, exigeait qu'on lui montrât les livres de vente, et parlait de plus en plus haut à mesure que s'élevait la somme.
            Les gros brillants d'oreilles valent vingt mille francs, les bracelets trente-cinq mille, les broches, bagues et médaillons seize mille, une parure d'émeraudes et de saphirs quatorze mille ; un solitaire pendu à une chaîne d'or formant collier quarante mille ; le tout atteignait le chiffre de cent quatre-vingt seize mille francs.
            Le marchand déclara avec une bonhomie railleuse :
            - Cela vient d'une personne qui mettait toutes ses économies en bijoux.
            Lantin prononça gravement :
            - C'est une manière comme une autre de placer son argent.
            Et il s'en alla après avoir décidé avec l'acquéreur qu'une contre-expertise aurait lieu le lendemain.
            Quand il se trouva dans la rue, il regarda la colonne Vendôme, avec l'envie d'y grimper, comme si c'eût été un mât de cocagne. Il se sentait léger à jouer à saute-mouton par-dessus la statue de l'empereur perché là-haut dans le ciel.
            Il alla déjeuner chez Voisin et but du vin à vingt francs la bouteille.
            Puis il prit un fiacre et fit un tour au Bois. Il regardait les équipages avec un certain mépris, oppressé du désir de crier aux passants :
            " - Je suis riche aussi, moi. J'ai deux cents mille francs ! "
            Le souvenir de son ministère lui revint. Il s'y fit conduire, entra délibérément chez son chef et annonça :
            - Je viens, Monsieur, vous donner ma démission. J'ai fait un héritage de trois cent mille francs.
            Il alla serrer la main de ses anciens collègues et leur confia ses projets d'existence nouvelle ; puis il dîna au Café Anglais.
            Se trouvant à côté d'un monsieur qui lui parut distingué, il ne put résister à la démangeaison de lui confier, avec une certaine coquetterie, qu'il venait d'hériter de quatre cent mille francs.
            Pour la première fois de sa vie il ne s'ennuya pas au théâtre, et il passa sa nuit avec des filles.
       
           Six mois plus tard il se remariait. Sa seconde femme était très honnête, mais d'un caractère difficile. Elle le fit beaucoup souffrir.

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                                                                                   Guy de Maupassant
                                                                                            ( Gil Blas 1883 )