vendredi 27 mai 2022

Satire première Denis Diderot ( Nouvelle France )

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                                                      Satire

                                                                       par M. Diderot

                                                                        Combien de sondages vivent, combien de milliers d'études

                                                              A mon ami, Monsieur Naigeon
                                         sur un passage de la 1è Satire du 2è Livre d'Horace :

                                                         Il y a ceux qui, dans la satire, semblent être trop vifs et ont tendance à travailler au-delà de la loi.

            N'avez-vous pas remarqué, mon ami, que telle est la variété de cette prérogative qui nous est propre et qu'on appelle raison, qu'elle correspond seule à toute la diversité de l'instinct des animaux ? De là vient que sous la forme bipède de l'homme il n'y a aucune bête innocente ou malfaisante dans l'air, au fond des forêts, dans les eaux, que vous ne puissiez reconnaître. Il y a l'homme loup, l'homme tigre, l'homme renard, l'homme taupe, l'homme pourceau, l'homme mouton, et celui-ci est le plus commun. Il y a l'homme anguille ; serrez-le tant qu'il vous plaira, il vous échappera. L'homme brochet, qui dévore tout ; l'homme serpent, qui se replie en cent façons diverses ; l'homme ours, qui ne me déplaît pas ; l'homme aigle, qui plane aux hauts des cieux ; l'homme corbeau ; l'homme épervier ; l'homme et l'oiseau de proie. Rien de plus rare qu'un homme qui soit homme de toute pièce ; aucun de nous qui ne tienne un peu de son analogue animal.
            Aussi, autant d'hommes, autant de cris divers.
            Il y a le cri de la nature, et je l'entends lorsque Sara dit du sacrifice de son fils ;
            " Dieu ne l'eut jamais demandé à sa mère ".
             Lorsque Fontenelle, témoin des progrès de l'incrédulité, dit :
             " Je voudrais bien y être dans soixante ans, pour voir ce que cela deviendra. "
              Il ne voulait qu'y être. On ne veut pas mourir, et on finit toujours un jour trop tôt. Un jour de plus, et l'on eût découvert la quadrature du cercle.
            Comment se fait-il que dans les arts d'imitation ce cri de nature qui nous est propre soit si difficile à trouver ? Comment se fait-il que le poète qui l'a trouvé nous étonne et nous transporte ? Serait-ce qu'alors il nous révèle le secret de notre cœur ?
            Il y a le cri de la passion, et je l'entends encore dans le poète lorsque Hermione dit à Oreste :
            " Qui te l'a dit ? lorsqu'à Ils ne se verront plus, Phèdre répond Ils s'aimeront toujours ; à côté de moi, lorsqu'au sortir d'un sermon éloquent sur l'aumône, l'avare dit :
            " Cela donnerait envie de demander ";
             lorsqu'une maîtresse surprise en flagrant délit, dit à son amant :
             " Ah ! vous ne m'aimez plus, puisque vous en croyez plutôt ce que vous avez vu que ce que je vous dis ;
            lorsque l'usurier agonisant dit au prêtre qui l'exhorte :
            " Ce crucifix, en conscience, je ne saurais prêter là-dessus plus de cent écus, encore faut-il m'en passer un billet de vente. "

            Il y eut un temps où j'aimais la musique et surtout l'opéra. J'étais un jour à l'Opéra entre l'abbé de Cannaye que vous connaissez, et un certain Montbron, auteur de quelques brochures où l'on trouve beaucoup de fiel et peu, très peu de talent. Je venais d'entendre un morceau pathétique dont les paroles et la musique m'avaient transporté. Alors nous ne connaissions pas Pergolèse, et Lulli était un homme sublime pour nous. Dans le transport de mon ivresse je saisis mon voisin Montbron par le bras et lui dis
            - Convenez, Monsieur, que cela est beau. 
            L'homme au teint jaune, aux sourcils noirs et touffus, à l'œil féroce et couvert, me répond :
            - Vous ne sentez pas cela ?
            - Non, j'ai le cœur velu...
            Je frissonne, je m'éloigne du tigre à deux pieds ; je m'approche de l'abbé de Cannaye et lui adressant la parole :
            - Monsieur l'abbé, ce morceau qu'on vient de chanter comment vous a-t-il paru ?
            L'abbé me répond froidement et avec dédain :
            - Mais assez bien, pas mal.
            - Et vous connaissez quelque chose de mieux ?
            - D'infiniment mieux.
            - Qu'est-ce donc ?
            - Certains vers qu'on a faits sur ce pauvre abbé Pellegrin :
                                                 Sa culotte attachée avec une ficelle
                                                  Laisse voir par cent trous un trou plus noir qu'icelle
               C'est là ce qui est beau !
               Combien de ramages divers, combien de cris discordants dans la seule forêt qu'on appelle société.
            - Allons ! prenez cette eau de riz.
            - Combien a-t-elle coûté ?
            - Peu de chose.                                                        europeanscientist.com
            - Mais encore combien ?
            - Cinq ou six sous peut-être.
            - Et qu'importe que je périsse de mon mal, ou par le vol et les rapines ?
            - Vous qui aimez tant à parler, comment écoutez-vous cet homme si longtemps ?
            - J'attends ; s'il tousse ou s'il crache, il est perdu.
            - Quel est cet homme assis à votre droite ?
            - C'est un homme d'un grand mérite et qui écoute comme personne. Celui-ci dit au prêtre qui lui annonçait la visite de son Dieu : " Je le reconnais à sa monture : c'est ainsi qu'il entra dans Jerusalem... Celui-là, moins caustique, s'épargne dans ses derniers moments l'ennui de l'exhortation du vicaire qui l'avait administré, en lui disant : " Monsieur, ne vous serais-je plus bon à rien ?..." Et voilà le cri de caractère.
            Méfiez-vous de l'homme singe. Il est sans caractère, il a toutes sortes de cris.
            - Cette démarche ne vous perdra pas vous, mais elle perdra votre ami.
            - Eh, que m'importe, pourvu qu'elle me sauve.
            - Mais votre " ami " ? 
            - Mon ami tant qu'il vous plaira ; moi d'abord.
            - Croyez-vous, Monsieur l'abbé, que madame Geoffrin vous reçoive chez elle avec grand plaisir? 
            - Qu'est-ce que cela me fait, pourvu que je m'y trouve bien ?... Regardez cet homme-ci, lorsqu'il entre quelque part ; il a la tête penchée sur sa poitrine, il s'embrasse, il se serre étroitement pour être plus près de lui-même. Vous avez vu le maintien et vous avez entendu le cri de l'homme personnel, cri qui retentit de tout côté. C'est un des cris de la nature.
           - J'ai contracté ce pacte avec vous, il est vrai : mais je vous annonce que je ne le tiendrai pas.
           - Monsieur le Comte, vous ne le tiendrez pas ! et pourquoi cela, s'il vous plaît ?
           - Parce que je suis le plus fort...
           - Le cri de la force est encore un des cris de la nature..
           - Vous penserez que je suis un infâme, je m'en moque...
           - Voilà le cri de l'impudence.
           - Mais ce sont, je crois, des foies d'oies de Toulouse ?
           - Excellents ? Délicieux ? 
           - Eh ! que n'ai-je la maladie dont ce serait là le remède !
           - Et c'est là l'exclamation d'un gourmand qui souffrait de l'estomac.
           En les croquant, Seigneur, vous leur fîtes beaucoup d'honneur...  Et voilà le cri de la flatterie, de la bassesse et des cours. Mais ce n'est pas tout.
            Le cri de l'homme prend encore une infinité de formes diverses de la profession qu'il exerce. Souvent elles déguisent l'accent du caractère.
            Lorsque Ferrein dit : " Mon ami tomba malade, je le traitai, il mourut, je le disséquai ; Ferrein fut-il un homme dur ? Je l'ignore.
            - Docteur, vous arrivez bien tard.
            - Il est vrai. Cette pauvre mademoiselle de Thé n'est plus.
            - Elle est morte !
            -  Oui. Il a fallu assister à l'ouverture de son corps : je n'ai jamais eu plus grand plaisir de ma vie... Lorsque le Docteur parlait ainsi était-il un homme dur ? Je l'ignore. L'enthousiasme de métier, vous savez ce que c'est, mon ami. La satisfaction d'avoir deviné la cause secrète de la mort de Mlle de Thé fit oublier au Docteur qu'il parlait de son amie. Le moment de l'enthousiasme passé, le Docteur pleura-t-il son amie ? Si vous me le demandez, je vous avouerai que je n'en crois rien.
            Tirez, tirez, il n'est pas ensemble. Celui qui tient ce propos d'un mauvais christ qu'on approche de sa bouche n'est point un impie. Son mot est de son métier, c'est celui d'un sculpteur agonisant            
            Ce plaisant abbé de Cannaye, dont je vous ai parlé, fit une petite satire bien amère et bien gaie des petits dialogues de son ami Raymond de Saint-Mard. Celui-ci qui ignorait que l'abbé fut l'auteur de la satire, se plaignait un jour de cette malice à une de leurs meilleures amies. Tandis que Saint-Mard, qui avait la peau tendre, se lamentait outre mesure d'une piqûre d'épingle, l'abbé, placé derrière lui et en face de la dame s'avouait auteur de la satire et se moquait de son ami en tirant la langue. Les uns disaient que le procédé de l'abbé était malhonnête, d'autres n'y voyaient qu'une espièglerie. Cette question de morale fut portée au tribunal de l'érudit abbé Fenel, dont on ne put jamais obtenir d'autre décision, sinon que c'était un usage chez les anciens Gaulois de tirer la langue...
            Que conclurez-vous de là ? Que l'abbé de Cannaye était un méchant ? Je le crois. Que l'autre abbé était un sot ? Je le nie. C'était un homme qui avait consumé ses yeux et sa vie à des recherches d'érudition, et qui ne voyait rien dans ce monde de quelque importance en comparaison de la restitution d'un passage ou de la découverte d'un ancien usage. C'est le pendant du géomètre qui fatigué des éloges dont la capitale retentissait lorsque Racine donna son Iphigénie, voulut lire cette Iphigénie si vantée. Il prend la pièce, il se retire dans un coin ; il lit une scène, deux scènes, à la troisième il jette le livre en disant : " Qu'est-ce que cela prouve ?... C'est le jugement et le mot d'un homme accoutumé dès ses jeunes années à écrire à chaque bout de page : Ce qu'il fallait démontrer.
            On se sent ridicule, mais on n'est ni ignorant ni sot, moins encore méchant, pour ne voir jamais que la pointe de son clocher.
            Me voilà tourmenté d'un vomissement périodique, je verse des flots d'une eau caustique et limpide. Je m'effraie, j'appelle Thierry. Le docteur regarde en souriant le fluide que j'avais rendu par la bouche et qui remplissait toute une cuvette
            - Eh bien, Docteur, qu'est-ce qu'il y a ?
            - Vous êtes trop heureux ; vous nous avez restitué la pituite vitrée des Anciens que nous avions perdue...
            Je souris à mon tour, et n'en estimai ni plus ni moins le docteur Thierry.
            Il y a tant et tant de mots de métier, que je fatiguerais à périr un homme plus patient que vous, si je voulais vous raconter ceux qui se présentent à ma mémoire en vous écrivant. Lorsqu'un monarque qui commande lui-même ses armées, dit à des officiers qui avaient abandonné une attaque où ils auraient tous perdu la vie sans aucun avantage : " Est-ce que vous êtes faits pour autre chose que pour mourir ?... il dit un mot de métier.
            Lorsque des grenadiers sollicitent auprès de leur général la grâce d'un de leurs braves camarades surpris en maraude, et lui disent : " Notre général, remettez-le entre nos mains, Vous le voulez faire mourir ; nous savons punir plus sévèrement un grenadier : il n'assistera point à la première bataille que vous gagnerez... ils ont l'éloquence de leur métier, éloquence sublime !
            Malheur à l'homme de bronze qu'elle ne fléchit pas ! Dites-moi, mon ami, eussiez-vous fait pendre ce soldat si bien défendu par ses camarades ? Non. Ni moi non plus.
            - Sire, et la bombe ?
            - Qu'a de commun la bombe avec ce que je vous ai dicté ?
            - Le boulet a emporté la timbale, mais le riz n'y était pas...
            - C'est un roi qui a dit le premier de ces mots, c'est un soldat qui a dit le second, mais ils sont l'un et l'autre d'une âme ferme ; ils n'appartiennent point à l'état.
            Y étiez-vous lorsque le castrat Caffarelli nous jetait dans un ravissement que ni ta véhémence, Démosthène ! ni ton harmonie, Cicéron ! ni l'élévation de ton génie, ô Corneille ! ni ta douceur, Racine! ne nous firent jamais éprouver ? Non, mon ami, vous n'y étiez pas. Combien de temps et de plaisir nous avons perdu sans nous connaître ! Caffarelli a chanté ; nous restons stupéfaits d'admiration. Je m'adresse au célèbre naturaliste d'Aubenton, avec lequel je partageais un sofa... Eh bien docteur, qu'en dites vous?             
             - Il a les jambes grêles, les genoux ronds, les cuisses grosses, les hanches larges ; soit qu'un être privé des organes qui caractérisent son sexe affecte la conformation du sexe opposé...
            - Mais cette musique angélique !...                                                              arnaud-kasper.fr 
            - Pas un poil de barbe au menton...
            - Ce goût exquis, ce sublime pathétique, cette voix !
            - C'est une voix de femme.
            - C'est la voix la plus belle, la plus égale, la plus flexible, la plus juste, la plus touchante !... Tandis que le virtuose nous faisait fondre en larmes, d'Aubenton l'examinait en naturaliste.
            L'homme qui est tout entier à son métier, s'il a du génie, devient un prodige ; s'il n'en a point, une application opiniâtre l'élève au-dessus de la médiocrité. Heureuse la société où chacun serait à sa chose, et ne serait qu'à sa chose ! Celui qui disperse ses regards sur tout, ne voit rien ou voit mal ; il interrompt souvent et contredit celui qui parle et qui a bien vu.
            Je vous entends d'ici, et vous vous dites : Dieu soit loué ! J'en avais assez de ces cris de nature, de passion, de caractère, de profession, et m'en voilà quitte... Vous vous trompez, mon ami. Après tant de mots malhonnêtes ou ridicules, je vous demanderai grâce pour un ou deux qui ne le soient pas.
            Chevalier, quel âge avez-vous ?
            - Trente ans.
            - Moi j'en ai vingt-cinq, eh bien, vous m'aimeriez une soixantaine d'années ce n'est pas la peine de commencer pour si peu...
            - C'est le mot d'une bégueule.
            - Le vôtre est d'un homme sans mœurs, c'est le mot de la gaieté, de l'esprit et de la vertu. Chaque sexe a son ramage, celui de l'homme n'a ni la légèreté, ni la délicatesse, ni la sensibilité de celui de la femme. L'un semble toujours commander et brusquer ; l'autre se plaindre et supplier... Et puis celui du célèbre Muret, et je passe à d'autres choses.
            Muret tombe malade en voyage ; il se fait porter à l'hôpital. On le place dans un lit voisin du grabat d'un malheureux attaqué d'une de ces infirmités qui rendent l'art perplexe. Les médecins et les chirurgiens délibèrent sur son état. Un des consultants propose une opération qui pouvait également être salutaire ou fatale. Les avis se partagent. On inclinait à livrer le malade à la décision de la nature, lorsqu'un plus intrépide dit : Facimus experimentum in anima vili. Voilà le cri de la bête féroce. Mais d'entre les rideaux qui entouraient Muret s'élève le cri de l'homme, du philosophe, du chrétien : Tanquam foret anima vilis, illa pro quä Christus non dedignatus est mori ! *... Ce mot empêcha l'opération, et le malade guérit.
            A cette variété du cri de la nature, de la passion, du caractère, de la profession joignez le diapason des mœurs nationales, et vous entendrez le vieil Horace dire de son fils, Qu'il mourut, et les Spartiates dire d'Alexandre : Puisque Alexandre veut être Dieu, qu'il soit Dieu. Ces mots ne désignent pas le caractère d'un homme, ils marquent l'esprit général d'un peuple.
            Je ne vous dirai rien de l'esprit et du ton des corps. Le clergé, la noblesse, la magistrature, ont chacun leur manière de commander, de supplier et de se plaindre. Cette manière est traditionnelle. Les membres deviennent vils et rampants, le corps garde sa dignité. Les remontrances de nos parlements n'ont pas toujours été des chefs-d'oeuvre, cependant Thomas, l'homme de lettres le plus éloquent, l'âme la plus fière et la plus digne, ne les aurait pas faites ; il ne serait pas demeuré en-deçà, mais il serait allé au-delà de la mesure.
            Et voilà pourquoi, mon ami, je ne me presserai jamais de demander quel est l'homme qui entre dans un cercle. Souvent cette question est impolie, presque toujours elle est inutile. Avec un peu de patience et d'attention, on n'importune ni le maître ni la maîtresse de maison, et l'on se ménage le plaisir de deviner.
            Ces préceptes ne sont pas de moi, ils m'ont été dictés par un homme très fin, et il en fit en ma présence l'application chez Mlle D***, la veille de mon départ pour le grand voyage, que j'ai entrepris en dépit de vous. Il survint sur le soir un personnage qu'il ne connaissait pas ; mais ce personnage ne parlait pas haut, il avait de l'aisance dans le maintien, de la pureté dans l'expression et une politesse froide dans les manières. C'est, me dit-il à l'oreille, un homme qui tient à la cour... Ensuite il remarqua qu'il avait presque toujours la main droite sur la poitrine, les doigts fermés et les ongles en-dehors... Ah ! ah ! ajouta-t-il, c'est un exempt des gardes du corps, et il ne lui manque que sa baguette. Peu de temps après, cet homme conte une petite histoire.
            " Nous étions quatre, dit-il, madame et monsieur tels, madame de*** et moi. Sur cela mon instituteur continua : Me voilà entièrement au fait. Mon homme est marié, la femme qu'il a placée la troisième est sûrement la sienne, et il m'a appris son nom en la nommant.   
            Nous sortîmes ensemble de chez Mlle D*** L'heure de la promenade n'était pas encore passée ; il me propose un tour aux Tuileries, j'accepte. Chemin faisant, il me dit beaucoup de choses déliées et conçues dans des termes fort déliés ; mais comme je suis bon homme, bien uni, bien rond, et que la subtilité de ses observations m'en dérobait la vérité, je les priai de les éclaircir par quelques exemples. Les esprits bornés ont besoin d'exemples. Il eut cette complaisance et me dit :
            " Je dînais un jour chez l'archevêque de Paris. Je ne connais guère le monde qui va là, je m'embarrasse même peu de le connaître, mais son voisin, celui à côté duquel on est assis, c'est autre chose. Il faut savoir avec qui l'on cause, et pour y réussir il n'y a qu'à laisser parler et réunir les circonstances. J'en avais un à déchiffrer à ma droite. D'abord l'archevêque, lui parlant peu et assez sèchement, ou il n'est pas dévot, me dis-je, ou il est janséniste... Un petit mot sur les jésuites m'apprend que c'est le dernier. On faisait un emprunt pour le clergé ; j'en prends occasion d'interroger mon homme sur les ressources de ce corps. Il me les développe très bien, se plaint de ce qu'ils sont surchargés, fait une sortie contre le ministre de la finance, ajoute qu'il s'en est expliqué clairement en 1750 avec le contrôleur général. Je vois donc qu'il a été agent du clergé. Dans le courant de la conversation, il me fait entendre qu'il ne tenait qu'à lui d'être évêque. Je le crois homme de qualité. Mais comme il se vante plusieurs fois d'un vieil oncle lieutenant-général et qu'il ne dit pas un mot de son père, je suis sûr que c'est un homme de fortune qui a dit une sottise. Comme il me conte les anecdotes scandaleuses de huit ou dix évêques, je ne doute pas qu'il ne soit méchant. Enfin il a obtenu, malgré bien des concurrents l'intendance de ***  pour son frère... Vous conviendrez que si l'on m'eût dit, en me mettant à table, c'est un janséniste, sans naissance, insolent, intriguant, qui déteste ses confrères, qui en est détesté, enfin c'est l'abbé de ***, on ne m'aurait rien appris de plus que ce que j'en ai su, et qu'on m'aurait privé du plaisir de la découverte.  
            La foule commençait à s'éclaircir dans la grande allée. Mon homme tira sa montre, et me dit :
            - Il est tard, il faut que je vous quitte, à moins que vous ne veniez souper avec moi.
            - Où ?
            - Ici près, chez Arnould.
            - Je ne la connais pas.                                                                                         pinterest.com
            - Est-ce qu'il faut connaître une fille pour aller souper chez elle ? Du reste, c'est une créature charmante, qui a le ton de son état et celui du grand monde. Venez, vous vous amuserez.
            - Non, je vous suis obligé ; mais, comme je vais de ce côté, je vous accompagnerai jusqu'au cul-de-sac Dauphin... 
            Nous allons et en allant il m'apprend quelques plaisanteries cyniques d'Arnould, et quelques-uns de ses mots ingénus et délicats. Il me parle de tous ceux qui fréquentent là, et chacun d'eux eut son mot... Appliquant à cet homme les mêmes principes que j'en avais reçus moi, je vois qu'il fréquente dans de la bonne et de la mauvaise compagnie.
            - Ne fait-il pas des vers, me demandez-vous ?
            - Très bien.
            - N'a-t-il pas été lié avec le maréchal de Richelieu ?
            - Intimement.
            - Ne fait-il pas sa cour à la comtesse d'Egmont ? 
            - Assidument.
            - N'y a-t-il pas sur son compte ?...
            - Oui, une certaine histoire de Bordeaux, mais je n'y crois pas. On est si méchant dans ce pays-ci, on y fait tant de contes, il y a tant de coquins intéressés à multiplier le nombre de leurs semblables !
            - Vous a-t-il lu sa Révolution de Russie ?
            - Oui.
            - Qu'en pensez-vous ?
            - Que c'est un roman historique assez bien écrit et très intéressant, un tissu de mensonges et de vérités que nos neveux compareront à un chapitre de Tacite.
            Et voilà, me direz-vous, qu'au lieu de vous avoir éclairci un passage d'Horace, je vous ai presque fait une satire à la manière de Perse.
            - Il est vrai.
            - Et que vous croyez que je vous en tiens quitte ?
            - Non.
            - Vous connaissez Burigny ?
            - Qui ne connait pas l'ancien, l'honnête, le savant et fidèle serviteur de madame Geoffrin ? C'est un très bon et savant homme.
            - Un peu curieux.
            - D'accord.
            - Fort gauche.
            - Il en est d'autant meilleur. Il faut toujours avoir un petit ridicule qui amuse nos amis... Eh bien, Burigny. Je causais avec lui, je ne sais plus de quoi. Le hasard voulut qu'en causant, je touchai sa corde favorite, l'érudition ; et voilà mon érudit qui m'interrompt et se jette dans une digression qui ne finissait pas.                                                                                                                               pinterest.fr 
            - Cela lui arrive tous les jours, et jamais sans qu'on en soit plus  instruit.
            - Et qu'un endroit d'Horace, qui m'avait paru maussade, devient pour moi d'un naturel charmant et d'une finesse exquise.
            - Et cet endroit ?
            - C'est celui où le poète prétend qu'on ne lui refusera pas une indulgence qu'on a bien accordée à Lucilius, son compatriote. Soit que Lucilius fut Apulien ou Lucanien, dit Horace, je marcherai sur ses traces.
            - Je vous entends, et c'est dans la bouche de Trébatius, dont Horace a touché le texte favori, que vous mettez cette longue discussion sur l'histoire ancienne des deux contrées. Cela est bien et finement vu.
            - Quelle vraisemblance, à votre avis, que le poète sût ces choses ! Et, quand il les aurait sues, qu'il eût assez peu de goût pour quitter son sujet, et se jeter dans un fastidieux détail d'antiquités !
            - Je pense comme vous.
            - Horace dit : Sequor hunc, Lucanus an Appulus. L'érudit Trébatius prend la parole à anceps, et dit à Horace : " Ne brouillons rien. Vous n'êtes ni de la Pouille, ni de Lucanie ; vous êtes de Venouse, qui laboure sur l'un et l'autre finage. Vous avez pris la place des Sabelliens après leur expulsion. Vos ancêtres furent placés là comme une barrière qui arrêtât les incursions des Lucaniens et des Apuliens. Ils remplirent cet espace vacant, et firent la sécurité de notre territoire contre deux violents ennemis. C'est du moins une tradition très vieille. "
            - L'érudit Trébatius, toujours érudit, instruit Horace sur les chroniques surannées de son pays. Et l'érudit Burigny, toujours érudit, m'explique un endroit difficile d'Horace, en m'interrompant précisément comme le poète l'avait été par Trébatius. 
            - Et vous partez de là, vous, pour me faire un long narré des mots de nature et des propos de passion, de caractère et de profession ?
            - Il est vrai. Le tic d'Horace est de faire des vers, le tic de Trébatius et de Burigny, de parler antiquité, le mien de moraliser, et le vôtre...
            - Je vous dispense de me le dire, je le sais.
            - Je me tais donc. Je vous salue, je salue tous nos amis de la rue Royale et de la cour de Marsan, et me recommande à votre souvenir qui m'est cher.. A quelques-unes de vos heures perdues, je voudrais que vous lussiez l'ode troisième du IIIè livre............
            Les confins des villes sont fréquentés par les poètes qui y cherchent la solitude, et par les cordiers qui y trouvent un long espace pour filer leur corde. Collecta pecunia, c'est la filasse entassée dans leur tablier. Alternativement elle obéit au cordier et commande au chariot. Elle obéit quand on la file ; elle commande quand on la tord. Pour la seconde manœuvre, la corde filée est accrochée d'un bout à l'émerillon du rouet et de l'autre à l'émerillon du chariot, instrument assez semblable à un petit traîneau. Ce traîneau est chargé d'un gros poids qui en ralentit la marche qui est en sens contraire de celle du cordier. Le cordier qui file s'éloigne à reculons du rouet, le chariot qui tord s'en approche. A mesure que la corde filée se tord par le mouvement du rouet, elle se raccourcit, et en se raccourcissant, tire le chariot vers le rouet. Horace nous fait donc entendre que l'argent ainsi que la filasse doit faire la fonction du chariot et non celle du cordier, suivre la corde torse et non la filer, rendre notre vie plus ferme, plus vigoureuse, mais non la diriger. Le choix et l'ordre des mots employés par le poète indiquent l'emprunt métaphorique d'une manœuvre qu'il avait sous les yeux et dont son goût exquis a sauvé la bassesse.


*   Faisins essai sur une âme vile ( traduction Diderot ) - Comme si elle était vile, cette âme pour laquelle le Christ n'a pas dédaigné de mourir ! ( traductions in Classiques de Poche )


                                                  Diderot
                                                                   ( première publication 1778 )











































               
            
















 
            
        












































                                                                                                                                           

                                                 

mercredi 25 mai 2022

Gagner n'est pas jouer Harlan Coben ( Roman Policier Etats-Unis )

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                                                 Gagner n'est pas jouer

     Windsor III Lockwood mène une vie d'américain richissime, appartement au Dakota, avec vue sur Central Park et bureaux proches. Son secrétaire Kébir, turban et jean, gère un mélange de vie privée et vie professionnelle. Né près de Philadelphie, Win retourne souvent dans la propriété où vit son père presque reclus mais où il joue au golf sur son terrain privé. Très bon joueur, très concentré, ce qui donne à l'auteur le plaisir de détailler au long de l'histoire les termes techniques du practice au club. Ce jour-là Win est rappelé à New-York par PP, son mentor (?), agent très secret du FBI. Un homme a été découvert assassiné dans un appartement de la tour Beresford, devant Central Park. Dans l'appartement, mal et peu entretenu, un tableau au mur, un Vermeer, et dans un recoin une valise aux initiales de Win Lockwood. Win, par ailleurs, agent occasionnel et très secret du FBI. Ecrit à la première personne, Win se décrit célibataire, mais "père d'Ema sa fille biologique ", homme plutôt malingre, rougeaud et tignasse blonde, mais féroce au combat, violent parfois. Valise et tableau d'une très grande valeur, appartenant à une famille très riche, cette richesse est relevée tout au long du livre, c'est d'ailleurs l'un des thèmes avec les jeux libératoires des nouvelles et folles libertés qu'avait découverts la jeunesse des années 70. Cependant si l'emploi de cocktails Molotov paraissait normal, à certains jeunes, ici le groupe des 6, l'homosexualité était soigneusement cachée. Mais l'enquête, le meurtre ont lieu en 2011 et Win  enquête et découvre un côté sordide de certains membres de sa famille entre autres. Win donne rendez-vous, passe-droit pour riches, minimum cent millions de dollars, au Saks, ascenseur privé, secret et anonymat, à des femmes du même milieu et notées. Roman noir mais traité avec une certaine légèreté, roman contemporain, où le héros de l'histoire, tente de trouver une morale confortable. Bonne lecture de ce roman policier d'Harlan Coben, un des auteurs les plus lus. M. 




jeudi 19 mai 2022

Brassens Jeanne et Joha Maryline Martin ( Document France )











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                                                             Brassens Jeanne et Joha 

            Il aurait fêté un siècle de vie quelques mois plus tôt. Né le 2 octobre 1921, à Sète. La guerre le surprit à Paris où il commença à produire textes et musique grattée sur sa guitare. Il trouva le gîte chez une parente, et entre Plaisance et Alésa rencontra Jeanne, sa Jeanne, la Jeanne de la chanson, et la bibliothèque du 14è  arrondissement qu'il fréquenta assidument. Jeanne, son aînée de quelques décennies, le cacha, le nourrit, fut sa mère, sa compagne, dans l'inconfort du logement et la sévérité du rationnement. A la sortie du métro Alésia il croisa Joha, mais ils ne se parlèrent que passées les années de guerre. Joha était juive, estonienne. La vie fut difficile pour elle. De plus elle dut s'accommoder du partage, Brassens ne quitta jamais Jeanne et les copains des premières années de galère. Puis, alors qu'il pensait qu'un chanteur choisirait certaines de ses chansons, Patachou la première lui offrit de chanter dans son cabaret, à Montmartre. Elle-même enregistra, entre autres, Les bancs publics. Acceptés enfin, textes et musique, ce fut le début des tournées. Et d'une première maladie. Victime de coliques néphritiques. Les calculs ne le lâchèrent qu'après avoir subi des opérations. Joha et Jeanne surmontèrent l'épisode Patachou, se contentant de se jalouser l'une l'autre, c'est ainsi que décrit l'auteur dans la présentation de la vie d'inoubliables chansons. Vie romancée mais très proche de la réalité. Brassens enregistre, radio RTL, Europe 1, tourne Porte des Lilas et s'installe à la campagne dans un premier temps, puis s'éloigne et achète Lézardrieux, pas très éloigné de Paimpol chère à Jeanne. Avec Joha, mais chambres séparées, chacun ses aises et ses moments de solitude. Et malgré l'air marin et l'amour de ceux qu'il a chantés, Les copains d'abord, la maladie sournoise, un cancer, eut raison de celui que les femmes en particulier décrivaient comme grand, fort. Il souffrit beaucoup. Il mourut le 29 octobre 1981. Dix-huit ans plus tard celle qu'il appelait Püpchen, Joha, mourut à son tour et fut enterrée dans le caveau des Brassens, à Sète, au cimetière du Py, qui n'est pas celui du bord de mer. Bonne lecture, bonnes musiques. Souvenirs heureux d'un chanteur bon homme, et textes devenus des classiques Agréable lecture malgré les souffrances que nombre de personnages qui vécurent dans son entourage étaient blessés 








lundi 16 mai 2022

Mains Paul Verlaine ( Poème France )

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                                 Mains

           Ce ne sont pas des mains d'altesse,
            De beau prélat quelque peu saint,
            Pourtant une délicatesse
            Y laisse son galbe succinct.

            Ce ne sont pas des mains d'artiste,
            De poète proprement dit,
            Mais quelque chose comme triste
            En fait comme un groupe en petit ;

            Car les mains ont leur caractère,
            C'est tout un monde en mouvement
            Où le pouce et l'auriculaire
            Donnent les pôles de l'aimant.

            Les météores de la tête
            Comme les tempêtes du cœur,
            Tout s'y répète et s'y reflète
            Pour un don logique et vainqueur.

            Ce ne sont pas non plus les palmes
            D'un rural ou d'un faubourien ;
            Encor leurs grandes lignes calmes
            Disent " Travail qui ne doit rien ".

            Elles sont maigres, longues, grises,
            Phalange large, ongle carré.
            Tels en ont aux vitraux d'églises
            Les saints sous le rinceau doré,

            Ou tels quelques vieux militaires                                                               spreadshirt.fr  
            Déshabitués des combats
            Se rappellent leurs longues guerres
            Qu'ils narrent entre haut et bas

            Ce soir elles ont, ces mains sèches,
            Sous leurs rares poils hérissés,
            Des airs spécialement rêches,
            Comme en proie à d'âpres pensers.

            Le noir souci qui les agace,
            Leur quasi-songe aigre les font
            Faire une sinistre grimace
            A leur façon, mains qu'elles sont.

            J'ai peur à les voir sur la table
            Préméditer là, sous mes yeux,
            Quelque chose de redoutable,
            D'inflexible et de furieux.

            La main droite est bien à ma droite,
            L'autre à ma gauche, je suis seul.
            Les linges dans la chambre étroite
            Prennent des aspects de linceul,

            Dehors le vent hurle sans trêve,
            Le soir descend insidieux...
            Ah ! si ce sont des mains de rêve,
            Tant mieux, ou tant pis, ou tant mieux.


                                  Verlaine
           

jeudi 12 mai 2022

Jalousie II Cesare Pavese ( Poème Italie )

 

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                                           Jalousie II

            Le vieil homme a sa terre le jour, et la nuit
            une femme qui est à lui, qui l'était hier encore.
            Il aimait la découvrir, comme on ouvre la terre,
            et longuement la regarder, étendue en attente,
            dans l'ombre. La femme souriait les yeux clos.

            Le vieil homme est assis cette nuit sur le bord
            de son champ découvert ; il n'épie pas au loin
            la tache de la haie, il n'étend pas la main
            pou arracher une herbe. Il contemple entre les sillons
            une pensée brûlante. La terre révèle si quelqu'un
            l'a touchée de ses mains et s'il l'a saccagée :
            ça se voit même la nuit. Mais aucune femme vivante
            ne conserve la trace de l'étreinte de l'homme.

            Le vieil homme a remarqué que la femme sourit                              
            seulement les yeux clos, quand couchée elle attend,
            et il comprend soudain que sur son jeune corps
            passe en rêve l'étreinte d'un autre souvenir.

            Le vieil homme dans l'ombre n'aperçoit plus le champ.
            Se jetant à genoux, il a étreint la terre
            comme si elle était une femme et qu'elle savait parler.
            Mais, étendue dans l'ombre, la femme ne parle pas.

            Là où elle est étendue les yeux clos, la femme cette nuit,
            ne parle ni ne sourit, et sa bouche se tord
            vers l'épaule livide : sur son corps
            elle révèle enfin l'étreinte d'un homme ; la seule
            qui pût la marquer, effaçant son sourire.


                                               Pavese

                                                        ( 1937 )
    

lundi 9 mai 2022

Elle ne m'a jamais quitté Dominique Farrugia ( Document France )

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                                         Elle ne m'a jamais quitté 

            Jamais, la SEP, la sclérose en plaques. Dominique Farrugia déjà connu pour être l'un des membres des Nuls œuvrant avec succès sur Canal+, est jeune encore, 26 ans environ lorsque les prémices de la maladie se manifestent. Il restera longtemps dans le déni, cette maladie ne le concerne pas, elle le consomme par poussées, et lui avance dans son ascension au sein du show-bizness, télé-cinéma-producteur-réalisateur et père de deux petites filles, Mia et Zoé. Farrugia, petit parisien, grandit au pied de Pigalle, dans le petit logement au-dessus du restaurant que tient sa mère. Son père musicien, il jouait en Algérie puis en France, les bals, toujours absent, il a aussi un petit frère. Il ne devint pas musicien comme son père le souhaitait, redouble souvent les primaires, lit tout ce que lui propose le marchand de presse où il a un compte ouvert, même si ses parents lui refusent un vêtement neuf. Sa mère lit au hasard, il fait de même. Ses études s'arrêtent à dix-sept ans. Le jeune homme cherche comme presque toujours à cet âge, le hasard le fait entrer à Europe1, à RTL. Dominique Farrugia répond au téléphone, et l'ambiance lui plait tant, et le hasard des rencontres, Alain Chabat, Pierre Lescure, André Rousselet et la création de Canal+, l'installent. Mais la maladie est là, "..... Pierre Lescure et Alain de Greef me chérissent, j'ai peur qu'ils me mettent à l'arrêt ou du moins me demandent de lever le pied, car je suis persuadé que c'est cela qui me tuerait, pas la sclérose en plaques...... C'est à cette époque que je commence à mentir à ceux qui m'interrogent....... j'avance avec difficulté....... " Et Farrugia détaille les avancées du mal, et ses succès. Et il consomme tout ce que la vie lui propose, le travail certes, très vite en chaise roulante, et manger et boire et autres consommations tout à fait nocives. Farrugia tourne La Cité de la Peur, Trafic d'influence, Bis, Marquis. Thierry Lhermitte, Jugnot, Richard Berry, et d'autres sont ses interprètes. Le livre est court mais très dense. Producteur de 25 films, créateur de deux chaîne de télévision Comédie et une chaîne de Cuisine. Mais lui-même pèse 120 kilos, entreprend un régime yaourts allégés sans sucre et légumes-vapeur, car la maladie l'oblige à faire appel à ambulanciers ou pompiers, la maladie est présente depuis trente ans, il l'admet au centre de toute sa vie, entre l'histoire de deux productions. La toute dernière part du livre est revendicatif. Farrugia réclame et constate, les ascenseurs trop étroits, les restaurants et musées, bureaux de poste, trottoirs trop souvent impraticables aux fauteuils roulants. Et il compare avec Londres, New York. Un bon livre. Et de s'interroger, ce mal de dos serait-il.... Cette boutique ne pourrait-elle ajouter une rampe à l'entrée...... Et l'auteur donne même le prix de ces petites transformations. Un bon livre, écrit simplement, " j'ai décidé de tout dire ..... " écrit-il. C'est exact, pas farouche il détaille. Douloureusement atteint travailler, spécialiste de la comédie, le console. " Quoi de plus réjouissant que d'entendre des rires aux blagues que l'on a posées sur le papier ? Cette gratitude que nous offrent les spectateurs qui vont voir des comédies n'a pas d'égal. C'est la drogue la plus joyeuse que je connaisse...... " MB


mercredi 4 mai 2022

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 154 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

 








                                                                                                                    1er Décembre 1665
            Ce matin, à mon bureau, bien décidé à y passer toute la journée à travailler. Il fut entendu, entre autre, avec Pointer, qu'il serait mon commis aux subsistances, puis restai seul toute la journée, enfermé dans mon petit cabinet, à rédiger les instructions destinées à mes intendants des ports, chose que j'aurais dû faire depuis longtemps, car sir William Coventry souhaite fort les avoir et aurait été en droit de me les réclamer depuis fort longtemps. M'y attelai derechef après dîner. Dans la soirée eus un long entretien avec Gibson, chargé de Yarmouth, et qui m'a tant éclairé sur le service des subsistances et l'office de commissaire de marine, que j'eus honte de prétendre m'occuper d'une tâche à laquelle j'entends si peu, et en vins à douter de la qualité des instructions que j'avais rédigées. Je les remis donc au lendemain matin afin d'y repenser. Rentrai ensuite chez moi ayant promis à ma femme de faire la fête. On invita donc les voisines, la jeune Miss Tooker et Miss Daniels, à venir danser. Après souper montai me coucher, les laissant à leurs jeux qui les tinrent éveillées jusqu'à deux ou trois heures du matin.


                                                                                                                        2 décembre

            Levé et, après discussion avec ma femme résolue à revenir définitivement à Londres dès aujourd'hui, nous convînmes de donner 10 £ à Mr Sheldon,  et deux pièces de huit à Mrs Barbara. La laissai donc rentrer à Woolwich collecter le reste de nos affaires et payer Mr Sheldon, puis me rendis au bureau où j'eus fort à faire, et confiai à Mr Pointer la tâche de mettre au propre mes instructions de la veille au soir. qui, aujourd'hui me satisfont. Mais je trouve piquant d'avoir à ce point été décontenancé par mon entrevue avec Gibson, tant je craignais d'avoir dit des sottises. Mais elles plaisent à Pointer ainsi qu'à Mr Hayter, bien que je craigne encore qu'ils n'agissent que par flatterie, tant je suis conscient de mon ignorance.
            A midi dînai avec ma femme, puis pris congé d'elle, car elle retourne s'installer à Londres. Derechef à mon bureaui où je travaillai jusqu'à une heure du matin passai, jour du Seigneur.
           << 3 >> Levé, habillé, puis à l'église, pensant m'asseoir aux côtés de sir James Bunce afin d'entendre chanter sa fille et son mari dont on dit grand bien, mais je ne le pus étant invité à partager le banc du colonel Cleggat. Eus pour voisin Mr Lanier avec qui je pus bavarder, et j'eus aussi la chance de voir, et de très près, ma belle brune gironde de notre paroisse, la femme du riche négociant, une splendeur, ainsi que Mrs Pearse. Bon sermon de Mr Plume, puis chez le capitaine Cocke, avec qui on dîna avec le colonel Wyndham, noble gentilhomme dont l'épouse fut jadis la nourrice de notre actuel roi, et qui, toute sa vie, le gouverna, au dire de Cocke, tout comme un ministre d'Etat, car le vieux roi lui faisant pleinement confiance. Il y fut beaucoup question des affaires de l'Etat et de ceux qui les gèrent.........
            Nous dînions quand entra Mrs Owen, une parente de milord Brouncker, venue me demander de décharger un homme de son service, ce qui fut fait. Puis Mrs Pearse vint me parler, Mary, l'ancienne servante de ma femme est désormais placée chez eux, des affaires d'argent de son mari. Elle me dit qu'elle s'était opposée à ce que son mari achetât à son mari toutes les marchandises précieuses, perles et soieries, qu'il avait saisies chez un apothicaire de leurs amis. Elle y était allée, avait ouvert les coffres et tout emporté avant que le capitaine Fisher ne vînt les enlever le lendemain, ce qui le mit hors de lui.
            Elle repartit chez elle et je rentrai à mon logis. Le soir, comme il avait été décidé, j'allai la prendre dans la voiture de Cocke. Il vint aussi et on bavarda, croyant que Mrs Coleman viendrait ainsi que mes chanteurs, son mari et Lanier, mais ils me firent faux bond. Nous soupâmes donc aussi gaiement que possible, ma jolie petite Miss à mes côtés. Après souper raccompagnai Pearse à pied et, au lit.Seigneur ! je n'ai pu m'empêcher d'admirer l'esprit de son petit garçon, le plus astucieux et le plus sûr de lui de tous les garçons de neuf ans ou moins que j'aie jamais connus, voire de ceux de deux fois son âge ou presque. Tout est rouerie et malice.


                                                                                                                          4 décembre
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            Plusieurs personnes me vinrent trouver pour affaires, dont le capitaine Taylor nommé garde-magasin à Harwich, que j'acceptai d'assister dans ses nouvelles fonctions, en lui prêtant de l'argent. Lui parti, me rendis à Londres, par le fleuve, puis à la Bourse pour diverses démarches. Après être allé regarder, Dieu me pardonne ! une ou deux hermosa moher de mes voisines revenues habiter en ville, ce qui fit grand plaisir, rentrai chez moi, près du bureau, où ma femme m'avait fait préparer à dîner. Quelle joie de nous retrouver ici, Dieu en soit remercié ! Il y avait aussi son frère, venu la voir et m'entretenir de ses affaires. Il semble que ma recommandation ne lui ait point seulement valu d'être immédiatement pris dans la garde du duc d'Albemarle et d'être à sa solde, mais aussi, sur décision du duc et de sir Philip Howard, d'avoir obtenu d'être considéré comme le bras droit du duc, entre autres marques de respect..
            Voilà qui me réjouit, d'une part pour lui, et d'autre part de voir que mes recommandations sont de quelque poids, mais j'espère qu'il saura se montrer à la hauteur de manière à m'éviter toute disgrâce.
            A la Bourse, puis dans la soirée ressortis pour diverses affaires, et allai voir le capitaine Cocke qui attendait Mrs Pearse, dont il est fort entiché, afin de recevoir d'elle les précieuses marchandises qu'elle avait, l'autre jour, réussi à préserver de la saisie, et de les mettre en sûreté chez lui. 
            A la Bourse, aujourd'hui, Colvill de retour d'Oxford m'apprend que le roi en personne a rendu justice à milord Sandwich, autant qu'i est possible, et qu'il a toute sa faveur.
            Rentrai chez moi tard, par le fleuve, emportant une bourriche d'huîtres, puis à Greenwich où je suis resté chez Madame Penington, con laquelle je faisais presque tout ce que je voudrais, con mi mano, sino tocar la chose même, et je n'en n'étais pas loin. Je la fis se décoiffer et rester cheveux en désordre toute la nui, et elle s'ébattit avec moi jusqu'à deux heures du matin, puis revins chez moi, presque las de tant de plaisirs et, au lit.
            < Je me sens tout gonflé de vent, sûrement d'être resté trop longtemps à jeun ce matin, ce qui me fait craindre des coliques. >


                                                                                                                        5 décembre

            Levé et au bureau où plusieurs affaires m'occupèrent toute la matinée. A midi, à jeün, mais sans guère d'appétit, allai dîner car hier j'avais attrapé mal en ne mangeant point, ce qui m'avait valu des vents. L'après-midi, par le fleuve, allai voir Mr Stephens qui a les pires ennuis avec les matelots à Deptford, dont il doit payer les billets de solde. Puis à Londres trouver le capitaine Kingdon que nous trouvâmes chez lui vers 5 heures. Je lui fis ma cour et il nous promit de nous rejoindre sur le champ au bureau de la Compagnie des Indes orientales où il signerait le soir même les papiers permettant que me soit versé l'argent destiné à Tanger. On s'y rendit donc, après avoir empêché les officiers de garde de fermer les portes. On l'attendit plus d'une heure. Je l'envoyai chercher. Il arriva. On le trouva, non point chez lui, mais au-dehors occupé par quelque affaire, avec un papier, et nous raconte qu'il a passé cette heure à essayer de retrouver l'ordre de paiement de milord Ashley. Au moment où il va le chercher, il s'aperçoit que ce n'est point le bon, et fait mine de repartir le chercher, nous faisant ainsi attendre jusqu'à près de huit heures du soir, heure à laquelle il me fallait songer à m'en retourner chez moi par le fleuve, étant donné le sale temps et la nuit, écrire des lettres devant partir par la poste, outre que nous retenions indûment les officiers du bureau de la Compagnie des Indes orientales.
            Derechef, je l'envoyai chercher. Le voici enfin, prétendant qu'il ne trouve point ce papier, ce qui est un peu fort quand on sait qu'il ne s'agit rien moins que d'ordres de paiement, pour une valeur de 
100 000 £. Je me mis en colère et il me rétorqua que je ferais mieux de laisser les gens en paix la nuit, car c'est le jour qu'on travaille. Je lui répondis alors que, comme tout honnête homme, je ne faisais guère de différence entre la nuit et le jour lorsqu'il s'agissait de travailler au service du roi, qu'il n'en allait jamais autrement, et que milord Ashley méritait d'être mis au fait  Il me fit une réponse sèche, et lui dis que je me souvenais d'un temps, je faisais allusion à l'époque du Parlement croupion, où il avait su se montrer plus diligent au service d'autrui. Il s'écria  : " Non, ne dîtes point cela ",  puis se tut et ne dit plus un mot. Nous réglâmes notre affaire, sans l'ordre de paiement, en moins de dix minutes, alors qu'il m'avait fait patienter plus de deux heures, en vain. Ce qui me rendit fou furieux. Nous échangeâmes des billets et j'en reçus pour la valeur de 14 000 £ à tirer sur la trésorerie de la Compagnie. Repartis par le fleuve à Greenwich, écrivis mes lettres puis, tard chez moi et, au lit.


                                                                                                                    6 décembre

            Levé tôt aujourd'hui étant jour de jeûne. Par le fleuve chez le duc d'Albemarle, rentré hier soir d'Oxford, fort allègre, plein d'amabilités pour moi et prompt à me demander conseil en tout. A ma grande surprise il m'apprit que milord Sandwich part prochainement en Espagne où il est nommé ambassadeur, bien que j'en connaisse point le pourquoi, je m'en réjouis de tout coeur.
            Il me donna plusieurs directives, puis retour chez moi par le fleuve, après être passé à l'église croyant trouver Mrs Pearse, afin de lui parler de notre réunion de ce soir. Comme elle n'y était point, chez moi, dîner puis, comme prévu, arriva ma femme.
            L'après-midi me mis à cette chanson dans laquelle Soliman s'adresse à Roxelan et dont j'ai mis les paroles en musique. Après cela, ma femme, moi et Mercer, sommes allés à pied chez Mrs Pearse, où étaient réunis le capitaine Rolt, Mrs Knepp, Mr Colema, et sa femme, Lanier, Mrs Worship ainsi que sa fille qui sait chanter. Puis arrive peu après Mr Pearse, d'Oxford, à l'improviste. Il y avait là la meilleure compagnie d'amateurs de musique où je me sois jamais trouvé, à tel point que j'aurais voulu y vivre jusqu'à ma dernière heure, tant pour la musique que pour le minois de Mrs Pearse, de ma femme et de la Knepp, ma foi assez jolie mais dotée de l'humeur la plus extravagante qui soit et d'une voix admirable ensemble. Et j'ai passé la nuit à demi extasié. 
            Après les avoir invités à venir chez moi le lendemain ou le surlendemain, nous prîmes congé. Pearse m'a appris qu'il avait entendu dire que le roi avait pleinement rendu justice à milord Sandwich, en se montrant des plus reconnaissants envers lui en public, aussi fréquemment que l'occasion se présentait, ceci afin de dissiper toute méchante pensée, et me dit qu'il doit partir comme ambassadeur. Que le duc d'York est fait général de toutes les forces armées de terre et de mer, et le duc d'Albemarle lieutenant général. Qu'il n'est point en mesure de confirmer ces deux dernières promotions, mais qu'il l'a entendu dire. Quant à milord, il a toutes les faveurs du roi. Chacun rentra et, au lit.


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      Levé et à mon bureau, fort occupé toute la journée. J'apprends par lettre de sir George Carteret, que milord Sandwich, comme on me l'avait dit, est nommé ambassadeur extraordinaire en Espagne où il doit se rendre en toute diligence, et que ses ennemis lui ont ainsi valu le plus grand bien qui soit.
            Le midi dînai tard, puis passai la soirée à discourir avec Mr Gibson et Mr Hayter, afin de m'informer davantage du métier de commissaire de marine et des améliorations à y apporter. Puis à mon bureau jusqu'à minuit, à faire mon courier. Chez moi puis, après avoir soupé avec ma femme, vers une heure du matin, au lit.
                                                                                                                                                                                                                                                                           8 décembre

            Levé, l'esprit fort satisfait au sujet de milord Sandwich, j'en saurai bientôt davantage par sir George Carteret. Je me réjouis aussi de ce que les navires hambourgeois, après maintes difficultés, ont pu finalement prendre la mer. Dieu leur soit propice ! Une fois rasé me rendis par le fleuve au bureau de la Marine à Londres afin de dire à ma servante d'acheter des victuailles et de les envoyer à Greenwich en prévision du souper de ce soir. Allai aussi acheter diverses choses, des huîtres, des citrons ( 6 pence la pièce )  et des oranges ) 3 pence. Ensuite me rendis à la Bourse, entre autres, mais surtout en vue de toucher mon argent pour Tanger. Allai, sur rendez-vous, trouver Mr Gauden. Allâmes ensemble à la taverne de la Tête du Pape, où il m'offrit un fort bon dîner en tête à tête.
            Parlâmes de ses affaires, de ses besoins d'argent et autres choses sur lesquelles il fallait nous entendre avant de rencontrer le duc d'Albemarle et sir George Carteret cet après-midi. Sur quoi j'offris de lui verser les 4 000 £ restantes sur les 8 000 dues pour Tanger. Ce qu'il accepta avec une vive reconnaissance, me priant spontanément de ne lui donner que 3 500 £ et de garder les 500 autres pour moi. Ce que, en toute honnêteté, je ne pus décemment accepter, n'espérant guère plus de 100 £. Quoi qu'il en soit il insista, me disant qu'il m'était fort obligé. J'avoue qu'il a toute mon affection, et la mérite. 
            La chose me satisfait fort, bien que remise à plus tard, lorsque nous aurons davantage le temps de la régler car, vu l'importance de la somme, je craignais être victime de quelque accident entraînant la mort ou quelque autre fâcheuse conséquence et je n'avais point alors le temps de modifier les documents. On se leva donc et, par le fleuve, à Whitehall où nous trouvâmes sir George Carteret et le duc, ainsi que sir George Downing que je n'avais point vu depuis de longues années. Il me salua fort chaleureusement, et moi de même, bien que je sois contrarié qu'on dise qu'il ait été autrefois mon maître, et il n'y manquera point. Parlâmes de nos affaires de la Marine, en particulier d'argent, que cette nouvelle loi ne nous permet guère d'obtenir, car des orfèvres préseents, auxquels s'était joint l'échevin Backwelle récemment rentré de Flandre, aucun ne nous en propose..
            La séance fut donc levée sans que nous n'ayons rien pu faire, après que j'eus présenté le dossier de l'entrepreneur des subsistances. A savoir qu'entre les 80 000 £ qui lui sont dues au titre de l'exercice de l'année précédente et les frais de cette année, qui se montent à 42 000 £ et quelques, il faudra lui payer 150 000 £ d'ici à la fin du mois de janvier, et le reste en paiements hebdomadaires étalés sur 40 semaines, faute de quoi il sera en faillite.
            Eus ensuite l'occasion de bavarder quelque peu avec sir George Carteret qui, bien qu'il se dise satisfait de la nomination de milord au poste d'ambassadeur qui, selon lui, est le plus bel avantage que ses ennemis aient pu lui valoir, n'est point à mon avis transporté de joie à cette nouvelle, et ajoute que les amis de milord n'avaient point la chose à dessein, que seuls ses ennemis ont prévalu et que, selon toute probabilité, le prince d'Albemarle et le prince Rupert prendront la mer ensemble l'an prochain. Je prie le ciel pour que, une fois milord parti, ils ne malmènent point trop le vice-chambellan, désormais seul à un poste envié, encore qu'avec les nouvelles lois et les nouvelles mesures qu'on nous prépare en matière de financement, la charge perde tout son attrait financier, et on n'en parlera plus.
            Descendis ensuite à Greenwich, par le fleuve, où tous mes invités, à ce que je vois, sont arrivés. Il y a Mrs Knepp accompagnée de son mari, triste personnage à l'air malingre et aux regards soupçonneux et qui n'a point desserré les dents de la soirée, Pearse et sa femme, ainsi que Rolt, Mrs Worship et sa fille, Coleman et sa femme, et Lanier. Enfin, comble de notre gaieté, Mr Hill nous fit une visite imprévue, étant de passage en ville. Nous eûmes de l'excellente musique, tant et plus, ainsi qu'un bon souper où l'on dansa, et un plaisant impromptu où Mrs Knepp se leva de table avec la nausée, mais me dit dans le creux de l'oreille que c'était à cause d'une mauvaise parole que son mari avait eue pour elle à l'instant, puis elle éclata de rire et fut plus gaie que jamais. Nous la fîmes retrouver sa belle humeur.
            Ce fut, jusqu'à deux heures du matin, l a soirée la plus réjouissante que j'aie passée. Ma joie étant accrue par la belle besogne que je fis ce jour avec Mr Gauden. Puis on prit congé et nous allâmes au lit, Mr Hill et moi, j'ai pour lui de plus en plus d'amitié, tout comme lui pour nous.


                                                                                                                      9 décembre

            Eus de bonne heure la visite de milord Brouncker rentré hier soir à Londres de sa longue mission en mer, à Erith. Il était venu me prendre pour que je l'accompagne, dans sa voiture, chez le duc d'Albemarle, ce que je fis. Parlâmes du mauvais tour que prennent les choses du fait du manque d'argent. Chez le duc expédiâmes quelques afffaires, et m'est avis que milord vit d'un mauvais oeil le duc et tous les autres s'adresser à moi et rechercher mon conseil. Parfois également avec sir George Carteret des affaires du bureau, mais il n'y a point d'argent en vue. Milord et moi restâmes dîner chez le duc, après le départ du vice-chambellan. 
            A table, la duchesse, ma foi diablement laide, déplorant le départ en mer de son mari l'an prochain, eut ce mot détestable : " Mon mari, eût-il été un lâche, ne serait peut-être plus parti en mer, peut-être alors l'aurait-on excusé, et fait ambassadeur. " Allusion à milord Sandwich. A ces mots je perdis contenance et elle me vit, je crois, changer de couleur, puis rougir elle-même violemment. J'espérais que personne n'aurait relevé ces " qu. Mais, une fois dehors, milord Brouncker me confia son déplaisir d'avoir entendu de telles paroles.
            Après dîner on repartit par le fleuve, après avoir fait nos adieux à sir George Carteret qui passait par Whitehall. Traversai le fleuve pour rejoindre Lambeth puis, en voiture, chez moi, puis à mon bureau où j'écrivis des lettres tard.
            Après retrouvai Mr Hill chez moi. Avons chanté, entre autres, ma chanson : " Beauté, revenez ", qui lui plaît fort, mises à part deux notes dans la voix de basse qu'il trouve contestables, mais l'ensemble lui plaît. Ensuite, tard, au lit.

                                                                                                                         10 décembre
    passeportsante.net/fr                                                                                                      Jour du Seigneur
            Restâmes couchés, Hill et moi, à bavarder plaisamment au lit, puis debout. Une fois prêts, à pied chez Cocke, aux nouvelles, mais il n'y en avait point. Ils voulurent seulement nous retenir à dîner et envoyèrent chercher ma femme qui arriva, et nous fîmes bonne chère. Il y avait aussi sir Edmund Pooley et Mr Evelyn. Mr Andrews, que nous avions envoyée chercher à Bow, arriva avant que nous ayons commencé puis, après le dîner, rentrâmes à la maison où on chanta diverses choses, mais sans grand plaisir, car Mr Andrews, dont la femme va être en couches d'un moment à l'autre, était fort pressé de rentrer chez lui. Lui parti, Hill et moi reprîmes notre musique et jouâmes un morceau après un autre, fort tard, jusqu'au souper puis, au lit, fort satisfaits.


                                                                                                                         11 décembre

            Resté tard au lit à deviser plaisamment. Puis, ayant pris congé de lui, à la Bourse, à Londres. Après avoir parlé affaires avec diverses personnes, allai retrouver Mr Gauden à la Tête du Pape où il avait fait venir Mr Lewis et Tom Wilson afin de parler des subsistances et de la dégradation du métier de commissaire de marine, car il faut à la fois consolider le service du roi, tout en donnant aux commissaires de quoi vivre. Après dîner pris Gauden à part et, à ma grande satisfaction, pus conclure mon affaire avec lui, où il se montra homme de parole, car il apporta sa signature pour les 4 000 £ , mais ne voulut accepter de moi qu'un billet pour la valeur de 3 500 £  C'est une grande bénédiction, puisse le Seigneur m'en rendre très reconnaissant ! Restai avec lui jusqu'à la nui, à commettre par écrit nos observations sur les subsistances. 
            Pris congé et me rendis chez Vyner où l'on apura nos comptes, et je reçus mes billets à ordre, si bien qu'à ce jour tout est en ordre entre nous. Fis de même avec Colvill à qui j'ai réglé plusieurs factures que je lui devais sur les comptes de Tanger. Puis, tard, vis Cocke et Temple à la Tête du Pape. Parlai longuement avec Temple qui me dit que sur les 80 000 £ avancées par la Compagnie des Indes orientales, 45 000  ont déjà été dépensées. I s'étendit sur la quantité d'argent frappé, sur l'encaisse effective dont on peut supposer que le royaume dispose, et m'apprit également, bel exemple de parcimonie avec laquelle on gère les affaires du roi, que les droits et les intérêts que verse le roi au titre des sommes qu'il a empruntées lui coûtent 35 000 £, en attendant que le nouveau procédé de frappe de la monnaie fut mis au point. Il me dit en plaisantant que cette nouvelle monnaie ne serait bonne qu'à venir en aide au souverain car, s'il parvient à insérer secrètement du cuivre entre les feuilles d'argent, personne ne s'en apercevra jamais, du moins de son vivant.
            Ensuite, Cocke et moi, allâmes chacun chez soi par le fleuve. Soupai avec Mr Hill et ma femme, puis avons bavardé et chanté jusqu'à minuit et, au lit.
            < Afin de m'en souvenir dans le plus grand détail, j'ai jugé bon d'insérer ici, pour mémoire, ce que me confia Temple, dont j'ai noté les paroles de sa bouche même.
            Avant que les écus frappés d'une harpe et d'une croix cessent d'avoir cours, il se livra, avec ses collègues orfèvres, à diverses évaluations afin de connaître la valeur de cette nouvelle monnaie par rapport à l'ancienne mnaie royales. Et il s'avéra que, l'un dans l'autre, selon leurs observations, il y avait 25 £ d'argent là où avant on en comptait 100.
            Quand cette monnaie fut retirée, on en fit rentrer pour 650 000 livres à la Tour, d'où il s'ensuit que l'encaisse globale dont dispose le pays s'élève à 16 250 000 £, au bas mot, mais vraisemblablement
en dépit de ces calculs, il y a, en fait, plus de 30 millions de livres, car il soupçonne que lorsque le roi fit retirer l'ancienne monnaie de la circulation, date à laquelle il entreprit d'étudier la masse monétaire représentée par la nouvelle monnaie, les gens commencèrent à craindre que cet argent perde toute sa valeur, et s'empressèrent donc de la débourser et de la mettre en circulation aussi vite que possible, afin d'en être débarrassés. Selon lui 30 millions est le chiffre le plus probable, car si ce n'était pas 16 250 000 £ le roi, qui reçoit 2 millions chaque année, aurait en huit ans tout l'argent du royaume à sa disposition.
            Il me dit qu'on avait frappé 350 000 livres sterling avec la monnaie française provenant de la vente de Dunkerque, si bien qu'en comptant l'ancienne monnaie qu'on a utilisée, on a battu de la nouvelle monnaie pour une valeur d'environ un million, outre l'or estimé à 500 000 £. Il ajoute que bien que le roi ait songé à mettre la monnaie française en gage, pour 350 000 $, il fut contraint cependant d'emprunter, tant que les outils qui permettaient la nouvelle frappe n'étaient point prêts. Les intérêts qu'il eût à verser pour cette période se montèrent à 35 000 £, car Vyner, à sa connaissance, touche 10 000 £ sur 100 000 qu'il prête. > 


                                                                                                                    12 décembre

            Levé et à mon bureau où milord Brouncker vint me trouver. Conclus, entre autres, un contrat avec Cocke pour la fourniture de chanvre qui, j'espère le convaincra de me payer maintenant l'argent qu'il me doit. A midi dînai chez moi, mais ne pris qu'une bouchée et fis mes adieux les plus chaleureux à Mr Hill qui s'en va aujourd'hui. Puis par le fleuve, après avoir traversé le Pont pour arriver à temps pour la marée, me rendis à Charing Cross, chez sir George Downing, sur rendez-vous.
            Ce qu'il me dit, dans le détail, des vertus et de l'efficacité de la nouvelle loi me plut d'emblée. Il faut avouer que ce qu'il m'en dit est dix fois mieux que tout ce qu'à mon sens on aurait pu en dire. Mais quand il en vint à me laisser entendre que je devais tout bonnement user de mon crédit pour trouver des fournisseurs et leur prêter de l'argent en conséquence, car nul autre n'y réussirait mieux que moi, et le roi m'en saurait tout particulièrement gré, et que je ne pus le convaincre de me dispenser de ce service, mais qu'il fallut que je vienne le voir samedi, quoique inutilement, et qu'il ne doutait point que je lui apporterais quelque affaire conclue grâce à cette loi, voilà qui me fâcha au point de m'ôter tout le plaisir que j'avais éprouvé, car je devine qu'il m'importunera sans cesse, si je le laisse disposer de mon temps à sa guise. Pris congé de lui, tard, et revins à mon bureau dans le froid qui semble être arrivé pour de bon. Quand mon courrier fut écrit, chez moi, souper et, au lit. Ma femme est aussi repartie à Londres.


                                                                                                                              13 décembre

            Levé de grand matin, rédigeai mon journal pour les cinq derniers jours. Une fois prêt chez milord Brouncker, sur rendez-vous, afin de convenir de la manière dont nous allions disposer des sommes que le bureau vient de recevoir. A ma vive satisfaction j'ai obtenu un billet d'avance de fonds de la part de Cocke, afin de me payer en partie les sommes qui me reviennent de sa part, ce qui réjouira milord Sandwich, tout comme moi, puis une ou deux autres sommes qu'on me doit. Sur ce me rendis chez Mr Pearse qui, avec sa femme, m'invita à boire du thé. Puis nous allâmes tous deux à Londres, par le fleuve, où, dans une taverne de Cornhill, tombâmes d'accord sur le fait que je cèderais une lettre de change du capitaine Cocke, qu'il m'avait donnée précisément pour que Pearse en eût l'usage, ce qui règle nos affaires de prises de guerre.
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      Après cela à la Bourse où j'appris cette mauvaise nouvelle, qui m'afflige fort ainsi que tout le monde : il y a eu une recrudescence de la peste cette semaine, nonobstant les fortes gelées qui ont duré un ou deux jours. On espère que c'est seulement à cause du radoucissement de la température et du temps lourd de ces derniers jours, et que si les gelées persistent la semaine prochaine, l'épidémie décroîtra à nouveau d'ici une semaine. Mais il faut dire que la ville se repeuple d'une population si dense, qu'il ne faudrait point s'étonner de voir la peste causer de plus grands ravages parmi nous.
             Puis chez le shérif Hooker, connu pour tenir des tables les plus médiocres, les plus misérables, les plus sales qui soient, et qui vit dans la maison la plus sale où, à ma connaissance, ait jamais vécu un shérif de Londres. L'homme est d'ailleurs, je crois, sot et sans qualités, si ce n'est qu'il est riche. J'apprécie, par contre, son fils, Mr Lethieullier, marchand fort courtois et avisé, et ceci d'autant plus qu'il se trouve être le mari de cette bonne dame gironde et généreuse de notre paroisse, que moi et ma femme admirons tant. Puis allâmes à la taverne de la Tête du Parc, où vîmes d'abord le capitaine Cocke, avec qui j'eus la satisfaction de régler toutes mes affaires, car il était tout disposé à me signer son billet d'avance de fonds de 2 000 £, et à me le donner en paiement partiel de ce qu'il me doit, ce qui me réjouit le coeur. Après son départ arriva Mr Warren qui avisa avec moi de diverses manières de me procurer de l'argent et me parla des 100 £ qu'il doit bientôt me donner. Nous optâmes pour une affaire d'assurance, où lui pourrait trouver quelque avantage et moi quelque bénéfice. Et on se rendit en voiture, de nuit, au Cockpit, tenter d'obtenir l'aval du duc d'Albemarle, concernant ce projet d'assurer nos marchandises de la Baltique transportées en Angleterre sous l'escorte de Harman. Mais il ne voulut point s'engager sans en aviser le duc d'York.
            Nous repartîmes donc et, passant chez moi voir ma femme, qui va bien, mais je crains fort que notre pauvre petite paroisse n'ait les chiffres les plus élevés de la Cité intra-muros pour cette semaine, car nous comptons six morts contre un la semaine passée. Par le fleuve à Greenwich, après avoir déposé sir William Warren chez lui et être allé aussitôt après chez milord Brouncker, car il était tard. Avons fini par trouver quoi assurer et faire venir sir William Warren à notre bureau le lendemain matin, à ce sujet. Rentrai l'esprit fort apaisé et, au lit.


                                                                                                                      14 décembre 1665

            Levé, au bureau un moment avec milord Brouncker, dont nous avons réglé quelques affaires et donné les consignes à sir William  dans notre projet d'assurance, comme je l'entendais.
            A Londres à midi, mais à la Bourse la séance était déjà terminée avant mon arrivée. A la taverne de la Tête du Pape je retrouve Mr Gauden; le capitaine Beckford et Nicolas Osborne qui s'y rendaient pour dîner, si bien que j'ai dîné avec eux, et le plus joyeusement du monde, ce qui ne m'était point arrivé depuis longtemps. Le dîner terminé me rendis au bureau de la Compagnie des Indes orientales où j'apprends que Temple devait me payer les 2 000 que me devait le capitaine Cocke, ce qui me réjouit le coeur.
            Après avoir rendu visite à ma femme en chemin, rentrai à Greenwich par le fleuve, puis écrivis mes lettres et, au lit.

  
                                                                                                                          15 décembre      

            Levé, passai toute la matinée auprès de mes intendants des ports pour les approvisionnements et je leur fis lecture des instruction que j'avais rédigées à leur intention. Avons longuement discuté de nos affaires et du métier de commissaire. Les laissai aux soins de mes gens, pour le dîner, et me rendis chez milord Brouncker, chez qui je fis bombance, en compagnie de sir Thoma Teddeman, avec qui milord et moi devions parler du passage de Will Howe devant les tribunaux au sujet de ses pierres précieuses, ce qui nous occupa presque jusqu'à la tombée du jour. En chemin pour le bureau rencontrai sir James Bunce qui, après m'avoir demandé des nouvelles, s'écria, était-il sérieux ou non, je l'ignore :
            " - Pour sûr, dit-il, les temps vous sont propices, à vous qui étiez jadis du parti d'Oliver. Les emplois ne manquent point, tandis que pour nous autres pauvres Cavaliers, nous restons là, désoeuvrés, sans pouvoir rien trouver. "
Un reproche cinglant, me dis-je, auquel je me gardai pourtant de faire la moindre réponse, craignant d'envenimer les choses. Pris congé et allai visiter Mrs Penington chez qui, comme elle attendait des invités, je ne restai point. Au bureau quelque temps, puis chez moi et, après avoir souper, au lit.


                                                                   à suivre...........

                                                                                                                  16 décembre 1665

            Levé, nous..................