- Mesdames... et, en quelque sorte, messieurs... (
lissant ses favoris ) On avait demandé à ma femme que je fasse ici une conférence sur un sujet ou un autre, et dans un but de bienfaisance. Et donc, va pour une conférence, en ce qui me concerne, cela m'est bien égal. Évidemment je ne suis pas professeur, et loin de moi tout titre scientifique, nonobstant, voilà trente ans déjà que je travaille on peut dire sans discontinuer et au détriment de ma santé, etc..., sur des questions de caractère strictement scientifique, j'y réfléchis et j'écris, imaginez-vous, des articles scientifiques, c'est-à-dire, non pas vraiment scientifiques, mais, passez-moi l'expression, comme qui dirait scientifiques. Ces jours-ci j'ai, entre autres, écrit un immense article, intitulé : "
Sur la nocivité de certains insectes ". Mes filles l'ont beaucoup apprécié, et, en particulier, la partie où il est question de punaises, mais moi, après l'avoir lu, je l'ai déchiré. De toute façon et quoi qu'on écrive, on ne peut se passer de poudre insecticide. Chez nous il y a des punaises jusque dans le piano... Aujourd'hui le sujet de ma conférence sera le danger que représente pour l'humanité l'usage du tabac. En ce qui me concerne, je fume, mais ma femme m'a dit de faire ma conférence sur les méfaits du tabac, alors, il n'y a plus à discuter. Va pour le tabac, cela m'est bien égal ; quant à vous, chers messieurs, je vous proposerai d'écouter ladite conférence avec tout le sérieux qui s'impose, sans quoi, on ne sait jamais. Ceux qui craignent la sécheresse d'un exposé scientifique, ceux qui n'aiment pas ça, peuvent ne pas m'écouter et sortir.
( Il arrange son gilet ) Je m'adresse tout particulièrement aux médecins ici présents, je leur demande toute leur attention, car ils pourront glaner dans ma conférence des renseignements utiles, le tabac, en dehors de ses méfaits, s'employant aussi en médecine. Ainsi, par exemple, si on enfermait une mouche dans une tabatière, il se pourrait qu'elle y crève de dépression nerveuse. Le tabac, c'est, principalement, une plante... Lorsque je fais une conférence, j'ai habituellement l'oeil droit qui se met à cligner, n'y faites pas attention, c'est l'émotion. Je suis un homme très nerveux en général, et je me suis mis à cligner de l'oeil en 1889 , le 13 septembre, le jour même où ma femme a, en quelque sorte, donné le jour à sa quatrième fille, Varvara. Mais (
il regarde sa montre ) comme je n'ai que peu de temps, ne dévions pas du sujet de la conférence. J'attire votre attention sur le fait que ma femme dirige une école de musique et un pensionnat pour jeunes filles, c'est-à-dire, pas vraiment un pensionnat, mais tout comme. Entre nous, ma femme aime pleurer misère, mais en fait elle a mis de côté un petit magot de quarante ou cinquante mille roubles, tandis que moi je n'ai pas un sou vaillant... enfin, que voulez-vous... Je suis l'économe du pensionnat. J'achète les provisions, je surveille les domestiques, je marque les dépenses, je confectionne les cahiers, je fais la chasse aux punaises, je promène le petit chien de ma femme, j'attrape les souris... Hier soir j'ai pesé la farine et le beurre pour la cuisinière, car on devait faire des crêpes. Bref, aujourd'hui, quand les crêpes étaient prêtes, ma femme est venue à la cuisine annoncer que trois de ses pensionnaires, souffrant des amygdales ne mangeraient pas de crêpes. C'est pourquoi nous avions quelques crêpes de trop. Que fallait-il en faire ? Ma femme a tout d'abord donné l'ordre de les mettre à la cave, mais, après réflexion, elle a changé d'avis et a dit: :
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