Le Grelot
Il neige, un timonier tire une énorme pierre,
et son flanc maigre écume au frottement du cuir.
Le fouet ou le fardeau : ni s'arrêter ni fuir !
Un morne désespoir alourdit sa paupière.
Mais, plus que la charrette et la roide carrière,
C'est le grelot qu'on pend au collier du martyr,
Obsédant carillon, sonnaille meurtrière.
Tels, sans jamais savoir s'ils se reposeront,
Sous leur rêve accablant vont, la tête baissée,
Les chercheurs inquiets, les serfs de la pensée,
Et le vain bruit du monde insulte au poids du front, *
Infligeant le grelot de la bête de somme,
Sans trêve, à ces forçats, libérateurs de l'homme.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~
L'AURORE
Apaise l'air troublé ; l'homme dort, tout est pur.
Aïeule du chaos, dans un repos sublime,
La nuit plane et balance au-dessus de l'abîme
Le monde enveloppé de son suaire obscur.
" - Te repens-tu ? dit-elle au Créateur qui rêve,
Le néant, c'est la fin ; parle et je lui rends tout. "
Sur la fange sanglante où fleurit encore Eve
Dieu se penche. Il se tait. Le jour sauvé se lève, **
Et, riant sous les pleurs, crie à l'homme : " - Debout ! "
1870
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
La Jacinthe
Dans un antique vase en Grèce découvert
D'une tombe exhumé, fait d'une argile pure
Et dont le col est svelte, exquise la courbure,
Trempe cette jacinthe, emblème aux yeux offert.
Déchire le satin de sa fine pelure ;
La racine s'épand comme une chevelure
Et la sève a déjà doré le bourgeon vert
L'eau du ciel et la grave élégance du vase
L'assistent pour éclore et dresser son extase,
Elle leur doit sa fleur et son haut piédestal. ***
Du poète inspiré la fortune est la même :
Un deuil sublime, né hors du limon natal,
L'exalte, et dans les pleurs germe et croît son poème
Sully Prudhomme
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire