16 Juillet 1664
Levé le matin la tête tout embrouillée par la quantité de travail qui m'attend aujourd'hui, mais au bureau où expédiai assez bien l'affaire de Mr Creed au sujet de son mémoire. C'est alors que Will Howe vient chercher l'ordre d'avance de fonds de 500 livres que milord doit emporter en s'embarquant. Je ne sus quelle attitude prendre en présence de Creed, mais comme il n'y avait point de remède, je le leur remis à tous les deux et les laissai se le disputer. Je vois bien qu'ils s'efforcèrent tous les deux de le prendre, mais Will Howe le saisit et l'autre eut la sagesse de le laisser faire. Mais je crois m'être justifié aux yeux de Creed qu'il n'y avait aucune machination de ma part. A midi je me levai et fis un travail nécessaire à la Bourse. De là à Trinity House pour un dîner donné par sir George Carteret en temps que grand maître cette année, puis à Whitehall pour la commission de Tanger où, mieux que je ne l'espérais, je fis enlever le marché des subsistances par mes gens, à savoir Alsop, Lanyon et Yeabsley.
Selon leur promesse j'y gagne 300 livres par an, pour moi, ce qui me met en joie. De plus, c'est à moi que revient de rédiger le contrat. Mr Lewis était dans la galerie et s'en amuse fort. Je crois que Mr Gauden va faire quelque bruit à ce sujet, car il a écrit aujourd'hui à Mr Coventry pourquoi la bienséance à l'égard du roi voulait qu'il l'emportât. Mais Mr Coventry parla fort justement et sans détours en faveur de ceux dont les services étaient le moins coûteux.
Me promenai un moment avec Mr Coventry dans la galerie et je m'aperçois qu'il est d'une grande froideur dans son jugement présent de Mr Peter Pett à cause du relâchement de son zèle et de sa manière indolente de travailler là-bas, et il me surprit aussi en me demandant pourquoi Deane n'avait pas présenté leur rapport sur le lois de Clarendon. Ce qu'il veut dire par là, je ne sais, mais pour le moment je trouvai une excuse. Je ne sais pas non plus comment me conduire, il faudra que j'y songe et que je consulte milord Sandwich.
Avec Creed en voiture chez milord Sandwich où j'obtins de Mr Moore qu'il me procurât la signature de milord pour recevoir de sir George Carteret encore 109 livres de mon argent, de telle sorte que sa dette envers moi sera, je crois, de moins de 500 livres. Cela aussi me tranquillise l'esprit.
Ramené Creed et Will Howe à Londres, déposés chez sir George Carteret pour recevoir quelque argent. A la maison où je travaille très tard, rentré chez moi, souper et, au lit, l'esprit rasséréné, mes affaires étant partout en assez bonne passe.
17 juillet
Jour du Seigneur
Travaillé toute la matinée à mon bureau, et il pleut à verse. Dîné chez moi tout seul. Allai ensuite à pied chez milord. Je le trouvai en train de dîner avec une foule d'autres invités. Il paraît qu'ils ont baptisé son jeune fils aujourd'hui, du nom de James. J'eus un morceau de gâteau. J'obtins la signature et le sceau de milord pour la vente de la terre de Brampton, quoique l'affaire ne fût pas tout à fait conforme à mes souhaits, il était impossible de faire mieux pour le moment.
Rentré chez moi à pied et me mis à lire. Arrivent tantôt mon oncle Wight, le Dr Burnet et un autre, et nous avons bavardé et bu. Le Dr me montra comment prendre la térébenthine , ce qui me plaît beaucoup, car c'est très facile. Eux partis, souper et, au lit.
18 juillet
Levé et allé à pied chez milord où je pris congé de lui. Il me paraît très amical à mon égard, avec autant de gravité que jamais, et je crois qu'il a grande confiance en moi. Il part ce matin pour Deal
De là à St James pour voir le Duc et travailler avec lui comme à l'accoutumée. Il parle sans détours d'une guerre contre la Hollande, qui commencerait cet hiver, de telle sorte que je crois que nous y viendrons. Avant de monter voir le Duc, sir George Carteret et moi causâmes dans le parc de l'affaire des arbres de milord le chancelier, et il me dit, sans détours, que jamais milord le chancelier n'avait été aussi irrité contre lui que dans cette affaire, dans une grande fureur et que, quand il m'avait vu là, il savait de quoi il s'agissait. Et maintenant il conspire avec moi pour savoir comment servir milord, ce dont je suis bien aise, et j'espère qu'ensemble nous y parviendrons.
A Westminster chez mon barbier, pour qu'il nettoie de ses lentes la perruque qu'il me fit dernièrement. Ce qui me fut une cruelle contrariété, qu'il m'eût remis une chose pareille. Rencontrant sa servante Jane qui vit chez eux depuis si longtemps, je devisai avec elle, puis l'envoyant faire une course chez le Dr Clerke, je la rejoignis et l'emmenai dans une petite taverne de la cour des Brasseurs. Je la pinterest.fr
lutinai sans toutefois aller jusqu'au déduit. C'est une charmante enfant innocente.
Puis chez milord le chancelier mais, comme il était occupé, je partis vers la Bourse et ensuite chez moi pour dîner. Sur ces entrefaites arrive Creed et je sors avec lui pour aller vers Fleet Street et lui chez Mr Povey. Moi chez milord le chancelier. N'ayant encore pu le rencontrer, je m'en fus chez Povey où je vis son nouveau trompe-l’œil dans son cabinet. Povey, à ma grande surprise et stupéfaction, m'attaqua en son nom et en celui de Mr Bland, afin que j'agisse en leur faveur auprès des nouveaux fournisseurs de la garnison. J'ai honte qu'il me demande cela, car je ne croyais pas homme à chercher profit dans des choses si mesquines. Outre qu'il prétendait ne pas croire que j'eusse moi-même quelque part dans ce marche et pourtant voilà qu'il déclare qu'il voudrait lui-même y trouver son bénéfice. Et c'est lui-même qui m'avait poussé à ce que sir William Rider et Ford pussent s'associer à Gauden. Je lui dis que je n'avais aucun crédit auprès d'eux, mais je crains qu'ils ne doivent faire quelque chose pour lui, car il me dit que les entrepreneurs du môle lui promettent une gratification.
Rentré chez moi avec Creed, qui profita de l'occasion pour reconnaître ses obligations envers moi et déposa vingt pièces d'or sur l'étagère de mon cabinet, que je ne refusai point, mais je voulais et j'attendais davantage. Cependant, c'est mieux que rien, et maintenant je n'ai plus rien à attendre et je saurai, dorénavant, comment me comporter envers lui.
Après avoir causé du règlement de ses affaires nous sortîmes en voiture. Il descendit au Temple où il prit congé de moi avant de partir demain rejoindre milord.
J'allai voir milord le chancelier et causai avec lui de son affaire. Je vois bien, et il dit clairement qu'il ne veut que personne puisse dire que milord le chancelier a fait en sorte de léser le roi de son bois, mais je me rends compte qu'il serait bien aise qu'on lui rendît service, et il me dit que sir George Carteret lui a dit que lui et moi nous occuperions de cette affaire, pour veiller à ce qu'elle se termine au mieux pour lui. J'en fus fort aise et je partis.
Rentré chez moi et resté tard avec mes fournisseurs de Tanger pour rédiger notre accord. Je trouve beaucoup de difficulté. Après avoir fait autant que nous pouvions ce soir, nous nous séparâmes, et je vais au lit.
19 juillet 1664
Levé, au bureau réunion toute la matinée. A midi dîné seul à la maison. Après dîner descends par le fleuve à Woolwich avec sir William Batten. A notre arrivée à la corderie on nous annonce que Mr Falconer, qui avait fait une rechute ces deux derniers jours, vient juste de mourir. Nous fûmes voir sa veuve, elle aussi alitée. La pauvre femme en grande détresse implore notre amitié, que nous lui manifesterons en tout, je le crois, pour moi, j'en suis sûr.
Au bureau, travaillé jusqu'à 9 heures sur le contrat de sir William Warren pour les mâts. Puis chez moi avec Lanyon et Yeabsley jusqu'à minuit passé, à considérer leur contrat pour Tanger. Nous fûmes en désaccord, car je voudrais le libeller à l'avantage du roi, autant qu'il se peut. Ce qui ne leur plut point, mais nous nous séparâmes bons amis. Cependant, après leur départ je regrettai de n'avoir point évité tout différend, tant que je n'avais pas leur promesse écrite.
Eux partis, au lit.
20 juillet
Levé et quelque temps à mon bureau. Puis chez moi avec Mr Deane à causer jusqu'au dîner de l'affaire des arbres de milord le chancelier dans Clarendon Park et de la manière de faire un rapport à ce sujet sans le mécontenter. Rapport qu'à la fin je rédigeai, espérant qu'il lui plairait. Mais plût au Ciel que ni lui ni moi n'eussions jamais rien eu à faire de tout cela !
Dîné ensemble d'un bon cochon de lait, puis en voiture à Whitehall pour la commission des pêcheries. Mais rien de fait, car c'est un grand jour, celui de la loterie de sir Arthur Slingsby.
J'entrai et me tins auprès des deux reines et de la duchesse d'York, juste derrière milady Castlemaine, que j'adore de tout mon cœur. Et ce fut fort divertissant de voir tous ceux qui donnaient leurs livres repartir avec seulement une paire de gants en guise de lot et une dame, une certaine Mrs Fish, tirer le seul billet blanc. Quelqu'un que je restai voir tira un jeu de tapisseries évalué à 430 livres, et on dit qu'elles les valent bien, ou presque. Il y a un autre ensemble encore plus beau que celui-là, mais force lots de soixante à quatre-vingts livres. J'observe que le roi et les reines tiraient d'aussi maigres lors que les autres.
Mais l'homme le plus avisé que je vis fut Mr Cholmley qui assurait tous ceux qui voulaient contre la tirage du seul billet blanc pour 12 pence, dans ce cas, cela faisait le nombre entier des présents, 3 ou 400, je crois, contre un. Il en assura quelque 200 de cette façon pour 200 shillings, de telle sorte qu'il n'aurait pu y perdre si l'un d'entre eux l'avait tiré, car il y avait assez pour payer les 10 livres. Mais il se trouva que ce fut quelqu'un d'autre qui le tira, il gagna donc tout l'argent qu'il avait pris.
Je quittai la loterie et m'en fus à la comédie voir une pièce, en partie seulement. C'était au Théâtre du Duc, " De mal en pis ", tout à fait la même sorte de pièce, écrite, je crois, par le même auteur que " Cinq heures d'aventures ", fort plaisante. Et je commence à admirer plus que jamais Harris ( nte de l'éd. comédien )
A Westminster pour voir Creed, et nous nous promenâmes dans le parc. Il est malade et ne peut encore rejoindre milord, mais il le fera demain. Rentré à la maison et resté tard à mon bureau, puis à la maison et, au lit.
Comme il y a ce soir un clair de lune, je suis resté un peu tard dans le jardin à jouer de mon flageolet.
Mais au palais de Westminster je reçus une grande nouvelle : Mrs Lane est mariée à un certain Martin, qui est au service du capitaine Marsh. Elle est sortie avec lui aujourd'hui, fort bien mise. Il faudra que j'aie une passe avec elle d'ici peu, pour voir ce que lui semble du mariage.
21 juillet
Levé et au bureau, réunion toute la matinée, occupé, entre autres, à un contrat avec sir William Warren pour presque 1 000 mâts de pin de Göteborg, le plus gros contrat jamais conclu dans la marine, entièrement de ma composition, et, je l'espère, un bon contrat pour le roi. lecourrierderussie.com
Dîné chez sir William Batten, chez qui je n'ai pas pris de repas depuis des mois. Seuls présents, sir George Carteret, Mr Coventry, sir John Mennes et moi, et milady. Bon pâté de venaison. Je me fis fort enjoué et aimable auprès de milady, et elle avec moi.
Ce matin, au bureau, Nicolas Osborne, le commis de Mr Gauden, est venu me prier de dire quelle pièce d'argenterie j'aimerais recevoir en présent, d'une valeur de quelque 100 livres. C'est la somme qu'il a ordre de dépenser et il vient de son propre chef, en raison de familiarité avec moi, me poser cette question.. Je protestai pendant longtemps de ma répugnance à accepter quoi que ce fût, ne sachant comment je pourrais obligé Mr Gauden, mais lui laissai la décision.
A midi je vois donc apporter chez moi, dans d'élégants étuis de cuir, la plus magnifique paire de brocs à vin que j'aie vue de ma vie. Si je les garderai, je ne saurais le dire, car c'est afin de me lier à lui dans cette affaire des subsistances pour Tanger, dans laquelle je crains bien de ne point m'engager. Mais je suis fort aise de voir que je suis sûr de recevoir quelque chose d'un côté ou de l'autre, quel que soit celui qui l'aura.. C'est donc le cœur gai que je les contemplai, et les renfermai.
Après dîner chez milord le chancelier. Bien rendu compte de son affaire et il en est très satisfait. Il se comporte à mon égard avec une grande réserve, sans trop laisser paraître son contentement, ni sa reconnaissance. Mais je sais qu'il trouve que je le sers bien.
A Westminster et chez Mrs Lane pour la mettre en joie. Elle me laissa en user avec elle comme devant. Son mari arrive tantôt, un pauvre benêt, et la lettre qu'il lui adressa, qu'elle me montre fièrement, une niaiserie sans queue ni tête. Un homme sans conversation qui, je le crains l'a épousée pour faire une aubaine, en quoi il se leurre. Elle sera une triste épouse pour lui, car elle me pressa de fixer un moment sitôt qu'il aura quitté la ville, pour lui donner rendez-vous la semaine prochaine.
Par le fleuve, avec deux cousines de Mrs Lane. Je les dépose à Queennhithe et rentre chez moi par le Pont. Travaillé tard, puis à la maison, souper et, au lit.
22 juillet 1664
Levé et à mon bureau, affairé toute la matinée. A midi à la Bourse, puis à la maison pour dîner et descendu en bateau à Deptford. Arrivé trop tôt, je passai une heure à visiter le chantier et à mettre Mr Shish à mesurer une ou deux billes de bois, ce qu'il fit en se trompant outrageusement au détriment du roi, de 12 ou 13 shillings sur une bille de 28 pieds cubes. Puis chez le vérificateur des rôles d'où Mr Falconer était emporté pour être enterré aujourd'hui. Sir John Mennes et moi étant les seuls officiers de haut rang présents.
Nous le suivîmes à l'église puis je les quittai sans attendre le sermon et tout droit chez moi en bateau. Je trouvai, comme prévu, Mr Hill et Andrews avec un homme laid et mal soigné, le signor Pedro qui chante à ravir des chansons italiennes en s'accompagnant au théorbe. Ils passèrent toute la soirée à chanter le meilleur morceau de musique selon les suffrages du monde entier, composé par le signor Carissimi, le célèbre maître romain. Ce fut beau en vérité, trop beau pour que j'en pusse juger.
Ils ont engagé Pedro à se joindre à nous toutes les semaines et je crains que cela ne devienne pour moi un ennui si nous nous mettons à inviter des gens à se joindre à nous, en particulier des musiciens désœuvrés, ce qui ne me plaît guère quand j'y songe.
Eux partis arrive Mr Lanyon. Il me dit que Mr Alsop est tombé gravement malade et craint de ne s'en point remettre, ce qui ébranle mes espoirs de 300 livres par an dans cette affaire. Je bénis le Ciel, par conséquent, pour ce que Mr Gauden m'a envoyé. Aujourd'hui, selon une conversation avec Mr Osborne qui jure qu'il ne sait rien de cette affaire de subsistances, mais au contraire que ce n'est pas cela qui a poussé Mr Gauden à m'envoyer le présent, car il avait eu ordre de le faire n'importe quand depuis deux mois. Si c'est vrai ou non, je ne sais, mais je n'en garderai ce présent qu'avec plus de confiance.
Souper, au bureau un moment et promenade dans le jardin par un brillant clair de lune et un beau temps chaud. Rentré et, au lit.
23 juillet
Levé, au bureau toute la matinée. A midi à la Bourse où je saisis l'occasion de m'ouvrir de l'affaire du bois de milord le chancelier à Mr Coventry du mieux que je pus. Il m'affirma que jusqu'à ce que George Carteret lui en parlât à table après que nos officiers furent partis faire le relevé, il ne savait pas que milord le chancelier fût en rien touché. Mais maintenant il dit que le duc l'avait informé que sir George Carteret lui en avait parlé et qu'il avait dit au Duc que s'il était à la place de milord le chancelier,
s'il était son père, il enverrait ce gain de 2 ou 3 000 livres au diable, plutôt que l'on pût prétendre que ce bois qui aurait été au roi s'il était resté aux mains du duc d'Albermarle, nous l'avions dissimulé au profit de milord le chancelier.
" - Car, dit-il, c'est un grand et tous ceux qui sont comme lui, et lui en particulier, ont une foule d'ennemis qui seraient bien aise d'acquérir cet avantage sur lui. "
Quand je lui dis qu'il était étrange que sir George Mennes et sir George Carteret, qui savaient que milord le chancelier était concerné, ne nous en eussent point informés dès l'abord, il me répondit que pour ce qui est du vieux sir John on le tient pour un bon compagnon, mais personne à l'autre bout de la ville ne le tient pour un homme qui s'entend dans ses affaires et que, selon lui, milord le chancelier ne lui en a jamais rien dit. Seul sir George Carteret, à ce qu'il croit, le sait sûrement, car lui et sir John Shaw sont les meilleurs confidents qu'il ait au monde.
Quant à lui, dit-il, il n'avait l'intention d'y aller par quatre chemins, mais était déterminé à faire ce qui convenait et à garder son indépendance dans cette affaire. Il en parlerait au Duc afin que lui-mêle et sir George Carteret fussent désignés pour servir en cela milord le chancelier.
Tout ceci m'inquiète fort. Je ne sais plus que dire, ni comment me comporter. Car la complaisance me vaudra d'être déconsidéré aux yeux de Mr Coventry et le manque de complaisance à ceux de milord le chancelier. Mais je pense ne plus m'en occuper que le moins possible.
De là parti à pied vers Westminster et me sentant d'humeur frivole et vagabonde je traversai Fleet Alley où, à l'une des portes se tenait une très jolie fille. Je fis un petit tour, mais à cause de mon sens de l'honneur et de ma conscience, je ne me décidai point à entrer. Mais, bien malgré moi, je pris un fiacre pour la Grand-Salle de Westminster où je tombai sur Mrs Lane, avec qui je projetai de traverser le fleuve. Nous nous rejoignîmes donc à l'appontement de White dans Cannon Row pour traverser et aller dans la vieille maison du marais de Lambeth, où nous mangeâmes et bûmes et où je pris mon plaisir avec elle deux fois. Elle est la femme la plus étrange en paroles, tantôt déclarant son amour pour son mari, et tantôt ne se souciant pas de lui, et pourtant me laisse volontiers la liberté d'en user avec elle à mon gré.
En dépensant 5 ou 6 shillings pour elle, je pus en user à mon gré, et après plus d'une heure nous repartîmes. Je la déposai de nouveau à l'appontement et je continuai vers Fleet Street pour me rendre dans Fleet Alley, ne sachant comment me dominer. J'entrai et je vis là ce que j'ai connu autrefois, la perversité de ces maisons où un homme est forcé de dépenser son argent sur-le-champ. La femme, en vérité, est très belle, mais je n'eus pas le courage d'avoir affaire avec elle, de crainte qu'elle ne fût pas saine. Je feignis donc de n'avoir pas assez d'argent. Ce fut plaisant de voir l'habileté de cette drôlesse qui ne souffrit pas que je fisse quoi que ce fût avec elle dès lors qu'elle vit que je n'avais point d'argent, mais elle me dit alors que je ne reviendrais pas, tout en étant désormais bien sûre que je reviendrai, quoique j'espère que Dieu me préservera de le faire car, bien que ce soit l'une des plus jolies femmes que j'aie jamais vues, je crains qu'elle ne m'abuse.
En priant Dieu de me pardonner ces vanités, je rentrai chez moi en prenant au passage quelques livres chez mon libraire et en emmenant avec moi son petit commis à qui je remis 10 £ pour les ouvrages pour lesquels j'avais mis de côté de l'argent, que j'ai dépensé en moins de trois semaines, ce qui ne m'arrivera plus de longtemps, j'espère.
A mon bureau, à écrire des lettres, puis à la maison et, au lit, épuisé par mon plaisir d'aujourd'hui et tout honteux d'y penser.
24 juillet
Jour du Seigneur
Levé, un peu endolori tout le jour à cause de mon commerce d'hier. C'est d'avoir pris froid, Je suppose. Gardé la maison tout le jour, lus deux ou trois bonnes pièces de théâtre. Le soir, un moment à mon bureau, puis rentré, et après souper, au lit.
25 juillet
Levé et avec sir John Mennes et sir William Batten en voiture jusqu'à St James. Mais le Duc était sorti. Nous allons au cabinet de travail de milord Berkeley où se trouve Mr Coventry. Nous vîmes là, entre autres, un exemplaire imprimé de la commission du roi pour les réparations de St Paul, qui est très étendue et donne de grands pouvoirs pour ramasser de l'argent et recouvrer celui de tous ceux qui ont auparavant acheté ou vendu quoi que ce soit qui ait appartenu à la cathédrale.
Je trouve le lord-maire de la Cité placé avant l'archevêque et tous les nobles, bien que tous les plus grands officiers de l'Etat y soient.
Cependant, milord Berkeley, qui en est, ne me semble pas dire qu'il en sortira grand-chose.
Reparti vers la maison et sir William Batten et moi au café. Mais point de nouvelles, si ce n'est que la peste fait des ravages et s'aggrave chez les Hollandais.
Rentré dîner et ensuite sorti me promener. Quoique je fisse je ne pus m'empêcher de passer par Fleet Lane. Mais j'eus assez de prudence et d'honneur pour ne point entrer, d'autant plus, puisque c'était fête, que je craignais de rencontrer des gens de connaissance.
Allé à Charing Cross et m'arrêtai chez Unthak pour voir ce que je lui devais, mais je ne lui devais rien. Comme il y avait là deux jolies dames, des pensionnaires, dans la cuisine, je m'attardai un moment. Puis chez Jervas mon barbier qui, aujourd'hui enterre l'enfant qu'il eut récemment qui, paraît-il, est né sans orifice au derrière, de telle sorte qu'il n'évacua jamais rien pendant la semaine ou deux qu'il vécut.
De là chez Mr Reeves, car il me vient tout à coup à l'esprit d'acheter un microscope, mais il n'était pas chez lui. Je me promenai alors dans tout ce quartier, parmi ces personnes et ces maisons dégoûtantes. Mais, Dieu merci, je n'eus point envie d'en visiter aucune. Rentré chez moi, trouvé Mr Lanyon qui me dit que l'état de Mr Alsop est désespéré, ce qui va décevoir grandement mes espérances de ce côté, et pourtant peut-être pas. Il faudra que je réfléchisse pour savoir s'il serait prudent de m'aventurer à entrer dans l'affaire en y engageant mon capital.
Lui parti, Mr Cole, mon vieux Jack Cole, vint me voir et parler. En bref, le but de sa visite est de me dire qu'il laisse là son état. Il n'y fait rien de bon et va vendre tout ce qu'il a et prendre la mer, son père étant mort sans rien lui laisser, ou presque. Je fus chagriné de l'entendre, car c'est un homme de talent mais, je le crois, débauché.
Je lui promis toute l'amitié possible, ce qui n'ira guère loin, quoique je le dise sincèrement. Je le gardai avec moi jusqu'à 11 heures du soir, à raconter de vieilles anecdotes de l'école, très amusantes. A vrai dire, je trouve que nous employions alors notre temps et nos pensées autrement que ne font les jeunes garçons de nos jours, et aussi bien, à ce que je crois, que mes pensées d'aujourd'hui dans les meilleurs moments. Il soupa avec moi, puis partit et j'allai, au lit.
C'est chose singulière que de nous voir tous séparés, qui fûmes élevés si longtemps ensemble à l'école, et de voir les fortunes diverses que nous avons rencontrées, soit bonnes, soit mauvaises.
26 juillet
Toute la matinée au bureau. A midi chez Anthony Joyce pour le dîner des compères et commères. J'avais envoyé une douzaine et demie de bouteilles de vin et, en outre, payé mon double écot de 18 shillings. Ce fut un repas fort joyeux et quand les femmes furent gaies et se levèrent de table, je montai avec elles, le seul homme de la compagnie. Je me mets à parler de ce que je n'ai pas d'enfants et les priai de me donner leur avis et leurs conseils, et, à elles toutes, elles me donnèrent gaiement et sans façons les dix conseils suivants :
1° Ne pas étreindre ma femme trop fort et trop souvent.
2° Ne pas souper trop tard.
3° Boire de l'eau de sauge.
4° Pain grillé dans du vin rouge.
5° Porter de frais caleçons de toile de Hollande.
6° Me tenir l'estomac au chaud et le dos au frais.
7° A ma question de savoir s'il fallait le faire soir ou matin, elles me répondirent : ni l'un, ni l'autre, mais quand nous en avons envie.
8° Ma femme ne doit point trop serrer son corset.
9° Je dois boire de la bière de froment sucrée.
10° Mrs Ward me répondit de changer de position dans le lit.
Les 3è, 4è, 6è, 7è et 10è règles elles les proclamèrent toutes sérieusement et insistèrent beaucoup dessus, comme sur des règles vraiment dignes d'être suivies, surtout la dernière : coucher avec la tête à la place des talons, ou du moins que le lit soit haut aux pieds et bas à la tête.
Tout cela fort joyeusement, autant que je pouvais être joyeux en si piètre compagnie.
On fait grand bruit de l'échauffourée d'hier à Moorfields. Comme les bouchers battirent d'abord les tisserands, car il y a entre eux, depuis toujours une vieille rivalité, mais à la fin les tisserands se reprirent et les rossèrent. Au début les bouchers assomment comme tisserands tous ceux qui avaient des tabliers verts ou bleus, tant et si bien qu'ils étaient obligés de les ôter et de les cacher dans leurs chausses. A la fin, les bouchers étaient obligés d'ôter leurs manches pour ne pas être couverts de blessures et de coups, si bien que les tisserands firent une marche triomphale en criant : " Cent livres pour un boucher ! " Vers le soir je m'en fus chez Mr Reeves voir un microscope, car il m'a rendu visite ce matin, et j'en choisis un que je veux acheter.
Reparti en emmenant la jeune Mrs Harman, femme d'éducation et d'humeur charmantes, que je pourrais aimer beaucoup, quoiqu'elle ne soit pas belle, pour la grâce de sa personne et de son maintien, et son œil noir. En chemin rencontré son mari venu la chercher et les ai déposés chez eux. Rentré chez moi, à mon bureau un moment, puis souper et, au lit.
27 juillet
Lever. Après avoir causé avec Mr Duke qui va être nommé secrétaire des Pêcheries et est maintenant secrétaire de la commission du Commerce, homme que je trouve fort habile, je fus chez Mr Povey où j'entendis de ces propos creux. Voilà qu'il aurait aimé que Mr Gauden fût chargé des subsistances pour Tanger, ce que nul autre qu'un sot ne me dirait alors qu'il sait bien qu'il m'a sollicité de lui obtenir quelque chose de ceux qui en ont maintenant la charge. Puis à St James, mais Mr Coventry étant malade, je ne restai pas, mais m'en fus à Whitehall un moment, m'y promenai de ci, de là, rentré chez moi afin de préparer des papiers pour l'après-midi. Après dîner à la Bourse un moment, puis à Whitehall où bientôt arriva le duc d'York, et nous voilà en commission de Tanger où je lus mon projet de contrat pour les subsistances et leur fis part de la mort de Mr Alsop, que Mr Lanyon m’avait apprise ce matin, ce qui est triste à considérer de voir combien notre vie est incertaine et qu'on n'y peut guère compter dans les plus grandes entreprises.
Les termes du contrat étant approuvés rentré chez moi où Mr Lanyon arriva amenant mon voisin Mr Andrews qu'il proposa de prendre pour associé à la place de Mr Alsop. Cela ne me déplaît point.
Nous lûmes ensemble le contrat, le discutâmes sérieusement et prîmes congé. Je suis bien aise de le voir revenir à cette étape, car Mr Lanyon et moi avions discuté aujourd'hui de la part que j'y pourrais prendre, et j'ai bon espoir, si cela continue, d'avoir les 300 livres par an que j'espérais d'abord.
Eux partis, souper et, au lit.
Cette après-midi est rentrée ma grande provision de charbon, de six voies et demie, afin de voir combien de temps elle me durera.
28 juillet
Au bureau toute la matinée. Après la Bourse dîné à la maison, puis sorti et, voyant L'Esclave à l'affiche, j'examinai mes vœux et trouvai que je pouvais y aller cette fois sans crainte de les rompre. J'y fus, nonobstant mon grand désir de retourner à Fleet Alley, que Dieu me pardonne ! Je vis jouer cette pièce. Il est vrai que par manque d'exercice beaucoup d'entre les acteurs avaient un peu oublié leur rôle,
mais Betterton et ma pauvre Ianthe sont les meilleurs du monde. Il n'y a rien au monde que je trouve plus prenant que cette pièce.
A Westminster chez mon barbier. C'est chose singulière que, quand je m'aperçus que c'était Jervas lui-même qui comptait m'apporter ma perruque et non pas Jane sa servante, je priai qu'on ne me l'apportât pas du tout, car j'avais envie que ce fût elle. J'allai aussi chez Mr Blagrave pour lui parler de sa parente qui viendrait avec ma femme, mais ils ne sont pas encore en ville et donc je rentrai chez moi en voiture, puis à mon bureau et enfin souper et, au lit.
Voici ma situation présente. Ma femme à la campagne, ma servante Bess avec elle et tout va bien de ce côté. Je m'efforce de lui trouver une dame de compagnie à mon goût, une surtout qui s'y entende en musique, en particulier à chanter. J'en prendrai une d'autant plus volontiers que j'ai bon espoir d'avoir 2 ou 300 £ de revenu extraordinaire dans l'affaire des subsistances pour Tanger, quoique Mr Alsop, en qui je mettais mes principaux espoirs, soit mort depuis que je m'en occupe et que Mr Lanyon, je le crains, soit lui aussi en train de tomber malade.
Ma santé est assez bonne, si ce n'est que je suis sujet à avoir des vents au premier coup de froid et j'en souffre alors tout de suite et beaucoup.
Il n'est bruit que d'une guerre contre la Hollande, et il me semble probable qu'on en viendra là, car ils le prennent de haut et, selon ce qu'on me dit, ne désirent nullement nous faire des civilités, mais envoyer une belle flotte en Guinée pour nous y affronter. Milord Sandwich, nouvellement parti en mer et ayant, je crois, à nouveau très bonne opinion de moi, avant son départ, du moins, et dans sa lettre reçue depuis il me marque toute sorte de respect et de confiance.
L'espoir que dans les comptes de ce mois je me verrai possesseur de 1 000 £ me met en joie outre ce riche présent de deux brocs de vermeil que me fit Mr Gauden l'autre jour.
Je vis maintenant chez moi fort plaisamment, servi très sérieusement, tranquillement et proprement par les deux servantes, Jane et la petite Sue, dont je suis fort content.
Mon plus grand souci est de régler la question du domaine de Brampton, afin que je sache qu'attendre et comment pouvoir le laisser à ma mort de façon à être fidèle à ma promesse envers mon oncle Thomas et son fils. Le suivant ce maudit embarras où mon frère Tom va sans doute nous mettre par sa mort, en nous forçant à un procès contre ses créanciers, entre autres le Dr Tom Pepys avec autant de honte que d'embarras. Et le dernier est de savoir comme vit mon père quant à ses économies et à ses dépenses, de peur qu'on ne me fasse faire des dettes en tant que je suis l'un des exécuteurs testamentaires de mon oncle, sans que j'en sache rien ni n'en sois plus avancé. Mais j'espère avoir bientôt le loisir de considérer tout cela et de bien m'en informer.
29 juillet 1664
Au bureau toute la matinée, expédié mon travail. A midi, après dîner à la Bourse et de là chez Tom Trice pour l'affaire du Dr Pepys. Puis, à cause de la pluie, passé dans Fleet Alley où resté avec Cocke une heure à peu près. Cette drôlesse, pensant que je ne lui donnerais pas d'argent, ou pas assez, ne fit pas mine de m'inviter à quoi que ce fût, mais au contraire dit qu'elle était indisposée. Ce dont je fus bien aise car je n'avais pas envie d'avoir affaire avec elle. Mais je vis ce que je voulais, l'habileté de cette drôlesse, l'impudence de ses ruses et de ses façons d'obtenir de l'argent, de faire monter la note en commandant sans cesse autre chose, de telle sorte qu'elle s'éleva bientôt à 6 ou 7 shillings.
Rentré donc chez moi bien aise de m'en tirer sans dommage.
Arrivèrent Mr Hill, Andrews et le signor Pedro, et nous fîmes abondance de musique. Mais je commence à être las d'un musicien parmi nous, car il me semble gâter la liberté de nos exercices.
Après leur Mr Bland vint me voir et resta avec moi jusqu'à 11 heures du soir, à parler de la garnison de Tanger et de son approvisionnement en pièces de huit (( nte de l'éd. des pesos espagnols valant huit réaux ). Il aurait bien envie d'y être employé, mais n'ose me demander une faveur. Pourtant il voudrait bien me faire promettre de le soutenir car, à ce que je vois, ils comprennent tous que je suis l'homme qui fait en sorte que le roi reçoive son dû, en recherchant de nouveaux soumissionnaires. Tout à fait las de sa compagnie je le congédiai et, au lit.
30 juillet
Toute la matinée au bureau. A midi à la Bourse où il n'est bruit que d'un riche présent apporté par un bateau de la Compagnie des Indes orientales et envoyé par l'un des princes de l'Inde, deux pierres précieuses d'une valeur pour le roi de 70 000 £. Après dîner, au bureau tout l'après-midi, finir diverses choses en vue de la fin du mois, pour que je puisse mettre tous mes comptes au clair demain. Aussi cet après-midi, avec une grande satisfaction, je terminai le contrat des subsistances pour Tanger avec Mr Lanyon et les autres, et, à mon soulagement, j'obtins sa signature et celle d'Andrews sur l'engagement de me donner 300 £ par an, ce qui, je l'espère, me fera 100 ou 200 livres de profit net.
Ecrit et mis à la poste plusieurs lettres afin de me délivrer l'esprit de certaines affaires et d'être à jour de mes tablettes, puisque je me suis obligé dernièrement à tout régler pour la fin du mois.
Ainsi, le soir, l'esprit content et en repos, au lit. Ce jour, j'ai envoyé une flèche de venaison et six bouteilles de vin à Kate Joyce.
31 juillet 1664
Jour du Seigneur
Levé et à l'église, où je ne suis pas allé depuis maintes semaines. Rentré chez moi, arrive Mr Hill que j'ai invité hier, ce qui me contraria un peu, mais j'arrangeai cela très bien en l'emmenant chez sir John Mennes où j'étais invité avec toutes nos familles autour d'un pâté de venaison. Bonne chère et bonne conversation. Après dîner, à la maison avec Mr Hill et musique tout l'après-midi.
Lui parti, le soir à mes comptes. A ma grande joie, et en rendant grâces à Dieu tout puissant, je me vois, sans conteste, possesseur de 1 014 £. La première fois que j'ai jamais eu 1 000 livres. Ce qui est le sommet de tout ce à quoi j'aspirais depuis longtemps.
Mais avec la bénédiction de Dieu sur ma diligence, j'espère en mettre de côté davantage d'ici peu, si cette affaire des subsistances pour Tanger va comme je l'espère.
Ainsi, louant Dieu pour l'état de richesse que j'ai atteint, et ma situation étant telle que je la détaillai il y a deux jours dans ce journal, à la maison, souper et, au lit, en priant Dieu de m'accorder la grâce de faire bon usage de ce que j'ai et de persévérer dans mes soins et ma diligence pour en gagner encore davantage.
à suivre...........
1er Août 1664
Levé l'esprit.........
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