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jeudi 20 février 2020

Poil de Carotte 10 Le Chat - Les Moutons - Parrain - La Fontaine - Les Prunes Jules Renard ( Roman France )

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                                                              Le Chat

                                                                    I

            Poil de Carotte l'a entendu dire : rien ne vaut la viande de chat pour pêcher les écrevisses, ni les tripes d'un poulet, ni les déchets d'une boucherie.
            Or il connaît un chat, méprisé parce qu'il est vieux, malade et, ça et là, pelé. Poil de Carotte l'invite à venir prendre une tasse de lait chez lui, dans son toiton. Ils seront seuls. Il se peut qu'un rat s'aventure hors du mur, mais Poil de Carotte ne promet que la tasse de lait. Il l'a posée dans un coin. Il y pousse le chat et dit :
            - Régale-toi.
            Il lui flatte l'échine, lui donne des noms tendres, observe ses vifs coups de langue, puis s'attendrit.
            - Pauvre vieux, jouis de ton reste.
            Le chat vide la tasse, nettoie le fond, essuie le bord, et il ne lèche plus que ses lèvres sucrées.
            - As-tu fini, bien fini ? demande Poil de Carotte, qui le caresse toujours. Sans doute, tu boirais volontiers une autre tasse ; mais je n'ai pu voler que celle-là. D'ailleurs, un peu plus tôt, un peu plus tard !...
            A ces mots, il lui applique au front le canon de la carabine et fait feu.
            La détonation étourdit Poil de Carotte. Il croit que le toiton même a sauté, et quand le nuage se dissipe, il voit, à ses pieds, le chat qui le regarde d'un oeil.
            Une moitié de la tête est emportée, et le sang coule dans la tasse de lait.
            - Il n 'a pas l'air mort, dit Poil de Carotte. Mâtin, j'ai pourtant visé juste.
            Il n'ose bouger, tant l'oeil unique, d'un jaune éclat, l'inquiète.
            Le chat, par le tremblement de son corps, indique qu'il vit, mais ne tente aucun effort pour se déplacer. Il semble saigner exprès dans la tasse, avec le soin que toutes les gouttes y tombent.
            Poil de Carotte n'est pas un débutant. Il a tué des oiseaux sauvages, des animaux domestiques, un chien, pour son propre plaisir ou pour le compte d'autrui. Il sait comment on procède, et que si la bête a la vie dure, il faut se dépêcher, s'exciter, rager, risquer, au besoin, une lutte corps à corps. Sinon, des accès de fausse sensibilité nous surprennent. On devient lâche. On perd du temps ; on n'en finit jamais.
            D'abord, il essaie quelques agaceries prudentes. Puis il empoigne le chat par la queue et lui assène sur la nuque des coups de carabine si violents, que chacun d'eux paraît le dernier, le coup de grâce.                                                                                                         hitek.fr
Image associée            Les pattes folles, le chat moribond griffe l'air, se  recroqueville en boule, on se détend et ne crie pas.
            - Qui donc m'affirmait que les chats pleurent, quand ils meurent ? dit Poil de Carotte.
            Il s'impatiente. C'est trop long. Il jette sa carabine, cercle le chat de ses bras et, s'exaltant à la pénétration des griffes, les dents jointes, les veines orageuses, il l'étouffe.
            Mais il s'étouffe aussi, chancelle, épuisé, et tombe par terre, assis, sa figure collée contre la figure, ses deux yeux dans l'oeil du chat.

                                                                         II

            Poil de Carotte est maintenant couché sur son lit de fer.
            Ses parents et les amis de ses parents mandés en hâte, visitent, courbés sous le plafond bas du toiton, les lieux où s'accomplit le drame.
            - Ah ! dit sa mère, j'ai dû centupler mes forces pour lui arracher le chat broyé sur son coeur. Je vous certifie qu'il ne me serre pas ainsi, moi.
            Et tandis qu'elle explique les traces d'une férocité qui, plus tard, aux veillées de famille, apparaîtra légendaire, Poil de Carotte dort et rêve.
            Il se promène le long d'un ruisseau, où les rayons d'une lune inévitable remuent, se croisent comme les aiguilles d'une tricoteuse.
            Sur les pêchettes, les morceaux du chat flamboient à travers l'eau transparente.
            Des brumes blanches glissent au ras du pré, cachent peut-être de légers fantômes.
            Poil de Carotte, ses mains derrière son dos, leur prouve qu'ils n'ont rien à craindre.
            Un boeuf approche, s'arrête et souffle, détale ensuite, répand jusqu'au ciel le bruit de ses quatre sabots et s'évanouit.
            Quel calme, si le ruisseau bavard ne caquetait pas, ne chuchotait pas, n'agaçait pas autant, à lui seul, qu'une assemblée de vieilles femmes.                                           cookingout.canalblog.com
Résultat de recherche d'images pour "écrevisses"            Poil de Carotte, comme s'il voulait le frapper pour le faire taire, lève doucement un bâton de pêchette et voici que du milieu des roseaux montent des écrevisses géantes.
            Elles croissent encore et sortent de l'eau, droites, luisantes.
            Poil de Carotte, alourdi par l'angoisse, ne sait pas fuir.
            Et les écrevisses l'entourent.
            Elles se haussent vers sa gorge.
            Elles crépitent.
            Déjà, elles ouvrent leurs pinces toutes grandes.


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     dico-sciences-animales.cirad.fr                                                             Les Moutons
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            Poil de Carotte n'aperçoit d'abord que de vagues boules sautantes. Elles poussent des cris étourdissants et mêlés, comme des enfants qui jouent sous un préau d'école. L'une d'elles se jettent dans ses jambes, et il en éprouve quelque malaise. Une autre bondit en pleine projection de lucarne. C'est un agneau. Poil de Carotte sourit d'avoir eu peur. Ses yeux s'habituent graduellement à l'obscurité et les détails se précisent.
            L'époque des naissances a commencé. Chaque matin, le fermier Pajol compte deux ou trois agneaux de plus. Il les trouve égarés parmi les mères, gauches, flageolant sur leurs pattes raides : quatre morceaux de bois d'une sculpture grossière.
            Poil de Carotte n'ose pas encore les caresser. Plus hardis, ils suçotent déjà ses souliers, ou posent leurs pieds de devant sur lui, un brin de foin dans la bouche.
            Les vieux, ceux d'une semaine, se détendent d'un violent effort de l'arrière-train et exécutent un zigzag en l'air. Ceux d'un jour, maigres, tombent sur leurs genoux anguleux, pour se relever pleins de vie. Un petit qui vient de naître se traîne, visqueux et non léché. Sa mère, gênée par sa bourse gonflée d'eau et ballottante, le repousse à coups de tête.
            - Une mauvaise mère ! dit Poil de Carotte.
            - C'est chez les bêtes comme chez le monde, dit Pajol.
            - Elle voudrait, sans doute, le mettre en nourrice.
            - Presque, dit Pajol. Il faut à plus d'un donner le biberon, un biberon comme ceux qu'on achète au pharmacien. Ça ne dure pas, la mère s'attendrit. D'ailleurs, on les mate.
            Il la prend par les épaule et l'isole dans une cage. Il lui noue au cou une cravate de paille pour la reconnaître, si elle s'échappe. L'agneau l'a suivie. La brebis mange avec un bruit de râpe, et le petit, frissonnant, se dresse sur ses membres mous, essaie de téter, plaintif, le museau enveloppé d'une gelée tremblante.
            - Et vous croyez qu'elle reviendra à des sentiments plus humains ? dit Poil de Carotte.
            - Oui, quand son derrière sera guéri, dit Pajol : elle a eu des couches dures.
            - Je tiens à mon idée, dit Poil de Carotte. Pourquoi ne pas confier le petit aux soins d'une étrangère ?
            - Elle le refuserait, dit Pajol.
            En effet, des quatre coins de l'écurie, les bêlements des mères se croisent, sonnent l'heure des tétées et, monotones aux oreilles de Poil de Carotte, sont nuancés pour les agneaux car, sans confusion, chacun se précipite droit aux tétines maternelles.
            - Ici, dit Pajol, point de voleuses d'enfants.
            - Bizarre, dit Poil de Carotte, cet instinct de la famille chez ces ballots de laine. Comment l'expliquer ? Peut-être par la finesse de leur nez.
            Il a presque envie d'en boucher un, pour voir.
            Il compare profondément les hommes avec les moutons, et voudrait connaître les petits noms des agneaux.
            Tandis qu'avides ils sucent, leurs mamans, les flancs battus de brusques coups de nez, mangent, paisibles, indifférentes. Poil de Carotte remarque dans l'eau d'une auge des débris de chaînes, des cercles de roues, une pelle usée.
            - Elle est propre, votre auge ! dit-il d'un ton fin. Assurément, vous enrichissez le sang des bêtes au moyen de cette ferraille !
            - Comme de juste, dit Pajol. Tu avales bien des pilules, toi !
            Il offre à Poil de Carotte de goûter l'eau. Afin qu'elle devienne encore plus fortifiante, il y jette n'importe quoi.
            - Veux-tu un berdin ? dit-il
            - Volontiers, dit Poil de Carotte sans savoir ; merci d'avance.
            Pajol fouille l'épaisse laine d'une mère et attrape avec ses ongles un berdin jaune, rond, dodu, repu, énorme. Selon Pajol, deux de cette taille dévoreraient la tête d'un enfant comme une prune. Il le met au creux de la main de Poil de Carotte et l'engage, s'il veut rire et s'amuser, à le fourrer dans le cou ou les cheveux de ses frère et soeur.                                                    francetvinfo.fr
Image associée            Déjà le berdin travaille, attaque la peau. Poil de Carotte éprouve des picotements aux doigts, comme s'il tombait du grésil. Bientôt au poignet, ils gagnent le coude. Il semble que le berdin se multiplie, qu'il va ronger le bras jusqu'à l'épaule.
            Tant pis, Poil de Carotte le serre ; il l'écrase et essuie sa main sur le dos d'une brebis, sans que Pajol s'en aperçoive.
            Il dira qu'il l'a perdu.
            Un instant encore, Poil de Carotte écoute, recueilli, les bêlements qui se calment peu à peu. Tout à l'heure, on n'entendra plus que le bruissement sourd du foin broyé entre les mâchoires lentes.
            Accrochée à un barreau de râtelier, une limousine aux raies éteintes semble garder les moutons toute seule.   


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                                                                       Parrain                                                                                                                                                                                                        pinterest.com  
Résultat de recherche d'images pour "paysan 1900"             Quelquefois, Mme Lepic permet à Poil de Carotte d'aller voir son parrain et même de coucher avec lui. C'est un vieil homme bourru, solitaire, qui passe sa vie à la pêche ou dans la vigne. Il n'aime personne et ne supporte que Poil de Carotte.
            - Te voilà, canard ! dit-il.
            - Oui, parrain, dit Poil de Carotte sans l'embrasser, m'as-tu préparé ma ligne ?
            - Nous en aurons assez d'une pour nous deux, dit parrain.
            Poil de Carotte ouvre la porte de la grange et voit sa ligne prête. Ainsi son parrain le taquine toujours, mais Poil de Carotte averti ne se fâche plus et cette manie du vieil homme complique à peine leurs relations. Quand il dit oui, il veut dire non et réciproquement. Il ne s'agit que de ne pas s'y tromper.
            - Si ça l'amuse, ça ne me gêne guère, pense Poil de Carotte.
            Et ils restent bons camarades.
            Parrain, qui d'ordinaire ne fait de cuisine qu'une fois par semaine pour toute la semaine, met au feu, en l'honneur de Poil de Carotte, un grand pot de haricots avec un bon morceau de lard et, pour commencer la journée, le force à boire un verre de vin pur.
            Puis ils vont pêcher.
            Parrain s'assied au bord de l'eau et déroule méthodiquement son crin de Florence. Il consolide avec de lourdes pierres ses lignes impressionnantes et ne pêche que les gros qu'il roule au frais dans une serviette et lange comme des enfants.
            - Surtout, dit-il à Poil de Carotte, ne lève ta ligne que lorsque ton bouchon aura enfoncé trois fois.
            Poil de Carotte
            - Pourquoi trois ?
            Parrain
            - La première ne signifie rien : le poisson mordille. La seconde, c'est sérieux : il avale. La troisième, c'est sûr : il ne s'échappera plus. On ne tire jamais trop tard.
            Poil de Carotte préfère la pêche aux goujons. Il se déchausse, entre dans la rivière et, avec ses pieds, agite le fond sablonneux pour faire de l'eau trouble. Les goujons stupides accourent et Poil de Carotte en sort un à chaque jet de ligne. A peine a-t-il le temps de crier au parrain :
            - Seize, dix-sept, dix-hui !...
            Quand parrain voit le soleil au-dessus de sa tête, on rentre déjeuner. Il bourre Poil de Carotte de haricots blancs.
            - Je ne connais rien de meilleur, lui dit-il, mais je les veux cuits en bouillie. J'aimerais mieux mordre le fer d'une pioche que manger un haricot qui craque sous la dent, craque comme un grain de plomb dans une aile de perdrix.
            Poil de Carotte
            - Ceux-là fondent sur la langue. D'habitude, maman ne les fait pas trop mal. Pourtant, ce n'est plus ça. Elle doit ménager la crème.
            Parrain
            - Canard, j'ai du plaisir à te voir manger. Je parie que tu ne manges point ton content, chez ta mère.                                                                                                               
            Poil de Carotte                                                                                cuisineaz.com
Résultat de recherche d'images pour "haricots blancs"            - Tout dépend de son appétit. Si elle a faim, je mange à sa faim. En se servant, elle me sert par-dessus le marché. Si elle a fini, j'ai fini aussi.
            Parrain
            - On en redemande, bêta.
            Poil de Carotte
            - C'est facile à dire, mon vieux. D'ailleurs, il vaut toujours mieux rester sur sa faim.
            Parrain
            - Et moi qui n'ai pas d'enfant,je lécherais le derrière d'un singe, si ce singe était mon enfant ! Arrangez ça.
            Ils terminent leur journée dans la vigne, où Poil de Carotte, tantôt regarde piocher son parrain et le suit pas à pas, tantôt couché sur des fagots de sarment et les yeux au ciel, suce des brins d'osier.


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                                                                    La Fontaine

            Il ne couche pas avec son parrain pour le plaisir de dormir. Si la chambre est froide, le lit de plume est trop chaud, et la plume, douce aux vieux membres du parrain, met vite le filleul en nage. Mais il couche loin de sa mère.
            - Elle te fait donc bien peur ? dit le parrain.
            Poil de Carotte
            - Ou, plutôt, moi, je ne lui fais pas assez peur. Quand elle veut donner une correction à mon frère, il saute sur un manche de balai, se campe devant elle, et je te jure qu'elle s'arrête court. Aussi elle préfère le prendre par les sentiments. Elle dit que la nature de Félix est si susceptible qu'on n'en ferait rien avec des coups et qu'ils s'appliquent mieux à la mienne.
            Parrain
            - Tu devrais essayer du balai, Poil de Carotte.      
            Poil de Carotte
            - Ah ! si j'osais ! Nous nous sommes souvent battus, Félix et moi, pour de bon ou pour jouer. Je suis aussi fort que lui. Je me défendrais comme lui. Mais je me vois armé d'un balai contre maman. Elle croirait que je l'apporte. Il tomberait de mes mains dans les siennes, et peut-être qu'elle me dirait merci, avant de taper.
            Parrain
            - Dors, canard, dors !
            Ni l'un ni l'autre ne peut dormir. Poil de Carotte se retourne, étouffe et cherche de l'air, et son vieux parrain en a pitié.                                 
            Tout à coup, comme Poil de Carotte va s'assoupir, parrain lui saisit le bras.
            - Es-tu là, canard ? dit-il. Je rêvais, je te croyais encore dans la fontaine. Te souviens-tu de la fontaine ?
            Poil de Carotte
            - Comme si j'y étais, parrain. Je ne te le reproche pas, mais tu m'en parles souvent.
            Parrain
            - Mon pauvre canard, dès que j'y pense, je tremble de tout mon corps. Je m'étais endormi sur l'herbe. Tu jouais au bord de la fontaine, tu as glissé, tu es tombé, tu criais, tu te débattais, et moi, misérable, je n'entendais rien. Il y avait à peine de l'eau pour noyer un chat. Mais tu ne te relevais pas. C'était là le malheur, tu ne pensais donc plus à te relever ?
            Poil de Carotte
            - Si tu crois que je me rappelle ce que je pensais dans la fontaine !
            Parrain
            - Enfin, ton barbotement me réveille. Il était temps. Pauvre Canard ! pauvre canard ! Tu vomissais comme une pompe. On t'a changé, on t'a mis le costume des dimanches du petit Bernard.
            Poil de Carotte
            - Oui, il me piquait. Je me grattais. C'était donc un costume de crin ?
            Parrain
            - Non, mais le petit Bernard n'avait pas de chemise propre à te prêter. Je ris aujourd'hui, et une minute, une seconde de plus, je te relevais mort.
            Poil de Carotte
            - Je serais loin.
            Parrain
            - Tais-toi. Je m'en suis dit des sottises, et depuis je n'ai jamais passé une bonne nuit. Mon sommeil perdu, c'est ma punition ; je la mérite.
            Poil de Carotte
            - Moi, parrain, je ne la mérite pas et je voudrais bien dormir.
            Parrain
            - Dors, canard, dors.
            Poil de Carotte
            - Si tu veux que je dorme, mon vieux parrain, lâche ma main. Je te la rendrai après mon somme. Et retire aussi ta jambe, à cause de tes poils. Il m'est impossible de dormir quand on me touche.


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 chefnini.com                                                                 Les Prunes
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            Quelque temps agités, ils remuent dans la plume et le parrain dit :
            - Canard, dors-tu ?
            Poil de Carotte
            - Non, parrain.
            Parrain
            - Moi non plus. J'ai envie de me lever. Si tu veux, nous allons chercher des vers.
            - C'est une idée, dit Poil de Carotte.
            Ils sautent du lit, s'habillent, allument une lanterne et vont dans le jardin.
            Poil de Carotte porte la lanterne, et le parrain une boîte de fer-blanc, à moitié pleine de terre mouillée. Il y entretient une provision de vers pour sa pêche. Il les recouvre d'une mousse humide, de sorte qu'il n'en manque jamais. Quand il a plu toute la journée, la récolte est abondante.
            - Prends garde de marcher dessus, dit-il à Poil de Carotte, va doucement. Si je ne craignais les rhumes, je mettrais des chaussons. Au moindre bruit, le ver rentre dans son trou. On ne l'attrape que s'il s'éloigne trop de chez lui. Il faut le saisir brusquement, et le serrer un peu, pour qu'il ne glisse pas. S'il est à demi rentré, lâche-le : tu le casserais. Et un ver coupé ne vaut rien. D'abord, il pourrit les autres, et les poissons délicats les dédaignent. Certains pêcheurs économisent leurs vers ; ils ont tort. On ne pêche de beaux poissons qu'avec des vers entiers, vivants et qui se recroquevillent au fond de l'eau. Le poisson s'imagine qu'ils se sauvent, court après et dévore tout de confiance.
            - Je les rate presque toujours, murmure Poil de Carotte, et j'ai les doigts barbouillés de leur sale bave.
            Parrain
            - Un ver n'est pas sale. Un ver est ce qu'on trouve de plus propre au monde. Il ne se nourrit que de terre, et si on le presse, il ne rend que de la terre. Pour ma part, j'en mangerais.
            Poil de Carotte
            - Pour la mienne, je te la cède. Mange voir.
            Parrain
            - Ceux-ci sont un peu gros. Il faudrait d'abord les faire griller, puis les écarter sur du pain. Mais je mange crus les petits, par exemple ceux des prunes.
            Poil de Carotte
            - Oui, je sais. Aussi tu dégoûtes ma famille, maman surtout, et dès qu'elle pense à toi, elle a mal au coeur. Moi, je t'approuve sans t'imiter, car tu n'es pas difficile et nous nous entendons très bien.
            Il lève sa lanterne, attire une branche de prunier, et cueille quelques prunes. Il garde les bonnes et donne les véreuses à parrain qui dit, les avalant d'un coup, toutes rondes, noyau compris :
            - Ce sont les meilleures.
            Poil de Carotte                                                                              cache.marieclaire.fr   
Résultat de recherche d'images pour "prunes"            - Oh ! je finirai par m'y mettre et j'en mangerai comme toi. Je crains seulement de sentir mauvais et que maman ne le remarque, si elle m'embrasse.
            - Ça ne sent rien, dit parrain, et il souffle au visage de son filleul.
            Poil de Carotte
            - C'est vrai. Tu ne sens que le tabac. Par exemple tu le sens à plein nez. Je t'aime bien, mon vieux parrain, mais je t'aimerais davantage, plus que tous les autres, si tu ne fumais pas la pipe.
            Parrain
            - Canard ! canard ! ça conserve.


                                                                                 à suivre.............

                                                                  Mathilde


                                                                                  

            

                                                                    

Poil de Carotte 9 Comme Brutus - Lettres choisies- Le Toiton Jules Renard ( Roman France )


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                                             Comme Brutus

            Monsieur Lepic
            Poil de Carotte, tu n'as pas travaillé l'année dernière comme je l'espérais. Tes bulletins disent que tu pourrais beaucoup mieux faire. Tu rêvasses, tu lis des livres défendus. Doué d'une excellente mémoire, tu obtiens d'assez bonnes notes de leçons, et tu négliges tes devoirs. Poil de Carotte, il faut songer à devenir sérieux.
            Poil de Carotte
            Compte sur moi, papa. Je t'accorde que je me suis un peu laissé aller l'année dernière. Cette fois je me sens la bonne volonté de bûcher ferme. Je ne te promets pas d'être le premier de ma classe en tout.
            Monsieur Lepic
            Essaie quand même.
            Poil de Carotte
            Non, papa, tu m'en demandes trop. Je ne réussirai ni en géographie, ni en allemand, ni en physique et en chimie, où les plus forts sont deux ou trois types nuls pour le reste et qui ne font que ça. Impossible de les dégoter ; mais je veux - écoute, mon papa - je veux, en composition française, bientôt tenir la corde et la garder ; et si malgré mes efforts elle m'échappe, du moins je n'aurai rien à me reprocher, et je pourrai m'écrier fièrement, comme Brutus : " O vertu ! tu n'es qu'un nom ! "
            Monsieur Lepic
            Ah ! mon garçon, je crois que tu les manieras.
            Grand frère Félix
            Qu'est-ce qu'il dit, papa ?
            Soeur Ernestine
            Moi, je n'ai pas entendu.
            Madame Lepic
             Moi non plus. Répète voir, Poil de Carotte ?
            Poil de Carotte
            Oh ! rien, maman.
            Madame Lepic
            Comment ? Tu ne disais rien, et tu pérorais si fort, rouge et le poing menaçant le ciel, que ta voix portait jusqu'au bout du village ! Répète cette phrase, afin que tout le monde en profite.
            Poil de Carotte
            Ce n'est pas la peine, va, maman.
            Madame Lepic
            Si, si, tu parlais de quelqu'un ; de qui parlais-tu ?
            Poil de Carotte
            Tu ne le connais pas, maman.
            Madame Lepic
            Raison de plus. D'abord, ménage ton esprit s'il te plaît, et obéis.
            Poil de Carotte
            Eh bien, maman, nous causions avec mon papa qui me donnait des conseils d'ami, et par hasard, je ne sais quel idée m'est venue, pour le remercier, de prendre l'engagement, comme ce Romain qu'on appelait Brutus, d'invoquer la vertu...
            Madame Lepic
            Turlututu, tu barbotes. Je te prie de répéter, sans y changer un mot, et sur le même ton, la phrase de tout à l'heure. Il me semble que je ne te demande pas le Pérou et que tu peux bien faire ça pour ta mère.
            Grand frère Félix
             Veux-tu que je répète, moi, maman ?
            Madame Lepic
            Non, lui le premier, toi ensuite, et nous comparerons. Allez, Poil de Carotte, dépêchez.
             Poil de Carotte    
 Il balbutie d'une voix pleurarde.
            Ve-ertutu-u n'e qu'un-un nom.
             Madame Lepic                                                   stephyprod.com
Résultat de recherche d'images pour "brutus enfant"             Je désespère. On ne peut rien tirer de ce gamin. Il se laisserait rouer de coups, plutôt que d'être agréable à sa mère.
            Grand frère Félix
            Tiens, maman, voilà comme il a dit : ( Il roule les yeux et lance des regards de défi ). Si je ne suis pas premier en composition française. ( Il gonfle ses joues et frappe du pied ), je m'écrierai comme Brutus ; ( Il lève les bras au plafond ). O vertu ! ( Il les laisse retomber sur ses cuisses ), tu n'es qu'un nom ! Voilà comme il a dit.
            Madame Lepic
            Bravo, superbe ! Je te félicite, Poil de Carotte, et je déplore d'autant plus ton entêtement qu'une imitation ne vaut jamais l'original.
            Grand frère Félix
            Mais, Poil de Carotte, est-ce bien Brutus qui a dit ça ? Ne serait-ce pas Caton ?
            Poil de Carotte
            Je suis sûr de Brutus : " Puis il se jeta sur une épée que lui tendit un de ses amis et mourut ".
            Soeur Ernestine
            Poil de Carotte a raison. Je me rappelle même que Brutus simulait la folie avec de l'or dans une canne.
            Poil de Carotte
            Pardon, soeur, tu t'embrouilles. Tu confonds mon Brutus avec un autre.
            Soeur Ernestine
            Je croyais. Pourtant je te garantis que mademoiselle Sophie nous dicte un cours d'histoire qui vaut bien celui de ton professeur au lycée.
            Madame Lepic
            Peu importe. Ne vous disputez pas. L'essentiel est d'avoir un Brutus dans sa famille, et nous l'avons. Que grâce à Poil de Carotte, on nous envie ! Nous ne connaissions point notre honneur. Admirez le nouveau Brutus. Il parle latin comme un évêque et refuse de dire deux fois la messe pour les sourds. Tournez-le : vu de face, il montre les taches d'une veste qu'il étrenne aujourd'hui, et vu de dos, son pantalon déchiré. Seigneur, où s'est-il encore fourré ? Non, mais regardez-moi la touche de Poil de Carotte Brutus ! Espèce de petite brute, va !


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                                                                Lettres choisies

                                                     de Poil de Carotte à M. Lepic
                                                               et quelques réponses
                                                    de M. Lepic à Poil de Carotte

                                                                De Poil de Carotte à M. Lepic
                                                                                        
                                                                                                  Institution Saint-Marc

                    Mon cher papa,
            Mes parties de pêche des vacances m'ont mis l'humeur en mouvement. Des gros clous me
sortent des cuisses. Je suis au lit. Je reste couché sur le dos et madame l'infirmière me pose des cataplasmes. Tant que le clou n'a pas percé, il me fait mal.Après, je n'y pense plus. Mais ils se multiplient comme des petits poulets. Pour un de guéri, trois reviennent. J'espère d'ailleurs que ce ne sera rien.

                                                                                              Ton fils affectionné.

                                                                Réponse de M. Lepic

                    Mon cher Poil de Carotte,
            Puisque tu prépares ta première communion et que tu vas au catéchisme, tu dois savoir que l'espèce humaine ne t'a pas attendu pour avoir des clous. Jésus-Christ en avait aux pieds et aux mains. Il ne se plaignait pas et pourtant les siens étaient vrais.

                                                                                                     Ton père qui t'aime.

                                                         De Poil de Carotte à M. Lepic

                    Mon cher papa,
            Je t'annonce avec plaisir qu'il vient de me pousser une dent. Bien que je n'aie pas l'âge, je crois que c'est une dent de sagesse précoce. J'ose espérer qu'elle ne sera pas la seule et que je te satisferai toujours par ma bonne conduite et mon application.

                                                                                                 Ton fils affectionné.

                                                           Réponse de M. Lepic

                    Mon cher Poil de Carotte,
            Juste comme ta dent poussait, une des miennes se mettaient à branler. Elle s'est décidée à tomber hier matin. De telle sorte que si tu possèdes une dent de plus, ton père en possède une de moins. C'est pourquoi il n'y a rien de changer et le nombre de dents de la famille reste le même.

                                                                                                 Ton père qui t'aime.

                                                           De Poil de Carotte à M. Lepic            


                    Mon cher papa,            
            Imagine-toi que c'était hier la fête de M. Jâques, notre professeur de latin, et que, d'un commun accord, les élèves m'avaient élu pour lui présenter les voeux de toute la classe. Flatté de cet honneur, je prépare longuement le discours où j'intercale à propos quelques citations latines. Sans fausse modestie, j'en suis satisfait. Je le recopie au propre sur une grande feuille de papier ministre et, le jour venu, excité par mes camarades qui murmuraient : " Vas-y, vas-y donc ! "  je profite d'un moment où M. Jâques ne nous regarde pas et je m'avance vers sa chaire. Mais à peine ai-je déroulé ma feuille et articulé d'une voix forte :
                                           Vénéré Maître
que M. Jâques se lève furieux et s'écrie :
            - Voulez-vous filer à votre place plus vite que ça !
que mes amis se cachent derrière leurs livres et que M. Jâques m'ordonne avec colère :
            - Traduisez la version.
            Mon cher papa, qu'en dis-tu ?

                                                                 Réponse de M. Lepic

                    Mon cher Poil de Carotte,
            Quand tu seras député, tu en verras bien d'autres. Chacun son rôle. Si on a mis ton professeur dans une chaire, c'est apparemment pour qu'il prononce des discours et non pour qu'il écoute les tiens.

                                                            De Poil de Carotte à M. Lepic

                    Mon cher papa,
            Je viens de remettre ton lièvre à M. Legris, notre professeur d'histoire et géographie. Certes, il me parut que ce cadeau lui faisait plaisir. Il te remercie vivement. Comme j'étais entré avec mon parapluie mouillé, il me l'ôta lui-même des mains pour le reporter au vestibule. Puis nous causâmes de choses et d'autres. Il me dit que je devais enlever, si je voulais, le premier prix d'histoire et de géographie à la fin de l'année. Mais croirais-tu que je restais sur mes jambes tout le temps que dura notre entretien et que M. Legris qui, à part cela, fut très aimable, je le répète, ne me désigna même pas un siège ?
            Est-ce oubli ou impolitesse ?
            Je l'ignore et serais curieux, mon cher papa, de savoir ton avis.

                                                                 Réponse de M. Lepic 

                    Mon cher Poil de Carotte,
            Tu réclames toujours. Tu réclames parce que M. Jâques t'envoie t'asseoir, et tu réclames parce que M. Legris te laisse debout. Tu es peut-être encore trop jeune pour exiger des égards. Et si M. Legris ne t'a pas offert une chaise, excuse-le : c'est sans doute que, trompé par ta petite taille, il te croyait assis.

                                                         De Poil de Carotte à M. Lepic 
     
                    Mon cher papa,                                                                                     pinterest.fr  
Résultat de recherche d'images pour "lettres postales"            J'apprends que tu dois aller à Paris. Je partage la joie que tu auras en visitant la capitale que je voudrais connaître et où je serai de coeur avec toi. Je conçois que mes travaux scolaires m'interdisent ce voyage, mais je profite de l'occasion pour te demander si tu ne pourrais pas m'acheter un ou deux livres. Je sais les miens par coeur. Choisis n'importe lesquels. Au fond, ils se valent. Toutefois, je désire spécialement La Henriade par François-Marie-Arouet de Voltaire, et La Nouvelle Héloïse, par Jean-Jacques Rousseau. Si tu me les rapportes ( les livres ne coûtent rien à Paris ), je te jure que le maître d'étude ne me les confisquera jamais.

                                                                   Réponse de M. Lepic                    
                                                                                                                                                     Mon cher Poil de Carotte,
            Ta lettre de ce matin m'étonne fort. Je la relis vainement. Ce n'est plus ton style ordinaire et tu y parles de choses bizarres qui ne me semblent ni de ta compétence ni de la mienne.
            D'habitude, tu nous racontes tes petites affaires, tu nous écris les places que tu obtiens, les qualités et les défauts que tu trouves à chaque professeur, les noms de tes nouveaux camarades, l'état de ton linge, si tu dors et si tu manges bien.
            Voilà ce qui m'intéresse. Aujourd'hui, je ne comprends plus. A propos de quoi, s'il te plaît, cette sortie sur le printemps alors que nous sommes en hiver ? Que veux-tu dire ? As-tu besoin d'un cache-nez ? Ta lettre n'est pas datée et on ne sait si tu l'adresses à moi ou au chien. La forme même de ton écriture me paraît modifiée, et la disposition des lignes, la quantité de majuscules me déconcertent. Bref, tu as l'air de te moquer de quelqu'un. Je suppose que c'est de toi, et je tiens à t'en faire non un crime, mais l'observation.

                                                               Réponse de Poil de Carotte

                    Mon cher papa,
            Un mot à la hâte pour t'expliquer ma dernière lettre. Tu ne t'es pas aperçu qu'elle était en vers.


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                                 .                                Le Toiton
  .jardizone.be   
Image associée            Ce petit toit où, tour à tour, ont vécu des poules, des lapins, des cochons, vide maintenant, appartient maintenant en toute propriété à Poil de Carotte pendant les vacances. Il y entre commodément, car le toiton n'a plus de porte. Quelques grêles orties en parent le seuil, et si Poil de Carotte les regarde à plat ventre, elles lui semblent une forêt. Une poussière fine recouvre le sol. Les pierres des murs luisent d'humidité. Poil de Carotte frôle le plafond de ses cheveux. Il est là chez lui et s'y divertit, dédaigneux des jouets encombrants, aux frais de son imagination.
            Son principal amusement consiste à creuser quatre nids avec son derrière, un à chaque coin du toiton. Il ramène de sa main, comme d'une truelle, des bourrelets de poussière et se cale.
            Le dos au mur lisse, les jambes pliées, les mains croisées sur ses genoux, gîté, il se trouve bien. Vraiment, il ne peut pas tenir moins de place, il oublie le monde, ne le craint plus. Seul, un bon coup de tonnerre le troublerait.
            L'eau de vaisselle qui coule non loin de là, par le trou de l'évier, tantôt à torrent, tantôt goutte à goutte, lui envoie des bouffées fraîches.
            Brusquement, une alerte.
            Des appels approchent, des pas.
            - Poil de Carotte ? Poil de Carotte ?
            Une tête se baisse et Poil de Carotte, réduit en boulette, se poussant dans la terre et le mur, le souffle mort, la bouche grande, le regard même immobilisé, sent que des yeux fouillent l'ombre.
            - Poil de Carotte, es-tu là ?
            Les tempes bosselées, Il souffre. Il va crier d'angoisse.
            - Il n'y est pas, le petit animal. Où diable est-il ?
            On s'éloigne, et le corps de Poil de Carotte se dilate un peu, reprend de l'aise.
            Sa penssée parcourt encore de longues routes de silence.
            Mais un vacarme emplit ses oreilles. Au plafond, un moucheron s'est pris dans une toile d'araignée, vibre et se débat. Et l'araignée glisse le long d'un fil. Son ventre a la blancheur d'une mie de pain. Elle reste un instant suspendue, inquiète, pelotonnée.
            Poil de Carotte, sur la pointe des fesses, la guette, aspire au dénouement, et quand l'araignée tragique fonce, ferme l'étoile de ses pattes, étreint la proie à manger, il se dresse debout, passionné, comme s'il voulait sa part.
            Rien de plus.
            L'araignée remonte. Poil de Carotte se rassied, retourne en lui, en son âme de lièvre où il fait noir.
            Bientôt, comme un filet d'eau alourdie par le sable, sa rêvasserie, faute de pente, s'arrête, forme flaque et croupit.


                                                                      à suivre................

                                                          
 
                              

             
             

Les trois femmes du Consul Jean Christophe Rufin ( Roman policier France )

Les trois femmes du consul
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                                                         Les trois femmes du Consul

            Aurel Timescu roumain d'origine, est devenu français, réfugié politique après sa fuite du régime Causescu. Il intègre les services consulaires. Son ennui, son peu de goût pour les tâches qui lui sont dévolues l'ont finalement placardisé au cours de ses différents déplacements. Il ne s'éveille que lorsque le sujet provoque une certaine curiosité. Ce fut le cas ce jour-là. En poste au  Mozambique, pas marginalisé par son jeune supérieur le consul en titre Martereau qui pense que tout homme a une chance de se rétablir. La mort d'un homme blanc, âgé, malade, grincheux, il aboie ses ordres à des servantes languissantes, mais riche peut-être. Propriétaire d'un hôtel où Aurel a séjourné quelque temps, dos Camaroes, le vieil homme est-il accidentellement tombé dans la piscine ? Doute et enquête vite close car sa première épouse, Françoise, arrivée de Paris après une séparation de si nombreuses années que Roger au passé trouble a épousé Fatoumata mozambicaine fille d'un important chef de clan et proche du chef de la police et mère de leur fils David. Est-il l'héritier ? Françoise mère de leurs deux enfants qu'il n'a pas élevés revendique la moitié des terrains de l'hôtel.
La troisième femme de cet homme toujours installé dans un fauteuil sur la terrasse devant son jardin luxuriant et la piscine, est Lucrecia, 19 ans, sa propriété depuis l'âge de 13 ans, elle attend un enfant du vieil homme, mais rien d'autre du père de son futur enfant et paraît assez placide. Françoise incarcérée, Aurel s'interroge, la femme s'accroche à lui lors de sa visite dans la prison de Maputo. Est-elle sincère ? Musicien l'attaché consulaire a gardé de ses années de misère où il jouait du piano dans les bars le goût de la vie nocturne, et un piano qu'il transporte au fil de ses déplacements. Réfugié dans son logement, " ...... sa rêveuse solitude que nécessite une enquête. Il avait toujours résolu les énigmes..... pendant les heures de silence........ Des millions d'esprits rêvent autour de vous........ Aurel laissait monter en lui les fantômes de tous les personnages du drame...... " Ainsi avait-il résolu une enquête ( Le suspendu de Conakry ). Et ses contacts le dirigent vers une découverte, peut-être hors enquête, le vol de plusieurs tonnes de défenses d'éléphants, les chasser est interdit, ivoire destiné à la Chine, alors que l'ONU annonce sa visite pour constater braconnage et non destruction. La corruption, la non-intervention des services de sécurité, Roger Béliot était-il mêlé à ce trafic ? Un boîtier mystérieux posé devant lui, il recevait ses visiteurs l'un après l'autre avec des habitudes bien précises. Les hommes ont un double-langage, Aurel ne s'étonne plus et conserve son pardessus en tweed et son noeud papillon sous le soleil mozambicain sauf en présence de l'ambassadeur, car le temps presse. Enquête, dépaysement, pointe d'humour, un roman bien écrit, bien conduit. 

mercredi 19 février 2020

Poil de Carotte 8 Le porte-plume - Les joues rouges - Les poux ( Roman France )

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                                                       Poil de Carotte

                                                 " Le porte-plume "

            L'institution Saint-Marc, où M. Lepic a mis grand frère Félix et Poil de Carotte suit les cours du lycée. Quatre fois par jour, les élèves font la même promenade. Très agréable dans la belle saison et, quand il pleut, si courte que les jeunes gens se rafraîchissent plutôt qu'ils ne se mouillent, elle leur est hygiénique d'un bout de l'année à l'autre.
           Comme ils reviennent du lycée ce matin, traînant les pieds et moutonniers, Poil de Carotte, qui marche la tête basse, entend dire :
            - Poil de Carotte, regarde ton père, là-bas !
            M. Lepic aime surprendre ainsi ses garçons. Il arrive sans écrire, et on l'aperçoit soudain, planté sur le trottoir d'en face, au coin de la rue, les mains derrière le dos, une cigarette à la bouche.
            Poil de Carotte et grand frère Félix sortent des rangs et courent à leur père.
            - Vrai, dit Poil de Carotte, si je pensais à quelqu'un, ce n'était pas à toi.
            - Tu penses à moi quand tu me vois, dit M. Lepic.
            Poil de Carotte voudrait répondre quelque chose d'affectueux. Il ne trouve rien, tant il est occupé. Haussé sur la pointe des pieds, il s'efforce d'embrasser son père. Une première fois, il lui touche la barbe du bout des lèvres. Mais M. Lepic, d'un mouvement machinal, dresse la tête, comme s'il se dérobait. Puis il se penche et de nouveau recule, et Poil de Carotte qui cherche sa joue, la manque. Il n'effleure que le nez. Il baise le vide. Il n'insiste pas, et déjà troublé, il tâche de s'expliquer cet accueil étrange.
            - Est-ce que mon papa ne m'aimerait plus, se dit-il. Je l'ai vu embrasser grand frère Félix. Il s'abandonnait au lieu de se retirer. Pourquoi m'évite-t-il ? Veut-on me rendre jaloux ? Régulièrement, je fais cette remarque. Si je reste trois mois loin de mes parents, j'ai une grosse envie de les voir. Je me promets de bondir à leur cou comme un jeune chien. Nous nous mangerons de caresses. Mais les voici, et ils me glacent.
            Tout à ses pensées tristes, Poil de Carotte répond mal aux questions de M. Lepic qui lui demande si le grec marche un peu.
            Poil de  Carotte
            - Ca dépend. La version va mieux que le thème, parce que dans la version on peut deviner.
            Monsieur Lepic
            - Et l'allemand ?
            Poil de Carotte
            - C'est très difficile à prononcer, papa.
            Monsieur Lepic
            - Bougre ! Comment, la guerre déclarée, battras-tu les Prussiens, sans savoir leur langue vivante ?
            Poil de Carotte
            - Ah ! d'ici là, je m'y mettrai. Tu me menaces toujours de la guerre. Je crois décidément qu'elle attendra, pour éclater, que j'aie fini mes études.
            Monsieur Lepic
            - Quelle place as-tu obtenue dans la dernière composition ? J'espère que tu n'es pas à la queue .           Poil de Carotte
            - Il en faut bien un.
            Monsieur Lepic
            - Bougre ! moi qui voulais t'inviter à déjeuner. Si encore c'était dimanche ! Mais en semaine, je n'aime guère vous déranger de votre travail.
            Poil de Carotte
            - Personnellement je n'ai pas grand chose à faire ; et toi, Félix ?
           Grand frère Félix 
           - Juste, ce matin le professeur a oublié de nous donner notre devoir.
           Monsieur Lepic
           - Tu étudieras mieux ta leçon.
           Grand frère Félix
            - Ah ! je la sais d'avance, papa. C'est la même qu'hier.
            Monsieur Lepic
            - Malgré tout, je préfère que vous rentriez. Je tâcherai de rester jusqu'à dimanche et nous nous rattraperons.
            Ni la moue de grand frère Félix, ni le silence affecté de Poil de Carotte ne retardent les adieux et le moment est venu de se séparer.
            Poil de Carotte l'attendait avec inquiétude.                                   france-artisanat.fr 
Résultat de recherche d'images pour "porte plume bois"            - Je verrai, se dit-il, si j'aurai plus de succès ; si oui ou non, il déplaît maintenant à mon père que je l'embrasse.
            Et résolu, le regard droit, la bouche haute, il s'approche.
            Mais M. Lepic, d'une main défensive, le tient encore à distance et lui dit :
            - Tu finiras par me crever les yeux avec ton porte-plume sur ton oreille. Ne pourrais-tu le mettre ailleurs quand tu m'embrasses ? Je te prie de remarquer que j'ôte ma cigarette, moi.
            Poil de Carotte
            - Oh ! mon vieux papa, je te demande pardon. C'est vrai, quelque jour un malheur arrivera par ma faute. On m'a déjà prévenu, mais mon porte-plume tient si à son aise sur mes pavillons que je l'y laisse tout le temps et que je l'oublie. Je devrais au moins ôter ma plume ! Ah ! pauvre vieux papa, je suis content de savoir que mon porte-plume te faisait peur.
            Monsieur Lepic
            - Bougre ! tu ris parce que tu as failli m'éborgner.
            Poil de Carotte
            - Non, mon vieux papa, je ris pour autre chose ; une idée sotte à moi que je m'étais encore fourrée dans la tête.


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                                                           LES JOUES ROUGES

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            Son inspection habituelle terminée, M. le Directeur de l'Institution Saint-Marc quitte le dortoir. Chaque élève s'est glissé dans ses draps, comme dans un étui, en se faisant tout petit, afin de ne pas se déborder. Le maître d'étude, Violone, d'un tour de tête, s'assure que tout le monde est couché, et, se haussant sur la pointe du pied, doucement baisse le gaz. Aussitôt, entre voisins, le caquetage commence. De chevet à chevet, les chuchotements se croisent, et des lèvres en mouvement monte, par tout le dortoir, un bruissement confus, où de temps en temps, se distingue le sifflement bref d'une consonne.
            C'est sourd, continu, agaçant à la fin, et il semble vraiment que tous ces babils, invisibles et remuants comme des souris, s'occupent à grignoter du silence.
            Violone met des savates, se promène quelque temps entre les lits, chatouillant ça le pied d'un élève, là tirant le pompon du bonnet d'un autre, et s'arrête près de Marseau, avec lequel il donne, tous les soirs, l'exemple des longues causeries prolongées bien avant dans la nuit. Le plus souvent, les élèves ont cessé leur conversation, par degrés étouffés, comme s'ils avaient peu à peu tiré leur drap sur leur bouche, et dorment, que le maître d'étude est encore penché sur le lit de Marseau, les coudes durement appuyés sur le fer, insensible à la paralysie de ses avant-bras et au remue-ménage des fourmis courant à fleur de peau jusqu'au bout de ses doigts.
            Il s'amuse de ses récits enfantins, et le tient éveillé par d'intimes confidences et des histoires de coeur. Tout de suite, il l'a chéri pour la tendre et transparente enluminure de son visage, qui paraît éclairé en dedans. Ce n'est plus une peau, mais une pulpe, derrière laquelle, à la moindre variation atmosphérique, s'enchevêtrent visiblement les veinules, comme les lignes d'une carte d'atlas sous une feuille de papier à décalquer. Marseau a d'ailleurs une manière séduisante de rougir sans savoir pourquoi et à l'improviste, qui le fait aimer comme une fille.. Souvent, un camarade pèse du bout du doigt sur l'une de ses joues et se retire avec brusquerie, laissant une tâche blanche, bientôt recouverte d'une belle coloration rouge, qui s'étend avec rapidité, comme du vin dans de l'eau pure, se varie richement et se nuance depuis le bout du nez rose jusqu'aux oreilles lilas. Chacun peut opérer soi-même, Marseau se prête complaisamment aux expériences. On l'a surnommé Veilleuse, Lanterne, Joue Rouge. Cette faculté de s'embraser à volonté lui fait bien des envieux.
            Poil de Carotte, son voisin de lit, le jalouse entre tous. Pierrot, lymphatique et grêle, au visage farineux, il pince vainement, à se faire mal, son épiderme exsangue, pour y amener quoi ! et encore pas toujours, quelque point d'un roux douteux. Il zébrerait volontiers, haineusement, à coups d'ongles et écorcerait comme des oranges les joues vermillonnées de Marseau.
            Depuis longtemps très intrigué, il se tient aux écoutes ce soir-là, dès la venue de Violone, soupçonneux avec raison peut-être, et désireux de savoir la vérité sur les allures cachottières du maître d'étude. Il met en jeu toute son habileté de petit espion, simule un ronflement pour rire, change avec affectation de côté, en ayant soin de faire le tour complet, pousse un cri perçant, comme s'il avait le cauchemar, ce qui réveille en peur le dortoir et imprime un fort mouvement de houle à tous les draps ; puis, dès que Violone s'est éloigné, il dit à Marseau, le torse hors du lit, le souffle ardent :
            - Pistolet ! Pistolet !
            Pistolet ne semble pas entendre : Poil de Carotte exaspéré reprend :
            - C'est du propre !... Tu crois que je ne vous ai pas vus. Dis voir un peu qu'il ne t'a pas embrassé ! dis-le voir un peu que tu n'es pas son Pistolet.
            Il se dresse, le col tendu, pareil à un jars blanc qu'on agace, les poings fermés au bord du lit :
            Mais cette fois, on lui répond :
            - Et bien, après ?
            D'un seul coup de reins, Poil de Carotte rentre dans ses draps.
            C'est le maître d'étude qui revient en scène, apparu soudainement !

                                                                                  II                                cugetliber.ro 
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            - Oui, dit Violone, je t'ai embrassé, Marseau ; tu peux l'avouer, car tu n'as fait aucun mal. Je t'ai embrassé sur le front, mais Poil de Carotte ne peut pas comprendre, déjà trop dépravé pour son âge, que c'est là un baiser pur et chaste, un baiser de père à enfant, et que je t'aime comme un fils, ou si tu veux comme un frère, et demain il ira répéter partout je ne sais quoi, le petit imbécile !
            A ces mots, tandis que la voix de Violone vibre sourdement, Poil de Carotte feint de dormir. Toutefois, il soulève sa tête pour entendre encore.
            Marseau écoute le maître d'étude, le souffle ténu, ténu, car tout en trouvant ses paroles très naturelles, il tremble comme s'il redoutait la révélation de quelque mystère. Violone continue, le plus bas qu'il peut. Ce sont des mots inarticulés, lointains, des syllabes à peine localisées. Poil de Carotte qui, sans oser se retourner, se rapproche insensiblement, au moyen de légères oscillations de hanches, n'entend plus rien. Son attention est à ce point surexcitée que ses oreilles lui semblent matériellement se creuser et s'évaser en entonnoir ; mais aucun son n'y tombe.
            Il se rappelle avoir éprouvé parfois une sensation d'effort pareille en écoutant aux portes, en collant son oeil à la serrure, avec le désir d'agrandir le trou et d'attirer à lui, comme avec un crampon, ce qu'il voulait voir. Cependant, il le parierait, Violone répète encore :
            - Oui, mon affection est pure, pure, et c'est ce que ce petit imbécile ne comprend pas.
            Enfin le maître d'étude se penche avec la douceur d'une ombre sur le front de Marseau, l'embrasse, le caresse de sa barbiche comme d'un pinceau, puis se redresse pour s'en aller, et Poil de Carotte le suit des yeux, glissant entre les rangées de lits. Quand la main de Violone frôle un traversin, le dormeur dérangé change de côté avec un fort soupir.
            Poil de Carotte guette longtemps. Il craint un nouveau retour brusque de Violone. Déjà Marseau fait la boule dans son lit, la couverture sur ses yeux, bien éveillé d'ailleurs, et tout au souvenir de l'aventure dont il ne sait que penser. Il n'y voit rien de vilain qui puisse le tourmenter, et cependant, dans la nuit des draps, l'image de Violone flotte lumineusement, douce comme ces images de femmes qui l'ont échauffé en plus d'un rêve.
            Poil de Carotte se lasse d'attendre. Ses paupières comme aimantées, se rapprochent. Il s'impose de fixer le gaz, presque éteint ; mais, après avoir compté trois éclosions de petites bulles crépitantes et pressées de sortir du bec, il s'endort.

                                                                      111

            Le lendemain matin, au lavabo, tandis que les cornes des serviettes, trempées dans un peu d'eau froide, frottent légèrement les pommettes frileuses, Poil de Carotte regarde méchamment Marseau, et, s'efforçant d'être bien féroce, il l'insulte de nouveau, les dents serrées sur les syllabes sifflantes.
            - Pistolet ! Pistolet !
            Les joues de Marseau deviennent pourpres, mais il répond sans colère, et le regard presque suppliant :
            - Puisque je te dis que ce n'est pas vrai, ce que tu crois !
            Le maître d'étude passe la visite des mains. Les élèves, sur deux rangs, offrent machinalement d'abord, le dos, puis la paume de leurs mains, en les retournant avec rapidité, et les remettent aussitôt bien au chaud, dans les poches ou sous la tiédeur de l'édredon le plus proche. D'ordinaire, Violone s'abstient de les regarder. Cette fois, mal à propos, il trouve que celles de Poil de Carotte ne sont pas nettes. Poil de Carotte, prié de les repasser sous le robinet, se révolte. On peut, à vrai dire, y remarquer une tâche bleuâtre, mais il soutient que c'est un commencement d'engelure. On lui en veut, sûrement.
            Violone doit le faire conduire chez M. le Directeur.
             Celui-ci, matinal, prépare, dans son cabinet vieux vert, un cours d'histoire qu'il fait aux grands, à ses moments perdus. Écrasant sur le tapis de sa table le bout de ses doigts épais, il pose les principaux jalons : ici la chute de l'empire Romain ; au milieu, la prise de Constantinople par les Turcs ; plus loin l'Histoire moderne, qui commence on ne sait où et n'en finit plus.
            Il a une ample robe de chambre dont les galons brodés cerclent sa poitrine puissante, pareils à des cordages autour d'une colonne. Il mange visiblement trop, cet homme ; ses traits sont gros et toujours un peu luisants. Il parle fortement, même aux dames, et les plis de son cou ondulent sur le col d'une manière lente et rythmique. Il est encore remarquable pour la rondeur de ses yeux et l'épaisseur de ses moustaches.
            Poil de Carotte se tient debout devant lui, sa casquette entre les jambes, afin de garder toute sa liberté d'action.
           D'une voix terrible, le directeur demande :
           - Qu'est-ce que c'est ?
           - Monsieur, c'est le maître d'étude qui m'envoie vous dire que j'ai les mains sales, mais c'est pas vrai !                                                                                                    nouvelobs.com
Image associée            Et de nouveau, consciencieusement, Poil de Carotte montre ses mains en les retournant : d'abord le dos, ensuite la paume. Il fait la preuve : d'abord la paume, ensuite le dos.
            - Ah ! c'est pas vrai, dit le Directeur, quatre jours de séquestre, mon petit !
            - Monsieur, dit Poil de Carotte, le maître d'étude, il m'en veut !
            - Ah ! il t'en veut ! huit jours, mon petit !
            Poil de Carotte connaît son homme. Une telle douceur ne le surprend point. Il est bien décidé à tout affronter. Il prend une pose raide, serre ses jambes et s'enhardit, au mépris d'une gifle.
            Car c'est, chez Monsieur le Directeur, une innocente manie d'abattre, de temps en temps, un élève récalcitrant du revers de la main : vlan ! L'habileté pour l'élève visé consiste à prévoir le coup et à se baisser, et le directeur se déséquilibre, au rire étouffé de tous. Mais il ne recommence pas, sa dignité l'empêchant d'user de ruse à son tour. Il devait arriver droit sur la joue choisie, ou alors ne se mêler de rien.
            - Monsieur, dit Poil de Carotte réellement audacieux et fier, le maître d'étude et Marseau, ils font des choses.
            Aussitôt les yeux du Directeur se troublent comme si deux moucherons s'y étaient précipités soudain. Il appuie ses deux poings fermés au bord de la table, se lève à demi, la tête en avant, comme s'il allait cogner Poil de Carotte en pleine poitrine, et demanda par sons gutturaux.
            - Quelles choses ?
            Poil de Carotte semble pris au dépourvu. Il espérait ( peut-être que ce n'est que différé ) l'envoi d'un tome massif de M. Henri Martin, par exemple, lancé d'une main adroite, et voilà qu'on lui demande des détails.
            Le Directeur attend.Tous ses plis du cou se joignent pour ne former qu'un bourrelet unique, un épais rond de cuir, où siège, de guingois, sa tête.
            Poil de Carotte hésite, le temps de se convaincre que les mots ne lui viennent pas, puis, la mine tout à coup confuse, le dos rond, l'attitude apparemment gauche et penaude, il va chercher sa casquette entre ses jambes, l'en retire aplatie, se courbe de plus en plus, se ratatine, et l'élève doucement à hauteur de menton, et lentement, sournoisement, avec des précautions pudiques, il enfouit sa tête simiesque dans la doublure ouatée, sans dire un mot.

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Foto: Bancuri
            Le même jour, à la suite d'une courte enquête, Violone reçoit son congé ! C'est un touchant départ, presque une cérémonie.
            - Je reviendrai, dit Violone, c'est une absence.
            Mais il n'en fait accroire à personne. L'institution renouvelle son personnel, comme si elle craignait pour lui la moisissure. C'est un va-et-vient de maîtres d'étude. Celui-ci part comme les autres, et meilleur, il part plus vite. Presque tous l'aiment. On ne lui connaît pas d'égal dans l'art d'écrire des en-têtes pour cahiers, tels que : " Cahiers d'exercices grecs appartenant à... " Les majuscules sont moulées comme des lettres d'enseigne. Les bancs se vident. On fait cercle autour de son bureau. Sa belle main, où brille la pierre verte d'une bague, se promène élégamment sur le papier. Au bas de la page, il improvise une signature. Elle tombe, comme une pierre dans l'eau, dans une ondulation et un remous de lignes à la fois régulières et capricieuses, qui forment le paraphe, un petit chef-d'oeuvre. La queue du paraphe s'égare, se perd dans le paraphe lui-même. Il faut regarder de très près, chercher longtemps pour la retrouver. Inutile de dire que le tout est fait d'un seul trait de plume. Une fois, il a réussi un enchevêtrement de lignes nommé cul-de-lampe. Longuement, les petits s'émerveillèrent.
            Son renvoi les chagrine fort.
            Il conviennent qu'ils devront bourdonner le Directeur à la première occasion, c'est-à-dire enfler les joues et imiter avec les lèvres le vol des bourdons pour marquer leur mécontentement. Quelque jour, ils n'y manqueront pas.
            En attendant, ils s'attristent les uns les autres. Violone qui se sent regretté, a la coquetterie de partir pendant une récréation. Quand il paraît dans la cour, suivi d'un garçon qui porte sa malle, tous les petits s'élancent. Il serre des mains, tapote des visages, et s'efforce d'arracher les pans de sa redingote sans les déchirer, cerné, envahi et souriant, ému. Les uns suspendus à la barre fixe, s'arrêtent au milieu d'un renversement et sautent à terre, la bouche ouverte, le front en sueur, leurs manches de chemise retroussées et les doigts écartés à cause de la colophane. D'autres, plus calmes, qui tournaient monotonement dans la cour, agitent les mains, en signe d'adieu. Le garçon, courbé sous la malle, s'est arrêté afin de conserver ses distances, ce dont profite un tout petit pour plaquer sur son tablier blanc ses cinq doigts trempés dans du sable mouillé. Les joues de Marseau se sont rosées à paraître peintes. Il éprouve sa première peine de coeur sérieuse ; mais, troublé et contraint de s'avouer qu'il regrette le maître d'étude un peu comme une petite cousine, il se tient à l'écart, inquiet, presque honteux. Sans embarras, Violone se dirige vers lui, quand on entend un fracas de carreaux.
            Tous les regards montent vers la petite fenêtre grillée du séquestre. La vilaine et sauvage tête de Poil de Carotte paraît. Il grimace, blême, petite bête mauvaise en cage, les cheveux dans les yeux et ses dents blanches toutes à l'air. Il passe sa main droite entre les débris de la vitre qui le mord, comme animée, et il menace Violone de son poing saignant.
            - Petit imbécile ! dit le maître d'étude, te voilà content !
            - Dame ! crie Poil de Carotte, tandis qu'avec entrain, il casse d'un second coup de poing un autre carreau, pourquoi que vous l'embrassiez et que vous ne m'embrassiez pas, moi ?
            Et il ajoute, se barbouillant la figure avec le sang qui coule de sa main coupée :
            - Moi aussi, j'ai des joues rouges, quand je veux !


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            Dès que grand frère Félix et Poil de Carotte arrivent de l'institution Saint-Marc, Mme Lepic leur fait prendre un bain de pieds. Ils en ont besoin depuis trois mois, car jamais on ne les lave à la pension. D'ailleurs, aucun article du prospectus ne prévoit le cas.
            - Comme les tiens doivent être noirs, mon pauvre Poil de Carotte, dit Mme Lepic.
            Elle devine juste. Ceux de Poil de Carotte sont toujours plus noirs que ceux de grand frère Félix ? Et pourquoi ? Tous deux vivent côte à côte, du même régime, dans le même air. Certes, au bout de trois mois, grand frère Félix ne peut montrer pied blanc, mais Poil de Carotte, de son propre aveu, ne reconnaît plus les siens.
            Honteux, il les plonge dans l'eau avec l'habileté d'un escamoteur. On ne les voit pas sortir des chaussettes et se mêler aux pieds de grand frère Félix qui occupent déjà tout le fond du baquet, et bientôt, une couche de crasse s'étend comme un linge sur ces quatre horreurs.
            M. Lepic se promène, selon sa coutume, d'une fenêtre à l'autre. Il relit les bulletins trimestriels de ses fils, surtout les notes écrites par M. le Proviseur lui-même : celles de grand frère Félix :
            " Étourdi, mais intelligent. ( Arrivera ) ". Et celle de Poil de Carotte :
            " Se distingue dès qu'il veut, mais ne veut pas toujours. "
            L'idée que Poil de Carotte est quelquefois distingué amuse la famille. En ce moment les bras croisés sur ses genoux, il laisse ses pieds tremper et se gonfler d'aise. Il se sent examiné. On le trouve plutôt enlaidi sous ses cheveux trop longs et d'un rouge sombre. M. Lepic, hostile aux effusions, ne témoigne sa joie de le revoir qu'en le taquinant. A l'aller, il lui détache une chiquenaude sur l'oreille. Au retour, il le pousse du coude, et Poil de Carotte rit de bon coeur.
            Enfin, M. Lepic lui passe la main dans les " bourraquins " et fait crépiter ses ongles comme s'il voulait tuer des poux. C'est sa plaisanterie favorite.
            Or, du premier coup, il en tue un.
            - Ah ! bien visé, dit-il, je ne l'ai pas manqué.
            Et tandis qu'un peu dégoûté il s'essuie à la chevelure de Poil de Carotte, Mme Lepic lève les bras au ciel :
            - Je m'en doutais, dit-elle, accablée. Mon Dieu ! nous sommes propres ! Ernestine, cours chercher une cuvette, ma fille voilà de la besogne pour toi.
            Soeur Ernestine apporte une cuvette, un peigne fin, du vinaigre dans une soucoupe, et la chasse commence.
            - Peigne-moi d'abord ! crie grand frère Félix. Je suis sûr qu'il m'en a donné.
            Il se racle furieusement la tête avec les doigts et demande un seau d'eau pour tout noyer.
            - Calme-toi, Félix, dit soeur Ernestine qui aime se dévouer, je ne te ferai pas de mal.
            Elle lui met une serviette autour du cou et montre une adresse, une patience de maman. Elle écarte les cheveux d'une main, tient délicatement le peigne de l'autre, et elle cherche, sans moue dédaigneuse, sans peur d'attraper des habitants.                                              pylones.com
Résultat de recherche d'images pour "poux"            Quand elle dit : " Un de plus ! " grand frère Félix trépigne dans le baquet et menace du poing Poil de Carotte qui, silencieux, attend son tour.
            - C'est fini pour toi, Félix, dit soeur Ernestine, tu n'en avais que sept ou hui ; compte-les. On comptera ceux de Poil de Carotte.
            Au premier coup de peigne, Poil de Carotte obtient l'avantage. Soeur Ernestine croit qu'elle est tombée sur le nid, mais elle n'a que ramassé au hasard dans une fourmilière.
            On entoure Poil de Carotte. Soeur Ernestine s'applique. M. Lepic, les mains derrière le dos, suit le travail, comme un étranger curieux. Mme Lepic pousse des exclamations plaintives.
            - Oh ! oh ! dit-elle, il faudrait une pelle et un râteau.
            Grand frère Félix accroupi remue la cuvette et reçoit les poux. Ils tombent enveloppés de pellicules. On distingue l'agitation de leurs pattes menues comme des cils coupés. Ils obéissent au roulis de la cuvette, et rapidement le vinaigre les fait mourir.
            Madame Lepic
            - Vraiment, Poil de Carotte, nous ne te comprenons plus. A ton âge et grand garçon, tu devrais rougir. Je te passe tes pieds que peut-être tu ne vois qu'ici. Mais les poux te mangent, et tu ne réclames ni la surveillance de tes maîtres, ni les soins de ta famille. Explique-nous, je te prie, quel plaisir tu éprouves à te laisser ainsi dévorer tout vif. Il y a du sang dans ta tignasse.
            Poil de Carotte
            - C'est le peigne qui m'égratigne.
            Madame Lepic
            - Ah ! c'est le peigne. Voilà comme tu remercies ta soeur. Tu l'entends, Ernestine ? Monsieur, délicat, se plaint de sa coiffeuse. Je te conseille, ma fille, d'abandonner tout de suite ce martyr volontaire à sa vermine.
            Soeur Ernestine
            - J'ai fini pour aujourd'hui, maman. J'ai seulement ôté le plus gros et je ferai demain une seconde tournée. Mais j'en connais une qui se parfumera d'eau de Cologne.
            Madame Lepic
            - Quant à toi, Poil de Carotte, emporte ta cuvette et va l'exposer sur le mur du jardin. Il faut que tout le village défile devant, pour ta confusion.
            Poil de Carotte prend la cuvette et sort ; et l'ayant déposée au soleil, il monte la garde près d'elle.
            C'est la vieille Marie-Nanette qui s'approche la première. Chaque fois qu'elle rencontre Poil de Carotte, elle s'arrête, l'observe de ses petits yeux myopes et malins et, mouvant son bonnet noir, semble deviner des choses.
            - Qu'est-ce que c'est que ça ? dit-elle.                      
            Poil de Carotte ne répond rien. Elle se penche sur la cuvette.
            - C'est-il des lentilles ? Ma foi, je n'y vois plus clair. Mon garçon Pierre devrait bien m'acheter une paire de lunettes.
            Du doigt, elle touche, comme afin de goûter. Décidément, elle ne comprend pas.
            - Et toi, que fais-tu là, boudeur et les yeux troubles ? Je parie qu'on t'a grondé et mis en pénitence. Écoute, je ne suis pas ta grand-maman, mais je pense ce que je pense, et je te plains, mon pauvre petit, car j'imagine qu'ils te rendent la vie dure.
            Poil de Carotte s'assure d'un coup d'oeil que sa mère ne peut l'entendre, et il dit à la vieille Marie-Nanette.
            - Et après ? Est-ce que ça vous regarde ? Mêlez-vous donc de vos affaire et laissez-moi tranquille.


                                                     
                                                                             à suivre....................

            Monsieur Lepic