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Pour une nuit d'amour
II
Le lendemain, à la poste, la grosse nouvelle était que Mlle Thérèse de Marsanne venait de quitter le couvent. Julien ne raconta pas qu'il l'avait aperçue en cheveux, le cou nu. Il était très inquiet ; il éprouvait un sentiment indéfinissable contre cette jeune fille, qui allait déranger ses habitudes. Certainement, cette fenêtre, dont il redoutait de voir s'ouvrir les persiennes à toute heure le gênerait horriblement. Il ne serait plus chez lui, il aurait encore mieux aimé un homme qu'une femme, car les femmes se moquent davantage. Comment, désormais, oserait-il jouer de la flûte ? Il en jouait trop mal pour une demoiselle qui devait savoir la musique. Le soir donc, après de longues réflexions, il croyait détester Thérèse.
Julien rentra furtivement. Il n'alluma pas de bougie. De cette façon elle ne le verrait point. Il voulait se coucher tout de suite, pour marquer sa mauvaise humeur. Mais il ne put résister au besoin de savoir ce qui se passait en face. Vers dix heures seulement, une lueur pâle se montra entre les lames des persiennes ; puis, cette lueur s'éteignit, et il resta à regarder la fenêtre sombre. Tous les soirs, dès lors, il recommença malgré lui cet espionnage. Il guettait l'hôtel ; comme aux premiers temps il s'appliquait à noter les petits souffles qui en ranimaient les vieilles pierres muettes. Rien ne semblait changé. La maison dormait toujours son sommeil profond ; il fallait des oreilles et des yeux exercés pour surprendre la vie nouvelle. C'était, parfois, une lumière courant derrière les vitres, un coin de rideau écarté, une pièce immense entevue. D'autres fois, un pas léger traversant le jardin, un bruit lointain de piano arrivait, accompagnant une voix ; ou bien les bruits demeuraient plus vagues encore, un frisson simplement passait, qui indiquait dans la vieille demeure le battement d'un sang jeune. Julien s'expliquait à lui-même sa curiosité, en se prétendant très ennuyé de tout ce tapage. Combien il regrettait le temps où l'hôtel vide lui renvoyait l'écho adouci de sa flûte !
Un de ses plus ardents désirs, bien qu'il ne se l'avouât pas, était de revoir Thérèse. Il se l'imaginait le visage rose, l'air moqueur, avec des yeux luisants. Mais, comme il ne se hasardait pas le jour à sa fenêtre, il ne l'entrevoyait que la nuit, toute grise d'ombre. Un matin, au moment où il refermait une de ses persiennes, pour se garantir du soleil, il aperçut Thérèse debout au milieu de sa chambre. Il resta cloué, n'osant risquer un mouvement. Elle semblait réfléchir, très grande, très pâle,
la face belle et régulière. Et il eut presque peur d'elle, tant elle était différente de l'image gaie qu'il s'en était faite. Elle avait surtout une bouche un peu grande, d'un rouge vif, et des yeux profonds, noirs et sans éclat, qui lui donnaient un air de reine cruelle. Lentement, elle vint à la fenêtre ; mais elle ne parut pas le voir, comme s'il était trop loin, trop perdu. Elle s'en alla, et le mouvement rythmé de son cou avait une grâce si forte, qu'il se sentit à côté d'elle plus débile qu'un enfant, malgré ses larges épaules. Quand il la connut, il la redouta davantage.
Alors, commença pour le jeune homme une existence misérable. Cette belle demoiselle, si grave et si noble, qui vivait près de lui, le désespérait. Elle ne le regardait jamais, elle ignorait son existence. Mais il n'en défaillait pas moins en pensant qu'elle pouvait le remarquer et le trouver ridicule. Sa timidité maladive lui faisait croire qu'elle épiait chacun de ses actes pour se moquer. Il rentrait l'échine basse, il évitait de remuer. Puis au bout d'un mois, il souffrit du dédain de la jeune fille. Pourquoi ne le regardait-elle jamais ? Elle venait à la fenêtre, promenait son regard noir sur le pavé désert, et se retirait sans le deviner, anxieux, de l'autre côté de la place. Et de même qu'il avait tremblé à l'idée d'être aperçu par elle, il frissonnait maintenant du besoin de la sentir fixer les yeux sur lui. Elle occupait toutes les heures qu'il vivait. plaisir-de-peindre.kazeo.com
Quand Thérèse se levait, le matin, il oubliait son bureau, lui si exact. Il avait toujours peur de ce visage blanc aux lèvres rouges, mais une peur délicieuse, dont il jouissait. Caché derrière un rideau, il s'emplissait de la terreur qu'elle lui inspirait jusqu'à s'en rendre malade, les jambes cassées comme après une longue marche. Il faisait le rêve qu'elle le remarquait tout d'un coup, qu'elle lui souriait et qu'il n'avait plus peur.
Et il eut l'idée alors de la séduire, à l'aide de sa flûte. Par les soirées chaudes, il se remit à jouer. Il laissait les deux croisées ouvertes, il jouait dans l'obscurité ses airs les plus vieux, des airs de pastorale, naïfs comme des rondes de petite fille. C'étaient des notes longuement tenues et tremblées, qui s'en allaient sur des cadences simples les unes derrière les autres, pareilles à des dames amoureuses de l'ancien temps, étalant leurs jupes. Il choisissait les nuits sans lune ; la place était noire, on ne savait d'où venait ce chant si doux, rasant les maisons endormies, de l'aile molle d'un oiseau nocturne. Et dès le premier soir, il eut l'émotion de voir Thérèse à son coucher s'approcher tout en blanc de la fenêtre, où elle s'accouda, surprise de retrouver cette musique, qu'elle avait entendue déjà, le jour de son arrivée.
- Ecoute donc, Françoise, dit-elle de sa voix grave, en se tournant vers l'intérieur de la pièce. Ce n'est pas un oiseau.
- Oh ! répondit une femme âgée, dont Julien n'apercevait que l'ombre, c'est bien sûr quelque
comédien qui s'amuse, et très loin, dans le faubourg.
- Oui, très loin répéta la jeune fille, après un silence, rafraîchissant dans la nuit serrant ses bras nus.
Dès lors, chaque soir, Julien joua plus fort. Ses lèvres enflaient le son, sa fièvre passait dans la vieille flûte de bois jaune. Et Thérèse, qui écoutait chaque soir, s'étonnait de cette musique vivante, dont les phrases, volant de toiture en toiture, attendaient la nuit pour faire un pas vers elle. Elle sentait bien que la sérénade marchait vers sa fenêtre, elle se haussait parfois, comme pour voir par-dessus les maisons. Puis, une nuit, le chant éclata si près, qu'elle en fut effleurée ; elle le devina sur la place, dans une des vieilles demeures qui sommeillaient. Julien soufflait de toute sa passion, la flûte vibrait avec des sonneries de cristal. L'ombre lui donnait une telle audace, qu'il espérait l'amener à lui par son chant. Et Thérèse, en effet, se penchait, comme attirée et conquise.
- Rentrez, dit la voix de la dame âgée. La nuit est orageuse, Vous aurez des cauchemars.
Cette nuit-là, Julien ne put dormir. Il s'imaginait que Thérèse l'avait deviné, l'avait vu peut-être. Et il brûlait sur son lit, il se demandait s'il ne devait pas se montrer le lendemain. Certes, il serait ridicule, en se cachant davantage. Pourtant, il décida qu'il ne se montrerait pas, et il était devant sa fenêtre, à six heures, en train de mettre sa flûte dans l'étui, lorsque les persiennes de Thérèse s'ouvrirent brusquement.
La jeune fille qui ne se levait jamais avant huit heures, parut en peignoir, s'accouda, les cheveux tordus sur la nuque. Julien resta stupide, la tête levée, la regardant en face, sans pouvoir se détourner ; tandis que ses mains gauches essayaient vainement de démonter la flûte. Thérèse aussi l'examinait, d'un regard fixe et souverain. Elle sembla un instant l'étudier dans ses gros os, dans son corps énorme et mal ébauché, dans toute sa laideur de géant timide. Et elle n'était plus l'enfant fiévreuse, qu'il avait vue la veille, elle était hautaine et très blanche, avec ses yeux noirs et ses lèvres rouges. Quand elle l'eut jugé, de l'air tranquille dont elle se serait demandé si un chien sur le pavé lui plaisait ou ne lui plaisait pas, elle le condamna d'une légère moue ; puis, tournant le dos, sans se hâter, elle ferma la fenêtre.
Julien, les jambes molles, se laissa tomber dans son fauteuil. Et des paroles entrecoupées lui échappaient.
" Ah ! mon Dieu ! je lui déplais... Et moi qui l'aime, et moi qui vais en mourir ! "
Il se prit la tête entre les mains, il sanglota. Aussi pourquoi s'être montré. Quand on était mal bâti, on se cachait, on n'épouvantait pas les filles. Il s'injuriait, furieux de sa laideur. Est-ce qu'il n'aurait pas dû continuer à jouer de la flûte dans l'ombre, comme un oiseau de nuit, qui séduit les coeurs par son chant, et qui ne doit jamais paraître au soleil, s'il veut plaire ? Il serait resté pour elle une musique douce, rien que l'air ancien d'un amour mystérieux. Elle l'aurait adoré sans le connaître, ainsi qu'un Prince-Charmant, venu de loin, et se mourant de tendresse sous sa fenêtre. Mais, lui, brutal et imbécile, avait rompu le charme. Voilà qu'elle le savait d'une épaisseur de boeuf au labour, et que jamais plus elle n'aimerait sa musique !
En effet, il eut beau reprendre ses airs les plus tendres, choisir les nuits tièdes, embaumées de l'odeur des verdures : Thérèse n'écoutait pas, n'entendait pas. Elle allait et venait dans sa chambre, s'accoudait à la fenêtre, comme s'il n'avait pas été en face, à dire son amour avec des petites notes humbles. Un jour même, elle s'écria :
- Mon Dieu ! que c'est énervant, cette flûte qui joue faux !
Alors, désespéré, il jeta sa flûte au fond d'un tiroir et ne joua plus.
Il faut dire que le petit Colombel, lui aussi, se moquait de Julien. Un jour, en allant à son étude, il l'avait vu devant la fenêtre, étudiant un morceau, et chaque fois qu'il passait sur la place, il riait de son air mauvais. Julien savait que le clerc de notaire était reçu chez les Marsanne, ce qui lui crevait le coeur, non qu'il fût jaloux de cet avorton, mais parce qu'il aurait donné tout son sang pour être une heure à sa place. La mère du jeune homme, Françoise, depuis des années dans la maison, veillait maintenant sur Thérèse, dont elle était la nourrice. Autrefois, la demoiselle noble et le petit paysan avaient grandi ensemble, et il semblait naturel qu'ils eussent conservé quelque chose de leur camaraderie ancienne. Julien n'en souffrait pas moins, quand il rencontrait le petit Colombel dans les rues, les lèvres pincées de son mince sourire. Sa répulsion devint plus grande, le jour où il s'aperçut que l'avorton n'était pas laid de visage, une tête ronde de chat, mais très fine, jolie et diabolique, avec des yeux verts et une légère barbe frisée à son menton douillet. Ah ! s'il l'avait encore tenu dans un coin des remparts, comme il lui aurait fait payer cher le bonheur de voir Thérèse chez elle !
Un an s'écoula. Julien fut très malheureux. Il ne vivait plus que pour Thérèse. Son coeur était dans cet hôtel glacial, en face duquel il se mourait de gaucherie et d'amour. Dès qu'il disposait d'une minute, il venait la passer là, les regards fixés sur le pan de muraille grise, dont il connaissait les moindres taches de mousse. Il avait eu beau, pendant de longs mois, ouvrir les yeux et prêter les oreilles, il ignorait encore l'existence intérieure de cette maison solennelle, où il emprisonnait son coeur. Des bruits vagues, des lueurs perdues l'égaraient. Etaient-ce des fêtes, étaient-ce des deuils ? Il ne savait, la vie était sur l'autre façade. Il rêvait ce qu'il voulait, selon ses tristesses ou ses joies : des jeux bruyants de Thérèse et de Colombel, des promenades lentes de la jeune fille sous les marronniers, des bals qui la balançaient aux bras des danseurs, des chagrins brusques qui l'asseyaient pleurante dans des pièces sombres. Ou bien il n'entendait peut-être que les petits pas du marquis et de la marquise trottant comme des souris sur les vieux parquets. Et, dans son ignorance, il voyait toujours la seule fenêtre de Thérèse trouer ce mur mystérieux. La jeune fille, journellement, se montrait plus muette que les pierres, sans que jamais son apparition amenât un espoir. Elle le consternait, tant elle restait inconnue et loin de lui.
Les grands bonheurs de Julien étaient les heures où la fenêtre demeurait ouverte. Alors, il pouvait apercevoir des coins de la chambre, pendant l'absence de la jeune fille. Il mit six mois à savoir que le lit était à gauche, un lit dans une alcôve, avec des rideaux de soie rose. Puis, au bout de six autres mois, il comprit qu'il y avait en face du lit, une commode Louis XV, surmontée d'une glace, dans un cadre de porcelaine. En face, il voyait la cheminée de marbre blanc. Cette chambre était le paradis rêvé.
Son amour n'allait pas sans de grandes luttes. Il se tenait caché pendant des semaines, honteux de sa laideur. Puis, des rages le prenaient. Il avait le besoin d'étaler ses gros membres, de lui imposer la vue de son visage bossué, brûlé de fièvre. Alors il restait des semaines à la fenêtre, il la fatiguait de son regard. Même, à deux reprises, il lui envoya des baisers ardents, avec cette brutalité des gens timides, quand l'audace les affole.
Thérèse ne se fâchait même pas. Lorsqu'il était caché, il la voyait aller et venir de son air royal, et lorsqu'il s'imposait, elle gardait cet air, plus haut et plus froid encore. Jamais il ne la surprenait dans une heure d'abandon. Si elle le rencontrait sous son regard, elle n'avait aucune hâte à détourner la tête. Quand il entendait dire à la poste que Mlle de Marsanne était très pieuse et très bonne, parfois il protestait violemment en lui-même. Non, non ! elle était sans religion, elle aimait le sang, car elle avait du sang aux lèvres, et la pâleur de sa face venait de son mépris du monde. Puis, il pleurait de l'avoir insultée, il lui demandait pardon, comme à une sainte enveloppée dans la pureté de ses ailes.
Pendant cette première année, les jours suivirent les jours, sans amener un changement. Lorsque l'été revint, il éprouva une singulière sensation : Thérèse lui sembla marcher dans un autre air. C'étaient toujours les mêmes petits événements, les persiennes poussées le matin et refermées le soir, les apparitions régulières aux heures accoutumées ; mais un souffle nouveau sortait de la chambre, Thérèse était plus pâle, plus grande. Un jour de fièvre, il se hasarda une troisième fois à lui adresser un baiser du bout de ses doigts fiévreux. Elle le regarda fixement, avec sa gravité troublante, sans quitter la fenêtre. Ce fut lui qui se retira, la face empourprée.
Un seul fait nouveau, vers la fin de l'été, se produisit et le secoua profondément, bien que ce fait fût des plus simples. Presque tous les jours, au crépuscule, la croisée de Thérèse, laissée entrouverte, se fermait violemment, avec un craquement de toute la boiserie et de l'espagnolette. Ce bruit faisait tressaillir Julien d'un sursaut douloureux ; et il demeurait torturé d'angoisse, le coeur meurtri, sans qu'il sut pourquoi. Après cet ébranlement brutal, la maison tombait dans une telle mort, qu'il avait peur de ce silence. Longtemps, il ne put distinguer quel bras fermait ainsi la fenêtre : mais, un soir, il aperçut les mains pâles de Thérèse ; c'était elle qui fermait l'espagnolette d'un élan si furieux. Et, lorsque, une heure plus tard, elle rouvrait la fenêtre, mais sans hâte, plein en fait,d'une lenteur digne, elle paraissait lasse, s'accoudait un instant ; puis, elle marchait au milieu de la pureté de sa chambre, occupée à des futilités de jeune fille. Julien restait la tête vide, avec le continuel grincement de l'espagnolette dans les oreilles.
Un soir d'automne, par un temps gris et doux, l'espagnolette eut un grincement terrible. Julien tressaillit, et des larmes involontaires lui coulèrent des yeux, en face de l'hôtel lugubre que le crépuscule noyait d'ombre. Il avait plu le matin, les marronniers à moitié dépouillés exhalaient une odeur de mort.
Cependant, Julien attendait que la fenêtre se rouvrît. Elle se rouvrit tout d'un coup, aussi rudement qu'elle s'était fermée. Thérèse parut. Elle était toute blanche, avec des yeux très grands, les cheveux tombés dans son cou. Elle se planta devant la fenêtre, elle mit les dix doigts sur sa bouche rouge et envoya un baiser à Julien.
Eperdu, il appuya les poings contre sa poitrine, comme pour demander si ce baiser était pour lui.
Alors, Thérèse crut qu'il reculait, elle se pencha davantage, elle remit les dix doigts sur sa bouche rouge, et lui envoya un second baiser. Puis, elle en envoya un troisième. C'étaient comme les trois baisers du jeune homme qu'elle rendait. Il restait béant. Le crépuscule était clair, il la voyait nettement dans le cadre d'ombre de la fenêtre.
Lorsqu'elle pensa l'avoir conquis, elle jeta un coup d'oeil sur la petite place. Et, d'une voix étouffée :
- Venez, dit-elle simplement.
Il vint. Il descendit, s'approcha de l'hôtel. Comme il levait la tête, la porte du perron s'entrebâilla, cette porte verrouillée depuis un-demi siècle peut-être, dont la mousse avait collé les vantaux. Mais il marchait dans la stupeur, il ne s'étonnait plus. Dès qu'il fut entré, la porte se referma, et il suivit une petite main glacée qui l'emmenait. Il monta un étage, longea un corridor, traversa une première pièce, se trouva enfin dans une chambre qu'il reconnut. C'était le paradis, la chambre aux rideaux de soie rose. Le jour s'y mourait avec une douceur lente. Il fut tenté de se mettre à genoux. Cependant, Thérèse se tenait devant lui toute droite, les mains serrées fortement, si résolue, qu'elle restait victorieuse du frisson dont elle était secouée.
- Vous m'aimez ? demanda-t-elle d'une voix basse.
- Oh ! oui, oh ! oui, balbutia-t-il.
Mais elle eut un geste, pour lui défendre les paroles inutiles. Elle reprit, d'un air hautain qui semblait rendre ses paroles naturelles et chastes, dans sa bouche de jeune fille :
- Si je me donnais, vous feriez tout, n'est-ce pas ?
Il ne put répondre, il joignit les mains. Pour un baiser d'elle, il se vendrait.
- Eh bien ! j'ai un service à vous demander.
Comme il restait imbécile, elle eut une brusque violence, en sentant que ses forces étaient à bout, et qu'elle n'allait plus oser. Elle s'écria :
- Voyons, il faut jurer d'abord... Moi je jure de tenir le marché... Jurez, jurez donc !
- Oh ! je jure ! oh ! tout ce que vous voudrez ! dit-il, dans un élan d'abandon absolu
L'odeur pure de la chambre le grisait. Les rideaux de l'alcôve étaient tirés, et la seule pensée du lit vierge, dans l'ombre adoucie de la soie rose, l'emplissait d'une extase religieuse. Alors, de ses mains devenues brutales, elle écarta les rideaux, montra l'alcôve, où le crépuscule laissait tomber une lueur louche. Le lit était en désordre, les draps pendaient, un oreiller tombé par terre paraissait crevé d'un coup de dent. Et, au milieu des dentelles froissées, gisait le corps d'un homme, les pieds nus, vautré en travers.
Voilà, expliqua-t-elle d'une voix qui s'étranglait, cet homme était mon amant. Je l'ai poussé, il est tombé, je ne sais plus. Enfin, il est mort... Et il faut que vous l'emportiez. Vous comprenez bien ?... C'est tout, oui, c'est tout. Voilà !
à suivre chapitre III....
Toute petite Thérèse de......./