jeudi 28 décembre 2017

Le Matin Jonathan Swift ( Poème Irlande )













          

francemusique.fr

                                     Le Matin

            C'est l'heure où à peine une rare voiture
            Signale l'approche du matin rosissant.
            Du lit de Monsieur s'est échappée Bettine,
            Furtivement elle va défaire le sien.
            L'apprenti bouif, devant la porte du patron
            Désherbe l'allée, puis mouille le sol en cercles.
            Moll ayant manié le balai avec brio
            Passe au frottage de l'entrée et des marches.                                 skynetblogs.be
            Le petit balayeur recherche la rigole
            Là où les roues ont emporté le morceau                                           
Image associée            Le charbonnier lance son cri rythmé,
            Les notes aigües du ramoneur le couvrent
            La queue de fâcheux se forme devant chez le Lord.
            Moll, la souillon piaule à travers la rue
            Le geôlier retourne visiter son troupeau
            Qu'il lâche la nuit pour courir les pourboires.
            Les baillis reprennent leur faction silencieuse
            Et les écoliers flânent, cartables en main.


                                                              Jonathan Swift
                                                                                    ( 1709 )

mardi 26 décembre 2017

Un certain M. Piekielny François-Henri Deserable ( Roman France )

Un certain M. Piekielny
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                                                Un certain M. Piekielny     

            Un jour l'auteur se trouva devant le 16 de la rue Grande-Polulanka à Wilno, en Lituanie. Auparavant il était passé devant la statue d'un jeune garçon tenant une chaussure dans sa main,Roman Kacew, devenu Romain Gary au fil des ans. Jeune encore l'auteur avait lu "La Promesse de l'aube ", autobiographie de Gary, et sur trois pages, l'écrivain, diplomate, double prix Goncourt, raconte sa vie dans cet immeuble et note qu'un certain M. Piekielny leur voisin, et seul parmi les habitants crut sa mère qui  voulait, souhaitait, désirait, pour son Romulchka, il serait d'Annunzio et d'autres mais pas moins. Il le dit à l'enfant mais lui demanda en retour de toujours rappeler à ses interlocuteurs, ses amis ou des présidents, qu' " au 16 rue Grande-Polulanka habitait un certain M. Piekielny ". Romain Gary a romancé sa vie, de son père il disait qu'il fut un acteur du muet, mais Désirable fasciné par l'écrivain-diplomate parti à la recherche de M. Piekielny trouva le père un modeste fourreur juif, séparé de sa mère juive aussi. De Varsovie à Wilno où ils vécurent tous deux jusqu'en 1923, arrivés à Nice il acquit sa personnalité. Mais l'auteur nous fait parcourir les années historiques, jusqu'en ce mois de décembre 1980 et poursuit ses recherches dans les archives de Wilno détruit, cherche-t-il une ombre, difficile car sans doute "...... La petite souris grise de Wilno a depuis longtemps terminé sa minuscule existence dans les fours crématoires...... Il était juif Piekielny pas un de ces Juifs du soleil et du beau langage...... il était un juif de la neige et du silence....... " La quête est longue car les occupants, les Allemands puis les Russes ont détruit les archives. Et Désirable poursuit sa jeune aventure d'écrivain hockeyeur, rencontre ceux qui ont parlé avec Gary, Grenier, Pivot, revient sur la vie de son héros. Au cours de ses fréquents séjours à Wilno il repasse devant la statue du jeune Roman et parfois quelqu'un dépose une fleur dans la chaussure. Gary s'il est un écrivain est aussi un lecteur, notamment de Gogol. Et là notre auteur trouve une nouveau fil et en même temps déroule la carrière de Romain Gary, de ses débuts d'écrivain, de sa vie de pilote de chasse pendant la guerre, de sa vie de diplomate, de ses épouses, et de sa promenade matinale de la rue du Bac au Jardin du Luxembourg. "....... Gary écrit le nom de Piekielny sur la page. Le fait-il naître, renaître ?........ Je ne sais pas....... Il écrit. Il ne pense qu'à cela. Tenir le monde en vingt-six lettres et le faire ployer sous sa loi. " Quelques photos complètent ce livre curieusement écrit et intéressant sujet. - Voir le post du    27 / 7 " Un Mariage en douce " d'Ariane Chemin, Romain Gary et Jean Seberg.

            


            

lundi 25 décembre 2017

Lettre sur les aveugles Diderot ( Lettre France )






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deslettres.fr



                                                        Lettre sur les aveugles

                                                                        à l'usage de ceux qui voient

                                                                                                          Possunt, nec videntur
                                                                                                                               Virgile

            Je me doutais bien, madame, que l'aveugle-né, à qui M. de Réaumur vient de faire abattre la cataracte, ne nous apprendrait pas ce que vous vouliez savoir ; mais je n'avais garde de deviner que ce ne serait ni de sa faute, ni la vôtre. J'ai sollicité son bienfaiteur par moi-même, par ses meilleurs amis, par les compliments que je lui ai faits ; nous n'en avons rien obtenu, et le premier appareil se lèvera sans vous. Des personnes de la première distinction ont eu l'honneur de partager son refus avec les philosophes ; en un mot, il n'a voulu laisser tomber le voile que devant quelques yeux sans conséquence. Si vous êtes curieuse de savoir pourquoi cet habile académicien fait si secrètement des expériences qui ne peuvent avoir, selon vous, un trop grand nombre de témoins éclairés, je vous répondrai que les observations d'un homme aussi célèbre ont moins besoin de spectateurs quand elles se font, que d'auditeurs, quand elles sont faites. Je suis donc revenu, madame, à mon premier dessein ; et, forcé de me passer d'une expérience où je ne voyais guère à gagner pour mon instruction ni pour la vôtre, mais dont M. de Réaumur tirera sans doute un bien meilleur parti, je me suis mis à philosopher avec mes amis sur la matière importante qu'elle a pour objet. Que je serais heureux, si le récit d'un de nos entretiens pouvait me tenir lieu, auprès de vous, du spectacle que je vous avais trop légèrement promis !
            Le jour même que le Prussien faisait l'opération de la cataracte à la fille de Simoneau, nous allâmes interroger l'aveugle-né du Puisaux ; c'est un homme qui ne manque pas de bon sens ; que beaucoup de personnes connaissent ; qui sait un peu de chimie, et qui a suivi, avec quelque succès, les cours de botanique au Jardin du Roi. Il est né d'un père qui a professé avec applaudissement la philosophie dans l'université de Paris. Il jouissait d'une fortune honnête, avec laquelle il eût aisément satisfait les sens qui lui restent ; mais le goût du plaisir l'entraîna dans sa jeunesse : on abusa de ses penchants ; ses affaires domestiques se dérangèrent, et il s'est retiré dans une petite ville de province, d'où il fait tous les ans un voyage à Paris. Il y apporte des liqueurs qu'il distille, et dont on est très content. Voilà, madame, des circonstances assez peu philosophiques ; mais, par cette raison même, plus propres à vous faire juger que le personnage dont je vous entretiens n'est point imaginaire.
            Nous arrivâmes chez notre aveugle vers les cinq heures du soir, et nous le trouvâmes occupé à faire lire son fils avec des caractères en relief : il n'y avait pas plus d'une heure qu'il était levé ; car vous saurez que la journée commence pour lui, quand elle finit pour nous. Sa coutume est de vaquer à ses affaires domestiques, et de travailler pendant que les autres reposent. A minuit, rien ne le gêne ; et il n'est incommode à personne. Son premier soin est de mettre en place tout ce qu'on a déplacé pendant le jour ; et quand sa femme s'éveille, elle trouve ordinairement sa maison rangée. La difficulté qu'ont les aveugles à recouvrer les choses égarées les rend amis de l'ordre ; je me suis aperçu que ceux qui les approchaient familièrement partageaient cette qualité, soit par un effet du bon exemple qu'ils donnent, soit par un sentiment d'humanité qu'on a pour eux. Que les aveugles seraient malheureux sans les petites attentions de ceux qui les environnent ! Nous-mêmes, que nous serions à plaindre sans elles ! Les grands services sont comme de grosses pièces d'or ou d'argent qu'on a rarement occasion d'employer ; mais les petites     attendions sont une monnaie courante qu'on a toujours à la main.                                                                         en.most-famous-paintings.com                                              
Image associée            Notre aveugle juge fort bien  des symétries. La symétrie, qui est peut-être une affaire de pure convention entre nous, est certainement telle, à beaucoup d'égards, entre un aveugle et ceux qui voient. A force d'étudier par le tact la disposition que nous exigeons entre les parties qui un tout, pour l'appeler beau, un aveugle parvient à faire une juste application de ce terme. Mais quand il dit : " cela est beau ", il ne juge pas ; il rapporte seulement le jugement de ceux qui voient : et que font autre chose les trois quarts de ceux qui décident d'une pièce de théâtre, après l'avoir entendue, ou d'un livre, après l'avoir lu ? La beauté, pour un aveugle, n'est qu'un mot, quand elle est séparée de l'utilité ; et avec un organe de moins, combien de choses dont l'utilité lui échappe ! Les aveugles ne sont-ils pas bien à plaindre de n'estimer beau que ce qui est bon ? Combien de choses admirables perdues pour eux ! Le seul bien qui les dédommage de cette perte, c'est d'avoir des idées du beau, à la vérité moins étendues, mais plus nettes que des philosophes clairvoyants qui en ont traité fort au long.
            Le nôtre parle de miroir à tout moment. Vous croyez bien qu'il ne sait ce que veut dire le mot miroir ; cependant il ne mettra jamais une glace à contre-jour. Il s'exprime aussi sensément que nous sur les qualités et les défauts de l'organe qui lui manque : s'il n'attache aucune idée aux termes qu'il emploie, il a du moins sur la plupart des autres hommes l'avantage de ne les prononcer jamais mal à propos. Il discourt si bien et si juste de tant de choses qui lui sont absolument inconnues, que son commerce ôterait beaucoup de force à cette induction que nous faisons tous, sans savoir pourquoi, de ce qui se passe en nous à ce qui se passe au-dedans des autres.
            Je lui demandai ce qu'il entendait par un miroir !
            - Une machine, me répondit-il, qui met les choses en relief loin d'elles-mêmes si elles se trouvent placées convenablement par rapport à elle. C'est comme ma main, qu'il ne faut pas que je pose à côté d'un objet pour le sentir.
            Descartes, aveugle-né, aurait dû, ce me semble, s'applaudir d'une pareille définition. En effet, considérez, je vous prie, la finesse avec laquelle il a fallu combiner certaines idées pour y parvenir. Notre aveugle n'a de connaissance des objets que par le toucher. Il sait, sur le rapport des autres hommes, que par le moyen de la vue on connaît les objets, comme ils lui sont connus par le toucher ; du moins, c'est la seule notion qu'il s'en puisse former. Il sait, de plus, qu'on ne peut voir son propre visage, quoiqu'on puisse le toucher. La vue, doit-il conclure, est donc une espèce de toucher qui ne s'étend que sur les objets différents de notre visage, et éloignés de nous. D'ailleurs, le toucher ne lui donne l'idée que du relief. Donc, ajoute-t-il, un miroir est une machine qui nous met en relief hors de nous-mêmes. Combien de philosophes renommés ont employé moins de subtilité, pour arriver à des notions aussi fausses ! mais combien un miroir doit-il être surprenant pour notre aveugle ? Combien son étonnement dut-il augmenter, quand nous lui apprîmes qu'il y a de ces sortes de machines qui agrandissent les objets ; qu'il y en a d'autres qui, sans les doubler, les déplacent, les rapprochent, les éloignent, les font apercevoir, en dévoilent les plus petites parties aux yeux des naturalistes ; qu'il y en a qui les multiplient par milliers, qu'il y en a enfin qui paraissent les défigurer totalement ? Il nous fit cent questions bizarres sur ces phénomènes. Il nous demanda, par exemple, s'il n'y avait que ceux qu'on appelle naturalistes qui vissent avec le microscope ; et si les astronomes étaient les seuls qui vissent avec le télescope, si la machine qui grossit les objets était plus grosse que celle qui les rapetisse ; si celle qui les rapproche était plus courte que celle qui les éloigne ; et ne comprenant point comment cet autre nous-même que, selon lui, le miroir répète en relief, échappe au sens du toucher :
            - Voilà, disait-il, deux sens qu'une petite machine met en contradiction : une machine plus parfaite les mettrait peut-être plus d'accord, sans que, pour cela, les objets en fussent plus réels ; peut-être une troisième plus parfaite encore, et moins perfide, les ferait disparaître, et nous avertirait de l'erreur.
            - Et qu'est-ce, à votre avis, que des yeux ? lui dit M. de...
            - C'est, lui répondit l'aveugle, un organe, sur lequel l'air fait l'effet de mon bâton sur ma main.
Résultat de recherche d'images pour "aiguille pour aveugle"  *          Cette réponse nous fit tomber des nues ; et tandis que nous nous entre-regardions avec admiration :
            - Cela est si vrai, continua-t-il, que quand je place ma main entre vos yeux et un objet, ma main vous est présente, mais l'objet vous est absent. La même chose m'arrive, quand je cherche une chose avec mon bâton, et que j'en rencontre une autre.
            Madame, ouvrez la " Dioptrique " de Descartes, et vous y verrez les phénomènes de la vue rapportés à ceux du toucher, et les planches d'optique pleines de figures d'hommes occupés à voir des bâtons. Descartes, et tous ceux qui sont venus depuis, n'ont pu nous donner d'idées plus nettes de la vision ; et ce grand philosophe n'a point eu à cet égard plus d'avantage sur notre aveugle que le peuple qui a des yeux.
            Aucun de nous ne s'avisa de l'interroger sur la peinture et sur l'écriture ; mais il est évident qu'il n'y a point de questions auxquelles sa comparaison n'eût pu satisfaire ; et je ne doute nullement qu'il ne nous eût dit, que tenter de lire ou de voir sans avoir des yeux, c'était chercher une épingle avec un gros bâton. Nous lui parlâmes seulement de ces sortes de perspectives, qui donnent du relief aux objets, et qui ont avec nos miroirs tant d'analogie et tant de différence à la fois ; et nous nous aperçûmes qu'elles nuisaient autant qu'elles concouraient à l'idée qu'ils s'est formée d'une glace, et qu'il était tenté de croire que la glace peignant les objets, le peintre, pour les représenter, peignait peut-être une glace.
            Nous lui vîmes enfiler des aiguilles fort menues. Pourrait-on, madame, vous prier de suspendre ici votre lecture et de chercher comment vous vous y prendriez à sa place ? En cas que vous ne rencontriez aucun expédient je vais vous dire celui de notre aveugle. Il dispose l'ouverture de l'aiguille transversalement entre ses lèvres, et dans la même direction que celle de sa bouche ; puis, à l'aide de sa langue et de la succion, il attire le fil qui suit son haleine, à moins qu'il ne soit beaucoup trop gros pour l'ouverture ; mais, dans ce cas, celui qui voit n'est guère moins embarrassé que celui qui est privé de la vue.
            Il a la mémoire des sons à un degré surprenant ; et les visages ne nous offrent pas une diversité plus grande que celle qu'il observe dans les voix. Elles ont pour lui une infinité de nuances délicates qui nous échappent, parce que nous n'avons pas, à les observer, le même intérêt que l'aveugle.Il en est pour nous de ces nuances comme de  notre propre visage. De tous les hommes que nous avons vus, celui que nous nous rappellerions le moins, c'est nous-même. Nous n'étions les visages que pour reconnaître les personnes ; et si nous ne retenons pas le nôtre, c'est que nous ne serons jamais exposés à nous prendre pour un autre ni un autre pour nous. D'ailleurs les secours que nos sens se prêtent mutuellement les empêchent de se perfectionner. Cette occasion ne sera pas la seule que j'aurai d'en faire la remarque.
            Notre aveugle nous dit, à ce sujet, qu'il se trouverait fort à plaindre d'être privé des mêmes avantages que nous, et qu'il aurait été tenté de nous regarder comme des intelligences supérieures, s'il n'avait éprouvé cent fois combien nous lui cédions à d'autres égards. Cette réflexion nous en fit faire une autre.
            - Cet aveugle, dîmes-nous, s'estime autant et plus peut-être que nous qui voyons : pourquoi donc, si l'animal raisonne, comme on n'en peut guère douter, balançant ses avantages sur l'homme, qui lui sont mieux connus que ceux de l'homme sur lui, ne porterait-il pas un semblable jugement ?
            - Il a des bras, dit peut-être le moucheron, mais j'ai des ailes.
            - S'il a des armes, dit le lion, n'avons-nous pas des ongles ?
            L'éléphant nous verra comme des insectes ; et tous les animaux, nous accordant volontiers une raison avec laquelle nous aurions grand besoin de leur instinct, se prétendront doués d'un instinct avec lequel ils se passent fort bien de notre raison. Nous avons un si violent penchant à surfaire nos qualités et à diminuer nos défauts, qu'il semblerait presque que c'est à l'homme à faire le traité de la force, et à l'animal celui de la raison.
            Quelqu'un de nous s'avisa de demander à notre aveugle s'il serait content d'avoir des yeux :
            - Si la curiosité ne me dominait pas, dit-il, j'aimerais bien autant avoir de longs bras : il me semble que mes mains m'instruiraient mieux de ce qui se passe dans la lune que vos yeux ou vos télescopes ; et puis les yeux cessent plus tôt de voir que les mains de toucher. Il vaudrait donc bien autant qu'on perfectionnât en moi l'organe que j'ai, que de m'accorder celui qui me manque.
            Notre aveugle s'adresse au bruit ou à la voix si sûrement que je ne doute pas qu'un tel exercice ne rendît les aveugles très adroits et très dangereux. Je vais vous en raconter un trait qui vous persuadera combien on aurait tort d'attendre un coup de pierre, ou à s'exposer à un coup de pistolet de sa main, pour peu qu'eût l'habitude de se servir de cette arme. Il eut dans sa jeunesse une querelle avec un de ses frères, qui s'en trouva fort mal. Impatienté des propos désagréables qui en essuyait, il saisit le premier objet qui lui tomba sous la main, le lui lança, l'atteignit au milieu du front, et l'étendit pas terre.
            Cette aventure et quelques autres le firent appeler à la police. Les signes extérieurs de la puissance qui nous affectent si vivement, n'en imposent point aux aveugles. Le nôtre comparut devant le magistrat comme devant son semblable. Les menaces ne l'intimidèrent point :
            - Que me ferez-vous ? dit-il à M. Hérault.
            - Je vous jetterai dans un cul de basse-fosse, lui répondit le magistrat.
            - Eh ! monsieur, lui répliqua l'aveugle, il y a vingt-cinq ans que j'y suis.
            Quelle réponse, madame ! et quel texte pour un homme qui aime autant à moraliser que moi ! Nous sortons de la vie comme d'un spectacle enchanteur ; l'aveugle en sort ainsi que d'un cachot : si nous avons à vivre plus de plaisir que lui, convenez qu'il a bien moins de regret à mourir.
            L'aveugle du Puisaux estime la proximité du feu aux degrés de la chaleur ; la plénitude des vaisseaux, au bruit que font en tombant les liqueurs qu'il transvase, et le voisinage des corps, à l'action de l'air sur son visage. Il est si sensible aux moindres vicissitudes qui arrivent dans l'atmosphère, qu'il peut distinguer une rue d'un cul-de-sac. Il apprécie à merveille les poids des corps et les capacités des vaisseaux ; et il s'est fait de ses bras des balances si justes, et de ses doigts des compas si expérimentés, que dans les occasions où cette espèce statique a lieu, je gagerai toujours pour notre aveugle contre vingt personnes qui voient. Le poli des corps n'a guère moins de nuances pour lui que le son de la voix, et il n'y aurait pas à craindre qu'il prît sa femme pour une autre, à moins qu'il ne gagnât au change. Il y a cependant bien de l'apparence que les femmes seraient communes, chez un peuple d'aveugles, ou que leurs lois contre l'adultère seraient bien rigoureuses. Il serait si facile aux femmes de tromper leurs maris, en convenant d'un signe avec leurs amants !
 
*   corsoerica.blogspot.fr
     
                                                                          à suivre...............

            Il juge de la.........
     
           

mercredi 20 décembre 2017

Les Oranges Alphonse Daudet ( Nouvelle France )


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                                                    Les Oranges

                                                                    Fantaisie

            A Paris, les oranges ont l'air triste de fruits tombés, ramassés sous l'arbre. A l'heure où elles vous arrivent, en plein hiver pluvieux et froid, leur écorce éclatante, leur parfum exagéré dans ce pays de saveurs tranquilles, leur donnent un aspect étrange, un peu bohémien. Par les soirées brumeuses, elles longent tristement les trottoirs, entassées dans leurs petites charrettes ambulantes, à la lueur sourde d'une lanterne de papier rouge. Un cri monotone et grêle les escorte, perdu dans le roulement des voitures, le fracas des omnibus
            - A deux sous la Valence !
            Pour les trois quarts des Parisiens, ce fruit cueilli au loin, banal dans sa rondeur, où l'arbre n'a rien laissé qu'une mince attache verte, tient de la sucrerie, de la confiserie. Le papier de soie qui l'entoure, les fêtes qu'il accompagne contribuent à cette impression. Aux approches de janvier surtout, les milliers d'oranges disséminées par les rues, toutes ces écorces traînant dans la boue du ruisseau, font songer à quelque arbre de Noël gigantesque qui secouerait sur Paris ses branches chargées de fruits factices. Pas un coin où on ne les rencontre. A la vitrine claire des étalages, choisies et parées ; à la porte des prisons et des hospices, parmi les paquets de biscuits, les tas de pommes ; devant l'entrée des bals, des spectacles du dimanche. Et leur parfum exquis se mêle à l'odeur du gaz, au bruit des crincrins, à la poussière des banquettes du paradis. On en vient à oublier qu'il faut des orangers pour produire des oranges, car pendant que le fruit nous arrive directement du Midi à pleines caisses, l'arbre taillé, transformé, déguisé, de la serre chaude où il passe l'hiver ne fait qu'une courte apparition au plein air des jardins publics.                                                                    pinterest.fr
Image associée            Pour bien connaître les oranges, il faut les avoir vues chez elles, aux îles Baléares, en Sardaigne, en Corse, en Algérie, dans l'air bleu doré, l'atmosphère tiède de la Méditerranée. Je me rappelle un petit bois d'orangers, aux portes de Blidah, c'est là qu'elles étaient belles ! Dans le feuillage sombre, lustré, vernissé, les fruits avaient l'éclat de verres de couleur, et doraient l'air environnant avec cette auréole de splendeur qui entoure les fleurs éclatantes. Cà et là des éclaircies laissaient voir à travers les branches les remparts de la petite ville, le minaret d'une mosquée, le dôme d'un marabout, et au-dessus l'énorme masse de l'Atlas, verte à sa base, couronnée de neige comme d'une fourrure blanche, avec des moutonnements, un flou de flocons tombés.
            Une nuit, pendant que j'étais là, je ne sais par quel phénomène ignoré depuis trente ans cette zone de frimas et d'hiver se secoua sur la ville endormie, et Blidah se réveilla transformée, poudrée à blanc. Dans cet air algérien si léger, si pur, la neige semblait une poussière de nacre. Elle avait des reflets de plumes de paon blanc. Le plus beau, c'était le bois d'orangers, Les feuilles solides gardaient la neige intacte et droite comme des sorbets sur des plateaux de laque, et tous les fruits poudrés à frimas avaient une douceur splendide, un rayonnement discret comme de l'or voilé de claires étoffes blanches. Cela donnait vaguement l'impression d'une fête d'église, de soutanes rouges sous des robes de dentelles, de dorures d'autel enveloppées de guipures...
            Mais mon meilleur souvenir d'oranges me vient encore de Barbicaglia, un grand jardin auprès d'Ajaccio où j'allais faire la sieste aux heures de chaleur. Ici les orangers, plus hauts, plus espacés qu'à Blidah, descendaient jusqu'à la route, dont le jardin n'était séparé que par une haie vive et un fossé. Tout de suite après, c'était la mer, l'immense mer bleue... Quelles bonnes heures j'ai passées dans ce jardin ! Au-dessus de ma tête, les orangers en fruits et en fleurs brûlaient leurs parfums d'essences. De temps en temps, une orange mûre, détachée tout à coup, tombait près de moi comme alourdie de chaleur avec un bruit mat, sans écho, sur la terre pleine. Je n'avais qu'à allonger la main. C'étaient des fruits superbes, d'un rouge pourpre à l'intérieur. Ils me paraissaient exquis, et puis l'horizon était si beau. Entre les feuilles, la mer mettait des espaces bleus, éblouissants comme des morceaux de verre brisé, qui miroitaient dans la brume de l'air. Avec cela, le mouvement du flot agitant l'atmosphère à de grandes distances, ce murmure cadencé qui vous berce comme dans une barque invisible, la chaleur, l'odeur des oranges... Ah ! qu'on était bien pour dormir dans le jardin de Barbicaglia !
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  *       Quelquefois cependant, au meilleur moment de la sieste, des éclats de tambour me réveillaient en sursaut. C'étaient de malheureux lapins qui venaient s'exercer en bas, sur la route. A travers les trous de la haie, j'apercevais le cuivre des tambours et les grands tabliers blancs sur les pantalons rouges. Pour s'abriter un peu de la lumière aveuglante de la route que la poussière leur renvoyait impitoyablement, les pauvres diables venaient se mettre au pied du jardin, dans l'ombre courte de la haie. Et ils tapaient ! et ils avaient chaud ! Alors m'arrachant de force à mon hypnotisme, je m'amusais à leur jeter quelques-uns de ces beaux fruits d'or rouge qui pendaient près de ma main. Le tambour visé s'arrêtait. Il y avait une minute d'hésitation, un regard circulaire pour voir d'où venait la superbe orange roulant devant lui dans le fossé ; puis il la ramassait bien vite et mordait à pleine dents sans même enlever l'écorce. Je me souviens aussi que tout à côté de Barbicaglia, et séparé seulement par un petit mur bas, il y avait un jardinet assez bizarre que je dominais de la hauteur où je me trouvais. C'était un petit coin de terre bourgeoisement dessiné. Ses allées blondes de sable, bordées de buis très vert, les deux cyprès de sa porte d'entrée lui donnaient l'aspect d'une bastide marseillaise. Pas une ligne d'ombre. Au fond un bâtiment de pierre blanche avec des jours de caveau au ras du sol. J'avais d'abord cru à une maison de campagne ; mais, en regardant mieux, la croix qui la surmontait, une inscription que je voyais de loin creusée dans la pierre, sans en distinguer le texte, me firent reconnaître un tombeau de famille corse. Tout autour d'Ajaccio, il y a beaucoup de ces petites chapelles mortuaires dressées au milieu de jardins à elles seule. La famille y vient, le dimanche, rendre visite à ses morts. Ainsi comprise, la mort est moins lugubre que dans la confusion des cimetières. Des pas amis troublent seuls le silence.
            De ma place, je voyais un bon vieux trottiner tranquillement par les allées. Tout le jour, il taillait les arbres, bêchait, arrosait, enlevait les fleurs fanées avec un soin minutieux ; puis, au soleil couchant, il entrait dans la petite chapelle où dormaient les morts de sa famille ; il resserrait la bêche, les râteaux, les grands arrosoirs ; tout cela avec la tranquillité, la sérénité d'un jardinier de cimetière. Pourtant, sans qu'il s'en rendît bien compte, ce brave homme travaillait avec un certain recueillement, tous les bruits amortis et la porte du caveau refermée chaque fois discrètement comme s'il eût craint de réveiller quelqu'un. Dans le grand silence radieux, l'entretien de ce petit jardin ne troublait pas un oiseau, et son voisinage n'avait rien d'attristant. Seulement la mer en paraissant plus immense, le ciel plus haut, et cette sieste sans fin mettait tout autour d'elle, parmi la nature troublante, accablante à force de vie, le sentiment de l'éternel repos...

*     valencia.com 
                         
                                                       Alphonse Daudet

                                                                                                       in Les lettres de mon Moulin

            

dimanche 17 décembre 2017

Millenium 5 La fille qui rendait coup pour coup David Lagercrantz ( Policier Suède )

Millénium 5 - La fille qui rendait coup pour coup
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                                           Millenium 5
                              Lafille qui rendait coup pour coup

            Il y a d'abord Stockholm, en été, brûlant sous un soleil étouffant, les gens suent puis des pluies abondantes, et il y a la ville en décembre, les mêmes passants se pressent dans le froid et la neige. Juin, et décembre, un an et demi plus tôt, l'auteur nous emmène dans une histoire un peu différente des premiers Millenium. Lisbeth toujours farouche, tabassée mais prête à la vengeance, est emprisonnée pour des faits sans importance, mais se trouve plus abritée qu'à l'extérieur. Cependant dans la prison règne la terreur. Benito, frappe, sans doute à la solde ou à la tête d'un gang, et supplicie le soir toujours à la même heure Faria Kazi, accusée par ses frères d'avoir défenestré l'un d'eux. Faria  enfermée, obligée de porter parfois le djihab, depuis la mort de sa mère, est promise en mariage, 2è épouse, à un riche commerçant de Jakarta. Sort d'autant plus effrayant que Faria a rencontré un jeune homme, Jamal. Lisbeth toujours aussi experte en informatique redresse la situation et ameute les gangs introduits à la prison. Arrivent enfin Mikael Blomkvist, reporter à Millenium et l'inspecteur Bublanski appelé pour un meurtre lié à Lisbeth et sa soeur jumelle, Camillia sans doute réfugiée en Russie aujourd'hui et à d'autres jumeaux, Léo et Dan entre autres. Un organisme secret, le Registre, a décidé des années auparavant de suivre et d'étudier le comportement, l'intelligence et l'évolution de ces enfants abandonnés et placés dans des familles de milieux opposés. L'occasion pour l'auteur de nous parler de Keynes, l'un des garçons, Léo, arrivé dans une famille bourgeoise et riche, à tendance au repli sur soi et bon pianiste est obligé d'entrer dans l'entreprise du père. A la suite d'une attaque informatique, un risque de krach boursier, il donne une conférence - " Le marché boursier n'est pas une chose qui existe...... Le marché est une construction. A partir du moment où l'on cesse d'y croire, il cesse d'exister........ Nous ne sommes pas dans le monde de Picsou, où on se baigne littéralement dans l'or........  nos épargnes sont des chiffres sur des écrans d'ordinateur, des chiffres qui fluctuent sans cesse...... Imaginez...... qu'elles se trouvent subitement effacées....... Il suffit que l'on croie que les autres doutent..... Tout le monde veut avoir une longueur d'avance, commencer à courir avant qu'un autre ne le fasse, pour ainsi dire. Et ce phénomène n'a pas changé depuis l'époque de Keynes....... " -
Dan placé dans un foyer sans sentiment, admis pour son travail sans rémunération, survivra grâce à son don pour la musique et à une guitare. Mais les événements vont se précipiter, et Lisbeth outre son caractère intransigeant a appris à observer. " La reconnaissance de mouvement est une science précoce...... Elle ne doutait pas que la gestuelle de chacun constitue une empreinte mathématique spécifique...... Il existait bien un certain nombre de programmes téléchargeables sur le Net....... " Méfiants, elle et ceux qui la suivent prennent soin de garder téléphones et ordinateurs éloignés lors de leurs déplacements et conversations secrètes. Ils craignent les faux tweets. Les faits révélés au cours ,de l'enquête auront-ils le temps d'attirer le public et vendre le journal avant qu'un autre fait troublant n'éloigne les lecteurs. L'auteur aborde plusieurs sujets d'actualité, notamment l'emploi du curare et de son contrepoison. Intrigue dramatique, le volume 6 en préparation attendu.

lundi 11 décembre 2017

Ce que c'est que la mort Victor Hugo ( Poèmes France )


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                                            Ce que c'est que la mort
                                                                                                                      louyehi.wordpress.com
            Ne dites pas : mourir ; dîtes : naître. Croyez.
            On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;
            On est l'homme mauvais que je suis, que vous êtes ;
            On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;
            On tâche d'oublier le bas, la fin, l'écueil,
            La sombre égalité du mal et du cercueil ;
            Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;
            Car tous les hommes sont les fils du même père ;
            Ils sont la même larme et sortent du même oeil.
            On vit, usant ses jours à se remplir d'orgueil ;
            On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche,                   
                                                                             on tombe,
            On monte. Quelle est donc cette aube ? C'est la tombe.
            Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu
            Vous jette au seuil des cieux, On tremble ; on se voit nu,
            Impur, hideux, noué des mille noeuds funèbres
            De ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;
            Et soudain on entend quelqu'un dans l'infini
            Qui chante, et par quelqu'un on sent qu'on est béni,                        louyehi.wordpress.com
            Sans voir la main d'où tombe à notre âme méchante
            L'amour, et sans savoir la voix qui chante.
            On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent
            Fondre et vivre ; et, d'extase et d'azur s'emplissant,
            Tout notre être frémit de la défaite étrange
            Du monstre qui devient dans la lumière un ange.


                                                                      Victor Hugo
                                   Au domaine de la tour Blanche, jour des Morts
                                                                                                      novembre 1854

dimanche 10 décembre 2017

Fromages Valerie Ferreira & Aimery Chemin ( Document France )

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                                        Fromages     

            Délicieux et merveilleux pour tous ceux qui préfèrent le salé plutôt que le sucré.
            Un bel album où les images des troupeaux de vaches, des alpages verts du Cantal et d'ailleurs; du savoir-faire du fromager et de la fromagère, tout porte à consulter pour le plaisir le livre qui comporte aussi et surtout des recettes appétissantes, environ soixante. Que sait-on des Salers, ces belles vaches brunes. Là-bas dans le Cantal, la jeune fermière a repris la ferme tenue par son père et son oncle, pourtant la traite de l'important troupeau est rude. Les vaches n'acceptent de donner leur lait qu'après la tétée de leur veau venu auprès de sa mère déjà au licou. Ensuite vient le travail du fromager qui livre la Fourme de Salers. Que dire des recettes ? Elles mettent en appétit les plus réfractaires au fromage.
            Camembert pané au seigle, ajouté 1 oeuf, un peu de farine, et un camembert.
            Cake de maïs au Sainte-Maure, ajouté 10 anchois, 2 brins de romarin, etc....
            Le pays basque offre le lait de chèvres des Pyrénées, biologique et en petite quantité à la ferme de Pedronia d'Anita Duhau.
            Fondre pour l'aligot à la tome fraîche de l'Aubrac, avec ail et ciboulette.
            Encore un mélange :
            Aubergines confites à l'agneau et au bleu de Sassenage.
            Et enfin le casting ! Préparer un plateau de fromages "........ Qui dit repas de bons vivants et de fines bouches, dit forcément plateau de fromage....... " Des pâtes fraîches ou persillées, choisir les produits en fonction des saisons. De bons conseils, un livre chargé de belles recettes. Bon appétit!....

samedi 9 décembre 2017

Hanouka Michael J Rosen Robert Sabuda ( Document France )


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                                            Hanouka

            Les auteurs Rosen et Sabuda racontent sur 7 doubles pages joliment animées, la poignante histoire d'un peuple errant qui, il y a deux mille ans se battait pour conserver sa liberté. Pour purifier le temple après cette bataille les prêtres allumèrent une petite lampe à huile qui ne pouvait durer qu'une journée. Mais la petite flamme ne vacilla pas et resta vivace. Le 7è jour de Hanouka 8 petites bougies brillent sur le chandelier à 9 branches, et chaque jour de cette semaine est fêté avec joie. Quelques courtes réflexions pour accompagner l'animation. Un joli livre pour célébrer cette période où douceurs sur la table et cadeaux sont offerts aux enfants.

mardi 5 décembre 2017

Un jour je m'en irai sans avoir tout dit Jean d'Ormesson ( Roman France )


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                                                Un jour je m'en irai sans avoir tout dit

           Jean d'Ormesson , journaliste, romancier, agrégé de philosophie est mort ce 5 décembre. Il était âgé de 92 ans. Auteur populaire, tant auprès de ses lecteurs que par sa présence et ses passages à la télévision. " Un jour je m'en irai sans avoir tout dit " est surtout un livre de réflexions. Il revient sur son passé. Paru en 2013. Il note que n'étant ni Constant, ni Zola, il accepte de " n'être que lui-même ".
Tous les classiques et Dieu "...... L'univers m'embarrasse et je ne puis songer
                                                     Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger...... "
            Par ailleurs quelques  têtes de chapître "Où Dieu, après avoir connu bien des épreuves, passe ses pouvoirs à l'homme - Où le portable prend la place du chapelet. " Dans ce chapître l'auteur note
" ........ Longtemps, demain a ressemblé à hier. Et puis, tout à coup, l'histoire a pris le mors aux dents..... " Des prophéties sur les prochaines aventures de ce monde "......Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est qu'elles oscilleront entre miracle et effroi. " Lire la presse où les classiques, Dante, Homère, Péguy " ....... Rien n'est plus vieux que le journal de ce matin,  et Homère est toujours jeune. " Puis un jour, alors qu'il se baigne avec Marie "....... Nous nagions. Nous étions heureux...... La foudre, tout à coup me tombait sur la tête : Un jour viendrait où il me faudrait quitter cette terre, et l'idée était encore supportable, mais aussi cette mer et cette beauté. J'allais mourir. ". 
Jean d'Ormesson a souvent dit qu'il prononçait fréquemment le mot Merci "........ J'ai aimé la vie qui est une épreuve très cruelle et très gaie..... " Mais de la mort "....... Je ne crois après la mort ni à une âme immortelle...... ni à la résurrection de la chair........ Je crois à Dieu...... Je crois que le temps, mêlé à l'espace, est une bulle dont nous sommes prisonniers. Une parenthèse dans l'éternité........ "


samedi 2 décembre 2017

Méditation sur un manche à balai Jonathan Swift ( Nouvelle Irlande )

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                                               Méditation sur un manche à balai

                              Dans le style et la manière des méditations de l'Honorable Robert Boyl                                                                                                                                                                                                                                                                                                 
Image047.jpg               Ce simple bâton que vous voyez maintenant gisant sans gloire en ce  coin négligé, je le connus un jour en un état florissant dans une forêt ; il était plein de sève, plein de feuilles et plein de rameaux, mais aujourd'hui c'est en vain que l'art affairé de l'homme prétend rivaliser avec la nature en attachant ce fagot desséché de brindilles à un tronc sans sève ; il n'est maintenant, au mieux, que l'image à rebours de ce qu'il était, un arbre renversé, les branches à terre et les racines en l'air ; il est à présent manié par toutes les maritornes, condamné à accomplir leur ingrate besogne, et par une sorte de caprice du sort destiné à rendre les autres choses propres et à demeurer lui-même immonde ; finalement, usé jusqu'au trognon au service des chambrières, il se voit jeté à la porte ou condamné au dernier des usages, celui d'allumer le feu.  papillonsdemots.f
Image associéeRésultat de recherche d'images pour "balai fagot 18è siècle"**            A ce spectacle je me pris à soupirer et me dis à moi-même : " A n'en point douter l'homme est un manche à balai ! " La nature l'a mis au monde sain et vigoureux, dans un état de prospérité, portant sur sa tête ses propres cheveux, qui ne sont à vrai dire que les branches de ce végétal raisonnant, jusqu'à ce que la cognée de l'intempérance l'ait émondé de ses rameaux verdoyants et l'ait laissé tronc desséché ; il s'empresse alors de recourir à l'art, et met une perruque, attachant du prix à sa personne pour une touffe artificielle de cheveux ( tout couverts de poudre ) qui n'ont point poussé sur sa tête. Mais à présent, si ce manche à balai que voilà s'avisait d'entrer en scène, fier de ces dépouilles de hêtre qui n'ont point poussé sur lui, et tout couvert de poussière, même si ses balayures provenaient de la chambre de la plus belle dame, nous aurions quelque tentation de trouver ridicule et méprisable sa vanité. Mais un manche à balai, direz-vous peut-être, est la figuration d'un arbre dressé sur sa tête, et qu'est donc l'homme, je vous prie, sinon une créature mise à l'envers, ses propensions animales chevauchant perpétuellement ses facultés rationnelles, sa tête où devrait être ses pieds rampant à terre ? Et pourtant, en dépit de tous ses défauts, il s'érige en réformateur universel, prétend corriger les abus, abolir les injustices, fouille dans les coins répugnants de la nature, en ramenant à la clarté du jour toutes les pourritures ensevelies, et soulève des nuages de poussière là où il n'y en avait pas un atome ; ce faisant, il s'imprègne fortement des immondices qu'il prétend faire dispartaître, ses derniers jours se passant à être l'esclave des femmes, généralement des moins dignes, jusqu'à ce que, usé jusqu'au moignon, comme son frère le balai, il soit mis à la porte à coups de pied ou employé à allumer les flammes dont les autres se réchaufferont.      imgfave.com
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                                                              Jonathan Swift                               

                       Glocestershire 1702    in Oeuvres 
                                                                                  


mardi 28 novembre 2017

7 Façons d'être heureux Luc Ferry ( Document France )


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                                                  7 Façons d'être heureux

                                  ou les Paradoxes du bonheur

            Le bonheur, irréalisme, infime instant paradoxal, mais heureux, moments partagés, ouvrage accompli, contentement de soi. Réflexions, logique. Pourquoi ce sentiment de plénitude nous envahit-il de façon impromptue, Luc Ferry appelle un de ses penseurs préférés, Kant, et d'autres évidemment.
Eviter ce que Luc Ferry nomme " Les considérations valables seulement par beau temps..... " Le bouddhiste échappe-t-il aux désirs de tous ordres, toujours ? Et la liberté d'être, de penser , "...... les plantes et animaux sont d'emblée tout ce qu'ils sont appelés à devoir être de sorte qu'ils n'ont pas d'histoire..... seul l'homme, parce qu'il est néant...... possédera un itinéraire libre, non préformé par une nature..... " L'auteur dénonce ce qu'il appelle les marchands de bonheur, articles de journaux "..... On joue alors sur le registre narcissique .....d'une société...... " Tristan fidèle, Don Juan et ses multiples conquêtes, lucidité. Luc Ferry écrit "..... Il ne peut jamais y avoir d'amour heureux...... Selon la logique amoureuse du " soupirant " en effet, l'autre ( l'être aimé ) est tout et, par rapport à lui, l'amant n'est rien, tout juste un soupir........ Or dans la mythologie de Don Juan, c'est l'inverse, c'est le séducteur qui est tout, tandis que l'autre n'est rien......." Epicure, Pascal. Dans la conclusion d'un chapitre, Luc Ferry "....... Si l'on n'est pas croyant, si l'on ne se situe pas dans la perspective de l'immortalité, il vaut mieux, le plus tôt possible, distinguer entre la joie, qui est réelle mais éphémère, et le bonheur qui prétend à l'éternité, mais qui n'est qu'illusion...... " Par ailleurs l'auteur apprécie beaucoup la peinture, notamment hollandaise classique, note qu'admirer rend heureux et détaille l'idée. Et le sentiment de jalousie qui suit parfois. " ...... Hégel est à ma connaissance le premier philosophe à avoir parfaitement compris à quel point l'art hollandais était admirable, à quel point il marquait un tournant dans l'histoire des idées en tant que premier art sécularisé, laïc et de part en part humain...... " Le sport " événements quasi religieux..... relient entre eux des centaines de millions de spectateurs admiratifs...... " Dans le chapitre sur la liberté ".... Dès le XVIIIè sc Kant émettait le soupçon que la nature nous avait mal équipés pour le bonheur...... N'aurait-il pas mieux valu, à ce compte, que nous naissions chevreuil, ours ou lapin ( à condition évidemment qu'il n'y ait aucun chasseur à l'horizon.....) " L'un des chapitres " Apprendre et créer Souffrances et joies de la connaissance ". Luc Ferry note le double sens du mot Apprendre, " acquérir mais aussi transmettre "Enfin Athènes ou Sparte. Pour conclure " ..... C'est toujours dans les époques difficiles, dépressives, qu'il peut être utile de réfléchir à la question du sens...... C'est tout le problème éthico-politique...... nous sommes marqués par une irrémédiable finitude..... "
    
                         

lundi 27 novembre 2017

Journal secret 5 extraits fin Pouchkine ( Russie )

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                                                           Journal secret
                                                                             ( extraits )

            Pourquoi dit-on qu'un homme " prend " une femme et qu'une femme " se donne ", alors que c'est tout le contraire ?.........

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            La vie familiale de mes ancêtres a été assombrie par des jalousies terribles et des cruautés sans nom. De génération en génération cette cruauté a régressé. Mon arrière-grand-père a massacré sa femme, et Grand-père s'est contenté de faire emprisonner la sienne. Mon père ne s'est intéressé qu'à lui-même et ne s'est guère soucié de ma mère. Je fais le dernier pas. Malgré les ragots j'ai une profonde confiance en ma femme. Je boucle le cercle en complet contraste avec mon arrière-grand-père, et c'est moi, non ma femme, qui mourrai d'une mort violente.

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            A cause de sa stupidité je ne parlais que de choses simples avec Kern. Je n'étais intéressé que par son corps magnifique. Ce n'est pas ma faute si la majorité des femmes ne peuvent m'attirer qu'avec leur corps. Cependant, de temps à autre, je croise une femme pleine d'émotions et douée d'un esprit raffiné. C'est un plaisir de converser avec une telle femme, surtout après une partie déchaînée. Les rares femmes de cette epèce ne se plaignent jamais du fait que tout ce qui m'intéresse chez elles est leur corps, car elles voient bien que ce n'est pas vrai. Elles sont suffisamment intelligentes pour comprendre qu'une généralisation pareille prête à rire.
            Les femmes idiotes se refusent à admettre que l'intimité est une créature indépendante d'elles et que les hommes sont obligés d'avoir affaire à elles uniquement parce qu'elles en sont détentrices. Elles veulent plus que tout s'imposer aux hommes dans leur globalité.
            Plus puissant est le désir d'un homme, moins il est capable de faire la différence entre le mot femme et le mot intimité. La seule chose qui puisse lui ouvrir les yeux sur l'existence, chez une femme, de quelque chose en-dehors de son minon est le désir satisfait. C'est pourquoi la femme intelligente se donne à un homme avant toute chose, afin de libérer son imagination de sorte que, rassasié de plaisir il soit enfin en mesure d'apprécier son esprit, son talent, sa gentillesse et toute sa finesse...........

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            Le mariage a fait entrer dans ma vie des soucis d'argent sans fin, et ils croissent chaque année, avec chaque nouvel enfant. Cela induit que je suis chaque jour davantage sous l'emprise de gens que je déteste. Et en premier lieu du Tsar. Les usuriers me prêtent de l'argent sur la valeur des bijoux de N., le Tsar quant à lui me prête de l'argent sur la valeur de N. elle-même.
            Il veut que N. danse devant lui, autrement il ne peut pas bander pour son épouse. Il pense que s'il me donnait de l'argent ce serait comme si je lui vendais ma femme, alors il me le prête, espérant alléger ma conscience. Nullement ! Je t'aurai après avoir disposé de d'Anthès. En attendant je dois me soumettre. Ma situation va changer, bientôt. " Le Contemporain " me rapportera bientôt de l'argent neuf, bien que je sois très réticent à m'en occuper. Le souhait de me défaire de l'emprise de l'argent m'oblige à entreprendre des affaires qui me déplaisent et à devenir dépendant du succès d'une activité qui m'est étrangère. Je dois me transformer en négociant, marchander avec Vyazemsky cent roubles de plus pour les meubles, vendre la fichue statue de Catherine au malin Myatlev. Je suis obligé de prendre en charge la gestion d'un patrimoine désespérément amoindri, et à passer un temps précieux avec des gribouilleurs dépourvus de talent qui rêvent de voir leurs noms imprimés. Je dois admettre que rien de tout cela ne rencontre le succès, car il ne peut y avoir de succès dans un travail que l'on déteste. Vous devez aimer ce que vous faîtes comme vous aimez une femme, même une chose sans valeur semblera ainsi importante et votre enthousiasme vous apportera bonheur et succès. L'amour donne une signification à tout ce que vous faîtes en son nom, et il vous récompense en vous rendant indépendant de tout ce qui lui est extérieur.
            Je dois dire que, pour que je sois heureux, il suffit que des intimités défilent rapidement devant moi et que je puisse écrire dans mon bureau dans l'attente impatiente de la suivante.
           L'absence d'argent m'irrite mais est incapable de me rendre malheureux. Je croyais avant qu'il n'y avait rien qu'on ne puisse apprendre, et je me suis assidûment mis à réfléchir à des moyens d'obtenir de l'argent. Puis j'ai compris que c'est comme la poésie qui ne peut pas être apprise. Il faut avoir talent et inspiration. Je sais maintenant que je ne gagnerai jamais assez d'argent avec ma littérature et que l'échec me guette sur les autres chemins, car je n'ai guère de talent pour m'enrichir. Je n'ai pas de parents riches qui me laisseraient un héritage, alors je ne vois rien de consolant pour l'avenir. Tôt ou tard le Tsar annulera mes dettes et je devrai y consentir, car la somme sera si importante que l'augmenter encore tiendrait tout simplement de l'indécence.

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            Ma belle-mère a envoyé mille roubles pour la naissance de Sashka. Si N. pouvait pondre les enfants aussi vite que font les chats, nous aurions un joli revenu............. Je déteste l'usure mais elle se répand partout où on fait de l'argent. Je ne peux pas, je suis incapable d'être un profiteur ! Ma tête devrait être libre pour mon écriture..........

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            Plus N. a du succès en société, plus les femmes me sollicitent. Elles sont flattées de se soumettre à moi, cela les enorgueillit de voir que je les préfère à une beauté irréprochable telle que ma femme. Elles commencent à se croire plus belles et plus irrésistibles qu'elles ne le sont vraiment.

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            Soudain j'ai de le peine pour d'Anthès que je dois tuer. Il n'est rien d'autre qu'un fainéant gâté aux ordres d'un vieillard sale et dégoûtant. Je ne peux pas reprocher à d'Anthès sa passion pour N., au contraire, je lui envie cette passion que je n'ai plus.

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            La maladie de ma mère m'a rapproché d'elle après que la vie nous a séparés. La mort proche nous a réunis.
            Mère acceptait mal la vieillesse et souffrait d'avoir perdu sa beauté d'antan. Je m'asseyais auprès d'elle, alitée et mourante et me laissais aller à des souvenir. Le passé était merveilleux mais désespérément évanoui. Je me rappelais ma soif constante de la tendresse de ma mère. Je voulais me blottir contre elle pour être embrassé et enlacé, mais elle m'évitait. Elle ne m'aimait pas, elle aimait
Lyovushka ( son frère ).
            Je me souviens de moi à peu près à l'âge de trois ans fonçant dans sa chambre et voyant Mère couchée sur le lit. Elle était nue, allongée sur le dos, les bras derrière la tête. Elle regardait par la fenêtre, elle a lentement tourné les yeux vers moi, puis s'est retournée vers la fenêtre. Mes yeux étaient rivés, contre ma volonté, sur les cheveux noirs au centre de son corps blanc. Cette vision m'a marqué au fer rouge et je suis sorti de la chambre ventre à terre. Maintenant encore j'ai cette vision qui revient.                                                                                                                  pinterest.fr 
Image associée            Mère est revenue à elle et m'a dit, souriant à travers ses larmes :
            - " Quand enfin je m'habitue à la vieillesse, il est temps de mourir.
            Elle s'est éteinte et j'ai eu le temps de lui chuchoter que nous nous retrouverions bientôt. La mort la terrifiait et je voulais la consoler avec cette profonde conviction personnelle. Ses yeux ont scintillés d'espoir, comme si je lui avais promis qu'elle guérirait.
            Elles est morte et j'ai senti une partie de moi mourir avec elle. La Mère qui nous donne la vie l'emporte avec elle en mourant. La petite portion de vie restante ne fait qu'attendre l'occasion d'en finir pour que votre âme puisse rejoindre celle de votre Mère. Mère m'a préservé de la mort, mais quand elle est décédée elle m'a laissé seul face à elle.
            Une fois, alors que mère ne pouvait déjà plus se lever, j'ai trouvé mon père en sanglots à son chevet. Ce spectacle déchirant m'a retourné le coeur. Je me suis précipité vers Père, serrant ses épaules et embrassant sa tête. Toute mon irritation à son égard avait disparu devant son impuissance et sa faiblesse. Je peux facilement être en colère contre une personne forte ou contre une personne prétendant l'être, mais quand je vois un homme en pleurs, la pitié pour lui l'emporte sur tous les autres sentiments. En plus de cela c'était mon père.
            J'ai versé des larmes à cause de l'amertume que j'avais toujours ressentie à son égard. J'ai pardonné et j'ai oublié son avarice, son égoïsme et son entêtement. Mère a tendu la main, Père l'a prise dans la sienne et je les ai recouvertes toutes deux de la mienne. Nous avons à cet instant une unité perdue à cause de notre intolérance et surtout de la mienne. Nous avons pleuré tous trois à l'approche de la mort, de la solitude et de l'horreur de l'inéluctable. J'ai retrouvé ma mère et mon père mais, hélas, pas pour longtemps.
            Seulement alors s'est révélé à moi le commandement concernant l'amour des parents. Ils sont la cause de mon existence, et si je ne les aime pas, je ne puis m'aimer moi-même. Cependant, pour être en paix avec soi-même, on doit s'aimer soi-même. Mais on ne peut pas aimer la conséquence et détester la cause. Haïr ses parents signifie haïr la vie qu'ils vous ont apportée.
            Il est insupportable de voir ses parents vieux et en larmes alors que vous êtes impuissant à soulager leurs souffrances. Désormais il aura beau être difficile à vivre, je verrai toujours les épaules de mon père secouées de sanglots.
            Quand j'ai accompagné le cercueil de ma mère à l'Abbaye Svyatogorsky ( 1836 ) je savais que j'allais à mon propre enterrement. Cette conviction ne m'a pas quitté une seule minute. Les mottes de terre tombant sur le cercueil résonnaient comme de douloureux battements de coeur. J'ai levé les yeux vers le ciel bleu et senti le regard de ma mère posé sur moi. Je lui ai souri et j'ai chuchoté : " je te verrai bientôt "
            Il me paraît tout à fait évident que les âmes des enfants et des parents flottent ensemble dans une autre vie. Mon âme épousera l'âme de ma mère et son âme épousera celle de sa mère et ainsi de suite jusqu'à Adam et Eve. Les âmes d'Adam et Eve ont épousé la bonté de Dieu qui porte en elle les âmes de toutes les générations à venir. Je vois Dieu comme une grenouille, sa longue langue étant la totalité de l'histoire humaine. La langue s'élance pendant un instant ( pour attraper une mouche ? ) et puis hésite. Pourquoi nous a-t-on envoyés sur Terre ? Est-ce pour baiser comme des grenouilles ?
            Je n'ai plus aucun doute quant au but de la vie lorsque la Muse ou Vénus me rendent visite. Mais leurs visites sont brèves et, une fois qu'elles m'ont quitté les souffrances m'enveloppent et je ne puis même trouver la réponse à une question des plus simples : comment vivre ? Ma vie devient trop complexe, tous les fils de mes méfaits se sont emmêlés et je ne peux plus les défaire. Mais je ne peux pas vivre ainsi, alors je dois les couper.

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Image associée            Même un homme jaloux prend un plaisir sans fin avec une très belle maîtresse. Mais une très belle épouse apporte, elle, une angoisse sans limites à son mari. Le plaisir s'émousse vite et la possession de la beauté ne fait que flatter votre vanité.
            Les hommes de votre entourage déversent salive et semence pour goûter l'intimité de votre femme et la suivent comme une meute derrière une chienne en chaleur. Le lot du mari est de devoir s'éreinter à protéger sa femme des pièges et la prévenir des tentations, protégeant son honneur à elle et son nom à lui. Plus la femme est belle, plus le mari devient la risée de tous si elle lui est infidèle. Plus les gens la regardent, plus les hommes attendent avec impatience leur tour. N'est-ce pas un prix trop élevé à payer pour la possession d'une beauté qui ne vous excite plus ?

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            .................... Une fois je lui a raconté un de mes fantasmes et elle a répondu d'une voix rêveuse :
            - " C'est bien Pouchkine que je ne puisse lire dans tes pensées et que tu ne puisses lire dans les miennes ".
            En tant que mari j'ai senti mon incapacité à empêcher l'adultère mental de ma femme. Si je ne puis l'obliger à m'aimer, je veux du moins obtenir le pouvoir de la contrôler avec l'aide du mesmérisme et induire en elle les sentiments que je veux. Ici, une fois de plus, il me faut une force interne et une concentration que je n'ai jamais eues.


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            De ma vie entière je n'ai pu trouver suffisamment de force pour tuer un homme. Au cours de tous mes duels j'ai laissé mes adversaires tirer les premiers et je refusais ensuite de tirer ou tirais vers le ciel. Je croyais que Dieu me gardait et je lui confiais ma vie. Les balles m'ont épargné.
            S'il était possible d'organiser un duel immédiatement après le défi, tout serait différent. Autrement, arrivé le moment du duel, ma colère s'est toujours dissipée et le combat n'a jamais eu l'air d'une vengeance pour une offense mais seulement d'une plaisanterie hasardeuse. Bien que je comprenne du point de vue intellectuel qu'il vous faut tuer votre ennemi sans quoi c'est lui qui s'en charge, mon coeur ne m'a jamais laissé aller jusqu'au bout. Il y a toujours de la fougue dans une bataille, vous êtes emporté par la rapidité du mouvement et vous tirez dans le vif du moment.
            Un duel c'est un enterrement froid, artificiel, avec des règles et des conditions qui irritent l'esprit mais pas les sentiments. Se battre en duel est d'un sang-froid insupportable.........
            .......... L'extase du sentiment de vie après un duel est si puissante que, pendant mes périodes de dépression, je pense à une telle provocation comme à un remède auquel il ne serait pas désagréable de recourir..........                                                                           
Résultat de recherche d'images pour "tableaux couples 1900"            Personne n'a autant dérangé ma vie que d'Anthès. Il est maintenant impossible de penser à une éventuelle réconciliation. L'un de nous doit mourir................                           
            Si seulement j'avais tué quelqu'un auparavant je me sentirais beaucoup plus confiant. Dans le même temps je sais que si je tue un homme ma vie ne sera plus pareille...........
            Dans " Onéguine " j'ai osé tuer Lemsky  et accomplir au travers d'un poème ce à quoi je n'arriverai jamais ma vie durant.
            Les conditions du combat avec d'Anthès doivent être sans merci et cela devrait me forcer à
tirer le coup fatal.
                                                                                                                     
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            Pour posséder de l'argent il vous faut l'aimer, mais moi je ne fais que le respecter pour son pouvoir. Il le sait bien et refuse de venir dans mes mains. J'aime les femmes et en retour elles m'aiment. J'aime la poésie et la Muse est folle de moi. J'aime une partie de cartes, cela m'apporte du plaisir même si je perds. Il y a même un certain plaisir à perdre, cela fait partie du jeu. Il n'y a par conséquent aucune injustice lorsque je perds : l'argent ne veut pas toujours venir à moi, ce qui n'empêche pas mon jeu favori de m'apporter de la joie. Pensée bénie.

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            Lisant Sade je comprends la source de sa perversion, que vous pourriez traiter à son commencement comme vous traiteriez un lionceau. Mais Dieu vous garde qu'il grandisse et de croire ensuite que le lion est sans danger, simplement parce que vous l'avez connu jeune !.....................

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            Dans le Caucase je me rendais souvent au bord d'un précipice montagneux et j'ai compris un jour que je ressentais un désir de plus en plus violent de m'y jeter. Je ne voulais pas mourir, j'étais heureux mais quelque chose me poussait certainement à sauter le pas fatal. Jusqu'où je pouvais faire confiance à cette partie de moi-même qui ne voulait pas me voir franchir ce pas ? D'où vient cette partie de moi qui souhaite ma propre mort ? Peut-être que la vision d'un abîme est si merveilleuse et la sensation de la descente tellement excitante que cette autre partie de moi oublie simplement l'inéluctabilité de la mort, emportée par la beauté pure de la nature. Je suis poussé à sauter dans l'abîme, non par désir de mourir mais par un total oubli de ce que cela représente....................
            Je n'ai pas une volonté claire de mourir mais je me comporte comme si je réclamais la mort de toutes mes tripes...............

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Image associée             Je n'ose montrer ce journal à qui que ce soit, pas même à Naschokine. Même le meilleur ami ne peut accepter une âme complètement exposée.
            Je ne ai moi-même pas assez de tripes pour relire ce que j'ai écrit, peur trop forte de mes abîmes. Je suis si tenté de tout jeter au feu. Mais j'ai déjà fait preuve d'un pareil manque de tempérament en brûlant mes notes. Je craignais alors la prison, à présent je crains Dieu. Il a envoyé son " ange ", d'Anthès qui a vraiment la beauté d'un ange, pour me punir. Je commence à me répéter. Quoi que je puisse raconter, j'en reviens à lui.

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            Aujourd'hui je me suis reposé avec Zizi, je ne voulais pas voir N. du tout. Mon indifférence à son égard affaiblirait ma décision de me battre. Il se pourrait que je mette ma vie en jeu au nom de la pérennité de ma vie de famille pleine de soucis n'est pas très excitante, et non au nom des passions libres auxquelles j'ai voué mon existence.......................



                                                                FIN

                                                                 Alexandre S. Pouchkine

           Note de l'éditeur en fin de volume

           Pouchkine fut fatalement blessé à l'estomac par d'!Anthès qui tira le premier. Pouchkine rassembla ses dernières forces et tira. La balle ricocha sur un bouton métallique de l'uniforme de d'Anthès, ce qui lui sauva la vie. D'après la rumeur le Tsar avait envoyé ses gardes pour arrêter le duel mais ils furent intentionnellement dirigés au mauvais endroit. Après la mort de Pouchkine d'Anthès fut mis aux arrêts, destitué et expulsé de Russie. Il partit avec sa femme pour la France où ils vécurent jusqu'à leur mort. D'Anthès sera sénateur sous le second Empire. La veuve de Pouchkine porta son deuil pendant deux ans et se remaria en 1844.