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Mémoires d'un estomac
racontées par lui-même
IV
Prescription
2 onces de décoction d'aloès composé,
3 onces de teinture thébaïque
10 gouttes de ditto de houblon, 11,2 gros
6 gros eau de cerises noires
Mêlez, deux cuillerées à soupe par jour.
Notez que dans la recette précédente la confection aromatique était un des ingrédients. Ici l'aloès est prescrit, les deux substances produisant des effets diamétralement opposés. Les amers toutefois, quoique sous une autre forme, étaient encore administrés et les docteurs s'accordaient au moins quant à l'amertume.
Malgré cette délicate mixture je continuai à être de mauvaise sorte car, pour mon malheur, mon maître, le patient, trouvait que la pénalité attachée à l'absorption des drogues l'absolvait de la nécessité d'un régime strict : j'allais donc de plus en plus mal, et l'on me conduisit chez un autre Esculape.
Je fatiguerais le lecteur le plus patient si j'exposais les opinions diverses émises sur la cause de mon indisposition. Qu'il suffise dire qu'un docteur prescrivit les alcalins, et qu'un autre déclarait que leur usage me serait fatal et insista sur les acides. Voici ce que ce dernier m'ordonna :
Prescription
1gros de sulfate d'alumine et 1de ditto de zinc
4 onces d'acide sulfurique dilué
Mêlez
30 gouttes dans une demi-pinte d'eau sucrée, 3 ou 4 fois par jour.
Ces acides forts, par leur qualité antiseptique, eurent certainement quelque bon effet, ils contribuèrent à me débarrasser de certaines saburres. Mais le jus d'un simple citron aurait infiniment mieux agi.
Quand ce remède fut montré à un autre médecin, il branla la tête et ordonna :
3 drachmes de potasse liquide
13 drachmes teint de Colombo
Comme celle-ci ne fut pas plus efficace que les autres, on résolut de me transporter dans le pays de ces médecins pygmées, le Homéopathes, ainsi nommés, je suppose, parce qu'ils sont toujours chez eux pour les consultations.
Je dois dire que leur manière d'administrer les médicaments, tout en me faisant sourire un peu, me réjouit autant que le permettait l'état de faiblesse où j'étais.
Quand j'entendis pour la première fois parler de la doctrine homéopathique, je m'attendais à voir dans ceux qui la professent de petits personnages diminutifs, semblables à ceux que nous voyons dans les " fanticini ", servis par de petites poupées, dans de petites maison de verre.
Quelle ne fut pas ma surprise quand un grand et massif docteur me prescrivit une dose exprimée par une fraction dont le dénominateur était l'unité suivie de 60 zéros ! On peut bien supposer que je traitai le décillionième de grains avec un profond mépris.Que le lecteur ne condamne cependant pas cette race de médecins, sous plusieurs rapports très utiles car, si leur doctrine est entièrement absurde au point de vue curatif, elle possède au moins une sorte d'excellence négative.
Oui, je maintiens que l'administration des drogues devrait approcher de zéro autant que possible, et ces Messieurs sont, quant à leur posologie, à une très petite distance de ce but désirable.
Les Allopathes et les Homéopathes doivent, bien entendu, se battre entre eux, et ils n'y manquent pas. Les Lilliputiens livrant bataille aux Brobdingnags nous représenteraient l'image de combats de ces géants et de ces nains médicaux, et je me figure qu'un dialogue pourrait avoir lieu entre un allopathe et un homéopathe, et à peu près dans ces termes.
L'Allopathe et l'Homéopathe se rencontrent
A. - Monsieur, vous êtes un charlatan. bbc.co.uk
H. - Et vous un imposteur ! Vous empoisonnez en gros.
A. - Et vous en détail, Monsieur, mais je ne veux point vous parler.
H. - Mais vous me parlerez. Vous n'êtes pas si grand personnage que vous puissiez ignorer notre existence, quand vos malades vous quittent par douzaines pour venir à notre établissement.
A. - Cela est tout-à-fait faux. Et un mensonge est la seule chose que vous n'administrez pas infinitésimalement.
H. - Je puis garder mon sang-froid. Là, avouez-le, ne vous avons-nous pas privés de centaines de vos malades ?
A. - Oui, les sots nous délaissent pour aller à vous.
H. -Les sots paient mieux.
A. - ( à part ) Cela est très vrai. - ( Haut ) Alors j'ose dire, Monsieur, que vous êtes un homme riche. Bonjour.
H. - Pas si vite. Je suis aujourd'hui d'humeur accommodante. Dites-moi franchement, voudriez-vous prendre vos propres médecines ?
A. - ( grimaçant ). Pas toutes. Mais nous sommes obligés d'expérimenter sur les malades pour l'avancement de la science.
H. - Oh ! Oh ! Est-ce cela ? Les chirurgiens traitent de même les chiens. Puisque vous êtes si candide, auriez-vous quelque objection à prendre nos remèdes ?
A. - Certainement, ils sont inertes !
H. - Pourquoi ?
A. - Parce que la matière ne se divise ni ne se fractionne au degré où vous l'administrez dans vos prescriptions.
H. - Que pensez-vous de l'aqua tofana et des empoisonneurs du 14è siècle ?
A. - Il y mettaient trop de temps. Vous en prendriez encore plus.
H. - Et vous, vous faites la chose du premier coup.
A. - Monsieur, cette insolence...
H. - Bah ! ne vous fâchez pas ! Nous sommes tous deux dans la même barque.
A. - C'est possible, mais comme nous ramons en sens contraire elle ne bouge pas.
H. - Ah ! ah ! Très bon. Combien des personnes envoyées à leurs boutiques ont-elles été tuées par les droguistes de Londres ? Vous ne pouvez pas me poser la même question.
A. - Allons donc, Monsieur, voudriez-vous supprimer la chimie ? ( l'auteur signale ici une note d'humour : le goût anglais pour les pharmacies soit : pour 1 sur le continent 12 en Angleterre )
H. - La chimie ! Osez-vous confondre votre système avec cette splendide science ? Il faut au boiteux un bâton solide.
A. - Comment qualifiez-vous l'action de vos médecines ? Est-elle mécanique ?
H. -Vous avez prétendu qu'elles n'en avaient aucune . En sorte que d'après votre dire, si nous ne faisions pas de bien, nous ne faisions pas de mal.
A. - Vous êtes pointilleux, Monsieur. Comment supporterais-je ma famille et maintiendrais-je mon établissement sans donner des médicaments ?
H. - Ah ! voilà le " hic " ! Prescrivez le régime et des simples et demandez autant que vous le faites pour vos avis actuels.
A. - Pourquoi ne pratiquez-vous pas ce que vous prêchez ?
H. - Parce que je mourrais de faim. etsy.com
A. - Je serais dans le même cas.
H. - Nous prospérons donc par l'ignorance de la multitude.
A. - Ayez la bonté de parler au singulier. Il y a pourtant beaucoup de vrai là-dedans. Si, lorsqu'un malade vient me trouver avec des organes digestifs en désordre j'allais lui prescrire une diète sévère, le lever matinal, et lui recommander une demi-douzaine de simples, il me mettrait au nombre de ces derniers et courrait prendre les conseils d'hommes tels que feu Sir W. Farquha qui écrivit une formule contenant treize différentes substances dans l'espoir que si l'une ne convenait pas une autre pourrait faire du bien.
H. - Alors vous avouez que le public est à blâmer ?
A. - Certainement. La dignité de la profession gagnerait à ce que le peuple fût moins ignorant.
H. - Serrons-nous donc la main, et devenons riches tous deux.
A. - Je vous souhaite bonne chance, mais je ne puis vous donner la main. Prétendez-vous donc dire que vous feriez une razzia complète de tous les médicaments ?
H. - Non, mais je me bornerais aux simples, et je sarclerais si bien ce champ sauvage de la pharmacopée que j'en ferais un net et joli jardin.
A. - Quels médicaments laisseriez-vous ?
H. - Dame ! Je ne laisserais que ceux dont les effets certains sur l'économie animale sont bien établis.
A. - Bon ! il ne resterait rien, ou pas grand-chose. Il serait difficile de trouver une douzaine de composés qui produisent dans toutes les circonstances des résultats assurés et identiques.
H. - Eh bien ! Fondez sur ce " dodcka " la base de votre matière médicale.
A. - Au fait, ce serait mettre en banqueroute notre dispensaire officiel.
H. - On ne pourrait rien désirer de mieux. Je voudrais être à la tête de la commission chargée de juger cette tourbe frauduleuse de drogues. Il y en a bien peu, je vous assure, qui obtiendraient un certificat de première classe.
A. - Auxquels en accorderiez-vous un ?
H. - A ceux seulement qui pourraient donner devant la commission un compte clair et satisfaisant de leur actif et de leur passif, et qui pourraient prouver que insolvabilité n'a point pour origine la spéculation
A. - Je voudrais vous voir dans cette position. Continuez.
H. - Voici l'ébauche de ce qui pourrait être publié :
" ............ Sels et Séné, poursuivant un trafic cathartique très étendu dans Apothicaries Hall, a introduit une demande pour sa dissolution selon les termes de son contrat. Aucune opposition.......... son honneur a exprimé l'opinion que la banqueroute avait eu pour origine les fautes des ordres plutôt que les siennes, et qu'elle conduisait ses affaires selon ses méthodes......... Dans ces circonstances, l'honorable commissaire lui accorderait un certificat de seconde classe mais......... leurs chances de succès ne pouvaient reposer que sur le patronage de ceux qui cultivent la gastronomie et la gourmandise. " aminoapps.com
A. - C'est très beau........ Je suppose que les Blackdoses, les sels d'Epsom, l'aloès et toutes les autres drogues drastiques obtiendraient de vous un jugement favorable.
H. - Probablement, car nous ne pouvons pas dire que nous ignorons leurs effets, et la gloutonnerie a besoin de traîner à sa suite des composés horribles, pour le cas où le monstre horrible tomberait dans une de ses transes.................
.................................
A. - Si vos idées sur la médecine ne sont pas meilleures que votre connaissance de la loi, j'ai pitié de vous. Comment traiteriez-vous le bismuth et cette nombreuse classe de médicaments que l'on donne pour améliorer les fonctions digestives ?
H. - A peu près de la même manière, et je parierais ma meilleure boîte de globules que je les prendrais tous en défaut............................ Quant à la quinine j'examinerais d'abord les témoignages produits sur ce que ces remèdes ont fait, puis sur la manière dont ils ont agi, et j'aurais beaucoup de soupçons et de doutes s'ils ne pouvaient répondre à la deuxième question. Si j'étais satisfait sur le premier point, je le prescrirais me réservant le droit de révoquer cet ordre si je les surprenais causant le mal de tête ou les maux de coeur. J'assignerais toute la faculté et pousserais mes investigations sur la matière.................
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A. - Vous êtes un drôle de corps. Saigneriez-vous ?
H. - Jamais.
A. - Alors, dans certains cas, vos malades mourraient.
H. - C'est possible. Mais il vaut mieux qu'un individu meure faute de saignée que d'en voir tuer des centaines par la phlébotomie.
A. - Au fait, vous n'useriez ni de médicaments ni de la lancette ?
H. - Exactement. Et voilà pourquoi je suis Homéopathe. Les gens veulent avoir quelque chose, je ne leur donne rien et, cependant, je satisfais à leurs demandes.
A. - Vous êtes un original. Je suis sûr que des centaines d'individus seraient morts entre vos mains s'ils avaient eu la chance d'être traités par vous.
H. - Ne pensez-vous pas que des milliers ont été tués par la médecine ?
A. - Mais oui, peut-être.
H. - Pensez-vous que beaucoup de centaines sont morts par son absence ?
A. - Non....... Je maintiens que nous vivons d'une manière si artificielle que des remèdes artificiels sont nécessaires.
H. - Je vous concède cette proposition. Pourtant......... en admettant que nous vivons dans une condition artificielle, je soutiens que cette artificialité de nos moeurs n'est pas telle qu'elle réclame, pour l'entretien de la santé, qu'on recoure à la science la plus compliquée.............Si notre régime alimentaire consistait dans l'emploi de substances puisées dans les secrets les plus mystérieux de l'art, je vous accorde qu'alors nous réclamerions des remèdes également subtiles. Mais si nous vivons conformément aux lois de la nature, alors nous avons besoin de remèdes également simples.........
Quand l'aliment ordinaire est adultéré c'est alors que nous approchons le plus du degré extrême de l'artificialité. Alors des mesures proportionnelles et appropriées sont nécessaires pour rétablir la balance de la santé. Mais si nous ne consommons que les produits de la terre sans recourir à aucun procédé très élaboré, j'affirme que nous n'avons pas besoin de remèdes compliqués........ la nature fera sa part avec un surcroît d'activité. leftytyer.blogspot.fr
A. - Mais...... vous concluez qu'il nous faut des des remèdes de même nature que nos aliments ne différant que par le mode de combinaison, etc., etc. ?
H. - Certainement.
A. - Mais notre nourriture contient presque tous les composants de la chimie........ Ainsi quoi de plus naturel que de recourir à la science médicale qui possède la composition ultime et prochaine de ces matières...........
H. - Ces faits n'ébranlent nullement ma thèse. Si, comme vous le dites, la nourriture contient une telle variété de composés, minéraux, acides, alcalis, substances neutres, gaz, etc., alors certainement la nourriture sous les différentes variétés de forme, de combinaison ou de proportion de ces éléments constitutifs est le moyen propre de rétablir la santé............
A. - Si je vous comprends bien, d'abord, si nous vivons simplement, comme dans les âges primitifs, mâchant des glands de chêne et buvant de l'eau, nous n'aurions besoin que de simples en cas de maladie. Par contre si nous vivons artificiellement il nous faut des remèdes aussi artificiels. Et, si notre vie est tellement artificielle qu'il faille explorer les secrets les plus profonds de la nature pour nous procurer nos aliments, mais seulement alors, il nous faudra des remèdes également difficiles à obtenir. Mais vous affirmez que nous ne vivons pas d'une manière aussi artificielle.......aminoapps.com
H. - Précisément. La science médicale aurait besoin d'être plus serrée et plus compacte...........
A. - Je reconnais qu'un régime est souvent préférable aux drogues....... Je ne puis cependant m'empêcher de reconnaître que le mal a produit du bien. Considérez les bienfaits du chloroforme.
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H. - Si..... les efforts s'étaient concentrés sur les recherches anatomiques, les dissections, l'analyse, l'induction scientifique et surtout le microscope, je ne doute pas que des découvertes d'une vaste importance nous auraient mis en possession de vérités et de faits que nous ne pouvons attendre que de l'avenir.............................
Je crois que les meilleures recettes sont perpétuellement changeantes dans leur manière d'agir, de sorte que ce peut être bon aujourd'hui, mauvais demain, et que la disposition d'esprit du sujet, les influences atmosphériques, ou quelque altération temporaire dans les forces du système nerveux, peuvent faire varier complètement les effets des médicaments sur le corps.
A. - Mais comment arriverons-nous à connaître leur modus operandi, à moins de les essayer.
H. - Si vous vous croyez autorisé à faire des êtres humains les sujets de vos expériences, je vous accorde qu'il peut en résulter des découvertes précieuses...............................
.................. Vous arriverez forcément à ma manière de voir et " jetterez les drogues aux chiens ", à moins que votre compassion n'intervienne en faveur de ces fidèles créatures.
A. - En tous cas, vous êtes un homme hardi d'avouer de pareils sentiments. Dîtes-moi franchement vous considérez-vous comme un charlatan ?
H. - Oui, vis-à-vis du monde, mais non pour la science. Vous êtes, vous, un charlatan pour tous les deux.
A. - Bien obligé. Mais vous n'êtes pas un méchant garçon, et je vous promets........ que je diluerai copieusement mes médecines avec le plus pur fluide.
H. - Bravo ! Je donne des doses infinitésimales mais vous en donnerez de diluées. Nous sommes tous deux dans le bon chemin. - Vive la Bagatelle !
A. - Je suppose que je dois, moi, crier : " Vive l'Eau des Puits ".
( Ils sortent chacun de son côté )
Revenons cependant à notre histoire. Les globules de mon ami furent, comme de raison, tout à fait inefficaces, de sorte qu'en dernier ressort l'un des premiers chirurgiens du jour fut consulté. Celui-ci, pour le plaisir d'une agréable variété, entre en liste, et espère vaincre avec la mixture saline. Il s'avance donc avec cette
( à suivre ................. )
Prescription
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Sydney Whiting