samedi 26 mai 2018

Restif communiste Sa vie pendant la Révolution ( nouvelle Gérard de Nerval extrait de Les Confidences de Nicolas )


                                                             Restif communiste
                                                                                    Sa vie pendant la Révolution

            On sait maintenant sur la vie de Restif tout ce qu'il faut pour le classer assurément parmi ces écrivains que les Anglais appelent excentriques. Aux détails caractéristiques indiqués çà et là dans notre récit, il est bon d'ajouter quelques traits particuliers. Restif était d'une petite taille, robuste et quelque peu replet. Dans ses dernières années on parlait de lui comme d'une sorte de bourru, vêtu négligemment et d'un abord difficile. Le chevalier de Cubières sortait un jour de la Comédie Française, en chemin il s'arrêta chez la veuve Duchesne pour acheter la pièce à la mode. Un homme se tenait au milieu de la boutique avec un grand chapeau rabattu qui lui couvrait la moitié de la figure. Un manteau de gros drap noirâtre lui descendait jusqu'à mi-jambe ; il était sanglé au milieu du corps, avec quelque prétention sans doute à diminuer son embonpoint. Le chevalier l'examinait curieusement. Cet homme tira de sa poche une petite bougie, l'alluma au comptoir, la mit dans une lanterne, et sortit sans regarder ni saluer personne. Il demeurait alors dans la maison
            - Quel est cet original ? demanda Cubières.
            - Eh quoi ! vous ne le connaissez pas ? lui répondit-on, c'est Restif de la Bretonne.
            Pénétré d'étonnement à ce nom célèbre, le chevalier revint le lendemain, curieux d'engager des relations amicales avec un écrivain qu'il aimait à lire. Ce dernier ne répondit rien aux compliments que lui fit l'écrivain musqué si chéri dans les salons du temps. Cubières se borna à rire de cette impolitesse. Ayant eu plus tard occasion de rencontrer Restif chez des amis communs, il vit en lui un tout autre homme plein de verve et de cordialité. Il lui rappela leur première rencontre.
            - Que voulez-vous, dit Restif, je suis l'homme des impressions du moment ; j'écrivais alors Le hibou nocturne et, voulant être un hibou véritable, j'avais fait voeu de ne parler à personne.
            Il y avait bien aussi quelque affectation dans ce rôle de bourru, renouvelé de Jean-Jacques. Cela excitait la curiosité des gens du monde, et les femmes du plus haut rang se piquaient d'apprivoiser l'ours. Alors il redevenait aimable ; mais ses galanteries à brûle-pourpoint, son audace renouvelée de l'époque où il jouait le rôle d'un Faublas de bas étage, effrayaient parfois les imprudentes, forcées tout à coup d'écouter quelque boutade cynique.                                                                                                                                                                              forumfr.com
              Un jour il reçut une invitation à déjeuner chez M. de Senac de Meillan, intendant de Valenciennes, avec quelques bourgeois provinciaux qui désiraient voir l'auteur du Paysan perverti. Il y avait là en outre des académiciens d'Amiens, et le rédacteur de La feuille de Picardie. Restif se trouva placé entre une Mme Denys, marchande de mousseline rayée, et une autre dame modestement vêtue qu'il prit pour une femme de chambre de grande maison. En face de lui était un jeune provincial plaisant qu'on appelait Nicodème, puis un sourd qui amusait la société en parlant çà et là de choses qui n'avaient aucun rapport avec la conversation. Un petit homme propret, affublé d'un habit en camelot blanc, faisait l'important et traitait de fariboles les idées politiques et philosophiques qu'émettait le romancier. Une Mme Laval, marchande de dentelles de Malines, le défendait au contraire et lui trouvait " du fonds ". On était alors en 1789, de sorte qu'il fut question pendant le repas de la nouvelle constitution du clergé, de l'extinction des privilèges nobiliaires et des réformes législatives. Restif se voyant au milieu de bonnes gens bien ronds, et qui l'écoutaient en général avec faveur, développa une foule de systèmes excentriques. Le sourd les hachait de coq-à-l'âne d'une manière fort incommode, l'homme en camelot blanc les perçait d'un trait vif ou d'une apostrophe pleine de gravité. On finit selon l'usage d'alors, par des lectures. Mercier lut un fragment de politique, Legrand d'Aussy une dissertation sur les montagnes d'Auvergne. Restif développa son système de physique, qu'il proclamait plus raisonnable que celui de Buffon, plus vraisemblable que celui de Newton. On se jeta à son cou, on proclama le tout sublime. Le surlendemain l'abbé Fontenai, qui s'était trouvé aussi au déjeuner, lui apprit qu'il avait été victime d'un projet de mystification dont le résultat, du reste, avait tourné à son honneur. La marchande de mousseline était la duchesse de Luynes, la marchande de dentelles était la comtesse de Laval, la femme de chambre était la duchesse de Mailly ; le " Nicodème ", Matthieu de Montmorency ; le sourd, l'évêque d'Autun ; l'homme en camelot, l'abbé Sieyès qui, pour réparer la sévérité de ses observations, envoya à Restif la collection de ses écrits. On avait voulu voir le Jean-Jacques des halles dans toute sa fougue et dans toute sa désinvolture cynique. On ne trouva en lui qu'un conteur amusant, un utopiste quelque peu téméraire, un convive assez peu fait aux usages du monde pour s'écrier que c'était la première fois qu'il mangeait des huîtres, mais prévenant avec les dames et s'occupant d'elles presque exclusivement. Si en effet quelque chose peut atténuer les torts nombreux de l'écrivain, son incroyable personnalité et l'inconséquence continuelle  de sa conduite, c'est qu'il a toujours aimé les femmes pour elles-mêmes avec dévouement, avec enthousiasme, avec folie. Ses livres seraient illisibles autrement.
            Mais bientôt nous voici en pleine Révolution. Le philosophe qui prétendait effacer Newton, le socialiste dont la hardiesse étonnait l'esprit compassé de Siyès, n'était pas un républicain. Il lui arrivait, comme aux principaux créateurs d'utopies, depuis Fénelon et Saint-Pierre jusqu'à Saint-Simon et Fourier, d'être entièrement indifférent à la forme politique de l'Etat. Le communisme même, qui formait le fond de sa doctrine, lui paraissait possible sous l'autorité d'un monarque, de même que toutes les réformes du Gyrographe lui semblaient praticables sous l'autorité paternelle d'un bon lieutenant de police. Pour lui comme pour les musulmans, le prince personnifiait l'Etat propriétaire universel. En tonnant contre l'infâme propriété ( c'est le nom qu'il lui donne mille fois ), il admettait la possession personnelle, transmissible à certaines conditions, et jusqu'à la noblesse, récompense des belles actions, mais qui devait s'éteindre dans les enfants, s'ils n'en renouvelaient la source par des traits de courage ou de vertu.
            Dans le second volume des Contemporaines Restif donne le plan d'une association d'ouvriers et de commerçants qui réduit à rien le capital : c'est la banque d'échange dans toute sa pureté. Voici un exemple :
            " 20 commerçants ouvriers eux-mêmes, habitent une rue du quartier Saint-Martin. Chacun d'eux est le représentant d'une industrie utile. L'argent manque par suite des inquiétudes politiques et cette rue, autrefois si prospère, est attristée de l'oisiveté forcée de ses habitants. Un bijoutier-orfèvre qui a voyagé en Allemagne, qui y a vu les " hernutes ", conçoit l'idée d'une association analogue des habitants de la rue ; on s'engagera à ne se servir d'aucune monnaie et à tout acheter ou vendre par échange, de sorte que le boulanger prenne sa viande chez le boucher, s'habille chez le tailleur et se chausse chez le cordonnier, tous les associés doivent agir de même. Chacun peut acquérir ou dépenser plus ou moins, mais les successions retournent à la masse, et les enfants naissent avec une part égale dans les biens de la société ; ils sont élevés à frais communs, dans la profession de leur père, mais avec la faculté d'en choisir une autre en cas d'aptitude différente ; ils recevront du reste une éducation semblable. Les associés se regarderont comme égaux, quoique quelques-uns puissent être de professions libérales, parce que l'éducation les mettra au même niveau. Les mariages auront lieu de préférence entre des personnes de l'association, à moins de cas extraordinaires. Les procès seront soutenus pour le compte de tous ; les acquisitions profiteront à la masse et l'argent qui reviendra à la société par suite de ventes faites en-dehors d'elle sera consacrée à acheter les matières première en raison de ce qui sera nécessaire pour chaque état. "
            Tel est ce plan, que l'auteur n'avait pas du reste l'idée d'appliquer à la société entière, car il donne à choisir entre différentes formes d'association, laissant à l'expérience les conditions de succès de la plus utile qui absorberait naturellement les autres. Quant à la vieille société, elle ne serait point dépouillée, seulement elle subirait forcément les chances d'une lutte qu'il lui serait impossible de soutenir longtemps.
            Cependant l'écrivain vieillissait, toujours morose, de plus en plus, accablé par les pertes d'argent, par les chagrins de son intérieur. Sa seule communication avec le monde était d'aller le soir au café Manoury, où il soutenait parfois à voix haute des discussions politiques et philosophiques. Quelques vieux habitués de ce café, situé sur le quai de l'Ecole, ont encore présents à la mémoire sa vieille houppelande bleue et le manteau crotté dont il s'enveloppait en toute saison. Le plus souvent il s'asseyait dans un coin et jouait aux échecs jusqu'à onze heures du soir.*
Image associéeA ce moment, que la partie fut achevée ou non, il se levait silencieusement et sortait. Où allait-il ? Les Nuits de Paris nous l'apprennent ; il allait errer quelque temps qu'il fît, le long des quais, surtout autour de la Cité et de l'île Saint-Louis ; il s'enfonçait dans les rues fangeuses des quartiers populeux, et ne rentrait qu'après avoir fait une bonne récolte d'observations sur les désordres et les scènes sanglantes dont il avait été le témoin. Souvent il intervenait dans ces drames obscurs, et devenait le Don Quichotte de l'innocence persécutée ou de la faiblesse vaincue. Quelquefois il agissait par la persuasion  ; parfois aussi son autorité était due au soupçon qu'on avait qu'il était chargé d'une mission de police.
            Il osait davantage encore en s'informant auprès des portiers ou des valets de ce qui se passait dans chaque maison, en s'introduisant sous tel ou tel déguisement dans l'intérieur des familles, en pénétrant le secret des alcôves, en surprenant les infidélités de la femme, les secrets naissants de la fille, qu'il divulguait dans ses récits sous des fictions transparentes. De là des procès et des divorces. Un jour il faillit être assassiné par un certain E..., dont il avait fait figurer la femme dans ses Contemporaines. C'était habituellement le matin qu'il rédigeait ses observations de la veille. Il ne faisait pas moins d'une nouvelle avant le déjeuner. Dans les derniers temps de sa vie, en hiver, il travaillait dans son lit faute de bois, sa culotte par-dessus son bonnet, de peur des courants d'air. Il avait aussi des singularités qui variaient à chacun de ses ouvrages et qui ne ressemblaient guère aux singularités en manchettes d'Haydn et de M. de Buffon. Tantôt il se condamnait au silence comme à l'époque de sa rencontre avec Cubières, tantôt il laissait croître sa barbe, et disait à quelqu'un qui le plaisantait :
            - Elle ne tombera que lorsque j'aurai achevé mon prochain roman.
            - Et s'il a plusieurs volumes ?
            - Il en aura quinze.
            - Vous ne vous raserez donc que dans quinze ans ?                
            - Rassurez-vous, jeune homme, j'écris un demi-volume par jour.
            Quelle fortune immense il eût faite de notre temps en luttant de vitesse avec nos plus intrépides coureurs de feuilleton et de fougue triviale avec les plus hardis explorateurs des misères de bas étage ! Son écriture se ressent du désordre de son imagination ; elle est irrégulière, vagabonde, illisible ; les idées se présentent en foule, pressent la plume, et l'empêchent de former les caractères. C'est ce qui le rendait ennemi des doubles lettres et des longues syllabes, qu'il remplaçait par des abréviations. Le plus souvent, comme on sait, il se bornait à composer à la casse son manuscrit. Il avait fini par acquérir une petite imprimerie où il        " casait " lui-même ses ouvrages, aidé seulement d'un apprenti.
            La révolution ne pouvait lui être chère d'aucune manière, car elle mettait en lumière des hommes politiques fort peu sensibles à ses plans philanthropiques, plus préoccupés de formules grecques et romaines que de réformes fondamentales. Babeuf aurait pu seul réaliser son rêve ; mais, découragé de ses propres plans à cette époque, Restif ne marqua aucune sympathie pour le parti du tribun communiste. Les assignats avaient englouti toutes ses économies qui ne se montaient pas à moins de soixante-quatorze mille francs, et la nation n'avait guère songé à remplacer, pour ses ouvrages, les souscriptions de la cour et des grands seigneurs dont il avait usé abondamment. Toutefois, Mercier, qui n'avait pas cessé d'être son ami, fit obtenir à Restif une récompense de deux mille francs pour un ouvrage utile aux moeurs, et le proposa même pour candidat à l'Institut national. Le président répondit dédaigneusement :                                                                                        
             - Restif de la Bretone a du génie, mais il n'a point de goùt.                                
             - Eh ! messieurs, répliqua Mercier, quel est celui de nous qui a du génie !
             On rencontre dans les derniers livres de Restif plusieurs récits des événements de la révolution. Il en rapporte quelques scènes dialoguées dans le cinquième volume du Drame de la vie. Il est à regretter que ce procédé n'ait pas été suivi plus complètement. Rien n'est saisissant comme cette réalité prise sur le fait. Voici, par exemple, une scène qui se passe devant le café Manoury.
            Un homme, des femmes. - Lambesc ! Lambesc !.. On tue aux Tuileries !
            Une marchande de billets de loterie. - Où courez-vous donc ?
            Un fuyard. - Nous remmenons nos femmes.
            La marchande. - Laissez-les s'enfuir seules, et faites volte-face.
            Son futur. - Allons ! allons, rentrez.
            Il n'y a rien de plus que ces cinq lignes ; on sent la vérité brutale, les dragons de Lambesc qui chargent au loin ; les portes qui se ferment, une de ces scènes d'émeute si communes à Paris.
            Plus loin Restif met en scène Collot d'Herbois et le félicite de son Paysan magistrat ; mais Collot n'est préoccupé que de politique.
            - Je me suis fait jacobin, dit-il, pourquoi ne l'êtes-vous pas ?
            - A cause de trois infirmités très gênantes...
            - C'est une raison. Je vais me livrer tout entier à la chose publique, et je ne perdrai ni mon temps ni mes peines. D'abord je veux m'attacher à Robespierre ; c'est un grand homme.
            - Oui, invariable.
            Collot continue :
             - J'ai l'usage de la parole, j'ai le geste, la grâce dans la représentation... J'ai une motion à faire trembler les rois. Je viens de faire l'Almanach du père Gérard, excellent titre. Je tâcherai d'avoir le prix pour l'instruction des campagnes ; mon nom se répandra dans les départements , quelqu'un d'eux me nommera...
            La silhouette de Collot d'Herbois n'est-elle pas là tout entière ? Mais l'auteur ne s'en est pas toujours tenu à ces portraits rapides et, à côté de ces esquisses fugitives, on trouve des pages qui s'élèvent presque à l'intérêt de l'histoire, comme celles qu'il consacre à Mirabeau, et que cette grande figure semble avoir illuminées de son immense reflet.

* .pariszigzag.fr                 

                                                                                                  Gérard de Nerval

vendredi 25 mai 2018

Ballade des menus propos François Villon ( Poète France )



Image associée                                                                                                                                                                                                                                                                         archives.haute-vienne.fr     
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                                                         Ballade des Menus Propos
                                                                                                               
                                                         Je congnois bien mouches en let,
                                                         Je congnois a la robe l'homme,
                                                         Je congnois le beau temps du let,
                                                         Je congnois au pommier la pomme,
                                                         Je congnois l'arbre a veoir la gomme,
                                                         Je congnois quant tout est de mesmes,
                                                         Je congnois qui besogne ou chomme,   
                                                         Je congnois tout, fors que moy mesmes.

                                                         Je congnois pourpoint au colet,
 passionprovence.org                                     Je congnois le moyne a la gonne,
Image associée                Je congnois le maistre au varlet,
                Je congnois au voille la nonne,
                Je congnois quant pipeur jargonne,
                Je congnois fols nourris de cresmes,
                Je congnois le vin a la tonne,
                Je congnois tout, fors que moy mesmes.

                Je congnois cheval et mulet,
                Je congnois leur charge et leur somme,
                Je congnois Bietris et Bel   
                Je congnois get qui nombre et somme,
                Je congnois vision et somme,
                                                         Je congnois la fault des Boesmes,
                                                         Je congnois le povoir de Romme,
                                                         Je congnois tout, fors que moy mesmes.

                                                          Prince, je congnois tout en somme,
                                                          Je congnois coulourez et blesmes,
                                                          Je congnois Mort qui tout consomme,
                                                         Je congnois tout, fors que moy mesmes.
                                                                                                                                                

                                                           François Villon









jeudi 24 mai 2018

Epitaphe d'un Chat Joachim du Bellay ( poème France )










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                                              Épitaphe d'un Chat

           Maintenant le vivre me fâche :
           Et à fin, Magny, que tu sache'
           Pourquoi je suis tant éperdu,
           Ce n'est pas pour avoir perdu
           Mes anneaux, mon argent, ma bourse :
           Et pourquoi est-ce donques ? pour ce
           Que j'ai perdu depuis trois jours
           Mon bien, mon plaisir, mes amours :
           Et quoi ? ô souvenance grève !
           A peu que la peur ne me crève
           Quand j'en parle ou quand j'en écris :
           C'est Belaud mon petit chat gris,
           Belaud, qui fut par aventure
           Le plus bel œuvre que nature
           Fit onc en matière de chats :
           C'était Belaud la mort aux rats,
           Belaud, dont la beauté fut telle,
           Qu'elle est digne d'être immortelle.      
                 Donques Belaud premièrement                                                    michael-ange.com
            Ne fut gris entièrement,
            Merci.  Ni tel qu'en France on les voit naître,
            Mais tel qu'à Rome on les voit être,
            Couvert d'un poil gris argentin,
            Ras et poli comme satin,
            Couché par ondes sur l'échine,
            Et blanc dessous comme une hermine.
                  Petit museau, petites dents,
            Yeux qui n'étaient point trop ardents,
            Mais desquels la prunelle perse
            Imitait la couleur diverse
            Qu'on voit dans cet arc pluvieux,
            Qui se courbe au travers des cieux.
                 La tête à la taille pareille,
            Le col grasset, courte l'oreille,
            Et dessous un nez ebenin
            Un petit mufle lionin,
            Autour duquel était plantée
            Une barbelette argentée,
            Armant d'un petit poil follet
            Son musequin damoiselet.
                 Jambe grêle,  petite patte
            Plus qu'une moufle délicate,
            Si non alors  qu'il dégainait
            Cela dont il égratignait :
            La gorge douillette et mignonne,
            La queue longue à la guenonne,
            Mouchetée diversement
            D'un naturel bigarrement :
            Le flanc haussé, le ventre large,                                                       zatras.com
Résultat de recherche d'images pour "chats"            Bien retroussé dessous sa charge,
            Et le dos moyennement long,
            Vrai sourien, s'il en fut onc.
                 Tel fut Belaud, la gente bête,
            Qui des pieds jusques à la tête
            De telle beauté fut pourvu,
            Que son pareil on n'a point vu.
            Ô quel malheur ! ô quelle perte,                                              
            Qui ne peut être recouverte !                                                          
            Ô quel deuil mon âme en reçoit !
            Vraiment la mort, bien qu'elle soit
            Plus fière qu'un ours, l'inhumaine,
            Si de voir elle eût pris la peine
            Un tel chat, son cœur endurci
            En eût eu, ce crois-je, merci :
            Et maintenant ma triste vie
            Ne hairait de vivre l'envie.
                 Mais la cruelle n'avait pas
            Goûté les folâtres ébats
            De mon Belaud, ni la souplesse
            De sa gaillarde gentillesse :
            Soit qu'il sautât, soit qu'il grattât,
            Soit qu'il tournât ou voltigeât
            D'un tour de chat, ou soit encore
            Qu'il prit un rat et or, et or
            Le relâchant pour quelque temps
            S'en donnât mille passe-temps
            Soit que d'une façon gaillarde
            Avec sa patte frétillarde
            Il se frottât le musequin,
            Ou soit que ce petit coquin
            Privé sautelât sur ma couche,
            Ou soit qu'il ravît de ma bouche                                                      w12.fr
            La viande sans m'outrager,
            Alors qu'il me voyait manger,
            Soit qu'il fît en diverses guises
            Mille autres telles mignardises
                 Mon dieu, quel passe-temps c'était
            Quand ce Belaud virevoltait
            Folâtre autour d'une pelote !
            Quel plaisir, quand sa tête sotte
            Suivant sa queue en mille tours,
            D'un rouet imitait le cours !      
            Ou quand, assis sur le derrière
            Il s'en faisait une jarr'tière,
            Et montrant l'estomac velu
            De panne blanche crêpelu,
            Semblait, tant sa trogne était bonne
            Quelque docteur de la Sorbonne !
            Ou quand, alors qu'on l'animait,
            A coups de patte il escrimait,
            Et puis apaisait sa colère
            Tout soudain qu'on lui faisait chère.
                 Voilà, Magny, les passe-temps
            Où Belaud employait son temps.
            N'est-il pas bien à plaindre donc ?
            Au demeurant tu ne vis onc
            Chat plus adroit, ni mieux appris,
            A combattre rats et souris.
                 Belaud savait mille manières
            De les surprendre en leurs tanières,                                                 assistanceadoptionchats.xooit.fr
            Et lors leur fallait bien trouver
            Plus d'un pertuis, pour se sauver :
            Car onques rat, tant fût-il vite,
            Ne se vit sauver à la fuite
            Devant Belaud. Au demeurant,
            Belaud n'était pas ignorant :
            Il savait bien, tant fut traitable,
            Prendre la chair dessus la table,
            J'entends, quand on lui présentait,                                            
            Car autrement il vous grattait,                                                         
            Et avec la patte friande
            De loin muguetait la viande.
                 Belaud n'était point mal-faisant,
            Et ne fit onc plus grand dommage
            Que de manger un vieux fromage,
            Une linotte et un pinson,
            Qui le fâchaient de leur chanson.
            Mais quoi, Magny ? nous-mêmes hommes
            Parfaits de tous points nous ne sommes.
                 Belaud n'était point de ces chats
            Qui nuit et jour vont au pourchas,
            N'ayant souci que de leur panse :
            Il ne faisait si grande dépense,
            Mais était sobre à son repas,
            Et ne mangeait que par compas.
                 Aussi n'était-ce sa nature
            De faire partout son ordure,
            Comme un tas de chats, qui ne font
            Que gâter tout par où ils vont :
            Car Belaud, la gentille bête,
            Si de quelque acte moins qu'honnête                                                  pinterest.fr
Chaton avec une drôle de position dans le canapé ! Le chat semble profiter d'une sieste bien confortable à la maison.            Contraint possible il eût été,
            Avait bien cette honnêteté
            De cacher dessous de la cendre
            Ce qu'il était contraint de rendre.
                 Belaud me servait de jouet.
            Belaud me filait au rouet,
            Grommelant une litanie
            De longue et fâcheuse harmonie,
            Ains se plaignait mignardement
            D'un enfantin miaudement.                                                               
                 Belaud ( que j'aie souvenance )
            Ne me fit onc plus grand offense
            Que de me réveiller la nuit,
            Quand il entr'oyait quelque bruit
            De rats qui rongeaient ma paillasse :
            Car lors il leur donnait la chasse,
            Et si dextremement les happait,
            Que jamais un n'en échappait.
                 Mais, las, depuis que cette fière
            Tua de sa dextre meurtrière
            La sûre garde de mon corps,
            Plus en sûreté je ne dors,
            Et or, ô douleurs nonpareilles !
            Les rats me mangent les oreilles :
            Mêmes tous les vers que j'écris
            Sont rongés de rats et de souris.
                 Vraiment les Dieux sont pitoyables
            Aux pauvres humains misérables,
            Toujours leur annonçant leurs maux
            Soir par la mort des animaux,
            Ou soit par quelque autre présage,
            Des cieux le plus certain message.
                 Le jour que la sœur de Cloton
            Ravit mon petit Peloton,
            Je dis, j'en ai bien souvenance,
            Que quelque maligne influence
            Menaçait mon chef de là-haut,
            Et c'était la mort de Belaud :
            Car plus grande tempête
            Me pouvait foudroyer la tête ?
                 Belaud était mon cher mignon,
            Belaud était mon compagnon
            A la chambre, au lit, à la table,
            Belaud était plus accointable
            Que n'est un petit chien friand,
            Et de nuit n'allait point criant
            Comme ces gros marcoux terribles,
            En longs miaudements horribles :
            Aussi le petit mitouard
            N'entra jamais en matouard :                                                          youtube.com 
            Et en Belaud, quelle disgrâce !
            De Belaud s'est perdu la race.
                 Que plût à Dieu, petit Belon,
            Que j'eusse l'esprit assez bon,
            De pouvoir en quelque beau style
            Blasonner ta grâce gentile,
            D'un vers aussi mignard que toi :
            Belaud, je te promets ma foi
            Que tu vivrais, tant que sur terre
            Les chats aux rats feront la guerre.


                                                                                  Du Bellay

                                                                      ( in Divers jeux rustiques )




      

mardi 22 mai 2018

Commandant en chef 2 Tom Clancy Mark Greaney ( Roman policier EtatsUnis )

Commandant en chef - tome 2 par [Clancy, Tom]
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                                          Commandant en chef 
                                                           II

            Reprenant la route où nous avons abandonné ( tome 1 ) Jack Ryan, père et fils, respectivement président des EtatsUnis et membre de la CIA, nous arrivons aux îles Vierges où Limonov a l'ordre de placer 7 milliard appartenant à Volodine président de Russie, dans des paradis fiscaux. Transaction top-secret, de fait Limonov est censé ignorer le nom de l'homme fortuné pour qui il travaille. Alors le trader à qui il s'adresse sera tenu au plus grand secret, pour cela les agents russes ont leurs méthodes, efficaces. Mais arrive Clark et les espions russes et américains se poursuivent qui à bord d'un trimaran ou le sexagénaire sur un voilier. Ils se poursuivent entre de petites îles, se cachent dans des criques.  Volodine place un super sous-marin indétectable dans les eaux proches des EtatsUnis et des bataillons s'approchent dangereusement de la frontière lituanienne. Pour éviter un affrontement et l'invasion de la Liruanie et peut-être de la Pologne, Jack Ryan convoque les membres de l'OTAN. Mais la majorité des pays membres refusent d'intervenir. Dom et Ding travaillent autour de Vilnius sous couverture d'électriciens et sont pris dans un assaut surprise. Les événements deviennent dramatiques, les morts s'accumulent de part et d'autres, Volodine a placé des sous-marins discrets et puissants dans les eaux de la mer Baltique. Passant d'une équipe à l'autre, d'un chapitre qui nous promène avec épisodes pleins de dangers, dans les mers du sud au nord vers Kaliningrad où sont stockés les réserves russes. Le roman est plein d'intérêt et surtout pour tous ceux intéressés par les descriptions militaires, sur terre, sur mer. La Suède, très modestement armée interviendra néanmoins aux côtés des Américains. Fiction efficace. Quelques cartes dans le livre et l'on suit à la trace l'histoire des hommes et des pays.






dimanche 20 mai 2018

Mémoires d'un estomac par lui-même 5 extraits Sydney Whiting ( Roman Angleterre )

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                                                          Prescription

            Mercure saline ( b-2 )  6 onces
            Vin de semences de colchiques, esprit de nitre dulcifié, de chaque 4 scrupules
            Sirop d'écorce d'orange, 2 gros
            Mêlez
            1/4 à prendre de 6 heures en 6 heures.
         
            Oh ! Dieux, il fallait prendre cela toutes les six heures ! La nature humaine ne pouvait supporter cette épreuve, et un estomac humain repousse également ce qui lui porte préjudice. Ainsi, sans autre façon, je rejetai toute offre de réconciliation, même une nouvelle dose de quinine, et refusai de recevoir soit liquide, soit solide, excepté un peu de pain grillé et de thé.
            Rien ne put me décider à faire la paix. Et, aussitôt que je recouvrai un peu de force, je devins plus obstiné que jamais, jusqu'à ce qu'une députation formelle de tous les membres de corporation vint me supplier de reprendre mes fonctions, ne fût-ce que pour un peu de temps. A la fin, j'y consentis, mais d'assez mauvaise grâce.
            Si un moraliste sévère se sent disposé à condamner mon ressentiment, qu'il veuille bien, un instant, se mettre à ma place  J'étais là, un estomac de haute lignée, d'humeur naturellement réservée et hautaine, condamné à travailler comme un galérien, à toute heure du jour et de la nuit. Je supportai cela avec une résignation fière, jusqu'à ce qu'un fardeau impitoyable me rompît, métaphoriquement parlant, le dos et que je fusse incapable de mouvoir les pieds et les mains. Contre ce déplorable état ils emploient le fouet et l'aiguillon et, quand ce moyen échoue, alors ils ont recours à l'administration des composés les plus horribles qu'ils pussent arracher à la nature et contre lesquels les savants eux-   mêmes témoignent leur aversion par les plus laides grimaces.
Image associée            Représentez-vous, ô homme trop prompt à condamner les autres, alors que vous souffrez de débilité générale et d'une tristesse profonde, représentez-vous vous-même enlevé sans cérémonie et forcé de vous asseoir dans la chambre de torture du suspens et de l'attente, pendant qu'un toxicologiste diplômé vous prescrit ses nostums que vous vous savez condamné à avaler............
            Le tyran de Syracuse ou le musicien couronné de Rome n'aurait pu inventer rien au-dessus des tourments exquis auxquels je fus si impitoyablement soumis.....................
            Quelque temps après cet épisode de mon existence survint un événement qui, s'il n'eut pas d'autre avantage eut au moins celui d'une diversion complète à mes ennuis ordinaires.
            Lecteurs, je devins amoureux !
            Je vous prie de ne pas rire de cet aveu, et permettez-moi de vous dire qu'un estomac a un coeur , et même un coeur très tendre. Le pire de l'affaire c'est que, comme les grands potentats de la terre, je fus obligé d'engager mon affection à un objet que je n'avais jamais vu. Il est vrai que M. Brain me donna un aperçu de son portrait........ Cet incident m'intéressa si vivement que je brûlais de rompre ma cloison costale pour jeter un coup d'oeil sur la dame. Toutefois comme ce procédé aurait été nuisible et injurieux aux autres, je restai, comme Pyrame, assis derrière ma muraille, sans même y avoir la faveur d'une fente pour regarder Thisbé ! Je découvris bientôt la demoiselle cause de cette commotion interne. En effet, pas une seule partie du corps qui n'en subit l'influence, je découvris dis-je que cette demoiselle n'était  ni plus ni moins que la fille d'un marchand bonnetier demeurant près de l'université.
             Je crains que cette déclaration ne fasse évanouir le peu d'intérêt que quelque belle lectrice aurait d'ailleurs pu prendre à ma narration. Mais je suis obligé d'adhérer strictement à la vérité. J'aurais voulu, de tout mon coeur, pourvoir introduire une héroïne dans ces simples et véridiques mémoires mais, hélas ! Celle à qui mon maître prodiguait sa tendresse vendait des bas et des cravates, et ses aspirations psychologiques ne s'élevaient pas au-dessus du commerce de la mousseline et du calicot !
            En ma qualité de principal représentant d'une longue lignée d'estomacs, jadis de Sternum Hall, et maintenant d'Eaton Moor, je ressentis personnellement l'abaissement, la dérogation d'une alliance avec une famille qui ne pouvait ajouter qu'un bas à la jarretière ornant déjà notre écusson. Quoiqu'il en soit ma passion était sincère, ou peut-être peut-on dire notre passion......... L'origine douteuse de la personne ne m'empêcha pas de désirer partager les affections de la structure mouvante et pensante dans laquelle j'étais enfermé.
            En restant au pluriel, notre passion était donc sincère. et ce perpétuel fabricant de soupirs,
M. Poumon, se mit, plus que' jamais, à ventiler la flamme d'amour. Mon étroite proximité de son courant d'air n'était rien moins qu'agréable : une résidence près d'une paire de soufflets, alors même qu'ils travaillent pour la cause de Cupidon n'est pas très enviable. Ajoutez à cela que ma nourriture restait constamment indigérée dans mon intérieur comme une boulette de pâte dure et compacte, car j'étais si absorbé par des sensations toutes nouvelles pour moi, que je négligeais la routine ordinaire de mes devoirs.                                                                                                   francetvinfo.f
Résultat de recherche d'images pour "peynet raymond"            Le plus mauvais de l'affaire c'est que l'amour transforma mon gentleman en poète, pas moins que cela. Et ses sentences sortirent bientôt de sa bouche en rythmes cadencés.
            Ce résultat ordinaire de l'amour sur les êtres humains est vraiment curieux. Est-ce que la somme anticipée de leur bonheur ne peut être additionnée qu'en nombres poétiques ? " Balbutier des chiffres " est une expression commune que je croyais jusqu'alors ne s'appliquer qu'à Messieurs de la finance.                                                                                               
            Quoiqu'il en soit voilà mon bon maître tout à coup changé en buveur d'eau à la fontaine castalienne, et en une sorte d'animal herbivore, broutant les gazons du Parnasse.    
            Qu'y a-t-il dans l'amour, je le demande encore, qui puisse produire cet étrange état ? Touche-t-il certaines clefs de la nature de l'homme et le transforme-t-il en instrument quasi-musical ? Mais il ne joue qu'un duo égoïste dont son absorbante passion est l'unique thème. Pour moi c'est tout un mystère. Peut-être aurais-je pu envisager la chose d'une autre manière. Seulement il arriva que j'étais constamment réveillé au milieu de la nuit et que je me trouvais parcourant rapidement la chambre de long en large, mon maniaque récitant tout le temps ses stances amoureuses, ou très incommodément pressé contre le bord d'une table pendant qu'il exhibait sa folie sous une autre forme, en griffonnant des bouts rimés, ou quelque chose ne valant guère mieux. je suppose, car je n'en puis juger.
            Concevez combien je fus outré par ces perturbations nocturnes. Il semblais vraiment que le destin prît plaisir à m'insulter et à me nuire. Puis, pour varier ces amusements, il se mettais à chanter, oui, à chanter pendant les premières heures du jour. Ce dernier grief , que mes plus proches voisins ne ressentaient pas moins vivement que moi, éveilla en moi des sentiments du plus profond mépris.
            Une nuit, alors que nous aurions tous dû reposer en sûreté dans les bras du Dieu couronné de pavots, mon turbulent gentleman donna essor à son exubérante sensibilité sous la fore d'un chant........
Je n'ai point d'oreilles pour la musique, d'ailleurs le bruissement de ce soufflet appartenant à un certain organe est toujours trop près de moi pour que je sois capable d'apprécier ce qu'il peut y avoir de mélodieux dans la voix humaine. Cependant, les veilles continuelles m'avaient tellement exaspéré que, pour ma récréation je composai ce qui suit :

                                                      Le Poète et l'Estomac

                    Quand la froide nuit au sommeil
                         Doucement nous enchaîne,
                            Lui souvent se démène,
                              Son amoureuse veine
                                Le tenant en éveil ;
            Et au pâle flambeau qu'allume le phosphore,
              Saisit plume, encrier, rime jusqu'à l'aurore,
                                      Tandis qu'ainsi,
                                       Sans nul souci
                       De mon repos il se livre à sa muse ;                                        pixers.fr
Résultat de recherche d'images pour "amour erosse"                    Moi, qui suis étranger au poétique émoi,
                                         Je me tiens coi
                                       Soupire et muse.

                        Quand la froide nuit au sommeil 
                             Doucement nous enchaîne,
                                Lui souvent se démène,
                                  Son amoureuse veine
                                     Le tenant en éveil ;
                 Et au pâle flambeau qu'allume le phosphore,
                   Saisit plume, encrier, rime jusqu'à l'aurore.

                                     Ces morceaux délicats
                                      De mes meilleurs repas
                                     Tournés en bile amère :
                                     Ces moments précieux
                     Follement gaspillés par un maître ennuyeux,
                                        Tout cela m'exaspère,
                                          Provoquant le dépit
                                           Qui me tourmente.
                         Oui, c'est avec raison que l'estomac maudit
                                        Tous ces vers qu'à minuit
                                           Un vain délire enfante.

                    Quand la froide nuit au sommeil; etc......

                       ( note des traducteurs : l'édition originale comporte également deux textes plus longs non traduits )

            Après avoir composé ce qu'on vient de lire je me sentis l'esprit plus à l'aise et j'ai la vanité de croire que ce petit essai surpassa les efforts abortifs de mon maître. Je me souviens de quelques-unes de ses misérables effusions, et j'en parle au lecteur pour avertir quiconque en aurait besoin que, pendant qu'il croit déclamer au vent ses balivernes poétiques, il peut se trouver là un estomac qui écoute tout, avec le mépris sur les lèvres et la rancune dans le coeur. Voici les circonstances :
            Il arrivait maintes fois que après nous être retirés pour la nuit, au lieu de dormir, nous nous retournions et agitions dans notre lit. Tous les amoureux témoigneront de la chose. Pendant que les cloches, les coqs et les watchmen se chargeaient à l'envie de nous dire les heures. Oui, le sommeil avait été effectivement banni de chez nous par le petit dieu ailé et le vieux Morphée n'osait approcher ses pavots de la Torche brillante de l'autre. Au lit, j'avais chaud, j'étais confortable, j'étais content. N'importe il fallait déloger........ on nous jetait sur le dos une robe de chambre bien chaude, on se rendait au cabinet adjacent, on ranimait le feu et nous nous asseyions à une table couverte de ces innocentes causes de ma misère, les matériaux pour écrire.                         caffeeuropa.it  
Image associée            L'oeil d'un poète peut rouler dans sa tête en proie à un délire fort beau, mais son  estomac pendant ces élucubrations est dans une situation fort différente et sa frénésie est d'une toute autre espèce. Les excentricité du poète........ Sous une douche, une matinée d'hiver, il chanterait probablement les délices de l'édredon, une autre fois, étendu sur une couche molle, il déclamerait sur le glorieux et fortifiant plaisir d'une course à pied, avant déjeuner par une vive gelée............
            Un voyage fut une heureuse diversion. Il était temps : le corps entier était lugubrement émacié. Or, mon voisin d'en haut ayant pris son degré de bachelier nous partîmes pour le Rhin, puisqu'on prétend qu'un voyage est le seul remède contre une tendre passion.............. à propos de celle-ci, je dois dire que l'une de mes particularités c'est une aversion intense et j'exprimais ma répugnance avec tant d'énergie que généralement mon maître la respectait.
            La nature, j'en suis bien certain, n'a jamais entendu que la partie animale ou charnue de nos aliments fût mangée autrement que bien cuite, d'autant plus que les matériaux crus ne sont jamais aussi bien appropriés à notre organisme que lorsqu'ils ont été chimiquement modifiés par l'action du feu et que leurs principes azotés, coagulés par la chaleur deviennent ainsi l'élément le plus précieux de notre nourriture. Quoi qu'il en soit, tout ce que je puis dire, c'est qu'aucun raisonnement n'a jamais pu vaincre mon horreur de la viande rouge, dont les sucs d'une entière crudité sont appelés par les gens simplement de la sauce, mais que ma sincérité indignée s'obstine à appeler du sang........... C'est d'après ce principe qu'une personne pourrait rendre grâces au ciel de n'être point née parmi les Anthropophages.......... Ces derniers manifestent leur soumission au précepte de la charité par une méthode particulière " de s'aimer les uns les autres ". " Oh, je pourrais vous manger - Cet enfant est gentil à croquer ", ce sont des expressions de la civilisation la plus raffinée........... Cette forme de logique est fort en vogue dans le monde médical et ailleurs.........
            Mais, je suis maintenant sur les bord du Rhin............ ce changement de régime m'allait parfaitement bien. Je fus seulement une fois révolté par l'administration d'un morceau de jambon cru que je m'empressai de rejeter avec un vigoureux dédain. Les vins légers du Rhin me procurèrent d'abord quelques malaises, dont je ne fis pas mystère, j'eus droit alors à un vin plus léger appelé  " Asmanhaüser ". En somme je vivais très agréablement lors que l'on servait une nourriture très variée, et non ces monceaux de viande d'une seule sorte, comme on les sert dans cette chère vieille Angleterre.
            La légèreté de l'air me rendait joyeux, influait sur mes sensations, ma santé, par l'intermédiaire du sang qu'il purifie grâce à l'intermédiaire de mes voisins, les poumons.
            ......... Nous n'avions cependant pas oublié notre passion pour la belle bonnetière et plus d'un verre de " Liebfrauenmilch " fut vidé en son honneur.
            Passant en Suisse les petits vins du pays me changèrent presque en une burette au vinaigre et je fus enchanté quand, revenant sur nos pas nous franchîmes la frontière à Kehl. Après avoir dîné à l'excellente table d'hôte de l'hôtel de France, à Strasbourg, je fus régalé pour la première fois d'un Bourgogne tellement délicieux que si j'avais eu des lèvres je les aurais léchées par sympathie pour celles de la bouche, et j'en absorbai un peu trop, et en envoyai, par un messager, une coupe de l'excédent à M. Brain qui inspira d'étranges façons d'agir à tout l'individu....... Le lendemain me sentant très mal je suggérai la nécessité de libations moins fortes à l'avenir. Je suis heureux de pouvoir affirmer que l'avis fut écouté, à mon plus grand profit. Or je demanda ici qu'on ne me confonde pas avec ce gredin fallacieux, ce vieux pêcheur à peine digne d'un toit qui le recouvre,
M. Palais.                                                                                                   visitnewportbeach.com
Résultat de recherche d'images pour "libations"            Nous allâmes ensuite résider à Paris et je fus l'objet de quelques délicates attentions...........
            Je remarque avec une certaine surprise que, malgré la réputation de M. John Bull d'être un grand glouton, les Français dépensent sans façon bien plus d'argent que nous pour leur dîner..........
de sorte qu'avec un substantiel déjeuner, un dîner fin à sept heures, café, liqueurs, cigares, glaces, sorbets, comme accessoires gastronomiques, avec peut-être un plat de pluviers et une bouteille de champagne à minuit, un gentleman français peut prétendre aussi bien qu'un Anglais au titre d'amateur des bonnes choses de cette vie.
            Et puis le gourmet gallique est un artiste : chaque plat est en rapport chromatique avec le précédent, chaque condiment a un objet spécial bien étudié et chaque bouteille de vin est en harmonie ou discordance avec les entremets particuliers.
            .................................
            Comme s'il ne nous devait rien arriver que d'agréable à Paris, quelle rencontre croyez-vous que nous fîmes au Louvre ? - Celle du bonnetier de Bridgecam et de son aimable fille.
            Je reçus le premier indice sous la forme d'un mouvement accéléré du coeur dont j'éprouvai le contrecoup et j'entendis bientôt une voix s'écrier : " Oh ! papa, voilà Mr... "
            Le papa, j'imagine, s'éloignait à la hâte avec la pauvre tremblante tourterelle, mais mon propriétaire, sans songer aux conséquences, obéit à son impulsion et j'avoue que les serrements de mains, les paroles entrecoupées, les aimables quiproquos et les questions incohérentes, avec les réponses à l'avenant, me divertirent. Pour couper court, nous fûmes invités à la maison, ou plutôt au logement du papa, rue des Comédiens, le coeur encore tout trémoussé. La vérité m'oblige à dire que lorsque le vieux Monsieur tourna le dos, je sentis un doux estomac féminin mollement pressé contre moi alors que plus haut s'échappait des lèvres une nouvelle protestation d'attachement mutuel.
            Tout cela était très bien et très agréable mais ne compensait nullement pour moi la privation de mon dîner et je pris soin d'assurer ma revanche si cela se répétait......... Ce qui arriva et tandis que les heures glissaient inaperçues dans un doux échange de sentiments, je fus encore oublié.
            Ceci me rendit très morose. Dans ces circonstances je secrétai certains acides morbides, communiquai le dégoût à tout le système et produisis tant d'irritation qu'une querelle s'éleva entre le couple, et pour la seconde fois ils furent sur le point de se séparer.               pupamag.com                         
Image associée            Mon conseil aux amoureux est, en conséquence, qu'ils               doivent prendre soin de leur estomac.
            ........ Je suis tout à fait convaincu que beaucoup de mariages ont été rompus à cause de ce respectable organe............ Le dérangement des fonctions digestives rend les hommes et les femmes pétulants, susceptibles, soupçonneux, difficiles, et engendre une foule de misères de tout genre dont on rend faussement le cerveau ou le foie responsables............. L'Estomac est la source réelle de cette sublime passion, l'Amour, et cet aveu me gonfle d'un orgueil légitime et d'une satisfaction intime.
            .......... Nos amoureux firent la paix et prirent le parti de se marier. Ici finit tout le roman de cet épisode. C'est Schiller, je crois qui déclare que  " la partie psychologique de l'amour commence avec le premier soupir et finit avec le premier baiser ".
            Peu de temps après notre union ( je ne fus plus ennuyé d'effusions poétiques ), nous reportâmes nos pas vers le foyer domestique. Sur le sol de la vieille Angleterre nous accueillirent le brouillard, déjà présent quand je la quittai, et une terrible explosion d'indignation de la part de nos amis, pour avoir contracté une alliance si fort au-dessous de nous. Mais, comme le mal était fait, nous nous courbâmes sous l'orage, et nous nous établîmes dans la vie respectable du mariage.
            Cet état, je dois le dire, m'allait à ravir et je crois que cette période de ma vie en aurait été la plus heureuse, sans le changement incessant de nos cuisinières. Ces pourvoyeuse de nos appétits étaient imparfaites, quelque chose venait toujours à clocher au point culminant de la perfection relative. Je regardais ces grandes prêtresses de la cuisine comme mes bons ou mauvais génies et je crois à l'incisive justesse du proverbe : "Dieu nous a envoyé la viande, et le diable les cuisinières ".



                                                                      ( à suivre........... 6 suite et fin )

            Il y avait encore un autre..............

                                                                          Sydney Whiting