dimanche 22 septembre 2019

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 100 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

French cavalry officer during the Seven Years War
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                                                                                                                1er Septembre 1663

            Levé de fort bonne heure et après avoir un peu joué de la viole, à mon bureau réunion, je fis accepter mes factures et celles des autres, pour mes panneaux de bois sculpté, alors que je pensais les payer de ma poche et j'espère en être remboursé. Cependant si les autres n'avaient pas fait payer leurs travaux par le roi, je n'aurais eu ni la pensée ni le désir de lui faire payer le prix de ma vanité.
            A midi, à la Bourse où je vis de nombreux négociants des fournitures de la Marine, puis dîner à la maison où je retrouvai Mr Hunt, sa femme et son enfant. Dînâmes gaiement, après allai à mon bureau avec le capitaine Hickes qui a apporté de fort jolis coquillages ) à ma femme. Il me donne beaucoup d'informations sur les manquements des officiers et des hommes à Deptford. C'est un bavard, mais je pense qu'une grande partie de ce qu'il dit est vrai.
            Dans la soirée mon frère vint se plaindre à moi de ce que ma femme semble mécontente de sa présence ici et le traite fort irrespectueusement. Je l'emmenai alors faire une promenade dans le jardin et m'entretins longuement avec lui de mes affaires, lui disant comme il est imprudent pour mon père, ma mère et lui de s'offusquer sans grande raison de la conduite de ma femme, alors qu'il est fort important pour eux qu'elle demeure leur amie, et pour ma tranquillité aussi. Non que par elle  j'accepterai jamais de les oublier ou de les abandonner pour les choses importantes, mais elle mérite pourtant qu'on la satisfasse et qu'on lui cède un peu, si l'on considère la sorte de vie à laquelle je l'oblige, et la commodité pour moi de pouvoir l'envoyer à Brampton lorsque j'ai l'envie ou l'occasion de partir à Portsmouth ou ailleurs, pour le plaisir ou le travail, et que je ne peux sans danger la laisser seule. Je lui expliquai donc comment il devait se conduire avec elle, et lui donnai d'autres conseils, puis à mon bureau où restai jusque tard, et à la maison souper et, au lit.


                                                                                                              2 septembre

            Levé de bonne heure et à mon bureau, puis avec sir John Mennes en voiture à Whitehall. Retrouvâmes sir William Batten. Nous attendîmes à côté de la Chambre du Conseil jusqu'à ce que les Lords nous fissent appeler, car il avait été convenu il y a quatre jours que nous leur présenterions un rapport sur la mutinerie qui avait éclaté parmi les marins l'autre jour, ce que fit sir John Mennes de la plus sotte façon du monde, puis on nous fit sortir, les Lords n'accordant que bien peu d'importance à cette affaire. Nous restâmes un long moment dehors jusqu'à l'arrivée du Lord-Maire.............Les Lords commandèrent à sir John Mennes de poursuivre les faquins pour mutinerie. Puis nous nous nous rendîmes dans le carrosse du Lord-Maire au palais de justice de l'Old Bailey où siège en ce moment la cour. J'assistai à deux ou trois procès ordinaires notamment ( et l'on dit que de tels cas sont fort communs de nos jours, et donc pour engager les servantes que je cherche en ce moment, je suis résolu à ce qu'il y ait quelqu'un qui réponde d'elle ) à celui d'une femme accusée sous quatre noms différents de s'être présentée comme cuisinière chez un gentilhomme qui la poursuivait ici en justice, et s'être enfuie trois jours plus tard avec une chope d'argent, une écuelle en argent et deux cuillers. Elle a été prise, reconnue coupable et probablement pendue.
            Un peu plus tard dîner avec milord le maire et les échevins. Splendide repas et excellente venaison, mais qui me rendit presque malade parce que je n'osai presque pas boire de vin........................ Je laissai sir John Mennes s'occuper de la rédaction de son acte d'accusation et rentrai par le fleuve à la maison. Trouvai ma femme fort contente d'un cadeau de beaux coquillages  qu'elle a reçus du capitaine Hickes. Nous montâmes tous les deux les regarder et, vraiment, ils sont fort jolis. Arrive Mr Llewellyn tout juste de retour d'Irlande. Il me dit que les intérêts anglais sont battus en brèche, le parti irlandais étant trop puissant, de sorte que la plupart des anciens rebelles sont reconnus innocents, et leurs terres qui avaient été confisquées et vendues ou données aux Anglais leur sont rendues. Ce qui cause bien du mécontentement parmi les Anglais là-bas.
            Après son départ, me rendis à mon bureau jusque tard et à la maison, souper et, au lit.
            Alors que nous traversions la ville, milord le maire me dit que la colonne érigée à côté de l'hôtel d'Exeter sert uniquement à marquer l'emplacement des conduites qui approvisionnent la Cité en eau. Il remarqua qu'il n'est point de ville au monde mieux équipée sur ce point que celle-ci, et qu'il en avait coûté en tout pour la Cité plus de 300 000 livres pour se faire amener l'eau, mais qu'en raison des nouvelles constructions, et de celles que milord St Albans fait en ce moment à St James's Fields, et qui, je le vois, déplaisent extrêmement à la Cité, qui n'ose pourtant point s'y opposer, s'il fallait faire ces travaux aujourd'hui, un million n'y suffirait pas.


                                                                                                      3 septembre
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Cavalry regiment Brancas            Levé de bonne heure et jouai une heure de la viole, avant le lever de mes gens. Puis montai au bureau un moment et chez sir William Batten qui descend aujourd'hui aux Downs pour son plaisir. Déjeuner avec eux, et à la demande de milady les accompagnai dans leur voiture jusqu'à Greenwich et montai là à bord du yacht le " Charlotte ". Le vent était très frais et je pense qu'ils auront tous le mal de mer, de plus le " Charlotte " ne tient pas bien la mer.
            J'ai l'impression que milady fait trop de cas du pupille de son mari, le jeune Mr Griffith, comme si elle en espérait quelque service quand il en aura l'âge, c'est encore un tout jeune garçon.
            J'attends qu'ils eussent appareillé, puis m'en fus à Deptford et, après avoir échangé un mot ou deux avec sir John Mennes, allai à pied à Rotherhite puis retournai à la maison. En chemin, il me vint à l'esprit, au moment où je dépassai une ou deux mendiantes sur la route qui ressemblaient à des Égyptiennes, il me revint en mémoire ce que les Égyptiennes, il y a huit ou neuf jours, avaient prédit, que quelqu'un dans une semaine viendrait m'emprunter de l'argent, mais que je n'en prêterais point et, en regardant dans mon journal quand j'arrivai à mon bureau, je vis que mon frère John m'avait apporté ce jour-là une lettre de mon frère Tom pour m'emprunter encore 20 livres, ce qui m'avait tant irrité que j'avais écrit à mon père à la campagne, pour l'en informer, et lui dire qu'il a si peu d'argent d'avance qu'il est encore contraint d'emprunter. Mais cela me fit grand plaisir de voir que contrairement à mon attente, alors que je lui avais prêté 20 livres si peu de temps auparavant et croyais qu'il avait de l'argent chez lui, après plusieurs jours sans y penser, il était advenu que j'allasse regarder dans mon journal pour découvrir que ce que les Égyptiennes avaient dit était vrai.
            Après dîner, à la maison, me rendis à mon bureau où restai jusqu'à une heure avancée à travailler. La visite de Mr Cutler venu me voir au sujet d'une affaire, me fit un très grand plaisir. Il me dit, entre autres, qu'il m'estime en tant qu'administrateur comme le plus grand des virtuosi. Je sais que le fait qu'il ait une telle opinion de moi, et qu'il en parle dans les cercles qu'il fréquente, pourrait m'être fort utile.
            A la maison, souper et, au lit.


                                                                                                         4 septembre

            Levé de bonne heure et jouai de la viole une heure, puis en barque à Whitehall et au palais de Westminster où achetai les premières gazettes de l'Estrange qui paraissent cette semaine pour la première fois. Il ne fait, me semble-t-il qu'un début fort insignifiant. Puis allai parler à Mrs Lane qui semble désirer que je revienne la voir pour passer du temps en sa compagnie comme je l'ai déjà fait. Mais il me semble que si c'était une femme vraiment honnête, vu la façon dont je l'ai lutinée et patinée, elle ne le devrait point.
            Ensuite chez Mrs Harper et envoyai quérir Mr Creed. Mrs Harper fit chercher une servante pour moi qui viendra vivre auprès de ma femme. Je lui trouve l'air agréable et je crois qu'elle pourra nous convenir, car sa mine autant que ses propos sont fort honnêtes. Je lui commandai de parler à ma femme. Ensuite avec Creed chez Mr Povey, comme il était sorti nous nous promenâmes par les allées de Lincoln's Inn, que l'on est en train de fort bien arranger. Vers une heure nous retournâmes chez Povey qui ne tarda pas à arriver et nous nous mîmes à table pour dîner, avec sa femme que je n'avais encore jamais vue ( une belle vieille dame qui lui a apporté une fortune, ce qui lui permet de vivre comme il le fait ). On nous servit mets et boissons en abondance ( je ne bus cependant pas de vin quoique l'on me pressât fort d'en boire ) et présentés si exactement comme il faut, que jamais en aucun lieu je n'ai vu pareille perfection. Quant à lui il en éprouva la plus grande satisfaction et le plus grand contentement qu'homme puisse jamais ressentir en ce monde.
            Descendîmes ensuite voir ses nouvelles caves qu'il a faites fort belles, sous une voûte splendide et dotées de supports ingénieux pour ses tonneaux et ses bouteilles et, dans une pièce voisine, une admirable grotte et une fontaine qui, en été, en fera le lieu le plus agréable du monde, ou presque.
            Mais de voir comme il s'enorgueillit à l'excès de tout cela et se répand en éloges, et attend de nous la même admiration, bien que tout ici le mérite fort, voilà qui est un peu déplaisant.
            Ensuite, Creed et moi nous en allâmes, à sa demande pressante, en voiture à la foire de la Saint-Barthélémy, où je n'avais nulle envie d'aller sans ma femme. Traversai donc la foire en voiture sans mettre pied à terre et y laissai Creed avant de poursuivre jusqu'à la maison. Là je pressai ma femme de s'habiller et l'emmenai en fiacre à la foire. Lui montrai des singes qui dansaient sur des cordes, spectacle étrange mais si grossier que cela ne me plut pas. Il y avait aussi un cheval aux sabots comme des cornes de bélier, une oie avec quatre pattes et un coq qui en avait trois. Nous vîmes plus loin des automates allemands, l'Annonciation à la Vierge Marie et plusieurs autres tableaux de l'histoire Sainte, mais surtout à la fin il y avait une représentation de la mer, avec Neptune, Vénus, les sirènes et Cupidon sur un dauphin, avec le mouvement des vagues. C'était si bien fait qu'avec davantage de pompe, et placé à meilleure distance, cela eût été admirable.
            Retour à la maison en fiacre, et passai un moment au bureau puis souper et, au lit.
            Aujourd'hui j'ai lu une proclamation requérant l'assistance de tous pour l'arrestation de milord Bristol


                                                                                                             5 septembre 1663
                                                                                                                                        pinterest.fr
French Foot Regiments at a barrack during the Wars of King Louis XIV            Levé de bonne heure et un moment à ma viole, puis au bureau, réunion et embesogné toute la matinée. A midi à la Bourse et à la maison pour dîner avec Mr Creed. Après le dîner fus terriblement importuné par le capitaine Hickes qui vint dire à ma femme le nom et l'histoire de tous ses coquillages, son cadeau et qui sont fort jolis.
            Après son départ avec ma femme et Creed à Cornhill Street et, après maintes hésitations, achetai à ma femme une pièce de chintz, c'est-à-dire un calicot indien imprimé pour tendre de neuf son petit salon, et qui est fort joli.
             Retour à la maison, Creed parti, je sortis voir le capitaine Minors sur la colline de la Tour et là, si je retranche seulement quelques impertinences dont il est coutumier, j'appris maintes choses sur les Indes orientales, à la fois sur le pays et la déception infligée au roi lors du dernier voyage par la fourberie du vice-roi portugais, et l'insignifiance de la place de Bombay si nous l'avion obtenue. Mais surtout, il me semble étrange que les choses n'aient pas été éclaircies avant le départ de l'expédition. Et aussi que ce qui était pensait-on un des fleurons de la dot de la reine n'ait pas été mieux connu, car il ne s'agit, si nous le possédions, que d'un lieu insignifiant, qui n'est pas réellement tel qu'il avait été décrit à notre roi sur la carte, mais seulement une malheureuse petite île, alors que l'on avait fait croire au roi, au lord-chancelier et aux autres savants, que cette île et d'autres qui sont proches étaient d'un seul tenant. C'est ce que montrait la carte présentée au roi...... La réalité est toute différente.
            A mon bureau écrit plusieurs lettres, et à la maison, souper et, au lit, et pris une pilule.
            J'apprends aujourd'hui que sir William Batten a été obligé d'accoster à Queenborough avec sa femme, qu'il a été si malade qu'elle jure que jamais elle ne reprendra la mer. Mais, par un heureux hasard, Holmes est arrivé dans les Downs où il va rencontrer milady et peut-être cela lui fera plus de bien qu'elle ne l'espère. Il apporte les nouvelles de la paix entre Tanger et les Maures, mais je n'en connais point les détails, il n'est arrivé qu'hier.


                                                                                                             6 septembre
                                                                                              Jour du Seigneur
            La pilule que j'ai prise hier soir a fait beaucoup d'effet, et je restai longtemps couché pour faire passer mes démangeaisons qui m'ont pris sur tout le corps, des pieds à la tête. Cela recommence comme l'hiver dernier. Après m'être levé il m'apparaît qu'elles s'étaient calmées. Je demeurai toute la journée à la maison, et ma femme aussi que j'obligeai à rester avec moi, Dieu me le pardonne, de crainte qu'elle ne vît Pembleton. Mais nous passâmes ensemble une journée fort agréable, à imaginer comment aménager son petit salon et la chambre rouge à l'étage où nous avons l'intention d'installer notre chambre à coucher.
            Nous dînâmes seuls et soupâmes le soir avec mon frère, ensuite prières et, au lit.


                                                                                                                    7 septembre

            Levé très tôt et un moment à ma viole. Puis sortis et me rendis dans différentes boutiques pour acheter de quoi meubler ma maison et le petit salon de ma femme. Retrouvai mon oncle Thomas comme convenu. Nous nous rendîmes à la cour archiépiscopale dans Paternoster Row où cherchâmes et retrouvâmes le testament de mon oncle Day. Nous le lûmes et l'étudiâmes ainsi que celui de sa femme morte après lui. Et bien que le témoignage de ma tante Perkin soit valable, je crains, comme l'héritage est très considérable, et que tous ceux qui pourraient nous informer sur cette affaire ont reçu une part plus ou moins importante de cet héritage, qu'il ne nous soit difficile de jamais parvenir à grand chose. Je ne me risquerai à rien avant de savoir quelle part mon oncle Thomas nous donnera de ce qui sera recouvré.
            Mais j'avais un autre dessein celui de semer le doute dans l'esprit de mon oncle et retarder ainsi son départ à la campagne, afin qu'il se trouve à ses propres frais à la session du tribunal. Je les laissai donc lui et son fils jusqu'à notre prochaine rencontre.
            Puis je me rendis chez milord Crew, pensant dîner chez lui, mais il était trop tard, je m'en retournai donc et m'arrêtai chez mon frère et chez Mrs Holden pour affaires, puis allai tout seul à la taverne de l'Aigle Noir dans Bride Lane et dînai, pour un shilling, d'une côte de veau et de pain, fromage et bière, puis passai par Fleet Alley saisi, Dieu me pardonne ! d'une irrésistible envie de voir les catins. Mais leur vue me retourna l'estomac. Allai donc à la foire de la Saint-Barthélémy où je rencontrai Mr Pickering. Nous allâmes ensemble voir les singes à la maison hollandaise. Le spectacle est fort supérieur à celui que nous avons vu l'autre jour avec ma femme, puis voir les danseurs de corde, mais c'était fort mauvais et ennuyeux
            Nous en vînmes à parler de milord Sandwich. Il me dit à quel point il est fâché pour milord que celui-ci vive à Chelsea, et que le simple fait d'avoir montré à milord ses sentiments, sans avoir même prononcé un mot, lui a fait perdre sa faveur, de sorte qu'il fut content de le quitter avant son départ à la campagne, car il lui faisait partager la table des domestiques. Mais il me fut impossible de tirer de lui le fin mot de l'histoire, que je connais d'ailleurs. Je regrette beaucoup que milord ait à ce point perdu son honneur, mais je suis résolu à ne point m'en mêler.
            Après le spectacle je lui faussai compagnie et repris en hâte le chemin de  la maison, et achetai plusieurs choses chez le quincaillier, des chenets, des pincettes et des pelles pour le petit salon de ma femme et les autres pièces de ma maison, puis rentrai. Un peu à mon bureau, puis à la maison, souper et, au lit.
            Les lettres que j'ai reçues aujourd'hui de Tanger m'apprennent que la place se renforce beaucoup sur terre et que la construction du môle avance. 200 Maures ont récemment été tués par nos soldats qui ont perdu 40 ou 50 hommes. J'ai grand-peur de trop dépenser pour ma maison, mais ce n'est pas de l'argent gaspillé, quoique je ne considère comme de l'argent que ce que je possède en banque, à condition que je possède d'avance une somme rondelette.


                                                                                                                   8 septembre

            Lever et un peu à ma viole, puis à mon bureau où un nommé Philips m'avait apporté un dessin du yacht le Catherine, fort bien exécuté malgré sa facture quelconque. Au bureau toute le matinée à faire nos comptes de la demi-année écoulée pour milord le trésorier général, qui se montent à 160 000 livres environ, pour les frais de cette demi-année. Il faut ajouter 13 000 livres au titre des 3 pence dûs sur les comptes précédents au trésorier pour tous ses débours, et 1 100 livres pour cette demi-année, de sorte qu'en 3 ans et demie sa commission de 3 pence se monte à 14 000 livres.
            Dînai à la maison avec ma femme, c'était le jour de la lessive. Nous mangeâmes une bonne tourte de gigot de mouton. A mon bureau et sortis. J'allai entre autres chez Moxon où j'achetai une paire de globes pour 3 livres 10 shillings, ils me plaisent fort et c'est surtout pour ma femme que je les achète, car elle a envie de les étudier et j'aurai grand plaisir à l'instruire. Je vis chez Moxon la grande fenêtre de sa salle à manger où sont représentées les deux hémisphères terrestres peintes comme jamais je ne les ai vues de ma vie, un travail splendide et fort utile qu'il a exécuté de sa main.
            Puis à mon bureau, travaillai tard. Souper à la maison et, au lit. Mes gens ont veillé plus tard que d'ordinaire pour terminer la lessive.


                                                                                                             9 septembre
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CHURCHILL: French Army - Hundred Swiss in the Marble Court, by Lucien Rousselot.            Levé au point du jour et quelque temps à ma viole puis comme convenu chez sir William Warren. Après avoir causé et mangé un morceau nous descendîmes en barque à Woolwich. Expédiai plusieurs affaires et eus différentes conversations. De là à pied à Greenwich. Sur la route un petit garçon nous rattrapa et nous montra une belle coupe tournée et faite en bois de gaïac. Le pauvre enfant avoua qu'elle avait été faite à l'arsenal royal par son père employé comme tourneur qui en fait souvent de semblables. Je pouvais en avoir une et Dieu sait quoi d'autre. Je vais examiner cette affaire. Retour chez sir William Warren et rédigeâmes un contrat pour des mâts qu'il doit nous vendre. A la maison  trouvai ma pauvre femme embesognée.
            Me rendis au bureau après le dîner, puis à Whitehall pour voir sir George Carteret, mais ne lui parlai pas. Puis au palais de Westminster. Dieu me pardonne ! dans l'intention de voir Mrs Lane, mais elle n'était pas là, mais je rencontrai Ned Pickering avec qui je me promenai trois ou quatre heures, jusqu'au soir.
            Il me conta toute l'histoire de l'engouement de milord pour cette Mrs Becke de Chelsea. Je suis honteux de voir milord faire de si flagrante façon la brute et l'imbécile, jusqu'à rejeter honneur, famille, serviteurs et toute chose et toute personne qui soit bonne et ne plus désirer qu'une chose, que rien ne vienne troubler sa débauche secrète avec cette fille publique. Il veille nuit après nuit, seul, ne permettant à personne de les approcher, et toute la journée aussi. Il a renvoyé Pickering, lui faisant de vifs reproches sur sa maigre fortune, pourtant considérable, et a recours à d'autres moyens mesquins et indignes de lui pour demeurer seul avec elle. En outre, il la promène dans la ville et joue du luth sous sa fenêtre, et cent autres choses sordides et méprisables. Je suis peiné de l'entendre mais je crois inutile de m'en mêler. Qu'il continue jusqu'à ce que Dieu tout puissant, sa propre conscience et la pensée de sa femme et de sa famille le ramènent à la raison.
            Après une longue conversation qui me donna entière satisfaction mais beaucoup de tourment, rentrai à la maison par le fleuve, et à mon bureau jusqu'à une heure avancée. Retourné auprès de ma femme pour souper et, au lit, pensant que je dois aller à Brampton à la prochaine saison du tribunal, la semaine prochaine.


                                                                                                          10 septembre

            Levé de bonne heure et à mon bureau. Réunion toute la matinée. Nous passons un gros marché avec sir William Warren en lui achetant pour 3 000 livres sterling de mâts. Mais Seigneur ! quand je pense à ce que je pourrais faire si j'étais un filou ! Toute l'affaire, du début jusqu'à la fin a été conduite par moi à l'extérieur du bureau, et ils ont donné leur accord après une seule lecture du contrat, sans se soucier le moins du monde ni rien vérifier de la qualité, du prix, de la quantité, ni de la nécessité de la commande, si ce n'est qu'il leur paraît bon d'en avoir en réserve. J'espère avoir fait de tels efforts que ce contrat pour l'achat de mâts est le plus avantageux de tous ceux qui aient jamais été signés dans ce bureau depuis vingt-sept ans.
            Dînai à la maison puis retournai au bureau. Reçus la visite de nombreuses personnes pour affaires, puis fis un petit tour à la Garde-Robe pour le travail, mais ne trouvai point Mr Moore et allai ailleurs. Je le rencontrai sur mon chemin. Il me parle de la bonne paix conclue à Tanger avec les Maures, mais qui doit être renouvelée de six mois en six mois. La construction du môle a commencé et se fera sûrement avec beaucoup de facilité et de succès.
            Nous allons pouvoir disposer d'une certaine quantité de terrain pour notre bétail autour de la ville.
            Demeurai tard à mon bureau puis à la maison, souper et, après avoir écrit des lettres, au lit.
            Aujourd'hui notre cuisinière ( nous n'avons pas de chance avec nos servantes ces temps-ci ) qui semblait avoir l'étoffe d'une bonne servante, quoiqu'elle ne fût point la meilleure des cuisinières, est tombée malade et est partie chez un parent, après n'être restée à mon service que quatre jours.


                                                                                                            11 septembre

            Ce matin, vers deux ou trois heures, j'entendis frapper dans notre arrière-cour. Je me levai et allai à la fenêtre et vis, à la lumière de la ville que c'était le sergent de ville et le guet qui, ayant trouvé la porte de notre jardin ouverte, étaient entrés voir ce qui se passait. Je leur demandai de fermer la porte et leur souhaitai une bonne nuit. A six heures me levai et un moment à ma viole, puis au bureau passai toute la matinée sur les comptes du manutentionnaires des subsistances puis allai avec lui à la taverne du Dauphin où mangeai bien mais ne bus toujours pas de vin, ce qui me maintient en si bonne santé que je suis fort content de moi d'être si sobre. Mr Moore me rejoignit et nous rentrâmes tous deux à la maison et étudiâmes une affaire. Après avoir passé une heure à examiner le montant des dettes de la Marine que l'on vient d'établir, je me rendis en fiacre chez sir Philip Warwick. Mais comme j'appris que sir George Carteret était là, je n'entrai pas et repartis aussitôt vers la maison. Sous une pluie battante, je m'arrêtai d'abord chez Creed et Mrs Harper pour chercher une cuisinière. J'en ai probablement trouvé une qui habite chez Creed. Puis sur mon chemin rendis visite à Mr Crew et sir Thomas, pensant qu'il pourrait s'enquérir auprès de moi en passant, des affaires de milord à Chelsea, mais ils n'en dirent rien et donc, après avoir échangé de menus propos sans importance, je leur souhaitai une bonne nuit.
            Retour à mon bureau et après avoir travaillé un moment, à la maison, souper et, au lit.



                                                                                                                12 septembre 1663
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The Squatters | Museum of Fine Arts, Boston            Levé de bonne heure et en barque à Whitehall et chez sir Philip Warwick avec qui je m'entretins en privé pendant une demi-heure. Je lui fournis des informations très satisfaisantes, comme lui m'en fournit aussi, sur les sommes payées et dues à la Marine. Il m'assure, en me donnant des détails, que sir George Carteret n'a pas reçu plus de 80 000 livres à un farthing près, la somme que nous avons demandée jusqu'à aujourd'hui, ou plutôt jusqu'à la Saint-Michel et qui, j'en suis sûr excède de plus de 50 000 livres nos dépenses réelles, et ceci quel que soit l'usage de cet argent.
            Repartis vers la maison fort content d'avoir ainsi lié connaissance avec lui, un homme digne de considération et un des plus grands administrateurs d'Angleterre. Relation que je vais m'efforcer de mériter et de conserver.
            Retour en barque à mon bureau où passai toute la matinée. A midi à la Bourse où retrouvai mon oncle Thomas. Il a décidé d'aller avec moi à Brampton lundi prochain. J'espère qu'il ne changera pas d'avis. Je ne lui en parle pas, pourtant il croit que le tribunal va siéger et qu'il doit s'occuper de certaines affaires pour nous. Je vois, en fait, que c'est un bien plus fin matois que je ne l'avais cru. Même quand il a bu il garde toute sa tête.
            Je le ramenai à la maison pour dîner. Le repas terminé, après un ou deux verres de vin il commença à censurer sir George Carteret et sa famille à Jersey, me recommandant de me méfier de lui et à le peindre comme un homme arrogant, orgueilleux, fourbe et calculateur, ajoutant qu'il s'était conduit de manière fort vile lorsqu'il était gouverneur de l'île.
            Après le dîner et avoir longuement parlé, il s'en alla, le rendez-vous était fixé à lundi matin. Je me rendis à mon bureau et de là en barque à Whitehall au palais de Westminster pour plusieurs affaires. Retour à la maison et à mon bureau. Écrivis une lettre laborieuse à Mr Coventry à propos des comptes que nous venons de présenter à milord le trésorier général et qui me prit jusqu'à une heure du matin Jour du Seigneur. De sorte que Griffith fut obligé de la porter à Westminster pour qu'elle partît par exprès. Quant à mes autres lettres importantes, à mon père et à d'autres personnes, elles ne purent partir du tout.
            Au lit entre 1 et 2 heures du matin, dormis jusqu'à 8 heures et restai couché fort agréablement jusqu'à 9 heures avec ma femme, ensuite debout et préparai mes effets en prévision du voyage de demain, puis à midi dînai et passai presque tout l'après-midi à m'amuser et deviser avec ma femme à ma grande satisfaction. Ensuite à mon bureau pour mettre des papiers en ordre en prévision de mon départ. Sur ces entrefaites arriva mon oncle Wight pour nous inviter demain à manger pour dîner un cuissot de chevreuil que je leur ai envoyé hier et que j'avais reçu de Mr Povey. Je ne peux pas y aller mais ma femme ira.
            Descendis ensuite au jardin relire mes résolutions, comme chaque semaine, puis à la maison où, pendant le souper, je dis à ma femme, simplement pour lui marquer mon affection :
            " - Eh bien, n'allons-nous donc plus jamais voyager ensemble vous et moi ? "
            Elle me prit au mot et proposa et demanda de m'accompagner. Et moi, pensant que par ce moyen je la mettrais à l'abri des dangers qui la guettent ici, je voulais feindre de ne le point vouloir et, après avoir fait quelques difficultés j'envoyai retenir un cheval et d'autres choses, et je crois donc qu'elle viendra. Après avoir rapidement préparé ses affaires et les miennes, au lit.


                                                                                                              14 septembre

            Levé de bonne heure et ma femme et moi sommes toujours d'avis qu'elle m'accompagne. Elle alla donc se préparer et sortis pour faire de même et rentrai et, après avoir tout mis en ordre à mon bureau et à la maison, nous rendîmes en fiacre à Bishopsgate. La journée promettait d'être fort belle. Au relais du Dauphin nous retrouvâmes mon oncle Thomas avec son gendre, l'air d'un homme très sérieux, et Mr Moore. Mr Moore et ma femme partirent devant et mon oncle et moi attendîmes que son fils Thomas, qui s'est brusquement décidé à nous accompagner, eût fini de se préparer.
            Cela me fait craindre qu'il n'ait l'intention de nous jouer quelque mauvais tour. Comme il tardait beaucoup, le vieil homme et moi partîmes devant et à quelque trois lieues de là son fils nous rattrapa et deux lieues et demie plus loin nous rejoignîmes ma femme et Mr Moore ( ce qui me fait penser qu'en peu de temps on perd bien du terrain quand il faut rattraper un autre voyageur, c'est-à-dire quand on doit parcourir sa propre route et aussi celle de l'autre ). Après avoir mangé un petit morceau à Ware ( c'est moi qui réglai toutes nos dépenses durant tout le voyage ) continuâmes jusqu'à Buntingford où ma femme qui avait bu de la bière froide alors qu'elle avait chaud juste après être descendu de cheval, commença de se sentir mal et devint si pâle, nous étions seuls dans une grande chambre, que je crus qu'elle allait mourir. Saisi d'horreur et ressentant très fort à cette occasion combien je l'aime sincèrement et passionnément, j'appelai les servantes et la femme de l'auberge, et avec un peu d'alcool, et après avoir un peu vomi, elle se remit très bien. Une fois que je l'eus mise au lit, fort content, je fis entrer mes compagnons et nous soupâmes dans la chambre à ses côtés. Nous causâmes fort gaiement et nous quittâmes, et j'allai au lit où elle dormit fort bien.
            Aujourd'hui mon cousin Thomas a fait tomber son coutelas et l'a perdu.


                                                                                                                   15 septembre

            Levés de fort bonne heure et chevauchâmes jusqu'à Godmanchester. Mr Moore tomba deux fois, une fois dans l'eau et une fois dans la boue, mîmes pied à terre, mangeâmes et bûmes. Nous étions tous recrus de fatigue, surtout ma femme et mon oncle. De là à Brampton, chez mon père, où trouvai tout le monde en bonne santé, mais sans la moindre idée des égards avec lesquels ils devraient traiter mon oncle et son fils, à tout le moins jusqu'à la fin de la session de la cour, ce qui me fâcha. Mais sur mes conseils ils se montrèrent civils avec eux. Ensuite mon père, mon cousin Thomas et moi nous rendîmes à Hinchingbrooke. Je trouvai milord et ses gens partis pour Broughton, ce dont je fus contrarié, mais je trouvai là milady et les jeunes demoiselles. Je passai deux heures seul avec milady qui me conduisit dans tous les endroits de sa maison et de son jardin qui sont et seront vraiment splendides. Je vis là Mrs Betty Pickering, dame fort polie et avenante, mais très grosse. Puis, sans même avoir pris le moindre rafraîchissement, retournai à la maison avec mon père et mon cousin Thomas ( ils m'avaient attendu ) et fîmes un bon souper.
            Après m'être entretenu une heure avec mon père dans les champs. Il se mit à me parler d'un ton fort impérieux des promesses que je lui avais faites de lui donner les bénéfices de Stirtloe, comme si ce que je lui donne de ma bourse n'était rien, et il voudrait que je donnasse aussi ceci à mes frères et à ma soeur, je veux dire Brampton et les autres terres, je crois. J'avoue que je fus irrité de l'entendre parler de cette manière et lui répliquai vivement, lui conseillant, s'il ne pouvait vivre avec 50 livres par an, ce qui était un autre point de ses propos, de penser à retourner habiter chez Tom, où 50 livres par an compléteraient avantageusement les revenus de sa profession.
            Je pense que c'est cela qu'il faudra faire une fois toutes les affaires réglées. Mais mon père ne m'en parla plus de tout le temps que je demeurai à la campagne, quoique sur le moment l'idée ne semblât pas lui déplaire. Je parlai aussi à Pigott, ce soir avant de rentrer pour souper et je crains de rencontrer des difficultés dans mon affaire demain avant de pouvoir la présenter devant le tribunal, mais je ferai de mon mieux.
            Après souper, mon oncle et son fils allèrent dormir chez Stankes, ce dont je suis fâché, car tous les lits de mon père ont été prêtés à Hinchingbrooke. Ensuite, ma femme fort lasse et moi au lit.


                                                                                 à suivre...............

                                                                                                             16 septembre 1663

            Levé de.................

            

mardi 17 septembre 2019

Mozart Lettres à sa soeur 14 ( Correspondances Allemagne )


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                                    Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg

                                                                                                            Milan 26 octobre 1771

            J'ai bien reçu ta lettre de Triebenbach et suis heureux que vous vous amusiez... Le succès remporté par la Serenata de Wolfgang est peut-être déjà connu à Salzbourg, car le jeune
M. Kerschbaumer ici depuis quelques jours en a été le témoin oculaire et auditif avant-hier le 24;
LL.AA. l'Archiduc et l'Archiduchesse ont, à force d'applaudissements, non seulement fait répéter deux airs, mais se sont également penchés vers Wolfgang pendant la Serenata, et surtout à l'issue de celle-ci, et lui ont témoigné leur satisfaction en applaudissant et en criant Bravissimo Maestro. La noblesse et le public se sont ensuite joints à leurs applaudissements.......... L'archiduc et son épouse vont bien et sont heureux, ce qui fera particulièrement plaisir à S. M. l'Impératrice. Elle craignait que la fiancée qui n'est pas belle ne plaise guère à son fils. Mais elle est étonnamment aimable, agréable et vertueuse. Chacun l'aime de ce fait, et elle a gagné l'attachement de l'archiduc car elle a le meilleur coeur et les plus charmantes manières du monde.
            Portez-vous bien, nous vous embrassons 100 000 000 de fois et je suis toujours ton fidèle

                                                                                                         Mzt
            Nous adressons nos compliments à tous nos bons amis et amies,etc.
            Si tu as besoin de vêtements fais confectionner ce qui convient. Ni toi, ni Nannerl ne devez manquer du nécessaire. Il faut faire ce qu'il faut. Et ne prends pas de mauvaise qualité, on ne fait pas d'économies en achetant bon marché. Fais-toi coudre un beau costume pour les jours de fête et porte chaque jour ce que tu as fait tailler à Vienne. Mais ne prends pas de lainage, ça ne vaut pas un clou.

Post-Scriptum de Mozart à sa soeur
            Ma soeur chérie !
            Je vais bien moi aussi, Dieu merci. Comme mon travail est terminé j'ai maintenant plus de temps pour écrire, seulement je ne sais que dire car papa a déjà tout raconté. Je ne sais rien de nouveau, sinon que 35, 59, 60, 61 et 62 sont sortis à la loterie et que si nous avions misé sur ces numéros nous aurions gagné. Mais n'ayant pas joué, nous n'avons ni gagné ni perdu, nous nous sommes simplement moqués des gens. Les 2 airs qui ont été bissés dans la Serenata ont été chantés l'un par Manzuoli, l'autre par la prima donna Girelli. J'espère que tu t'amuses bien en faisant du tir, si le temps le permet, ou en faisant des promenades. Nous partons maintenant à l'opéra. Mon compliment à tous nos bons amis et amies. Le baron Dupin vient fréquemment chez la " Mademoiselle " qui joue du piano et nous le rencontrons souvent. Baise pour moi la main de maman. S, je suis comme toujours ton frère fidèle

                                                                                             Wolfgang
P.S. Excuse l'écriture sauvage, je me dépêche.


                                            Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg

                                                                                                              Milan 2 novembre 1771
                                                                                                                                

Royal Vienna portrait plates after Asti - Free Online ...            Nous sommes très heureux que vous vous soyez bien amusées à Triebenbach et soyez de retour à la maison. Je garde la chambre depuis quelques jours car j'ai un fort rhumatisme qui, toutefois, a presque disparu grâce à des infusions de sureau. Il n'y avait qu'un seul sachet de poudre noire parmi nos médicaments, mais par bonheur Mme d'Asti en a suffisamment.......... Je t'ai déjà écrit que la Serenata a décroché le grand prix. Portez-vous bien, nous vous embrassons 100 000 000 de fois et je suis ton vieux
                                                                                Mozart
.............
Post-Scriptum de Mozart à sa soeur
            Papa dit que monsieur Kerschbaumer a certainement tiré profit de son voyage et fait bien des observations. Nous pouvons certifier qu'il s'est conduit de façon fort raisonnable. Il pourra sûrement mieux rendre compte de son voyage que certains de ses amis, dont l'un n'a pas bien pu voir Paris parce que les maisons sont trop hautes. On donne aujourd'hui l'opéra de Hasse, mais comme papa ne sort pas je ne peux m'y rendre. Heureusement je connais par coeur tous les airs et peux ainsi les entendre et les voir en pensée à la maison.


                                          Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg
                      
                                                                                                               Milan 9 novembre 1771

            Je t'écris en hâte pour te dire que j'ai bien reçu les félicitations et le paquet de toutes les lettres
Wolfgang pourra remercier tout le monde à la fin du mois, si Dieu le veut, ou dans les premiers jours de décembre. Je suis tout à fait remis, Dieu merci. Nous avons déjeuné hier chez S. E. le Cte Firmian en compagnie de M. Hasse et Wolfgang..... En plus de ce qu'ils ont touché en espèces on a offert une tabatière à M. Hasse et une montre sertie de diamants à Wolfgang.............. Addio, nous vous embrassons 10 000 000 de fois
                                                                                              Mozart         
Post-Scriptum de Mozart à sa soeur
            Soeur chérie !
            Baise pour moi la main de maman et fais mes compliments à tous nos bons amis et amies. Je remercie rapidement tous ceux qui m'ont félicité et le ferai mieux de vive voix. Adieu

                                                                                                     Wolfgang

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                                     Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg


                                                                                                             Bozen 28 octobre 1772

            Ne sommes-nous pas déjà bien loin, puisque nous écrivons de Bozen ?.................. Ma santé semble être rentrée dans l'ordre, Dieu soit loué, malgré l'aimable désordre de notre vie.
            Si les voyages sont nécessaires à mon bien-être, je me mettrai en quête d'une place de courrier ou tout au moins de conducteur de malle de poste. Wolfgang va bien aussi, il écrit un quatuor pour passer le temps, et fait ses compliments à tout le monde.
            ... Nos compliments à tous nos bons amis et amies, adieu, nous vous embrassons 1 000 fois et je suis le vieux
                                                                                                      Mzt

Post-Scriptum de Mozart à sa soeur                                                           farm8.staticflickr.com
Elevation of Asti, Province of Asti, Italy - Topographic ...            Nous sommes déjà à Bozen. Déjà ? Seulement ! J'ai faim, j'ai soif, j'ai sommeil, je suis paresseux, mais en bonne santé. A Hall nous avons visité l'abbaye et j'y ai joué de l'orgue. Si tu vois Nannerl Nader, dis-lui que j'ai parlé à M. Brindl, son amant, qui m'a chargé de lui transmettre un compliment de sa part. J'espère que tu auras tenu parole et " seras allée chez " D.N. " dimanche dernier ". Adieu, écris-moi quelque chose de nouveau. Bozen, quelle farm8.staticflickr.comporcherie.
            Poème de quelqu'un qui était furibond et hargneux contre Bozen.
            Si à Bozen je dois retourner
            Une gifle il vaut mieux me donner.


                                              Mozart à sa mère à Salzbourg

                                                                                                           Milan 7 novembre 1772

               Ne vous effrayez pas de voir mon écriture et non celle de papa, en voici les raisons. 1° Nous sommes chez M. d'Asti où se trouve également M. le baron Cristiani, ils ont tant de choses à se dire que papa n'aura absolument pas le temps d'écrire. 2° il est trop paresseux. Nous sommes bien arrivés le 4 à midi et sommes en bonne santé. Tous nos bons amis sont à la campagne ou à Mantoue, sauf M. d'Asti et son épouse qui m'ont demandé de vous faire leurs compliments à vous et à ma soeur. M. Misliweczek est encore ici. De la guerre d'Italie, dont on parle tant en Allemagne et de la fortification des citadelles, rien n'est vrai. Pardonnez ma vilaine écriture. Lorsque vous nous adresserez des lettres faites-le directement à notre attention, car la coutume n'est pas comme en Allemagne de distribuer le courrier. On doit aller le chercher à la poste et nous nous y rendrons chaque fois pour le retirer nous-mêmes. Il n'y a rien de neuf ici, nous attendons d'apprendre les nouvelles de Salzbourg. Nous espérons que vous avez reçu la lettre de Bozen. Je ne sais plus que dire et m'arrête ici. Nos compliments à tous nos bons amis et amies. Nous embrassons maman 100 000 fois ( je n'ai pas la place de mettre plus de zéros ), je baise la main de maman et préfère serrer ma soeur dans mes bras in persona plutôt qu'en pensée.

Post-Scriptum de Mozart à sa soeur
            Carissima sorella
            J'espère que tu auras été voir la dame tu sais bien qui. Je te prie, si tu la vois, de lui faire un compliment de ma part. J'espère que tu vas bien et n'en doute pas. J'ai oublié de te dire que nous avons retrouvé ici M. le danseur Belardo, dont nous avions fait connaissance à La Haye et Amsterdam. C'est lui qui avait attaqué à l'épée M. Nieri, le danseur, parce qu'il croyait qu'on lui refusait à cause de lui l'autorisation de danser au théâtre. Addio, ne m'oublie pas, je suis toujours ton

                                                                                                frère fidèle Amadeo Wolfgango
                                                                                                                   Mozart
Post-scriptum de Leopold Mozart
            Nous avons fort gaiement souhaité la fête de Wolfgang à chez les 2 frères Pizzinin et nous sommes également arrêtés à Vérone, c'est la raison pour laquelle nous sommes arrivés si tard à Milan. Il fait toujours beau et nous n'avons eu une forte pluie au cours de notre voyage que le lendemain de la Saint-Simon-et-Jude dans l'après-midi, c'est tout. Portez-vous bien, addio. Nos compliments à tous nos bons amis et amies.

            Nous avons vu un " opéra buffa " à Vérone et ici.


                                    Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg

                                                                                                                Milan 14 novembre 1772
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17 Best images about cartes à jouer on Pinterest | Art ...            Après 3 jours de voyage j'ai été étonné que ma santé soit aussi bonne, surtout étant donné la vie assez désordonnée que nous avons mené de Vérone à Milan. Mais maintenant que je suis dans cette ville depuis près d'une quinzaine de jours, certains petits malaises commencent à se faire sentir et je commence à réfléchir à Salzbourg, subrepticement, sans m'en rendre compte tout d'abord. Je repousse toutefois ces pensées ou tout au moins j'essaie de le faire, tout comme je le faisais pour les viles pensées que le diable mettait dans mon esprit dans ma jeunesse....
            ............... Wolfgang a eu suffisamment de distractions. Il a dû écrire les choeurs qui sont au nombre de 3 et modifier ou réécrire les quelques récitatifs qu'il avait commencés à Salzbourg, car le poète a envoyé le livret à M. l'Abbate Metastasio à Vienne pour examen. Ce dernier a apporté maintes améliorations, corrections et ajouté également une scène au 2è acte. Wolfgang a toutefois déjà composé l'Ouverture et tous les récitatifs. M. Leutgeb veut donc se rendre à Rome ? - Et je dois lui écrire s'il peut avoir quelque espoir d'engagement ici ? - C'est difficile à dire  ! - S'il devait être ici au début, c'est-à-dire dans les premiers jours de décembre, il pourrait espérer accompagner un air de l'opéra, mais lorsque les airs seront composés il sera trop tard........... Il n'est pas facile de donner un concert public à Milan, et cela n'a guère d'intérêt si l'on ne jouit pas de protections car on risque d'être berné dans son profit...............
            Portez-vous bien, nous vous embrassons 100 000 fois et je suis ton vieux

                                                                                                           L. Mzt


                                  Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg

                                                                                                           Milan 21 novembre 1772

            Nous sommes, Dieu merci, en bonne santé et frais comme des poissons dans l'eau, surtout qu'il pleut nuit et jour depuis une semaine. Il n'est donc pas étonnant que nous attendions les malles-poste qui devaient arriver aujourd'hui... Nous avons un appartement bien plus agréable que celui de l'an dernier, plus beau, plus confortable, plus près du théâtre, et par suite à environ 50 pas de chez
Mme d'Asti qui nous a prêté quelques bons oreillers, car les couettes italiennes sont trop dures à notre goût... Aujourd'hui c'est notre anniversaire de mariage. Il y a 25 ans, je crois, que nous avons eu la bonne idée de nous marier. - L'idée nous était certes venue bien des années auparavant, les bonnes choses doivent mûrir doucement ! Le Primo uomo, Sigr. Rauzzini, est maintenant arrivé, il y aura donc de plus en plus à faire et la vie va s'animer. Nous ne manquerons certes pas de nous heurter à quelques petits problèmes, comme c'est toujours le cas au théâtre, mais ce sont des bagatelles. Les figues que M. Joseph avait données à Wolfgang lors de notre départ ont été comme les pains et les poissons de l'Evangile, car nous avons mangé les dernières hier au dîner. Nous ne prenons en effet le soir que du raisin, du pain et un verre de vin. Nos compliments à tous nos bons amis et amies. Les journées sont courtes, il y a tant à faire, lorsque ce n'est pas le travail ce sont toutes sortes de préparatifs. Nous vous embrassons, autant que vous voulez, et je suis avec Wolfgang ton vieux

                                                                                           Mozart


Post-Scriptum de Mozart à sa soeur                                                                         art-rivedroite.com
Galerie Maurizio Nobile - Nocturne Rive Droite
             Je te remercie, tu sais bien pourquoi. Je prie M. von Heffner de me pardonner de ne pas lui avoir encore répondu. Cela ne m'a pas été possible et ne l'est toujours pas. Dès que je rentre à la maison je dois composer, il y a d'ailleurs souvent déjà quelque chose sur la table, et en dehors de la maison, dans la rue, je ne peux vraiment pas écrire. Si tu le vois, fais-lui lire cette lettre et dis-lui que cela doit lui suffire pour l'instant. Je n'en voudrai pas à mon ami, qui ne vaut pas cher, de ne pas m'avoir répondu. Dès qu'il aura plus de temps il me répondra certainement, sans aucun doute, sans doute, sûrement, exactement. Mon compliment à tous nos bons amis et amies. Je baise les mains de maman. Bien porte-toi et de nouveau bientôt quelque chose écris-moi. L'Allemagne de la poste n'est pas encore arrivée. Oidda.
                                                                              Je toujours comme suis
                                                                                    Mozart Wolfgang
Milano à 2771 novembre 12 le


...................................


                                      Leopold Mozart à sa femme à Salzbourg 

                                                                                                             Milan 5 décembre 1772

               Nous sommes, Dieu merci en bonne santé, bien que j'écrive avec une mauvaise plume, car Mme d'Asti, qui vous fait ses compliments, en a toujours de mauvaises. Nous rions tous du début de cette lettre, pendant que je trace ces lignes. M. von Cristiani entre à l'instant dans la cour, mais le courrier d'Allemagne n'est pas encore arrivé car les chemins sont très mauvais. Sigra de Amicis, qui vous adresse ses compliments, ainsi que M. Adlgasser, n'est arrivée elle aussi que tard hier, elle a mis 8 jours de Venise à Milan, voyageant pourtant dans une diligence à 6 chevaux, tant les chemins sont remplis d'eau et de boue.
              Malheureusement le pauvre ténor Cordini est si malade qu'il ne pourra venir. On a donc envoyé à Turin le secrétaire du théâtre par courrier spécial, et une estafette à Bologne pour se mettre en quête d'un bon ténor qui ne soit pas seulement un bon chanteur, mais également un bon acteur, de fière allure, pour faire honneur Lucio Silla. Dans ces conditions, puisque la prima donna n'est arrivée qu'hier et que nous ne connaissons pas encore le ténor, tu peux aisément deviner que la majeure partie de l'opéra n'est pas composée. C'est maintenant que cela devient sérieux.
            ... Nous faisons tous deux nos compliments à nos amis et amies de la Terre promise de Salzbourg, et vous embrassons 10 000 000 de fois dans l'air humide, car le temps est pluvieux en ce moment, et je suis
                                                                                 le vieux Mzt
Post-Scriptum de Mozart à sa soeur
            J'ai encore 14 morceaux à écrire, et puis j'aurai fini. Il est vrai que le duo et le trio devraient compter pour 4. Je ne peux vraiment pas écrire beaucoup car je n'ai rien de neuf à dire, et deuxièmement, je ne sais pas ce que j'écris. Toutes mes pensées sont absorbées par l'opéra et je risque fort de t'écrire tout un air à la place de mots. M. et Mme Germani adressent leurs compliments à maman, à toi et à M. Adlgasser. A Milan j'ai appris un nouveau jeu qui se nomme Mercante in fiera. Lorsque je rentrerai nous y jouerons.
            Mme d'Asti m'a également appris une nouvelle langue, elle est facile à parler, difficile à écrire, on peut toutefois y parvenir, mais un peu... puérile. Ce sera juste bien pour Salzbourg. Mes compliments à notre belle Nandl et au canari, car ce sont, avec toi, les plus innocents de notre maison
Fischietti va sans doute commencer à composer son " opéra buffa ", en allemand, son opéra loufoque. Addio, je baise la main de maman.
   

                                                                          à suivre.............
       

lundi 16 septembre 2019

Tiens bon, Yale ! Damon Runyon ( Nouvelle Etats Unis )

File:Yale University Shield 1.svg - Wikipedia
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                                             Tiens bon, Yale !

            Ce que je faisais à New Haven le jour du grand match de football entre Harvard et Yale, c'est une chose qui demande pas mal d'explications, car je ne suis pas un type qu'on s'attend à trouver à New Haven en quelque circonstance que ce soit, surtout le jour d'un grand match de football.
            Mais le fait est que j'y étais, et la raison pour laquelle j'y étais remonte à un vendredi soir. Je me trouvais assis au restaurant Mindy, dans Broadway, en train de penser à bien peu de chose, si ce n'est au moyen qui pourrait me faire gagner quelques thunes pour subvenir à ma chère existence. Et, pendant que j'étais là, survient Sam le Gonoph qui fait métier de revendre des billets et qui, pour le moment, a l'air de chercher partout quelqu'un.
            Sam le Gonoph commence donc à bavarder avec moi et j'apprends qu'il est à la recherche de Georgie le Gigolo, ainsi nommé parce qu'il est toujours fourré dans les boîtes de nuit, avec ses petites moustaches et ses guêtres blanches, dansant avec les vieilles rombières. Georgie le Gigolo n'est autre chose qu'un aigrefin et je suis surpris que Sam le Gonoph soit à sa recherche.
            Mais, à ce qu'il paraît, la raison pour laquelle Sam le Gonoph désire rencontrer Georgie le Gigolo, c'est afin de lui flanquer un marron sur le blair car, à ce qu'il paraît, Sam le Gonoph a confié à Georgie le Gigolo pour les revendre à la commission un certain nombre de billets d'entrée au grand match de football entre Harvard et Yale, et il n'a jamais touché un sou. Naturellement Sam le Gonoph considère Georgie le Gigolo comme une fripouille pour avoir agi de la sorte avec lui, et il déclare qu'il tient à rencontrer Georgie le Gigolo afin de lui flanquer une tournée, dut-elle être le dernier acte de son existence.
            Sam m'explique alors qu'il possède quantité de bonnes places pour le grand match entre Harvard et Yale et qu'il emmène plusieurs types avec lui à New Haven demain pour vendre ses billets. Il me demande si j'aimerais aller avec lui pour l'aider à les vendre et gagner moi-même quelques dollars, et son invitation me paraît tomber à pic.
            Comme de juste il n'est pas donné à n'importe qui d'obtenir de bonnes places pour le grand match entre Harvard et Yale, à moins d'être personnellement un type de ces universités, et Sam le Gonoph n'est point l'un de ces types. De fait le contact le plus étroit que Sam ait jamais eu avec une université, c'est le jour où il a traversé le terrain appartenant à celle de Princeton, mais à ce moment-là il était en fuite avec les flics à ses trousses et il n'a pas dû voir beaucoup l'université.
            Tout étudiant a droit à des cartes d'entrée pour les grands matchs de football auxquels participe son université, et il est véritablement étonnant que tant d'entre eux ne tiennent pas à assister aux grands matchs de football, même une fois en possession de leurs cartes d'entrée, surtout si un revendeur de billets comme Sam le Gonoph leur offre quelques dollars de plus que les cartes ne leur ont coûté. J'imagine que c'est parce que les types des universités se disent qu'ils auront bien le temps de voir des grands matchs de football quand ils seront vieux, tandis qu'il se passe un peu partout un tas de choses qu'ils doivent voir pendant qu'ils sont assez jeunes pour les apprécier, les Folies par exemple.
            Quoi qu'il en soit bien des étudiants se laissent convaincre quand Sam le Gonoph vient leur proposer de leur acheter leurs places. Alors Sam le Gonoph prend ces billets et les revend aux amateurs environ dix fois le prix marqué, si bien qu'à la fin Sam ne fait pas une si mauvaise affaire.
            Depuis une vingtaine d'années que je connais Sam le Gonoph, je le vois toujours occupé à revendre des billets d'une espèce ou d'une autre, tantôt pour le championnat de base-ball ou de grands matchs de boxe, quelquefois simplement pour des matchs de tennis, bien que personne n'arrive à comprendre, pas plus Sam le Gonoph qu'un autre, qu'il existe des gens qui tiennent à voir une chose comme un match de tennis.
            Pendant toutes ces années, j'ai vu Sam se faufiler parmi les foules qui se pressent à ces grands événements sportifs, ou parcourir les trains spéciaux afin d'acheter ou de vendre des billets, mais je n'ai jamais entendu dire que Sam ait assisté personnellement à aucun de ces événements, sauf peut-être à une partie de base-ball ou à un match de boxe, car Sam ne s'intéresse à ses billets que pour le profit qu'il peut en tirer.                                                                                     harvard.edu 
            C'est un petit type trapu et noir avec un blair monumental, toujours en nage, même les jours les plus froids. Il vient du quartier d'Essex Street dans le bas d'East Side. De plus l'équipe de Sam le Gonoph est généralement composée de types du quartier d'East Side car, depuis que Sam s'occupe de ce genre d'affaires il a gagné beaucoup de pognon, il a développé son commerce et il a besoin d'un tas d'auxiliaires pour écouler en vitesse les tickets d'entrée à ces diverses réunions sportives.
            Quand Sam le Gonoph était plus jeune, les flics le considéraient comme un type d'un abord dangereux........... Quoi qu'il en soit, le lendemain matin je rejoins Sam le Gonoph et son équipe au guichet des renseignements de la gare de Grand Central, et voilà comme il se fait que je me trouve à New Haven le jour du grand match de football entre Harvard et Yale.
            Pour un match comme celui-ci Sam a amené ses meilleurs auxiliaires......, mais à regarder ces types-là, on ne les prend jamais pour le gratin des revendeurs de billets. Tout ce qu'on pourrait dire c'est que c'est une bande de types qu'on n'aimerait pas à rencontrer dans une petite rue sombre. Mais le métier de revendeur de billets est un dur métier et il ne serait pas de bonne politique d'y employer des tapettes.
            Or, pendant que nous essayons de revendre ces billets près de la grande porte du Stade de Yale, je remarque une jolie petite gonzesse de seize ou dix-sept ans, plantée là et qui scrute attentivement la foule. Il est facile de voir qu'elle attend quelqu'un, comme font souvent les poules aux matchs de football. Mais je remarque également qu'à mesure que la foule s'écoule et que l'heure du match approche, la petite donne des signes d'inquiétude. Elle ne tarde pas à avoir les larmes aux yeux, et s'il y a une chose que je ne puis souffrir, c'est bien de voir une gonzesse avec les larmes aux yeux.
            Alors finalement je vais vers elle et je lui dis :
            - Qu'est-ce qu'il y a donc comme cela, petite mademoiselle ?
            - Oh, dit-elle, j'attends Elliot. Il doit arriver de New York et me rejoindre ici pour m'emmener au match, mais il n'est pas encore là et je crains qu'il ne lui soit arrivé quelque chose. De plus, dit-elle, et ses larmes deviennent de plus en plus grosses, j'ai peur de rater le match, car c'est lui qui a mon billet.
            - Mais, dis-je, c'est bien simple, je vais vous vendre un billet pour dix dollars, et si je vous le laisse à si bon compte c'est parce que le match va commencer à l'instant et que le marché est en baisse.    pinterest.fr
Les 31 meilleures images du tableau L'UNIVERSITE DE ...            - C'est que, fait-elle, je n'ai pas dix dollars. Il ne me reste que quinze cents dans mon sac, ce qui m'ennuie beaucoup, car je me demande ce que je vais devenir si Elliot n'arrive pas.Voyez-vous, dit-elle, je viens de l'école de Miss Peevy, à Worcester, et je n'avais que juste de quoi payer mon chemin de fer jusqu'ici et, naturellement, je ne pouvais pas demander à Miss Peevy de me prêter de l'argent parce que je ne voulais pas qu'elle sache que j'avais l'intention de partir.
            Tout cela, bien entendu, me fait l'effet, au premier abord du récit que n'importe quelle gonzesse peut faire de ses malheurs. Je m'en vais donc à mes affaires, car je me dis qu'elle ne va pas tarder à me faire payer son billet d'entrée ou son chemin de fer pour retourner à Worcester, bien que la plupart du temps ce soit à San Francisco qu'habitent les poules qui racontent leurs malheurs.
            Mais celle-ci n'a pas changé de place. Je m'aperçois que maintenant elle pleure tant et plus et je commence à me dire qu'elle est la petite poule la plus mignonne que j'aie jamais vue, quoique trop jeunette pour qu'on la prenne au sérieux. En outre je commence à penser que ce qu'elle raconte est peut-être la vérité.
            Maintenant la foule presque tout entière a pénétré dans le stade. Il n'y a plus dehors que quelques flics et les vendeurs de toute espèce de choses et un grand brouhaha s'élève de l'intérieur, quand Sam le Gonoph arrive et nous dit :
             - Qu'est-ce que vous pensez de cela ? Il me reste sept billets sur les bras et les types du patelin ne veulent même pas me les prendre au prix marqué, alors que je les ai payés trois dollars de plus chacun. Eh bien ! dit Sam, je ne vais certainement pas les vendre au-dessous du prix marqué quand même je devrais les avaler. Si nous nous en servions nous-mêmes pour aller voir le match ? En ce qui me concerne, ajoute Sam le Gonoph, voilà longtemps que j'ai envie d'assister à un de ces grands matches afin de savoir ce qui fait que ces imbéciles tiennent à payer si cher leurs billets.
             C'est une idée qui a l'air de frapper tout le monde, y compris moi-même, comme une inspiration, car nous autres non plus n'avons jamais vu un grand match de football.Nous nous dirigeons donc vers l'entrée, et au moment où nous passons devant la petite gonzesse qui pleure toujours, je dis à Sam le Gonoph :
            - Écoute Sam, il te reste sept billets, nous ne sommes que six et voici une poule à qui son type a posé un lapin et qui n'a ni billet, ni fric pour s'en payer un, si nous l'emmenions avec nous ?
            Sam le Gonoph accepte, les autres ne font pas d'objection, je m'approche donc de la petite gonzesse et je l'invite à nous accompagner. Immédiatement elle cesse de pleurer et nous fait risette en nous disant que nous sommes bien gentils... Elle adresse son plus beau sourire à Sam le Gonoph qui déclare sur-le-champ qu'elle est tout à fait mignonne, puis elle adresse au vieux Lèvre en Foie un sourire encore plus beau. Elle fait plus encore : elle lui prend le bras et se dirige avec lui vers le stade, ce qui fait que le vieux Lèvre en Foie a l'air, non seulement tout épaté, mais encore tout guilleret, au point qu'il se requinque et s'avance fièrement, lui qui d'habitude n'est plus un type à faire le moins du monde attention aux gonzesses jeunes ou vieilles.
            Mais, tout en marchant au bras du vieux Lièvre en Foie, la petite poule cause très amicalement avec nous de la rue du Sud et, au bout d'un moment, on dirait, à nous voir, que nous sommes tous ses oncles. Pourtant, sans aucun doute, si cette petite savait avec qui elle se trouve, il y a des chances qu'elle tombe en pâmoison.
            N'importe qui peut se rendre compte qu'elle a une bien faible expérience de ce vieux monde pervers et qu'elle est même un peu écervelée, car elle jabote à tort et à travers et nous raconte ingénument ses petites affaires. Avant même que nous soyons arrivés au stade, elle nous confie qu'elle s'est sauvée de l'école de Miss Peevy pour épouser cet Elliot et elle déclare qu'ils ont l'intention d'aller se marier à Hartford. Elle dit même qu'Elliot voulait aller à Hartford et être marié avant le match.
            " - Mais, ajoute-t-elle, mon frère joue aujourd'hui comme remplaçant dans l'équipe de Yale et je ne puis songer à me marier avec qui que ce soit avant de l'avoir vu jouer, bien que je sois très éprise d'Elliot. C'est un danseur épatant, dit-elle, et très sentimental. J'ai fait sa connaissance à Atlantic City l'été dernier. En ce moment nous faisons une fugue car mon papa ne gobe pas du tout Elliot. Pour mieux dire, il ne peut pas le sentir, bien qu'il ne l'ait vu qu'une seule fois, et c'est justement parce qu'il le déteste qu'il m'a mise dans l'école de Miss Peevy à Worcester. C'est une vieille chipie. Ne trouvez-vous pas que papa est absurde ? "
            Nous n'avons, comme bien on pense, aucune opinion des choses comme cela, mais le vieux Lièvre en Foie déclare à la petite gonzesse qu'il est complètement de son avis et, quelques instants plus tard, nous nous trouvons assis dans le stade à des places de premier ordre. Nous somme paraît-il du côté des types de Harvard, mais je ne m'en serais jamais douté si la petite ne nous l'avait dit.
            Elle a l'air très calée sur tout ce qui touche au football et, à peine sommes-nous assis, qu'elle s'efforce de nous montrer son frère qui joue comme remplaçant dans l'équipe de Yale. C'est dit-elle, le cinquième d'un groupe de types assis sur un banc tout enveloppés de couvertures, à l'autre bout du terrain. Mais, d'où nous sommes nous ne pouvons pas le distinguer très bien et, en tout cas, il ne semble pas avoir dans le match un rôle très important.
La Peinture Abstraite Du Sport Tape Le Football, Tennis ...            Donc, à ce qu'il paraît, nous sommes au beau milieu des types de Harvard. Ils font un potin de tous les diables, hurlent, chantent et se démènent, car le match a commencé au moment où nous arrivons, et Harvard est en train de bousculer les types de Yale de la belle façon. C'est pourquoi notre petite gonzesse fait connaître à tout le monde que ses sympathies sont pour ceux de Yale et qu'elle s'époumone à crier : " Tiens bon, Yale ! "
            En ce qui me concerne, il m'est impossible de dire à première vue quels sont ceux de Harvard et quels sont ceux de Yale. Sam le Gonoph et les autres n'en savent pas plus long que moi, mais la petite nous explique que ceux de Harvard ont des maillots rouges et ceux de Yale des maillots bleus, et quelques instants après nous commençons à crier, nous aussi : " Tiens bon, Yale ! " Mais cela n'est, bien sûr, que pour faire plaisir à notre petite gonzesse qui veut à toute force que Yale tienne bon, parce que, quant à nous, nous nous fichons autant des uns que des autres.
            Or, on dirait que cela porte sur les nerfs des types de Harvard qui nous entourent d'avoir parmi eux un groupe de types et une petite gonzesse qui crient à ceux de Yale de tenir bon, quoique n'importe lequel d'entre eux soit forcé de convenir que c'est là donner à Yale un excellent conseil, et quelques-uns des types de Harvard commencera à proférer des appréciations désobligeantes spécialement à l'adresse de notre petite gonzesse. Ils sont probablement jaloux qu'elle crie plus fort qu'eux, car il y a une chose que je puis vous confier, c'est qu'elle est capable de gueuler plus fort que n'importe quel homme ou femme qu'il m'ait jamais été donné d'entendre.
            Deux types de Harvard assis devant le vieux Lèvre en Foie se mettent à imiter la voix de notre petite poule, ce qui fait tordre de rire ceux qui sont autour d'eux. Mais, tout à coup, ces types quittent précipitamment leurs places et décampent en vitesse, tout pâles, et je me figure qu'ils se sentent indisposés tous deux en même temps. Mais sur ces entrefaites, j'apprends que le vieux Lèvre en Foie a tiré de sa poche un énorme lingue, l'a ouvert, et leur a déclaré confidentiellement qu'il allait leur couper les oreilles.
            Loin de moi, certes, l'idée de blâmer les types de Harvard de s'être débinés à toute vitesse, car Lèvre en Foie a bien la tête d'un type pour qui couper les oreilles doit être un véritable plaisir. D'autre part, Nubbsy Taylor et tous les autres commencent à échanger de tels coups d'oeil avec les types de Harvard qui nous entourent et font des réflexions désobligeantes sur notre petite poule qu'instantanément règne dans notre voisinage un silence de mort, sauf en ce qui concerne notre petite gonzesse qui continue à crier tant qu'elle peut : " Tiens bon, Yale ! " A ce moment, voyez-vous, nous sommes tous toqués de notre petite gonzesse. Elle est si mignonne, si pleine d'entrain ! Et nous ne voulons pas que qui que ce soit se permette de faire sur elle des remarques malsonnantes, ni surtout sur nous.
            Nous sommes tellement toqués d'elle que, lorsqu'elle dit qu'elle a un peu froid, Louie et Nubbsy se faufilent parmi les types de Harvard et reviennent avec quatre couvertures de voyage, six cache-nez, deux paires de gants et une bouteille thermos remplie de café bien chaud, tout cela pour elle. Louie ajoute que si elle a envie d'un manteau de vison elle n'a qu'un mot à dire. Mais elle en a déjà un. De plus, il lui apporte un gros bouquet de fleurs rouges qu'il a cueillis sur une gonzesse qui est avec un des types de Harvard, et il est très déçu quand notre petite poule lui dit que ce n'est pas sa couleur préférée.
            Enfin, le match se termine, et il ne me laisse pas un souvenir très précis, quoique sur ces entrefaites j'apprenne que John, le frère de notre petite gonzesse, a joué comme remplaçant dans l'équipe de Yale, et qu'il a fort bien joué. Mais il paraît que c'est Harvard qui a gagné. Notre petite gonzesse en est tout affligée et elle reste là, assise à regarder le terrain, rempli maintenant de types qui dansent comme s'ils étaient devenus subitement fous, et ce sont vraisemblablement des types de Harvard, car ceux de Yale n'ont, en vérité, aucune raison de danser.                 
            Tout à coup notre petite poule regarde vers l'une des extrémités du terrain et elle s'écrie :
            - Oh ! Ils vont prendre nos poteaux !                                                          galerie-creation.com
            Il y a en effet à ce bout de terrain un tas de types de Harvard rassemblés autour des buts et qui s'efforcent d'arracher les poteaux, lesquels n'ont pas l'air de s'en porter plus mal. Personnellement je ne donnerais pas dix ronds de ces piquets-là mais, plus tard, un type de Yale m'a dit que quand une équipe de foot gagne un match, il est admis que les types de cette université emportent les buts des autres. Mais il n'a pas pu me dire à quoi servaient ces poteaux une fois en leur possession, et cela restera toujours pour moi un mystère.
            Quoi qu'il en soit, tandis que nous regardons ce qui se passe autour des buts, notre petite gonzesse nous dit de la suivre, elle se lève précipitamment, dégringole quatre à quatre les gradins, se met à courir à travers le terrain, pénètre dans le groupe qui entoure les buts avec, cela va sans dire, nous autres à sa suite. Elle réussit, je ne sais comment, à se frayer un passage à travers les types de Harvard qui sont là et, en un clin d'oeil, elle grimpe comme un écureuil à l'un des poteaux et se trouve perchée à califourchon sur la traverse qui relie les deux.
            Elle se figurait, nous a-t-elle expliqué plus tard, que les types de Harvard ne seraient pas assez mufles pour abattre les poteaux avec une dame perchée dessus, mais il faut croire que les types de Harvard ne sont pas galants, car ils continuent à tirer, et notre petite gonzesse se balance en même temps que les poteaux. Naturellement elle ne risque pas de se faire de mal car, si elle tombe, ce sera certainement sur la tête des types de Harvard et, à mon avis, la tête des types qui passent leur temps à tirer sur des piquets doit être assez ramollie pour amortir la chute la plus sérieuse.
            Nous voilà maintenant arrivés au pied des buts, Sam le Gonoph, le vieux Lèvre en Foie, Nubbsy Taylor, Benny de la rue du Sud et moi,  et notre petite gonzesse ne nous a pas plutôt aperçus du haut de son perchoir qu'elle nous crie :
            - Ne les laissez pas prendre nos poteaux !
            A ce moment, l'un des types de Harvard qui me fait l'effet d'avoir deux mètres cinquante de haut, allonge le bras par-dessus cinq ou six autres types et me décroche au menton un coup qui m'envoie dinguer à une telle distance que, quand je me relève, je suis assez loin du groupe pour assister en spectateur à ce qui se passe.
            On me dit plus tard que le type m'a sans doute pris pour un de ceux de Yale qui venaient au secours des poteaux, mais je dois dire que je conserverai toujours une très fâcheuse opinion des gars des universités, car je me souviens que, pendant que je volais en l'air et que je ne pouvais me défendre, deux autres types m'ont frappé.
            Sur ces entrefaites, Sam le Gonoph et les autres réussissent, je ne sais comment, à se faufiler à travers la foule jusqu'auprès des buts, et notre petite gonzesse est très contente de les voir arriver, parce que maintenant, les types de Harvard font balancer tant et plus son perchoir et que les poteaux menacent de tomber d'une minute à l'autre.
            Comme de juste Sam le Gonoph ne tient pas à avoir des histoires avec ces particuliers et il tente de s'adresser courtoisement aux types qui tirent sur les piquets :
            - Écoutez, dit Sam, cette petite gonzesse qui est là ne veut pas que vous preniez ces poteaux.
             Il est possible qu'au milieu du brouhaha ils n'entendent pas les paroles de Sam, ou que, s'ils les entendent, ils ne veuillent pas en tenir en compte car, d'un coup de poing, un des types de Harvard enfonce le chapeau de Sam jusqu'au-dessous de l'oreille gauche du vieux Lèvre en Foie, tandis que d'autres houspillent violemment les autres.
            - Très bien, dit Sam le Gonoph, dès qu'il peut retirer son chapeau de sur ses yeux, très bien messieurs, si c'est comme cela que vous voulez jouer. Et maintenant, les gars, à l'assaut !
            Alors, Sam le Gonoph et les autres se ruent à l'assaut, et non seulement avec leurs poings, mais avec quelque chose dans leurs poings, car ils sont ingénieux quand il s'agit de se battre, et chacun d'eux a dans sa poche de quoi tenir dans ses poings au cas où il aurait à se battre, ne serait-ce, par exemple, qu'un rouleau bien serré de pièces de cinq sous.
            En plus de cela ils jouent de la godasse et envoient des coups de pied dans le ventre des types quand ils ne réussissent pas à leur flanquer un gnon dans le menton. Le vieux Lèvre en Foie se sert également de sa tête avec succès. Il empoigne les types par le revers de leur veston et les attire à lui pour leur appliquer un coup de tête entre les deux yeux, et je dois avouer que la caboche du vieux Lèvre en Foie est, en toute circonstance, une arme fort dangereuse.
 *         Autour d'eux, le sol est bientôt jonché de types de Harvard et il y aussi, paraît-il, des types de Yale dans la collection, quelques types de Yale qui ont pris Sam le Gonoph et son équipe pour d'autres types de Yale en train de défendre leur poteaux et qui ont voulu venir à leur secours. Mais naturellement Sam le Gonoph et son équipe ne peuvent pas faire la distinction entre ceux de Yale et ceux de Harvard. Ils n'ont pas le temps de les identifier et ils cognent indistinctement sur tous ceux qui se présentent. Pendant tout ce temps notre petite gonzesse est assise sur sa traverse et hurle des encouragements à Sam et ses types.
            Mais il se trouve que les types de Harvard ne sont pas des nouilles dans une peignée de ce genre et, à mesure qu'ils dégringolent, ils se relèvent et retournent se battre et, si au début Sam le Gonoph et les autres ont l'avantage grâce à leur vieille expérience, les types de Harvard ont pour eux leur jeunesse.
            Au bout d'un moment ce sont les types de Harvard qui abattent pour commencer Sam le Gonoph et en quelques minutes les autres, et c'est tellement rigolo que les types de Harvard ne pensent plus du tout aux poteaux. Naturellement, à mesure que Sam le Gonoph et ceux de son équipe sont abattus, ils se relèvent, mais ceux de Harvard sont trop nombreux et sont en train de leur administrer une raclée épouvantable, lorsque le type de deux mètres cinquante qui m'a envoyé dinguer et qui flanque Sam le Gonoph par terre si souvent que le dit Sam commence à la trouver mauvaise, dit tout à coup :
            - Écoutez, même si ce sont des types de Yale, ce sont de fameux types. Cessons de cogner dessus et accordons-leur un hourra !
            Alors les types de Harvard envoient par terre encore une fois tous nos types, puis se rassemblent et crient à tue-tête :
            - Rah-rah-rah ! et s'en vont, laissant les poteaux debout avec notre petite gonzesse toujours assise sur la traverse.
            Mais j'ai appris plus tard que les types de Harvard qui n'avaient pas pris part à la peignée se sont emparés des poteaux qui étaient à l'autre bout du terrain et les ont emportés avec eux. Toutefois j'ai toujours déclaré que ces poteaux-là ne comptaient pas.
            Cependant, assis par terre, trop amoché pour se relever de sa dernière chute, la main sur son oeil droit complètement fermé, Sam le Gonoph est assez mal en point, et tout autour de lui il y a dans son équipe bien des éclopés. Mais notre petite gonzesse sautille en bavardant comme une pie entre le vieux Lèvre en Foie appuyé contre un des poteaux et Nubbsy Taylor appuyé contre l'autre, et elle fait ce qu'elle peut pour essuyer, avec un mouchoir de la dimension d'un timbre poste, le sang qui leur coule sur la figure.
            Deux de notre équipe geignent encore de leur dernière chute, et le stade est maintenant désert, à l'exception des journalistes, là-haut dans la tribune de la presse, qui ne semblent pas se rendre compte que le plus grand combat du siècle vient de se livrer sous leurs yeux. Il commence à faire sombre et, tout à coup, surgit du crépuscule un type en guêtres blanches avec un pardessus à col de fourrure, et se précipite vers notre petite gonzesse.
            - Clarice, dit-il, je te cherche partout. Mon train a été arrêté par un accident de l'autre côté de Bridgeport et je suis arrivé ici juste à la fin du match. Mais je pensais bien que tu devais être quelque part à m'attendre. Dépêchons-nous de partir pour Hartford, chérie.
            Mais en entendant cette voix Sam le Gonoph ouvre son bon oeil et jette un regard sur le type. Puis, tout à coup, bondit sur ses pieds, s'approche du type en titubant et lui envoie un coup de poing entre les deux yeux. Sam est encore un peu chancelant et ses jambes un peu vacillantes de la pile que lui ont flanquée les types de Harvard, si bien qu'il manque son coup, car le type s'abat seulement sur les genoux et se relève immédiatement tandis que notre petite gonzesse s'écrie :
            - Oh, ne faites pas de mal à Elliot ! Il n'en veut pas à nos poteaux !
            - Elliot ? fait Sam le Gonoph. Mais ce n'est pas Elliot. Celui-ci n'est autre que Georgie le Gigolo. Je le reconnais à ses guêtres blanches, dit Sam. Et maintenant je vais prendre ma revanche de la volée que m'ont administrée les types de Harvard.
            Ce disant il envoie un nouveau marron au type, et cette fois-ci, le coup semble un peu mieux appliqué, car le type s'en va par terre et Sam le Gonoph commence à lui travailler les côtes à coups de pied, bien que notre petite gonzesse continue à crier en suppliant Sam de ne pas faire de mal à Elliot. Comme de juste, nous autres nous savons bien que ce n'est pas Elliot, mais tout simplement Georgie le Gigolo. Et nous nous disons que nous pouvons bien nous aussi tanner le cuir de Georgie. Mais, à peine nous approchons-nous de lui que subitement il se tortille, se met précipitamment sur ses pattes et détale à toutes jambes à travers le terrain. Tout ce que nous apercevons de lui ce sont ses guêtres.blanches qui disparaissent par l'une des portes.
            A ce moment deux autres types sortent de l'ombre. L'un d'eux est un grand type très distingué, avec une moustache blanche. N'importe qui peut se rendre compte que ce n'est pas le premier venu. Et voici que notre petite gonzesse se précipite droit dans ses bras, l'embrasse sur ses moustaches blanches en l'appelant papa, et se met à pleurer tant et plus, ce qui me fait penser que nous n'allons pas tarder à perdre notre petite gonzesse. Alors le type à moustaches blanches va vers Sam le Gonoph et lui tend la main en disant :
            - Monsieur, accordez-moi l'honneur de serrer la main qui m'a rendu le signalé service de corriger le gredin qui vient de s'enfuir d'ici. Et, dit-il, permettez-moi de me présenter. Je suis J. Hildreth Van Cleve, directeur de la Compagnie Van Cleve. Miss Peevy m'a prévenu de bonne heure aujourd'hui que ma fille avait quitté précipitamment l'école et nous avons été informés qu'elle avait pris un billet pour New Haven. J'ai immédiatement soupçonné que cet individu y était pour quelque chose. Heureusement, depuis quelque temps, je le fais filer par des détectives privés, car je n'ignore pas que ma fille s'est toquée de lui, comme une petite collégienne qu'elle est, nous avons donc pu le suivre facilement jusqu'ici. Nous étions dans le même train que lui, et nous sommes arrivés juste à temps pour assister à la dernière scène de la petite pièce que vous venez de lui jouer. Encore une fois, monsieur, merci.
            - Je vous connais de réputation, Mr. Van Cleve, répond Sam le Gonoph. Vous êtes le Van Cleve qui en est réduit à ses quarante derniers millions. Mais, ajoute-t-il, ne me remerciez pas d'avoir flanqué une raclée à Georgie le Gigolo. C'est un propre à rien, et je suis désolé qu'il est réussi à duper, même une minute, votre gentille petite gosse. Bien que, ajoute Sam, elle soit à mon avis plus bébète qu'elle n'en a l'air si elle s'est laissé duper par un type comme Georgie le Gigolo.
            - Je le déteste, s'écrie la petite gonzesse. Je le déteste parce que c'est un capon. Quand il a reçu un coup il ne se relève pas pour retourner se battre encore, comme vous. Lèvre en Foie et les autres. Je ne veux plus jamais le revoir.                                                                  pinterest.fr     
            - Vous en faites pas, dit Sam le Gonoph, je serai trop près de Georgie dès que je serai remis de mes cabochons pour qu'il reste longtemps dans ce coin du pays.
            Sur ces entrefaites une année se passe sans que j'aperçoive Sam le Gonoph, ni aucun autre de l'équipe. Puis l'automne revient et un jour je me dis par hasard que c'est vendredi et que le lendemain les types de Yale vont jouer contre ceux de Harvard dans un grand match de football à Boston.
            Je me dis aussi que c'est pour moi une bonne occasion de me joindre de nouveau à Sam le Gonoph et d'aller à ce match revendre des billets pour son compte. Je sais qu'il partira vers minuit avec son équipe. Je m'en vais donc à cette heure-là à la gare du Grand Central et, au bout d'un moment, le voilà qui arrive en se frayant un passage à travers la foule avec Nubbsy Taylor et les autres derrière lui. Ils ont tous l'air d'être très agités.
            - Eh bien, Sam ! lui dis-je en m'empressant de le suivre, me voilà tout disposé à revendre des billets pour toi cette fois encore, et j'espère que nous allons faire de bonnes affaires.
            - Des billets ! fait Sam le Gonoph. Cette fois-ci nous ne revendons pas de billets, mais ça ne t'empêchera pas de venir avec nous. Nous allons à Boston, dit-il, pour encourager l'équipe de Yale à écrabouiller ceux de Harvard, et nous y allons comme invités personnels de Miss Clarice Van Cleve et de son vieux.
            - Tiens bon Yale ! dit le vieux Lèvre en Foie en me poussant de côté, tandis que toute la bande passe en trottant la barrière pour aller prendre le train. C'est alors que je m'aperçois qu'ils ont tous à leur chapeau une plume bleue avec un petit Y dessus, comme font toujours les types des universités pour les matchs de football, et qu'en outre, Sam le Gonoph emporte un fanion de Yale.

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                                                      Runyon

                                                                      ( in Nocturnes dans Broadway )
            

jeudi 12 septembre 2019

My absolute darling Gabriel Tallent ( Roman Etats Unis )


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                                                My absolute darling

            Mendocino, nord de la Californie. De la maison près de l'océan et à l'orée de la forêt, Julie, Turtle pour les proches et Croquette pour son père, attend le car scolaire avec son père, ce qu'elle préfèrerait éviter, mais il refuse et la conduit jusqu'au bout du chemin après leur petit déjeuner, une bière sortie du frigo qu'elle lui lance, et elle des oeufs qu'elle gobe crus. La maison est vétuste, Turtle porte un manteau trop grand, de lourdes chaussures. Est-elle laide, jolie, on ne sait trop, elle a 13, 14 ans, retient difficilement les explications du professeur, Anna qui, pourtant a de la sympathie pour la petite sauvageonne. Mais des doutes sur l'environnement de son élève que beaucoup partagent sans preuve, et Turtle poursuit une vie extrascolaire très occupée. Son père lui a appris le maniement des armes qu'il possède en grand nombre. Excellente tireuse il l'oblige à s'exercer sur des objets sur des portes. Dans la maison vivent araignées, un furet noir et autres, en paix, presque. Sa mère morte de façon assez mystérieuse, noyée sans doute, elle n'a pour toute famille que son grand-père qui vit dans un mobil-home de l'autre côté de la route au milieu des framboisiers, nourri de pizza et d'alcool. Ancien militaire, il a tué beaucoup, en Corée, au Vietnam. Turtle et le vieil homme s'entendent bien et ce dernier voudrait sortir sa petite-fille de la situation qu'il a perçue, comme d'autres. Martin est fort, de carrure impressionnante, de caractère. Il est écologiste et détaille les méfaits habituels aux écologistes extrêmes. Un jour lors de ses pérégrinations aventureuses sans but et sans chaussures mais avec son fusil toujours, Turtle croise Bret et Jacob, partis explorer la nature. Ils perdent le sentier, rencontrent un homme qui leur vend quelques " bourgeons " qu'il effrite pour 20 dollars, mais Bio, précise l'homme. Voyant les garçons perdus sous la pluie, elle s'approche et ils camperont sous un tronc de séquoia. Cet épisode de la vie des trois adolescents marque le début d'une période délicate. Martin est jaloux, férocement jaloux. Le traitement qu'il fait subir à Croquette est inacceptable. Mais Turtle ne connaît que lui, et soumise, reçoit brimades puis la couche. L'histoire cruelle qui peut finir en tuerie est entrecoupée de grands détails sur la nature. Martin lit beaucoup, les philosophes et le grand-père dit à Turtle : " Quand une petite puce connaît le nom d'une chose, elle pense tout savoir à son sujet, et elle ne regarde plus. Mais un nom ne veut rien dire, et affirmer que tu connais le nom de quelque chose revient à avouer que tu ne sais rien........ Les noms ne sont que des pièges pour t'aider à t'en souvenir........ " La dernière partie du livre est un western, sans chevaux mais avec des armes. Les personnages sont extrêmes, même ceux qui restent hors de portée de la folie ravageuse de Martin. L'océan Pacifique engloutira-t-il Turtle et Jacob isolés sur une île-rocher lors de grande marée, mais la lune est là et le soleil les réchauffe. Il fallut sept ans à l'auteur, Gabriel Tallent pour écrire ce beau, sauvage et premier livre. Du calme, de la vie heureuse d'une famille enrichie grâce à la Silicon Valley, à la brutalité sans limite de Martin, des orages et une végétation encore vivante, peut-être faut-il un dico tant les bruissements appartiennent à des espèces peu connues. Très très beau livre, surprenant au début puis on ne s'arrête plus.