dimanche 3 octobre 2021

Magnétisme Maupassant ( Nouvelles France )

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                                                    Magnétisme

            C'était à la fin d'un dîner d'hommes, à l'heure des interminables cigares et des incessants petits verres, dans la fumée et l'engourdissement chaud des digestions, dans le léger trouble des têtes après tant de viandes et de liqueurs absorbées et mêlées.
            On vint à parler du magnétisme, des tours de Donato et des expériences du docteur Charcot. Soudan ces hommes sceptiques, aimables, indifférents à toute religion, se mirent à raconter des faits étranges, des histoires incroyables, mais arrivées, affirmaient-ils, retombant brusquement en des croyances superstitieuses, se cramponnant à ce dernier reste de merveilleux, devenus dévots à ce mystère du magnétisme, le défendant au nom de la science.
             Un seul souriait, un vigoureux garçon, grand coureur de filles et chasseur de femmes, chez qui une in croyance à tout s'était ancrée si fortement qu'il n'admettait même point la discussion.
             Il répétait en ricanant :
             " - Des blagues ! Des blagues ! des blagues ! Nous ne discuterons pas Donato qui est tout simplement un très malin faiseur de tours. Quant à Mr Charcot, qu'on dit être un remarquable savant, il me fait l'effet de ces conteurs dans le genre d'Edgar Poe qui finissent par devenir fous à force de réfléchir à d'étranges cas de folie.  Il a constaté des phénomènes nerveux inexpliqués et encore inexplicables, il marche dans cet inconnu qu'on explore chaque jour, et ne pouvant toujours comprendre ce qu'il voit. Il se souvient trop peut-être des explications ecclésiastiques des mystères. Et puis je voudrais l'entendre parler, ce serait tout autre chose que ce que vous répétez. "
            Il y eut autour de l'incrédulité une sorte de mouvement de pitié, comme s'il avait blaspheme dans une assemblée de moines.
            Un de ces messieurs s'écria :
            " - Il y a eu pourtant des miracles autrefois. "
            Mais l'autre répondit :
              " - Je le nie. Pourquoi n'y en aurait-il plus ? "
              Alors chacun apporta un fait, des pressentiments fantastiques, des communications d'âmes à travers de longs espaces, des influences secrètes d'un être sur un autre. Et on affirmait, on déclarait les faits indiscutables, tandis que le nieur acharné répétait :
             " - Des blagues ! des blagues ! des blagues ! "
            A la fin il se leva, jeta son cigare, et les mains dans les poches :

            " - Eh bien, moi aussi, je vais vous raconter deux histoires, et puis je vous les expliquerai. Les voici :                                                                                                                                               

            Dans le petit village d'Etretat les hommes,  tous matelots, vont chaque année au banc de Terre Neuve pêcher la morue. Or, une nuit l'enfant d'un de ces marins se réveilla en sursaut en criant que son " pé était mort à la mé ". On calma le mioche, qui se réveilla de nouveau en hurlant que son " pé était    *  neye ".
            Un mois après, on apprenait en effet la mort du père enlevé du pont par un coup de mer. La veuve se rappela les revels de l'enfant. On cria au miracle, tout le mode s'émut, on rapprocha les dates, et il se trouva que l'accident et le rêve avaient coïncidé à peu près ; d'où l'on conclut qu'ils étaient arrivés la même nuit, à la même heure.  Et voilà un mystère du magnétisme.

             Le conteur s'interrompit. Alors un des auditeurs,  fort ému, demanda :
             " - Et vous expliquez ça, vous ?                                                              
             - Parfaitement, Monsieur, j'ai trouvé le secret. Le fait m'avait surpris et même vivement embarrassé ; mais moi, voyez vous, je ne crois pas par principe. De même que d'autres commencent par croire, je commence par douter ; et quand je ne comprends nullement, je continue à nier toute communication télépathique des âmes, sûr que ma pénétration seule est suffisante. Eh bien, j'ai cherché, cherché, et j'ai fini, à force d'interroger toutes les femmes des matelots absents, par me convaincre qu'il ne se passait pas huit jours sans que l'une d'elles ou l'un des enfants rêvât et annonçât à son réveil que le" pé était mort à la mé. " La crainte horrible et constante de cet accident fait qu'ils en parlent toujours, y pensent sans cesse. Or, si une de ces fréquentes prédictions coïncide, par un hasard très simple, avec une mort, on crie aussitôt au miracle, car on oublie soudain tous les autres songes, tous les autres présages, toutes les autres prophéties de malheur, demeurés sans confirmation. J'en ai pour ma part considéré plus de cinquante dont les auteurs, huit jours plus tard, ne se souvenaient même plus. Mais, si l'homme, en effet, était mort, la mémoire se serait immédiatement réveillée, et l'on aurait célébré l'intervention de Dieu selon les uns, du magnétisme selon les autres. "
            Un des fumeurs déclara :
            " - C'est assez juste, ce que vous dites là, mais voyons votre seconde histoire.
               - Oh ! ma seconde histoire est fort délicate à raconter. C'est à moi qu'elle est arrivée, aussi je me défie un rien de ma propre appréciation. On n'est jamais équitablement juge et partie. Enfin la voici.
            J'avais, dans mes relations mondaines une jeune femme à laquelle je ne songeais nullement, que je n'avais même jamais regardée attentivement, jamais remarquée, comme on dit.
            Je la classais parmi les insignifiantes, bien qu'elle ne fût pas laide ; enfin elle me semblait avoir des yeux, un nez, une bouche, des cheveux quelconques, toutes une physionomie terne ; c'était un de ces êtres sur qui la  pensée ne semble se poser que par hasard, ne se pouvoir arrêter, sur qui le désir ne s'abat point.
            Or, un soir, comme j'écrivais des lettres au coin de mon feu avant de me mettre au lit, j'ai senti au milieu de ce dévergondage d'idées, de cette procession d'images qui vous effleurent le cerveau quand on reste quelques minutes rêvassant, la plume en lair, une sorte de petit souffle qui me passait dans l'esprit, un tout léger frisson du cœur, et immédiatement, sans raison, sans aucun enchaînement de pensées logiques, j'ai vu distinctement, vu comme si je la touchais, vu des pieds à la tête et sans un voile, cette jeune femme à qui je n'avais jamais songé  plus de trois secondes de suite, le temps que son nom me traversât la tête. Et soudain je lui découvris un tas de qualités que je n'avais point observées, un charme doux, un attrait langoureux ; elle éveilla chez moi cette sorte d'inquiétude d'amour qui vous met à la poursuite d'une femme. Mais je n'y pensai pas longtemps. Je me couchai, je m'endormis. Et je rêvai.
            Vous avez tous fait de ces rêves singuliers, n'est ce pas,  qui vous rendent maîtres de


l'impossible, qui vous ouvrent des portes infranchissables, des joies inespérées, des bras impénétrables.
            Qui de nous,  dans ces sommeils troublés, nerveux,  haletants,  n'a tenu, étreint, pétri, possédé avec une acuité de sensation extraordinaire, celle dont son esprit était occupé ? Et avez-vous remarqué quelles surhumaines délices apportent ces bonnes fortunes du rêve ! En quelles ivresses folles elles vous jettent, de quels spasmes fougueux elles vous secouent, et quelle tendresse infinie, caressante, pénétrante, elles vous enfoncent au cœur pour celle qu'on tient défaillante et chaude, en cette illusion adorable et brutale, qui semble une réalité !

            Tout cela je l'ai ressenti avec une inoubliable violence. Cette femme fut à moi, tellement à moi que la tiède douceur de sa peau me restait aux doigts, l'odeur de sa peau me restait au cerveau, le goût de ses baisers me restait aux lèvres, le son de sa voix me restait aux oreilles, le cercle de son étreinte autour des reins, et le charme ardent de sa tendresse en toute ma personne, longtemps après mon réveil exquis et décevant.
            Et trois fois en cette même nuit, le songe se renouvela.
            Le jour venu, elle m'obsédait, me possédait, me hantait la tête et les sens, à tel point que je ne restais plus une seconde sans penser à elle.
            A la fin, ne sachant que faire, je m'habillai et je l'allai voir. Dans son escalier, j'étais ému à trembler, mon cœur battait : un désir véhément m'envahissait des pieds aux cheveux.
            J'entrai. Elle se leva toute droite en entendant prononcer mon nom ; et soudain nos yeux se croisèrent avec une surprenante fixité. Je m'assis.
            Je balbutiai quelques banalités qu'elle ne semblait point écouter. Je ne savais que dire ni que faire ; alors brusquement je me jetai sur elle, la saisissant à pleins bras ; et tout mon rêve s'accomplit si vite, si facilement, si follement, que je doutai soudain d'être éveillé... Elle fut pendant deux ans ma maîtresse...
            " - Qu'en concluez-vous  ? " dit une voix.
            Le conteur semblait hésiter.
            " J'en conclus... Je conclus à une coïncidence, parbleu ! Et puis, qui sait ? C'est peut-être un regard d'elle que je n'avais point remarqué et qui m'est revenu ce soir-là par un de ces mystérieux et inconscients rappels de la mémoire qui nous représentent souvent des choses négligées par notre conscience, passées inaperçues devant notre intelligence !
            - Tout ce que vous voudrez, conclut un convive, mais si vous ne croyez pas au magnétisme après cela, vous êtes un ingrat, mon cher Monsieur ! "

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                                                Maupassant

   




vendredi 1 octobre 2021

Monaco Hélène Constanty Thierry Chavant ( Bande dessinée France )

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                                          Monaco

                      Luxe, crime et corruption

            Fragilité du luxe, des très grandes fortunes. Divorces et corruptions. 
            Auteure et dessinateur se penchent sur la vie et le petit Etat " Monaco ". Véritable enquête sur papier glacé. Surface, 2 km2, fiscalité, hauteur des immeubles, certains 40 étages, et surtout implantation de la famille Grimaldi, XIIIè sc. Après quelques différends ces derniers siècles, décennies notamment avec le Général de Gaulle qui voulut que les Français résidents de Monaco ( le titre de résident de l'Etat est très difficile à obtenir ) paient leurs impôts en France, Monaco prit son essor avec le mariage du Prince Rainier avec l'actrice américaine Grace Kelly qui amena les grosses fortunes américaines à Monaco. Yachts et appartements luxueux sont la norme pour la société habituée des bals de bienfaisance, Croix-Rouge. Mais outre la courte interview de l'actuel Prince Albert de Monaco, la journaliste présente raconte le meurtre et l'enquête de la résidante la plus riche de Monaco, héritière du fondateur de l'empire Pastore, puis les difficiles rapports et négociations entre un oligarque russe et son épouse exfiltrée à Genève et qui apprend de son avocat genevois qu'elle a droit à la moitié de la fortune de son ex-mari. Elle possède par ailleurs 30 des plus beaux tableaux, Modigliani, Van Gogh entre autres et le Salvador Mundi. Mais son mari, si habile et corrupteur qu'il dut fuir la Russie, fit placer les oeuvres d'art dans la zone franche du marchand d'art Bouvier. Bouvier qui fit un séjour en prison et ne sortit que sous caution, un million. Corruption à tous les niveaux de l'Etat monégasque. Tout cela raconté en peu de mots, c'est une BD, font ressurgir des faits divers récents. Sujets divers et intéressants. Bonne enquête, bonne BD, bonne lecture.
MB










  











jeudi 30 septembre 2021

Train bleu train noir Maurice Gouiran ( Roman Policier France )

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                                              Train bleu Train noir

            Marseille, le Beau-Bar, nous sommes chez l'auteur, Gouiran, l'Estaque, Le Palud et, la guerre, la déportation des juifs en particulier, nous sommes en 1943, l'hiver et un Train noir va emporter, via Fréjus, les malheureux entassés dans des wagons à bestiaux, vers Compiègne, Drancy puis vers l'extermination des camps de la mort, Auschwitz, Sobibor, Mauthausen et d'autres. Le visage des bourreaux qui choisissent les victimes et les lieux de leur détention pour qui résiste à l'enfer, ne s'oublient pas. Ainsi de Horst.
            Automne 1993. Un train bleu mène de Marseille à Munich un grand nombre de supporters marseillais, chantant et égrenant les dates des différents matchs qui les a conduits à cette finale :
Marseille - Milan. Beaucoup d'Italiens viennent de Marseille, leur plus récente patrie. Alors peut-être tous seront-ils gagnants. Dans ce train se trouvent aussi Jo, Bert et Miché, trois rescapés de la rafle de 1943. L'un d'eux est sûrement le plus convaincu des supporters, relisant la page sport de son quotidien alors que ses compagnons veulent aborder le sujet du vrai but de leur voyage, outre leur présence au stade, et le passage clandestin de trois révolvers cachés dans les WC. Des autres compartiments, voiture 5 six couchettes par cabine, arrivent les noms de Barthez, JPP ( Jean-Pierre Papin ), Tapie le récent patron de l'ohème ! Maxime Boli, enfin tous les noms des équipes glorieuses de ces années-là.
            Maurice Gouiran, d'un chapitre Train noir à un chapitre Train bleu, nous conte l'histoire des années noires 1943 et celle des années bleu-blanc, 1993. 50 ans les séparent. Et ils dénoncent les exactions, qui a été cruel, l'incompréhension devant de telles cruautés, ils étaient une centaine entassés dans des wagons à bestiaux qui ne pouvaient contenir qu'une quarantaine de bêtes, des femmes et des hommes meurent durant les jours de voyage. Maurice Gouiran est et se revendique libertaire, soixante-huitard. Auteur prolifique, reconnu, il est aussi mathématicien et porte un regard attentif sur les incendies qui ravagent nos forêts, mais ceci est un autre sujet. Sujet ici historique et footballistique. Très bons sujets. A vos lectures références ou pas, à lire.
MB






dimanche 26 septembre 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 148 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    1er Septembre 1665                                                                                                        

            Levé. Rendis visite à milady Penn et sa fille à la corderie avec qui j'ai déjeuné et bavardé un bon moment, puis à mon logis, chez Mr Sheldon. Rencontrai le capitaine Cocke et on dîna rapidement. A Greenwich par le fleuve en sa compagnie, bavardâmes en chemin. Bref arrêt à Greenwich, puis j'allai à Londres, à ma maison. Fis d'autres préparatifs en vue d'achever mon déménagement, ai envoyé Susan, ma servante, ainsi que divers autres biens à Woolwich, puis me rendis par le fleuve chez le duc d'Albemarle. Rentrai, tard, par le fleuve.
            Chez le duc d'Albemarle j'ai assisté à quelques-uns des interrogatoires après le récent complot dont on parle, et au sujet duquel l'émoi est à son comble. Entre autres entendis lire, en présence du duc, le texte de l'interrogatoire auquel sir Philip Howard a soumis l'un des comploteurs, où ces mots furent maintes fois répétés : " Si vous consentez à vous rallier au roi et à lui être fidèle, dit sir Philip Howard, vous serez épargnés et on vous donnera un cheval, des armes et que sais-je encore. " Et l'autre de répondre : " Oui, je jure d'être fidèle au roi. " Puis sir Philip : " Ventrebleu ! le jurez-vous, un tel ? " Et ainsi douze fois de suite, je crois, sir Philip Howard lui fit réponse de son " ventrebleu ", rhétorique habile destinée à contraindre le quaker ou l'anabaptiste à renoncer à ses convictions. Ce qui se déroula en présence de sir Philip Howard, devant le duc et vingt autres officiers qui s'en amusèrent, sans pourtant lui en faire reproche et sans que lui-même en éprouvât la moindre honte. Mais j'ai souvenir que l'interrogatoire se termina ainsi : " Un tel ( le comploteur ) les pria pour finir de ne point oublier qu'il n'avait point dit à quel point il serait fidèle. "


                                                                                                                      2 septembre

            Ecrivis ce matin à Mr Hill et Andrews des lettres d'invitation à dîner avec moi demain, puis à mon bureau, où j'eus fort à faire, puis allai dîner avec sir John Mennes, fort gaiement, à ceci près que celui-ci qui vient déjà de perdre deux chevaux de poste, morts à l'écurie, en a un troisième qui se meurt
            Me rendis à Deptford après dîner, ce dont je profitai pour andar a la casa de la gunaica de mi Minusier où je fis ce dont j'avais envie a hazer con ella et volvio. A Greenwich où j'écrivis des lettres, puis chez moi, d'assez bonne heure. 


                                                                                                                        3 septembre
                                                                                                       Jour du Seigneur
            Levé, mis mon habit de soie de couleur, fort élégant, et ma nouvelle perruque que j'ai depuis quelque temps, mais que je n'avais encore point osé porter car il y avait la peste à Westminster quand je l'ai achetée. Pour ce qui est des perruques c'est à se demander quelle sera la mode une fois l'épidémie terminée, personne n'osant acheter des cheveux de peur d'être contaminé, craignant qu'on ne les ait pris sur les crânes des pestiférés. 
            Mr Hill arriva avant l'heure de la messe, Mr Andrews ne pouvant venir car il devait recevoir la communion. A l'église où le pasteur fut diantrement ennuyeux. A la maison eus l'excellente compagnie de Mr Hill, et parlâmes musique. Je raccompagnai milady Penn et sa fille, Peg, chez elles. Ce fut fort gai. Après dîner demandai à ma femme de leur montrer ses dessins, ce qui fit enrager Peg Penn qui apprend avec le même maître, sans réussir aussi bien.
            Les quittai après dîner, et me rendis, par le fleuve, à Greenwich, où j'eus toute la peine du monde à entrer dans la ville, à cause de la maladie, car on craignait que je n'arrive de Londres. Il me fallut leur dire qui j'étais. Puis à l'église où je vis, sur le parvis, le capitaine Cocke qui attendait dans le carrosse de milord Brouncker. Il descendit et vint faire quelques pas avec moi dans le cimetière jusqu'à la fin de la messe. Parlâmes de la façon dont le royaume est mal gouverné, nul ne prenant à cœur les affaires du pays, et chacun ne voyant que son plaisir ou son profit personnels, y compris le roi qui ne songe guère qu'à ses aises. Voilà comment on laisse tout aller à vau-l'eau. 
            Ce qui nous conduisit à de telles réflexions fut la question de savoir où nous trouverions l'argent pour payer la flotte à son retour de mer, d'autant que si elle ne rencontre pas les Hollandais, voilà qui discréditera les décisions du roi, et ni le Parlement, ni le Royaume n'auront envie de débourser un liard 
            Par ailleurs, il est à craindre que l'emploi des derniers fonds n'entraîne les pires qu'en-dira-t 'on, car moins de la moitié a été consacrée à la Marine, contrairement à ce qui aurait dû être. On raconte, d'autre part, qu'à cette heure, milord le trésorier général est incapable de faire état du revenu des fouages et de ce que cela représente par an, tout comme de vérifier si cet impôt ou toute autre rentrée d'argent du Trésor est collecté comme il se doit, que les sommes devant servir à rembourser à la Cité les 200 000 £ qu'elle avait prêtées au roi avaient été dûment collectées et se trouvaient entre les mains du receveur, et ce depuis longtemps, sans que pour autant la Cité eût été payés, alors que nous sommes sur le point de lui emprunter à nouveau 4 à 500 000 £. Je crains fort qu'elle ne refuse de nous les avancer.
            L'office terminé allâmes, milord Broucker, sir John Mennes et moi à la sacristie à la demande des juges de paix, sir Thomas Biddulph, sir William Boreman et l'échevin Hooker, afin d'aviser des moyens d'enrayer la progression de la peste. Mais Seigneur ! quelle folie que celle du peuple de Londres qui s'acharne, la chose est interdite, à suivre en foule les cadavres afin de les voir mis en terre. Nous convînmes des moyens d'y mettre un terme.
            Entre autres affaires on entendit l'histoire affligeante, m'a-t-il semblé, d'un homme qui fut l'objet d'une plainte pour avoir ramené de Londres un enfant provenant d'une maison infectée. L'échevin Hooker nous dit qu'il s'agissait du fils d'un bourgeois fort industrieux de Gracious Street, sellier de son état, qui avait vu mourir tous ses enfants de la peste, et qui, dorénavant enfermé à demeure avec sa femme, et désespérant d'en réchapper, avait pour seul désir de sauver la vie de ce petit enfant. Il parvint donc à le confier tout nu aux soins d'un ami qui, après l'avoir habillé de vêtement propres et neufs, l'amena à Greenwich où, quand nous entendîmes cette histoire, il fut convenu que l'enfant serait autorisé à y être accueilli et à rester. Puis, avec milord Brouncker, chez le capitaine Cocke où nous soupâmes gaiement/
            Rentrai fort tard à Woolwich, par le fleuve, avec les pires craintes d'attraper une fièvre. Il y avait aujourd'hui la dame galante de milord Brouncker qui, à ce que je vois le suit partout, si bien qu'il est contraint de l'emmener avec lui et de lui faire une cour des plus assidues.


                                                                                                                                   4 septembre

            Ecrivis des lettres toute la matinée, entre autres à milady Carteret, c'est la première que je lui écris, afin de lui décrire l'état sanitaire de la Cité, et lui donner d'autres tristes nouvelles. Puis, après dîner, à Greenwich chez sir John Mennes où se trouvait aussi milord Brouncker. Ayant patienté au-delà de l'heure de notre rendez-vous avec les juges de paix, allâmes nous promener dans le parc avec Mrs Hammond et Turner, mangeâmes des fruits dans le verger du roi où l'on flâna. Derechef chez sir John Mennes d'où je repartis à pied, milord Bouncker m'ayant fait cadeau d'une fort belle canne. Mais j'eus grand-peur de passer dans les parages de la ferme de la combe où environ 21 personnes sont mortes de la peste et où, il y a 3 ou 4 jours j'avais vu un cadavre dans un cercueil, qu'on n'avait point encore mis en terre, au milieu d'un pré, et un veilleur posté là afin d'empêcher quiconque de quitter la ferme. La peste nous rend cruel comme des chiens.

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                                                                               5 septembre

            Levé, à pied à Greenwich, conversant avec plusieurs capitaines et autres personnes qui se plaignent de la manière dont le capitaine Teddeman conduisit l'affaire de Bergen, disant qu'il avait perdu trop de temps en négociations, alors qu'il voyait bien les Hollandais se préparer à l'attaque, qu'il aurait dû commencer par s'emparer de chacun de leurs navires, après quoi ils eussent été à sa merci.  Dans quelle mesure, c'est vrai, je l'ignore.
            La séance fut fort longue mais, faute d'argent qui nous manque cruellement, ne pûmes guère travailler. Puis chez milord Broucker dîner, où l'on s'amusa fort avec lui et sa catin. Après cela le capitaine Blount arriva dans sa nouvelle carriole montée sur ressorts, semblable à celle en osier que nous avions vue chez lui il y a quelque temps. Il a, à ce qu'il prétend, parcouru aujourd'hui bon nombre de lieues, avec un seul cheval, et dépassé tous les autres équipages et les autres chevaux, le tout fort confortablement, dit-il. Si bien qu'il me prit la curiosité d'y monter pour l'essayer. Gravîmes la colline jusqu'à la lande, roulâmes dans les nids de poule. Cette carriole me parut fort bonne, mais point aussi confortable qu'il veut bien le dire. Revînmes, puis on prit congé de milord, et me rendis au bureau en carriole. Achevai mon courrier, revins chez moi assez tôt, trouvai William Penn qui resta souper avec nous et on se divertit fort à parler de ses voyages, des humeurs des Français, etc. Puis on se quitta et, au lit.


                                                                                                                          6 septembre 1665

            Fort occupé toute la matinée à écrire des lettres à diverses personnes. Dîner, puis à Londres empaqueter d'autres affaires à emporter. Vis là les feux qu'on y faisait brûler dans la rue, comme de par la ville, sur ordre du lord-maire. Puis par le fleuve chez le duc d'Albemarle. Il y avait des feux tout au long de la Tamise et, spectacle bien étrange en plein jour, je vis près de Blankside deux ou trois enterrements qui se suivaient de très près, des pestiférés sans aucun doute et, néanmoins, chacun d'eux était accompagné d'un cortège de quarante à cinquante personnes au bas mot. Le duc fut fort aimable avec moi. Il me dit savoir de source sûre que les Hollandais n'avaient pas regagné leurs côtes immédiatement après, si bien qu'il espère que notre flotte pourra les rencontrer. Et, à ma grande joie, il me signa des billets pour les diverses sommes que j'avais eues à débourser pour le compte des affaires de Tanger, de sa seule initiale, si bien que je peux dorénavant en signer d'autres. Voilà qui me réjouit fort.
            Rentré tard par le fleuve à Woolwich. Ma femme s'était couchée, pourtant, si tard soit-il, me mis à mon courrier afin de me lever tôt et de me rendre chez Povey le lendemain. Au lit. Ma femme me demanda si j'avais trouvé une lettre à elle, qu'en effet Mary m'avait donnée l'autre jour, croyant, comme elle l'avait trouvée dans mon lit qu'elle m'appartenait, que lui a adressée un homme qui n'a pas donné son nom, et lui a professé force dévouement et que sais-je encore. Mais à la relire de plus près et au vu de sa grammaire défaillante et de sa vilaine écriture, je crus qu'elle était de son frère et la jetai. J'ai pourtant quelque inquiétude à la voir ainsi troublée, et fâchée contre Mary à ce sujet. Je décidai de ne point m'en préoccuper ce soir, et m'endormis comme si j'étais fâché. 


                                                                                                                 7 septembre

            Levé dès 5 heures redoutant fort d'attraper une fièvre, mais je n'avais guère le choix. Chaudement emmitouflé me rendis par le fleuve à la Tour où je fis chercher le bulletin hebdomadaire qui annonce 8 252 morts au total, dont 6 978 de la peste, chiffre atterrant, ce qui donne lieu de craindre que la peste a dorénavant tant de prise sur nous qu'elle va durer encore longtemps.
            A Brentford lisant en chemin Le Maraud, assez bonne pièce. Là m'attendait la voiture envoyée par Mr Povey que je trouvai chez lui prêt à y monter. Allâmes tous deux gaiement chez sir Robert Vyner à Swakeleys, demeure fort plaisante, qu'il a achetée à la femme de sir James Harrington. Il nous fit l'honneur d'une visite des lieux et nous montra, de fond en comble, le chateau et le parc, guère modernes l'un et l'autre, et dans tout ce que je vis il n'y avait point de variété et certains détails se répétaient à l'infini. Admirai sur le panneau de la Grand-Salle, placés là par sir John Harrington membre du Long Parlement, le buste du roi avec de chaque côté, celui du comte d'Essex et celui de Fairfax d'un côté, et sur l'autre face du panneau celui du pasteur de la paroisse, du maître de céans et de ses sœurs. Les chambranles des fenêtres et des portes, ainsi que toutes les cheminées de la maison, sont en marbre. Il me montra un petit valet noir qu'il eut jadis mais qui mourut de consomption et qu'il fit, une fois mort, desséché dans un four et dont le corps se trouve à présent dans une boîte. 
            Puis ce fut le dîner. Sa femme est encore jolie, ce fut jadis une très belle femme, vieille à présent, et qui lui apporta près de 100 000 £. Nul ne jouit en Angleterre de pareille opulence et, par le crédit qu'il leur consent il règne et sur le Roi et sur le Conseil privé. Il y avait à notre table une fort plaisante dame, la femme d'un négociant, qui se trouvait là comme une femme, si ce n'est la fille de Mrs Worship, nièce du docteur Clarke. Après le dîner sir Robert Vyner fit visiter son interminable galerie, fort élégante, au premier étage. Je n'avais jamais vu semblable ou plus beau mobilier. Puis Mrs Worship nous chanta trois ou quatre fort belles chansons, et fort bien, à mon grand plaisir.
            Sur quoi, après que j'eus obtenu satisfaction pour l'essentiel, sa promesse de m'accorder de l'argent, nous prîmes congé, après avoir été reçus le mieux du monde. 
            Le voyage du retour avec Povey fut fort agréable, sa présence est des plus appréciables en tout sauf en affaires, et il me parla de toutes les personnes à la Cour auxquelles je songeais ou au sujet desquelles je désirais m'enquérir. Il me montra une lettre prouvant que le roi était depuis quelque temps égrotant et fort mal en train, au dire de certains. Il était atteint de consomption et las de tout. Il me montra aussi la demeure où naquit milord Arlington, située dans un village du nom de Harlington. Il me conduisit ainsi à travers une campagne magnifique jusques à Brentford, me déposa à l'embarcadère et me dit bonsoir. M'enveloppai chaudement puis, par le fleuve, à Woolwich où j'arrivai vers une heure du matin. Ma femme et ses gens étaient tous couchés.


                                                                                                                         8 septembre

            Réveillé et me mis à parler de cette lettre avec ma femme, qui m'assure qu'elle ignore de qui elle vient, mais pense qu'elle pouvait être de son cousin Frank Moor, récemment rentré de France. Je crois, pour la vérité, qu'il n'y a pas là de quoi s'alarmer. N'ayant point le cœur à me fâcher par ces temps moroses et dans une maison qui n'est pas la mienne, mes affaires, par ailleurs, m'apportant entière satisfaction, je pris le parti d'oublier la chose, et on se réconcilia.
            Levé, plusieurs visites pour affaires. Milord Brouncker arriva bientôt, comme prévu, et nous traitâmes le cas des charpentiers de marine qui avaient récemment déserté leur chantier pendant trois jours, parce qu'on ne les avait point payés. Passâmes toute la matinée pour arriver à une heureuse issue.
            Dîner plutôt frugal, mais il s'en contenta et le trouva suffisant, d'ailleurs je n'entends point rivaliser en gastronomie avec lui, ni quiconque. Il y avait aussi le capitaine Cocke et Mr Wayth. Nous passâmes tout l'après-midi à parler de diverses affaires. Le soir, milord Brouncker apprenant que le secrétaire de Mr Ackworth, ce Hollandais qui écrit et dessine si bien, avait entrepris de recopier un état des vaisseaux et de leur rang pour le capitaine Millett, lequel faisait la cour à la maitresse de milord. On l'envoya chercher afin qu'il nous l'apportât. Il ne voulut rien savoir, disant que le registre appartenait à sa maîtresse et qu'il était chez elle. Si bien qu'il nous fallut lui demander de nous le faire parvenir. Elle insista pour l'apporter elle-même. Le registre est en effet fort beau et mérite d'être gardé à titre de curiosité. Mais il nous sembla préférable, à mon grand dam, d'en détruire toute la partie qu'il avait achevée, et lui laissâmes le reste, ce dont elle fut fâchée. Elle fit mine de n'en point pâtir, mais je pus lire dans son regard l'éclair d'une sourde rancœur. Je dois avouer que j'aurais volontiers tente de la convaincre de nous laisser l'ouvrage sans que le conseil ne le censurât pour autant trop sévèrement, mon intention étant seulement de le garder comme archive pour le bureau. Mais elle en pressentit l'issue et nous demanda de le détruire plutôt, ce qui témoignait d'une sacrée amertume.
            Milord, puis le reste de la compagnie et ensuite Mrs Williams étant partis, j'emmenai ma femme et ses gens en promenade dans les prés jusqu'à la tombée du jour puis, de retour à la maison nous chantâmes un moment puis, au lit. Me fis grand souci toute la journée au sujet de Tom, mon petit valet, à qui j'avais ordonné de se rendre à Greenwich hier, et qui n'est revenu que ce soir, par peur de la peste. Mais le voilà de retour. Il me dit qu'il avait passé la nuit dernière à Londres sur les conseils de Mr Hayter, pensant que je serais passé chez moi et l'aurais raccompagné en bateau.

                                                               
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            Levé et à pied à Greenwich où nous tînmes réunion, fîmes en grande partie la besogne que j'espérais voir faite. A midi tous invités chez milord Brouncker, dînâmes fort gaiement d'un bon pâté de venaison. Il y avait sir William Doyly venu d'Ispwich pour le service de santé, ainsi que Mr Evelyn et le capitaine Cocke. Milord invita aussi ma femme que Cocke alla chercher. Après dîner, milord et sa maîtresse insistèrent pour la raccompagner, car il pleuvait dru, chose que nous n'avions pas vue depuis longtemps.
            Quant à moi, contraint d'aller au bureau sous la pluie, à pied, je fus trempé jusqu'aux os ou presque et faillis gâter ma culotte de soie.
            La pluie n'ayant point cessé jusqu'au soir, et mes lettres terminées, je dus rester dormir chez le capitaine Cocke, et dînai en sa compagnie et celle de William Doyly et d'Evelyn. Eus avec eux une grande conversation sur la négligence de ceux qui nous gouvernent, ces grands officiers de l'Etat, en toutes matières, et en particulier en ce qui concerne l'argent. Présentement, nous gardons quelques milliers de prisonniers pour rien, à grands frais et sans qu'aucun argent soit donné pour ce faire. On en vint surtout à parler de l'incompétence de certains en affaires, car tout va à vau-l'eau
            " - A cause que, ajouta le capitaine Cocke, milord le trésorier général en prend à son aise et laisse les choses se faire toutes seules. Donnez-lui ces 8 000  £ par an et ses parties d'ombre, et il est content. Milord le chancelier, quant à lui, ne pense qu'à l'argent et à rien d'autre. Quant à milord Ashley il volerait père et mère s'il le fallait. " 
            Mais ce qui nous fit sombrer dans la pire des mélancolies, ce fut la nouvelle dont nous fit part aujourd'hui le capitaine Cocke, il nous assure qu'elle est vraie, à savoir qu'il n'y aurait pas un seul navire hollandais, bâtiments de guerre et navires marchands de la Compagnie des Indes confondus, qui ne soit rentré de Bergen sans dommage, le 3 de ce mois, dimanche dernier, ce qui nous ridiculise tous. Notre flotte est rentrée déshonorée et réclame quantité d'argent qu'on ne peut lui donner. Il faudra débarquer de nombreux matelots qui n'auront plus qu'à attraper la peste, ou resteront à bord et nous coûteront plus cher encore. Ils n'ont rien fait pour inciter le Parlement à octroyer des fonds, et le royaume n'est pas en mesure d'économiser, même s'il le souhaitait, en cette période de peste. 
            Les choses en sont arrivées au point où l'Etat court à sa ruine. Au lit, l'esprit rempli de ces sombres pensées, et bien que jamais je n'ai eu de lit aussi confortable avec un édredon, à la manière danoise, je dormis fort mal pensant, surtout, à la contrariété de milord Sandwich après son infortune en mer.


                                                                                                                           10 septembre 1665
                                                                                                            Jour du Seigneur

            Chez moi à pied, contraint et forcé car l'un de mes bateliers est tombé malade, Dieu, dans son infinie miséricorde a voulu que je ne prenne pas de barque avec eux hier car il est tombé malade samedi soir et on craint que ce ne soit la peste. Renvoyai l'autre à Londres avec son compagnon.
            Est arrivée pour moi ce matin une autre barque que j'avais envoyée chercher Mr Andrews à Blackwall. A pied à Woolwich où je retrouvai Mr Hill. Passâmes toute la matinée à faire de la musique et à travailler une chanson qu'il a composée pour trois voix, fort belle à mon goût. Mr Andrews nous rejoignit bientôt malgré le gros temps. Après dîner jouâmes et chantâmes jusque vers 4 ou 5 heures, le vent soufflant très fort et la pluie tombant par averses. Andrews et moi dûmes rentrer dans la bourrasque et avec le flot contre nous, si bien que nous allâmes à pied à Greenwich.
            Avant mon départ ma femme me fit part de la terrible nouvelle qu'elle venait d'apprendre, à savoir que son père est très malade. Je lui dis alors que je craignais que ce ne fût la peste, car on avait fait fermer leur maison. Fort soucieuse elle me pria de leur envoyer un petit quelque chose, ce que je lui promis de faire, et je m'y tiendrai.
            Mais avant que je ne sorte m'est arrivée une dépêche de Mr Coventry, qui m'annonce cette très bonne nouvelle : milord Sandwich a rencontré une partie de la flotte hollandaise et a capturé deux de leurs vaisseaux de la Compagnie des Indes orientales, et six ou sept autres chargés d'un joli butin. Il a pris en chasse le reste de la flotte qu'il espère rejoindre en vue du Well Bank, et notre seule perte est 
l'Hector, pauvre capitaine Cuttle ! La nouvelle me ravit au point que je ne sus trouver les mots pour l'exprimer. Afin de m'y préparer, à pied à Greenwich où, après avoir donné congé à Mr Andrews, je me rendis chez le capitaine Cocke où se trouvaient milord Brouncker, sa maîtresse et sir John Mennes. On y soupa, il y avait aussi sir William Doyly et Mr Evelyn, et l'annonce d'une telle nouvelle nous transporta d'une joie si immense et mit sir John Mennes et Mr Evelyn dans une humeur si excellente que je n'ai jamais passé deux heures en aussi joyeuse compagnie que ce soir-là. Entre autres facéties, Mr Evelyn récita des vers entièrement construits sur les diverses acceptions des verbes may et can, et le fit si bien, saisissant l'occasion qui lui était offerte, et à une telle vitesse qu'il manqua de nous faire mourir de rire, et que sir John Mennes s'en trouva le souffle coupé au beau milieu de ces plaisanteries, à quoi le génie d'Evelyn s'entend à merveille. Jamais je ne vis de visage plus déconfit, outre que les éclats de rire de sir John Mennes à se voir ainsi vaincu, vinrent couronner notre gaieté.
            Restâmes de cette belle humeur jusque vers dix heures du soir. Milord et sa maîtresse rentrèrent chez eux, puis on alla au lit. Jamais auparavant je n'avais éprouvé de joie plus vive que ce soir.
 

                                                                                                                              11 septembre

            Levé, à pied au bureau, travaillai jusques à dix heures puis, comme convenu, milord, sir John Mennes, sir William Doyly et moi prîmes un canot pour gagner l'embarcadère du bac où nous attendait la voiture de sir William Batten et on prit gaiement la route de Walthamstow. Conversâmes fort plaisamment en chemin, surtout au sujet de notre divertissement de la veille. Arrivâmes fort gais et dînâmes bien, et simplement de gibier. Ensuite on alla jouer au billard, ai gagné un demi-souverain. Entre autres facéties, j'ai fait croire à sir William Hickes que j'avais reçu un privilège. Il était aussi parmi les invités et fort jaloux de sir William Doyly qui venait d'obtenir un privilège, lui donnant droit à trois chevreuils, dont l'un avait fait notre ordinaire, ce qui le rendit furieux et nous amusa fort. Il alla jusqu'à me demander de donner dès à présent à milord Brouncker un demi-chevreuil, en échange je recevrais une biche d'ici quelque temps, quand la chasse serait ouverte, ce dont je convins, et se serait ainsi laissé berner longtemps si, comme nous le craignions, sir William Doyly n'avait trahi notre dossier, ce qui gâcha tout.
            Quoiqu'il en soit milady Batten s'invita d'elle-même à dîner chez lui cette semaine et nous y convia tous, ce dont nous convînmes pour le simple plaisir de le faire enrager, car il semble être d'une ladrerie sans bornes.
            Après force bonne chère et gaieté, vers le soir on se remit en chemin, fort réjouis tout du long. A mon arrivée à Greenwich rencontrâmes milord Rutherford et Creed revenus de la Cour et qui, entre autres, m'apportèrent plusieurs ordres de paiement pour Tanger, dont 7 000 £ et quelques pour milord, ce qui donne matière à réflexion, car ils savent au moins faire une chose, s'ils ne savent faire que celle-là, qui est de gaspiller l'argent du roi au fil de leurs pérégrinations. Je lui répondis du mieux que je pus qu'il serait payé en tailles et qu'il n'obtiendrait rien d'autre de moi. Je n'étais point d'humeur à perdre davantage de temps. Patientai quelque temps à la porte de chez sir John Mennes puis partis et rentrai par le fleuve à Woolwich, fis une partie de trictrac avec ma femme.


                                                                                                                         12 septembre

            Levé et à pied au bureau où notre réunion se prolongea tard. Dîner chez sir John Mennes et derechef au bureau, fis mon courrier, rentrai le soir. Ma femme me fit lire une lettre de son frère disant que leur père est très malade et sur le point de mourir, ce qui, Dieu me pardonne ! ne me chagrine point autant qu'il le faudrait, encore que j'en éprouve quelque peine. Pris la décision de lui glisser un petit quelque chose dans la lettre que lui écrirait ma femme, environ 20 shillings puis, au lit.


                                                                                                                       13 septembre

            Levé et à pied à Greenwich, prenant plaisir à marcher avec à la main ma montre à minutes, grâce à quoi je puis calculer la distance de Woolwich à Greenwich. J'ai constaté qu'à chaque fois j'étais parvenu au même endroit, à deux minutes près, au bout de chaque quart d'heure écoulé.
            On se retrouva, sur rendez-vous, chez le capitaine Cocke, chez qui on mangea des huîtres. Puis milord Brouncker, sir John Mennes et moi prîmes une barque. De là, dans la voiture de milord, chez sir William Hickes où nous fûmes bientôt rejoints par milady Batten et sir William. C'est une belle demeure, de ce qui l'entoure ou de ce qu'elle contient, mais meublée et piètrement entretenue comme jamais je n'en ai vue. La porte de sa salle à manger ne ferme pas et n'est d'aucune protection car, faute de loquet le vent s'engouffra dans la pièce et fit basculer un grand pot de fleurs posé sur une desserte qui tomba sur des verres de Venise et causa pour 5 shillings de dégâts.
            Il nous servit le dîner le plus mesquin qui soit, du bœuf, de l'épaule et des abats de gibier que lui donne le garde-forestier, plus quelques pigeonneaux. Le tout préparé de la manière la plus ignoble qui soit, la pire que j'ai jamais vu.
            Après dîner, nous membres du bureau de la Marine, tînmes notre réunion à part, afin de lire diverses lettres et examiner diverses affaires, puis on rejoignit les autres. La seule chose qui me plut fut ce très beau tableau de la reine mère, jeune, par Van Dick. Quel beau portrait et quel visage charmant et doux !
            On s'en retourna dans l'après-midi. Je vis en accostant à Greenwich Mr Penn qui venait à ma rencontre. Fîmes quelques pas ensemble et, pour amorcer la conversation, je le fis parler de la France. Il prit plaisir à me faire part de ses observations, tantôt bonnes, tantôt peu pertinentes et, dans les deux cas, fort mal racontées, mais il fallut s'en contenter. 
            Chez moi. Ma femme était sortie et avait été absente toute la journée sans que nul ne sache où elle était allée, ce qui me soucia à cause de l'heure tardive et du froid. Puis étant invités à dîner chez la mère de Mr Sheldon, on emmena Mrs Barbara, fort joliment vêtue, et dans la voiture de milady, que nous avions croisée en partant chercher ma femme, on s'y rendit. Après avoir bavardé on alla souper. Bientôt arrivent ma femme et Mercer qui avaient passé la journée avec le capitaine Cocke. Il était venu l'emmener voir son petit garçon à l'école de Bromley et l'avait ensuite fort aimablement raccompagnée à la maison. Ce fut fort gai, à ceci près que je n'avais point d'appétit, ayant dîné tard. 
            Après dîner, Mr Penn et moi commençâmes à débattre des paroles d'une chanson française que ma femme chantait, D'un air tout interdict, sur le sens desquelles j'ai parié avec lui à vingt contre un, mais il me tint tête, alors que j'étais sûr de connaître le sens exact des mots. A demi fâché après avoir argué pendant près d'une heure, nous nous séparâmes mécontents, et rentrâmes tard, dans leur voiture et, au lit.
            Henry Russel a aujourd'hui porté mes 20 shillings aux parents de ma femme, mais ils ne nous a pas encore dit comment ils vont. 



                                                                                                                          14 septembre 1665
                                                                                                                                          jimcdn.com         
            Levé et à pied à Greenwich où j'ai préparé divers papiers en vue de me rendre à Londres où je ne suis point allé depuis longtemps. Mais avant de quitter mon bureau, un message me dit qu'étaient arrivées, provenant de la flotte, des lettres disant que nous avions capturé de nombreux autres navires hollandais. Ce qui me prouva de façon éclatante que je pouvais me dominer, car je refusai de manifester la moindre joie à cette nouvelle, tant que je ne fus pas assuré de son exactitude. Pris vite une barque pour me rendre chez le duc d'Albemarle où je trouvai une lettre de Solebay datée du 12 septembre, de la main de milord Sandwich, relatant que notre flotte a rencontré 18 autres navires hollandais, qu'elle a pour la plupart capturés et, au dire du messager, trois autres furent capturés après que la lettre fut cachetée et scellée. Soit 21 navires auxquels s'ajoutent les 14 de l'autre jour, ce qui fait 45 en tout, dont beaucoup sont de bons navires et d'autres chargés d'un riche butin.
            La nouvelle nous fit si grand plaisir que milord et les autres en furent transportés de joie. Après avoir pris copie de la lettre de milord, je regagnai la taverne de l'Ours au pied du Pont, me sentant peu dispos et ballonné, pris un biscuit, un morceau de fromage et un canon de xérès, car j'allais devoir traverser le Pont pour aller à la Bourse où la peste sévit partout alentour. On accueillit avec joie mes nouvelles, et je m'étonnai de voir la Bourse si pleine de monde, 200 personnes au moins, des petites gens et nul homme, nul marchand de qualité. Seigneur ! combien je m'efforçai de parler au moins de gens possible, car l'obligation de fermer les maisons infectées n'est plus observée si bien, qu'à n'en pas douter, on côtoie, on parle à des gens qui ont la peste.
            Me rendis chez sir Robert Vyner où mon principal objet était de régler la question des 5 000 £ de tailles de Debussy, ce qui fut fait et me permet pour lors d'épargner quelque argent. Chez moi après avoir fait quelques achats pour ma femme en chemin. A la maison fis plusieurs colis à destination de Woolwich. A la réflexion et sur les conseils de William Griffin, j'ai jugé plus sage de laisser ici l'argent et l'argenterie, où ils sont aussi en sûreté qu'ailleurs, car personne n'ira imaginer qu'on puisse laisser de l'argent chez soi en ce moment, dans les maisons désertées par les familles. Mon opinion faite je les laissai donc à leur place pour l'instant. Mais Seigneur ! quelle peine on se donne pour préserver ce qu'on a eu grand mal à accumuler, et à juste raison ! Descendis à mon bureau où j'écrivis des lettres au sujet de l'heureuse nouvelle de notre victoire, puis chez moi, par le fleuve, tard.
            Arrivai chez moi, repensai aux événements de la journée qui, plus que toute autre, donne lieu de se réjouir d'une part et de se lamenter de l'autre. D'un côté j'ai retrouvé mon argent, mon argenterie et mes meubles intacts à Londres, et pus faire avancer mes affaires de trésorerie. J'ai appris cette bonne nouvelle après avoir désespéré de voir milord remporter une victoire cette année, à cela il faut ajouter qu'il y a eu 500 morts de moins, au bas mot, ce qui est la première diminution que nous ayons connue depuis le début de l'épidémie, et on espère la voir régresser davantage la semaine prochaine. Mais, par ailleurs, je constate que bien que les chiffres du bulletin aient tendance à reculer ils sont en augmentation à l'intérieur de la Cité et vont probablement le rester, la peste est très proche de notre maison, j'ai vu des cadavres de pestiférés qu'on portait en terre sous mes yeux, en plein midi, à travers la Cité, dans Fenchurch Street et un malade couvert de plaies qui passa tout près de moi dans Gracechurch Street dans une voiture de louage. J'ai trouvé porte close à la taverne de l'Ange de l'autre côté de Tower Hill. Pis, la brasserie près de l'embarcadère de la Tour fermée elle aussi. Pis encore, quelqu'un était en train d'y mourir de la peste. J'apprends que mon batelier, le malheureux Payne, a vu mourir un de ses enfants et qu'il est lui-même mourant. J'apprends qu'un manœuvre que j'avais envoyé l'autre jour à Dagenham prendre de leurs nouvelles est mort de la peste et que l'un de mes bateliers qui m'a conduit tous les jours en barque est tombé malade aussitôt après m'avoir débarqué vendredi dernier au matin, après que j'ai passé toute la nuit sur le fleuve, et je crois que c'est ce jour-là à Brentford qu'il a attrapé la peste et qu'il vient d'en mourir. J'apprends que le capitaine Lambert et que le capitaine Cuttle ont été tués lors de la prise de ces navires et que Mr Sidney Montagu souffre d'une terrible fièvre chez milady Carteret à Scot's Hall. J'apprends que Mr Lewes a une autre de ses filles malade et enfin que deux de mes gens, William Hewer et Tom Edwards ont perdu leur père de la peste cette semaine, tous deux de la paroisse du Saint-Sépulcre.
            Voilà qui me fait redouter de sombrer dans la mélancolie, et à juste titre. Mais je dissipai autant que faire se peut ces tristes pensées, afin d'aider ma femme et mes gens à garder courage. Après avoir soupé, n'ayant rien mangé de toute la journée, d'une belle tanche pêchée par Mr Sheldon.


                                                                                                                        15 septembre

            Levé par un matin froid et brumeux. Par le fleuve au bureau fort occupé par diverses affaires. A midi me fit apporter par Marlowe le messager, du pain, du beurre, du fromage et une bouteille de bière au houblon, si bien que je n'eus point à sortir du bureau et pus dîner avec mon petit commis Tom, tandis que les autres commis rentrèrent dîner chez eux.
            Derechef au travail, puis envoyai mon batelier prendre des nouvelles de sir William Warren souffrant, et j'ai tout lieu d'en avoir de la peine car c'est, entre tous, après le roi, mon très cher ami. Et on me répond qu'il se porte bien, sa maladie était une simple fièvre.
            Par eau à Deptford pensant voir ma valentine, mais en vain, si bien que je revins travailler à mon bureau. Puis allai avec le capitaine Cocke boire une bonne pinte que je m'autorise volontiers en ces temps de peste selon l'avis de tous, et sans contrevenir au serment que j'ai fait, car mon médecin est mort et mon chirurgien trop loin pour que j'aille lui demander conseil. Puis par le fleuve chez moi, souper et, au lit. Fort soucieux à la pensée de ce que je ferai cet hiver, car il n'est point question que j'aille à Woolwich tous les jours sans mettre ma santé en péril, et il est hors de question que je reste à Greenwich loin de ma femme.


                                                              à suivre...........

                                                                                                                       16 septembre 1665

            Levé, à pied.........





































































































































  














vendredi 24 septembre 2021

Chansons pour elle ( extrait ) Paul Verlaine ( Poèmes France )

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            Chansons pour elle                      

                             XXII  

            J'ai rêvé de toi cette nuit :
            Tu te pâmais en mille poses
            Et roucoulais des tas de choses...

            Et moi, comme on savoure un fruit
            Je te baisais à bouche pleine
            Un peu partout, mont, val ou plaine.

            J'étais d'une élasticité
            D'un ressort vraiment admirable :
            Tudieu, quelle haleine et quelle râble !

            Et toi, chère, de ton côté,
            Quel râble, quelle haleine, quelle
            Elasticité de gazelle...

            Au réveil ce fut, dans tes bras,
            Mais plus aiguë et plus parfaite,
            Exactement la même fête !

            
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                            XXIII

            Je n'ai pas de chance en femmes,
            Et, depuis mon âge d'homme,
            Je ne suis tombé guère, en somme,
            Que sur des criardes infâmes.

             C'est vrai que je suis criard
             Moi-même et d'un révoltant
             Caractère tout autant,
             Peut-être plus, par hasard.

            Mes femmes furent légères,
            Toi-même tu l'es un peu,
            Cet épouvantable aveu
            Soit dit entre nous, ma chère.

            C'est vrai que je fus coureur.
            Peut-être le suis-je encore :
            Cet aveu me déshonore.
            Parfois je me fais horreur.

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            Baste ! restons tout de même
            Amants fervents puisqu'en somme
            Toi bonne fille, et moi, brave homme.
            Tu m'aimes, dis, et que je t'aime.


                            Verlaine