dimanche 10 février 2013

Voile Rouge Patricia Cornwell ( Roman policier ÉtatsUnis )




                                     Voile rouge

            
            Jeudi 30 juin, Kay Scarpetta quitte le pénitencier pour femmes de Georgie où "... seulement en tant que visiteuse... " elle a rencontré Kathleen Lawler. "... elle voulait discuter avec moi de Jack mon protégé... a travaillé avec moi... vingt ans." Mais Jack Fielding est mort tué peut-être par la fille de Kathleen, Jack son père à peine âgé de quatorze ans à sa naissance. Kathleen au passé turbulent, touble, droguée, qui craint d'être assassinée. Le Dr Scarpetta, directrice du Centre de sciences légales de Cambridge, " médecin travaillant pour les forces armées, anatomopathologiste, a quitté Boston contre l'avis de son entourage qui, pour diverses raisons la sait en danger. Elle roule vers Savannah : chaleur humide, pluie violente, camionnette malodorante. Kay, Marino, Lucy, Benton et Jaime, ex-juge à NewYork et ex-compagne de Lucy se retrouvent en Caroline du Sud. Et Kay Scarpetta également diplômée en droit et colonel réserviste de l'armée de l'air, sent le danger s'approcher d'elle. Deux morts surviennent. Dr Scarpetta êtes-vous l'instigatrice de ces meurtres, si meurtre il y a ? Toujours très technique Patricia Cornwell détaille les symptômes post-mortem, les très nombreux médicaments trouvés dans les pharmacies. La technologie ne manque pas, même dans des détails comme une lumière violente sur le casque d'une cycliste. Moraliste aussi parfois, pleine de doutes, obsédée même par un besoin de rigueur un peu long quand même. L'enquête commence dans Savannah brûlante en ce mois de juillet. Manipulée Kay Scarpetta se débat, et livre un combat plein d'intérêt pour ceux qui préfèrent les détails humains aux meurtres en séries.











                                                                          Voile Rouge

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui Hugo ( Choses vues )


Joseph Leopold Sigisbert Hugo
                                                                       Journal

                                                                                                              28 janvier 1847

            Il y a aujourd'hui dix-neuf ans que j'ai perdu mon père.

                                                                                                               29 janvier

            Le grand lama actuellement régnant est un enfant de huit ans. Il habite Lassa, ville où aucun Européen n'a encore pénétré.

                                                                                                                31 janvier

            Il y a quelques années, rue de Vendôme, dans le jardin turc on trouva une petite source sulfureuse, très chaude et très chargée. Des spéculateurs achetèrent le terrain un prix fou, et l'on se mit à y bâtir une immense maison de bains, toute en pierre de taille. La maison terminée, il n'y eut plus qu'un petit inconvénient, la source avait disparu. Le poids de la maison avait tassé le terrain, et la source thermale avait fusé ailleurs
                                                                                                                                                                                                                                                                     
            Cartouche avait été condisciple de Voltaire. Mandrin naquit l'année de la mort de Louis XIV, en 1715. Ils moururent tous deux sur la roue. Cartouche en 1721, à l'âge de vingt-huit ans, Mandrin en 1755, à l'âge de quarante ans.

                                                                                                                    1er février


            M. Scribe est né rue Saint-Denis, au Chat noir.

                                                                                                                     2 févrie                                             Voici le mois de février
                                                                                               Toute bête lève le nez.

                                                                                                                      3 février

            Concert chez le roi. J'y suis allé. Un de mes chevaux s'est abattu rue Saint-Antoine devant le portail de Saint-Paul. La foule s'est amassée. J'étais en habit de l'Institut. Un gamin de dix ans s'haussé sur la pointe des pieds, a regardé dans la voiture et s'est écrié ; " Ah! ce marquis ! "


                                                              Faits contemporains

            Hier, 5 février, j'étais aux Tuileries. Il y avait spectacle. Après l'Opéra, tout le monde alla dans les galeries où était dressé le buffet, et l'on se mit à causer.
            Monsieur Guizot avait fait dans la journée à la Chambre des députés un discours très noble, très beau et très fier sur notre commencement de querelle avec l'Angleterre. On parlait beaucoup de ce discours. Les uns approuvaient, les autres blâmaient.
            M. le baron de Billing passa auprès de moi, donnant le bras à une femme que je ne voyais pas.
            - Bonjour, me dit-il. Que pensez-vous du discours ?
            Je répondis :
            - J'en suis content. J'aime à voir qu'on se relève enfin, dans ce pays-ci. On dit que cette fierté est imprudente, je ne le pense pas. Le meilleur moyen de n'avoir pas la guerre, c'est de montrer qu'on ne la craint pas. Voyez, l'Angleterre a plié devant les Etats-Unis il y a deux ans. Elle pliera de même devant la France. Soyons insolents, on sera doux ; si nous sommes doux on sera insolent.         guizot     
            En ce moment, la femme à laquelle il donnait le bras s'est tournée vers moi, et j'ai reconnu l'ambassadrice d'Angleterre.
            Elle avait l'air très fâchée ; elle m'a dit :
            - Oh ! monsieur !...
            J'ai répondu :
            - Ah ! madame !...
            Et la guerre a fini là. Plaise à Dieu que ce soit là aussi tout le dialogue entre la reine d'Angleterre et le roi de France !


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            Au spectacle de la cour qui eut lieu le 5 février 1847 on donnait l'Elixir d'amour deDonizetti. C'étaient les chanteurs italiens, la Persiani, Mario, Tagliafico. Ronconi jouait ( jouait est bien le mot car il jouait très bien ) le rôle de Dulcamara, habituellement représenté par Lablache. C'était pour la taille, non pour le talent, un nain à la place d'un géant. La salle de spectacles des Tuileries avait encore en 1847 sa décoration Empire, des lyres, des griffons, des cous de cygne, des palmettes et des grecques, d'or sur fond gris, le tout froid et pâle.
Image de Gaetano Donizetti            Il y avait peu de jolies femmes : Mme Cuvillier-Fleury était la plus jolie, Mme V. H. la plus belle. Les hommes étaient en uniforme ou en habit habillé. Deux officiers de l'empire se faisaient remarquer par le costume de leur époque. Le comte Dutaillis, manchot de l'empire et pair de France, avait son vieil uniforme de général de division, brodé de feuilles de chêne jusque sur les retroussis. Le grand collet droit lui montait jusqu'à l'occiput ; il avait une vieille plaque de la Légion d'honneur tout ébréchée ; sa broderie était rouillée et sombre. Le comte de Lagrange, ancien beau, avait un gilet blanc à paillettes, une culotte courte de soie noire, des bas blancs, c'est-à-dire roses, des souliers à boucles, l'épée au côté, le frac noir, et le chapeau de pair à plume blanche. Le comte Dutaillis eut plus de succès que le comte de Lagrange. L'un rappelait la Monaco et la Trenitz ; l'autre rappelait Wagram.                                                                                      donizetti 
            M. Thiers, qui avait fait la veille un assez médiocre discours, poussait l'opposition jusqu'à être en cravate noire.
            Mme la duchesse de Montpensier, qui avait quinze ans depuis huit jours, portait une large couronne de diamants et était fort jolie.M. de Joinville était absent. Les trois autres princes étaient là en lieutenants généraux, avec la plaque et le grand cordon de la Légion d'honneur. M. de Montpensier seul portait la Toison d'or.
            Mme Ronconi, belle personne, mais d'une beauté effarée et sauvage, était dans une loge sur la scène, derrière le manteau d'arlequin. On la regardait beaucoup. Du reste, on n'applaudissait personne, ce qui glaçait les chanteurs et tout le monde.
            Cinq minutes avant la fin du spectacle, le roi commençait à faire son petit ménage. Il pliait son bulletin satiné et le mettait dans sa poche, puis il essuyait les verres de ses jumelles, les refermait avec soin, cherchait son étui sur son fauteuil et remettait les jumelles dans l'étui en ajustant fort scrupuleusement les agrafes. Il y avait tout un caractère dans cette façon méthodique.                                                                                                                 .                                                                                       
            M. de Rambuteau y était. On se racontait ses derniers rambutismes ( le mot était d'Alexis de Saint-Priest ). On prétendait que M. de Rambuteau, au dernier jour de l'an, avait mis sur ses cartes :
" M. de Rambuteau est Vénus. " Ou par variante : " M. de Rambuteau; Vénus en personne. "
                                                                                                                                                                                                   

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            Mme de Chateaubriand mourut le 11 février.
            C'était une personne maigre, sèche; noire, très marquée de petite vérole, laide, charitable sans être bonne, spirituelle sans être intelligente.
            Elle était fort convenablement avec M. de Chateaubriand. Dans mon extrême jeunesse, quand je venais voir M. de Chateaubriand, j'avais peur d'elle. Elle me recevait d'ailleurs assez mal.
            M. de Chateaubriand, au commencement de 1847, était paralytique ; Mme Récamier était aveugle. Tous les jours, à trois heures, on portait M. de Chateaubriand près du lit de Mme Récamier. Cela était touchant et triste. La femme qui ne voyait plus cherchait l'homme qui ne sentait plus ; leurs deux mains se rencontraient. Que Dieu soit béni ! on va cesser de vivre qu'on s'aime encore.


                                                       
                                                                        Journal

                                                                                  20 février 1847

            Samedi. Ouverture du Théâtre-Historique. J'en suis sorti à trois heures et demie du matin.
            Mlle Mars était la seule personne vivante qui figurât dans les peintures du porche du Théâtre-Historique. Mme d'A... en entendant dire cela, a dit :
            - Ceci range Mlle Mars parmi les morts. Elle n'a pas longtemps à vivre.
            Mlle Mars est morte le 20 mars, un mois jour pour jour après l'ouverture du Théâtre-Historique.




                                                                                                                Victor Hugo

mercredi 6 février 2013

Le Faux-col Andersen ( Nouvelles Danemark )



                                                                       Le Faux-Col

            Il y avait une fois un monsieur élégant qui n'avait pour tous biens qu'un tire-botte et un peigne, mais avait le plus beau faux-col du monde et c'est justement une histoire sur ce faux-col que nous allons entendre. Il était en âge de penser au mariage, et voilà qu'il fut mis à la lessive avec une jarretière.
            - Ça alors, dit le faux-col, je n'ai jamais vu une personne aussi svelte et élégante, aussi douce et gentille. Puis-je vous demander votre nom ?
            - Je ne le dirai pas, répondit la jarretière.
            - Où habitez-vous, demanda le faux-col.
            Mais la jarretière était très timide, et elle trouvait que c'était une étrange question.
            - Vous êtes certainement une ceinture ! dit le faux-col. Une de ces ceintures de dessous ! Je vois bien que vous êtes utile tout en étant un objet de luxe, ma petite demoiselle !
            - Vous n'avez pas à m'adresser la parole ! dit la jarretière, je ne pense pas vous avoir donné des raisons de le faire !
            - Oh que si ! quand on est charmante comme vous, dit le faux-col, c'est une raison bien suffisante.
            - Je vous prie de ne pas vous approcher de si près ! dit la jarretière. Vous avez l'air tellement mâle !
            - Il faut dire aussi que je suis un monsieur élégant ! dit le faux-col. J'ai un tire-botte et un peigne ! Ce n'était pas vrai puisqu'ils appartenaient à son maître, mais il se vantait.
            - Ne vous approchez pas de moi ! dit la jarretière, je ne suis pas habituée à cela !
            - Sainte-nitouche ! dit le faux-col, et on le retira de la lessive, on l'empesa et le mit sur une chaise, au soleil, avant de la placer sur la planche à repasser. Et le fer chaud arriva.
            - Madame, dit le faux-col, ma petite dame veuve, je deviens tout chaud, je me transforme en quelqu'un d'autre, je sors complètement de mes plis, vous me brûlez et cela me fait des trous ! Hou : Je vous demande en mariage !
            - Espèce de chiffon ! dit le fer à repasser en passant fièrement sur le faux-col, car il se prenait pour une machine à vapeur qu'on allait mettre sur des rails pour tirer des wagons.
            - Espèce de chiffon ! dit-il.
            Le faux-col s'effilochait un peu sur les bords, et la paire de ciseaux à papier arriva pour couper les fils.
            - Oh ! dit le faux-col, vous êtes certainement première danseuse. Comme vous savez tendre les jambes ! Je n'ai jamais rien vu d'aussi charmant ! Personne ne peut faire cela aussi bien que vous !
            - Je le sais ! dit la paire de ciseaux.
            - Vous mériteriez d'être comtesse, dit le faux-col. Je n'ai rien d'autre qu'un monsieur élégant, un tire-botte et un peigne ! Si seulement j'avais un comté !
            - Il me demande en mariage ! dit la paire de ciseaux, car elle était en colère et elle lui fit une grande coupure, et du coup elle l'avait éconduit.
            - Il faut certainement que je demande le peigne en mariage ! C'est curieux de voir comment vous conservez toutes vos dents, ma petite demoiselle ! dit le faux-col. N'avez-vous jamais penser à vous fiancer ?
            - Mais bien sur que si ! dit le peigne. Je suis fiancé avec le tire-botte !
            - Fiancé ! dit le faux-col. Il ne pouvait plus demander personne en mariage, si bien qu'il se mit à mépriser la chose.
            Longtemps après le faux-col se retrouva dans une caisse chez le fabricant de papier, beaucoup de chiffons s'étaient rassemblés pour cette réception. Les chiffons délicats étaient d'un côté, les grossiers de l'autre, comme il se doit. Ils avaient tous beaucoup de choses à raconter, surtout le faux-col, car s'était un grand fanfaron.
            - J'ai eu énormément de fiancées ! dit le faux-col. Je ne pouvais pas rester en place ! Il faut dire aussi que j'étais un monsieur élégant, tout amidonné ! J'avais un tire-botte et un peigne dont je ne me servais jamais  ! Vous auriez dû me voir à l'époque, me voir quand j'étais couché sur le côté ! Je n'oublierai jamais ma première fiancée. C'était une ceinture, elle était si élégante, si douce et si charmante, elle s'est jetée dans un baquet à cause de moi ! Il y a eu aussi une veuve qui est devenue rouge vif, mais je l'ai laissée attendre et elle est devenue toute noire ! Il y a eu la première danseuse, elle m'a fait la balafre que j'ai encore tellement elle était vorace  ! Mon propre peigne était amoureux de moi ! il a perdu toutes ses dents à la suite de ce chagrin d'amour. Eh oui, j'ai eu beaucoup d'aventures de ce genre. Mais c'est la jarretière - je veux dire la ceinture qui s'est jetée dans le baquet - qui me fait le plus mal au coeur. J'ai la conscience bien chargée, j'aurais bien besoin de me transformer en papier blanc !
            Et c'est bien ce qui arriva. Tous les chiffons furent changés en papier blanc, mais le faux-col devint justement le morceau de papier que nous voyons ici ; sur lequel cette histoire a été imprimée, justement parce qu'il s'était terriblement vanté de choses qui n'avaient jamais existé. Souvenons-nous bien de cela, de façon à ne pas faire de même car, on ne sait jamais, il se pourrait fort bien que nous terminions dans la caisse à chiffons et que nous soyons transformés en papier blanc, sur lequel toute notre histoire serait imprimée, même la plus secrète, et nous serions alors obligés de courir partout pour la raconter, comme le faux-col.




                                                    
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                                                           Le Vilain Garçon

            Il était une fois un vieux poète, vous savez, un de ces vieux poètes. Un soir il était à la maison, il faisait un temps épouvantable à l'extérieur. La pluie tombait à verse, mais le vieux poète était à l'abri, confortablement assis à côté de son poêle, où le feu brûlait et où les pommes cuisaient.
            " Ils n'auront plus un fil de sec sur eux, les pauvres gens qui sont dehors par ce temps ! dit-il " car c'était vraiment un bon poète.
           - Oh ! ouvrez-moi ! j'ai froid et je suis tout mouillé ! cria un petit enfant à l'extérieur. Il pleurait et frappait à la porte, tandis que la pluie tombait à verse et que le vent secouait toutes les vitres.
           - Pauvre petit ! dit le vieux poète, et il alla ouvrir la porte. Il y avait là un petit garçon.  Il était tout nu et l'eau s'écoulait de sa longue chevelure blonde. Il grelottait de froid, s'il n'était pas entré, il serait certainement mort à cause du mauvais temps.
            - Pauvre petit ! dit le vieux poète en le prenant par la main. Entre donc chez moi, je saurai bien te réchauffer ! Je vais te donner du vin et une pomme, car tu es un beau petit garçon !
            C'était bien vrai d'ailleurs. Ses yeux ressemblaient à deux étoiles claires, et bien que l'eau ait coulé abondamment de ses cheveux blonds, ils étaient pourtant joliment bouclés. On aurait dit un petit ange, mais il était pâle, tellement il avait froid, et il tremblait de tout son corps. Dans sa main il tenait un bel arc, mais la pluie l'avait tout abîmé, toutes les couleurs sur les belles flèches se mélangeaient les unes aux autres à cause du temps humide.
            Le vieux poète s'assit à côté du poêle, prit le petit garçon sur ses genoux, fit sortir l'eau de ses cheveux en les tordant, réchauffa ses mains dans les siennes, et lui fit chauffer du vin sucré. Et il récupéra ses forces, ses joues se colorèrent de rouge, et il sauta sur le sol, et se mit à danser autour du vieux poète.
            - Tu es un joyeux garçon, dit le vieillard. Comment t'appelles-tu ?
            - Je m'appelle Amor ! répondit-il. Tu ne me connais pas ? Voilà mon arc ! Je m'en sers pour tirer ! Tu peux me croire ! Mais voilà que le temps tourne au beau dehors, la lune brille.
            - Mais ton arc est abîmé, dit le vieux poète.
            - C'est ennuyeux ! dit le petit garçon qui le ramassa pour le regarder. Oh, il est tout sec ! il n'a pas du tout souffert ! La corde est bien tendue. Je vais l'essayer. Puis il le banda, plaça une flèche et tira droit dans le coeur du bon vieux poète. Tu vois bien que mon arc n'a pas été abîmé ! dit-il. Il rit très fort et partit en courant.
           Le vilain garçon ! Tirer comme ça sur le vieux poète qui l'avait fait entrer dans la pièce chaude, avait été si gentil avec lui et lui avait donné du bon vin et la meilleure pomme.
           Le bon poète était allongé par terre et il pleurait, il avait vraiment été touché en plein coeur et il dit alors :
           - Fi ! comme cet Amor est un méchant garçon ! Il faut que je dise à tous les bons enfants qu'ils fassent attention et qu'ils ne jouent jamais avec lui, car il leur ferait du mal.
            Tous les bons enfants, filles et garçons à qui il a dit cela ont fait très attention au méchant Amor, mais il les a tout de même trompés, car il est très malin! Quand les étudiants reviennent de leurs cours, il court à côté d'eux, un livre sous le bras et vêtu d'une toge noire. Ils ne peuvent pas du tout le reconnaître, et ils le prennent par le bras et croient que c'est aussi un étudiant, mais il leur décoche la flèche dans la poitrine. Lorsque les filles reviennent du catéchisme, et quand elles reçoivent la confirmation, il les poursuit, elles aussi. Oui, il poursuit tout le temps les gens ! Il est perché sur le grand candélabre, au théâtre et il répand une vive lumière, si bien que les gens croient que c'est une lampe, mais ils remarquent autre chose par la suite. Il court dans le Jardin du Roi et sur le rempart ! Un jour, il a même tiré tout droit dans le coeur de ton père et de ta mère ! Demande-leur donc, tu verras ce qu'ils te diront. Oui, vraiment, c'est un méchant garçon cet Amor, il ne faut jamais que tu aies affaire à lui ! Il poursuit tout le monde Tu t'imagines, une fois il a même décoché une flèche sur la vieille grand-mère, mais il y a longtemps de cela, cela lui a passé, mais elle n'oubliera jamais une chose pareille. Fi, le méchant Amor ! Mais maintenant, tu le connais ! Tu sais quel vilain garçon c'est !




                                                                 
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                                                           L'aiguille à repriser

            Il était une fois une aiguille à repriser qui faisait tellement de manière qu'elle s'imaginait être une aiguille à coudre.
            - Faites bien attention à ce que vous tenez ! dit l'aiguille à repriser aux doigts qui la prirent. Ne me perdez pas ! si je tombe sur le plancher il se peut fort bien qu'on ne me retrouve plus, tellement je suis fine et délicate !
            - Il y a des limites ! dirent les doigts en la serrant à la taille.
            - Regardez, je viens accompagnée de ma suite, dit l'aiguille à repriser et elle entraînait derrière elle un long fil qui n'avait pourtant pas de noeud.
            Les doigts dirigèrent l'aiguille tout droit vers la pantoufle de la cuisinière, là où le cuir de dessus était déchiré, et maintenant il fallait le recoudre.
            - C'est un travail avilissant ! dit l'aiguille à repriser. Je ne traverserai jamais. Je vais me casser, je vais me casser ! et elle se cassa. N'est-ce pas ce que j'avais dit ! dit l'aiguille à repriser. Je suis trop fine et délicate !
            Maintenant elle ne vaut plus rien, pensèrent les doigts, mais il fallait tout de même qu'ils la tiennent. La cuisinière versa quelques goutte de cire à cacheter sur elle, et elle la piqua sur le devant de son fichu.
            - Regardez, me voilà devenue broche ! dit l'aiguille à repriser. Je savais bien que j'aurais droit aux honneurs. Quand on est quelque chose, on devient toujours quelque chose. Et elle riait dans son for intérieur, car on ne peut jamais voir de l'extérieur si une aiguille à repriser rit. Elle était là maintenant, aussi fière que si elle avait roulé en carrosse en regardant dans tous les côtés.
             - Puis-je avoir l'honneur de vous demander si vous êtes en or ? demanda l'épingle qui était sa voisine. Vous avez belle apparence, et vous avez bien une tête, mais cela ne l'empêche pas d'être petite ! Faites en sorte qu'elle grossisse, car on ne peut pas mettre de la cire à cacheter au bout de tout le monde ! Et l'aiguille à repriser se redressa si fièrement qu'elle tomba du fichu dans l'évier, juste au moment où la cuisinière était en train de le vider.
            - Voilà que nous partons en voyage ! dit l'aiguille à repriser, pourvu que je ne disparaisse pas ! mais c'est pourtant bien ce qui lui arriva.
            - Je suis trop fine et délicate pour ce monde ! dit-elle une fois arrivée dans le caniveau. J'ai ma bonne conscience pour moi, et c'est déjà une petite satisfaction ! et l'aiguille à repriser se tint toute droite et ne perdit pas sa bonne humeur.
            Et toutes sortes de choses lui passèrent par-dessus, des bouts de bois, des brins de paille, des morceaux de journaux.
            - Voyons comme ils voguent ! dit l'aiguille à repriser. Ils ne savent pas que ce qu'il y a en-dessous d'eux ne manque pas de piquant ! Je pique, je suis là.Voilà un bout de bois qui passe, il ne pense à rien d'autre dans ce monde qu'à " bout de bois ", c'est à dire à lui-même. Voilà un brin de paille qui nage, voyez comme il est ballotté, voyez comme il tourne ! Ne pense pas autant à toi-même, tu pourrais te cogner contre les pavés de la rue !... Voilà un journal qui flotte !... on a oublié ce qui est écrit dedans, et pourtant il s'étale !...Je reste patiente et calme ! je sais ce que je suis et je vais le rester !
            Un jour, quelque chose brilla joliment, tout près, et l'aiguille à repriser crut que c'était un diamant, mais c'était un tesson de bouteille, et puisque c'était brillant, l'aiguille lui parla et se présenta comme étant une broche !
            - Vous êtes sans doute un diamant ?
            - Oui, je suis quelque chose comme ça ! et ils crurent l'un de l'autre qu'ils valaient vraiment cher et ils parlèrent de l'orgueil du monde.  
            - Eh bien moi j'ai habité dans une boîte chez une demoiselle,  dit l'aiguille
 à repriser, et cette demoiselle était cuisinière. Elle avait cinq doigts à chaque main mais je n'ai jamais vu quelque chose d'aussi prétentieux que ces cinq doigts, alors qu'en réalité ils n'avaient pas d'autre raison d'être que de me tenir, me sortir de la boîte et me mettre dans la boîte.
            Avaient-ils quelque éclat demanda le tesson de bouteille .
            - De l'éclat ! dit l'aiguille à repriser, non c'était de l'orgueil ! c'étaient cinq frères tous nés "doigts " , ils se tenaient droits l'un à coté de l'autre, bien qu' ils aient eu des longueurs différentes. Celui qui était le plus en-dehors, le pouce, était court et épais, il marchait en-dehors des rangs , et il avait une seule cassure dans le dos, il ne pouvait faire qu' une seule révérence, mais il disait que si on le coupait à une personne, la personne entière était inapte au service militaire. L'index fait pour être léché, passait dans le sucré et l'amer, montrait le soleil et la lune, et c'était lui qui appuyait quand ils écrivaient. Le majeur avait une tête de plus que les autres. L'annulaire avait un anneau d'or autour du ventre, et le petit doigt, Peer le Violoneux, ne faisait rien et il en était fier.Tout cela n'était que de la vantardise pure et simple, et puis je suis tombé dans l'évier !
            - Et maintenant nous sommes là, et nous brillons ! dit le tesson de verre. Au même instant, le niveau d'eau augmenta dans le caniveau qui déborda de tous côtés et le tesson de verre fut emporté.
            - Voilà qu' il a pris de l'avancement dit l'aiguille à repriser.Je reste où je suis  je suis trop fine et délicate,  mais c'est ma fierté et elle mérite d'être respectée.  Et elle resta bien droite et se livra à maintes réflexions.
            " Je ne suis pas loin de croire que je suis née d'un rayon de soleil. J'ai aussi l'impression que le soleil me cherche toujours sous l'eau Ah ! Je suis tellement fine et délicate que ma mère ne peut pas me trouver.  Si l'œil que j'avais autrefois ne s'était pas cassé, je crois que je pourrais pleurer ! - non je ne le ferais pas - pleurer - c'est un manque de délicatesse.
            Un jour quelques garçons de rue étaient en train de fouiller dans le caniveau, où ils trouvaient de vieux clous,  des pièces de monnaie et des choses de ce genre. C'était dégoûtant, mais que voulez-vous ils y trouvaient du plaisir.
            - Aie,  dit l'un d'entre eux. Il s'était piqué avec l'aiguille à repriser. En voilà un sale type.
            - Je ne suis pas un sale type, je suis une demoiselle ! dit l'aiguille à repriser,  mais personne ne l'entendit. La cire à cacheter était partie et elle était noire,  mais le noir amincit et elle crut qu'elle était encore plus fine et délicate.
            - Voilà une coquille d'œuf, dirent les garçons, et ils plantèrent l'aiguille à repriser dans la coquille.
             - Des murs blancs, mais moi je suis noire ! Dit l'aiguille à repriser, cela fait bien ! Comme ça on peut tout de même me voir ! Pourvu que je n'aie  pas le mal de mer, car sinon je me plierai en deux ! Mais elle n'eut pas le mal de mer et ne se plia pas en deux.
            " C'est bon contre le mal de mer d'avoir un estomac d'acier et de se souvenir tout le temps qu'on est un peu plus qu'un être humain ! Ça y est ça m'a passé ! Plus on est délicat plus on peut en supporter !
            - Crac ! Fit la coquille d'œuf,  une voiture chargée lui était passée dessus.
            - Hou ! Comme ça serre, dit l'aiguille à repriser je vais tout de même avoir le mal de mer ! je vais me casser ! mais elle ne se cassa pas, bien qu' une voiture chargée lui ait passé dessus ! Elle  était posée dans le sens de la longueur. Et elle n'avait qu' à rester là. 

dimanche 3 février 2013

Le Pont Mirabeau Guillaume Apollinaire ( Poèmes Alccols France )

  

                                                                                                                                                                                                                                 
          
                                                   LE PONT MIRABEAU

                    Sous le Pont Mirabeau coule la Seine
                             Et nos amours
                       Faut-il qu'il m'en souvienne
                    La joie venait toujours après la peine

                             Vienne la nuit sonne l'heure
                            Les jours s'en vont et je demeure

                    Les mains dans les mains restons face à face
                              Tandis que sous
                         Le pont de nos bras passe
                   Des éternels regards l'onde si lasse

                              Vienne la nuit sonne l'heure
                             Les jours s'en vont je demeure

                  L'amour s'en va comme cette eau courante
                               L'amour s'en va
                      Comme la vie est lente
                  Et comme l'Espérance est violente

                                Vienne la nuit sonne l'heure
                               Les jours s'en vont je demeure

                 Passent les jours et passent les semaines
                                 Ni temps passé
                     Ni les amours reviennent
                Sous le Pont Mirabeau coule la Seine

                                 Vienne la nuit sonne l'heure
                               Les jours s'en vont je demeure


                                                                                                    Apollinaire



                                                                       ************
                                                                                                                       

                             SALTIMBANQUES   *    
                                                                                                                                                                     
                    Dans la plaine les baladins                                  
                    S'éloignent au long des jardins                                                 
                    Devant l'huis des auberges grises
                    Par les villages sans églises                                                 

                    Et les enfants s'en vont devant                                                
                    Les autres suivent en rêvant                                                         
                    Chaque arbre fruitier se résigne
                    Quand de très loin ils lui font signe                                                        
                                                                                                                                  
                    Ils ont des poids ronds ou carrés                                                     
                    Des tambours des cerceaux dorés                                                            
                    L'ours et le singe animaux sages
                    Quêtent des sous sur leur passage

                   
                                                                                                           Apollinaire

montand chante les saltimbanques

                                                                              ************



                                                            Poème à Lou

                    Je t'adore mon Lou et par moi tout t'adore
                    Les chevaux que je vois s'ébrouer aux abords
                    L'appareil des monuments latins qui me contemplent
                    Les artilleurs vigoureux qui dans leur caserne rentrent
                    Le soleil qui descend lentement devant moi
                    Les fantassins bleu pâle qui partent pour le front
                          pensent à toi
                    Car ô ma chevelure de feu tu es la torche
                    Qui m'éclaire ce monde et flamme tu es ma force
                                  Dans le ciel les nuages
                                  Figurent ton image
                                  Le mistral en passant
                                  Emporte mes paroles
                                  Tu en perçois le sens
                                  C'est vers toi qu'elles volent
                                  Tout le jour nos regards                                                               
                                  Vont des Alpes au Gard
                                  Du Gard à la Marine
                                  Et quand le jour décline
                                  Quand le sommeil nous prend
                                  Dans nos lits différents
                                  Nos songes nous rapprochent
                                  Objets dans la même poche
                                  Et nous vivons confondus
                                  Dans le même rêve éperdu
                                  Mes songes te ressemblent
                    Les branches remuées ce sont tes yeux qui tremblent
                    Et je te vois partout toi si belle et si tendre
                    Les clous de mes souliers brillent comme tes yeux
                    La vulve des juments est rose comme la tienne
                    Et nos armes graissées c'est comme quand tu me veux
                    O douceur de ma vie c'est comme quand tu m'aimes
                                  L'hiver est doux le ciel est bleu
                                  Refais-me le refais-me le
                                  Toi ma chère permission
                                  Ma consigne ma faction
                                  Ton amour est mon uniforme
                                  Tes doux baisers sont les boutons
                                  Ils brillent comme l'or et l'ornent
                                  Et tes bras si roses si longs
                                  Sont les plus galants des galons
                    Un monsieur près de moi mange une glace blanche
                    Je songe au goût de ta chair et je songe à tes hanches
                    A gauche lit son journal une jeune dame blonde
                    Je songe à tes lettres où sont pour moi toutes les
                             nouvelles du monde
                     Il passe des marins la mer meurt à tes pieds
                     Je regarde ta photo tu es l'univers entier
                     J'allume une allumette et vois ta chevelure
                     Tu es pour moi la vie cependant qu'elle dure
                     Et tu es l'avenir et mon éternité
                     Toi mon amour unique et la seule beauté


                                                                                                     Guillaume Apollinaire