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Épitaphe de l'abbé Bonnet
Ci-gît Bonnet, qui tout savait,
Bonnet, qui la pratique savait
De tous les secrets de la nature,
Dont il parlait à l'aventure,
Car il eut si subtil esprit
Qu'onc il n'en lut un seul écrit.
Bonnet ne lut onc en sa vie
Un seul mot de philosophie,
Et si en savait, ce dit-on,
Plus qu'Aristote ni Platon.
Bonnet fut un docteur sans titre,
Sans loi, paragraphe et chapitre.
Bonnet avait lu tous auteurs,
Fors poètes et orateurs :
D'histoires et mathématiques,
Et telles sciences antiques,
Il s'en moquait ; au demeurant,
De rien il n'était ignorant.
Mais sa science principale
Était une occulte Cabale,
Qui n'avait rien de défendu,
Car on n'y eût rien entendu.
Bonnet entendait la Magie
Aussi bien que l'Astrologie
Bonnet le futur prédisait,
Et de tout présages faisait,
Sur mutations de provinces :
Mais il n'eut onques le savoir
De pouvoir la sienne prévoir.
Bonnet sur la langue Hébraïque
Aussi bien que la Chaldaïque,
Mais en latin le bon abbé
N'y entendait ni A ni B.
Bonnet avait mis en usage
Un baragouin de langage
Entremêlé d'Italien,
De Français et Savoisien.
Bonnet fut de l'Académie
De ceux qui soufflent l'alchimie,
Et avait soufflé tout son bien,
Pour multiplier tout en rien.
Bonnet savait donner au verre
La couleur d'une belle pierre :
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Bonnet savait un grand trésor,
Bonnet savait un fleuve d'or,
Et avait trouvé des minières
De métaux de toutes manières.
Bonnet avait deux pleins tonneaux
De bagues, de pierres, d'anneaux,
D'or en masse, et parlait sans cesse
De ses biens et de sa richesse.
Bonnet était de tous métiers,
Bonnet fréquentait les moutiers
Et toujours barbotait des lèvres :
Bonnet savait guérir des fièvres
Par billets au col attachés :
Bonnet détestait les péchés,
Mais en procès et plaidoirie
C'était une droite Furie.
Bonnet fut colère et mutin,
Bonnet ressemblait un Lutin,
Qui va, qui tourne, qui tracasse
Toute la nuit parmi la place.
Bonnet portait barbe de chat,
Bonnet était de poil de rat,
Bonnet fut de moyen corsage,
Bonnet était rouge en visage,
Avecques un oeil de furet,
Et sec comme un hareng sauret
Bonnet eut la tête pointue,
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Et le col comme une tortue.
Bonnet s'accoutrait tous les jours
De deux soutanes de velours,
Et ne changeait point de vêture
Pour le chaud ni pour la froidure.
Bonnet était toujours crotté
En hiver, et poudreux l'été :
Et toujours traînait par la rue
Quelque semelle décousue.
Bonnet, soit qu'il plût ou qu'il fît beau,
Portait toujours un vieux chapeau,
Et ne porta, tant fut grand fête,
Qu'après sa mort bonnet en tête.
Bref, ce Bonnet fut un Bonnet
Qui jamais ne porta bonnet.
Bonnet allait sur une mule
Aussi vieille que pape Jule,
Accompagné d'un gros valet
Toujours crotté jusqu'au collet,
Avec la bride et couverture
Digne d'une telle monture.
Bonnet pour la chambre vêtait
Une chamarre, qui était
De peau de loup. Quant à sa table,
Il usait pour mets délectable
D'oignons tous crus et de poreaux,
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Et toujours il sentait les aulx :
Les aulx étaient le musc et l'ambre
Dont Bonnet parfumait sa chambre.
Bonnet buvait grec et latin,
Bonnet s'enivrait au matin
Pour tout le jour, et après boire
Bonnet s'en voulait faire croire.
Bonnet en tout se connaissait,
Bonnet de tous maux guérissait,
Et si n'usait que d'eau-de-vie :
Mais la mort, qui en eut envie,
Tellement ses forces ravit,
Que son eau rien ne lui servit.
Bonnet faisait mille trafics,
Bonnet savait mille pratiques
En procès : et les plus famés
De ces courtisans affamés,
En matière de bénéfices
Près de lui n'étaient que novices.
Pour bien emboucher un témoin,
Et pour bien s'aider au besoin
D'une vieille lettre authentique,
Pour trouver quelque titre antique,
Pour rendre un procès éternel,
Pour faire un civil criminel,
Et pour donner une traverse
Au droit de sa partie adverse,
Pour étonner de son caquet
Un juge, une cour, un parquet,
Pour faire une importune instance,
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Pour appeler d'une sentence,
Pour connaître cela qui point,
Et pour soudain prendre le point
De quelque matière profonde,
Il n'était qu'un Bonnet au monde.
Vrai est qu'on lui fit maint excès,
Mais il gagna tous ses procès :
Et fut Bonnet tant habile homme,
Qu'on ne perdit en cour de Rome,
Ou fût à droit, ou fût à tort,
Procès, sinon contre la mort :
Dont encore il se lamente
( Ce crois-je ) devant Rhadamante :
Mais Bonnet aura beau crier,
S'il peut Rhadamante plier.
Joachim du Bellay
( in Divers Jeux Rustiques )